NOTICE D’UN VOYAGE AUX TROPIQUES, EXÉCUTÉ PAR MM. HUMBOLDT ET BONPLAND En 1799, 1800, 1801, 1802, 1803 et 1804. Par J.-C. Delamétherie. L’intérêt que le monde savant prend avec tant de raison au voyage de MM. Humboldt et Bonpland, ainsi que l’amitié qui m’unit à eux, m’imposent la douce obligation de présenter aux lecteurs de ce Journal un précis de tous les renseignemens que j’ai pu obtenir, soit de leur correspondance publique et particulière, soit des mémoires qu’ils ont lus à l’Institut. Cet exposé sera court mais exact. Après avoir fait des recherches physiques depuis huit ans en Allemagne, en Pologne, en Angleterre, en France, en Suisse et en Italie, M. Humboldt vint à Paris en 1798, où le Musée national lui procura des facilités de faire le voyage autour du monde avec le capitaine Baudin. Sur le point de partir pour le Havre avec Alexandre-Aimé Goujou Bonpland (élève à l’école de Médecine et au Jardin des plantes de Paris), la guerre qui recommença avec l’Autriche, et le manque de fonds, engagèrent le directoire de remettre le voyage de Baudin pour une époque plus favorable. M. Humboldt qui depuis 1792 avoit conçu le projet de faire à ses propres frais une expédition aux tropiques, entreprise pour le progrès des sciences physiques, M. Humboldt prit dès-lors la résolution de suivre les savans de l’Egypte; la bataille d’Aboukir ayant interrompu toute communication directe avec Alexandrie, son plan étoit de profiter d’une frégate suédoise qui menoit le consul M. Sezioldebrandt à Alger, de suivre de là la caravane de la Mecque, et de se rendre par l’Egypte et le golfe de Perse aux grandes Indes; mais la guerre qui éclata d’une manière inattendue en octobre 1798 entre la France et les puissances barbaresques, et les troubles de l’Orient empêchèrent M. Humboldt de partir de Marseille où il attendoit vainement pendant deux mois; impatient de ce nouveau retard, mais toujours ferme dans le projet de rejoindre l’expédition d’Egypte, il partit pour l’Espagne espérant passer plus facilement sous pavillon espagnol de Carthagène du Levant à Alger ou à Tunis, il prit la route de Madrid, par Montpellier, Perpignan, Barcelone et Valence. Les nouvelles de l’Orient devenoient de jour en jour plus affligeantes; la guerre s’y faisoit avec un acharnement sans exemple; il fallut enfin renoncer au projet de pénétrer par l’Egypte à l’Indostan: un heureux concours de circonstances dédommagea bientôt M. Humboldt de l’ennui de tant de retard. En mars 1799, la cour de Madrid lui accorda la permission la plus ample de passer aux colonies espagnoles des deux Amériques, pour y faire toutes les recherches qui pourroient êtres utiles aux progrès des sciences; permission donnée avec une franchise qui fait le plus grand honneur aux idées libérales du gouvernement. Sa majesté catholique daigna marquer un intérêt personnel pour le succès de cette expédition, et M. Humboldt, après avoir résidé quelques mois à Madrid et à Aranjuez, partit de l’Europe en juin 1799, accompagné de son ami Bonpland qui réunit des connoissances distinguées en botanique et en zoologie, à ce zèle infatigable et à cet amour pour les sciences qui fait supporter avec indifférence toutes sortes de privations physiques et morales. C’est avec cet ami que M. Humboldt a exécuté pendant cinq ans, et à ses propres frais, un voyage dans les deux hémisphères; voyage de mer et de terre de près de 9000 lieues, et des plus grands que jamais particulier a entrepris. Ces deux voyageurs, munis de recommandations de la cour d’Espagne, partirent avec la frégate la Pizarro de la Corogne, pour les îles Canaries; ils touchèrent à l’île de la Graciosa près de celle de Lancerotte et à Ténériffe où ils montèrent jusqu’au cratère du pic de Teyde, pour y faire l’analyse de l’air atmosphérique et les observations géologiques sur les basaltes et schistes porphyritiques de l’Afrique. Ils arrivèrent au mois de juillet au port de Cumana dans le golfe de Cariaco, partie de l’Amérique méridionale, célèbre par les travaux et les malheurs de l’infatigable Loffling. Ils visitèrent dans le cours de 1799 et 1800 la côte de Paria, les missions des Indiens, Chaymas et la province de la Nouvelle-Andalousie, pays des plus chauds mais des plus sains de la terre, quoique déchiré par des tremblemens de terre affreux et fréquens; ils parcoururent la province de la Nouvelle-Barcelone, Venezuela et la Guyane espagnole. Après avoir fixé la longitude de Cumana, de Caraccas et de plusieurs autres points par l’observation des satellites de Jupiter; après avoir herborisé sur les cîmes de Caripe et de la Silla de Avila couronnée de Befaria, ils partirent de la capitale de Caraccas en février 1800, pour les belles vallées d’Aragua où le grand lac de Valence rappelle le tableau de celui de Genève, mais embelli par la majesté de la végétation des tropiques. Depuis Portocabello ils se portèrent au sud, pénétrant depuis les côtes de la mer des Antilles jusqu’aux limites du Brésil, vers l’équateur, ils traversèrent d’abord les vastes plaines de Calabozo, d’Apure et du Bas-Orinoco, les Llanos, déserts semblables à ceux d’Afrique, où par la réverbération de la chaleur obscure, mais à l’ombre, le thermomètre de Réaumur monte à 33 ou 37°, et où le sol brûlant