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Alexander von Humboldt: „Sur les Gymnotes et autres poissons électriques“, in: ders., Sämtliche Schriften digital, herausgegeben von Oliver Lubrich und Thomas Nehrlich, Universität Bern 2021. URL: <https://humboldt.unibe.ch/text/1819-Baron_Humboldts_Personal_Heft1-08-neu> [abgerufen am 26.04.2024].

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Titel Sur les Gymnotes et autres poissons électriques
Jahr 1819
Ort Paris
Nachweis
in: Annales de chimie et de physique 11 (1819), S. 408–437.
Sprache Französisch
Typografischer Befund Antiqua; Auszeichnung: Kursivierung, Kapitälchen; Fußnoten mit Ziffern.
Identifikation
Textnummer Druckausgabe: III.62
Dateiname: 1819-Baron_Humboldts_Personal_Heft1-08-neu
Statistiken
Seitenanzahl: 30
Zeichenanzahl: 49028

Weitere Fassungen
Baron Humboldt’s Last Volume. Personal Narrative of Travels to the Equinoctial Regions of the New Continent. Vol. 4. London, 1819 (New York City, New York, 1819, Englisch)
The gymnotus, or electrical eel (New York City, New York, 1819, Englisch)
Humboldt’s Travels (London, 1819, Englisch)
Electrical eels (Cambridge, 1819, Englisch)
[Earthquake at Caraccas] (Cambridge, 1819, Englisch)
Account of the Earthquake which destroyed the Town of Caraccas on the 26th March 1812 (Edinburgh, 1819, Englisch)
Account of the earthquake that destroyed the town of Caraccas on the twenty-sixth march, 1812 (Liverpool, 1819, Englisch)
Sur les Gymnotes et autres poissons électriques (Paris, 1819, Französisch)
An Account of the Earthquake in South America, on the 26th March, 1812 (Philadelphia, Pennsylvania, 1820, Englisch)
[Earthquake at Caraccas] (Hartford, Connecticut, 1820, Englisch)
Account of the Elecrical Eels, and of the Method of catching them in South America by means of Wild Horses (Edinburgh, 1820, Englisch)
Observations respecting the Gymnotes, and other Electric Fish (London, 1820, Englisch)
[Earthquake at Caraccas] (Hallowell, Maine, 1820, Englisch)
Earthquake in the Caraccas (London, 1820, Englisch)
Sur les Gymnotes et autres poissons électriques (Paris, 1820, Französisch)
[Earthquake at Caraccas] (Hartford, Connecticut, 1821, Englisch)
Earthquake at Caraccas (London, 1822, Englisch)
Earthquake at the Caraccas (Shrewsbury, 1823, Englisch)
Electrical eel (Hartford, Connecticut, 1826, Englisch)
Baron Humboldt’s observation on the gymnotus, or electrical eel (London, 1833, Englisch)
The gymnotus, or electric eel (London, 1834, Englisch)
Earthquake at Caraccas in 1812 (Hartford, Connecticut, 1835, Englisch)
Earthquake at Caraccas (London, 1837, Englisch)
Electrical eels (London, 1837, Englisch)
Female presence of mind (London, 1837, Englisch)
An earthquake in the Caraccas (London, 1837, Englisch)
An Earthquake (Leipzig; Hamburg; Itzehoe, 1838, Englisch)
Das Erdbeben von Caraccas (Leipzig, 1843, Deutsch)
The Gymnotus, or Electrical Eel (Buffalo, New York, 1849, Englisch)
Anecdote of a Crocodile (Boston, Massachusetts; New York City, New York, 1853, Englisch)
Battle with electric eels (Goldsboro, North Carolina, 1853, Englisch)
Anecdotes of crocodiles (Philadelphia, Pennsylvania, 1853, Englisch)
Das Erdbeben von Caracas (Leipzig, 1858, Deutsch)
|408|

Sur les Gymnotes et autres poissons électriques (1). Par M. Alex. de Humboldt.

Occupé journellement, depuis un grand nombre d’an-nées, des phénomènes de l’électricité galvanique; livréà cet enthousiasme qui excite à chercher, mais empêchede bien voir ce que l’on a découvert; ayant construit,sans m’en douter, de véritables piles, en plaçant des dis-ques métalliques les uns sur les autres, et en les faisantalterner avec des morceaux de chair musculaire ou avec
(1) Cet article est tiré textuellement de la Relation histo-rique du Voyage de M. de Humboldt, dont le tome II, 1re par-tie, vient de paraître chez Maze, libraire, rue Gît-le-Cœur,n° 4. Nous nous proposons de réunir cette dernière partie àcelles qui précèdent, et d’en donner prochainement unextrait détaillé. Nos lecteurs s’étonneront, peut-être, que nousayons tant tardé à leur faire connaître un ouvrage de cetteimportance: mais nous répondrons que nous avons jusqu’iciété arrêtés par la difficulté de renfermer dans les bornes quinous sont prescrites, même un simple aperçu des nouvellesobservations de géologie, de physique générale, de météo-rologie et d’astronomie qu’on rencontre à chaque page de la relation historique. Si nous ne pouvons pas nous flatterd’avoir entièrement surmonté cet obstacle, on verra dumoins, dans notre extrait, que nous l’avons évité autant quepossible, en réunissant dans des groupes séparés et distinctstoutes les observations de même espèce.
|409| d’autres substances humides (1), j’étais impatient, dèsmon arrivée à Cumana, de me procurer des anguillesélectriques. On nous en avait promis souvent, et toujourson avait trompé nos espérances. L’argent perd de sonprix à mesure qu’on s’éloigne des côtes; et commentvaincre le flegme imperturbable du peuple lorsque ledesir du gain ne l’excite point?
