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Alexander von Humboldt: „Un mémoire sur la production de l’or et de l’argent, considerée dans ses fluctuations“, in: ders., Sämtliche Schriften digital, herausgegeben von Oliver Lubrich und Thomas Nehrlich, Universität Bern 2021. URL: <https://humboldt.unibe.ch/text/1838-Ueber_die_Schwankungen-17> [abgerufen am 08.05.2024].

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Permalink:
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Titel Un mémoire sur la production de l’or et de l’argent, considerée dans ses fluctuations
Jahr 1848
Ort Paris
Nachweis
in: Journal des économistes. Revue mensuelle d’économie politique et des questions agricoles, manufacturières et commerciales 19:76 (März 1848), S. 360–373; 20:78 (15. April 1848), S. 77–83; 20:79 (1. Mai 1848), S. 129–146.
Sprache Französisch
Typografischer Befund Antiqua; Auszeichnung: Kursivierung; Fußnoten mit Ziffern; Tabellensatz.
Identifikation
Textnummer Druckausgabe: V.79
Dateiname: 1838-Ueber_die_Schwankungen-17
Statistiken
Seitenanzahl: 39
Zeichenanzahl: 113886

Weitere Fassungen
Ueber die Schwankungen der Goldproduktion mit Rücksicht auf staatswirthschaftliche Probleme (Stuttgart; Tübingen, 1838, Deutsch)
A. v. Humboldt über die Schwankungen der Goldproduction, mit Rücksicht auf staatswirthschaftliche Probleme (Augsburg, 1838, Deutsch)
Menge der seit der Entdeckung Amerikas von dort nach Europa gebrachten edlen Metalle (Wien, 1838, Deutsch)
Alexander v. Humboldt om Svingingerne i Guldproductionen (Oslo, 1838, Norwegisch)
On the Fluctuations in the Production of Gold, considered with reference to the Problems of State Economy (London, 1839, Englisch)
Humboldt on the Precious Metals (Dublin, 1839, Englisch)
Humboldt on the Precious Metals (Cheltenham, 1839, Englisch)
Humbolt on the Precious Metals (Devizes, 1839, Englisch)
Fluctuations in the Production of Gold (London, 1839, Englisch)
An essay on the fluctuations in the supplies of gold, with relation to problems of political economy (London, 1840, Englisch)
Silber und Eisen (Berlin, 1842, Deutsch)
Zilver en ijzer (Utrecht, 1842, Niederländisch)
Zilver en IJzer (Vlissingen, 1842, Niederländisch)
Silber und Eisen (Graz, 1842, Deutsch)
Silber und Eisen (Brünn, 1842, Deutsch)
Silber und Eisen (Graz, 1842, Deutsch)
Un mémoire sur la production de l’or et de l’argent, considerée dans ses fluctuations (Paris, 1848, Französisch)
On the production of gold and silver and its fluctuations (Baltimore, Maryland, 1849, Englisch)
Sulla produzione dell’oro e dell’argento considerata nelle sue fluttuazioni (Turin, 1856, Italienisch)
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UN MÉMOIRESURLA PRODUCTION DE L’OR ET DE L’ARGENT,CONSIDÉRÉEDANS SES FLUCTUATIONS.


Tout ce qui concerne la production de l’or a pris, depuis une dizained’années, un grand intérêt, parce que, récemment, de nouvelles ex-ploitations ont été ouvertes, et bientôt elles se sont mises à verser surle marché général une forte proportion de ce précieux métal. Il y adix ans, M. de Humboldt publia dans un recueil allemand, la Revuetrimestrielle, un Mémoire où il faisait un exposé lumineux de ce qu’a-vait pu être dans le passé l’extraction des métaux précieux, des varia-tions qu’ils avaient subies dans leur valeur relativement aux objets depremière nécessité et l’un par rapport à l’autre. Il indiquait aussi lachance qu’avaient les nouveaux gisements d’or découverts dans laRussie d’Asie, de devenir très-productifs. Ce Mémoire n’a rien perdude l’intérêt qu’il tirait d’une étude rétrospective faite avec une rare sa-gacité. Les dix années qui se sont écoulées depuis ont plus que justifiéles prévisions qui s’y trouvaient exprimées avec cette réserve dont unsavant et un philosophe— M. de Humboldt est l’un et l’autre, — nedoivent jamais se départir. Le vieil Hérodote l’avait bien dit, mais les modernes, dans leur dé-daigneux orgueil, ne voulaient pas le croire, les régions de la Russied’Asie sont le grand dépôt où la nature a placé l’or. Une fois que legénie des arts européens a eu son attention appelée de ce côté, l’ex-traction s’est développée rapidement, et le métal, qui autrefois allaitremplir les coffres des grands rois de la Perse, est sorti du sein de laterre pour se rendre à Saint-Pétersbourg. A l’époque où M. de Hum-boldt envoyait ses observations à la Revue trimestrielle, la quantité demétal fin que produisaient les lavages de la Russie était entre six etsept mille kilog. pesant. A 3,444 fr. 44 c. le kilog., c’était déjà unesomme ronde; peu à peu, c’est monté à 11,000 kilog. Tel fut, àpeu de chose près, le chiffre de 1841. Puis elle est sautée à 20,000;maintenant, elle est environ de 29,300, qui, au taux de la monnaiefrançaise, représentent 100,922,000 fr. Il faut y ajouter une quan-tité d’environ 700 kil. qu’on retire des mines d’argent aurifère. C’est|361| un total de 30,000 kil. valant, au taux de la monnaie française,103,333,000 fr. Pour apprécier l’importance économique et politique de ce résultat,il faut se rappeler le montant de l’extraction des autres mines d’orqui versent leurs produits sur le marché général. Les renseignementssont beaucoup plus incertains pour l’or que pour l’argent; cependanton peut estimer qu’il s’extrait aujourd’hui 63,250 kilog., valant217,860,830 fr. Savoir:
Amérique........................ 14,959 kil. ou 51,494,000 fr.
Europe.......................... 1,300 — 4,478,000
Russie........................... 30,000 — 103,333,000
Afrique et Asie méridionale 1...... 17,000 — 58,555,000
Total.................. 63,250 — 217,860,000
Au commencement du siècle, c’était beaucoup moins. La produc-tion de l’Amérique était un peu moindre qu’aujourd’hui, en nombresronds 14,000 kilog. Celle de l’Europe et des autres contrées peutêtre considérée comme ayant alors été la même qu’en ce moment.Mais la Russie d’Asie rendait de moins tout l’or de lavage et four-nissait à peu près 650 kil. de métal fin qu’on retirait des lingotsd’argent. L’extraction totale de l’or aurait donc été de 32,950 kilog.(113,494,000 fr.), savoir:
Amérique..................... 14,000 kil. ou 48,222,000 fr.
Europe ....................... 1,300 — 4,478,000
Russie........................ 650 — 2,239,000
Afrique et Asie méridionale..... 17,000 — 58,555,000
Totaux .............. 32,950 kil. 113,494,000 fr.
Mais alors la proportion de l’or de l’Afrique et de l’Asie méridionalequi paraissait sur le marché général était moindre qu’aujourd’hui.Le total de 32,950 kilog. pour cette époque-là serait donc exagéré àl’égard du marché général. En nombres ronds, l’on peut dire que la quantité d’or qui alorsétait versée sur le marché général n’était pas la moitié de ce qui yapparaît aujourd’hui. Le changement est donc grand; mais on le trouvera plus grand en-core si on examine ce qui s’est passé pour l’argent. Au commencement du siècle, l’Amérique en donnait environ800,000 kilog. contre 615,000 qu’elle a rendus dans ces dernièresannées. L’Europe, la Turquie, la Russie en fournissaient 86,000 kil.Aujourd’hui, c’est une masse qu’il faut porter à 160,000. La Chineétait, par rapport au marché général, comme si elle n’en produisait
1 Cette évaluation est fort hypothétique. J’en ai présenté les éléments avec beaucoup deréserve dans plusieurs passages d’un écrit intitulé: Les Mines d’or et d’argent, et surtoutpages 111 et 112.
|362| pas; aujourd’hui elle y en verse et on est certain qu’elle en produit 1.ainsi, ce n’est pas seulement une restitution. Des évaluations hypo-thétiques, je dois en convenir, m’ont conduit à imprimer que la pro-duction totale de l’argent pouvait, par rapport au marché général, êtreportée à 875,000 kil., c’est-à-dire qu’elle est un peu moindre qu’aucommencement du siècle.
Voilà donc les résultats comparatifs à un demi-siècle d’intervalle:
Au commencement du siècle. Aujourd’hui.
Or............ 32,950 kil. ou 113,494,000 fr. 63,250 kil. ou 217,860,000 fr.
Argent........ 900,000 — 199,998,000 875,000 — 194,417,000
313,492,000 fr. 412,277,000 fr.
Ainsi, au commencement du siècle, le marché général recevait auminimum 27 kilog. d’argent, et probablement plus de 30, contre 1d’or. En supposant 27 seulement 2 et en estimant les deux métauxd’après le tarif de la monnaie française, c’est 1 fr. 76 c. en argent contre1 fr. en or. Aujourd’hui c’est 14 kil. d’argent contre 1 d’or, ou 89 c. enargent contre 1 f. d’or. Sous cette forme, l’effet obtenu se voit mieuxque sous toute autre, et il est fort remarquable. Jamais, depuis la décou-verte de l’Amérique, rien de semblable ne s’était produit. Le rapportle plus faible qu’on eût observé était le double de celui qui s’offre au-jourd’hui; c’est-à-dire qu’il était de 28 ou 30 kilog. d’argent contre1 kil. d’or; et encore ne se maintint-il à ce point que pendant legrand éclat des mines d’or du Brésil, vers le milieu du dix-huitièmesiècle. Plus ordinairement, c’était de 40 à 50 kilog. d’argent contre1 kil. d’or. Ce revirement subit, totalement imprévu il y a vingt ans,doit être attribué aux gîtes d’or de la Russie. Voilà donc le phénomène qui s’est opéré: sur le marché général quis’est agrandi en embrassant plus de nations, et par conséquent un plusgrand nombre de mines, l’approvisionnement annuel en métaux pré-cieux a varié, mais pour l’un en sens inverse de l’autre. Pour l’ar-gent, une diminution s’est manifestée; pour l’or, au contraire, on estpassé du simple au double. Cet état de choses durera-t-il? A cette question, tout ce qu’on peutrépondre se borne à indiquer des probabilités. Mais la question estcomplexe. Le rapport qui se présente depuis quelques années, et quidiffère beaucoup de celui qui s’offrait antérieurement, peut se mo-difier de diverses façons, et peut bien aussi persévérer sous l’in-fluence combinée de diverses causes. La production générale de l’orpeut rester supérieure à celle qui avait lieu autrefois, celle de l’argentrestant la même. Mais la production de l’argent peut varier aussi; il
1 Mines d’or et d’argent, p. 112.2 C’est la proportion qui correspond à un approvisionnement annuel de 32,950 kilog.d’or contre 900,000 d’argent; mais alors ce qui était réellement versé sur le marché gé-néral était, ainsi que nous l’avons dit, fort au-dessous de la production générale évaluéeà 32,950 kilog.
|363| est possible qu’elle augmente tout autant que celle de l’or. Pour celail suffirait que, la richesse des mines restant d’ailleurs la même, uneplus forte dose de science, d’activité et de capitaux y fût appliquée, etque les pays qui recèlent les mines les plus importantes fussent placésdans des circonstances plus favorables à la civilisation et aux arts. Celaposé, il est probable que les alluvions aurifères de la Russie continue-ront pendant longtemps à offrir la même abondance 1 de métal: il estprobable que l’exploitation en demeurera aussi facile et qu’elle se per-fectionnera encore dans ses moyens mécaniques. La même prévisionest fondée à l’égard de la Nouvelle-Grenade. En d’autres termes,quant à l’or, la probabilité est que le principal foyer de productionet quelques-uns des foyers secondaires continueront d’en fournir au-tant qu’aujourd’hui et même iront en croissant; et, pour les autres,rien ne fait présager que la production doive baisser.
A l’égard de l’argent, la probabilité est dans le même sens. Lechamp de la production de l’argent est plus illimité encore dans lachaîne des Andes que celui de l’or dans l’Oural et l’Altaï. L’introduc-tion de procédés perfectionnés en place de méthodes d’exploitation quisont barbares, y est devenue très-probable depuis peu de temps. LesAméricains du Nord sont les maîtres du Mexique, qui est le pays desprincipales mines d’argent, et ils y demeureront très-influents, quelleque soit l’issue de la guerre actuelle. Ils y apporteront les arts de lacivilisation que le Mexique ignore aujourd’hui et dont l’absence en-chérit beaucoup la production de l’argent et ne la borne pas moins. Si ces effets probables se manifestent réellement pour l’or et pourl’argent, ces deux métaux, après un certain nombre d’années,éprouveront une baisse de valeur vénale en comparaison des autresproduits de l’industrie humaine. Cette baisse de valeur relativepourra être la même pour les deux métaux, mais aussi bien elle pourraêtre inégale. Dans le premier cas, le rapport de valeur des deuxmétaux précieux resterait sensiblement le même qu’aujourd’hui. Unkilogramme d’or continuerait de s’échanger contre quinze et demikilogrammes d’argent environ. Dans l’autre cas, l’or monterait oudescendrait relativement à l’argent, selon que ce serait l’argent oul’or qui aurait éprouvé dans le montant de ses frais de production ladiminution proportionnelle la plus forte. La baisse de l’or ou de l’argent, par rapport aux autres marchan-dises, causerait la hausse de prix de celles-ci, parce que le prixd’une chose est l’expression de la quantité d’or ou d’argent qui s’é-change contre cette chose. Cette dépréciation de l’or et de l’argenttendrait à faire cesser l’exploitation des mines les moins avanta-geuses, et cette suspension des travaux sur un certain nombre de
1 Il serait matériellement plus exact de dire rareté, car ces alluvions contiennent moinsd’un cent-millième d’or.
|364| mines, en restreignant l’offre, tendrait elle-même à maintenir la va-leur de l’or et de l’argent; mais il est à croire qu’elle n’y réussiraitpoint, parce que le surplus de production des mines les plus favo-risées ferait bien plus que balancer l’abandon des mines les moinsprofitables. Ces dernières elles-mêmes lutteraient longtemps en amé-liorant leurs procédés. Lors de la mise en exploitation des minesd’Amérique, l’or et l’argent baissèrent dans une proportion énorme.Cette baisse n’empêcha pas la production d’augmenter prodigieuse-ment dans son ensemble, et elle ne la fit pas diminuer beaucoup dansla plupart des Etats de l’Europe.