à plus de 2000 lieues carrées, n’offre que 5 pouces de différence de niveau. Le sable semblable à l’horison de la mer, y montre par-tout les phénomènes de réfraction et de soulèvement les plus curieux. Sans graminées dans les mois de sécheresse, il cache des crocodiles et des boa engourdis. Le manque d’eau, l’ardeur du soleil et la poussière soulevée par les vents brûlans, fatiguent tour-à-tour le voyageur qui se dirige avec sa mule par le cours des astres ou par quelques troncs épars de mauritia et d’embothrium que l’on découvre de 3 à 3 lieues. A St. Fernando d’Apure, dans la province de Varinas, MM. Humboldt et Bonpland commencèrent une navigation pénible de près de 500 lieues nautiques, exécutée dans des canots, et levant la carte du pays à l’aide des montres de longitude, des satellites et distances lunaires. Ils descendirent le Rio Apure, qui débouche sous les 7° de latitude dans l’Orénoque. Echappés aux dangers imminens d’un naufrage près de l’île de Pananuma, ils remontèrent ce dernier fleuve jusqu’à la bouche du Rio Guaviare, passant les fameuses cataractes d’Atures et de Maypure, où la caverne d’Ataruipe renferme les momies d’une nation détruite par la guerre des Caribes et des Maravitains. Depuis la bouche du Rio Guaviare qui descend des andes de la Nouvelle-Grenade, et que le père Gumilla avoit faussement pris pour les sources de l’Orénoque, ils abandonnèrent celuici, et remontèrent les petites rivières d’Atabapo, Tuamini et Temi. De la mission de Javita, ils pénétrèrent par terre aux sources du Guainia, que les Européens nomment Rio Negro, et que la Condamine (qui ne le vit qu’à son embouchure dans la rivière des Amazones) nomma une mer d’eau douce. Une trentaine d’Indiens portèrent les canots par des bois touffus de hevea, de lecythis et de laurus cinnamomoïdes au Cano Pimichin. C’est par ce petit ruisseau que nos voyageurs parvinrent à la Rivière Noire qu’ils descendirent jusqu’à la petite forteresse de S. Carlos qu’on a faussement cru placée sous l’équateur, et jusqu’aux frontières du Grand Para, capitainerie générale du Brésil. Un canal du Temi au Pimichin, très-praticable par la nature du terrein uni, présenteroit une communication interne entre la province de Caraccas et la capitale du Para, communication infiniment plus courte que celle de Casiquiare. C’est par ce canal encore (telle est l’étonnante disposition des rivières dans ce nouveau continent), que depuis le Rio Guallaga, à trois journées de Lima ou de la mer du sud, on pourroit descendre en canot par l’Amazone et le Rio Negro, jusqu’aux bouches de l’Orénoque vis-à-vis l’île de la Trinité, navigation de près de 2000 lieues. La mésintelligence qui régnoit alors entre les cours de Madrid et de Lisbonne empêchèrent M. Humboldt de pousser ses opérations au-delà de St.-Gabriel de las Cochuellas, dans la capitainerie générale du Grand Para. La Condamine et Maldonado ayant déterminé astronomiquement la bouche du Rio Negro, cet obstacle étoit moins sensible et il restoit à fixer une partie plus inconnue, qui est le bras de l’Orénoque appellé Casiquiare, qui fait la communication entre l’Orénoque et l’Amazone, et sur l’existence duquel on a tant disputé il y a 50 ans. Pour exécuter ce travail MM. Humboldt et Bonpland remontèrent depuis la forteresse espagnole de S. Carlos, par la Rivière Noire et le Casiquiare à l’Orénoque, et sur ce dernier jusqu’à la mission de l’Esmeraldo auprès du volcan Duida ou jusqu’aux sources du fleuve. Les Indiens guaïcas, race d’hommes très-blanche, très-petite, presque pigmée mais très-belliqueuse, habitent le pays à l’est du Pasimoni, et les Guajaribes très-cuivrés et plus féroces, et antropophages encore, rendent inutiles toute tentative de parvenir aux sources de l’Orénoque même, que les cartes de Caulin, d’ailleurs pleines de mérite, placent dans une longitude infiniment trop orientale. Depuis la mission de l’Esmeralda, cabanes situées dans le coin le plus reculé et le plus solitaire de ce monde indien, nos voyageurs descendirent 340 lieues à l’aide des hautes eaux, c’està-dire tout l’Orénoque jusque vers ses bouches, à St. Thomas de la Nueva Guayana ou à l’Angostura, repassant une seconde fois les cataractes, au sud desquelles les deux historiographes de ces contrées, le père Gumilla et Caulin, n’étoient jamais parvenus. C’est dans le cours de cette longue et pénible navigation que le manque de nourriture et d’abri, les pluies nocturnes, la vie dans les bois, les mosquitos et une infinité d’autres insectes piquans et vénéneux, l’impossibilité de se rafraîchir par le bain, à cause de la férocité du crocodile et du petit poisson caribe, et les miasmes d’un climat brûlant et humide exposèrent nos voyageurs à des souffrances continuelles. Ils retournèrent de l’Orénoque à Barcelone et Cumana par les plaines du Cari et les missions des Indiens caribes, race d’hommes très-extraordinaires, et après les Patagons, peut-être la plus haute et la plus robuste de l’univers. Après un séjour de quelques mois sur la côte, ils se rendirent à la Havane par le sud de Saint-Domingue et de la Jamaïque. Cette navigation exécutée dans une saison très-avancée, fut aussi longue que dangereuse, le bâtiment manquant de se perdre la nuit sur des écueils situés