Les Espagnols confondent, sous le nom de tembla-dores (qui font trembler, proprement trembleurs), tousles poissons électriques. Il y en a dans la mer des An-tilles, sur les côtes de Cumana. Les Indiens de Guay-queries, qui sont les pêcheurs les plus habiles et les plusindustrieux de ces parages, nous apportèrent un pois-son qui, à ce qu’ils disaient, leur engourdissait lesmains. Ce poisson remonte la petite rivière du Manza-nares. C’était une nouvelle espèce de raie dont les tacheslatérales sont peu visibles, et qui ressemble assez à latorpille de Galvani. Les torpilles, pourvues d’un organeélectrique qui est visible au dehors à cause de la transpa-rence de la peau, forment un genre ou sous-genre diffé-rent des raies proprement dites (2). La torpille de Cu-
(1) Voyez mes Expériences sur la fibre irritable, t. I,pag. 74, tab. iii, iv, v de l’édition allemande.(2) ( Cuvier, Règne animal, t. II, p. 156.) La Méditer-ranée a, d’après M. Risso, quatre espèces de torpilles élec-triques, qui jadis étaient toutes confondues sous le nom de raia torpedo, savoir: torpedo narke, T. unimaculata,T. galvanii et T. marmorata. La torpille du cap de Bonne-Espérance, sur laquelle M. Todd a fait récemment des expé-riences, est sans doute une espèce non décrite.
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était très-vive, très-énergique dans ses mouve-mens musculaires, et cependant les commotions élec-triques qu’elle nous donnait étaient infiniment faibles.Elles devinrent plus fortes en galvanisant l’animal parle contact du zinc et de l’or. D’autres tembladores, devéritables gymnotes, ou anguilles électriques, habitentle Rio-Colorado, le Guarapiche, et plusieurs petits ruis-seaux qui traversent les missions des Indes Chaymas. Ilsabordent de même dans les grands fleuves de l’Amérique,l’Orénoque, l’Amazone et le Meta; mais la force ducourant et la profondeur des eaux empêchent les Indiensde les prendre. Ils voient ces poissons moins souventqu’ils n’en sentent les commotions électriques, en na-geant ou en se baignant dans la rivière. C’est dans le Llanos, surtout dans les environs de Calabozo, entreles métairies du Morichal et les missions de Arriba et de Abaxo, que les bassins d’eau stagnante et les affluensde l’Orénoque (le Rio-Guarico, les Can̄os du Rastro,de Berito et de la Paloma) sont remplis de gymnotes.Nous desirions d’abord faire nos expériences dans lamaison même que nous habitions à Calabozo; mais lacrainte des commotions électriques du gymnote est sigrande et si exagérée parmi le peuple, que pendant troisjours nous ne pûmes nous en procurer, quoique la pêcheen soit très-facile, et que nous eussions promis aux In-diens deux piastres pour chaque poisson bien grand etbien vigoureux. Cette crainte des Indiens est d’autantplus extraordinaire, qu’ils ne tentent pas d’employer unmoyen dans lequel ils assurent avoir beaucoup de con-fiance. Ils ne manquent jamais de dire aux blancs, lors-qu’on les interroge sur l’effet des tembladores, qu’on |411| peut les toucher impunément lorsqu’on mâche du tabac.Cette fable de l’influence du tabac sur l’électricité ani-male est aussi répandue sur le continent de l’Amériqueméridionale, que l’est, parmi les matelots, la croyancede l’effet de l’ail et du suif sur l’aiguille aimantée.
Impatientés par une longue attente, et n’obtenant quedes résultats très-incertains sur un gymnote vivant, maistrès-affaibli, qu’on nous avait apporté, nous nous ren-dîmes au Can̄o de Bera pour faire nos expériences enplein air, au bord de l’eau même. Nous partîmes, le19 mars, de grand matin, pour le petit village de Rastrode Abaxo: de là, les Indiens nous conduisirent à unruisseau qui, dans le temps des sécheresses, forme unbassin d’eau bourbeuse entouré de beaux arbres (1), declusia, d’amyris et de mimoses à fleurs odoriférantes. Lapêche des gymnotes avec des filets est très-difficile, àcause de l’extrême agilité de ces poissons, qui s’enfon-cent dans la vase comme des serpens. On ne voulut pointemployer le barbasco, c’est-à-dire, les racines du pis-cidia erithryna, du jacquinia armillaris et de quelquesespèces de phyllanthus qui, jetées dans une mare, eni-vrent ou engourdissent les animaux: ce moyen auraitaffaibli les gymnotes. Les Indiens nous disaient qu’ilsallaient pêcher avec des chevaux, embarbascas concavallos (2). Nous eûmes de la peine à nous faire uneidée de cette pêche extraordinaire; mais bientôt nous
(1) Amyris lateriflora, A. coriacea, Laurus Pichurin, Myroxilon secundum, Malpighia reticulata. (2) Proprement endormir ou enivrer les poissons par lemoyen des chevaux.
|412| vîmes nos guides revenir de la savane, où ils avaient faitune battue de chevaux et de mulets non domptés. Ils enamenèrent une trentaine qu’on força d’entrer dans lamare.
