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Alexander von Humboldt: „Notice d’un voyage aux tropiques, exécuté par MM. Humboldt et Bonpland, en 1799, 1800, 1801, 1802, 1803 et 1804. Par J.-C. Delamétherie“, in: ders., Sämtliche Schriften digital, herausgegeben von Oliver Lubrich und Thomas Nehrlich, Universität Bern 2021. URL: <https://humboldt.unibe.ch/text/1804-Baron_Humboldt-02-neu> [abgerufen am 06.12.2024].

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Titel Notice d’un voyage aux tropiques, exécuté par MM. Humboldt et Bonpland, en 1799, 1800, 1801, 1802, 1803 et 1804. Par J.-C. Delamétherie
Jahr 1804
Ort Paris
Nachweis
in: Journal de physique, de chimie, d’histoire naturelle et des arts 59:2 (Thermidor an 12, 1804 [Juli/August]) S. 122–139.
Sprache Französisch
Typografischer Befund Antiqua; Auszeichnung: Kursivierung.
Identifikation
Textnummer Druckausgabe: II.23
Dateiname: 1804-Baron_Humboldt-02-neu
Statistiken
Seitenanzahl: 18
Zeichenanzahl: 42256

Weitere Fassungen
Baron Humboldt (Philadelphia, Pennsylvania, 1804, Englisch)
Notice d’un voyage aux tropiques, exécuté par MM. Humboldt et Bonpland, en 1799, 1800, 1801, 1802, 1803 et 1804. Par J.-C. Delamétherie (Paris, 1804, Französisch)
Baron Humboldt (New York City, New York, 1804, Englisch)
Baron Humboldt (Philadelphia, Pennsylvania, 1804, Englisch)
Baron Humboldt (New York City, New York, 1804, Englisch)
Baron Humboldt (Philadelphia, Pennsylvania, 1804, Englisch)
Baron Humboldt (Charleston, South Carolina, 1804, Englisch)
Baron Humboldt (Harrisburg, Pennsylvania, 1804, Englisch)
Baron Humboldt (Washington, District of Columbia, 1804, Englisch)
Travels of Baron Humboldt (Kingston, New York, 1804, Englisch)
Baron Humboldt (Washington, District of Columbia, 1804, Englisch)
Baron Humboldt (Amherst, New Hampshire, 1804, Englisch)
Baron Humboldt (Richmond, Virginia, 1804, Englisch)
Baron Humboldt (New Bedford, Massachusetts, 1804, Englisch)
Baron Humboldt (Dover, New Hampshire, 1804, Englisch)
Auszug aus Delametheriés vorläufiger Nachricht von der durch die Herren v. Humboldt und Bonpland in den Jahren 1799, 1800, 1801, 1802, 1803 und 1804 nach den Wendekreisen unternommenen Reise (Wien, 1804, Deutsch)
Reise der Herren von Humboldt und Bonpland nach den Wendekreisen In den Jahren 1799 bis 1804. Eine gedrängte Uebersicht des Auszugs ihrer Memoiren v. J. C. Delametherie. Nach dem Französischen übertragen von Schirges Dr. (Hannover, 1805, Deutsch)
J. C. Delametherie’s vorläufige Nachricht von der durch die Herren v. Humboldt und Bonpland in den Jahren 1799, 1800, 1801, 1802, 1803 und 1804 nach den Wendekreisen unternommenen Reise (Weimar, 1805, Deutsch)
Short Account of the Travels between the Tropics, by Messrs. Humboldt and Bonpland, in 1799, 1800, 1801, 1802, 1803, and 1804. By J. C. Delametherie (London, 1805, Englisch)
J. C. Delametherie’s vorläufige Nachricht von der durch die Herren von Humboldt und Bonpland in den Jahren 1799, 1800, 1801, 1802, 1803 und 1804 nach den Wendekreisen unternommenen Reise (Salzburg, 1805, Deutsch)
Account of the Travels between the Tropics of Messrs. Humboldt and Bonpland, in 1799, 1800, 1801, 1802, 1803, and 1804. By J. C. Delamétherie (London, 1805, Englisch)
Travels in South America (Edinburgh, 1805, Englisch)
Voyage de Humboldt et Bonpland en Amérique, tiré du magasin littéraire de Philadelphie, publié en juillet 1804 (Paris, 1807, Französisch)
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NOTICE D’UN VOYAGE AUX TROPIQUES, EXÉCUTÉPAR MM. HUMBOLDT ET BONPLAND En 1799, 1800, 1801, 1802, 1803 et 1804.Par J.-C. Delamétherie.