Telle est donc la perspective qui s’ouvre devant nous: l’accroisse-ment de l’extraction de l’or et de l’argent, et la continuité de cet ac-croissement, ce qui suppose nécessairement la diminution des fraisde production, et par conséquent la dépréciation des deux métauxpar rapport aux autres marchandises. A cause du rôle que jouent l’oret l’argent dans toutes les transactions des hommes, dans les con-ventions des Etats vis-à-vis des individus, vis-à-vis des rentiers,par exemple, tout changement considérable dans la valeur de l’or etde l’argent est un événement politique et social, une sorte de révo-lution. Il reste à savoir quelle serait l’étendue du changement, etdans quel délai il peut s’accomplir. Sur ces deux points, on est réduit àdes conjectures, et chacun peut conjecturer à perte de vue sans pou-voir donner à l’appui de ses inductions aucune bonne preuve. Je neme jetterai pas dans cette voie; je ferai remarquer seulement qu’il ya une forte raison pour que le phénomène s’opère avec lenteur. Laquantité d’or et d’argent qui est maintenant répandue dans la civili-sation est énorme en comparaison de ce qui est lancé chaque jourdans le courant ou semble pouvoir l’être. Il en était tout autrementà l’époque où fut découverte l’Amérique; c’est pourquoi alors la mé-tamorphose fut subite. De nos jours, si elle a lieu, ainsi qu’on estautorisé à le prévoir, elle doit procéder par degrés peu sensibles, àmoins qu’on ne tombât sur des gîtes d’une abondance et d’une grandeurinconnues jusqu’à nous, ce qui n’est pas probable. Je me tais, maintenant, pour laisser parler M. de Humboldt.Voici son Mémoire, qui a été traduit avec beaucoup de soin par unde nos élèves les plus assidus et les plus intelligents, M. MichelRempp. MICHEL CHEVALIER. MÉMOIRE DE M. DE HUMBOLDT 1. Suivant une assertion du vieil Hérodote (III, 106), les plus bellesproductions sont échues en partage aux extrémités de la terre, dansl’inégale distribution des biens et des trésors du sol. Cette assertion
1 Les notes placées ici au bas des pages font partie de la publication de M. de Hum-boldt lui-même.
|365| n’était pas fondée seulement sur ce sentiment triste et particulier àl’humanité, que le bonheur réside loin de nous; elle exprimait aussice fait naturel, que les Hellènes, habitant la zone tempérée, rece-vaient, par leur commerce avec les peuples, l’or et les épices, l’am-bre et l’étain de contrées lointaines et reculées. A mesure que lecommerce des Phéniciens, celui des Edomites sur le golfe d’Acaba,celui de l’Egypte sous les Ptolémées et les Romains, soulevèrent insen-siblement le voile qui si longtemps avait couvert les côtes de l’Asieméridionale, on commença à recevoir de première main les produc-tions de la zone torride, et l’imagination vive et mobile des hommesne cessa de reculer de plus en plus vers l’Orient le gîte des trésorsmétalliques de la terre. Par deux fois, à l’époque, si importante pourle commerce, des Lagides et des Césars, aussi bien qu’à la fin duquinzième siècle, au temps des découvertes portugaises, le mêmepeuple, les Arabes, a montré à l’Occident le chemin de l’Inde. A partirde ce moment, Ophir (l’el-Dorado de Salomon) fut reculé jusqu’à l’estdu Gange. C’est là qu’on se figurait Chryse, qui occupa longtemps lesvoyageurs du moyen âge, et qu’on regardait tantôt comme une île,tantôt comme une partie de la Chersonèse d’Or. La grande quantitéd’or que Bornéo et Sumatra mettent encore aujourd’hui en circula-tion, d’après John Crawfurd, explique l’antique célébrité de ce pays.Tout auprès de Chryse, pays de l’or, le but des navigateurs qui par-taient pour l’Inde, devait se trouver, par une relation nécessaire et parune sorte de symétrie, d’après les idées d’une géographie systémati-que, un pays d’argent, une île, Argyre, comme pour réunir les deuxmétaux précieux (les richesses d’Ophir et celles du Tartenus ibérien).Les mythes géographiques de l’antiquité classique se reflètent, maisavec diverses altérations, dans la géographie du moyen âge. Dans lagéographie des Arabes Edrisi et Bavini, nous retrouvons, à l’extré-mité de la mer des Indes, une île, Sahabet, au sable d’or, et à côtéSaila (qu’il ne faut pas confondre avec Ceylan ou Serendib), où leschiens et les singes portent des colliers d’or.
A l’idée d’une grande distance se joignait, comme signe caractéris-tique de la véritable patrie de l’or et de tous les produits précieux dela terre, une autre idée, celle de la chaleur des tropiques. «Tantque Votre Excellence ne trouvera pas des hommes noirs, écrivait,en 1495, un lapidaire catalan, Mosson Jaime Ferrer, à l’amiral Chris-tophe Colomb, elle ne peut attendre de grandes choses ni de vérita-bles trésors, comme les épices, les diamants et l’or.» Cette lettre aété trouvée récemment dans un livre imprimé à Barcelone en 1845,et qui porte ce titre singulier: Sentencias catholicas del divi poetaDant. La richesse des mines d’or de l’Oural, qui s’étendent dans lebassin septentrional du Volga jusqu’à l’endroit où le sol dégèle àpeine pendant les mois d’été, les diamants qui ont été découverts pardeux de mes compagnons, près du 60e degré de latitude, sur le pen-|366| chant européen de l’Oural, pendant l’expédition que j’ai faite,l’an 1829, par ordre de l’empereur Nicolas 1, ne viennent pas préci-sément à l’appui de l’hypothèse qui établit une connexion entre l’exi-stence de l’or et des diamants, d’un côté, et la chaleur des tropiqueset les hommes de couleur de l’autre. Christophe Colomb, qui attribueune valeur morale et religieuse à l’or, «parce que, dit-il, celui quile possède arrive à tout dans ce monde, même (sans doute en payantdes messes) à ouvrir le paradis à beaucoup d’âmes 2,» Christophe Co-lomb, disons-nous, était tout à fait partisan du système du lapidaireFerrer. Il chercha Zipangou (le Japon), que l’on faisait passer pourl’île d’or Chryse; et quand, le 14 novembre 1492, il longea les côtesde Cuba, qu’il considérait comme une partie du continent de l’Asieorientale (Cathay), il écrivit dans son journal: «A en juger par lagrande chaleur que je souffre, il faut que le pays soit riche en or.»C’est ainsi que de fausses analogies firent oublier ce que l’antiquitéclassique avait raconté des trésors métalliques des Massagètes et desArimaspes, à l’extrême nord de l’Europe; je dis de l’Europe 3, car lepays plat et désert de l’Asie septentrionale, la Sibérie d’aujourd’hui,passait, avec ses forêts de sapin, pour être la monotone continuationdu pays plat de la Belgique, de la Baltique et de la Sarmatie. En embrassant d’un coup d’œil l’histoire des relations commercia-les de l’Europe, nous voyons que l’antiquité cherche en Asie les sour-ces les plus riches de l’or, tandis que le moyen âge et les trois sièclespostérieurs les placent dans le nouveau Continent. Mais actuellement,et depuis le commencement du dix-neuvième siècle, c’est encore unefois en Asie, mais dans des zones différentes, que jaillissent les sourcesd’or les plus riches. Ce changement dans la direction du courant,cette compensation que les découvertes accidentelles offrent dans lenord, quand, au sud, l’exploitation de l’or semble subitement tarir,appellent un examen sérieux et approfondi fondé sur des données nu-mériques; car en économie politique, aussi bien que dans l’étude desphénomènes de la nature, les nombres sont toujours l’élément le plusdécisif; ils sont les derniers juges, les juges inflexibles des problèmessi diversement résolus de l’économie politique. Nous apprenons par les recherches profondes de Boekh 4 comment,lorsque les guerres persiques et l’expédition d’Alexandre le Grand dansl’Inde détruisirent les barrières qui fermaient l’Orient, l’or s’accumula
1 Reise nach dem Ural, dem Altai und dem kaspischen Meere von A. V. Humboldt,G. Rose et G. Ehsenberg, t. I, p. 352-373.2 El oro, écrit Colomb à la reine Isabelle, es excellentissimo, con el se hace tesoro y conel tesoro quien lo tiene, hace quanto quiere en el mundo y llega a que hecha lar animas aparaiso. Voyez sur cet éloge de l’or mon Examen critique de l’histoire de la géographie etdes progrès de l’astronomie nautique aux quinzième et seizième siècles (in-folio, p. 38et 131).3 Herod. III, 116.4 Economie politique des Athéniens, vol. I, p. 6-31.
|367| peu à peu chez les Hellènes européens; comment, au temps de Démo-sthène, par exemple, les métaux précieux valaient presque cinq foismoins qu’au temps de Solon. Le courant se dirigeait alors d’orient enoccident, et l’affluence de l’or fut si grande que, tandis qu’au tempsd’Hérodote le rapport de l’or à l’argent était comme 1:13, il fut, àla mort d’Alexandre et cent ans encore après, comme 1:10 1.
Moins les relations commerciales étaient générales dans l’ancienmonde, plus les variations que subissait la valeur relative de l’or etde l’argent devaient être grandes et subites. Ainsi, à Rome, nous trou-vons que par suite d’une accumulation locale de l’un des métaux pré-cieux, peu de temps après la conquête de Syracuse, le rapport de l’orà l’argent fut comme 1:17 1/7; tandis que, sous Jules César, iltomba pour quelque temps jusqu’à 1:8 13/14. Plus la quantité d’unmétal qui existe dans un pays est faible, plus il est facile d’y produired’énormes fluctuations par une importation du dehors. Le monde ac-tuel, par l’universalité et la promptitude des relations, qui rendentpartout le niveau uniforme, par la grandeur des masses d’or et d’ar-gent déjà existantes, tend à établir la stabilité dans la valeur relativedes deux métaux. Après les guerres de l’Indépendance, la productionmétallique, dans l’Amérique espagnole, resta pendant quelques an-nées au tiers de ce qu’elle était en moyenne auparavant, et pour-tant ce n’est point à cette cause que l’on peut attribuer les faibles os-cillations que l’on remarque çà et là. Il en est tout autrement durapport de l’argent à un autre métal qui n’a été encore extrait qu’enfaible quantité et qui, en outre, est fort inégalement réparti; nousvoulons parler du platine. Nous ne trouvons chez les anciens aucune donnée statistique indi-quant quelque résultat général qu’on puisse comparer à ce que noussavons de la production métallique actuelle de pays tout entiers. L’ad-ministration politique n’offrait point les contrôles que le système doua-nier compliqué et raffiné des Arabes, peuple commerçant qui calculaittout, qui enregistrait tout sous forme de tableaux, communiqua dansdes siècles postérieurs aux Etats de l’Europe méridionale et occiden-tale. L’assertion de Pline (XII, 18), suivant laquelle le commerceavec l’Inde, la Sérique et l’Yémen, tirait chaque année de l’empire ro-main cent millions de sesterces en métaux précieux, c’est-à-dire d’a-près Letronne, en les estimant suivant la valeur de l’argent à cetteépoque, un poids de 33,000 marcs d’argent (la moitié seulement dece que produit annuellement l’exploitation des mines d’argent de laSaxe); cette assertion est isolée et problématique. Quand les résultats généraux manquent, il serait important de pos-séder des exemples numériques de la richesse monétaire partielle de
1 Voyez la savante rectification des hypothèses monétaires de Garnier, par Letronne:Considérations générales sur l’évaluation des monnaies grecques et romaines, 1817, p. 112.
|368| certains pays de mines, que nous pourrions comparer avec le rende-ment actuel de régions célèbres par leurs mines, poids à poids dans lesens absolu, sans considérer l’or comme la mesure de la valeur d’unequantité déterminée de céréales. Des trésors que laisse un souveraincomme fruits d’une conquête, ou de longues exactions, ne témoignentque de ce qui s’est trouvé accumulé dans d’immenses étendues de paysaprès une suite de siècles dont le nombre nous est inconnu. Des ré-sultats de cette espèce sont comparables aux données que nos statisti-ciens hasardent sur la masse de métaux précieux qui se trouvent dansun Etat à une certaine époque. Quand Cyrus, au rapport de Pline(XXXIII, 15), rassembla, par suite de la conquête de l’Asie, 34,000livres d’or, sans compter celui qui avait été converti en vases, cettequantité égala pourtant à peine les fruits d’une exploitation de deuxans des mines de l’Oural. D’un autre côté, Appien, s’appuyant surdes documents, estime le trésor de Ptolémée Philadelphe à 740,000talents, c’est-à-dire à 1,017 millions de thalers, s’il s’agit de talentségyptiens, ou 254 millions, s’il s’agit de petits talents de Ptolé-mée. «Cette assertion paraît fabuleuse, dit le célèbre auteur de l’Eco-nomie politique des Athéniens, mais je n’ose point mettre en doutela véracité de l’historien. Dans ce trésor se trouvait une grande quan-tité d’or et d’argent travaillé. Les Etats de ce prince étaient entière-ment épuisés; des impôts et des tributs étaient extorqués à main ar-mée par d’avides fermiers généraux. Les revenus seuls de la Cœlé-Syrie, de la Phénicie, de la Judée et de la Samarie, furent afferméspar Ptolémée Evergète pour une somme de 8,000 talents, et un Juifles acheta le double.» M. William Jacob, dans un excellent ouvragepublié à la demande du ministre d’Etat Huskisson, sous le titre de:Historical inquiry on Precious metals 1, corrobore les assertions dugrand philosophe allemand. La plus haute des deux évaluations se rap-procherait de la quantité d’argent monnayé actuellement en circula-tion en France et en Belgique; la seconde équivaudrait à peu près àl’argent monnayé qui circule en Angleterre 2.
Suivant Strabon (XV, 731), Alexandre serait parvenu à réunir à Ec-batane 380,000 talents 3. Il ne faut pas oublier que, tandis qu’au-
1 Historical inquiry on precious metals, t. I, p. 23.2 D’après les recherches de M. Michel Chevalier (Lettres sur l’Amérique du Nord, t. I,p. 394), la monnaie en circulation en France est évaluée à 3,000 millions; en Angleterreà 1,000 millions de francs. Necker déjà porte la circulation de la France à 2,200 millionsde francs; Adam Smith, celle de la Grande-Bretagne à 30 millions de livres sterling seu-lement. Dans les Etats prussiens, il n’y aurait en circulation, d’après Hoffmann, que de90 à 120 millions de thalers. L’argent frappé en Prusse, de 1764 à 1836, en toute espècede monnaie, y compris les espèces de un quinzième de thaler, s’élève, en retranchantce qui a été retiré pendant cet espace de temps, par l’administration des monnaies elle-même, à 182,856,020 thalers (Die Lehre vom Gelde, 1838, p. 171). Le rapprochementd’aussi grandes sommes peut seul jeter quelque lumière sur les données qui nous sontparvenues de l’antiquité.3 Le trésor laissé par Cyrus était presque trois fois aussi considérable. Pline (XXX, 3)
|369| jourd’hui les métaux précieux sont répartis plus également dans degrandes étendues de pays et parmi de nombreuses populations, ilsétaient alors concentrés sur un petit nombre de points de la terre etdans les trésors des souverains.