Le bruit extraordinaire causé par le piétinement deschevaux, fait sortir les poissons de la vase et les exciteau combat. Ces anguilles jaunâtres et livides, sembla-bles à de grands serpens aquatiques, nagent à la surfacede l’eau, et se pressent sous le ventre des chevaux et desmulets. Une lutte entre des animaux d’une organisationsi différente offre le spectacle le plus pittoresque. LesIndiens, munis de harpons et de roseaux longs et min-ces, ceignent étroitement la mare; quelques-uns d’entreeux montent sur les arbres, dont les branches s’étendenthorizontalement au-dessus de la surface de l’eau. Parleurs cris sauvages et la longueur de leurs joncs, ilsempêchent les chevaux de se sauver, en atteignant la rivedu bassin. Les anguilles, étourdies du bruit, se défen-dent par la décharge réitérée de leurs batteries électriques.Pendant long-temps elles ont l’air de remporter la vic-toire. Plusieurs chevaux succombent à la violence descoups invisibles qu’ils reçoivent de toute part dans lesorganes les plus essentiels à la vie; étourdis par la forceet la fréquence des commotions, ils disparaissent sousl’eau. D’autres, haletant, la crinière hérissée, les yeuxhagards, et exprimant l’angoisse, se relèvent et cherchentà fuir l’orage qui les surprend. Ils sont repoussés par lesIndiens au milieu de l’eau: cependant un petit nombreparvient à tromper l’active vigilance des pêcheurs. Onles voit gagner la rive, broncher à chaque pas, s’étendredans le sable excédés de fatigue et les membres en- |413| gourdis par les commotions électriques des gym-notes. En moins de cinq minutes, deux chevaux étaientnoyés. L’anguille, ayant cinq pieds de long et se pres-sant contre le ventre des chevaux, fait une décharge detoute l’étendue de son organe électrique. Elle attaqueà-la-fois le cœur, les viscères et le plexus cœliacus desnerfs abdominaux. Il est naturel que l’effet qu’éprouventles chevaux soit plus puissant que celui que le mêmepoisson produit sur l’homme lorsqu’il ne le touche quepar une des extrémités. Les chevaux ne sont probable-ment pas tués, mais simplement étourdis. Ils se noient,étant dans l’impossibilité de se relever, par la lutte pro-longée entre les autres chevaux et les gymnotes. Nous ne doutions pas que la pêche ne se terminât parla mort successive des animaux qu’on y emploie; maispeu à peu l’impétuosité de ce combat inégal diminue;les gymnotes, fatigués, se dispersent. Ils ont besoind’un long repos (1) et d’une nourriture abondante pourréparer ce qu’ils ont perdu de force galvanique. Lesmulets et les chevaux parurent moins effrayés; ils ne
(1) Les Indiens assurent que, si l’on fait courir les che-vaux, deux jours de suite, dans une mare remplie de gym-notes, aucun cheval n’est tué le second jour. Voyez, sur lapêche des gymnotes et sur le détail des expériences faites à Calabozo, un Mémoire particulier que j’ai publié dans mes Observations de Zoologie, t. I, p. 59-92; et mes Tableauxde la Nature, t. I, p. 53-57. J’ai pu ajouter ici des consi-dérations nouvelles, fondées sur une connaissance plus in-time de l’action des appareils électro-moteurs.
|414| hérissaient plus la crinière; leurs yeux exprimaientmoins l’épouvante. Les gymnotes s’approchaient timi-dement du bord des marais, où on les prit au moyen depetits harpons attachés à de longues cordes. Lorsque lescordes sont bien sèches, les Indiens, en soulevant lepoisson dans l’air, ne ressentent point de commotions.En peu de minutes nous eûmes cinq grandes anguilles,dont la plupart n’étaient que légèrement blessées.D’autres furent prises vers le soir par les mêmesmoyens.
La température des eaux dans lesquelles vivent habi-tuellement les gymnotes est de 26° à 27°. On assure queleur force électrique diminue dans les eaux plus froides;et il est assez remarquable, en général, comme l’a déjàobservé un physicien célèbre, que les animaux douésd’organes électro-moteurs, dont les effets deviennent sen-sibles à l’homme, ne se rencontrent pas dans l’air, maisdans un fluide conducteur de l’électricité. Le gymnoteest le plus grand des poissons électriques; j’en ai me-suré qui avaient de cinq pieds à cinq pieds trois poucesde long. Les Indiens assuraient en avoir vu de plusgrands encore. Nous avons trouvé qu’un poisson quiavait trois pieds dix pouces de long pesait douze livres.Le diamètre transversal du corps était (sans compter lanageoire anale, qui est prolongée en forme de carène)de trois pouces cinq lignes. Les gymnotes du Can̄o deBera sont d’un beau vert d’olive. Le dessous de la tête estjaune, mêlé de rouge. Deux rangées de petites tachesjaunes sont placées symétriquement le long du dos,depuis la tête jusqu’au bout de la queue. Chaque tacherenferme une ouverture excrétoire: aussi la peau de |415| l’animal est-elle constamment couverte d’une matièremuqueuse qui, comme Volta l’a prouvé, conduit l’élec-tricité vingt à trente fois mieux que l’eau pure. Il est,en général, assez remarquable qu’aucun des poissonsélectriques découverts jusqu’ici (1) dans les différentesparties du monde, ne soit couvert d’écailles. Le gymnote, comme nos anguilles, se plaît à avaleret à respirer de l’air à la surface de l’eau. Il ne faut pas enconclure, avec M. Bajon, que le poisson périrait s’il nepouvait venir respirer l’air. Nos anguilles se promènentune partie de la nuit dans l’herbe, tandis que j’ai vu
(1) On ne connaît encore avec quelque certitude que septpoissons électriques: torpedo narke Risso, T. unimacu-lata, T. marmorata, T. galvanii, silurus electricus,tetraodon electricus, gymnotus electricus. Il paraît incer-tain si le trichiurus indicus a des propriétés électriques.(Cuvier, Règne animal, t. II, p. 247.) Mais le genre torpedo, très-différent de celui des raies proprement dites,a de nombreuses espèces dans les mers équatoriales, et il estprobable qu’il existe plusieurs gymnotes spécifiquement dif-férens. Les Indiens nous ont parlé d’une espèce très-noire ettrès-énergique qui habite les marécages de l’Apure, et quin’atteint jamais plus de deux pieds de longueur: nous n’avonspas pu nous la procurer. Le raton du Rio de la Magdalena,que j’ai décrit sous le nom de gymnotos æquilabiatus (Observ. de Zool., t. I, pl. x, fig. 1) forme un sous-genre particulier. C’est un carape non écailleux, sans or-gane électrique. Cet organe manque aussi entièrement auxcarapes du Brésil et à toutes les raies que M. Cuvier a bienvoulu examiner de nouveau, à ma prière.