L’intérêt que le monde savant prend avec tant de raison auvoyage de MM. Humboldt et Bonpland, ainsi que l’amitié quim’unit à eux, m’imposent la douce obligation de présenter auxlecteurs de ce Journal un précis de tous les renseignemens quej’ai pu obtenir, soit de leur correspondance publique et parti-culière, soit des mémoires qu’ils ont lus à l’Institut. Cet exposésera court mais exact. Après avoir fait des recherches physiques depuis huit ans enAllemagne, en Pologne, en Angleterre, en France, en Suisseet en Italie, M. Humboldt vint à Paris en 1798, où le Muséenational lui procura des facilités de faire le voyage autour dumonde avec le capitaine Baudin. Sur le point de partir pour leHavre avec Alexandre-Aimé Goujou Bonpland (élève à l’écolede Médecine et au Jardin des plantes de Paris), la guerre qui |123| recommença avec l’Autriche, et le manque de fonds, engagè-rent le directoire de remettre le voyage de Baudin pour uneépoque plus favorable. M. Humboldt qui depuis 1792 avoitconçu le projet de faire à ses propres frais une expédition auxtropiques, entreprise pour le progrès des sciences physiques,M. Humboldt prit dès-lors la résolution de suivre les savans de l’Egypte; la bataille d’Aboukir ayant interrompu toute commu-nication directe avec Alexandrie, son plan étoit de profiterd’une frégate suédoise qui menoit le consul M. Sezioldebrandt à Alger, de suivre de là la caravane de la Mecque, et de serendre par l’Egypte et le golfe de Perse aux grandes Indes; mais laguerre qui éclata d’une manière inattendue en octobre 1798 entre laFrance et les puissances barbaresques, et les troubles de l’Orientempêchèrent M. Humboldt de partir de Marseille où il attendoitvainement pendant deux mois; impatient de ce nouveau retard,mais toujours ferme dans le projet de rejoindre l’expéditiond’Egypte, il partit pour l’Espagne espérant passer plus facile-ment sous pavillon espagnol de Carthagène du Levant à Alger ou à Tunis, il prit la route de Madrid, par Montpellier,Perpignan, Barcelone et Valence. Les nouvelles de l’Orientdevenoient de jour en jour plus affligeantes; la guerre s’y fai-soit avec un acharnement sans exemple; il fallut enfin renon-cer au projet de pénétrer par l’Egypte à l’Indostan: un heureuxconcours de circonstances dédommagea bientôt M. Humboldt de l’ennui de tant de retard. En mars 1799, la cour de Madridlui accorda la permission la plus ample de passer aux coloniesespagnoles des deux Amériques, pour y faire toutes les re-cherches qui pourroient êtres utiles aux progrès des sciences;permission donnée avec une franchise qui fait le plus grandhonneur aux idées libérales du gouvernement. Sa majesté catho-lique daigna marquer un intérêt personnel pour le succès decette expédition, et M. Humboldt, après avoir résidé quelquesmois à Madrid et à Aranjuez, partit de l’Europe en juin 1799,accompagné de son ami Bonpland qui réunit des connoissancesdistinguées en botanique et en zoologie, à ce zèle infatigableet à cet amour pour les sciences qui fait supporter avec indiffé-rence toutes sortes de privations physiques et morales. C’est avec cet ami que M. Humboldt a exécuté pendant cinqans, et à ses propres frais, un voyage dans les deux hémis-phères; voyage de mer et de terre de près de 9000 lieues, etdes plus grands que jamais particulier a entrepris. Ces deux voya-geurs, munis de recommandations de la cour d’Espagne, par- |124| tirent avec la frégate la Pizarro de la Corogne, pour les îlesCanaries; ils touchèrent à l’île de la Graciosa près de cellede Lancerotte et à Ténériffe où ils montèrent jusqu’au cratèredu pic de Teyde, pour y faire l’analyse de l’air atmosphériqueet les observations géologiques sur les basaltes et schistes por-phyritiques de l’Afrique. Ils arrivèrent au mois de juillet au portde Cumana dans le golfe de Cariaco, partie de l’Amériqueméridionale, célèbre par les travaux et les malheurs de l’in-fatigable Loffling. Ils visitèrent dans le cours de 1799 et 1800la côte de Paria, les missions des Indiens, Chaymas et la pro-vince de la Nouvelle-Andalousie, pays des plus chauds maisdes plus sains de la terre, quoique déchiré par des tremblemensde terre affreux et fréquens; ils parcoururent la province dela Nouvelle-Barcelone, Venezuela et la Guyane espagnole. Aprèsavoir fixé la longitude de Cumana, de Caraccas et de plusieursautres points par l’observation des satellites de Jupiter; aprèsavoir herborisé sur les cîmes de Caripe et de la Silla de Avila couronnée de Befaria, ils partirent de la capitale de Caraccasen février 1800, pour les belles vallées d’Aragua où le grandlac de Valence rappelle le tableau de celui de Genève, maisembelli par la majesté de la végétation des tropiques. Depuis Portocabello ils se portèrent au sud, pénétrant de-puis les côtes de la mer des Antilles jusqu’aux limites du Brésil,vers l’équateur, ils traversèrent d’abord les vastes plaines deCalabozo, d’Apure et du Bas-Orinoco, les Llanos, désertssemblables à ceux d’Afrique, où par la réverbération de lachaleur obscure, mais à l’ombre, le thermomètre de Réaumur monte à 33 ou 37°, et où le sol brûlant à plus de 2000 lieuescarrées, n’offre que 5 pouces de différence de niveau. Le sablesemblable à l’horison de la mer, y montre par-tout les phé-nomènes de réfraction et de soulèvement les plus curieux.Sans graminées dans les mois de sécheresse, il cache des cro-codiles et des boa engourdis. Le manque d’eau, l’ardeur du soleil et la poussière soulevéepar les vents brûlans, fatiguent tour-à-tour le voyageur qui sedirige avec sa mule par le cours des astres ou par quelques troncsépars de mauritia et d’embothrium que l’on découvre de 3 à3 lieues. A St. Fernando d’Apure, dans la province de Varinas, MM. Humboldt et Bonpland commencèrent une navigation péniblede près de 500 lieues nautiques, exécutée dans des canots, etlevant la carte du pays à l’aide des montres de longitude, des |125| satellites et distances lunaires. Ils descendirent le Rio Apure,qui