Il n’est pas douteux que la grande quantité d’or qui refluait versl’Occident ne vînt de l’Asie intérieure, du nord-nord-est de Ladakh,de la partie supérieure du bassin de l’Oxus 1 (entre l’Hindou-Khou etles hauteurs de Pamez, sur le versant occidental du Bolor), de laBactriane et des satapries orientales de l’empire perse; mais il estplus facile de déterminer la direction du courant aurifère que la situa-tion particulière des différentes sources et leur richesse relative. Lelieu où naquit le mythe des fourmis qui cherchent de l’or, répanduchez les montagnards de Derden, devait être loin des Griffons des Ari-maspes. Ce mythe semble appartenir au plateau de Kaschgar et d’As-kou, entre les chaînes parallèles des montagnes Célestes et du Kouen-loun, où la rivière Tarim se jette dans le Lop. Nous reviendrons plusbas sur les Arimaspes, habitant beaucoup plus au nord, en parlantdes grandes masses d’or qui se trouvent dans l’Oural immédiatementsous le gazon. Le bruit de la richesse de l’Inde retentit jusque dans laPerse, pour y être souvent, il est vrai, mal interprété. Ctésias 2, dela race des Asclépiades, médecin particulier du roi Artaxerxès Mnémon,décrit, presque sans en avoir lui-même la conscience, sous l’imaged’une source d’or, un fourneau d’où le métal devenu fluide s’écouledans des vases (des formes en argile). Plus près des Grecs se trou-vaient la Lydie près des rivières qui sortent du Tmolus, la Phrygieet la Colchide, pays riches en or. La nature des couches de sable au-rifère si facile à épuiser, fait comprendre au mineur expérimentécomment il se fait que quelques-uns de ces pays, quand ils ont étévisités derechef, ont paru dépourvus d’or aux voyageurs qui lesexploraient. Si aujourd’hui l’on visitait les ravins et les vallées desîles de Cuba et de Saint-Domingue, ou bien même la côte de Veragua,combien, sans les témoignages historiques que nous possédons, l’onserait facilement induit à douter de la richesse de l’exploitation de cesmêmes pays à la fin du quinzième siècle! L’exploitation souterraineproprement dite s’exerçant sur des filons aurifères dure plus long-temps, quand aucune circonstance extérieure ne vient la troubler.Précisément parce qu’on ne connaît pas de prime abord le gisement
l’évalue à 500,000 talents en or et en argent. Que ce trésor ait été considérablement di-minué après la mort de Cyrus, Sainte-Croix (Examen critique des historiens d’ Alexandre,p. 429) conclut de ce fait que tous les métaux précieux que le Macédonien recueilliten Perse ne s’élevèrent qu’à 330,000 talents. Sur la concentration presque sans exempledes métaux précieux en Italie sous les Césars, voyez Letronne, Evaluation des monnaiesgrecques et romaines, p. 121.1 Burnes, Travels in to Bokhara, t. II, p. 265.2 Oper. reliqu., ed. Baehr. ind. cap. iv, p. 248 et 271.
|370| entier, puisque la mine ne se découvre qu’au fur et à mesure de l’ex-ploitation, un plus durable aliment s’offre à l’activité humaine. Desbancs d’alluvion contenant de l’or sont au contraire promptementfouillés et dépouillés des richesses qu’ils contiennent. Combien peudes quarante sites où l’or s’obtenait par lavage, si soigneusement dé-crits par Strabon, peuvent encore être reconnus aujourd’hui! Cetteobservation, fondée sur des analogies positives et sur les enseigne-ments de la science des mines, devait trouver place ici, avec d’autantplus de raison, qu’un vain scepticisme se plaît davantage à ébranler lestraditions de l’antiquité.
La partie de l’Europe connue des Hellènes était, sous le rapportde la richesse métallique, tout autant en arrière comparativement àl’Asie, que, plus tard, l’Europe tout entière le fut vis-à-vis du Nouveau-Monde. Ce dernier rapport 1, à savoir la puissance de production re-lative de l’Europe et de l’Amérique, était, au commencement du dix-neuvième siècle, alors que les mines des colonies espagnoles étaientexploitées avec la plus grande activité à laquelle elles soient jamaisparvenues, pour l’or comme 1:13, pour l’argent comme 1:15. Jeprésume même que, dans la période d’Alexandre et des Ptolémées, lerapport se serait trouvé, surtout relativement à l’exploitation de l’or,encore plus défavorable du côté de l’Europe, si l’on pouvait se pro-curer des données statistiques à cet égard. La Grèce elle-même, il estvrai, à côté des mines d’argent d’abord très-productives de Laurium,possédait une source d’or assez considérable dans les mines de laThessalie, dans les monts Pangées, près de la frontière de Macédoineet de Thrace, et dans celles des premiers établissements 2 des Phé-niciens, situés vis-à-vis l’île de Thasos. L’Ibérie ne fut pas non plusun pays d’argent seulement pour les Phéniciens et les Carthaginois.Tartessus et Ophir (ce dernier pays étant ou l’Arabie 3, ou la côteorientale de l’Afrique, ou bien même, comme le veut Heeren, unedénomination générale pour désigner d’une manière indéterminéedes pays riches du sud), Tartessus et Ophir étaient le double but dela flotte réunie de Salomon et de Hiram. Quoiqu’au milieu de toutela richesse métallique de l’Espagne, l’argent de la Bétique et du dis-trict de Carthagène, ville fondée par Amilcar Barca, soit demeuréslongtemps l’objet principal du commerce extérieur, il y avait néan-moins maintes années où la Gallice, la Lusitanie, et surtout l’Asturie,
1 Les fondements de cette évaluation sont contenus dans le onzième chapitre de monEssai politique sur le royaume de la Nouvelle-Espagne, t. III, p. 400.L’exploitation relative de l’or était alors 1,300 kil. et 17,300 kil. L’exploitation relativeen argent était 52,700 kil. et 795,600 kil.2 Otfr. Muller, Histoire des tribus helléniques, t. I, p. 115. Mine de l’or près de SkapteHyle. (Boekh, Corp. inscript., t. I, p. 219.)3 Voyez, sur un sujet si souvent traité, un écrit rédigé avec une critique philologiqueremarquable du docteur Keil, à Dorpat: De la navigation vers Ophir et Tarsis 1834,p. 61, 70.
|371| fournissaient 20,000 livres d’or 1, c’est-à-dire presque autant que leBrésil à l’époque la plus florissante de son exploitation. Rien d’éton-nant, par conséquent, si la péninsule ibérique, visitée de bonneheure, acquit par les Phéniciens et les Carthaginois la réputationd’un El-Dorado occidental. Il est hors de doute qu’en beaucoup d’en-droits, qui ne montrent plus aujourd’hui que de faibles traces métal-liques, le sol primitif était autrefois tout près de la surface couvert decouches de sable aurifère ou parsemé de débris de mine d’or ren-fermés dans un minerai solide et massif. L’importance locale de cesmines de l’Europe méridionale est incontestable; mais, comparative-ment à l’Asie, leur production métallique était faible. Cette dernièrepartie du monde resta longtemps la source principale des métauxprécieux, et la direction 2 du courant qui apportait l’or en Europe nepouvait être que de l’est à l’ouest.
Mais l’Asie elle-même, c’est-à-dire le bruit répandu au moyen âgepar des voyageurs de l’existence d’immenses trésors au Zipangou(Japon) et dans l’archipel méridional, produisit un changement subitdans la direction de ce courant métallique. L’Amérique fut décou-verte, non, comme on l’a dit à tort si longtemps, parce que Colombaurait pressenti l’existence d’un autre continent, mais parce qu’ilcherchait par l’occident un chemin plus court vers le Zipangou, siriche en or, et vers les pays d’épices au sud-est de l’Asie. La plusgrande erreur géographique (à savoir l’idée de la proximité de l’Es-pagne et de l’Inde) conduisit à la plus grande découverte en géogra-phie. Christophe Colomb et Améric Vespuce sont tous les deux mortsavec la ferme conviction d’avoir touché l’Asie orientale (l’Inde desbords du Gange, la péninsule où se trouve Cattigara); c’est pour-quoi il ne pouvait s’élever entre eux aucune contestation pour lagloire de la découverte d’un nouveau continent. A Cuba, Colomb voulut délivrer au grand khan des Mongols leslettres de son souverain. Il se croit dans le Mangi, la partie méridio-nale du Cathay (Chine): il cherche Quinsay, la ville céleste décritepar Marco-Polo, aujourd’hui Hang-tchen-Fou. «L’île Espanola(Haïti), écrit Colomb au pape Alexandre VI 3, c’est Tarsis, Ophir et
1 Boekh, Economie politique, t. I, p. 15. Le port de Carthage même renferme du sabled’or que rejette la mer Méditerranée, entre le fleuve Miliana et le cap Sidi-Bou-Saïd.Les habitants, qui sont pauvres, mettent encore aujourd’hui ce sable d’or à profit. Du-reau de la Malle, Recherches sur la topographie de Carthage, 1835, p 251.2 Letronne, p. 105 et 123.3 Lettre du mois de février 1502, tirée des archives du duc de Varaguas. Le troisièmevoyage, dans lequel le continent méridional de l’Amérique fut découvert le 1er août 1498(treize mois après la découverte du continent septentrional, par Sébastien Cabal), et lequatrième voyage, qui donna les premiers renseignements sur une côte occidentale dunouveau pays, ne firent que confirmer le vieil admiral dans son opinion qu’il avait pré-conçue. Ce n’est point par confusion d’idées que, dans sa lettre au pape et conformémenta l’inclination qu’il avait á montrer une certaine érudition biblique, il représente lesnoms Tarsis, Ophir et Zipangou, comme synonymes de Santo-Domingo; mais cela tient,
|372| le Zipangou. Dans mon second voyage j’ai découvert 1,400 îles et unterrain de 333 milles dépendant du continent de l’Asie (de la tierrafirme de Asia).» Ce Zipangou indo-occidental produisait des galetsaurifères (pepitas de oro) pesant 8, 10 et jusqu’à 20 livres.
L’Amérique, nouvellement découverte, devint, à partir de ce mo-ment, la source principale des métaux précieux. Le nouveau courantse dirigea d’occident en orient; bien plus, il traversa l’Europe,parce que, par suite du développement du commerce, depuis que lesnavigateurs avaient fait le tour de l’Afrique, il fallut donner à l’Asieméridionale et orientale un équivalent plus considérable en échangedes épices, de la soie et des matières colorantes. L’Amérique, avant la découverte des mines d’argent de Tasco surle penchant occidental des Cordilières mexicaines (1522), ne four-nissant que de l’or, la reine Isabelle de Castille se voit déjà obligée,en 1497, de modifier considérablement le rapport légal des deux mé-taux précieux. L’édit monétaire de Medina 1, dont la date est si recu-lée, et auquel jusqu’à présent on attachait si peu d’importance, nepeut s’expliquer que par cette circonstance et par l’accumulation del’or sur un petit nombre de points en Europe. J’ai cherché ailleursà démontrer que, depuis 1492 jusqu’en 1500, toute la quantité d’ortirée des parties du Nouveau-Monde alors découvertes, s’élevait àpeine, dans les années moyennes, à 2,000 marcs. Le pape Alexan-dre VI, qui s’imaginait avoir donné une moitié de la terre aux Es-pagnols, reçut en retour, en présent de Ferdinand le Catholique, depetits galets d’or provenant d’Haïti, «comme les prémices des fruitsdu pays nouvellement découvert», pour dorer le magnifique dôme(soffitto) de la basilique de Santa Maria Maggiore. Une inscriptionfait mention du métal, quod primo catholici reges ex India recepe-rant. Si grande était alors l’activité du gouvernement espagnol, quedéjà, en 1495, comme l’a montré l’historien Munoz, un mineur, Pa-blo Belvis, fut envoyé à Haïti avec une provision de mercure pouraccélérer le lavage de l’or par l’amalgame. Ce qui est très-frappant,c’est qu’on lit, dans une partie récemment découverte et publiée ily a peu de temps, de la Géographie du shérif Edrisi 2, «que les nè-
comme on le voit par d’autres écrits de Colomb, à des idées systématiques. Il considé-rait, non pas précisément l’Inde, mais bien le Japon (Zipangou) pour l’Ophir de Salomon,qu’il nomme aussi quelquefois Sopora (d’après les formules employées par Joseph deSopheira et Saphera). Il regardait Tarsis (Tarschich) non comme le Tartessus ibérique,mais, à la suite des septante et de beaucoup de théologiens du moyen âge,comme un nom commun. La navigation de Salomon n’était pas à ses yeux une navigationdouble ayant pour point de départ la mer Rouge et la Méditerranée. Elle n’avait d’autrepoint de départ que l’Aziongaber. Colomb connaissait le Quinsay par une lettre de Tosca-nelli et non par Marco-Polo, qu’il ne nomme jamais, quoique le contraire ait été sou-tenu jusqu’ici.1 Memorias de la Real Acad. de la Historia, t. VI, p. 525. L’édit de Médine changeal’ancien rapport légal 1:10 7/10.2 Voyez la traduction française d’Amédée Jaubert (Paris, 1836), t. I, p. 42 et 67. Les
|373| gres de l’intérieur de l’Afrique occidentale, aussi bien que les habi-tants de la terre basse et fertile appelée Wadi el Alaki (entre l’Abys-sinie, Badja et la Nubie), extrayaient le sable d’or à l’aide du mercure.Le géographe nubien parle, au milieu du douzième siècle, de cemode d’extraction, comme d’une chose connue depuis longtemps.Cette connaissance se serait-elle communiquée de l’Orient, à traversl’Egypte, au pays noir (Chemi), adonné à l’art de la décomposition, àl’Afrique? L’antiquité grecque et romaine fait bien mention d’un em-ploi très-fréquent du mercure pour enlever l’or attaché aux fils devieux galons, mais jamais elle ne parle d’un emploi technique engrand du mercure dans les descriptions détaillées qu’elle nous donnesi souvent du lavage de l’or.
(La suite à un prochain numéro.)

deux pages manquent dans le manuscrit qui servit de base à la traduction latine deSionita.
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MÉMOIRESURLA PRODUCTION DE L’OR ET DE L’ARGENT,CONSIDÉRÉEDANS SES FLUCTUATIONS.(Suite 1.)


C’est plutôt la découverte de sources nouvelles et abondantes quela disparition des anciennes, qui a modifié le rapport de la valeur del’or et de l’argent à un moment donné. C’est à cette raison, et posté-rieurement à la découverte des grandes Antilles, qu’il faut attribuerl’élévation nouvelle du prix de l’or vers le milieu du seizième siècle,lorsque les riches mines d’argent de Potosi et de Zacatecas furent ou-vertes dans le Pérou et dans le nord du Mexique. Il résulte de recher-ches que j’ai faites avec soin, que l’importation de l’or américain fut;quant au poids, à celle de l’argent dans le rapport de 1:65 jus-qu’aux premières années du dix-huitième siècle, où commença le la-vage de l’or au Brésil. Au moment actuel, si l’on embrasse d’uncoup d’œil l’ensemble du commerce métallique de l’Europe, ce rap-port n’est pas plus élevé que celui de 1 à 47; c’est du moins le ré-sultat que fournit la comparaison 2 des quantités des deux métaux quise trouvent simultanément en Europe à l’état monnayé. Les donnéesque donne l’ouvrage, en d’autres points si excellent d’Adam Smith,sont d’une grande inexactitude; bien plus, quant au rapport dontnous venons de parler, elles sont fausses pour plus d’une moitié. Dansle commerce, la valeur relative de l’or et de l’argent en Europe parmiles peuples civilisés et qui se trouvent en relation immédiate les unsavec les autres, oscilla, dans les cent premières années qui s’écoulèrentdepuis la découverte du nouveau continent, entre 1:10 7/10 et 1:12,et, dans les deux derniers siècles, entre 1:14 et 1:16. Cette fluc-tuation est loin de dépendre uniquement des quantités relatives desdeux métaux, qui sont extraites annuellement du sein de la terre. Lerapport de la valeur des deux métaux se trouve bien vite modifié par
1 Voir le numéro de mars, numéro 76, t. XIX.2 Voyez un Essai politique, t. III. p. 400, 436, 448 et 463. Jacob, Prec. metals, t. II,p. 187. Le résultat trouvé par moi a été éclairci avec une pénétration profonde par Say(Traité d’économie politique, t. II, 4, 3, chap. 10), au moyen d’analogies tirées du com-merce des marchandises.
|78| les frais d’exploitation, par la demande ou les besoins des consomma-teurs, par le frai plus ou moins grand, par l’emploi des métaux àla confection de vases ou d’autres marchandises métalliques. L’actionsimultanée de tant d’éléments, jointe à la facilité avec laquelle les mé-taux se meuvent au milieu du commerce si général et si rapide dumonde, et à l’immense quantité de métaux accumulée en Europe,empêche aujourd’hui qu’une oscillation partielle, dans la valeur rela-tive de l’or et de l’argent, puisse être très-grande ou durer long-temps. C’est ce dont on a pu se convaincre à chaque interruptionsoudaine dans la production, comme, par exemple, lors de la révolu-tion dans l’Amérique espagnole; ou bien dans le cas de l’emploi ex-cessif de l’un des métaux précieux pour les besoins d’un hôtel demonnaies en grande activité. Pendant les dix années qui s’écoulèrentde 1817 à 1827, il a été converti en monnaie, en Angleterre, plusde 1,294,000 marcs d’or, et cet achat d’or n’a pourtant fait monter lerapport de l’or à l’argent, à Londres 1, que de 1:14,97 à 1:15,60.La valeur d’échange de l’or par rapport à l’argent est, depuis cetemps, peu descendue. On achetait encore, à la fin de l’année 1837,à Londres, une livre d’or pour 16 65/100 livres d’argent. Nous four-nirons bientôt des éléments numériques pour la solution d’un pro-blème où l’on se proposerait de déterminer quelles modifications ilfaudrait attendre de l’action graduelle et simultanée de l’exploitationdes mines récentes de l’Oural et de celles de l’Amérique septen-trionale.