au sud du banc de la Vibora, dont M. Humboldt a fixé la position par le moyen du chronomètre. Il séjourna trois mois dans l’île de Cuba, où il s’occupa de la longitude de la Havane, et de la construction d’une nouvelle espèce de four dans les sucreries, construction qui s’y est soutenue et très-généralement répandue. Il étoit sur le point de partir pour la Véra-Cruz, comptant passer par le Mexique, et Acapulco aux îles Philippines, et de là (s’il étoit possible) par Bombai, Bassora et Alep, à Constantinople, lorsque de fausses nouvelles sur le voyage du capitaine Baudin l’alarmèrent et le firent changer de plan. Les gasettes américaines annoncèrent que ce navigateur partiroit de France pour Buenos-Ayres, et qu’après avoir doublé le cap Horn il longeroit les côtes du Chili et du Pérou. M. Humboldt, lors de son départ de Paris, en 1798, avoit promis au Musée et au capitaine Baudin que quelque part qu’il se trouvât sur le globe, il tâcheroit de rejoindre l’expédition française dès qu’il sauroit qu’elle auroit lieu; il se flattoit que ses recherches et celles de Bonpland seroient plus utiles aux progrès des sciences s’ils unissoient leurs travaux à ceux des savans qui devoient accompagner le capitaine Baudin: toutes ces considérations engagèrent M. Humboldt d’envoyer ses manuscrits des années 1799 et 1800 directement en Europe, et de fréter une petite goelette au port du Batabano, pour passer à Carthagène des Indes, et de là le plus vîte possible par l’Isthme de Panama à la mer du Sud: il espéroit trouver le capitaine Baudin à Guayaquil ou à Lima, et visiter avec lui la Nouvelle-Hollande et ces îles de l’Océan Pacifique, aussi intéressantes par la richesse de leur végétation que sous les points de vue moraux. Il paroissoit imprudent d’exposer les manuscrits et collections déja ramassées aux dangers de ces longues navigations. Les manuscrits sur le sort desquels M. Humboldt est resté dans une cruelle incertitude pendant trois ans, jusqu’à son arrivée à Philadelphie, ont été sauvés, mais un tiers des collections a été perdu en mer par un naufrage; heureusement que cette perte, en outre des insectes de l’Orénoque et du Rio Negro, n’a frappé que des doubles; mais il périt en ce naufrage un ami auquel M. Humboldt avoit confié ses plantes et ses insectes, Fray Juan Gonzales, moine de S. François, jeune homme plein d’activité et de courage, qui avoit pénétré dans ce monde inconnu de la Guayane espagnole, bien au-delà de tout autre européen. M. Humboldt partit de Batabano en mars 1801, longeant le sud de l’île de Cuba, et déterminant astronomiquement plusieurs points dans ce groupe d’îlots nommés les Jardins du roi et les abordages du port de la Trinité. Les courans prolongèrent une navigation, qui ne devoit être que de 13—15 jours, au-delà d’un mois. Les courans portèrent la goelette trop à l’ouest audelà des bouches de l’Atracto. On relâcha au Rio Sinu, où jamais botaniste n’avoit herborisé; mais l’attérage à Carthagène des Indes fut très-pénible à cause de la violence des brises de Ste. Marthe La goelette manqua de chavirer près de la pointe du Géant; il fallut se sauver vers la côte pour se mettre à l’ancre, et ce contre-temps procura à M. Humboldt l’avantage de faire l’observation de l’éclipse de lune du 2 mars 1801. Malheureusement on apprit sur cette côte que la saison étoit déja trop avancée pour la navigation de la mer du Sud, depuis Panama à Guayaquil; il fallut abandonner le projet de traverser l’Isthme: et le desir de voir de près le célèbre Mutis et d’observer ses immenses richesses en histoire naturelle, détermina M. Humboldt à passer quelques semaines dans les forêts de Turbaco, ornées de gustavia, de toluifera, d’anacardium caracoli et du cavanillesea des botanistes péruviens, et à remonter en 35 jours la belle et majestueuse rivière de la Madeleine, dont il esquissa la carte malgré les tourmens des mosquitos, tandis que Bonpland en étudioit la végétation riche en héliconia, psychostria, melastoma, myrodia et dychotria emetica, dont la racine est l’ypicaccuana de Carthagène. Débarqués à Honda, nos voyageurs se rendirent à mulet (seul mode de se transporter dans toute l’Amérique méridionale) et par des chemins affreux, à travers des forêts de chênes, de melastoma et de cinchona à S. Fé de Bogota, capitale du royaume de la Nouvelle-Grenade, située dans une belle plaine élevée de 1360 toises au-dessus de la mer, et cultivée à la faveur d’une température perpétuelle de printemps, en froment d’Europe et en sésamum d’Asie. Les superbes collections de Mutis, la grande et imposante cataracte du Tequendama, chute de 98 toises d’élévation, les mines Mariquita, de S. Ana et de Zipaguira, le pont naturel d’Icononzo (deux rochers détachés qu’un tremblement de terre a disposés de manière à en soutenir un troisième suspendu en l’air). Tous ces objets curieux occupèrent nos voyageurs à S. Fé jusqu’en septembre 1801. Dès-lors quoique la saison pluvieuse rendît les chemins presqu’impraticables, ils entreprirent le voyage de Quito; ils redescendirent par Fusagasuga, dans la vallée de la Madeleine, passèrent les andes de Quindiu, où la pyramide neigée de Tolina s’élève au milieu des forêts de styrax, de passiflores en arbres, de bambusa et de palmes à