débouche sous les 7° de latitude dans l’Orénoque. Echappésaux dangers imminens d’un naufrage près de l’île de Pananuma,ils remontèrent ce dernier fleuve jusqu’à la bouche du RioGuaviare, passant les fameuses cataractes d’Atures et de May-pure, où la caverne d’Ataruipe renferme les momies d’unenation détruite par la guerre des Caribes et des Maravitains.Depuis la bouche du Rio Guaviare qui descend des andes de laNouvelle-Grenade, et que le père Gumilla avoit faussementpris pour les sources de l’Orénoque, ils abandonnèrent celui-ci, et remontèrent les petites rivières d’Atabapo, Tuamini etTemi. De la mission de Javita, ils pénétrèrent par terre aux sourcesdu Guainia, que les Européens nomment Rio Negro, et que la Condamine (qui ne le vit qu’à son embouchure dans la rivièredes Amazones) nomma une mer d’eau douce. Une trentained’Indiens portèrent les canots par des bois touffus de hevea,de lecythis et de laurus cinnamomoïdes au Cano Pimichin. C’estpar ce petit ruisseau que nos voyageurs parvinrent à la RivièreNoire qu’ils descendirent jusqu’à la petite forteresse de S. Carlosqu’on a faussement cru placée sous l’équateur, et jusqu’auxfrontières du Grand Para, capitainerie générale du Brésil. Uncanal du Temi au Pimichin, très-praticable par la nature duterrein uni, présenteroit une communication interne entre la pro-vince de Caraccas et la capitale du Para, communication infi-niment plus courte que celle de Casiquiare. C’est par ce canalencore (telle est l’étonnante disposition des rivières dans cenouveau continent), que depuis le Rio Guallaga, à trois jour-nées de Lima ou de la mer du sud, on pourroit descendre encanot par l’Amazone et le Rio Negro, jusqu’aux bouches del’Orénoque vis-à-vis l’île de la Trinité, navigation de près de2000 lieues. La mésintelligence qui régnoit alors entre les coursde Madrid et de Lisbonne empêchèrent M. Humboldt de pous-ser ses opérations au-delà de St.-Gabriel de las Cochuellas,dans la capitainerie générale du Grand Para. La Condamine et Maldonado ayant déterminé astronomique-ment la bouche du Rio Negro, cet obstacle étoit moins sensi-ble et il restoit à fixer une partie plus inconnue, qui est le brasde l’Orénoque appellé Casiquiare, qui fait la communicationentre l’Orénoque et l’Amazone, et sur l’existence duquel on atant disputé il y a 50 ans. Pour exécuter ce travail MM. Hum-boldt et Bonpland remontèrent depuis la forteresse espagnole de |126| S. Carlos, par la Rivière Noire et le Casiquiare à l’Orénoque,et sur ce dernier jusqu’à la mission de l’Esmeraldo auprès duvolcan Duida ou jusqu’aux sources du fleuve. Les Indiens guaïcas, race d’hommes très-blanche, très-petite,presque pigmée mais très-belliqueuse, habitent le pays à l’est duPasimoni, et les Guajaribes très-cuivrés et plus féroces, etantropophages encore, rendent inutiles toute tentative de par-venir aux sources de l’Orénoque même, que les cartes de Caulin,d’ailleurs pleines de mérite, placent dans une longitude infini-ment trop orientale. Depuis la mission de l’Esmeralda, cabanes situées dans lecoin le plus reculé et le plus solitaire de ce monde indien, nosvoyageurs descendirent 340 lieues à l’aide des hautes eaux, c’est-à-dire tout l’Orénoque jusque vers ses bouches, à St. Thomasde la Nueva Guayana ou à l’Angostura, repassant une secondefois les cataractes, au sud desquelles les deux historiographesde ces contrées, le père Gumilla et Caulin, n’étoient jamaisparvenus. C’est dans le cours de cette longue et pénible navigation quele manque de nourriture et d’abri, les pluies nocturnes, la viedans les bois, les mosquitos et une infinité d’autres insectes pi-quans et vénéneux, l’impossibilité de se rafraîchir par le bain,à cause de la férocité du crocodile et du petit poisson caribe,et les miasmes d’un climat brûlant et humide exposèrent nosvoyageurs à des souffrances continuelles. Ils retournèrent del’Orénoque à Barcelone et Cumana par les plaines du Cari etles missions des Indiens caribes, race d’hommes très-extraordi-naires, et après les Patagons, peut-être la plus haute et laplus robuste de l’univers. Après un séjour de quelques mois sur la côte, ils se rendirentà la Havane par le sud de Saint-Domingue et de la Jamaïque.Cette navigation exécutée dans une saison très-avancée, futaussi longue que dangereuse, le bâtiment manquant de se perdrela nuit sur des écueils situés au sud du banc de la Vibora, dontM. Humboldt a fixé la position par le moyen du chronomètre. Ilséjourna trois mois dans l’île de Cuba, où il s’occupa de lalongitude de la Havane, et de la construction d’une nouvelleespèce de four dans les sucreries, construction qui s’y est sou-tenue et très-généralement répandue. Il étoit sur le point departir pour la Véra-Cruz, comptant passer par le Mexique,et Acapulco aux îles Philippines, et de là (s’il étoit possible) parBombai, Bassora et Alep, à Constantinople, lorsque de fausses |127| nouvelles sur le voyage du capitaine Baudin l’alarmèrent et lefirent changer de plan. Les gasettes américaines annoncèrentque ce navigateur partiroit de France pour Buenos-Ayres, etqu’après avoir doublé le cap Horn il longeroit les côtes du Chiliet du Pérou. M. Humboldt, lors de son départ de Paris, en 1798, avoitpromis au Musée et au capitaine Baudin que quelque part qu’ilse trouvât sur le globe, il tâcheroit de rejoindre l’expédi-tion française dès qu’il sauroit qu’elle auroit lieu; il se flattoitque ses recherches et celles de Bonpland seroient plus utilesaux progrès des sciences s’ils unissoient leurs travaux à ceuxdes savans qui devoient accompagner le capitaine Baudin:toutes ces considérations engagèrent M. Humboldt d’envoyerses manuscrits des années 1799 et 1800 directement en Europe,et de fréter une petite goelette au port du Batabano, pourpasser à Carthagène des Indes, et de là le plus vîte possible parl’Isthme de Panama à la mer du Sud: il espéroit trouver le ca-pitaine Baudin à Guayaquil ou à Lima, et visiter avec lui