La masse de métaux précieux qui est arrivée en Europe depuis ladécouverte de l’Amérique jusqu’au commencement de la révolutionmexicaine, monte pour l’or à 10,400,000 marcs de Castille(2,381,600 kilogrammes), pour l’argent à 533,700,000 marcs ou122,217,300 kilogrammes, et ensemble à une valeur de 5,940 mil-lions de piastres. L’argent tiré, dans cet intervalle, du sol américain,est, d’après cette évaluation, calculé selon la valeur intrinsèque de lapiastre, c’est-à-dire au taux de 0,903; c’est pourquoi ces 122,217,300kilogr. d’argent piastre ne font que 110,362,222 kilogr. d’argentfin. Ils formeraient une sphère d’argent fin qui aurait 83 7/10 piedsde Paris 2. Une telle réduction, quant à la forme et à la gran-deur, est aussi admissible que d’autres évaluations figuratives ana-
1 Voyez le nouvel et excellent ouvrage de J.-G. Hoffmann, intitulé: Lehre vom Gelde(Science monétaire), 1838, p. 7.2 Cette sphère représente la masse d’argent fin qui est venue d’Amérique enEurope dans l’espace de 318 ans, de 1492 à 1809. Le marc de Castille vaut 0,229 kil.La pesanteur spécifique de l’argent = 10,474. Des deux évaluations sphériques analoguesque contient la deuxième édition de mon Essai politique sur le royaume de la Nouvelle-Espagne (t. III, p. 418 et 459), mais qui n’expriment que la masse d’argent de l’époquequi s’est écoulée de 1492 à 1830, en argent du titre fin de la piastre et en argent pur,la première est exacte; dans la seconde il faut lire 26 37/100 au lieu de 20 47/100 mètresde diamètre.
|79| logues. Quand on compare le résultat de la production en argent del’Amérique espagnole, pendant la période de 318 ans, avec le résul-tat de la production en fer de quelques Etats européens pris isolé-ment pendant une année, on obtient, d’après l’estimation de notreami, M. de Dechen, géognoste distingué, des sphères en fer pur(forgé) pour la Grande-Bretagne, d’un diamètre de 148 pieds deParis, pour la France de 111, pour la monarchie prussienne de 76;tant est grande la différence des quantités des deux métaux, l’argentet le fer, qui se trouvent dans la partie de l’écorce de la terre oùl’homme peut pénétrer 1.
Tandis que le courant de l’or et de l’argent allait de l’occidentvers l’orient, il ne fit que passer à travers l’Espagne. Il n’en restaqu’une petite quantité parmi la nation, encore moins dans le trésordes rois. Ferdinand le Catholique (suivant ce qu’écrit peu de joursaprès la mort du grand monarque, son admirateur et son ami An-ghiera) mourut si pauvre, que l’on ne sut comment se procurerl’argent nécessaire pour vêtir convenablement les serviteurs qui de-vaient accompagner le convoi. Voici ce remarquable passage de salettre 2 à l’évêque de Tuy: «Madrigalegium villulam regis tibi alias«descripsi. Tot regnorum dominus, totque palmarum cumulis or-«natus, christianæ religionis amplificator et prostrator hostium,«rex in rusticana obiit casa, et pauper contra hominum opinionem«obiit. Vix ad funeris pompam et paucis familiaribus præbendas«vestes pullatas, pecuniæ apud eum, neque alibi congestæ, repertæ«sunt, quod nemo unquam de vivente judicavit.» Ranke, danssa dissertation sur les finances espagnoles, a traité des embarras pé-cuniaires de Charles V 3. L’ingénieux historien a complété et confirmépar de nouveaux documents les preuves officielles 4 que j’ai données
1 L’évaluation pour la Grande-Bretagne s’applique à la moyenne de la production dufer brut pendant les années 1828-1830 (M’Culloch, Dict. of commerce, 1834, p. 736). Lasomme moyenne est de 617,352 tonnes, ou 12,149,487 quintaux de Prusse. Le diamétred’une sphère de fer brut pour la production d’une année serait par conséquent de 175pieds de Prusse, ou de 169 pieds de Paris. Le fer brut fournit, lorsqu’il est convertien barres, 5/7 de son poids. Pour la France, on a admis comme production,pendant l’année 1835 (Résumé des travaux statistiques, p. 61) 2,690,636 quintauxmétriques de fer brut, — 5,227,905 quintaux de Prusse. Dans les États prussiens,d’après des statistiques officielles, la production en fer brut de l’an 1836 fut de1,651,598 quintaux.2 Petri Mart. Epist. lib. XXIX, n°556 (XXIII, Jan. 1516). Neuf années plus tard, les lavoirsétaient déjà épuisés à Hispaniola. Le sucre et le cuir sont seuls mentionnés commearticles d’exportation. Tres habemus ab Hispaniola naves (écrit encore Anghiera) saccareispanibus et coriis boum onustas (Epist. n° 806, Cal. Martii 1525). Ce passage est impor-tant pour l’histoire du commerce, attendu que la première canne à sucre ne fut plantéeà Saint-Domingue qu’en 1520, par Pedro Atienza.3 Ranke, Fuersten und Voelker von Sud-Europa, t. I, p. 347-355.4 Essai politique, t. III, p. 361-382, 421-428. L’exploitation des mines ne fournit pas3 millions de piastres par an jusqu’en 1545. La rançon d’Atahualpa s’éleva, suivant Go-mara, à 52,000 marcs d’argent, et le butin (le pillage des temples à Cuzco), d’après Her-rera, à une valeur de 25,700 marcs d’argent seulement.
|80| de la faible quantité de métaux précieux que les mines américaineset les prétendus trésors des Incas ont fournie.
Une connaissance plus exacte de l’histoire de la production métal-lurgique ou de la découverte graduelle de grandes couches métalli-ques dans le Nouveau-Monde, nous apprend pourquoi la baisse de lavaleur des métaux précieux ou (ce qui est la même chose), la haussedes prix du blé et des autres produits indispensables du sol et del’industrie humaine, se fit sentir le plus vivement vers le milieu duseizième siècle seulement, et surtout de 1570 à 1595. C’est alorsseulement que les masses d’argent des mines de Tasco, de Zacatecas etde Pachuca, dans la Nouvelle-Espagne, de Potosi, de Porco et d’Orurodans la chaîne des Andes péruviennes, commencèrent à se répartird’une manière plus égale dans l’Europe, à influer sur les prix du blé,de la laine brute et des marchandises manufacturées. L’ouvertureet l’exploitation véritable des mines de Potosi par les conquistadoresespagnols date de l’an 1545, et le sermon célèbre que l’évêque La-timer prononça devant le roi Edouard VI 1, et dans lequel il exprimasa colère contre la hausse des prix de tous les objets de première né-cessité, date du 17 janvier 1548. Les lois sur les céréales, promul-guées en Angleterre de 1554 à 1688, révèlent mieux encore, s’il sepeut, que le prix des céréales, recueilli par Fleetwood, Dupré deSaint-Maur, Garnier et Lloyd, l’accumulation des métaux. L’expor-tation du blé, comme on sait, n’est autorisée que quand le prixd’une certaine mesure atteint un taux déterminé par la loi. Eh bien,cette limite fut, sous la reine Marie, en 1554, 6 schellings parquarter; sous Elisabeth, en 1593, environ 20 schellings, et, en l’an1604, sous Jacques Ier, de plus de 26 schellings. Ces chiffres sont as-surément d’une grande importance, mais leur explication exige unecirconspection toute particulière, attendu que le problème des prixdes céréales, et même de tous les prix, est un problème très-compli-qué, et que la législation de chaque époque se ressent des opinionsthéoriques très-variables, de l’influence de la noblesse, propriétairedu sol, et même de l’accumulation inégale d’argent et de marchan-dises sur des points divers. En outre, les changements de tempéra-ture (la chaleur moyenne des mois de printemps et d’été) qui favo-risent la culture des céréales ne s’étendent pas en même temps à toutel’Europe agricole. Les progrès mêmes de cette culture, le meilleuremploi des forces productrices de la terre, modifient les prix. L’ac-croissement considérable de la population et le développement desrelations commerciales qui en résulte, augmentent la demande desmétaux. Ainsi, à côté de la mesure que l’on cherche et que l’on croittrouver dans les prix variables des céréales, on a encore à tenir comptede deux grandeurs qui peuvent se modifier simultanément. La hausse
1 Jacob, On precious metals, t. II, p. 77, 132 et 138.
|81| des prix des céréales n’exprime pas même pour un pays pris isolé-ment l’accroissement proportionnel de la quantité d’or et d’argent,pas plus qu’elle ne nous instruit de l’état général de la température et(d’après l’hypothèse d’un grand astronome) de la quantité des tachesdu soleil. Nous manquons absolument de données synchroniques quiembrassent une grande partie de l’Europe, et des recherches exactesont montré que, dans l’Italie supérieure, par exemple, la hausse desprix du froment, du vin et de l’huile a été beaucoup plus faible 1entre le quinzième et le seizième siècle qu’on n’aurait été en droit del’attendre d’après ce qui nous est connu de l’Angleterre, de la Franceet de l’Espagne 2, où les prix des céréales se sont élevés au quadrupleet jusqu’au sextuple. Il ne sera pas inutile de mentionner ici un ré-sultat numérique fondé sur les prix moyens pendant une période dequatorze ans dans toute la monarchie prussienne. Ce tableau a étécalculé avec le plus grand soin, à ma prière, par le directeur de notrebureau de statistique, M. le conseiller intime Hofmann. En l’année1838, pendant laquelle on achète, à Berlin, pour une livre d’or 159/15 livres d’argent pur, 1,611 livres de cuivre et près de 9,700 li-vres de fer, la livre d’or, d’après des moyennes de 18 16/29 et 1824/37, vaut également 20,794 livres de froment, 27,655 livres deseigle, 31,717 livres d’orge, et 32,626 livres d’avoine 3.

1 Gianrinaldo Carli, oper, t. VII, p. 190. Savigny, Geschichte des Rechts, t. III, p. 567.Les renseignements sur les prix des objets dans l’Europe méridionale atteignent très-certainement le quatorzième siècle, puisqu’en 1321, Marino Sanuto présenta au papeJean XXII l’évaluation des dépenses d’une croisade qui devait détourner tout le com-merce de l’Orient. Dans cette estimation des dépenses aussi bien que dans les prix four-nis par Balducci Pegoletti, le titre en argent des monnaies est susceptible d’être déter-miné avec plus de soin qu’il ne l’a été jusqu’ici par ceux qui se sont occupés de la sciencedes marchandises et de l’histoire du commerce.2 Elemencin, dans les Mem. de la Academia real de Historia, t. VI, p. 553. Les blés(trigo) de Vanega coûtaient en Espagne, de 1406 à 1502, en moyenne, 10 réaux; de 1793à 1808, 62 réaux, la monnaie étant réduite au même titre d’argent. Ce résultat concordeavec les recherches de Say sur les prix des céréales en France (Traité d’Economie poli-tique, t. I, p. 352). Au temps de la Pucelle d’Orléans, sous Charles VII, l’hectolitre deblé (du poids de 75 kil.) était descendu au prix de 219 grains d’argent. Le prix moyen,peu de temps avant la découverte de l’Amérique, était de 268 grains; il s’éleva déjà à333 grains en 1514; sous François Ier, à 731; sous Henri IV, jusqu’à 1130 grains d’ar-gent. Lavoisier trouvait que de 1610 à 1789 les grains s’étaient élevés dans un rapportde 1130 à 1342 grains. En l’an 1820, un hectolitre coûtait, en France, 1610 grains d’ar-gent, en comptant 9,216 de ces grains dans une livre, ou 0,489 kil. (Voyez aussi Le-tronne, Considérations générales sur les monnaies grecques, p. 118-123.) En remontantle moyen âge, nous trouvons une hausse dans le prix des céréales. Au temps de Va-lentinien III, en l’an 446, l’hectolitre vaut 344 grains d’argent, et à la fin de la répu-blique, du temps de Cicéron, jusqu’à 528 grains. Les résultats de Dureau de la Malledonnent des prix encore plus élevés (Comptes-rendus de l’Instit., juillet 1838, p. 84).3 Voici les bases de cette importante donnée: au bureau statistique de Berlin, on enre-gistre, chaque mois, les prix de marché des quatre principales espèces de froment detoutes les parties de la Prusse, et l’on en prend les moyennes pour chacune des pro-vinces, considérée à part. De toutes ces moyennes on tire, à la tin de l’année, des prixmoyens pour toute l’année, et de la suite de ces prix moyens on déduit des moyennes
|82| Les craintes qui, â l’apparition de l’ouvrage de Jacob (On preciousmetals), ouvrage de grande valeur et qui n’a pas trouvé en Allema-gne l’attention qu’il méritait, s’étaient répandues à cause de la dimi-nution de l’importation des métaux précieux provenant du nouveaucontinent, ne se sont pas réalisées. La production métallique, tombéesi bas de 1809 à 1826, s’est pourtant, malgré l’état de trouble del’Amérique espagnole, élevée de nouveau aux trois quarts de cequ’elle était à l’époque où je quittais ces pays. Dans le Mexique, d’a-près les nouvelles les plus récentes que je dois aux soins du chargéd’affaires prussien, M. de Gerolt, l’exploitation s’est même élevée à20 et jusqu’à 22 millions de piastres, résultat auquel ont contribuéle plus, outre Zacatecas, les mines récemment exploitées de Fresnillo,de Chihuahua et de Sonora. Dans la dernière époque paisible de la domination espagnole, je nepouvais non plus estimer le rapport moyen des mines du Mexique,qu’â 23 millions de piastres (environ 537,000 kilog. d’argent et1,600 kilog. d’or). Le contrôle était plus facile alors, parce qu’il n’yavait plus qu’un seul hôtel central des monnaies, et que des lois sé-vères restreignaient le commerce à un petit nombre de ports. Dansaucun autre lieu du monde l’activité n’était alors plus grande quedans cette monnaie centrale du Mexique, qui a livré en or et en ar-gent indigènes, de 1690 à 1803, pour 1,353 millions de piastres,et, depuis la découverte de la Nouvelle-Espagne 1 jusqu’à l’affran-
de quatorze ans, moyennes calculées de telle sorte que, parmi les prix des quatorzeannées subséquentes, on retranche, chaque fois, les deux prix les plus élevés et les plusbas, et que l’on additionne les dix prix restants: le dixième de cette somme est alors re-gardé comme le prix moyen des quatorze années que l’on a considérées. De ce travail,qui embrasse de 1816 à 1837, il ressort pour le boisseau de Prusse les valeurs suivantes:
  • Blé...... 1 thaler 23 silbengroschen 10 5/9 pfennig.