cire. Il fallut se traîner treize jours dans des boues affreuses; et coucher (comme à l’Orénoque) à la belle étoile, dans des bois sans traces d’homme. Arrivés pieds nus et excédés des pluies continuelles dans la vallée de la rivière Cauca, ils s’arrêtèrent à Cathago et à Buga, et longèrent la province du Choco, patrie du platine qui s’y trouve entre des morceaux roulés de basalte remplis d’olivine et d’augite, de roche verte (le grunstein de Werner) et du bois fossile. Ils montèrent par Caloto et les lavages d’or de Quilichao, à Popayan, visité par Bouguer lors de son retours en France, et placé au pied des volcans neigés de Puracé et Sotara; situation des plus pittoresques et dans le climat le plus délicieux de l’univers, le thermomètre s’y soutenant constamment de 17 à 19° de Réaumur. Après être parvenus, avec beaucoup de peine, au cratère du volcan de Puracé, bouche remplie d’eau bouillante, qui au milieu des neiges jette, avec un mugissement effrayant, des vapeurs d’hydrogène sulfuré, nos voyageurs passèrent depuis Popayan par les cordillières escarpées d’Almaguer à Pasto, évitant l’atmosphère infectée et contagieuse de la vallée de Patia. Depuis Pasto, ville encore située au pied d’un volcan embrasé, ils traversèrent par Guachucal le haut plateau de la province de los Pastos, séparée de l’Océan Pacifique par les andes du volcan de Chile et Cumbal, et célèbre par sa grande fertilité en froment et en erytroxylon peruvianum, appelé coca. Enfin, après quatre mois de voyage à mulets, ils arrivèrent à l’hémisphère austral à la ville d’lbarra et à Quito. Ce long passage par la cordillière des hautes andes, dans une saison qui rendoit les chemins impraticables, et pendant laquelle on étoit exposé journellement à des pluies de 7 à 8 heures de durée; ce passage avec un grand nombre d’instrumens et de collections volumineuses, auroit été d’une exécution presqu’impossible, sans les bontés généreuses de M. Mendiunetta, vice-roi de S. Fé, et du baron de Carondelet, président de Quito, qui, également zélés pour le progrès des sciences, ont fait réparer les chemins et les ponts les plus dangereux, dans une route de 450 lieues de longueur. MM. Humboldt et Bonpland arrivèrent le 6 janvier 1802 à Quito, capitale célèbre dans les fastes de l’astronomie, par les travaux de la Condamine, de Bouguer, de Godin, de D. Jorge- Juan et d’Ulloa; justement célèbre encore par la grande amabilité de ses habitans, et par leur heureuse disposition pour les arts. Nos voyageurs continuèrent leurs recherches géologiques et botaniques pendant 8 à 9 mois dans le royaume de Quito, pays que la hauteur colossale de ses cîmes neigées, l’activité de ses volcans vomissant tour-à-tour du feu, des roches, de la boue et des eaux hydro-sulfureuses, la fréquence de ses tremblemens de terre (celui du 7 février 1797, engloutit en peu de secondes près de 40,000 habitans), sa végétation, les restes de l’architecture péruvienne , et plus que tout, les mœurs de ses anciens habitans, rendent peut-être la partie la plus intéressante de l’univers. Après deux vaines tentatives, ils réussirent à parvenir deux fois jusqu’au cratère du volcan de Pichincha, où ils firent des expériences sur l’analyse de l’air, sa charge électrique, magnetique, hygroscopique, son élasticité et le degré de température de l’eau bouillante. La Condamine avoit vu ce même cratère, qu’il compare très-bien au chaos des poètes; mais il y étoit sans instrumens, et ne put s’y soutenir que pendant quelques minutes. De son temps cette bouche immense creusée dans des porphyres basaltiques, étoit refroidie et remplie de neiges; nos voyageurs la trouvèrent embrâsée de nouveau, et cette nouvelle a été attristante pour la ville de Quito, qui n’en est éloignée que de 4 à 5000 toises. Il manqua peu aussi qu’elle ne coûtât la vie à M. Humboldt qui dans sa première tentative y seroit presque tombé, se trouvant seul avec un Indien qui connoissoit le bord du cratère aussi peu que lui, et marchant sur une crevasse masquée par une couche mince de neige gelée. Nos voyageurs firent pendant leur séjour dans le royaume de Quito, des excursions particulières aux montagnes neigées d’Antisana, de Cotopaxi, de Tunguragua et Chimborazo, qui est la plus haute cîme de notre globe, et que les académiciens français n’avoient mesurée que par approximation. Ils étudièrent surtout la partie géognostique de la cordillière des andes, sur laquelle rien encore n’a eté publié en Europe, la minéralogie étant pour ainsi dire plus neuve que le voyage de la Condamine dont le génie universel et l’incroyable activité embrassoient d’ailleurs tout ce qui peut intéresser les sciences physiques. Les mesures trigonométriques et barométriques de M. Humboldt ont prouvé que quelques-uns de ces volcans, sur-tout celui de Tunguragua, ont baissé considérablement depuis 1753; résultats qui s’accordent avec ce que les habitans de Pelileo et des plaines de Tapia ont observé de leurs yeux. M. Humboldt reconnut que toutes ces grandes masses étoient l’ouvrage de la cristallisation. «Tout ce que j’ai vu, m’écrivoitil, dans ces régions où sont situées les plus hautes élévations du globe, m’a confirmé de plus en plus dans la grande idée que vous avez présentée (dans votre belle Théorie