laNouvelle-Hollande et ces îles de l’Océan Pacifique, aussi inté-ressantes par la richesse de leur végétation que sous les pointsde vue moraux. Il paroissoit imprudent d’exposer les manuscrits et collectionsdéja ramassées aux dangers de ces longues navigations. Lesmanuscrits sur le sort desquels M. Humboldt est resté dans unecruelle incertitude pendant trois ans, jusqu’à son arrivée à Phi-ladelphie, ont été sauvés, mais un tiers des collections a étéperdu en mer par un naufrage; heureusement que cette perte,en outre des insectes de l’Orénoque et du Rio Negro, n’a frappéque des doubles; mais il périt en ce naufrage un ami auquelM. Humboldt avoit confié ses plantes et ses insectes, Fray JuanGonzales, moine de S. François, jeune homme plein d’activitéet de courage, qui avoit pénétré dans ce monde inconnu de laGuayane espagnole, bien au-delà de tout autre européen. M. Humboldt partit de Batabano en mars 1801, longeant lesud de l’île de Cuba, et déterminant astronomiquement plusieurspoints dans ce groupe d’îlots nommés les Jardins du roi et lesabordages du port de la Trinité. Les courans prolongèrent unenavigation, qui ne devoit être que de 13—15 jours, au-delàd’un mois. Les courans portèrent la goelette trop à l’ouest au-delà des bouches de l’Atracto. On relâcha au Rio Sinu, où ja-mais botaniste n’avoit herborisé; mais l’attérage à Cartha-gène des Indes fut très-pénible à cause de la violence des bri- |128| ses de Ste. Marthe La goelette manqua de chavirer près de lapointe du Géant; il fallut se sauver vers la côte pour se mettreà l’ancre, et ce contre-temps procura à M. Humboldt l’avantagede faire l’observation de l’éclipse de lune du 2 mars 1801. Mal-heureusement on apprit sur cette côte que la saison étoit déjatrop avancée pour la navigation de la mer du Sud, depuis Pa-nama à Guayaquil; il fallut abandonner le projet de traverserl’Isthme: et le desir de voir de près le célèbre Mutis et d’obser-ver ses immenses richesses en histoire naturelle, détermina M. Humboldt à passer quelques semaines dans les forêts de Tur-baco, ornées de gustavia, de toluifera, d’anacardium caracoliet du cavanillesea des botanistes péruviens, et à remonter en35 jours la belle et majestueuse rivière de la Madeleine, dontil esquissa la carte malgré les tourmens des mosquitos, tandisque Bonpland en étudioit la végétation riche en héliconia,psychostria, melastoma, myrodia et dychotria emetica, dontla racine est l’ypicaccuana de Carthagène. Débarqués à Honda, nos voyageurs se rendirent à mulet(seul mode de se transporter dans toute l’Amérique méridionale)et par des chemins affreux, à travers des forêts de chênes, demelastoma et de cinchona à S. Fé de Bogota, capitale du royau-me de la Nouvelle-Grenade, située dans une belle plaine élevéede 1360 toises au-dessus de la mer, et cultivée à la faveur d’unetempérature perpétuelle de printemps, en froment d’Europe eten sésamum d’Asie. Les superbes collections de Mutis, la grandeet imposante cataracte du Tequendama, chute de 98 toises d’é-lévation, les mines Mariquita, de S. Ana et de Zipaguira, lepont naturel d’Icononzo (deux rochers détachés qu’un tremble-ment de terre a disposés de manière à en soutenir un troisièmesuspendu en l’air). Tous ces objets curieux occupèrent nosvoyageurs à S. Fé jusqu’en septembre 1801. Dès-lors quoique la saison pluvieuse rendît les chemins pres-qu’impraticables, ils entreprirent le voyage de Quito; ils re-descendirent par Fusagasuga, dans la vallée de la Madeleine,passèrent les andes de Quindiu, où la pyramide neigée deTolina s’élève au milieu des forêts de styrax, de passiflores enarbres, de bambusa et de palmes à cire. Il fallut se traînertreize jours dans des boues affreuses; et coucher (comme àl’Orénoque) à la belle étoile, dans des bois sans traces d’homme.Arrivés pieds nus et excédés des pluies continuelles dans lavallée de la rivière Cauca, ils s’arrêtèrent à Cathago et à Buga,et longèrent la province du Choco, patrie du platine qui s’y |129| trouve entre des morceaux roulés de basalte remplis d’olivineet d’augite, de roche verte (le grunstein de Werner) et du boisfossile. Ils montèrent par Caloto et les lavages d’or de Quilichao, àPopayan, visité par Bouguer lors de son retours en France, etplacé au pied des volcans neigés de Puracé et Sotara; situa-tion des plus pittoresques et dans le climat le plus délicieux del’univers, le thermomètre s’y soutenant constamment de 17 à19° de Réaumur. Après être parvenus, avec beaucoup de peine,au cratère du volcan de Puracé, bouche remplie d’eau bouillante,qui au milieu des neiges jette, avec un mugissement effrayant,des vapeurs d’hydrogène sulfuré, nos voyageurs passèrent de-puis Popayan par les cordillières escarpées d’Almaguer à Pasto,évitant l’atmosphère infectée et contagieuse de la vallée dePatia. Depuis Pasto, ville encore située au pied d’un volcan em-brasé, ils traversèrent par Guachucal le haut plateau de la pro-vince de los Pastos, séparée de l’Océan Pacifique par les andesdu volcan de Chile et Cumbal, et célèbre par sa grande ferti-lité en froment et en erytroxylon peruvianum, appelé coca.Enfin, après quatre mois de voyage à mulets, ils arrivèrent àl’hémisphère austral à la ville d’lbarra et à Quito. Ce long pas-sage par la cordillière des hautes andes, dans une saison quirendoit les chemins impraticables, et pendant laquelle on étoitexposé journellement à des pluies de 7 à 8 heures de durée;ce passage avec un grand nombre d’instrumens et de collectionsvolumineuses, auroit été d’une exécution presqu’impossible,sans les bontés généreuses de M. Mendiunetta, vice-roi de S.Fé, et du baron de Carondelet, président de Quito, qui, éga-lement zélés pour le progrès des sciences, ont fait réparer leschemins et les ponts les plus dangereux, dans une route de450 lieues de longueur. MM. Humboldt et Bonpland arrivèrent le 6 janvier 1802 àQuito, capitale célèbre dans les fastes de l’astronomie, par lestravaux de la Condamine, de Bouguer, de