  • Seigle.... 1 » 8 » 1 5/9 »
  • Orge .... 1 » 28 » 8 1/9 »
  • Avoine .. 1 » 21 » 8 1/3 »
Les points correspondants aux quatre espèces de céréales sont pour le boisseau 1 livrede Prusse (à 2 marcs de Cologne) 85, 80, 69 et 52. La livre d’or est évaluée en monnaied’argent de Prusse à 439 thalers 11 silbergroschen 6 6/13 pfennig. La comparaison desdeux périodes 18 16/29 et 18 24/37 montre une baisse des prix des céréales dans lesEtats prussiens, de 14 2/7 pour 100 pour le blé; de 11 1/2 pour le seigle, de 12 pourl’orge, et de 11 13/17 pour l’avoine; diminution de prix que l’on doit attribuer, en très-grande partie, à l’accroissement de production et au meilleur emploi du sol. Le progrèsde la culture s’applique aux céréales qui ont une valeur plus élevée. (Dieterici, Ueber-sicht des Werkehrs, 1838, p. 474). Je considère ici cette diminution de prix comme en-tièrement indépendante de l’influence ou de l’écoulement des métaux précieux.
1 Ce n’est que cette année que M. Ternaux Compans, dans sa Collection extrêmementintéressante des Mémoires originaux pour servir à l’histoire de la découverte de l’Amé-rique (Conquête du Mexique, p. 451), a publié une liste officielle des sommes envoyées,de 1522 à 1587, par les vice-rois de la Nouvelle-Espagne à la mère patrie. Je n’ai pastrouvé cette liste aux archives du Mexique. Elle est très-remarquable et montre que mesdonnées antérieures sur la production métallique du Mexique, de 1521 à 1600 (Essai po-litique, t. III, p. 414), étaient plutôt encore un peu trop elevées. Une opinion contraireavait été, il y a peu de temps, exprimée fréquemment. Depuis l’administration de Fer-
|83| chissement du pays, environ 2,028 millions de piastres, c’est-à-dire les deux cinquièmes de tous les métaux précieux que l’Amériquetout entière a écoulés pendant le même temps vers l’ancien conti-nent.
Ce que, par suite du découragement produit par des essais infruc-tueux, l’on allègue sur le prétendu épuisement des richesses miné-rales du Mexique, est en contradiction avec la connaissance géognos-tique du pays, et même avec les expériences les plus récentes. L’éta-blissement monétaire de Zacatecas seul a frappé, pendant les tempsd’agitation qui se sont écoulés de 1811 à 1838, plus de 66,332,000piastres avec 7,758,000 marcs d’argent, et dans les onze dernièresannées (de 1822 à 1833), il a livré sans interruption de 4 à 5 mil-lions de piastres:
  • 1829.......... 4,505,108 piastres.
  • 1830.......... 5,189,902 —
  • 1831.......... 4,469,450 —
  • 1832.......... 5,012,000 —
  • 1833.......... 5,720,000 —
(La fin à un prochain numéro.)

nand Cortez jusqu’à l’an 1552, où les mines de Zacatecas s’ouvrirent seulement, l’ex-portation s’éleva rarement en un an à 100,000 pesos. A partir de cette époque, elle estdans un mouvement de hausse rapide. Dans les années 1569, 1578 et 1587, elle fut déjàde 931,564, de 1,111,202 et de 1,812,051 pesos de oro. Les sommes sont calculées nond’après nos piastres, mais d’après ces pesos de oro. Voyez l’ouvrage instructif de M. Jo-seph Burkart: Aufenthalt n. Reisen in Mexico in den Iahren 1824 bis 1834, Premièrepartie, p. 360 et 385; deuxième partie, p. 74 et 152.
|129|

MÉMOIRESURLA PRODUCTION DE L’OR ET DE L’ARGENT,CONSIDÉRÉEDANS SES FLUCTUATIONS.


(Suite et fin 1.)

A Zacatecas, une seule veine, la Veta-Grande, qui est exploitéedepuis le seizième siècle, et qui jusqu’en 1738 fournit souvent enune année jusqu’à 3 millions de piastres, a mis en circulation lesmasses métalliques suivantes:
  • 1828.......... 117,268 marcs d’argent.
  • 1829.......... 235,741 ——
  • 1830.......... 279,288 ——
  • 1831.......... 272,095 ——
  • 1832.......... 258,498 ——
  • 1833.......... 209,192 ——
Guanaxuato, qui, il est vrai, fournissait déjà précédemment etde mon temps jusqu’à 755,000 marcs d’argent par année, est, parcontre, dernièrement descendu jusqu’au delà de la moitié de cetteproduction. Voici son revenu:
  • 1829.. En or: 852 marcs; en argent: 269,494 marcs.
  • 1830.. — 1,058 — — 284,386 —
  • 1831.. — 622 — — 258,500 —
  • 1832.. — 1,451 — — 300,612 —
  • 1833.. — 1,144 — — 316,024 —
Quand enfin ces magnifiques contrées, favorisées sous tant de rap-ports par la nature, jouiront de la paix, après une longue fermenta-tion, après une profonde agitation intérieure, de nouvelles couchesmétalliques seront nécessairement mises à nu et ouvertes par suite
1 Voir les numéros 76 et 78, mars et avril, t. XIX et XX.
|130| du développement de la culture du sol. Dans quelle région de laterre, en dehors de l’Amérique, peut-on produire des exemplesd’une richesse en argent aussi grande? Qu’on n’oublie point que prèsde Sombrerete, où quelques mines furent ouvertes déjà en 1555, lafamille Fagoaga (Marquès del Apartado) a tiré, dans l’espace de cinqmois, dans une étendue de terrain de seize toises (quatre-vingt-seizepieds), des premiers extraits d’une mine d’argent, un profit net de4 millions de piastres, et que dans le district minier de Catorce, dansl’espace de deux années et demie (1781-1783) dans un terrain pleinde mines d’argent corné (chlorures d’argent) et de colorados, quele peuple appelait la bourse de Dieu le père, (la bolsa de Dios padre),un ecclésiastique, Juan Flores, fit également un gain de 3 millionset demi de piastres.
Le produit de l’or dans l’Amérique espagnole et portugaise adiminué dans une proportion beaucoup plus grande que le produitde l’argent; mais cette diminution date d’une époque de beaucoupantérieure aux révolutions politiques des régions tropicales. J’ai déjàdéveloppé, en un autre endroit, dans quelle erreur on avait été jus-qu’au commencement de ce siècle sur la durée de la richesse deslavoirs brésiliens, comment on a confondu l’état florissant de cetteexploitation (de 1752 à 1773) avec l’état postérieur 1. Le rapportdu Bullion committee 2, si important pour l’histoire du commerce, acommencé à jeter quelques lumières sur ce sujet. Je dois les rensei-gnements les plus sûrs aux communications privées de l’ancien direc-teur général des mines, baron d’Eschwege. L’ouvrage de Jacob surles métaux précieux ne renferme que des additions de peu d’impor-tance 3. De 1752 à 1761, l’exploitation de l’or des Minas Geraes,payant le cinquième, oscilla entre 6,400 et 8,600 kil. (L’arrobaportugaise vaut, d’après Franzini, 14,656 kilog.) L’exploitation estassurément très-considérable et de beaucoup supérieure à la produc-tion actuelle de l’Oural et de l’Altaï; mais il faut se rappeler qu’en1804, l’Amérique espagnole également donna près de 10,400 kilog.d’or, à savoir:
  • Nouvelle-Grenade........... 4,700 kilog.
  • Chili................. 2,800
  • Mexique............... 1,600
  • Pérou................ 780
  • Buénos-Ayres............. 500
  • 10,380 kilog.

1 Essai politiq., t. III, p. 448-452.2 Report of the Bullion Committee of 1810, Append., 17-22.3 T. II, p. 265 et 395.
|131| La production des Minas Geraes était déjà tombée pendant les an-nées moyennes de 1785 à 1794, à 3,300 kil., de 1810 à 1817, à1,600 kilog., de 1818 à 1820, à 428 kilog. L’assertion de M. lechevalier de Schaeffer, suivant laquelle, en 1822, on ne fournit que24 arrobas (350 kilog.) au haut fourneau de Villa-Rica, concordeavec le résultat énoncé plus haut. Depuis ce temps, l’exploitation desmines d’or du Brésil paraît s’être relevée un peu par l’industrie dequelques compagnies anglaises; mais ce qui a contribué à la déca-dence du lavage de l’or plus que l’épuisement des couches de mi-nerai, c’est le penchant à la culture des produits coloniaux, quefavorisa l’infâme traite des noirs qui dure toujours. Le commerceinterlope a pris une telle extension au Brésil, qu’il serait à souhaiterqu’un indigène connaissant parfaitement la situation du pays, voulûtse charger du soin d’approfondir le rapport général de la productionannuelle en or depuis 1822. C’est un fait digne de remarque, dans l’histoire de l’exploitation desmines par des Européens, que, depuis que l’exploitation de l’or dansle Brésil est tombée si bas, cette production se soit élevée à une hau-teur inattendue dans l’Asie septentrionale et dans la partie méridio-nale des Etats-Unis de l’Amérique du Nord (d’une manière passa-gère, il est vrai, dans cette dernière contrée), La chaîne de l’Oural(Meridianviette) se prolongeant sous le même méridien, comme un mur,depuis l’Oust-Ourt dans la partie septentrionale de l’isthme de Truch-mène jusque vers la mer Glaciale, et même, suivant les belles observa-tions du botaniste Alexandre Schrenk et de M. Baer, jusqu’aux îlesde Waïgatz et à la Nouvelle-Zemble, produit du minerai d’or dans unelongueur de près de 17 degrés de latitude. Si dans les années 1821 et1822 l’Oural ne fournissait encore que 27 à 28 pouds d’or (440 à456 kilog.), le rapport du sable d’or de l’Oural s’éleva déjà, pendantles trois années suivantes, 1823, 1824, 1825, successivement à105, 266 et 237 pouds. D’après le tableau des métaux précieux re-cueillis dans l’empire russe et obtenus purs de tout alliage, à l’Hôteldes monnaies de Saint-Pétersbourg, tableau qui m’a été transmismanuscrit par le comte de Cancrin, ministre des finances de Russie,la production de l’or était:
En 1828...... 290 pouds. 39 livres.
1829...... 289 — 25
1830...... 347 — 27
1831...... 352 — 2
1832...... 380 — 31
1833...... 368 — 27
1834...... 363 — 10
Lorsque, sur l’ordre de l’empereur Nicolas, j’exécutai avec mes amis|132| Gustave Rose et Ehrenberg, mon expédition dans l’Asie septentrionale,l’exploitation de l’or par le lavage était restreinte à la partie de lachaîne de l’Oural qui sert de limite à l’Europe. L’Altaï (en mongol,la chaîne de montagnes d’or, Altaiin-Oola 1), ne fournissait que lapetite quantité d’or (environ 1,900 marcs) qui pouvait être extraitedu minerai d’argent, contenant aussi de l’or (70,000 marcs), desriches mines de Schlangenberg ou Smeïnogorsk, de Ridderski et deSyrianowski. Mais depuis 1844, ce résultat a été amplement com-pensé dans cette partie moyenne de la Sibérie. On a découvert descouches de sable d’or (galets) tout à fait pareilles à celles du penchantde l’Oural. La maison Popof, dont l’influence a été si avantageuse audéveloppement du commerce de l’Asie intérieure, a donné encore iciun exemple louable. Des 398 pouds d’or (27,844 marcs) que l’em-pire russe tout entier fournit 2 en 1836, 293 pouds 26 livres pro-venaient de l’Oural, et 104 pouds 15 livres de l’Altaï. L’annéesuivante, en 1837, l’exploitation de la Sibérie orientale s’était déjàélevée si haut, que l’Altaï donna 130 pouds d’or lavé; l’Oural (dansles lavoirs impériaux et particuliers), 309 pouds. Si l’on ajoute àces sommes 30 pouds d’or, qui furent extraits des minerais friablesen couche continue de l’Altaï et de Nertschinsk, on trouve pour ré-sultat exact de toute la production d’or de la Russie en l’an 1837,469 pouds ou 7,644 kil. d’or. Les lavoirs d’or de l’Oural se trou-vent donc dans une période de décadence très-lente, mais l’Altaïajoute à la masse totale une quantité si grande que son exploitationest déjà, comparativement à celle de l’Oural, comme 4:9 1/2. Ce n’est que depuis fort peu de temps que nous avons eu des ren-seignements sur l’extraction proprement dite des lits de sable d’or,par un géognoste très-distingué, mon ancien compagnon de voyagedans l’Oural méridional, M. de Helmersen. L’or lavé que l’on re-cueille depuis quelques années, en quantité toujours croissante, dansla partie orientale du gouvernement de Tomsk, n’appartient pas augrand tronc de montagnes que nous appelons la chaîne principale del’Altaï 3, que Ledebour, Bunge et Gebler ont visitée, et dans laquellele mont Beloucha, avec ses pointes neigeuses, s’élève, auprès dessources de la Catouïnia, jusqu’à une hauteur de 11,000 pieds, auniveau du Wetterhorn et du pic de Ténériffe. Les couches de sablemêlé d’or se montrent sur les deux versants, mais surtout sur le ver-
1 Altaïn est une forme génitive de la langue mongole (Klaproth, Mémoires relatifs àl’ Asie, t. II, p. 382).2 En outre (également en 1836) en platine de l’Oural, 118 pouds 2 livres, ou 8269 marcsde Cologne.3 C’est très-improprement qu’on l’appelle le petit Altaï. M. Helmersen aussi partage monincrédulité sur l’existence du grand Altaï (Fragments asiatiques, t. I, p. 28). «Une de cesgrandes et longues vallées, dit Helmersen, qui traverse la chaîne centrale de l’Altaï, estla vallée de la Buchtarma supérieure: elle sépare la partie septentrionale russe de la
|133| sant oriental d’un petit embranchement de montagnes que l’Altaï,dont la direction est de l’est à l’ouest, projette vers le nord, dans leméridien du lac de Telesk, et qui se prolonge jusqu’au parallèle deTomsk. «Sur les cartes, dit mon ami, M. de Helmersen, cet embran-chement qui contient de l’or susceptible d’être lavé, est désigné sous lesnoms de montagne d’Abassanki, de Kusnezki et d’Alatau. Sous le rapportde sa direction, de sa composition intérieure 1 et de sa forme, il a avecl’Oural la similitude la plus parfaite; c’est, par le fait, une répétitionde l’Oural, seulement sur une plus faible échelle. L’analogie est telleque, là aussi, le versant oriental est riche en or, et le versant occi-dental beaucoup moins. Comme c’est précisément ce versant occi-dental qui a été réservé à l’exploitation de la couronne, jusqu’à pré-sent des entrepreneurs particuliers ont seuls mis à profit la richesseen or de l’Alatau (cette branche de l’Altaï qui se dirige vers le nord).»Des géognostes familiarisés avec mes recherches sur la direction dessystèmes de montagnes de l’Asie intérieure, et avec les idées ingé-nieuses d’Elie de Beaumont sur le parallélisme et la successionrelative de l’âge des branches et chaînes de montagnes, ne peuventmanquer de reconnaître l’importance des observations de M. deHelmersen. Je n’ai pas vu moi-même le gisement métallique septen-trional de sable d’or de l’Altaï (du Kusnezki), parce que mon voyagese dirigeait de Tobolsk par Tara, et à travers la steppe de Bara-binski, vers l’Altaï occidental et méridional, et de là vers le pointlimitrophe de la Chine, Chounimaïlekhou (dans la province d’Ili, aunord du lac de Saïsan).