de la terre, l’ouvrage le plus complet que nous ayions sur cette matière) sur la formation des montagnes. Toutes les masses qui les ont formées se sont réunies suivant les affinités, par les lois de l’attraction, et ont formé ces élévations plus ou moins considérables sur les divers endroits de la surface de la terre, par les lois de la cristallisation générale. Il ne peut rester aucun doute à cet égard au voyageur qui observe ces grandes masses sans prévention. Vous verrez dans nos relations qu’il n’y a pas un seul des objets que vous traités, que nous n’ayions cherché à avancer par nos traveaux. ” Dans toutes ces excursions commencées en janvier 1802, nos voyageurs furent accompagnés par M. Charles Montufar, fils du marquis de Selvalègre de Quito, particulier zélé pour le progrès des sciences, et qui est occupé à faire reconstruire à ses propres frais les pyramides de Sarouguier, termes de la célèbre base des académiciens français et espagnols. Ce jeune homme intéressant, ayant suivi M. Humboldt dans tout le reste de son expédition au Pérou et au royaume du Mexique, a passé avec lui en Europe. Les circonstances favorisèrent si bien les efforts de ces trois voyageurs, qu’ils parvinrent aux plus grandes hauteurs auxquelles jamais hommes soient parvenus dans des montagnes. Au volcan d’Antisana ils portèrent des instrumens plus de 2200, au Chimborazo, le 23 juin 1802, plus de 3300 pieds plus haut que la Condamine et Bouguer avoient pu monter au Corazon. Ils parvinrent à 3036 toises de hauteur au-dessus du niveau de l’Océan Pacifique, voyant sortir le sang de leurs yeux, des lèvres et des gencives, et glacés d’un froid que le thermomètre n’indiqua pas, mais qui est dû au peu de calorique dégagé pendant les inspirations d’un air aussi raréfié. Une crevasse de 80 toises de profondeur et très-large, les empêcha de parvenir à la cime du Chimborazo, pour laquelle il leur manquoit à-peuprès encore 224 toises. C’est pendant son séjour de Quito, que M. Humboldt reçut une lettre dont l’Institut national de France l’honora, et par laquelle il apprit que le capitaine Baudin étoit parti pour la nouvelle-Hollande, en prenant la route de l’est et doublant le Cap de Bonne-Espérance; il fallut alors renoncer à le rejoindre, et cependant cet espoir avoit occupé nos voyageurs pendant 13 mois, et leur avoit fait perdre la facilité de passer de la Havane au Mexique et aux Philippines; il les avoit conduits par mer et par terre plus de 1000 lieues au sud, exposés à tous les extrêmes de la température, depuis les cîmes couvertes de neiges perpétuelles, jusqu’au bas de ces ravins profonds où le thermomètre se soutient jour et nuit de 25 à 31 degrés de Réaumur. Accoutumés aux revers de toute espèce, ils se consolèrent facilement de cet effet du sort: ils sentirent de nouveau que l’homme ne doit compter que sur ce qu’il produit par sa propre énergie, et le voyage de Baudin, ou plutôt la fausse nouvelle de sa direction les avoit fait parcourir des pays immenses, vers lesquels, sans ce hasard, peut-être pendant longtemps aucun naturaliste n’auroit dirigé ses recherches. Résolus dès-lors de poursuivre sa propre expédition, M. Humboldt dirigea sa route depuis Quito vers la rivière des Amazones et vers Lima, dans l’attente d’y faire l’observation importante du passage de Mercure sur le disque du soleil. Nos voyageurs visitèrent d’abord les ruines de Lactacunga, d’Hambato et de Riobamba, terrein bouleversé dans l’énorme tremblement de terre de 1797. Ils passèrent par les neiges de l’Assouay à Cuenca, et de là, avec des difficultés très-grandes pour le transport des instrumens et herbiers encaissés, par le paramo de Saraguro à Loxa. C’est ici que dans les forêts de Gonzanama et de Malacates ils étudièrent l’arbre précieux qui le premier a fait connoître à l’homme la propriété fébrifuge du quinquina. L’étendue du terrein que leur expédition embrasse leur a fourni l’avantage qu’aucun botaniste n’a eu avant eux, de comparer par autopsie les différentes espèces de cinchona de S. Fé, de Popayan, de Cuenca, de Loxa et de Jaen, aux cuspa et cuspare de Cumana et du Rio Carony, dont le dernier faussement nommé cortex angosturæ, paroît appartenir à un nouveau genre de la pentandria monogynia à feuilles alternes. De Loxa ils entrèrent au Pérou par Ayavaca et Gouncabamba, traversant la haute cîme des andes pour se porter vers la rivière des Amazones. Ils eurent à passer en deux jours trente-cinq fois le Rio de Chamaya, passages toujours dangereux, tantôt en radeau, tantôt à gué. Ils virent les restes superbes de la chaussée de l’Ynga, comparable aux plus belles de France et de l’Espagne, et qui alloit sur le dos porphyritique des andes, à 1200 ou 1800 toises de hauteur depuis le Cusco à l’Assonay, munie de tambo (auberges) et de fontaines publiques. Enfin ils s’embarquèrent sur un radeau d’Ochroma, au petit village indien de Chamaya, et descendirent par la rivière du même nom à celle des Amazones, déterminant par la culmination de plusieurs étoiles et par le transport du temps la position astronomique de cette confluence. La Condamine, lors de son retours de Quito au Para et en France, ne s’étoit embarqué sur la rivière des Amazones qu’audessous de la Quebrada de Chuchunga; aussi