|416| mourir à sec un gymnote très-vigoureux qui s’était élancéhors du baquet. Nous avons prouvé, M. Provençal etmoi, par notre travail sur la respiration des poissons, queleurs branchies humides peuvent servir à la double fonc-tion de décomposer l’air atmosphérique, et de s’appro-prier l’oxigène dissous dans l’eau. Ils ne suspendent pasleur respiration dans l’air; mais ils absorbent l’oxigènegazeux, comme fait un reptile muni de poumons. Il estconnu qu’on engraisse des carpes en les nourrissant horsde l’eau, et en leur mouillant de temps en temps lesouïes avec de la mousse humide, pour empêcher qu’ellesne se dessèchent. Les poissons écartent leurs operculesdans le gaz oxigène plus que dans l’eau. Cependant leurtempérature ne s’élève pas, et ils vivent également long-temps dans l’air vital et dans un mélange de 90 partiesd’azote et de 10 d’oxigène. Nous avons trouvé que destanches (cyprinus tinca) placées sous des cloches rem-plies d’air absorbent, dans une heure de temps, un demi-centimètre cube d’oxigène. Cette action a lieu dans lesouïes seules; car les poissons auxquels on adapte descolliers de liége, et dont la tête reste hors du bocalrempli d’air, n’agissent pas sur l’oxigène (1) par le restede leur corps.
La vessie natatoire du gymnote (2), dont M. Bloch anié l’existence, a deux pieds cinq pouces de long dans
(1) Mémoires de la Société d’Arcueil, t. II, p. 398. Larespiration dans l’air se fait-elle par l’intermède d’une lamed’eau infiniment mince qui humecte les ouïes?(2) M. Cuvier m’a fait voir, depuis mon retour en Europe,qu’il existe dans le gymnotus electricus, outre la grande
|417| un individu de trois pieds dix pouces. Elle est séparéede la peau extérieure par une masse de graisse, et re-pose sur les organes électriques qui remplissent plus dedeux tiers de l’animal. Les mêmes vaisseaux qui s’insi-nuent entre les lames ou feuillets de ces organes, et quiles couvrent de sang lorsqu’on les coupe transversa-lement, donnent aussi de nombreux rameaux à la sur-face extérieure de la vessie. J’ai trouvé, dans 100 partiesde l’air de la vessie natatoire, 4 d’oxigène et 96 d’azote.La substance médullaire du cerveau n’offre qu’une faibleanalogie avec la matière albumineuse et gélatineuse desorganes électriques; mais ces deux substances ont decommun la grande quantité de sang artériel qu’ellesreçoivent, et qui s’y désoxide. Nous remarquons de nou-veau, à cette occasion, qu’une extrême activité dans lesfonctions du cerveau fait refluer plus abondamment lesang vers la tête, comme l’énergie du mouvement desmuscles accélère la désoxidation du sang artériel. Quelcontraste entre la multitude et le diamètre des vaisseauxsanguins du gymnote, et le petit volume qu’occupe sonsystème musculaire! Ce contraste rappelle à l’observa-teur que trois fonctions de la vie animale, qui paraissentd’ailleurs assez hétérogènes, les fonctions du cerveau,celles de l’organe électrique et celles des muscles, re-quièrent toutes l’affluence et le concours du sang arté-riel ou oxigéné.

vessie natatoire, une autre vessie antérieure et plus petite;elle ressemble à la vessie natatoire bicorne que j’ai dessinéedans le Gymnotus æquilabiatus.
|418| On ne s’expose pas témérairement aux premières com-motions d’un gymnote très-grand et fortement irrité. Si,par hasard, on reçoit un coup avant que le poisson soitblessé ou fatigué par une longue poursuite, la douleuret l’engourdissement sont si violens, qu’il est impossiblede se prononcer sur la nature du sentiment qu’on éprouve.Je ne me souviens pas d’avoir jamais reçu, par la dé-charge d’une grande bouteille de Leyde, une commotionplus effrayante que celle que j’ai ressentie en plaçant im-prudemment les deux pieds sur un gymnote que l’onvenait de retirer de l’eau. Je fus affecté, le reste du jour,d’une vive douleur dans les genoux et presque danstoutes les jointures. Pour s’assurer de la différence assezmarquante qui existe entre la sensation produite par lapile de Volta et les poissons électriques, il faut toucherces derniers lorsqu’ils sont dans un état de faiblesseextrême: les gymnotes et les torpilles causent alors untressaillement (1) qui se propage depuis la partie ap-puyée sur les organes électriques jusqu’au coude. Oncroit sentir, à chaque coup, une vibration interne quidure deux à trois secondes, et qui est suivie d’un engour-dissement douloureux. Aussi les Indiens Tamanaques,dans leur langue expressive, appellent le temblador,arimna, c’est-à-dire, qui prive de mouvement. La sensation que causent les faibles émotions d’ungymnote m’a paru très-analogue au tressaillement dou-loureux dont j’ai été saisi à chaque contact de deuxmétaux hétérogènes appliqués sur des plaies que je
(1) Subsultus tendinum.
|419| m’étais faites au dos par le moyen des cantharides (1).Cette différence de sensations entre les effets des pois-sons électriques et ceux de la pile ou d’une bouteille deLeyde faiblement chargée, a frappé tous les observateurs;elle n’est cependant aucunement contraire à la suppo-sition de l’identité de l’électricité et de l’action galva-nique des poissons. L’électricité peut être la même; maisses effets seront diversement modifiés par la dispositiondes appareils électriques, par l’intensité du fluide, parla rapidité du courant, par un mode d’action parti-culier.
