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Alexander von Humboldt: „Notice sur deux tentatives d’Ascension du Chimborazo“, in: ders., Sämtliche Schriften digital, herausgegeben von Oliver Lubrich und Thomas Nehrlich, Universität Bern 2021. URL: <https://humboldt.unibe.ch/text/1837-Ueber_zwei_Versuche-13> [abgerufen am 26.04.2024].

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https://humboldt.unibe.ch/text/1837-Ueber_zwei_Versuche-13
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Titel Notice sur deux tentatives d’Ascension du Chimborazo
Jahr 1838
Ort Paris
Nachweis
in: Annales de chimie et de physique 69 (1838), S. 401–434.
Sprache Französisch
Typografischer Befund Antiqua; Auszeichnung: Kursivierung; Fußnoten mit Ziffern.
Identifikation
Textnummer Druckausgabe: V.66
Dateiname: 1837-Ueber_zwei_Versuche-13
Statistiken
Seitenanzahl: 34
Zeichenanzahl: 55245

Weitere Fassungen
Ueber zwei Versuche den Chimborazo zu besteigen (Stuttgart; Tübingen, 1837, Deutsch)
Über zwei Versuche den Chimborazo zu besteigen (Berlin, 1836, Deutsch)
On Two Attempts to ascend Chimborazo (Edinburgh, 1837, Englisch)
An account of two attempts to ascend Chimborazo (London, 1837, Englisch)
Mountain Tracks (Birmingham, 1837, Englisch)
[Über zwei Versuche den Chimborazo zu besteigen] (Leipzig, 1837, Deutsch)
An account of two attempts to ascend Chimborazo (New York City, New York, 1838, Englisch)
An account of two attempts to ascend Chimborazo (New York City, New York, 1838, Englisch)
Two attempts to ascend Chimborazo (London, 1838, Englisch)
Két fölmeneteli próba a’ Chimborazóra (Budapest, 1838, Ungarisch)
Ueber zwei Versuche, den Chimborazo zu besteigen (Stuttgart; Tübingen, 1838, Deutsch)
Notice de deux tentatives d’ascension du Chimborazo (Paris, 1838, Französisch)
Notice sur deux tentatives d’Ascension du Chimborazo (Paris, 1838, Französisch)
Noticia acerca de dos tentativas de subida al monte Chimborazo (Madrid, 1839, Spanisch)
Восхожденiе Александра Гумбольдта на Чимборасо [Voschoždenie Aleksandra Gumbolʹdta na Čimboraso] (Sankt Petersburg, 1840, Russisch)
Zwei Versuche, den Chimborazo zu besteigen (Brünn, 1841, Deutsch)
Ueber einen Versuch, den Gipfel des Chimborazo zu ersteigen (Wien, 1854, Deutsch)
Versuch den Gipfel des Chimborazo zu ersteingen (Hildburghausen; New York City, New York, 1855, Deutsch)
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Notice sur deux tentatives d’Ascension duChimborazo;Par Alexandre de Humboldt (1).

Personne n’a encore atteint aux cimes des plus hautesmontagnes des deux continens: le Dhavalaghiri (Mont-Blanc) et le Djavahir dans l’ancien, le Sorata et l’Illi-mani dans le nouveau sont restés inaccessibles. Le pointle plus élevé auquel, dans les deux continens, on soitparvenu, est la pente sud-est du Chimborazo, dans l’A-mérique. Des voyageurs sont arrivés presque à 18,500pieds, savoir une fois en 1802, à 3016 toises, et uneautre fois, en décembre 1831, à 3080 toises d’altitude.Des mesures barométriques ont été effectuées, dans les
(1) Le pied employé dans ce mémoire est le pied de Paris, et lethermomètre est le centigrade. (Le mémoire est traduit de l’allemandet a paru pour la première fois dans Schumacher, Jahrbuch für 1837.)
|402| Andes, à une hauteur de 3720 pieds au dessus de la cimedu Mont-Blanc. L’élévation de ce dernier est si peu con-sidérable en comparaison de la forme des Cordillières,que dans celles-ci des cols très fréquentés, et même lequartier haut de la grande ville de Potosi, ne sont quede 323 toises plus bas que la cime du Mont-Blanc. J’aipensé qu’il était nécessaire d’exposer d’abord ce petitnombre de données numériques, afin de pouvoir présen-ter à l’imagination des points déterminés qui la mettenten état de considérer la surface du globe sous le rapporthypsométrique et en quelque sorte plastique.
Atteindre à de grandes hauteurs est de peu d’intérêtpour la science quand elles sont situées beaucoup audessus de la limite des neiges et qu’elles ne peuvent êtrevisitées que pendant un temps très limité. Des mesuresfaites au moyen du baromètre assurent, à la vérité, l’a-vantage d’obtenir promptement des résultats; toutefoisles cimes sont généralement entourées de plateaux con-venables pour une opération trigonométrique, et où tousles élémens de la mesure peuvent être vérifiés à plusieursreprises, tandis qu’une mesure par le baromètre peutproduire des erreurs considérables dans les résultats, àcause des courans d’air ascendans et descendans le longdes flancs de la montagne, et à cause des variations dansla température qu’ils occasionnent. La nature de la rocheest dérobée aux observations géognostiques, par la neigeperpétuelle qui la couvre, puisque seulement des arêtesde rochers isolées, et montrant des couches décomposées,percent cette enveloppe. La vie organique est morte dansces hautes solitudes de la surface du globe. A peinevoit-on s’égarer dans les couches raréfiées de l’atmosphère|403| le condor ou des insectes ailés; encore ceux-ci sont-ilsinvolontairement élevés par des courans d’air. Si les sa-vans accordent à peine un intérêt sérieux aux efforts desphysiciens qui tâchent d’escalader les cimes les plushautes, au contraire, l’opinion générale prend une parttrès vive aux tentatives de ce genre. Ce qui paraît inac-cessible a un certain attrait mystérieux; on veut quetout soit examiné, que ce qui ne peut pas être atteint soitau moins essayé. Le Chimborazo est devenu l’objet con-tinuel des questions qui m’ont été adressées depuis monpremier retour en Europe. Établir les lois les plus im-portantes de la nature, faire le tableau le plus animé deszones de végétaux et des différences de climat disposéescomme par couche les unes au dessus des autres et dé-terminant les travaux de l’agriculture, ont rarementété des objets assez puissans pour détourner l’attentionde dessus la cime neigeuse que l’on regardait, avant levoyage de M. Pentland en Bolivie, comme le point cul-minant de l’immense chaîne des Andes.Je vais extraire de la partie encore inédite de mes jour-naux le simple récit d’une excursion dans les montagnes.Le détail complet des mesures trigonométriques que j’aifaites dans la plaine de Tapia, près du Nuevo-Riobamba,a été publié peu de temps après mon retour, dans le tomepremier de mes Observations astronomiques. J’ai essayéde présenter à la vue, dans une planche de mon Atlasgéographique et physique de l’Amérique méridionale,le tableau de la géographie des plantes sur la pente duChimborazo et des montagnes voisines, depuis le rivagede la mer jusqu’à 14,800 pieds d’altitude, d’après lesexcellentes déterminations que M. Kunth a faites des|404| végétaux alpins que M. Bonpland et moi nous avions re-cueillis sur le dos des Andes.Le récit de mon ascension au Chimborazo, qui nepeut offrir que peu d’intérêt dramatique, était réservépour le quatrième et dernier tome de mon Voyage auxrégions équinoxiales. Mais M. Boussingault, l’un desplus capables et des plus instruits parmi les voyageursde notre temps, et mon ami de plusieurs années, ayantdécrit récemment dans les Annales de chimie et de phy-sique (1), à ma prière, une entreprise entièrement sem-blable à la mienne, et nos observations se complétantmutuellement, j’ose espérer que ce simple fragment d’unjournal que je publie ici sera accueilli avec indulgence.Je m’abstiendrai de toute discussion de détails relative àla géognosie et à la physique.Le 22 juin 1799 j’avais été dans le cratère du pic deTénériffe; trois ans après, presque jour pour jour, le 23juin 1802, je parvins très près de la cime du Chimbo-razo, plus élevée de 6700 pieds. Après un long séjoursur le plateau de Quito, un des cantons les plus singu-liers et les plus pittoresques du monde, nous prîmesnotre course vers les forêts de quinquina de Loxa, puisvers le cours supérieur du fleuve des Amazones, à l’ouestdu détroit ou Pongo de Manseriche, enfin à travers lesdéserts sablonneux le long de la côte du Pérou baignéepar le Grand Océan, afin de gagner Lima, où nous de-vions observer le passage de Mercure sur le disque dusoleil. Le 9 novembre 1802, dans la grande plaine cou-
(1) Voyez aussi Poggendorf’s Annalen der Physik, tome xxxiipages 193–200.