n’eut-il d’observation de longitude qu’à la bouche du Rio Napo. M. Humboldt, cherchoit à remplir ces lacunes de la belle carte de l’astronome français, naviguant sur l’Amazone jusqu’aux cataractes de Rentema, et formant à Tomependa, chef-lieu de la province de Jaen de Bracamorros, un plan détaillé de cette partie inconnue du Haut-Maranou, tant sur ses propres observations que sur les notions qu’il acquit par des voyageurs indiens. M. Bonpland fit en attendant une excursion intéressante dans les forêts autour de la ville de Jaen, où il découvrit de nouvelles espèces de cinchona; et après avoir beaucoup souffert par le climat ardent de ces contrés solitaires, après avoir admiré une végétation riche en nouvelles espèces de jacquinia, en godoya, porleria, bouguainvillea, colletia et pisonia, nos trois voyageurs repassèrent pour la cinquième fois la cordillière des andes, par Montan pour retourner au Pérou. Ils fixèrent le point où la boussole de Borda montra le point zéro de l’inclinaison magnétique, quoiqu’à 7 degrés de latitude australe; ils étudièrent les mines de Hualguayoc, où l’argent natif en grandes masses s’est trouvé à 2000 toises de hauteur sur le niveau de la mer, mines dont quelques filons métallifères contiennent des coquilles pétrifiées, et qui avec celles de Pasco et de Huantajayo, sont actuellement les plus riches du Pérou. Depuis Caxamarca, célèbre par ses eaux thermales et par les ruines du palais d’Atahualpa, ils descendirent à Truxillo, dont le voisinage contient les vestiges de l’immense ville péruvienne Mansiche, ornée de pyramides, dans l’une desquelles on a découvert au dix-huitième siècle, pour plus de quatre millions de livres tournois en or battu. C’est à cette descente occidentale des andes que nos voyageurs jouirent pour la première fois de l’aspect imposant de l’Océan Pacifique, et de cette vallée longue et étroite dont l’habitant ignore la pluie et le tonnerre, et où sous un climat heureux, le pouvoir le plus absolu et le plus dangereux à l’homme, la théocratie même, sembloit imiter la bienfaisance de la nature. Depuis Truxillo ils suivirent les côtes arides de la mer du Sud, jadis arrosées et fertilisées par les canaux de l’Ynga, dont il n’est resté que d’affligeantes ruines. Arrivés par Santa et Guarmey à Lima, ils demeurèrent quelques mois dans cette intéressante capitale du Pérou, dont les habitans se distinguent par la vivacité de leur génie et la libéralité de leurs sentimens. M. Humboldt eut le bonheur d’observer assez complettement au port du Callao de Lima, la fin du passage de Mercure, hasard d’autant plus heureux que la brume épaisse qui règne en cette saison, ne permet souvent pas en 20 jours de voir le disque du soleil. Il fut étonné de trouver au Pérou, dans un si immense éloignement de l’Europe, les productions littéraires les plus neuves en chimie, en mathématiques et en physiologie, et il admiroit une grande activité intellectuelle dans les habitans que les Européens se plaisent d’accuser de mollesse. En janvier 1803, nos voyageurs s’embarquèrent sur la corvette du roi la Castora, pour Guayaquil, navigation qui s’exécute à la faveur des courans et des vents en trois ou quatre jours, quand le retour de Guayaquil en exige autant de mois. C’est en ce premier port, situé sur les bords d’une immense rivière, dont la végétation en palmes, en plumeria, en tabaernemontana et en scitaminées, est d’une majesté au-dessus de toute description, qu’ils entendirent gronder à chaque instant le volcan de Cotopaxi qui fit une explosion allarmante le 6 de janvier 1803. Ils partirent à l’instant pour être de plus près témoins de ses ravages, et pour le visiter une seconde fois; mais la nouvelle inattendue du prochain départ de la frégate Atlante, et la crainte de ne pas trouver d’autre occasion en plusieurs mois, les força de retourner sur leurs pas, après avoir été inutilement mangés pendant sept jours des mosquitos, de Babaoyo et d’Ugibar. Ils eurent une heureuse navigation de 30 jours sur l’Océan Pacifique à Acapulco, port occidental du royaume de la Nouvelle-Espagne, célèbre par la beauté d’un bassin qui paroît taillé dans des rochers granitiques, par la violence des tremblemens de terre; célèbre par la misère de ses habitans qui y voient embarquer des millions de piastres pour les Philippines et la Chine; et tristement célèbre encore par un climat aussi ardent que mortifère. M. Humboldt avoit d’abord le projet de ne faire qu’un séjour de quelques mois au Mexique, et de hâter son retour en Europe; son voyage n’étoit déja que trop long; les instrumens, sur tout les chronomètres, commençoient à se déranger peu-àpeu. Tous les efforts qu’il avoit faits de les faire remplacer par de nouveaux envois, étoient restés inutiles. Avec cela, le progrès des sciences en Europe est si rapide, que dans un voyage qui dure aù-delà de 4 ans, on risque de contempler les phénomènes sous des points de vue qui ne sont plus intéressans dans le moment où les travaux sont offerts au public. M. Humboldt se flattoit d’être en France en août ou septembre 1803: mais l’attrait d’un pays aussi beau et varié que le royaume de la Nouvelle-Espagne, la grande hospitalité de ses habitans, et la crainte du vomissement noir de Véra-Cruz, qui