Godin, de D. Jorge-Juan et d’Ulloa; justement célèbre encore par la grande ama-bilité de ses habitans, et par leur heureuse disposition pour lesarts. Nos voyageurs continuèrent leurs recherches géologiqueset botaniques pendant 8 à 9 mois dans le royaume de Quito,pays que la hauteur colossale de ses cîmes neigées, l’activitéde ses volcans vomissant tour-à-tour du feu, des roches, de laboue et des eaux hydro-sulfureuses, la fréquence de ses trem- |130| blemens de terre (celui du 7 février 1797, engloutit en peu de secondes près de 40,000 habitans), sa végétation, les restes de l’architecture péruvienne, et plus que tout, les mœurs de sesanciens habitans, rendent peut-être la partie la plus intéressante de l’univers. Après deux vaines tentatives, ils réussirent à parvenir deuxfois jusqu’au cratère du volcan de Pichincha, où ils firent desexpériences sur l’analyse de l’air, sa charge électrique, ma-gnetique, hygroscopique, son élasticité et le degré de tem-pérature de l’eau bouillante. La Condamine avoit vu ce mêmecratère, qu’il compare très-bien au chaos des poètes; mais ily étoit sans instrumens, et ne put s’y soutenir que pendant quel-ques minutes. De son temps cette bouche immense creusée dans des porphyresbasaltiques, étoit refroidie et remplie de neiges; nos voyageursla trouvèrent embrâsée de nouveau, et cette nouvelle a été at-tristante pour la ville de Quito, qui n’en est éloignée que de4 à 5000 toises. Il manqua peu aussi qu’elle ne coûtât la vie àM. Humboldt qui dans sa première tentative y seroit presquetombé, se trouvant seul avec un Indien qui connoissoit le borddu cratère aussi peu que lui, et marchant sur une crevassemasquée par une couche mince de neige gelée. Nos voyageurs firent pendant leur séjour dans le royaume deQuito, des excursions particulières aux montagnes neigées d’An-tisana, de Cotopaxi, de Tunguragua et Chimborazo, qui est laplus haute cîme de notre globe, et que les académiciens françaisn’avoient mesurée que par approximation. Ils étudièrent sur-tout la partie géognostique de la cordillière des andes, surlaquelle rien encore n’a eté publié en Europe, la minéralogieétant pour ainsi dire plus neuve que le voyage de la Condamine dont le génie universel et l’incroyable activité embrassoient d’ail-leurs tout ce qui peut intéresser les sciences physiques. Lesmesures trigonométriques et barométriques de M. Humboldt ontprouvé que quelques-uns de ces volcans, sur-tout celui de Tun-guragua, ont baissé considérablement depuis 1753; résultats quis’accordent avec ce que les habitans de Pelileo et des plainesde Tapia ont observé de leurs yeux. M. Humboldt reconnut que toutes ces grandes masses étoientl’ouvrage de la cristallisation. «Tout ce que j’ai vu, m’écrivoit-il, dans ces régions où sont situées les plus hautes élévationsdu globe, m’a confirmé de plus en plus dans la grande idéeque vous avez présentée (dans votre belle Théorie de la terre, |131| l’ouvrage le plus complet que nous ayions sur cette matière)sur la formation des montagnes. Toutes les masses qui lesont formées se sont réunies suivant les affinités, par les loisde l’attraction, et ont formé ces élévations plus ou moins con-sidérables sur les divers endroits de la surface de la terre, parles lois de la cristallisation générale. Il ne peut rester aucundoute à cet égard au voyageur qui observe ces grandes massessans prévention. Vous verrez dans nos relations qu’il n’y a pasun seul des objets que vous traités, que nous n’ayions cherchéà avancer par nos traveaux. Dans toutes ces excursions commencées en janvier 1802, nosvoyageurs furent accompagnés par M. Charles Montufar, fils du marquis de Selvalègre de Quito, particulier zélé pour le progrèsdes sciences, et qui est occupé à faire reconstruire à ses propresfrais les pyramides de Sarouguier, termes de la célèbre base desacadémiciens français et espagnols. Ce jeune homme intéressant,ayant suivi M. Humboldt dans tout le reste de son expéditionau Pérou et au royaume du Mexique, a passé avec lui en Eu-rope. Les circonstances favorisèrent si bien les efforts de cestrois voyageurs, qu’ils parvinrent aux plus grandes hauteursauxquelles jamais hommes soient parvenus dans des montagnes.Au volcan d’Antisana ils portèrent des instrumens plus de 2200,au Chimborazo, le 23 juin 1802, plus de 3300 pieds plus hautque la Condamine et Bouguer avoient pu monter au Corazon.Ils parvinrent à 3036 toises de hauteur au-dessus du niveau del’Océan Pacifique, voyant sortir le sang de leurs yeux, deslèvres et des gencives, et glacés d’un froid que le thermomè-tre n’indiqua pas, mais qui est dû au peu de calorique dégagépendant les inspirations d’un air aussi raréfié. Une crevasse de80 toises de profondeur et très-large, les empêcha de parvenirà la cime du Chimborazo, pour laquelle il leur manquoit à-peu-près encore 224 toises. C’est pendant son séjour de Quito, que M. Humboldt reçutune lettre dont l’Institut national de France l’honora, et parlaquelle il apprit que le capitaine Baudin étoit parti pour lanouvelle-Hollande, en prenant la route de l’est et doublant leCap de Bonne-Espérance; il fallut alors renoncer à le rejoindre,et cependant cet espoir avoit occupé nos voyageurs pendant 13mois, et leur avoit fait perdre la facilité de passer de la Ha-vane au Mexique et aux Philippines; il les avoit conduits parmer et par terre plus de 1000 lieues au sud, exposés à tous lesextrêmes de la température, depuis les cîmes couvertes de neiges |132| perpétuelles, jusqu’au bas de ces ravins profonds où le thermo-mètre se soutient jour et nuit de 25 à 31 degrés de Réaumur.Accoutumés aux revers de toute espèce, ils se consolèrent fa-cilement de cet effet du sort: ils sentirent de nouveau quel’homme ne doit compter que sur ce qu’il produit par sa pro-pre énergie, et le voyage de Baudin, ou plutôt la fausse nou-velle de sa direction les avoit fait parcourir des pays immenses,vers lesquels, sans ce hasard, peut-être pendant longtemps