|405| verte de pierres-ponces où l’on commençait à rebâtir,après le terrible tremblement de terre du 4 février 1797,la nouvelle ville de Riobamba, nous jouîmes pendantplusieurs jours de la vue magnifique de la cime du Chim-borazo, qui a la forme d’une cloche ou d’un dôme; letemps était superbe et très favorable pour les mesurestrigonométriques. Nous avions à l’aide d’une grande lu-nette examiné le manteau neigeux de cette montagne,encore éloigné de nous de 15,700 toises, et nous avionsdécouvert plusieurs arêtes de rochers qui, semblables àdes bandes noires et arides, perçaient les neiges éter-nelles, se dirigeaient vers la cime, et nous donnaientquelque espérance de pouvoir par leur moyen poser sû-rement le pied dans la région neigeuse.
Nuevo-Riobamba est situé en vue du Capac-Urcu,montagne énorme aujourd’hui dentelée, nommée El-Altar par les Espagnols, qui, suivant une tradition desIndiens, fut jadis plus haute que le Chimborazo, et qui,après avoir long-temps vomi du feu, s’écroula. Ce phé-nomène, qui répandit la terreur, arriva peu de tempsavant la conquête de Quito par l’Inca Tupac Yupanqui.Il ne faut pas confondre Nuevo-Riobamba avec l’ancienRiobamba des grandes cartes de la Condamine et de Mal-donado. Cette dernière ville fut totalement détruite parla catastrophe du 4 février 1797, qui en quelques mi-nutes fit périr quarante-cinq mille hommes. Nuevo-Rio-bamba est situé, d’après mes mesures chronométriques,à 42 secondes en temps plus à l’est que l’ancien Rio-bamba, mais presque sous la même latitude (1° 41′46″ S.).Dans la plaine de Tapia, où le 22 juin nous commen-|406| çâmes notre excursion au Chimborazo, nous étions déjàà 8898 pieds (1) (1480 toises) au dessus du niveau duGrand Océan. Cette plaine haute est une partie du fondde la vallée comprise entre deux chaînes des Andes, celledu Cotopaxi et du Tungurahua, volcans gigantesques àl’est, et celle de l’Illiniza et du Chimborazo à l’ouest.Nous montâmes par une pente douce jusqu’au pied decette dernière montagne, où nous passâmes la nuit àCalpi, village indien. Elle est parsemée faiblement detiges de cactus et de schinus molle qui ressemble à unsaule pleureur. Des troupeaux de lamas aux couleurs ba-riolées y cherchent par milliers une nourriture maigre etpeu abondante. A une hauteur si considérable, la fortechaleur rayonnante nocturne du sol, sous un ciel dégagéde nuages, est pernicieuse pour l’agriculture par le re-froidissement et la gelée.Avant d’arriver à Calpi, nous visitâmes Lican, main-tenant simple village aussi, mais qui était une ville im-portante et la résidence du Conchocando ou prince desPuruay, avant la conquête du pays par le onzième Inca,le même Tupac Yupanqui, dont il a déjà été question, etdont Garcilasso de la Vega vit encore, en 1559, le corpsbien conservé dans le caveau sépulcral de sa famille àCuzco. Les Indiens croient que le petit nombre de lamassauvages que l’on rencontre sur la pente orientale duChimborazo ne sont devenus tels que depuis la destruc-tion de Lican, et proviennent des anciens troupeaux dis-persés à cette époque.Tout près de Calpi, au nord-ouest de Lican, s’élève
(1) Par conséquent 2890 mètres. M. Boussingault a trouvé 2870
|407| sur une plaine aride l’Yana-Urcu (Mont-Noir), petitecolline isolée, dont les académiciens français n’ont pasnoté le nom, et qui sous le rapport géognostique est di-gne de beaucoup d’attention. Elle est au sud-sud-est,éloignée de moins de trois lieues géographiques (de 15au degré) du Chimborazo, et séparée de ce colosse seule-ment par la haute plaine de Luisa. Si l’on ne veut pas lareconnaître pour une éruption latérale du Chimborazo,l’origine de ce cône n’en doit pas moins être attribuéeaux forces souterraines qui pendant des milliers d’annéesont cherché vainement à se frayer une issue par dessousle géant. L’Yana-Urcu est d’origine plus moderne quele soulèvement de la grande montagne campaniforme. Ilconstitue, avec le Naguanguachi, colline plus septen-trionale, une ligne de faîte continue, de la figure d’unfer à cheval, dont l’arc, plus évasé qu’un demi-cercle, estouvert à l’est. C’est probablement au milieu de cet es-pace qu’est situé le point hors duquel furent rejetées lesscories noires qui aujourd’hui sont éparpillées au loin.Nous y avons trouvé un enfoncement infundibuliforme,profond d’environ 120 pieds; son intérieur renferme unepetite colline arrondie, dont la hauteur atteint à peinecelle des bords dont elle est entourée.
Le nom d’Yana-Urcu appartient proprement au pointculminant méridional de l’ancien bord du cratère, qui s’é-lève à peine à 400 pieds au dessus de la plaine de Calpi.L’extrémité septentrionale, plus basse, est appelée Na-guanguachi. Cette masse volcanique rappelle, par sa
mètres, et, d’après la chaleur du sol, que la température moyennedu plateau de Tapia est de 16°,4 C.
|408| forme de fer à cheval, mais non par la nature de sa ro-che, le Javirac (El Panecillo de Quito), colline un peuplus élevée et isolée au pied du volcan du Pichincha,dans la plaine de Turubamba, et qui, sur la carte de laCondamine, ou plutôt de Morainville, est représentée àtort comme un cône parfait. Suivant la tradition des In-diens et d’anciens manuscrits que possédait le Caciqueou Apu de Lican, descendant du premier prince ouconchocandi du pays, la dernière éruption volcanique del’Yana-Urcu arriva peu de temps après la mort del’Inca Tupac Yupanqui, par conséquent au milieu duquinzième siècle. La tradition rapporte qu’un globe defeu ou même une étoile tomba du ciel et enflamma lamontagne. De semblables mythes, qui joignent des chutesd’aérolithes à, des embrasemens, sont également ré-pandus parmi les tribus indigènes du Mexique. La rochede l’Yana-Urcu est une masse de scorie poreuse d’unbrun foncé, souvent toute noire, que l’on peut confon-dre aisément avec le basalte poreux. L’olivine y manqueentièrement. Les cristaux blancs, qui s’y trouvent enquantité minime, sont en général petits et vraisembla-blement du labrador. J’y vis çà et là des pyrites incrus-tées. Tout cela appartient au porphyre pyroxénique noir,de même que toute la formation du Chimborazo, dontnous parlerons bientôt, et à laquelle je ne puis donnerle nom de trachyte, puisqu’elle ne contient pas du toutde feldspath avec un peu d’albite comme les trachytes desSept-Montagnes près de Bonn. Les masses poreuses, lui-santes et scoriformes de l’Yana Urcu, altérées par unfeu très actif, sont extrêmement légères; mais le petitvolcan n’a pas rejeté de véritables pierres ponces. L’é-|409| ruption s’est faite à travers une masse de dolérite à cou-ches irrégulières, qui compose le plateau, et ressembleà la roche de Penipe, au pied du volcan de Tungarahua,où la syénite et un mica-schiste grenatifère ont été si-multanément percés.