Le sable d’or de l’Altaï est un peu plus riche en argent que l’or del’Oural. Les négociants sibériens, puissamment favorisés par l’admi-nistration impériale des mines, ont même établi maintenant deslavoirs d’hiver, et l’exploitation de cette nouvelle branche de l’indus-trie asiatique est d’autant plus remarquable et plus satisfaisante, queles ouvriers ne sont que des travailleurs volontaires, et sont très-bienpayés. D’après des renseignements très-récents que je dois à M. leministre des finances, le comte de Cancrin, on vient de découvrir deriches couches de sables et dans la chaîne de Salairski, et auprès dufleuve Biriousa, qui sépare l’un de l’autre les gouvernements de Jeni-
partie méridionale chinoise. Cette partie méridionale a été fréquemment et jusque dansles temps les plus récents, désignée sous le nom de grand Altaï, par opposition à la par-tie septentrionale appelée le petit Altaï. A part l’impropriété de ces dénominations quine paraissent point fondées en nature, et qui ne sont pas acceptées par les habitants,elles ne servent qu’à perpétuer l’erreur qu’un fabricant de cartes transmet à un autre.L’Altaï chinois ne fait avec l’Altaï russe qu’un seul et même tout, et il n’y a point demotifs pour les considérer comme deux chaînes de montagnes différentes même dansleur direction.»1 Helmersen, dans le Bulletin de l’Académie de Saint-Pétersbourg, t. II, p. 107. Voyezaussi Erman, Reise um die Erde, t. II, p. 19-21.
|134| seisk et d’Irkoutsk 1. Pour toute la Sibérie, on a déjà distribué 240licences (autorisations d’exploiter les couches aurifères).
Telle est l’importance qu’a acquise, dans ces derniers temps, lecourant de l’or de l’Orient vers l’Occident (le but principal de cesrecherches étant de représenter le changement des courants dans lecommerce de l’or). Ces 469 pouds d’or de l’Oural et de l’Altaï (32,830marcs de Prusse), qui constituent le rapport de l’année 1837, valent,en monnaie d’argent prussien, 7,211,000 thalers. Un tel rapport n’estplus inférieur que de 1/8 à la production en or de Minas Geraes au Brésilpendant les années les plus favorables de l’heureuse époque qui s’é-tend de 1752 à 1761; mais il est presque de 1/3 plus faible que laproduction exacte de la Nouvelle-Grenade, du Chili et du Mexique, peude temps avant le commencement de la révolution dans l’Amériqueespagnole. Quand on considère l’immense étendue du continent sibé-rien, et que l’on songe au rapide accroissement de l’or de l’Oural pen-dant les années 1822, 1823 et 1824, on est fondé à croire que l’af-fluence de l’or de Sibérie, de l’Orient vers l’Occident, de l’Asie versl’Europe, n’a pas encore atteint son maximum. Le rapport de la Si-bérie orientale montera peut-être plus rapidement que ne décroît lerapport des lavoirs de l’Oural, où l’on a exploité en premier lieu etmalheureusement d’une manière trop rapide, les plus riches couchesde sable. Par l’extraction hydrostatique en usage dans les lavoirs, ilse perd incontestablement une grande quantité du précieux métal, at-taché qu’il est à des grains d’oxyde de fer et à d’autres substanceslégères. Ce n’est point ici le lieu de rechercher si la méthode ingé-nieuse proposée par le colonel Anossow, intendant à Slatoust, qui pro-met de si beaux résultats et qui consisterait à fondre le minerai avecdu fer et à traiter ensuite le fer contenant de l’or par l’acide sulfurique,est susceptible d’être appliquée sur une vaste échelle, à cause de lagrandeur des masses qu’il faudrait réduire en fusion, de la difficultéqu’il y aurait à transporter du sable renfermant une si faible quantitéd’or, et de la grande quantité de combustible qui serait nécessaire.Des essais persévérants et bien dirigés paraissent jusqu’ici se pronon-cer contre la possibilité de la mise en pratique de cette méthode. Les notions que l’on a acquises depuis quinze ans à peine sur larichesse en or offerte encore aujourd’hui à l’exploitation dans l’Asie sep-tentrionale, font songer presque involontairement aux Issedones, auxArimaspes et aux griffons, gardiens d’immenses trésors qu’Aristée deProconèse, et environ deux cents ans plus tard, Hérodote, ont rendussi fameux 2. J’ai eu le bonheur de visiter, dans l’Oural méridional, des
1 Le village de Biriussinsk, sur la route de Kansk à Nijnei-Udinsk, est dans une si-tuation très-pittoresque, entre des ruisseaux profondément encaissés: même du côté del’orient, le sol est très-déchiré jusqu’aux rochers escarpés de grès de Nijnei-Udinsk (Er-man, Handschriftliche Nachrichten).2 Dans les Fragments d’ Alcman que M. Welcker a expliqués, ainsi que dans ceux d’Hé-
|135| lieux où, à quelques pouces au-dessous du gazon, on a découvert, toutprès les unes des autres, des masses brillantes d’or de 13, de 15 et mêmede 24 livres russes 1. Il se peut que des masses beaucoup plus grandesaient été trouvées autrefois sous la forme de galets arrondis, et toutà fait à découvert sur la surface du sol. Rien d’étonnant, par consé-quent, si, dès la plus haute antiquité, cet or fut recueilli par des peupleschasseurs et pasteurs; si le bruit de richesses si considérables retentitau loin et pénétra des rivages du Pont-Euxin jusqu’aux colonies hel-léniques, qui entrèrent de bonne heure en relation avec le nord-estde l’Asie en deçà de la mer Caspienne et du lac de l’Oxus (Aral).
Les Grecs commerçants et même les Scythes ne pénétrèrent paseux-mêmes jusqu’aux Issedones; ils ne trafiquaient qu’avec les Argyp-péens. Niebuhr, dans ses recherches sur les Scythes et les Gètes (re-cherches qui ne sont nullement confirmées par ce que nous savonsaujourd’hui sur la différence des races et la composition des langues despeuples de l’Asie septentrionale), place les Issidones et les Arimaspesau nord d’Orenbourg 2, par conséquent dans cette contrée riche enor qui nous est maintenant si bien connue, et qui se trouve au versantoriental de l’Oural méridional. Cette opinion est défendue dans l’ou-vrage substantiel, tout récemment publié par le conseiller d’EtatEichwald, sous le titre: De l’ancienne géographie de la mer Caspienne 3.Heeren et Voelker placent le pays de l’or d’Hérodote dans la région del’Altaï, et j’avoue que cette opinion me semble justifiée davantagepar la configuration des lieux 4. Hérodote décrit une route commer-ciale par laquelle l’or de l’Altaï septentrional, ou du moins, comme jele suppose, la renommée de cet or pouvait arriver au Pont-Euxin parl’intermédiaire des Issedones et des Scythes 5. Pour pénétrer jusqu’auxArgyppéens, qui ont la tête chauve, le nez aplati et les mâchoirestrès-fortes 6, il faut que les Scythes et les Grecs des colonies ponti-
catée et de Damastes, il est également fait mention des Issedones. (Hec, Mil, frag. ed.Klausen, n 168, p. 92.)1 Le plus grand galet d’or qui ait été trouvé jusqu’ici dans l’Oural (à Alexandrowsk,près de Miask) est long de 8 pouces, large de 5 pouces 3/8, et haut de 4 3/4. Il pèse 24 li-vres russes 69 solotnik (43 1/2 marcs), et est conservé à Saint-Pétersbourg dans la magnî-fique collection de minéraux du Corps des mineurs. Parmi les galets de platine deNischne-Tagilsk (propriété de M. de Démidoff), on en a trouvé trois d’un poids de 13, de19 et de 20 livres. Rose, Reise nach dem Ural, t. I, p. 41.2 Kleine historische und philologische schriften, p. 361. (V. aussi Herodotische Welt tafelde Niebuhr.)3 Eichwald fait dériver, comme Reichard, le nom Issedones du fleuve Isset, et regardece peuple comme une tribu des Vogouls.4 Heeren, Ideen uber Politik u. Verkehr (1824), t. I, sect. 2, p. 281-287.5 Voelker, Mythische Geographie der Griechen u. Romer, t. I, p. 188 et 191. Le com-mentaire de cet ouvrage par Klausen, dans la Scheuzeitung 1832, p. 653. (Voelker a re-cueilli avec le plus grand soin les passages des anciens, que je ne cite pas ici en parti-culier.)6 Ces Argyppéens vivent des fruits de l’arbre Ponticum, dont la sève s’appelle aschy, et
|136| ques aient eu recours, pour faire leur commerce, à sept interprètesde sept langues différentes.
(Hérodote, IV, 24.) Depuis la découverte des couches si riches desables d’or dans les embranchements que l’Altaï projette au nord jus-qu’au parallèle de Tomsk, l’opinion suivant laquelle les Arimaspesauraient habité une contrée située à l’orient de l’Oural et très-éloignée de cette chaîne de montagnes, gagne assurément en vrai-semblance. Suivant les conjectures d’un savant et ingénieux voyageur,Adolphe Ermann, le mythe des griffons se rattache à l’existence desossements fossiles de pachydermes antédiluviens que l’on ren-contre si fréquemment dans la Sibérie septentrionale, et dans lesquelsles peuples de chasseurs croient voir les serres et la tête d’un oiseaugigantesque. Si l’on consent, conclut M. Ermann, à voir dans cetteantique tradition le prototype du mythe grec, on est parfaitementfondé à dire que les mineurs ont enlevé l’or au sein des griffons;car rien de plus commun aujourd’hui, comme autrefois, que de ren-contrer du sable d’or dans des couches de terre ou de tourbe, renfer-mant des ossements de cette nature; mais quelque plausible que soitcette explication, il y a cependant un fait qui lui est contraire, c’estqu’il est déjà question de ces êtres fabuleux, les griffons, dans lespoëmes d’Hésiode, où ils ornent, sous la forme de monstres moitiélions, moitié aigles, les portes de Persépolis, et qu’ils arrivèrent debonne heure, par Milet, en Grèce 1. Un célèbre académicien russe,M. de Graefe, incline à regarder un monstre à dents énormes, l’odon-totyronnus dont parlent des écrivains byzantins, et Julius Valerius,dont les ouvrages ont été découverts par Maïo, comme une vague rémi-niscence du mammouth sibérien, comme un écho lointain du mondeprimitif 2. Le tyran dont nous venons de parler et le mythe antique desgriffons ne me paraissent point avoir surgi du sein glacé des terresd’alluvion; ils me semblent plutôt des créations de l’imagination d’unezone méridionale et d’un climat chaud. J’ai rappelé, plus haut, que dans l’Oural on trouve d’énormesmasses d’or, à quelques pouces au-dessous du sol. L’eau en ruisselant,ou bien d’autres causes insignifiantes, ont pu, un jour, mettre à nuces masses, de sorte qu’elles apparurent enfin à la surface même du
dont la masse après avoir été soumise à l’action du pressoir, est pétrie et convertie entourteaux. Nemnich et Heeren déjà ont voulu y reconnaître le Prunus Padus (t. I, sect. 2,p. 285). — Voyez aussi Erman. Reise um die Erde, t. I, p. 307.1 Charles Otfr. Muller, Dorier, t. II, p. 276. (Sur le Griffon de Ctésias, considéré commeun animal bactro-indien, voy. Heeren, t. I, sect. 1, p. 239, et Bottiger, Griechische Va-sengemaelde, t. I, n. 3, p. 105.) Hérodote aussi (IV, 79 et 152) parle deux fois desgriffons comme d’images et d’ornements.2 Graefe, dans les Mémoires de l’ Académie de Saint-Pétersbourg, 1830, p. 71 et 74.—Ju-lius Valerius Res gestæ Alexandri translatae ex Æsopo, III, 33.—Voy. en outre la Chro-nique Hamartol, que Hase a recueillie dans les manuscrits de la bibliothèque de Paris.
|137| sol. Ne faut-il voir qu’un mythe dans l’histoire de l’or sacré chez lesScythes, dont parle Hérodote, et dans celle des instruments oratoiresen or tombés du ciel, et que les deux fils de rois qui s’en appro-chèrent les premiers ne purent toucher sans se brûler, tandis que letroisième, Calaxais, porte sans danger à la maison le métal refroidi;ou bien serait-ce le souvenir lointain d’une chute d’aérolithes à l’étatd’ignition 1? Le fer et l’or sont-ils ici pris l’un pour l’autre, et l’orsacré ne fut-il qu’une pierre météorique, semblable à la massetrouvée par Pallas, avec laquelle on pouvait forger des instruments delabour, comme les Esquimaux de la baie de Baffin se façonnent encorede nos jours leurs couteaux avec des aérolithes à moitié ensevelis dansla neige? Je sais que les interprétations physiques des mythes ancienset des miracles modernes ne sont pas en faveur aujourd’hui, et que jerisque de me fourvoyer dans les voies erronées des grammairiensd’Alexandrie; mais il est bien pardonnable à un naturaliste de fairemention d’une chute de bolides. Peut-être le métal tombé du cieln’était-il brûlant que pour écarter les fils aînés? Même suivant lacroyance populaire répandue en Allemagne, le lieu où un trésor estenfoui cuit et brûle; mais de semblables considérations détournentdes recherches purement physiques.