au-cun naturaliste n’auroit dirigé ses recherches. Résolus dès-lorsde poursuivre sa propre expédition, M. Humboldt dirigea saroute depuis Quito vers la rivière des Amazones et vers Lima,dans l’attente d’y faire l’observation importante du passage deMercure sur le disque du soleil. Nos voyageurs visitèrent d’abord les ruines de Lactacunga,d’Hambato et de Riobamba, terrein bouleversé dans l’énormetremblement de terre de 1797. Ils passèrent par les neiges del’Assouay à Cuenca, et de là, avec des difficultés très-grandespour le transport des instrumens et herbiers encaissés, par leparamo de Saraguro à Loxa. C’est ici que dans les forêts deGonzanama et de Malacates ils étudièrent l’arbre précieux quile premier a fait connoître à l’homme la propriété fébrifuge duquinquina. L’étendue du terrein que leur expédition embrasseleur a fourni l’avantage qu’aucun botaniste n’a eu avant eux,de comparer par autopsie les différentes espèces de cinchonade S. Fé, de Popayan, de Cuenca, de Loxa et de Jaen, auxcuspa et cuspare de Cumana et du Rio Carony, dont le dernierfaussement nommé cortex angosturæ, paroît appartenir à unnouveau genre de la pentandria monogynia à feuilles alternes. De Loxa ils entrèrent au Pérou par Ayavaca et Gouncabamba,traversant la haute cîme des andes pour se porter vers la rivièredes Amazones. Ils eurent à passer en deux jours trente-cinq foisle Rio de Chamaya, passages toujours dangereux, tantôt enradeau, tantôt à gué. Ils virent les restes superbes de lachaussée de l’Ynga, comparable aux plus belles de France et del’Espagne, et qui alloit sur le dos porphyritique des andes, à1200 ou 1800 toises de hauteur depuis le Cusco à l’Assonay,munie de tambo (auberges) et de fontaines publiques. Enfinils s’embarquèrent sur un radeau d’Ochroma, au petit villageindien de Chamaya, et descendirent par la rivière du mêmenom à celle des Amazones, déterminant par la culmination deplusieurs étoiles et par le transport du temps la position astro-nomique de cette confluence. |133| La Condamine, lors de son retours de Quito au Para et enFrance, ne s’étoit embarqué sur la rivière des Amazones qu’au-dessous de la Quebrada de Chuchunga; aussi n’eut-il d’observa-tion de longitude qu’à la bouche du Rio Napo. M. Humboldt,cherchoit à remplir ces lacunes de la belle carte de l’astronomefrançais, naviguant sur l’Amazone jusqu’aux cataractes de Ren-tema, et formant à Tomependa, chef-lieu de la province deJaen de Bracamorros, un plan détaillé de cette partie inconnuedu Haut-Maranou, tant sur ses propres observations que surles notions qu’il acquit par des voyageurs indiens. M. Bonpland fit en attendant une excursion intéressante dans les forêts au-tour de la ville de Jaen, où il découvrit de nouvelles espècesde cinchona; et après avoir beaucoup souffert par le climat ar-dent de ces contrés solitaires, après avoir admiré une végéta-tion riche en nouvelles espèces de jacquinia, en godoya, porle-ria, bouguainvillea, colletia et pisonia, nos trois voyageursrepassèrent pour la cinquième fois la cordillière des andes, parMontan pour retourner au Pérou. Ils fixèrent le point où la boussole de Borda montra le pointzéro de l’inclinaison magnétique, quoiqu’à 7 degrés de latitudeaustrale; ils étudièrent les mines de Hualguayoc, où l’argentnatif en grandes masses s’est trouvé à 2000 toises de hauteur surle niveau de la mer, mines dont quelques filons métallifèrescontiennent des coquilles pétrifiées, et qui avec celles de Pascoet de Huantajayo, sont actuellement les plus riches du Pérou.Depuis Caxamarca, célèbre par ses eaux thermales et par lesruines du palais d’Atahualpa, ils descendirent à Truxillo, dontle voisinage contient les vestiges de l’immense ville péruvienneMansiche, ornée de pyramides, dans l’une desquelles on a dé-couvert au dix-huitième siècle, pour plus de quatre millionsde livres tournois en or battu. C’est à cette descente occidentale des andes que nos voya-geurs jouirent pour la première fois de l’aspect imposant del’Océan Pacifique, et de cette vallée longue et étroite dontl’habitant ignore la pluie et le tonnerre, et où sous un climatheureux, le pouvoir le plus absolu et le plus dangereux à l’hom-me, la théocratie même, sembloit imiter la bienfaisance de lanature. Depuis Truxillo ils suivirent les côtes arides de la mer du Sud,jadis arrosées et fertilisées par les canaux de l’Ynga, dont il n’estresté que d’affligeantes ruines. Arrivés par Santa et Guarmey àLima, ils demeurèrent quelques mois dans cette intéressante |134| capitale du Pérou, dont les habitans se distinguent par la viva-cité de leur génie et la libéralité de leurs sentimens. M. Hum-boldt eut le bonheur d’observer assez complettement au portdu Callao de Lima, la fin du passage de Mercure, hasard d’au-tant plus heureux que la brume épaisse qui règne en cette saison,ne permet souvent pas en 20 jours de voir le disque du soleil.Il fut étonné de trouver au Pérou, dans un si immense éloigne-ment de l’Europe, les productions littéraires les plus neuves enchimie, en mathématiques et en physiologie, et il admiroitune grande activité intellectuelle dans les habitans que les Eu-ropéens se plaisent d’accuser de mollesse. En janvier 1803, nos voyageurs s’embarquèrent sur la cor-vette du roi la Castora, pour Guayaquil, navigation qui s’exé-cute à la faveur des courans et des vents en trois ou quatrejours, quand le retour de Guayaquil en exige autant de mois.C’est en ce premier port, situé sur les bords d’une immense ri-vière, dont la végétation en palmes, en plumeria, en tabaer-nemontana et en scitaminées, est d’une majesté au-dessus detoute description, qu’ils entendirent gronder à chaque instantle volcan de Cotopaxi qui fit une explosion allarmante le 6 dejanvier 1803. Ils partirent à l’instant pour être de plus près témoins de sesravages, et pour le visiter une seconde fois; mais la nouvelleinattendue du prochain départ de la frégate Atlante, et lacrainte de ne pas trouver d’autre