Sur la pente orientale de l’Yana-Urcu, ou plutôt aupied de cette colline du côté de Lican, les Indiens nousconduisirent à un rocher saillant qui présente une ou-verture ressemblant à l’entrée d’une galerie éboulée. Ony entend, et même à une distance de dix pas, un bruitsouterrain très fort et accompagné d’un courant d’air oud’un vent qui sort de dessous terre, mais qui est trop fai-ble pour qu’on puisse lui attribuer seul un bruit siétrange. Il est plus probable que ce dernier est occasionnépar un ruisseau souterrain qui se précipite dans une ca-vité profonde, et par sa chute produit le courant d’air.Un moine, curé de Calpi, avait commencé depuis long-temps, d’après cette supposition, à creuser le long d’unefente ouverte une galerie, afin de procurer de l’eau à saparoisse; la dureté de la roche noire et pyroxénique avraisemblablement fait interrompre le travail. Le Chim-borazo, malgré sa masse énorme de neiges, envoie desruisseaux si maigres dans la plaine, que l’on peut sup-poser avec une espèce de certitude que la plus grandepartie de ses eaux tombe dans des gouffres de l’intérieur.Dans le village de Calpi on entendait autrefois un grandbruit sous une maison qui n’avait pas de cave; et avantle fameux tremblement de terre du 4 février 1797, unruisseau sortit d’un point plus bas au sud-ouest du vil-lage. Plusieurs Indiens pensèrent que c’était une portion|410| de l’eau qui coule sous l’Yana-Urcu. Par l’effet du trem-blement de terre le ruisseau disparut.Nous passâmes la nuit à Calpi, dont l’altitude, d’aprèsma mesure barométrique, est de 9720 pieds (1620 toi-ses); le lendemain matin, 23, nous commençâmes notreascension du Chimborazo; nous essayâmes de monterpar le côté du sud-sud-est; les Indiens qui devaient nousservir de guides, mais dont bien peu seulement étaientparvenus auparavant à la limite des neiges perpétuelles,donnaient également la préférence à cette route. Nousreconnûmes que le Chimborazo est entouré de grandesplaines, disposées par étages les unes au dessus des au-tres. Nous traversâmes d’abord les Llanos de Luisa; en-suite, après une montée peu escarpée, et longue à peinede 5000 pieds, nous entrâmes dans le Llano de Sisgun.Le premier étage a 10,200, le second 11,700 pieds dehaut. Ces plaines tapissées de gazon atteignent ainsi, lapremière, à la hauteur du pic Nethou, la plus haute cimedes Pyrénées; la seconde, à celle du volcan de Ténériffe.La parfaite horizontalité de ces plaines fait supposer quedes eaux non courantes ont pu y séjourner long-temps.On croit voir un fond de lac. C’est sur la pente des Alpessuisses qu’on observe ce même phénomène de petitesplaines disposées par étages les unes au dessus des autres,et qui, semblables à des lacs alpins taris, communiquententre elles par d’étroits passages ouverts.D’immenses pelouses (los pajonales) offrent sur leChimborazo, de même que sur les autres sommets desAndes, une surface si uniforme, que la famille des gra-minées, qui s’y compose principalement d’espèces depaspalum, andropogon, bromus, dejeuxia et stipa,|411| est rarement mêlée de plantes dicotylédones. C’est pres-que la nature des steppes que j’ai vue dans les cantonsarides de l’Asie septentrionale. La flore du Chimborazonous a paru en général moins riche que celle des autresmontagnes qui entourent la ville de Quito. Un petit nom-bre de calcéolaires, de composées (bidens, eupatorium,dumerilia paniculata, werneria nubigena), et de gen-tianes, entre lesquelles brille la belle gentiana cernua àfleurs d’un rouge pourpre, s’élèvent seules, dans la hauteplaine de Sisgun, parmi les graminées qui s’agroupentcomme des plantes sociales. Celles-ci appartiennent pourla plupart aux genres de l’Europe septentrionale. Latempérature aérienne qui domine ordinairement danscette région alpine, à une élévation de 1600 et 2000 toi-ses, varie le jour entre 4 et 16 degrés cent., et la nuitentre 0 et 10. La température moyenne de toute l’annéepour la hauteur de 1800 toises me paraît être, d’aprèsles observations que j’ai recueillies dans le voisinage del’équateur, à peu près de 9 degrés. Dans les plaines de lazone tempérée, cette température est celle de l’Allemagneseptentrionale, par exemple, de Lunebourg (53° 15′ delatitude); mais la répartition de la chaleur entre chaquemois, qui fournit le caractère le plus important pour dé-terminer la physionomie de la végétation d’un canton, estsi inégale dans la zone tempérée, que la chaleur moyennede février y est - 1° 8, et celle de juillet + 18.Mon plan était de faire une opération trigonométriquedans la belle pelouse de Sisgun, parfaitement unie. Jem’étais préparé à y mesurer une base. Les angles de hau-teur y auraient été assez considérables, puisque l’on estsi près de la cime du Chimborazo. Il ne restait plus qu’à|412| déterminer une élévation verticale de moins de 8400pieds, qui est celle du Canigou dans les Pyrénées. Lamasse de chaque montagne de la chaîne des Andes est siénorme, que toute détermination d’altitude au dessusdu niveau de la mer y est nécessairement composée d’unemesure barométrique et d’une trigonométrique. J’avaisinutilement apporté avec moi le sextant et les autres in-strumens. La cime du Chimborazo restait cachée par unbrouillard épais.De la plaine haute de Sisgun, on monte assez brus-quement jusqu’à la laguna de Yana-Coche, petit lac al-pin. Je n’étais descendu de mon mulet, tout le long dela route, que pour cueillir çà et là des plantes avecM. Bonpland, mon compagnon de voyage. L’Yana-Cochene mérite pas le nom de lac; c’est un bassin circulairedont le diamètre est à peine de 130 pieds. Le ciel deve-nait de plus en plus trouble; mais entre les couches debrouillard et au dessus d’elles, étaient épars des groupes denuages isolés. La cime du Chimborazo se montra pendantquelques minutes. Comme dans la nuit précédente il étaittombé beaucoup de