Dans la Guyane hollandaise, par exemple, à Démé-rary, on a employé jadis les gymnotes pour guérir lesparalytiques. Dans un temps où les médecins d’Europe avaient une grande confiance dans les effets de l’élec-tricité, un chirurgien d’Essequibo, M. Vanderlott, pu-blia en Hollande un Mémoire sur les propriétés médi-cales des gymnotes. Ces cures électriques se retrouventparmi les sauvages de l’Amérique comme parmi lesGrecs. Scribonius Largus, Galien et Dioscoride nousapprennent que les torpilles guérissent les maux de tête,les migraines et la goutte. Je n’ai point entendu parlerde ce genre de traitement dans les colonies espagnoles que j’ai parcourues; mais je puis assurer qu’après avoirfait des expériences pendant quatre heures consécutivesavec des gymnotes, nous éprouvâmes, M. Bonpland etmoi, jusqu’au lendemain, une débilité dans les muscles,
(1) Versuche über die gereizte Muskelfaser, vol. I,p. 323-329.
|420| une douleur dans les jointures, un malaise général quiétait l’effet d’une forte irritation du système nerveux.
Les gymnotes ne sont ni des conducteurs chargés, nides batteries, ni des appareils électro-moteurs, dont onreçoit la commotion chaque fois qu’on les touche d’unemain, ou en appliquant les deux mains pour formerl’arc conducteur entre des poles hétérogènes. L’actionélectrique du poisson dépend uniquement de sa volonté,soit qu’il ne tienne pas toujours chargés ses organes élec-triques, soit qu’il puisse, par la sécrétion de quelquefluide, ou par un autre moyen également mystérieuxpour nous, diriger au dehors l’action de ses organes. Ontente souvent, isolé ou non isolé, de toucher le poissonsans sentir la moindre commotion. Lorsque M. Bonpland le tenait par la tête ou le milieu du corps, tandis que jele tenais par la queue, et que, placé sur le sol humide,nous ne nous donnions pas la main, l’un de nous rece-vait des secousses que l’autre ne sentait pas. Il dépend dugymnote de n’agir que vers le point dans lequel il secroit le plus fortement irrité. La décharge se fait alorspar un seul point, et non par le point voisin. De deuxpersonnes qui touchent de leur doigt le ventre du pois-son à un pouce de distance, et qui appuient simulta-nément, c’est tantôt l’une, tantôt l’autre qui reçoit lecoup. De même, lorsqu’une personne isolée tient laqueue d’un gymnote vigoureux, et qu’une autre le pinceaux ouïes et à la nageoire pectorale, c’est souvent lapremière seule qui éprouve la commotion. Il ne nousa guère paru qu’on pût attribuer ces différences à lasécheresse ou à l’humidité de nos mains, à leur inégaleconductibilité. Le gymnote semblait diriger ses coups, |421| tantôt par toute la surface de son corps, tantôt par uneseule partie. Cet effet indique moins une décharge par-tielle de l’organe composé d’une innombrable quantitéde feuillets, que la faculté qu’a l’animal (peut-êtrepar la sécrétion instantanée d’un fluide qui se répanddans le tissu cellulaire) de n’établir la communicationde ses organes avec la peau que dans un espace très-limité. Rien ne prouve plus la faculté qu’a le gymnote (parl’influence du cerveau et des nerfs) de lancer et de di-riger son coup à volonté, que les observations faites, à Philadelphie et récemment à Stockholm (1), sur des
(1) Par MM. Williamson et Fahlberg. Voici ce que rap-porte ce dernier dans une note intéressante publiée dans les Vetensk. Acad. ny. handl. quart. 2 (1801), p. 122-156:«Le gymnote qui a été envoyé, de Surinam à Stockholm, àM. Norderling, a vécu plus de quatre mois dans un état deparfaite santé. Il avait 27 pouces de long, et les commo-tions qu’il donnait étaient si violentes, surtout dans l’air, queje ne trouvais presqu’aucun moyen de m’en préserver pardes corps non conducteurs, en transportant le poisson d’unendroit à l’autre. Son estomac était très-petit; il mangeaitpeu à-la-fois, mais souvent. Il s’approchait des poissons vi-vans en leur lançant (de loin) un coup dont l’énergie étaitproportionnée à la grandeur de la proie. Rarement le gym-note se trompait dans son jugement; un seul coup étaitpresque toujours suffisant pour vaincre la résistance (lesobstacles que les couches d’eau plus ou moins épaisses, selonla distance, opposaient au courant électrique). Lorsqu’il étaittrès-pressé par-la faim, il lançait aussi quelquefois des coups
|422| gymnotes extrêmement apprivoisés. Lorsqu’on les avaitfait jeûner long-temps, ils tuaient de loin les petits pois-sons qu’on plaçait dans le baquet. Ils agissaient à dis-tance, c’est-à-dire, leur coup électrique traversait unecouche d’eau très-épaisse. Il ne faut pas être surpris qu’onait pu observer, en Suède, sur un seul gymnote ce quenous n’avons pu voir sur un grand nombre d’individusdans leur pays natal. Comme l’action électrique des ani-maux est une action vitale et soumise à la volonté, ellene dépend pas uniquement de leur état de santé et devigueur. Un gymnote qui fait le trajet de Surinam à Phi-ladelphie et à Stockholm s’accoutume à la prison à la-quelle il est réduit; il reprend peu à peu, dans lebaquet, les mêmes habitudes qu’il avait dans les rivièreset dans les mares. On nous porta, à Calabozo, une an-guille électrique prise dans un filet, et n’ayant par con-séquent aucune blessure. Elle mangea de la viande, eteffraya cruellement de petites tortues et des grenouillesqui, ne connaissant pas le danger, voulurent se placeravec confiance sur le dos du poisson. Les grenouilles nereçurent le coup qu’au moment où elles touchèrent lecorps du gymnote. Revenues à elles-mêmes, elles sesauvèrent hors du baquet; et lorsqu’on les replaça près
à celui qui journellement lui donnait à manger de la viandecuite ou non assaisonnée. Les personnes affectées de mauxrhumatiques venaient le toucher, dans l’espoir de guérir.On le prenait à-la-fois par le cou et la queue; les commo-tions étaient, dans ce cas, plus fortes que lorsqu’on le tou-chait d’une seule main. Il perdit presque entièrement saforce électrique peu de temps avant sa mort.»