occasion en plusieurs mois,les força de retourner sur leurs pas, après avoir été inutilementmangés pendant sept jours des mosquitos, de Babaoyo et d’U-gibar. Ils eurent une heureuse navigation de 30 jours sur l’OcéanPacifique à Acapulco, port occidental du royaume de la Nou-velle-Espagne, célèbre par la beauté d’un bassin qui paroît taillédans des rochers granitiques, par la violence des tremblemensde terre; célèbre par la misère de ses habitans qui y voientembarquer des millions de piastres pour les Philippines et laChine; et tristement célèbre encore par un climat aussi ardentque mortifère. M. Humboldt avoit d’abord le projet de ne faire qu’un séjourde quelques mois au Mexique, et de hâter son retour en Eu-rope; son voyage n’étoit déja que trop long; les instrumens,sur tout les chronomètres, commençoient à se déranger peu-à-peu. Tous les efforts qu’il avoit faits de les faire remplacer parde nouveaux envois, étoient restés inutiles. Avec cela, le progrès |135| des sciences en Europe est si rapide, que dans un voyage quidure aù-delà de 4 ans, on risque de contempler les phénomè-nes sous des points de vue qui ne sont plus intéressans dans lemoment où les travaux sont offerts au public. M. Humboldt se flattoit d’être en France en août ou septembre1803: mais l’attrait d’un pays aussi beau et varié que le royaumede la Nouvelle-Espagne, la grande hospitalité de ses habitans,et la crainte du vomissement noir de Véra-Cruz, qui mois-sonne presque tous ceux qui depuis le mois de juin jusqu’en oc-tobre descendent des montagnes: la réunion de ces motifs l’en-gageoit de prolonger son départ jusqu’au fond de l’hiver. Aprèss’être occupé des plantes, de l’air, des variations horaires dubaromètre, des phénomènes magnétiques, et sur-tout de la lon-gitude d’Acapulco, port dans lequel deux savans astronomes,MM. Espinosa et Galeano, avoient déja observé, nos voyageursentreprirent la route du Mexique; ils s’élevèrent peu-à-peupar les vallées ardentes de Mescala et du Papagayo, où le ther-momètre se soutenoit, à l’ombre, à 32° de Réaumur, et où l’onpasse la rivière sur des fruits du crescentia pinnata, liés ensem-ble par des cordes d’agave, aux hauts plateaux de Chilpantzingo de Tehuilotepec et Tasco. C’est à ces hauteurs de 6 à 700 toises d’élévation au-dessusdu niveau de la mer, qu’à la faveur d’un climat frais et douxcommencent les chênes, les cyprès, les sapins, les fougères enarbres, et la culture des bleds d’Europe. Après avoir passé quelque temps dans les mines de Tasco,les plus anciennes et jadis les plus riches du royaume; aprèsavoir étudié la nature de ces filons argentés qui passent de laroche calcaire dure au schiste micacé et enchassent du gypsefeuilleté, ils montèrent par Cuernaraca et les frimats de Gu-chilaque à la capitale du Mexique. Cette ville de 150000 habi-tans, située sur le sol de l’ancien Tenochtitlan, entre les lacsde Tezcuco et Xochimilo (lacs qui se sont diminués depuis queles Espagnols, pour diminuer le danger des inondations, ontouvert les montagnes de Sincoq); cette ville percée par des ruesaussi larges que bien alignées, placée à la vue de deux colossesneigés, dont l’un (le Popocatepec) et un volcan encore embrâsé,jouissant à 1160 toises de hauteur, d’un climat tempéré etagréable, entourée de canaux, d’allées plantées et d’une infinitéde petites bourgades indiennes, cette capitale du Mexique estsans doute comparable aux plus belles villes d’Europe. Elle sedistingue encore par de grands établissemens scientifiques qui |136| peuvent rivaliser avec plusieurs de l’ancien continent, et quidans le nouveau ne trouvent pas de semblables. Le jardin botanique dirigé par un excellent botaniste, M. Cervantes, l’expédition de M. Sesse, simplement destinée àl’étude des végétaux mexicains, et munie de dessinateurs dupremier rang; l’école des mines, due à la libéralité du corpsdes mineurs et au génie créateur de M. d’Elhuyar; l’académiede peinture, de gravure et de sculpture; tous ces établisse-mens répandent le goût et des lumières dans un pays où les ri-chesses paroissent s’opposer à la culture intellectuelle. C’est avec des instrumens tirés de la belle collection de l’écoledes mines, que M. Humboldt fit un travail étendu sur la lon-gitude du Mexique, fausse à près de deux degrés, comme desobservations correspondantes de satellites, faites à la Havane,viennent de le confirmer. Après un séjour de quelques mois dans la capitale, nosvoyageurs visitèrent les célèbres mines de Moran et de Réal-del-Monte, où le filon de la Biscayna a donné des millionsde piastres aux comtes de Regla; ils explorèrent les obsidiennesde l’Oyamel, qui forment des couches dans la pierre perléeet le porphyre, et servirent de couteau aux anciens Mexicains.Tout ce pays rempli de basaltes, d’amygdaloïdes et de forma-tions calcaires et secondaires, depuis la grande caverne de Dantotraversée par une rivière jusqu’aux orgues porphyritiques d’Ac-topan, offre les phénomènes les plus intéressans pour la géo-logie; phénomènes qui ont déja été analysés par M. del Rio,disciple de Werner, et un des minéralogistes les plus savansde notre temps. De retour de l’excursion de Moran, en juillet 1803, ils enentreprirent une autre dans la partie septentrionale du royaume.Ils dirigèrent leurs recherches d’abord vers Huehuetoca, oùavec des frais de 6 millions de piastres on a formé une ouver-ture dans la montagne de Sincoq, pour faire découler les eauxde la vallée du Mexique à la rivière de Montezuma. Ils pas-sèrent ensuite par Queretaro, où l’abbé Chappe avoit été en17.. par Salamanca et les plaines fertiles d’Yrapuato à Gua-naxuato, ville de 50,000 habitans, située dans un ravin étroitet célèbre par des mines infiniment plus considérables que cellesdu Potosi n’ont jamais été. La mine du comte de la Valenciana, qui a donné naissanceà une ville considérable sur une colline où 30 ans auparavant |137| paissoient les chèvres, a déja 1840 pieds de profondeur per-pendiculaire. C’est