neige, je laissai mon mulet à l’endroitoù nous rencontrâmes la limite inférieure de cette neigerécente, limite qu’il faut se garder de confondre avec celledes neiges perpétuelles. Le baromètre indiquait que nousvenions d’atteindre à une altitude de 13,500 pieds. Surd’autres montagnes j’ai vu également, près de l’équateur,neiger jusqu’à une altitude de 11,200 pieds, mais pasplus bas. Les Indiens qui m’accompagnaient ne quittè-rent leurs mulets qu’à la limite des neiges éternelles,c’est-à-dire à la hauteur du Mont-Blanc, cime qui, souscette latitude de 1° 27′ S., serait à peine constamment|413| couverte de neige. Nos chevaux et nos mulets restèrentlà pour nous attendre à notre retour.A 150 toises au dessus du petit bassin d’Yana-Coche,nous vîmes enfin la roche nue. Jusque-là le tapis de gazonavait dérobé le sol à toute recherche géognostique; degrands murs de rochers, dirigés du nord-est au sud-ouest, en partie fendus en colonnes informes, offraientune masse pyroxénique d’un noir tirant sur le brun, etbrillante comme du porphyre résinite. Ces colonnes,perçant l’enveloppe de neige perpétuelle, étaient trèsminces, hautes de 50 à 60 pieds, à peu près comme lescolonnes trachytiques du Tabla-Uma, sur le volcan duPichincha. Un groupe isolé représentait, vu dans le loin-tain, un mât et des troncs d’arbres. Ces parois escarpéesnous conduisirent, à travers la région des neiges, à unearête étroite montant vers la cime; c’était une crête derochers qui seule nous donnait la possibilité d’avancer;car la neige était si molle que nous n’osions presque pasmarcher sur sa surface. Cette arête présentait une rochetrès décomposée et friable, souvent celluleuse commeune amygdaloïde basaltique.Le sentier devenait de plus en plus resserré et raide.Les Indiens, à l’exception d’un seul, nous abandonnè-rent à une altitude de 15,600 pieds. Prières, menacespour les retenir furent vaines; ils prétendaient souffrirbeaucoup plus que nous. Nous ne restâmes donc plusque quatre, savoir: M. Bonpland, notre excellent etcourageux ami; le fils cadet du marquis de Salvalègre,Carlos Montufar, qui, plus tard, dans la lutte des Amé-ricains pour conquérir leur liberté, fut fusillé par ordredu général Morillo; un métis de San-Juan, village voi-|414| sin, et moi. A force de travail et de patience, nous par-vînmes plus haut que nous n’avions osé l’espérer, carnous étions presque entièrement enveloppés par le brouil-lard. Souvent l’arête de rocher nommée en espagnolcuchilla, dénomination très expressive, puisqu’elle si-gnifie dos de la lame d’un couteau, n’avait pas plus de8 à 10 pouces de large; à gauche, la pente était couvertede neige, dont la surface unie et luisante paraissait commeglacée par la gelée, et avait une inclinaison de 30 degrés;à droite, nos regards plongeaient avec effroi dans ungouffre profond de 800 ou 1000 pieds, et duquel s’éle-vaient perpendiculairement des masses de rochers que laneige ne couvrait pas. Nous tenions toujours le corpspenché de ce côté, car la déclivité à gauche nous parais-sait plus menaçante, parce qu’elle n’offrait aucune chancede s’y retenir par les mains à quelque saillie de rocher,et que, de plus, la légère écorce de glace ne mettait pas àl’abri de s’enfoncer dans la neige. Nous ne pouvions laisserglisser sur cette superficie glacée que des morceaux trèslégers de dolérite poreuse. La surface en pente s’étendaitsi loin, que nous perdions ces pierres de vue avant qu’ellesse fussent arrêtées. L’absence de neige sur l’arête quinous guidait, ainsi que sur les rochers à notre droite àl’est, doit être attribuée moins à l’escarpement des mas-ses de rochers et à des bouffées de vent qu’à des crevassesqui exhalent par leurs ouvertures l’air chaud des couchesprofondes de l’intérieur de la terre.Bientôt la marche nous fut plus difficile encore, parceque la roche devenait extrêmement friable. Il fallait ap-pliquer à la fois les mains et les pieds là où l’arête of-frait des espèces de degrés isolés et très escarpés: cela|415| arrive très ordinairement dans les voyages des Alpes.Comme la roche était à angles très aigus, nous fûmesblessés et nous souffrîmes beaucoup, surtout aux mains.M. Léopold de Buch et moi nous avons plus pâti encorede ces lésions près du cratère du pic de Ténériffe, si ri-che en obsidienne. De plus, s’il est permis à un voya-geur de citer ces sortes de particularités peu importantes,je dirai que depuis plusieurs semaines j’avais au pied uneplaie occasionnée par l’accumulation des niguas (1) (pu-lex penetrans), et beaucoup augmentée dans le Llanode Tapia, où je faisais une opération géodésique, par lapoussière fine des pierres-ponces.Le peu de cohésion des particules de la roche à la sur-face de l’arête commandait un redoublement de prudence,puisque plusieurs masses, que nous supposions solide-ment fixées au roc, en étaient détachées et simplementrecouvertes de sable. Nous marchions à la file, et avecd’autant plus de lenteur qu’il fallait essayer les endroitsqui paraissaient peu sûrs. Heureusement, la tentatived’arriver à la cime du Chimborazo était la dernière denotre voyage dans les montagnes de l’Amérique méri-dionale; c’est pourquoi l’expérience que nous avions ac-quise pouvait nous guider et nous donner plus de con-fiance dans nos forces. C’est un caractère particulier detoutes les excursions dans la chaîne des Andes, qu’audessus de la ligne des neiges perpétuelles, les hommes
(1) La chique des créoles français des Antilles, le sandfly des An-glais, sandfloh des Allemands; insecte qui se niche sous la peau del’homme et qui, lorsque la poche aux œufs de la femelle fécondée segonfle, produit une inflammation très douloureuse.
|416| blancs se trouvent constamment sans guides et sans con-naissance des localités dans la position la plus périlleuse.Partout on est ici le premier dans la région à laquelle ons’élève.