|423| du poisson, sa seule vue les effraya. Nous n’observâmesalors rien qui indiquât une action à distance; mais aussinotre gymnote, nouvellement pris, n’était guère assezapprivoisé pour vouloir attaquer et dévorer des gre-nouilles. En approchant le doigt ou des pointes métal-liques, à une demi-ligne de distance des organes élec-triques, aucune commotion ne se fit sentir. L’animal nes’apercevait peut-être pas du voisinage d’un corps étran-ger, ou, s’il s’en apercevait, il faut croire que la timi-dité qu’il conserve dans le premier temps de sa capti-vité le porte à ne lancer des coups énergiques que lors-qu’il se sent fortement irrité par un contact immédiat.Le gymnote étant plongé dans l’eau, j’ai approché lamain, armée ou non armée de métal, à peu de lignesde distance des organes électriques; les couches d’eaune m’ont transmis aucune secousse, tandis que M. Bon-pland irritait fortement l’animal par un contact immé-diat, et en recevait des coups très-violens. Si j’avaisplongé les électroscopes les plus sensibles que nous con-naissions, des grenouilles préparées, dans les couchesd’eau voisines, elles auraient sans doute éprouvé descontractions au moment où le gymnote semblait dirigerson coup autre part. Placées immédiatement sur le corpsd’une torpille, les grenouilles préparées ressentent, selon Galvani, de fortes contractions chaque fois que le pois-son se décharge.
L’organe électrique des gymnotes n’agit que sous l’in-fluence immédiate du cerveau et du cœur. En coupantun poisson très-vigoureux par le milieu du corps, lapartie extérieure seule m’a donné des commotions. Lescoups sont également forts dans quelque partie du corps |424| que l’on touche le poisson: cependant il est plus disposéà les lancer lorsqu’on lui pince la nageoire pectorale,l’organe électrique, les lèvres, les yeux et les ouïes.Quelquefois l’animal se débat fortement contre celui quile tient par la queue, sans communiquer la moindrecommotion. Je n’en éprouvai pas non plus lorsque jefis une légère incision près la nageoire pectorale dupoisson, et que je galvanisai la plaie par le simplecontact de deux armatures de zinc et d’argent. Le gym-note se recourba convulsivement; il leva sa tête hors del’eau, comme effrayé par une sensation toute nouvelle;mais je ne sentis aucun frémissement dans les mains quitenaient les armatures. Les mouvemens musculaires lesplus violens ne sont pas toujours accompagnés de dé-charges électriques. L’action du poisson sur les organes de l’homme esttransmise et interceptée par les mêmes corps qui trans-mettent et interceptent le courant électrique d’un conduc-teur chargé, d’une bouteille de Leyde ou d’une pile de Volta. Quelques anomalies que nous avons cru observers’expliquent aisément lorsqu’on se rappelle que mêmeles métaux (comme le prouve leur incandescencepar la pile) opposent un léger obstacle au passage del’électricité, et qu’un mauvais conducteur anéantit pournos organes l’effet d’une électricité faible, tandis qu’ilnous transmet l’effet d’une électricité très-forte. La forcerépulsive qu’exercent entre eux le zinc et l’argent étantde beaucoup supérieure à celle de l’or et de l’argent, j’aireconnu que, lorsqu’on galvanise sous l’eau une gre-nouille, préparée et armée d’argent, l’arc conducteur dezinc produit des commotions, dès qu’une de ses extré- |425| mités approche des muscles à trois lignes de distance,tandis qu’un arc d’or n’excite pas les organes dès que lacouche d’eau, entre l’or et le muscle, a plus d’une demi-ligne d’épaisseur. De même, en employant un arc con-ducteur composé de deux morceaux de zinc et d’argentsoudés l’un au bout de l’autre, et en appuyant commeauparavant une des extrémités de l’arc métallique sur lenerf ischiatique, il faut, pour produire des contractions,approcher l’autre extrémité de l’arc conducteur de plusen plus près des muscles, à mesure que l’irritabilité desorganes diminue. Vers la fin de l’expérience, la plusmince couche d’eau empêche le passage du courant élec-trique, et ce n’est qu’au contact immédiat de l’arc avecle muscle que les contractions ont lieu. J’insiste sur cescirconstances dépendantes de trois variables: de l’énergiede l’appareil électro-moteur, de la conductibilité des mi-lieux, et de l’irritabilité des organes qui reçoivent lesimpressions. C’est pour n’avoir pas suffisamment multi-plié les expériences, selon ces trois élémens variables,qu’on a pris, dans l’action des gymnotes électriques etdes torpilles, des conditions accidentelles pour des con-ditions sans lesquelles des commotions électriques ne sefont pas sentir. Dans des gymnotes blessés, qui donnent des commo-tions faibles, mais très-égales, ces commotions nous ontparu constamment plus fortes en touchant le corps dupoisson d’une main armée de métal que de la main nue.Elles sont plus fortes aussi, lorsqu’au lieu de toucherpar une main nue ou non armée d’un métal, on appuieà-la-fois les deux mains nues ou armées. Ces différences,je le répète, ne deviennent sensibles que lorsqu’on a |426| assez de gymnotes à sa disposition pour pouvoir choisirles plus faibles, et que l’égalité extrême des déchargesélectriques