la plus profonde et la plus riche du globeconnu; le profit annuel des propriétaires n’ayant jamais dèsl’année de la découverte, baissé de trois millions de livrestournois, ayant monté quelquefois à 5 et 6 millions. Après deux mois de mesures et de recherches géologiques àGuanacuato, et après avoir examiné les eaux thermales de Co-magillas, dont la température est de 11° de Réaumur plus hauteque celles des îles Philippines, que Sonnerat regarde comme lesplus chaudes de la terre, nos voyageurs se dirigèrent par lavallée de S. Yago, où l’on a cru voir en plusieurs lacs à la cîme des montagnes basaltiques autant de cratères de volcanséteints, à Valladolid, capitale de l’ancien royaume de Michoacan.De là ils descendirent malgré les pluies continuelles de l’au-tomne, par Patzquaro, situé au bord d’un lac très étendu, versles côtes de l’Océan Pacifique, aux plaines de Jorullo, où en1759, en une seule nuit, dans une catastrophe des plus gran-des qu’a jamais essuyées le globe, il sortit de terre un volcande 1494 pieds d’élévation, entouré de plus de 2000 petites bouchesencore fumantes. Ils descendirent dans le cratère embrasé dugrand volcan, à 258 pieds de profondeur perpendiculaire, sau-tant sur des crevasses qui exhaloient l’hydrogène sulfuré enflam-mé; ils parvinrent avec beaucoup de dangers, à cause de làfragilité des laves basaltiques et siénitiques, presque jusqu’au fond du cratère, dont ils analysèrent l’air extraordinairementsurchargé d’acide carbonique. Depuis le royaume de Michoacan, pays des plus rians et desplus fertiles des Indes, ils retournèrent au Mexique par le haut plateau de Tolucca, dans lequel ils mesurèrent la montagne nei-gée du même nom, montant à sa plus haute cîme le pic duFraide, qui a 2364 toises d’élévation sur le niveau de la mer:ils visitèrent aussi à Toluccan le fameux arbre à mains, lecheiranthostæmon de M. Cervantes; genre qui présente un phé-nomène presqu’unique, celui qu’il n’en existe qu’un seul individuet de la plus haute antiquité. De retour à la capitale du Mexique, ils y séjournèrent pen-dant plusieurs mois pour y régler leurs herbiers, riches sur-touten graminées, et leurs collections géologiques, pour y faire lecalcul des mesures barométriques et trigonométriques exécutéesdans le cours de cette année, et sur-tout pour dessiner au netles planches de l’atlas géologique que M. Humboldt s’est pro-posé de publier. |138| Ce même séjour leur fournit aussi l’occasion d’assister auplacement de la statue équestre et colossale du roi, qu’un seulartiste, M. Tolsa, vainquant des difficultés dont on ne peutpas se faire une juste idée en Europe, a modelée, fondue et sou-levée sur un piédestal très-élevé; statue travaillée dans le stylele plus pur et le plus simple, et qui feroit l’ornement des plusbelles capitales de l’ancien continent. En janvier 1804, nos voyageurs quittèrent le Mexique pourexplorer la pente orientale de la cordillière de la Nouvelle-Espagne; ils mesurèrent géométriquement les deux volcans dela Puebla, le Popocatepec et l’Itzaccihuatl; c’est dans le cra-tère inaccessible du premier, qu’une tradition fabuleuse laisseentrer Diego Ordaz suspendu par des cordes pour en tirer dusoufre que l’on pouvoit ramasser par-tout dans les plaines. M. Humboldt découvrit que ce même volcan, le Popocatepec,sur lequel M. Sonnenschmidt, minéralogiste zélé, a osé monterjusqu’à 2557 toises, est plus haut que le pic d’Orizaba, qui a étécru jusqu’à présent le colosse le plus élevé du pays d’Anahuac;il mesura aussi la grande pyramide de Cholula, ouvrage mys-térieux fait en brique non cuite par les Tultèques, et de lacîme de laquelle on jouit d’une vue magnifique sur les cîmesneigées et les plaines riantes de Tlaxcala. Après ces recherches, ils descendirent par Perote à Xalapa,ville située à 674 toises sur mer, à cette hauteur moyenne à la-quelle on jouit à-la-fois des fruits de tous les climats, et d’unetempérature également douce et bienfaisante pour la santé del’homme. C’est ici où par les bontés de M. Thomas Murphy,particulier respectable qui joint (ce qui se trouve si rarementuni) une grande fortune au goût des sciences, nos voyageurstrouvèrent toutes les facilités imaginables pour faire leurs opé-rations dans les montagnes voisines. Le chemin affreux qui mène de Xalapa à Perote par desforêts de chênes et de sapins presqu’impénétrables; chemin quel’on commence à convertir en une chaussée magnifique, fut ni-velé trois fois par le moyen du baromètre. M. Humboldt gagna,malgré la quantité de neige tombée la veille, la cîme du fameuxCofre, de 162 toises plus élevé que le pic de Ténériffe, et laposition duquel il fixa par des observations directes. Il mesuraaussi trigonométriquement le pic d’Orizava, que les Indiensnomment Sitlaltepetl, parce que les exhalaisons lumineuses deson cratère le font ressembler de loin à une étoile couchante, |139| et sur la longitude duquel M. Ferrer a publié des opérationstrès-exactes. Après un séjour intéressant dans ces contrées, où à l’ombredes liquidambar et des amyris, végètent l’epidendrum vanillaet le convolvulus jalappa, deux productions également précieusespour l’exportation, nos voyageurs descendirent vers la côte auport de la Vera-Cruz, situé entre des collines de sables mou-vans, dont la réverbération cause une chaleur étouffante. Ilséchappèrent heureusement au vomissement noir qui y règnoitdéja. Ils passèrent avec une frégate espagnole à la Havane, poury reprendre les collections et herbiers déposés en 1800. Aprèsun séjour de deux mois, ils firent voile pour les Etats-Unis:une tempête violente les mit en grand danger au débouquementdu canal de Bahama: l’ouragan dura sept jours de suite. Après 32 jours de navigation ils arrivèrent à Philadelphie;ils séjournèrent en cette ville et à Washington pendant deuxmois, et revinrent en Europe en août 1804, par la voie deBordeaux, munis d’un grand nombre de dessins, de 35 caissesde collections, de 6000 espèces de plantes.