Par intervalles nous ne pouvions plus apercevoir lacime du Chimborazo; aussi étions-nous doublement cu-rieux de savoir combien il nous restait encore à monter.Nous ouvrîmes le baromètre à cuvette à un endroit où lalargeur de l’arête rocheuse permettait que deux personnespussent se tenir commodément debout l’une à côté del’autre. Nous étions à 17,300 pieds d’altitude, par con-séquent à peine à 200 pieds au dessus du point où troismois auparavant nous étions parvenus en escaladant unecrête semblable sur l’Antisana. Il en est de la détermi-nation des hauteurs, dans l’ascension des montagnes,comme de la détermination de la chaleur dans les ardeursde l’été: on reconnaît avec chagrin que le thermomètren’est pas aussi haut, ni le baromètre aussi bas qu’on s’yétait attendu. Comme l’air, malgré la grande élévation,était complétement saturé d’humidité, nous trouvâmesles pierres détachées, et le sable qui remplissait leurs in-tervalles, extrêmement mouillé; le thermomètre se sou-tenait encore à 2° 8 au dessus du point de congélation.Un peu auparavant nous avions pu enterrer l’instrumentà trois pouces de profondeur dans un lieu sec: il s’ytint à 5° 8 au dessus de zéro. Le résultat de cette obser-vation, faite à peu près à 2860 toises d’altitude, est trèsremarquable; car à 400 toises plus bas, sur la limite desneiges perpétuelles, la chaleur moyenne de l’atmosphèren’est, d’après plusieurs observations soigneusement re-cueillies par M. Boussingault et par moi, que de 1° 6 au|417| dessus de zéro. La température de la terre à + 5° 8 doitdonc être attribuée à la chaleur intérieure de la monta-gne de dolérite; je ne dis pas à sa masse totale, mais auxcourans d’air qui s’élèvent des couches inférieures de lacroûte du globe.Après que nous eûmes grimpé avec précaution pen-dant une heure, l’arête devint moins raide; mais mal-heureusement le brouillard resta aussi épais qu’aupara-vant. Nous commençâmes tous, par degrés, à nous trou-ver très mal à notre aise. L’envie de vomir était accompa-gnée de quelques vertiges, et bien plus pénible que ladifficulté de respirer. Le métis de San-Juan, unique-ment par bonté d’âme, et nullement par un motif inté-ressé, n’avait pas voulu nous quitter. C’était un paysanrobuste et pauvre, qui souffrait plus que nous. Nos gen-cives et nos lèvres saignaient. La tunique conjonctive desyeux était, chez nous tous sans exception, gorgée de sang.Ces symptômes d’extravasation de sang dans les yeuxet d’éruption sanguine aux gencives et aux lèvres n’a-vaient rien d’inquiétant pour nous, puisque nous les con-naissions par un grand nombre d’exemples. En Europe,M. Zumstein commença à rendre du sang à une hauteurbien moins considérable sur le Mont-Rosa. A l’époquede la conquête de la région équinoxiale de l’Amérique,les guerriers espagnols ne montèrent pas au dessus de lalimite inférieure des neiges perpétuelles, par conséquentpas au delà de la hauteur du Mont-Blanc, et cependantAcosta, dans son Historia natural de las Indias, es-pèce de géographie physique, que l’on peut appeler undes chefs-d’œuvre du seizième siècle, parle en détail«de malaises et de crampes d’estomac, comme de sym-|418| ptômes douloureux du mal de montagnes,» qu’on peutcomparer au mal de mer. Une fois, sur le volcan de Pi-chincha, je ressentis, sans aucun saignement, un si vio-lent mal d’estomac accompagné de vertige, que je fustrouvé étendu sans connaissance à terre au moment oùje venais de me séparer de mes compagnons sur un murde rocher au dessus de la crevasse de Verde-Cuchu, afinde faire des expériences électrométriques sur un pointcomplétement libre. L’altitude n’était que de 13,800pieds, par conséquent peu considérable. Mais sur l’An-tisana, à la grande hauteur de 17,022 pieds, don CarlosMontufar saigna beaucoup des gencives. Tous ces phé-nomènes sont très dissemblables, suivant l’âge, la con-stitution, la finesse de la peau, les efforts antérieurs deforce musculaire qu’on a exercée; cependant ils sontpour chaque individu une sorte de mesure de la raréfac-tion de l’air et de l’altitude à laquelle on est parvenu.D’après mes observations ils se manifestent, dans lesAndes, chez l’homme blanc, quand le baromètre se tiententre 14 pouces et 15 pouces 10 lignes. On sait quel’évaluation des hauteurs auxquelles les aéronautesprétendent s’être élevés mérite ordinairement peu decroyance; et si M. Gay-Lussac, observateur sûr et ex-trêmement exact, qui, le 16 septembre 1804, atteignit àla hauteur prodigieuse de 21,600 pieds, par conséquententre celle du Chimborazo et de l’Illimani, ne rendit pasde sang, il faut peut-être l’attribuer à l’absence de toutmouvement musculaire. Dans l’état actuel de l’eudiomé-trie, l’air paraît aussi riche en oxigène dans ces hautesrégions que dans les régions inférieures; mais, dans cetair raréfié, la pression du baromètre étant moindre de|419| moitié que celle à laquelle nous sommes ordinairementexposés dans les plaines, une moindre quantité d’oxi-gène est reçue par le sang à chaque aspiration, et onconçoit parfaitement comment il en résulte un sentimentgénéral de faiblesse. Ce n’est pas ici le lieu de recher-cher pourquoi cette asthénie excite sur les montagnes,comme dans le vertige, de préférence le malaise et l’en-vie de vomir, non plus que de démontrer que l’éruptiondu sang, ou le saignement des lèvres, des gencives etdes yeux, que n’éprouvent pas tous les individus à deshauteurs si grandes, ne peut nullement être expliquéed’une manière satisfaisante par l’enlèvement progressifd’un contre-poids mécanique qui comprime le systèmevasculaire. Il conviendrait plutôt d’examiner la vrai-semblance de l’influence d’une moindre pression de l’airsur la lassitude lorsque les jambes se meuvent dans lesrégions où l’atmosphère est très raréfiée; puisque, d’a-près la découverte mémorable de deux savans ingénieux,MM. Guillaume et Édouard Weber (1), la jambe atta-chée au corps n’est supportée, quand elle se meut, quepar la pression de l’air atmosphérique.Les couches de brouillard qui nous empêchaient devoir les objets lointains semblèrent se séparer brusque-ment malgré le calme complet de l’atmosphère, peut-être par un changement de tension électrique. Nous re-
(1) Mechanik der menschlichen Gehwerkzeuge (Mécanique desorganes de locomotion de l’homme), 1836, § 64. De nouvelles expé-riences faites par MM. Weber frères dans le vide, ont confirmé cetteproposition que la jambe est soutenue dans la cavité du bassin parl’air atmosphérique.
|420| connûmes de nouveau, et très près de nous, la cime duChimborazo en forme de dôme. C’était un coup d’œild’une majesté imposante. L’espoir d’atteindre cette cime,objet de nos vifs désirs, ranima nos forces. L’arête derocher, couverte çà et là de minces flocons de neige,s’élargissait un peu: nous nous hâtions d’un pas plus as-suré en avant, lorsque tout-à-coup un ravin profond de400 pieds, et large de 60, opposa à notre entreprise unobstacle insurmontable. Nous vîmes distinctement audelà de cet abîme l’arête que nous suivions se prolongerdans la même direction; toutefois je doute qu’elle con-duise jusqu’à la cime. Il n’y avait pas moyen de con-tourner le ravin. Sur l’Antisana, M. Bonpland avait pu,après une nuit très froide, traverser un espace considé-rable de neige qui l’avait porté; mais ici on ne pouvaitrisquer une semblable tentative à cause du peu de soli-dité de la masse, et la forme du gouffre empêchait qu’onn’y descendît. Il était une heure après midi. Nous pla-çâmes le baromètre avec de grandes précautions, il mar-quait 13 pouces 11 lignes et deux dixièmes. La tempéra-ture de l’air était de 1° 6 au dessous de zéro; mais aprèsun séjour de plusieurs années dans les contrées les pluschaudes de la zone torride, ce froid peu intense nousparut glacial. De plus, nos bottes étaient entièrement pé-nétrées par l’eau de neige; car le sable qui quelquefoiscouvrait l’arête était mêlé de vieille neige. D’après laformule barométrique de La Place, nous avions atteintune altitude de 3016 toises, ou plus exactement de18,097 pieds. Si la détermination de la hauteur du Chim-borazo, telle qu’elle est marquée sur une tablette enpierre conservée à Quito dans l’église des jésuites, est|421| exacte, il nous restait encore jusqu’au sommet 1224pieds en ligne perpendiculaire, ou seulement trois foisla hauteur de l’église de Saint-Pierre à Rome.