permet de distinguer entre les sensationsqu’on éprouve alternativement par la main nue ou arméed’un métal. C’est aussi seulement dans le cas des petitescommotions faibles et uniformes, que les coups sontplus sensibles en touchant le gymnote d’une main (sansformer de chaîne) avec du zinc qu’avec du cuivre oudu fer. Les substances résineuses, le verre, le bois très-sec,la corne, et même les os, que l’on croit généralementbons conducteurs, empêchent l’action des gymnotes d’êtretransmise à l’homme. J’ai été surpris de ne pas sentirla moindre commotion en pressant contre les organesdu poisson des bâtons de cire d’Espagne mouillés, tandisque le même individu me porta les coups les plus vio-lens en l’excitant au moyen d’une tige métallique.M. Bonpland reçut des commotions en portant un gym-note sur deux cordes de fibres de palmier qui nous pa-rurent très-sèches. Une forte décharge se fraie un cheminà travers des conducteurs très-imparfaits. Peut-être aussil’obstacle qu’oppose l’arc conducteur rend-il l’explosionplus douloureuse. J’ai touché sans effet le gymnote avecun pot d’argile brune humectée, et j’ai reçu de violentescommotions lorsque je portais le gymnote dans ce mêmepot, parce que le contact était plus grand. Lorsque deux personnes isolées, ou non isolées, setiennent par la main, et que seulement une d’elles touchele poisson de la main nue ou armée de métal, les com-motions se font le plus souvent sentir aux deux personnesà-la-fois. Il arrive cependant aussi que, dans les coups |427| les plus douloureux, la personne seule qui entre encontact immédiat avec le poisson éprouve le choc. Quandle gymnote épuisé ou dans un état d’excitabilité très-faible ne veut absolument plus lancer de coups en l’ir-ritant d’une seule main, les commotions se sentent très-vivement en formant la chaîne et en employant les deuxmains. Cependant, même dans ce cas, le choc élec-trique n’a lieu que par la volonté de l’animal. Deux per-sonnes, dont l’une tient la queue et l’autre la tête, nepeuvent pas forcer le gymnote à lancer le coup lors-qu’elles se donnent la main et qu’elles forment unechaîne. En employant de mille manières des électromètrestrès-sensibles, en les isolant sur une plaque de verre, eten recevant des commotions très-fortes qui passaient parl’électromètre, je n’ai jamais pu découvrir aucun phéno-mène d’attraction et de répulsion. La même observationa été faite, à Stockholm, par M. Fahlberg. Ce physiciencependant a vu une étincelle électrique, comme, avantlui, Walsh et Ingenhouss, à Londres, en plaçant le gym-note dans l’air, et en interrompant la chaîne conductricepar deux feuillets d’or collés sur du verre et éloignésd’une ligne. Personne, au contraire, n’a jamais aperçuune étincelle sortant du corps même du poisson. Nousl’avons irrité long-temps de nuit, à Calabozo, dans uneparfaite obscurité; mais nous n’avons observé aucun phé-nomène lumineux. En disposant quatre gymnotes d’uneforce inégale, de manière que je reçusse les commotionsdu poisson le plus vigoureux par communication, c’est-à-dire, en ne touchant qu’un des autres poissons, je n’aipas vu ceux-ci s’agiter au moment où le courant passait |428| par leur corps. Peut-être le courant ne s’établit-il quepar la surface humide de leur peau. Nous n’en conclu-rons pas cependant que les gymnotes sont insensibles àl’électricité, et qu’ils ne peuvent combattre les unscontre les autres au fond des mares. Leur système ner-veux doit être soumis aux mêmes agens que les nerfs desautres animaux. J’ai vu, en effet, qu’en mettant les nerfsà nu, ils éprouvent des contractions musculaires au sim-ple contact de deux métaux hétérogènes, et M. Fahlberg,à Stockholm, a trouvé que son gymnote s’agitait convul-sivement lorsqu’il était placé dans un baquet de cuivre,et que de faibles décharges d’une bouteille de Leyde tra-versaient sa peau. Après les expériences que j’avais faites sur les gym-notes, il était d’un grand intérêt pour moi, à mon re-tour en Europe, de connaître avec précision les diversescirconstances dans lesquelles un autre poisson élec-trique, la torpille de nos mers, donne ou ne donne pasde commotion. Quoique ce poisson ait été examiné parun grand nombre de physiciens, j’ai trouvé extrême-ment vague tout ce qui a été publié sur ses effets élec-triques. On a supposé très-arbitrairement qu’elle agitcomme une bouteille de Leyde qu’on décharge à volonté,en la touchant des deux mains, et cette suppositionparaît avoir induit en erreur les observateurs qui se sontlivrés à ce genre de recherches. Pendant notre voyageen Italie, nous avons, M. Gay-Lussac et moi, fait ungrand nombre d’expériences sur des torpilles prises dansle golfe de Naples. Ces expériences offrent plusieursrésultats assez différens de ceux que j’ai recueillis sur lesgymnotes. Il est probable que la cause de ces anomalies |429| tient plutôt à l’inégalité du pouvoir électrique dans lesdeux poissons, qu’à la disposition différente de leursorganes (1). Quoique la force de la torpille ne soit pas à comparerà celle des gymnotes, elle est suffisante pour causer dessensations très-douloureuses. Une personne accoutuméeaux