Ces couches de sable aurifère retrouvées dans l’Asie septentrionaleen deçà de l’Obi, ce chiffre de 130 pouds ou 9,100 marcs de Prusse,auquel s’est élevé, pendant un an, le rapport de l’or tiré de l’Altaï oude Kusnezki, est un événement dans l’histoire du commerce de l’or, etc’est un événement d’autant plus important, qu’il appartient à cettepartie de l’Asie qui se trouve sous la domination immédiate de l’Eu-rope, et que le produit de l’exploitation, en s’écoulant vers l’Occident,exerce son influence tout entière sur le commerce de l’or en Europe.Quelque ancienne que soit, en Asie, l’exploitation en usage pour leminerai consistant, connu sous la dénomination vague de filons tchou-diques 2, l’existence des masses considérables d’or ouvré, trouvées à lapremière occupation de ce pays dans les tombeaux, et dont les collec-
1 Je donne ici le passage d’Hérodote d’après la traduction latine de Schweighaueser:Targitao filios fuisse tres, Leipoxain et Arpoxain, minimumque natu Calaxain. His re-gnantibus, de cœlo delapsa aurea instrumenta, aratrum et jugum et bipennem et phialam,decidisse in Scythicam terram. Et illorum natu maximum, qui primus conspexisset, pro-pius accedentem capere ista voluisse; sed eo accedente, aurum arsisse. Quo digresso, ac-cessisse alterum, et itidem arsisse aurum. Hos igitur ardens aurum repudiasse; accidentevero natu minimo fuisse extinctum, huncque illud domum suam contulisse: qua re in-tellecta, fratres majores ultro universum regnum minimo natu tradidisse. Sacrum autemillud aurum custodiunt reges summa cura, et quotannis conveniunt, majoribus sacrifi-ciis illud placantes. Dicuntque Scythæ, si quis festis illis diebus aurum hoc tenens obdor-miverit sub dio, hunc non transigere illum annum.»Les Massagètes, tribu des Alains, d’après Ammien Marcellin, employaient pour leuréquipement et pour orner leurs chevaux, l’or, comme d’autres peuples font du fer.(Hér., I, 215.)2 Ce que l’on a appelé les filons tchoudiques et les mines tchoudiques de l’Asie septen-
|138| tions de Pétersbourg possèdent des spécimens si remarquables, s’ex-plique plus parfaitement par la découverte, à des époques reculées, degalets d’or dans les terrains écroulés, immédiatement au-dessous dela surface du sol. Müller, cet excellent historien de la Sibérie, raconteque les premières découvertes d’or dans les tombeaux (kourganoui)firent baisser de la manière la plus surprenante la valeur de ce mé-tal à Krasnojarsk 1. L’Asie intérieure, resserrée entre la chaîne del’Himalaya et la chaîne volcanique appelée Montagne céleste, forme,comme la Chine, un tout clos au point de vue politique et presqueaussi au point de vue commercial. Quelque incertaines que soientles notions que nous possédons sur ce point du globe, cependant, de-puis la brillante époque des dynasties mongoles à la fin du treizièmesiècle, depuis le voyage du Vénitien Poli, la renommée des couches desable aurifère de l’intérieur de l’Asie a pénétré jusqu’en Europe (ausud par l’Inde, au nord par la Sibérie).
Les journaux de Calcutta rapportent que, dans tout le Thibet occi-dental, les fleuves charrient de l’or, et que les indigènes extraient cemétal par l’amalgame. D’anciens mythes indiens font du souverain duNord, Kouwera, le dieu de la richesse, et il est assez remarquableque la résidence du dieu (Alakâ) se trouve, non dans la chaîne de l’Hi-malaya elle-même, mais sur le Kaïlâsa, en deçà de l’Himalaya, dans leThibet 2. C’est plus au nord-ouest, en deçà de la chaîne de montagnesde Kouenloun, qui sépare les districts de Ladak et de Khotan, que Heeren 3place, avec beaucoup de vraisemblance à mon avis, le grand désertde sable si riche en or, que les Indiens limitrophes de Caspatyrus(Cachemir) visitaient, et dans lequel des fourmis plus petites que deschiens, mais plus grandes que des renards, se creusaient leur demeure.Le Bolor, dont le versant oriental conduit à Khoufaloun, pays queles géographes désignent sous le nom de petit Thibet, ou Kashgar, etau lac Lop au milieu des steppes, a, sur son versant occidental, offertaussi au voyageur distingué qui a exploré le dernier cette terra inco-gnita, Alexandre Burnes, les couches de sable d’or de Durrvaz et ducours supérieur de l’Oxus qu’il a décrites 4. En Chine, l’exploitation del’or par le lavage date également de la plus haute antiquité, et l’on
trionale, n’appartient pas à la même souche de peuple. Le nom de ce peuple de Ca-bires, qui recherchent le minerai et forgent le métal, ne désignait originairement que desétrangers, des non Russes (barbari), mais d’une manière plus déterminée dans les Annalesrusses, d’après Klaproth (Asia polyglotta, p. 184), et d’après les plus récentes et savantesrecherches de Sjogren (Mém. de l’ Académie de Saint-Pétersbourg, VIe série, t. I, p. 308),toutes les tribus finnoises et ouraliennes.1 Journal asiatique, t. II, p. 12.2 Albert Hoefer, Uebersetzung des Urwasi, des Kalidâsa, 1837, p. 90.3 Hér., III, 102-106 (Heeren, 1re partie, 2e sect., p. 90, 102, 340-345). Compar. Ritter,Asien, t. II, 657-660.4 Burnes, Travels, t. II, p. 165. En 1831 on trouvait encore dans l’Oxus des galets d’orde la grosseur d’un œuf de pigeon. Comme le Rhin, l’Oxus (Djihoun) roule son sable d’or
|139| distingue dans la nomenclature des mines de ce peuple pédantesque leschamps d’ or 1 (couches de minerai d’or d’une vaste étendue dansles plaines), et les galets d’or sous le nom de têtes de chiens, degrains de froment, et de poussière de millet. Malheureusement, dans leChoca, dans la Sonora et dans l’Oural, comme partout, il y a moinsde têtes de chiens que de poussière de millet d’ or.
Presqu’à la même époque où l’Oural livrait ses trésors, et commen-çait à remplacer les produits de l’exploitation brésilienne, tombéedans une profonde décadence, on découvrit, dans la partie méridio-nale des Alleghanis, dans la Virginie, dans la Caroline septentrionaleet méridionale, en Géorgie, dans le Tennessée et l’Alabama, des couchesde minerai d’or promettant des produits considérables. L’époque de la plus grande prospérité, dans l’Amérique septentrio-nale, de cette exploitation par le lavage, à laquelle succéda bientôtl’exploitation minière, comprend l’intervalle qui s’écoule de 1830à 1835. Sans doute, dans les huit dernières années, elle n’a pas fournibeaucoup au delà de 4 millions et demi de dollars; mais l’apparitionde terrains aurifères à une si grande proximité des rivages de l’At-lantique mérite, sous le point de vue géognostique, une attentionplus grande que celle qu’on lui a accordée en Europe. Elle offre, enoutre, un grand intérêt historique, attendu que la grande quantitéd’or que les premiers conquistadores espagnols trouvèrent entre lesmains des indigènes de la Floride, ne doit plus être maintenant con-sidérée comme provenant d’anciennes relations avec le Mexique (Ana-huac), ou avec Haïti. M. Jacob, dans un livre déjà plusieurs fois mentionné, sur les mé-taux précieux, a pu encore n’estimer qu’à 130,000 dollars le rapportdes lavoirs de l’Amérique septentrionale; mais, peu d’années après, ils’éleva à 800,000 et jusqu’à un million de dollars. Dans le comtéde Cavarras (Caroline du nord), on a trouvé un galet d’or de 28 li-vres (poids anglais dit avoir du poids), et à côté, plusieurs de 4 à10 livres 2. Depuis mon retour de la Sibérie, j’ai cherché sans inter-
jusqu’à son embouchure, et la malheureuse expédition du prince Alexandre Bekewitsch,que Pierre le Grand fit entreprendre en 1716, fut motivée par les renseignements men-songèrement exagérés de Truchmène, sur l’accumulation du sable d’or à l’ancienne embou-chure de l’Oxus (au sud de la petite chaîne des Balkans, auprès du rivage oriental de lamer Caspienne).1 Landresse, sur les alluvions aurifères de la Chine, dans le Journal asiatique, t. II, p. 90.2 D’après des renseignements manuscrits qui m’ont été communiqués par mon plusancien ami de jeunesse, M. Freiesleben, inspecteur général des mines, on aurait mêmetrouvé, en 1821, dans Anson County, au milieu d’éboulis de quartz et de grauwakens-chiefer (littéralement: schiste de wacke gris (basalte composé), un galet d’or pesant48 livres. Ces renseignements manuscrits étaient accompagnés d’une collection de mi-néraux, que le frère de feu l’inspecteur d’Académie, Kohler, envoya à Freiberg. —Pourquoi des savants nord-américains ne nous donnent-ils pas quelques renseignementsplus précis sur ces galets d’or colossals de 28 et de 48 livres?
|140| ruption, et la plupart du temps inutilement, à me procurer des don-nées exactes sur la continuation du lavage de l’or dans les Etatsméridionaux, et ce n’est que tout récemment que j’ai été assez heu-reux pour voir mes efforts couronnés de succès, grâce à la bonté du di-recteur actuel de la Banque, M. Albert Gallatin, l’un des plus habileshommes d’Etat de notre temps 1. J’insère ici quelques passages d’unelettre de cet homme d’une science agrandie par tant de voyages.
«Les terrains aurifères de l’Oural, et peut-être de toute l’Asieseptentrionale, devaient assurément attirer notre attention sur les la-voirs et sur notre exploitation minière dans les Etats méridionaux.J’espère pouvoir bientôt répondre à vos questions géognostiques parle professeur Patterson, qui est en même temps directeur de laMonnaie, et par le professeur Renwick, à New-Yorck, tous deux mi-néralogistes distingués. Aujourd’hui, je vous envoie, d’après desdocuments officiels, le tableau spécial de tout l’argent frappé depuis1824, dans notre Hôtel de monnaies, avec de l’or indigène 2.
Tableau de la production annuelle en or destiné à être monnayé, et extraitdes mines d’or des États-Unis.
ANNÉES. VIRGINIE. CAROLINEDU NORD. CAROLINEDU SUD. GÉORGIE. TENNESSÉE ALABAMA INDÉTER-MINÉE. TOTAL.
doll. doll. doll. doll. doll. doll. doll. doll.
1824.... » 5.000 » » » » » 5,000
1825.... » 17,000 » » » » » 17,000
1826.... » 20,000 » » » » » 20,000
1827.... » 21.000 » » » » » 21,000
1828.... » 46,000 » » » » » 46,000
1829.... 2,500 134,000 3,500 » » » » 140,000
1830.... 24,000 204,000 26,000 212,000 » » » 466,000
1831.... 26,000 294,000 22,000 176,000 1,000 1,000 » 520,000
1832.... 34,000 458,000 45,000 140,000 1,000 » » 678,000
1833.... 104,000 475,000 66,000 216,000 7,000 » » 868,000
1834.... 62,000 380,000 38,000 415,000 3,000 » » 898,000
1835.... 60,000 263 000 42,000 319.000 100 » 12,200 698,500
1836.... 62,000 148,000 55,000 201,000 300 » » 467,000
374,500 2,465,600 298,000 1,680,300 12,400 1,000 12,200 4,844,500
«Vous demandez combien l’on devrait ajouter à peu près annuelle-ment, à cause de la contrebande, aux sommes que ce tableau produit.Une semblable évaluation serait difficile; mais je crois pouvoir vousdire, avec quelque assurance, qu’en aucune année la production del’or (l’exploitation) n’a dépassé un million de dollars. La pertequ’occasionne la contrebande est d’autant plus faible que, d’après nos
1 Né à Genève, mais établi aux États-Unis dès l’époque de la guerre de l’Indépen-dance, ministre des finances sous la brillante présidence de Jefferson, puis ambassadeurà Paris, à Saint-Pétersbourg et à Londres.2 Ce tableau statistique se trouve également dans le livre éminemment instructif, in-titulé: American Almanac and Repository of useful Knowledge for 1838 (Boston, publ. byCh. Bower), p. 134; ce petit ouvrage pourrait servir de modèle à beaucoup de livres eu-ropéens.
|141| lois les plus récentes, l’or, dans son rapport à l’argent, est évalué à2 pour 100 au-dessous de son prix ordinaire. D’après ces lois, cerapport entre l’or et l’argent est comme 16:1. C’est pour cetteraison que tout l’or produit par le pays rentre dans notre Hôtel desmonnaies. En général les anciens lavoirs baissent, surtout dans laCaroline; néanmoins on découvre toujours de nouvelles veines richesen or, et l’exploitation des mines d’or proprement dites donne ausside plus grandes espérances.»
A ces renseignements pleins d’intérêt, j’ajoute que les régions del’Amérique septentrionale, qui renferment de l’or, ont été visitéestout récemment par un Allemand très-expérimenté dans l’exploita-tion des mines, M. Charles Degenhardt (actuellement à Clausthal auHarz), et par M. Featherstonhaugh, qui a découvert de l’étain oxydéet du cinabre. Le gain et avec lui le goût que l’on avait pour l’extrac-tion de l’or par le lavage et pour l’exploitation des mines d’or, ontbaissé d’une manière rapide depuis 1835. Un pays qui, à côté d’uneprospérité toujours croissante, jouit du bonheur de la plus grandeliberté dans les relations, a des moyens plus sûrs pour rendre ses ca-pitaux productifs; mais dans l’histoire du commerce monétaire, lesmasses métalliques arrachées au sein de la terre et mises en circula-tion, et le mouvement d’affluence et d’écoulement de ces masses endifférentes directions, intéressent plus que l’avantage passager que pro-cure l’exploitation des couches. Les courants des métaux précieux ayant pour point de départ l’Asieet l’Amérique et venant s’écouler dans notre petit continent, et de cedernier retournant en partie vers le pays où ils ont pris leurs sources,suivent, comme les liquides, les lois de l’équilibre. Les régions richesen or, mais peu connues des Européens, de l’intérieur de l’Asie et del’Afrique, forment de petits bassins pour ainsi dire fermés, qui n’entrentque faiblement en relation avec les côtes et, par elles, avec le commercegénéral du monde. D’un autre côté, et sous l’influence de la civilisationoccidentale, il y a un continuel mouvement de flux et de reflux depuisNertschinsk, l’Altaï et l’Oural jusqu’en deçà de l’Océan atlantique surles bords du Missouri. La valeur d’échange de ces métaux, qu’on les con-sidère dans leur rapport l’un vis-à-vis de l’autre, ou comme mesure duprix des marchandises (prix des substances alimentaires et des objets fa-briqués), n’est nullement déterminée uniquement et en général par l’ac-croissement ou la diminution de la production métallique: cette valeurd’échange, au milieu des institutions et des relations compliquées de lavie actuelle des peuples, est, je le répète, déterminée tout autant parl’accroissement ou la diminution de la population et ses progrès dansla civilisation, par le besoin d’un capital de circulation, besoin qui estdépendant de la population, par la nécessité fréquente d’envoyer dessommes considérables d’argent comptant et par la direction de cesenvois, par l’inégalité du frai des deux métaux précieux, par la masse|142| de papier-monnaie faisant partie du capital en circulation. Une haussede la valeur relative de l’or, vis-à-vis de la valeur de l’argent, peutaussi bien avoir lieu pendant un accroissement général de la produc-tion de l’or, que l’abaissement passager du baromètre et une élévationcroissante de température par un vent du nord-est. Dans les variationsmétéorologiques de l’atmosphère, aussi bien que dans le commerce gé-néral des métaux précieux, il y a beaucoup de causes de perturbationqui agissent simultanément. Le résultat de chaque cause prise isolémenten tant qu’elle fait hausser ou baisser le prix, est susceptible d’êtredéterminé; mais ce qui ne l’est pas, au milieu de la quantité innom-brable de perturbations qui s’ajoutent et s’accumulent, c’est la mesuredes compensations partielles, c’est la nature et la mesure de l’effet total. Les augmentations de produit dont notre imagination est surprisedisparaissent, pour ainsi dire, comme un infiniment petit dans lamasse accumulée depuis des milliers d’années et que le commercegénéral entretient en circulation, soit qu’on la suppose réduite enmonnaie ou convertie en objets d’orfévrerie. Chaque augmentation nouvelle agit, sans aucun doute, par unelongue durée de temps; mais, comme une population plus grande etd’une prospérité croissante a besoin aussi d’un capital en circulationplus considérable, il se peut que, malgré l’augmentation de la quan-tité du métal, il se produise, par suite de la division, une pénurie mé-tallique sensible. Avant les grandes découvertes des filons d’or du versant oriental del’Oural, dont la véritable prospérité ne commença qu’en 1823 et 1824,la valeur d’échange de l’argent, par rapport à l’or, fut en moyenne, de1818 à 1822, comme 1:15, 75; et pourtant, après la féconde ex-ploitation de l’or de l’Oural, il ne tomba, pendant les cinq années1830-1834, en moyenne, qu’à 1:15, 73. Dans cet intervalle, commeje l’ai dit plus haut déjà, 1,294,000 marcs d’or avaient été monnayésen Angleterre pour rétablir l’échange au moyen d’argent métallique.Quelle est maintenant la part qu’a eue à cette variation de la valeurd’échange 1 la diminution d’exportation des métaux précieux du nou-
1 Je communique ici les résultats de soigneuses recherches que je dois à l’amitié d’unhomme également expérimenté dans les questions de l’économie commerciale et politique.M. Joseph Mendelsohn a recueilli, à ma prière, les prix officiels de l’or et de l’or en barres(non monnayé) à Londres et à Hambourg de 1816 à 1837, et a calculé pour chaque annéeune moyenne. «A Londres, les rapports des métaux, troublés par une longue guerre, fu-rent de 1816 à 1819 très-anormaux; en 1816, comme 1:15,800, et en 1819, comme1:14,975. Ce n’est qu’en l’an 1820 qu’une plus grande fermeté commence à se faire sen-tir à Londres dans ces rapports: les extrêmes furent 1825 et 1833, années pendant les-quelles les rapports furent 1:15,319 et 1:15,899. (Différence 7 et un demi-treizième). Iln’y eut pas de mouvement permanent de hausse ou de baisse. Sur le marché de Hambourgles fluctuations furent beaucoup plus faibles. Le rapport y fut le plus élevé en 1821, leplus bas en 1817: dans la première année comme 1:15,965; dans la seconde comme1:15,635. (Différence en vingt-un ans seulement 4 un tiers treizième). Mais le marché
|143| veau continent? Il est à peine besoin de faire mention ici des lavoirsbrésiliens, puisque dans ce temps ils fournirent à peine annuellement1,700 marcs. Quand même on accorderait que, dans les douze an-nées qui sont les plus proches de la première éruption de la révolution,la production en or de l’Amérique espagnole tomba au-dessous d’untiers de ce qu’était à la dernière époque florissante de l’exploitation(1800-1806) le rapport moyen; la perte pour l’importation, pendantles onze ans (1816-1827), ne s’élèverait pourtant qu’à 83,200 kilog.Mais, d’un autre côté, de 1823 à 1827, l’Oural a déjà donné une com-pensation de 17,300 kilog. Pendant ces douze années donc, l’Europen’a reçu que 286,000 marcs d’or, moins qu’ordinairement. J’ai choisiavec soin un exemple qui offrît des éléments numériques suffisammentsûrs. Le résultat trouvé, c’est qu’on a dû se passer d’une masse d’orqui tient le milieu entre un quart et un cinquième de l’or monnayépendant les douze ans à la Monnaie de Londres. Si l’on considère lavaleur d’échange des métaux précieux sans tenir compte des hasardspurement locaux, par exemple, la valeur de l’or en barres à Ham-bourg, on n’y reconnaît, de 1816 à 1817, ni l’influence de l’exploi-tation asiatique, ni la diminution de production en or de l’Amériqueespagnole.