La Condamine et Bouguer disent expressément quesur le Chimborazo ils ne sont parvenus qu’à une hauteurde 2400 toises; mais sur le Corazon, une des montagnesneigeuses (nevados) les plus pittoresques des environsde Quito, ils se vantent d’avoir vu le baromètre descen-dre à 15 pouces 10 lignes. Ils disent: «Personne n’a vu«le baromètre si bas, et vraisemblablement personne«n’est monté à une si grande hauteur.»Au point du Chimborazo que nous avions atteint, lapression de l’air était presque de deux pouces moindre:elle était moindre aussi qu’à l’endroit le plus haut où,en 1818, par conséquent seize ans plus tard, le capitaineGérard s’est élevé sur le Tahirgang, dans les monts Hi-malaya. En Angleterre, j’ai été exposé, pendant prèsd’une heure, dans une cloche à plongeur, à une pres-sion atmosphérique de 45 pouces. La flexibilité de l’or-ganisation humaine supporte donc des différences, dansles hauteurs barométriques, qui vont jusqu’à 31 pouces.Doit on admettre que la constitution physique de l’hommeserait changée graduellement, si de grandes causes agis-sant dans le système du monde rendaient permanentsdes extrêmes semblables de raréfaction ou de condensa-tion de l’air?Nous restâmes peu de temps dans ce triste désert,complétement enveloppés de nouveau par un brouillardépais. L’air humide n’éprouvait aucun mouvement. Onne pouvait distinguer nulle direction déterminée dansles petits groupes épars de vapeurs condensées: ainsi je|422| ne puis dire si à cette élévation le vent d’ouest soufflaiten opposition au vent alisé. Nous n’apercevions plus lacime du Chimborazo, aucune des montagnes neigeusesdes environs, et encore moins le plateau de Quito. Nousétions isolés comme dans la nacelle d’un ballon. Quel-ques lichens seulement s’étaient montrés à nos regardsjusqu’au-delà des limites des neiges perpétuelles. Lesderniers végétaux cryptogames que je recueillis furent lelecidea atrovirens (lichen geographicus, Web.), et unenouvelle espèce de gyrophora d’Acharius (gyrophorarugosa), à peu près à 2800 toises d’altitude. La dernièremousse, le grimmia longirostris croissait à 400 toisesplus bas. M. Bonpland avait pris un papillon de la divi-sion des sphinx à 15,000 pieds d’altitude, et nous vîmesune mouche à 1600 pieds plus haut. Je vais rapporterun fait qui prouve que ces animaux avaient été empor-tés, malgré eux, dans ces hautes régions de l’atmo-sphère, par les courans d’air qui s’élèvent des plaineséchauffées. Quand M. Boussingault monta à la Silla deCaracas pour répéter la mesure que j’avais faite de cettemontagne, il aperçut à midi, par le vent d’ouest quirégnait à 8000 pieds d’altitude, des corps blanchâtresqui de temps en temps traversaient l’atmosphère; illes prit d’abord pour des oiseaux, dont le plumage blancréfléchissait la lumière du soleil. Ces corps s’élevaient dela vallée (de Caracas) avec une grande vitesse, et dépas-saient la cime de la Silla, en se dirigeant au nord-est, oùvraisemblablement ils arrivaient à la mer. Quelques unstombèrent sur la pente méridionale de la Silla; c’étaientdes pailles éclairées par le soleil. M. Boussingault m’ena envoyé à Paris, dans une lettre, quelques unes qui|423| avaient encore leurs épis; M. Kunth, mon ami et moncollaborateur, les reconnut à l’instant pour appartenirau wilfa tenacissima, graminée qui végète dans la valléede Caracas, et que ce botaniste a décrit dans notre ou-vrage intitulé: Nova Genera et species plantarumAmericæ æquinoctialis. Je dois remarquer aussi quenous n’avons rencontré, sur le Chimborazo, aucun con-dor, ce puissant vautour qui est si commun sur l’Anti-sana et le Pichincha, et qui, ne connaissant pas l’homme,montre une grande hardiesse. Le condor aime l’air leplus pur et un ciel serein, afin de reconnaître de trèshaut, avec plus de facilité, sa proie ou sa pâture, car ildonne la préférence aux animaux morts.Comme le temps se gâtait de plus en plus, et que lebrouillard augmentait, nous descendîmes par la mêmearête qui avait favorisé notre ascension. Il fallait mar-cher avec bien plus de précaution qu’en montant, à causedu peu de sûreté de nos pas. Nous ne nous arrêtionsqu’aussi long-temps que l’exigeait le soin de ramasserdes échantillons de roches. Il nous était aisé de prévoird’avance qu’en Europe on nous demanderait souvent unpetit fragment de la cime du Chimborazo. A cette épo-que, pas une seule roche n’avait encore été désignée parson nom minéralogique dans aucune des contrées del’Amérique méridionale; on appelait granit les rochesde toutes les hautes cimes des Andes.Pendant que nous étions à peu près à 17,400 piedsd’altitude, la grêle commença à tomber avec violence.C’étaient des grains d’un blanc laiteux, opaques, à cou-ches concentriques. Quelques uns semblaient avoir étéconsidérablement aplatis par un mouvement de rotation.|424| Vingt minutes avant que nous fussions parvenus à la li-mite inférieure des neiges éternelles, cette grêle fut rem-placée par la neige. Les flocons étaient si gros, que bien-tôt ils couvrirent l’arête de rochers sur laquelle nousmarchions d’une couche de neige épaisse de plusieurspouces; nous aurions certainement couru de grands dan-gers si ce météore nous eût surpris à une élévation de18,000 pieds. A deux heures et quelques minutes nousarrivâmes à l’endroit où nos mulets nous attendaient.Les Indiens restés là s’étaient inutilement inquiétés surnotre sort.La portion de voyage au delà des limites des neigeséternelles avait duré trois heures et demie, pendant les-quelles, malgré la raréfaction de l’air, nous n’avions paseu besoin de nous asseoir pour nous reposer. L’épaisseurde la cime campaniforme du Chimborazo, à la hauteurdes neiges éternelles, par conséquent à une altitude de2460 toises, a encore un diamètre de 3437 toises, et plushaut à peu près à 150 toises de distance du point culmi-nant, le diamètre de la montagne est de 672 toises. Cedernier nombre est par conséquent celui du diamètre dela partie supérieure du dôme ou de la cloche; le premierexprime la largeur que présente à l’œil la totalité de lamasse neigeuse du Chimborazo, vue de Nuevo-Rio-bamba, masse qui est représentée dans les planches 16et 23 de mes Vues des Cordillières, avec les deux som-mets de moindre hauteur qui lui sont adossés au nord.J’ai mesuré soigneusement, avec le sextant, les diffé-rentes parties du contour, tel qu’il se dessine magnifi-quement sur l’azur foncé du ciel des tropiques, par unjour pur et serein dans la haute plaine de Tapia. Ces dé-|425| terminations servent à apprécier le volume du colosse audessus d’une surface sur laquelle Bouguer fit ses expé-riences sur l’attraction du pendule par la montagne.M. Pentland, géognoste distingué, auquel nous de-vons la connaissance de la hauteur du Sorata et de cellede l’Illimani, et qui, muni d’excellens instrumens d’as-tronomie et de physique, parcourt de nouveau en cemoment la Bolivie ou le Haut-Pérou, m’a assuré quemon dessin du Chimborazo est en quelque sorte répétédans la figure du Nevado de Chuquibamba, mont trachy-tique de la Cordillière occidentale, au nord d’Arequipa,lequel atteint à une altitude de 19,680 pieds (3280 toises).C’est là, entre les 15 et 18 degrés de latitude méridio-nale, que, par la proximité, le grand nombre et la massedes hautes cimes, existe le renflement le plus considéra-ble de la surface de la terre que nous connaissions, aprèsl’Himalaya, autant du moins que ce renflement dérive,non de la forme primitive produite par le mouvementde rotation de notre planète, mais du soulèvement deschaînes de montagnes et des dômes de dolérite, de tra-chyte à albite et de trachytes feldspathiques.En descendant le Chimborazo, nous trouvâmes quela neige récemment tombée avait mis accidentellementen contact momentané la limite inférieure des neigesperpétuelles avec les taches de neiges sporadiques, quiau dessous de cette limite se rencontraient éparses sur laroche nue parsemée de lichens, et