moissonne presque tous ceux qui depuis le mois de juin jusqu’en octobre descendent des montagnes: la réunion de ces motifs l’engageoit de prolonger son départ jusqu’au fond de l’hiver. Après s’être occupé des plantes, de l’air, des variations horaires du baromètre, des phénomènes magnétiques, et sur-tout de la longitude d’Acapulco, port dans lequel deux savans astronomes, MM. Espinosa et Galeano, avoient déja observé, nos voyageurs entreprirent la route du Mexique; ils s’élevèrent peu-à-peu par les vallées ardentes de Mescala et du Papagayo, où le thermomètre se soutenoit, à l’ombre, à 32° de Réaumur, et où l’on passe la rivière sur des fruits du crescentia pinnata, liés ensemble par des cordes d’agave, aux hauts plateaux de Chilpantzingo de Tehuilotepec et Tasco. C’est à ces hauteurs de 6 à 700 toises d’élévation au-dessus du niveau de la mer, qu’à la faveur d’un climat frais et doux commencent les chênes, les cyprès, les sapins, les fougères en arbres, et la culture des bleds d’Europe. Après avoir passé quelque temps dans les mines de Tasco, les plus anciennes et jadis les plus riches du royaume; après avoir étudié la nature de ces filons argentés qui passent de la roche calcaire dure au schiste micacé et enchassent du gypse feuilleté, ils montèrent par Cuernaraca et les frimats de Guchilaque à la capitale du Mexique. Cette ville de 150000 habitans, située sur le sol de l’ancien Tenochtitlan, entre les lacs de Tezcuco et Xochimilo (lacs qui se sont diminués depuis que les Espagnols, pour diminuer le danger des inondations, ont ouvert les montagnes de Sincoq); cette ville percée par des rues aussi larges que bien alignées, placée à la vue de deux colosses neigés, dont l’un (le Popocatepec) et un volcan encore embrâsé, jouissant à 1160 toises de hauteur, d’un climat tempéré et agréable, entourée de canaux, d’allées plantées et d’une infinité de petites bourgades indiennes, cette capitale du Mexique est sans doute comparable aux plus belles villes d’Europe. Elle se distingue encore par de grands établissemens scientifiques qui peuvent rivaliser avec plusieurs de l’ancien continent, et qui dans le nouveau ne trouvent pas de semblables. Le jardin botanique dirigé par un excellent botaniste, M. Cervantes, l’expédition de M. Sesse, simplement destinée à l’étude des végétaux mexicains, et munie de dessinateurs du premier rang; l’école des mines, due à la libéralité du corps des mineurs et au génie créateur de M. d’Elhuyar; l’académie de peinture, de gravure et de sculpture; tous ces établissemens répandent le goût et des lumières dans un pays où les richesses paroissent s’opposer à la culture intellectuelle. C’est avec des instrumens tirés de la belle collection de l’école des mines, que M. Humboldt fit un travail étendu sur la longitude du Mexique, fausse à près de deux degrés, comme des observations correspondantes de satellites, faites à la Havane, viennent de le confirmer. Après un séjour de quelques mois dans la capitale, nos voyageurs visitèrent les célèbres mines de Moran et de Réaldel-Monte, où le filon de la Biscayna a donné des millions de piastres aux comtes de Regla; ils explorèrent les obsidiennes de l’Oyamel, qui forment des couches dans la pierre perlée et le porphyre, et servirent de couteau aux anciens Mexicains. Tout ce pays rempli de basaltes, d’amygdaloïdes et de formations calcaires et secondaires, depuis la grande caverne de Danto traversée par une rivière jusqu’aux orgues porphyritiques d’Actopan, offre les phénomènes les plus intéressans pour la géologie; phénomènes qui ont déja été analysés par M. del Rio, disciple de Werner, et un des minéralogistes les plus savans de notre temps. De retour de l’excursion de Moran, en juillet 1803, ils en entreprirent une autre dans la partie septentrionale du royaume. Ils dirigèrent leurs recherches d’abord vers Huehuetoca, où avec des frais de 6 millions de piastres on a formé une ouverture dans la montagne de Sincoq, pour faire découler les eaux de la vallée du Mexique à la rivière de Montezuma. Ils passèrent ensuite par Queretaro, où l’abbé Chappe avoit été en 17.. par Salamanca et les plaines fertiles d’Yrapuato à Guanaxuato, ville de 50,000 habitans, située dans un ravin étroit et célèbre par des mines infiniment plus considérables que celles du Potosi n’ont jamais été. La mine du comte de la Valenciana, qui a donné naissance à une ville considérable sur une colline où 30 ans auparavant paissoient les chèvres, a déja 1840 pieds de profondeur perpendiculaire. C’est la plus profonde et la plus riche du globe connu; le profit annuel des propriétaires n’ayant jamais dès l’année de la découverte, baissé de trois millions de livres tournois, ayant monté quelquefois à 5 et 6 millions. Après deux mois de mesures et de recherches géologiques à Guanacuato, et après avoir examiné les eaux thermales de Comagillas, dont la température est de 11° de Réaumur plus haute que celles des îles Philippines, que Sonnerat regarde comme les plus chaudes de la terre, nos voyageurs se dirigèrent par la vallée de S. Yago, où l’on a cru voir en plusieurs lacs à la cîme des montagnes basaltiques autant de cratères de volcans éteints, à Valladolid, capitale de l’ancien royaume de Michoacan. De là ils descendirent