Le maximum que la valeur d’échange de l’or atteignit en l’an 1827,s’est maintenu avec de faibles oscillations jusqu’en 1832. A cetteépoque, une baisse insensible, mais une baisse très-régulièrementprogressive se fait remarquer. L’or russe sorti de la chaîne de l’Ouralet de la Sibérie a produit une partie de cet effet, mais nous ne devonspas oublier que toute la production en or de la Russie, quelque impor-
de Hambourg est beaucoup plus propre à fournir une juste appréciation du rapport de lavaleur d’échange des métaux.A Londres, les prix de l’or non monnayé et de l’argent sont tous deux variables; l’unet l’autre sont négociés contre l’argent anglais monnayé ou contre le papier représentantcet argent. A Hambourg, au contraire, l’argent non monnayé n’a pas de prix variable; ilest lui-même la mesure qui détermine tous les autres prix. Le marc fin de Cologne à 27 3/4marc banko est la valeur dans laquelle toutes les marchandises, et par conséquent aussil’argent monnayé, sont négociés et estimés. Les rapports des prix des deux métaux sontsujets à Londres à des influences fortuites doubles comparativement à Hambourg. Lors-qu’à Londres il faut acheter une quantité considérable d’argent contre de l’or, il faut quel’argent soit d’abord vendu, ce qui fait que ce prix de l’argent tombe un peu. Pour l’ar-gent reçu, on achète de l’or, par suite l’or monte. Si une semblable opération est de quel-que importance, le rapport de l’or vis-à-vis de l’argent est élevé doublement, l’or monteet l’argent baisse. Pour une opération toute semblable à Hambourg, il n’y a pas de vented’argent: le prix de l’argent est invariable et la hausse de l’or produite par la demande,modifie seule le rapport. Voici quelques groupes particuliers d’années tirés du tableaudes rapports de Hambourg, qui m’ont été communiqués par mon ami:
  • 1816.... 15,790 1817.... 15,635 1818.... 15,685
  • 1819.... 15,642 1820.... 15,660 1825.... 15,693
  • 1826.... 15,750 1827.... 15,727 1828.... 15,776
  • 1829.... 15,769 1833.... 15,748 1834.... 15,663
  • 1835.... 15,693 1836.... 15,733 1837.... 15,711
|144| tante qu’elle nous paraisse sous un autre point de vue, ne s’élève pour-tant, de 1823 à 1837, qu’à 302,000 marcs, encore un dix-neu-vième de moins que la plus faible exportation d’or de l’Amérique espa-gnole pendant l’intervalle qui s’écoule de 1816 à 1827.
Aujourd’hui même encore, dans la république du Mexique et del’Amérique méridionale, l’exploitation minière de l’or s’est moinsrelevée que la production de l’argent. En outre, les États-Unis, àpeine échappés à leurs grands embarras de finance et de banque, ontbesoin de grandes quantités d’or qui leur sont envoyées d’Europe.C’est là un écoulement de l’or vers l’Occident qui, à côté de l’actioncontinue de beaucoup d’autres causes, masque l’effet que nous som-mes enclins à attribuer à l’accroissement de production de l’Asie. Lacause principale du faible effet de l’exploitation de l’or de l’Oural etde l’Asie septentrionale se trouve, comme je l’ai déjà fait observerplusieurs fois, dans la faiblesse relative de l’importation, comparée àla masse déjà en circulation de métaux précieux. L’écoulement versl’Asie, que j’ai eu occasion d’étudier 1 en autre lieu à différentesépoques, est décidément en baisse. Pour l’année 1831, M. Jacobévaluait encore à deux millions de livres sterling la perte annuelle dela balance commerciale anglaise dans le commerce avec l’Asie, en pas-sant autour du cap de Bonne-Espérance. Autant que je m’en souvienne,c’était aussi là l’opinion du grand homme d’État, enlevé par une mortprématurée, M. Huskisson. Malgré le besoin si considérable de café,de thé, de sucre et de cacao, que le quinzième siècle ne connaissaitpas, le commerce des épices est encore un objet très-considérable dansla balance passive du commerce de l’Europe. Dans les États compo-sant l’Union douanière allemande, la consommation des épices est,d’après les recherches les plus récentes et tout à fait officielles,montée, pendant les années 1834, 1835 et 1836, à une valeur de 2:
  • 2,426,000 thalers.
  • 2,592,000 —
  • 4,876,000 —
En France, la consommation n’a été, dans les mêmes années, quede:
1 Sur les quantités relatives de métaux précieux et réduits en objets d’orfévrerie et surles changements qu’éprouve l’accumulation des métaux précieux en Europe, dans ladeuxième édition de mon Essai polit., t. III, p. 436-444 et p. 460-476. Une défensede mes Vues sur l’accumulation des métaux précieux, est contenue dans l’Edimbourg Re-view, 1832, avril, p. 43-61.2 Dieterici, Tableau statistique du commerce dans l’ Association douanière, en 1838, p.187 à 194. Dans les trois premières années énoncées plus haut, la population des paysrenfermés dans le Zollverein était de 23,478,000 habitants; mais, en l’an 1836, elle futde 25,148,000 habitants. La consommation des épices en France (Tableau décennal ducommerce de la France, publié par l’administration des douanes, comprenant les années1827-1836) est d’une infériorité frappante vis-à-vis de celle des Etats formant le Zoll-verein. La consommation relative des deux nations prises isolément, que je mets sous les
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  • 5,476,000 francs.
  • 3,982,000 —
  • 4,856,000 —
Mais dans l’Europe entière, sur une population d’au moins 228 mil-lions d’âmes, elle ne s’élève vraisemblablement pas à moins de 14 à16 millions de thalers, somme dont la vanille, les noix muscades,les fleurs de muscadier, le poivre et la cannelle, absorbent presque lesdeux tiers. Quand on songe combien la somme de la valeur des épices,par suite de la consommation actuelle de l’Europe, doit être grandecomparativement à la somme autour de laquelle, à la fin du quin-zième siècle, tournait pour ainsi dire la partie la plus importante ducommerce international d’alors, on a ici un nouvel exemple remarqua-ble de la puissance des métaux, quand ils exercent avec une forceconcentrée leur influence sur un étroit espace (alors les bords de lamer Méditerranée et l’Europe occidentale). Le commerce des épicesdonna lieu par hasard à la découverte du nouveau continent; il con-duisit les Portugais autour de la pointe méridionale de l’Afrique versl’Inde, comme il avait conduit jadis les Grecs et les Romains vers Ta-probane. Lorsque Christophe Colomb veut parvenir en orient parl’occident, Paul Toscanelli, de Florence, lui écrit au 24 juin 1474déjà: «Je me réjouis d’apprendre que vous nourrissez le grand etbeau désir d’arriver par un chemin plus court au pays, onde nacen
yeux dans le tableau suivant, en francs et en kilogrammes pour la France, en thalers eten quintaux de Prusse pour les États allemands, jette quelque lumière sur la manièrede vivre de deux peuples voisins.
ARTICLESPRINCIPAUXde laCONSOMMATIONdes épices. FRANCE,33 MILLIONS D’HABITANTS. ZOLLVEREIN ALLEMAND,23 1/3 — 25 MILLIONS D’HABITANTS.
1834 1835 1836 1834 1835 1836
francs. francs. francs. thalers de Prus. thal. de Prus. thal. de Prus.
Poivre et piment. 3,267,000(2,333,000 kil.) 2,322,000(1,633,000 kil.) 2,796 000(1,997,000 k.) 292,100(17,000 quint.) 336,000(20,200 quint. 440,00024,900 quint.
Vanille .......... 1,178,000(4,700 kil.) 1,259,000(8,000 kil.) 1,412,000(8,600 kil.) 584,000(242 quint.) 707,000(293 quint.) 813,000(337 quint.)
Cannelle........ 691,000(138,000 kil.) 82,000(18,700 kil.) 338,000(77,000 kil.) 426,000(1,218 quint.) 380,000(1,100 quint.) 407,000(1,160 quint.
Girofle.......... 271,000(60,300 kil.) 240,000(33,000 kil.) 240 000(83,000 kil.) 71,000(1,800 quint.) 83,000(2,178 quint.) 95,500(2,500 quint.
Noix muscades etfleurs de mus-eadier ........ 33,000(6,200 kil.) 27,000(4,600 kil.) 36,200(7,200 kil.) 543,700(2,400 quint.) 553,000(2,900 quint.) 584,000(3,400 quint.)
5,476,000ou2,600,000 kil. 3,982,000ou1,775,000 kil. 4,856,000ou2,171,000 k. 2,426,000ou28,600 quint. 2,592,000ou31,600 2,876,000ou38,000
Une longue étude de la géographie du moyen âge et des recherches sur l’influence sitardive que le voyage de Gama a exercée sur l’entière transformation du commerce desépices, me conduisirent à un travail spécial sur la consommation actuelle des épices enEurope. Le conseiller d’État intime, M. Dieterici, m’a communiqué pour ce travail, etsous une forme manuscrite, de nouveaux et intéressants matériaux.
|146| las especerias. De quelles plaintes sont remplis les écrits des Italiens,de quelles malédictions les Portugais ne sont-ils pas accablés, parcequ’ils ont pénétré par mer dans l’Inde, et qu’ils menacent d’anéantirle commerce d’épices des négociants de Venise, de Pise et de Gênes!Le cardinal Bembo 1 l’appelle un malum inopinatum, et cherche desmotifs philosophiques de consolation. Pierre Martyr, d’Anghiera 2,écrit à son savant ami Pomponius Lætus: «Portugalenses trans æqui-noctium aliamque Arcton, aromatum commercia prosequuntur, alexan-drinos ac damascenos mercatores ad medullas extenuant.» L’o-pinion que les Génois avaient répandue que le nouveau cheminautour du cap de Bonne-Espérance serait bientôt abandonné, parceque, disaient-ils, les épices seraient gâtées par l’air de la mer 3 pen-dant un si long voyage maritime, ne trouva pas créance, et AmerigoVespucci, cet homme si longtemps calomnié, avait là aussi avec sapénétration ordinaire, trois ans seulement après Gama, saisi le véri-table point de vue. Dans une lettre récemment découverte 4, qu’il écrità Lorenzo Pièr Francesco de Medicis, le 4 juin 1501, auprès du capde Bonne-Espérance, après avoir rencontré le reste de la flotte deCabral 5 qui retournait vers le Tage, il dit: «Bientôt vous apprendrezbien des choses nouvelles du Portugal. Le roi aura bientôt un com-merce immense et de grandes richesses (grandissimo traffico e granrichezza). Puisse le Ciel le favoriser de ses bénédictions (Vespucciétait alors au service du Portugal). Maintenant les épices iront dePortugal à Alexandrie et en Italie (au lieu d’aller comme jusqu’icid’Alexandrie au Portugal). Ainsi va le monde (Cosi va el mondo)!»

ALEXANDRE DE HUMBOLDT.



1 Historiæ venetæ, lib. vi, p. 189.2 Opus epistolarum, n. ccii.3 C’était ce que disait, en 1520, en Russie, Pablo Centurion (de Genova), lorsqu’ilvoulait détourner si tard le commerce des épices par la mer Caspienne et les fleuvesVolga, Occa et Mokwa: «Affirmava el Genoves corromperse las especias (especerias) entan larga navegacion.» (Gomara, Istoria di las Indias; Saragoza, 1553, fol. xl).4 Beldelli, Il Milione di Marco Polo, 1827, t. I, p. lviii. La lettre de Vespucci est de laBiblioteca Ricardiana, manoscritto di Pièr Voglienti, n. 1910, p. 48.5 Vespucci reçut ses renseignements sur le voyage de Cabral d’un interprète qu’ilnomme toujours simplement le signor Guasparre, et qu’il trouva sur un des vaisseauxqui retournaient au Portugal. J’ai démontré récemment que ce Guasparre était le filsd’un Juif polonais de Posen, dont les parents avaient été bannis, en 1456, par Casi-mir III. Vasco de Gama avait trouvé cet homme dans l’île Anjadiva (Ankediva), auprèsdu rivage appelé Canara: il l’avait d’abord fait mettre à la torture, puis baptiser. Voy.mon Examen critique de l’hist. de la géographie, in-fol., p. 507.