sur la pelouse(pajonal); néanmoins il était toujours aisé de distin-guer, à la moindre épaisseur de la couche accidentelle,et à sa nature particulière, la vraie limite des neiges per-pétuelles, qui alors au Chimborazo avait 2470 toises d’é-|426| lévation. Dans un autre ouvrage, savoir, dans un mé-moire sur les causes des inflexions des lignes isothermes,inséré dans les Fragmens asiatiques, j’ai montré quedans la province de Quito la différence de hauteur de lalimite des neiges perpétuelles, sur les divers nevados,n’oscille, d’après l’accord que présentent mes propresmesures, que de 38 toises; que la hauteur moyenne dela limite doit être évaluée à 14,760 pieds ou 2460 toises,et que, dans la Bolivie, entre 16 et 18 degrés de latitudesud, elle se trouve encore à 2670 toises à cause du rap-port de la température moyenne de l’année avec la tem-pérature des mois les plus chauds; à cause de la masse, del’étendue et de la plus grande élévation des plateaux en-vironnans qui font rayonner la chaleur; à cause de la sé-cheresse de l’atmosphère, et à cause de l’absence totale dechute de neige depuis mars jusqu’en novembre. La li-mite inférieure de la neige perpétuelle, qui ne coïncidenullement avec la courbe isotherme de zéro, monte icipar exception, au lieu de descendre quand on s’éloignede l’équateur. Par les causes entièrement analogues durayonnement de la chaleur dans les plateaux voisins, lalimite des neiges perpétuelles, entre les 30 degrés 45 mi-nutes et les 31 degrés de latitude nord, est à 2600 toisesd’altitude sur la pente septentrionale de l’Himalaya, versle Tibet, tandis que sur le versant méridional, du côtéde l’Inde, elle ne s’élève qu’à 1950 toises. Il résulte decette influence remarquable qu’exercent la forme de lasurface de la terre et le rayonnement des plateauxvoisins, qu’au delà du tropique une portion considé-rable de l’Asie intérieure est habitée par des peuplesagriculteurs du culte boudhique, gouvernés par un sys-|427| tème monacal, et cependant faisant des progrès en civi-lisation là où, à la même hauteur, dans l’Amérique méridionale, sous l’équateur même, la terre reste couvertede glaces éternelles.Nous revînmes au village de Calpi par un chemin unpeu au nord du Llano de Sisgun à travers le Paramo dePungupala, si riche en végétaux. Dès cinq heures nousnous retrouvâmes chez notre ami le curé de Calpi.Comme il arrive toujours, le jour le plus brumeux del’expédition fut suivi du temps le plus serein. Le 25 juin,à Nuevo-Riobamba, le Chimborazo nous apparut danstoute sa magnificence, je pourrais dire dans cette grandeuret cette majesté calmes qui caractérisent la nature dansle paysage des tropiques. Une seconde tentative sur l’a-rête rocheuse interrompue brusquement par un gouffre,aurait certainement été aussi peu heureuse que la pre-mière, et déjà je m’occupais de la mesure trigonométri-que du volcan de Tungurahua.M. Boussingault, accompagné de son ami M. Hall,colonel anglais, qui bientôt après fut assassiné à Quito,fit le 16 décembre 1831 une nouvelle tentative d’attein-dre la cime du Chimborazo, d’abord en partant de Mo-cha et de Chilapullu, ensuite de l’Arenal, ainsi par uneroute différente de celle que M. Bonpland, don CarlosMontufar et moi nous avions suivie. Il fut obligé de cesserde monter lorsque son baromètre ne marqua plus que13 pouces 8 lignes et demie, la température de l’air étantà 7° 8 au dessus de zéro. Il vit la colonne de mercurepresque 3 lignes au dessous du point où je l’avais obser-vée, et parvint à 3080 toises, par conséquent à 64 toisesplus haut que moi. Écoutons ce que dit ce voyageur, qui|428| connaît si bien la chaîne des Andes, et qui le premier,avec une hardiesse notable, a porté des appareils de chi-mie dans les cratères des volcans: «Le chemin que nousnous frayâmes dans la dernière partie de notre excur-sion, à travers la neige, ne nous permettait d’avancerque lentement; à droite nous pouvions nous tenir fermesà un rocher; à gauche, l’abîme était effrayant; nouséprouvions déjà l’effet de la raréfaction de l’air; tous lesdeux ou trois pas nous étions obligés de nous asseoir;mais à peine assis, nous nous relevions tout de suite, carnotre souffrance ne durait que pendant le temps quenous étions en mouvement. La neige sur laquelle il fal-lait marcher était molle, et au plus épaisse de 3 à 4pouces, recouvrant une glace lisse et dure. Nous étionscontraints de tailler des marches sur cette surface. Cetravail était fait par un nègre qui marchait en avant; ileut bientôt épuisé ses forces. Voulant le dépasser pourle remplacer, je glissai; fort heureusement M. Hall etmon nègre me retinrent. Pendant un instant nous noustrouvâmes tous trois dans le plus grand danger. Plusloin, la neige favorisa davantage notre marche, et à troisheures et demie après midi nous étions sur la crête derocher après laquelle nous soupirions depuis long-temps; elle est large d’un petit nombre de pieds, maisenvironnée de précipices. Nous nous convainquîmes làqu’il était impossible d’aller plus avant. Nous étions aupied d’un prisme de rocher dont la surface couverte d’undôme de neige forme la cime du Chimborazo. Pour sefaire une image exacte de la topographie de toute lamontagne, que l’on se représente une énorme masse derochers couverte de neige, et qui paraît soutenue de|429| tous côtés comme par des arcs-boutans. Ces arcs-boutanssont les crêtes qui sont adossées à ces masses et s’élèventau dessus des neiges éternelles.» La perte d’un physi-cien tel que M. Boussingault eût été trop chèrementachetée au prix du mince avantage que peuvent offrir àla science des entreprises de ce genre.Avec quelque vivacité que j’aie exprimé depuis plusde trente ans le vœu que la hauteur du Chimborazopuisse être mesurée de nouveau par une opération trigo-nométrique bien précise, cependant il règne encore quel-que incertitude sur le résultat absolu. Don George Juanet les académiciens français donnent, d’après diversescombinaisons des mêmes élémens, ou du moins d’aprèsdes opérations qui étaient toutes analogues, des hauteursde 3380 et de 3217 toises, et qui par conséquent diffè-rent entre elles d’un vingtième. Le résultat de mon opé-ration trigonométrique, qui est de 3350 toises, tient lemilieu entre ces deux données, et se rapproche de ladétermination des Espagnols à un cent douzième près.Le résultat plus petit de Bouguer se fonde, du moins enpartie, sur la hauteur de la ville de Quito, qu’il fait de30 à 40 toises trop faible. Bouguer trouve, d’après l’an-cienne formule barométrique simple, sans correctionpour la chaleur, la hauteur de 1462 toises au lieu de1507 et de 1492, nombres sur lesquels M. Boussingaultet moi nous avons été d’accord. La hauteur que je donneà la plaine de Tapia, où je mesurai une base de 873 toisesde longueur (1), paraît être passablement exempte d’er-
(1) Humboldt, Recueil d’Observations Astronomiques et d’Opé-rations Trigonométriques, t. 1, p. lxxii.
|430| reur. Je trouvai cette hauteur de 1482 toises, etM. Boussingault, dans une saison absolument différente,par conséquent par un décroissement de chaleur trèsdissemblable dans les couches d’air superposées les unesaux autres, trouva 1471 toises. D’ailleurs l’opération deBouguer fut très compliquée, parce qu’il fut obligé dedéduire la hauteur du plateau qui réunit les Cordillièresorientale et occidentale de la hauteur de la pyramide tra-chytique dIlliniza, mesurée par de très petits angles dehauteur, dans la région côtière inférieure de Niguas. Laseule grande montagne de la terre dont jusqu’à présentles mesures se sont accordées à un deux cent quarante-sixième près, est le Mont-Blanc; car pour le Mont-Rosa,quatre suites différentes de triangles prises par M. Car-lini, astronome et excellent observateur, lui donnèrentpour résultat 2419, 2343, 2357 et 2374 toises, etM. Oriani trouva également par une triangulation 2390toises: différence, un trente-quatrième.