malgré les pluies continuelles de l’automne, par Patzquaro, situé au bord d’un lac très étendu, vers les côtes de l’Océan Pacifique, aux plaines de Jorullo, où en 1759, en une seule nuit, dans une catastrophe des plus grandes qu’a jamais essuyées le globe, il sortit de terre un volcan de 1494 pieds d’élévation, entouré de plus de 2000 petites bouches encore fumantes. Ils descendirent dans le cratère embrasé du grand volcan, à 258 pieds de profondeur perpendiculaire, sautant sur des crevasses qui exhaloient l’hydrogène sulfuré enflammé; ils parvinrent avec beaucoup de dangers, à cause de là fragilité des laves basaltiques et siénitiques, presque jusqu’au fond du cratère, dont ils analysèrent l’air extraordinairement surchargé d’acide carbonique. Depuis le royaume de Michoacan, pays des plus rians et des plus fertiles des Indes, ils retournèrent au Mexique par le haut plateau de Tolucca, dans lequel ils mesurèrent la montagne neigée du même nom, montant à sa plus haute cîme le pic du Fraide, qui a 2364 toises d’élévation sur le niveau de la mer: ils visitèrent aussi à Toluccan le fameux arbre à mains, le cheiranthostæmon de M. Cervantes; genre qui présente un phénomène presqu’unique, celui qu’il n’en existe qu’un seul individu et de la plus haute antiquité. De retour à la capitale du Mexique, ils y séjournèrent pendant plusieurs mois pour y régler leurs herbiers, riches sur-tout en graminées, et leurs collections géologiques, pour y faire le calcul des mesures barométriques et trigonométriques exécutées dans le cours de cette année, et sur-tout pour dessiner au net les planches de l’atlas géologique que M. Humboldt s’est proposé de publier. Ce même séjour leur fournit aussi l’occasion d’assister au placement de la statue équestre et colossale du roi, qu’un seul artiste, M. Tolsa, vainquant des difficultés dont on ne peut pas se faire une juste idée en Europe, a modelée, fondue et soulevée sur un piédestal très-élevé; statue travaillée dans le style le plus pur et le plus simple, et qui feroit l’ornement des plus belles capitales de l’ancien continent. En janvier 1804, nos voyageurs quittèrent le Mexique pour explorer la pente orientale de la cordillière de la Nouvelle- Espagne; ils mesurèrent géométriquement les deux volcans de la Puebla, le Popocatepec et l’Itzaccihuatl; c’est dans le cratère inaccessible du premier, qu’une tradition fabuleuse laisse entrer Diego Ordaz suspendu par des cordes pour en tirer du soufre que l’on pouvoit ramasser par-tout dans les plaines. M. Humboldt découvrit que ce même volcan, le Popocatepec, sur lequel M. Sonnenschmidt, minéralogiste zélé, a osé monter jusqu’à 2557 toises, est plus haut que le pic d’Orizaba, qui a été cru jusqu’à présent le colosse le plus élevé du pays d’Anahuac; il mesura aussi la grande pyramide de Cholula, ouvrage mystérieux fait en brique non cuite par les Tultèques, et de la cîme de laquelle on jouit d’une vue magnifique sur les cîmes neigées et les plaines riantes de Tlaxcala. Après ces recherches, ils descendirent par Perote à Xalapa, ville située à 674 toises sur mer, à cette hauteur moyenne à laquelle on jouit à-la-fois des fruits de tous les climats, et d’une température également douce et bienfaisante pour la santé de l’homme. C’est ici où par les bontés de M. Thomas Murphy, particulier respectable qui joint (ce qui se trouve si rarement uni) une grande fortune au goût des sciences, nos voyageurs trouvèrent toutes les facilités imaginables pour faire leurs opérations dans les montagnes voisines. Le chemin affreux qui mène de Xalapa à Perote par des forêts de chênes et de sapins presqu’impénétrables; chemin que l’on commence à convertir en une chaussée magnifique, fut nivelé trois fois par le moyen du baromètre. M. Humboldt gagna, malgré la quantité de neige tombée la veille, la cîme du fameux Cofre, de 162 toises plus élevé que le pic de Ténériffe, et la position duquel il fixa par des observations directes. Il mesura aussi trigonométriquement le pic d’Orizava, que les Indiens nomment Sitlaltepetl, parce que les exhalaisons lumineuses de son cratère le font ressembler de loin à une étoile couchante, et sur la longitude duquel M. Ferrer a publié des opérations très-exactes. Après un séjour intéressant dans ces contrées, où à l’ombre des liquidambar et des amyris, végètent l’epidendrum vanilla et le convolvulus jalappa, deux productions également précieuses pour l’exportation, nos voyageurs descendirent vers la côte au port de la Vera-Cruz, situé entre des collines de sables mouvans, dont la réverbération cause une chaleur étouffante. Ils échappèrent heureusement au vomissement noir qui y règnoit déja. Ils passèrent avec une frégate espagnole à la Havane, pour y reprendre les collections et herbiers déposés en 1800. Après un séjour de deux mois, ils firent voile pour les Etats-Unis: une tempête violente les mit en grand danger au débouquement du canal de Bahama: l’ouragan dura sept jours de suite. Après 32 jours de navigation ils arrivèrent à Philadelphie; ils séjournèrent en cette ville et à Washington pendant deux mois, et revinrent en Europe en août 1804, par la voie de Bordeaux, munis d’un grand nombre de dessins, de 35 caisses de collections, de 6000 espèces de plantes.