La première mention détaillée que j’ai rencontrée duChimborazo est celle qu’en fait Girolamo Benzoni, voya-geur italien, spirituel et un peu satirique, dont l’ou-vrage fut imprimé à Venise en 1565. Voici ce curieuxpassage tel que le rend la vieille traduction française:«Partant une fois de Guaiaquil pour aller en Quito, je«passai le grand mont de Chimbo, qui a plus de qua-«rante mil, c’est-à-dire dix lieues de hauteur, et qui est«entièrement deshabité. Là où n’eût été un Indien qui«me secourut d’un peu d’eau, je crois que je fusse mort«de soif en chemin. Quand je fus au fest de la mon-«tagne, je m’arrestay un peu pour contempler et regar-«der à mon aise le pays. De quoy je fus si ravy, voyant|431| «devant moy tant de provinces et si estranges, qu’il«m’estait proprement advis que je revoye, et que c’é-«tait quelque vision qui se présentait à mes yeux plutôt«qu’autre chose (1)Les Indiens de Quito savaient long-temps avant l’ar-rivée des astronomes français, venus pour mesurer lestrois premiers degrés du méridien, que le Chimborazoétait le plus haut des monts neigeux de leur pays. Ilsvoyaient que c’était la cime qui s’élevait le plus au des-sus de la limite des neiges perpétuelles. Des considéra-tions semblables les avaient engagés plus anciennementà regarder le Capac-Urcu, aujourd’hui écroulé, commeplus haut que le Chimborazo.Quant à la constitution géognostique du Chimborazo,je me contenterai d’ajouter la remarque générale, que sid’après les résultats importans exposés par M. Léo-pold de Buch dans son dernier mémoire classique surles cratères de soulèvement et les volcans (2), on doitappeler seulement trachyte une masse contenant dufeldspath, et andésite une masse contenant de l’albite,la roche du Chimborazo ne mérite aucune de ces deuxdénominations. Cet ingénieux et illustre géognoste adéjà remarqué il y a plus de vingt ans, lorsque je l’invi-tai à examiner oryctognostiquement les roches de lachaîne des Andes que j’avais rapportées en Europe, quesur le Chimborazo le pyroxène remplaçait l’amphibole.
(1) Histoire nouvelle du Nouveau Monde, extraite de l’italien deM. Hierosme Benzoni, Milanais, qui a voyagé xiiii ans en ce pays-là, par Urbain Chaumelon. Genève, 1579, 1 vol. in-12, p. 690.(Note du Traducteur.)(2) Poggendorf’s Annalen, t. xxxvii, p. 188 à 190.
|432| Ce fait est cité dans plusieurs passages de mon EssaiGéognostique sur le Gisement des Roches dans lesdeux hémisphères, que j’ai publié en 1823. M. GustaveRose, qui m’a accompagné dans mon voyage en Sibérie,et qui par son excellent travail sur les minéraux ayantde l’affinité avec le feldspath, et sur l’association de cesminéraux avec le pyroxène et l’amphibole, a ouvert denouvelles voies aux recherches géognostiques, n’a trouvédans tous mes échantillons des roches du Chimborazo nialbite, ni feldspath. Toute la formation de cette cime sicélèbre de la chaîne des Andes ne consiste que dans unmélange de labrador et de pyroxène, deux substancesqui se reconnaissent aisément à leur cristallisation. LeChimborazo est, d’après la nomenclature de M. GustaveRose, un porphyre à pyroxène (augit-porphyr), uneespèce de dolérite. Il lui manque aussi l’obsidienne et lapierre-ponce. L’amphibole n’y a été observée que parexception, et en très petite quantité, seulement dans deuxéchantillons. La roche du Chimborazo est donc, commenous l’apprennent les déterminations plus récentes deM. Léopold de Buch et de M. Elie de Beaumont, analogueà celle de l’Etna. Près des ruines de l’ancien Riobamba,à trois lieues géographiques vers l’est du Chimborazo,on trouve déjà un vrai porphyre dioritique, un composéd’amphibole noire sans pyroxène, et d’albite blanchevitreuse, sorte de roche qui rappelle la belle masse divi-sée en colonnes à Pisojé, près de Popayan, et la rochedu volcan de Toluca, au Mexique, volcan dont j’ai puatteindre la cime. Une portion des fragmens de porphyreà pyroxène que j’ai recueillis généralement déjà déta-chés, jusqu’à une altitude de 18000 pieds, sur l’arête de|433| rocher conduisant à la cime, avait 12 à 14 pouces dediamètre. Les fragmens avaient une texture poreuse àpetites cellules et de couleur rouge. L’intérieur des cel-lules était brillant. Les fragmens les plus noirs ont quel-quefois la légèreté de la pierre ponce et semblent avoirété altérés récemment par l’action du feu. Ils n’ont pascoulé en torrent comme les laves; ils ont vraisemblable-ment été lancés à travers des crevasses ouvertes le longde la pente de la montagne après son soulèvement enforme de cloche.
J’ai toujours considéré l’ensemble du plateau de Quitocomme un seul grand foyer volcanique. Le Tungurahua,le Cotopaxi, le Pichincha avec leurs cratères ne sont queles bouches d’un même foyer. Si le vulcanisme, dansle sens le plus étendu de ce mot, désigne tous les phé-nomènes qui dépendent de la réaction de l’intérieurd’une planète contre sa surface oxidée, il faut en con-clure que la portion méridionale du plateau de Quitoest plus que toute autre contrée intertropicale de l’Amé-rique du sud exposée à l’action permanente de ce vul-canisme. Même sous les dômes de porphyre pyroxéni-que qui, tels que le Chimborazo, n’ont pas de cratère,les forces volcaniques grondent sans cesse. Trois joursaprès notre expédition, nous entendîmes à une heureaprès minuit, à Nuevo-Riobamba, un épouvantable mu-gissement souterrain (bramido) qui ne fut suivi d’aucunecommotion sensible. Ce ne fut que trois heures plus tardqu’on ressentit un violent tremblement de terre précédéd’aucun bruit. De semblables bramidos, que l’on sup-pose venir du Chimborazo, avaient été entendus peu de|434| jours auparavant à Calpi. Ils sont extrêmement fréquensau village de San-Juan, bien plus rapproché du montcolossal. Ils n’excitent cependant pas plus l’attention desIndiens que le grondement lointain du tonnerre par untemps sombre et nuageux n’émeut les habitans de notrezone septentrionale.Telles sont les remarques passagères sur deux ascen-sions du Chimborazo que je me permets de communi-quer aux géologues, simplement telles que je les ai ex-traites d’un journal de voyage encore inédit. Quand lanature est si majestueuse et si puissante, et que nosefforts sont uniquement consacrés à la science, le dis-cours dans lequel nous les présentons peut bien se passerde tout ornement.