commotions électriques ne tient qu’avec peine entreles mains une torpille de 12 à 14 pouces de long, et quijouit de toute sa vigueur. Lorsque l’animal ne donneplus que des coups très-faibles sous l’eau, les commo-tions deviennent plus sensibles si on l’élève au-dessusde la surface de l’eau. J’ai souvent observé ce phéno-mène en galvanisant des grenouilles. La torpille remue convulsivement les nageoires pec-torales chaque fois qu’elle lance le coup, et ce coup estplus ou moins douloureux, selon que le contact immé-diat se fait par une surface plus ou moins large. Nousavons observé plus haut que le gymnote donne les com-motions les plus fortes sans faire aucun mouvement desyeux, de la tête ou des nageoires (2). Cette différenceest-elle causée par la position de l’organe électrique quin’est pas double dans les gymnotes? ou le mouvementdes nageoires pectorales de la torpille prouve-t-il direc-tement que le poisson rétablit l’équilibre électrique parsa propre peau, qu’il se décharge par son propre corps,
(1) Geoffroy-de-Saint-Hilaire, dans les Annales duMuséum, tom. I, p. 392-407.(2) Il n’y a que la nageoire anale des gymnotes qui remuesensiblement lorsqu’on excite ces poissons sous le ventre, làoù se trouve placé l’organe électrique.
|430| et que nous n’éprouvons généralement que l’effet d’unchoc latéral?
On ne peut décharger à volonté ni une torpille ni ungymnote, comme on décharge à volonté une bouteillede Leyde ou une pile de Volta. On ne sent pas toujoursde commotion, même lorsqu’on touche des deux mainsun poisson électrique; il faut l’irriter pour qu’il donnela commotion. Cette action, dans les torpilles comme dansles gymnotes, est une action vitale; elle ne dépend que dela volonté de l’animal, qui, peut-être, ne tient pas toujourschargés ses organes électriques, ou qui n’emploie pastoujours l’action de ses nerfs pour établir la chaîne entreles poles positifs et négatifs. Ce qui est certain, c’est quela torpille peut donner avec une célérité étonnante unelongue suite de commotions, soit que les lames ou feuil-lets de ses organes ne soient pas toujours épuisés enentier, soit que le poisson les recharge instantanément. Le coup électrique se fait sentir quand l’animal estdisposé à le lancer, que l’on touche d’un seul doigt uneseule surface des organes, ou que l’on applique les deuxmains aux deux surfaces, à la supérieure et à l’inférieureà-la-fois. Dans l’un et l’autre cas, il est tout-à-fait indif-férent que la personne qui touche le poisson d’un doigtou des deux mains soit isolée ou qu’elle ne le soit pas.Tout ce qu’on a dit de la nécessité d’une communica-tion par le sol humide pour établir une chaîne, estfondé sur des observations inexactes. M. Gay-Lussac a fait l’observation importante, quelorsqu’une personne isolée touche la torpille d’un seuldoigt, il est indispensable que le contact soit immédiat.On touche impunément le poisson avec une clef ou avec |431| tout autre instrument métallique, aucune commotion nese faisant sentir dès qu’un corps conducteur ou nonconducteur est interposé entre le doigt et l’organe élec-trique de la torpille. Cette circonstance offre une grandedifférence entre la torpille et le gymnote, le dernierlançant ses coups à travers une barre de fer de plusieurspieds de longueur. Lorsqu’on place la torpille sur un plateau métalliquede très-peu d’épaisseur, de manière que le plateau tou-che la surface inférieure des organes, la main qui sou-tient ce plateau ne sent jamais de commotion, quoi-qu’une autre personne isolée excite l’animal, et que lemouvement convulsif des nageoires pectorales annonceles décharges les plus fortes et les plus réitérées. Si, au contraire, une personne tient la torpille placéesur un plateau métallique de la main gauche, commedans l’expérience précédente, et si cette même personnetouche la surface supérieure de l’organe électrique dela main droite, alors une forte commotion se fait sentirdans les deux bras. La sensation qu’on éprouve est la mêmelorsque le poisson est placé entre deux plateaux métal-liques dont les bords ne se touchent pas, et lorsqu’onappuie les deux mains à-la-fois sur ces plateaux. L’inter-position d’une lame métallique empêche la communi-cation si on touche cette lame d’une seule main, tandisque l’interposition de deux lames métalliques cesse d’em-pêcher la commotion dès qu’on applique les deux mains.Dans ce dernier cas, on ne saurait douter que la circu-lation du fluide s’établit par les deux bras. Si, dans la même position du poisson entre deux pla-teaux, il existe quelque communication immédiate entre |432| les bords des deux plateaux, toute commotion cesse. Lachaîne entre les deux surfaces de l’organe électrique estformée alors par les plateaux, et la nouvelle communi-cation que l’on établit par le contact des deux mainsavec les deux plateaux reste sans effet. Nous avons portéimpunément la torpille entre deux plats de métal, etnous n’avons senti les coups qu’elle lançait qu’au momentoù les plats ne se touchaient pas par leurs bords. Dans la torpille, comme dans le gymnote, rien n’an-nonce que l’animal modifie la tension électrique descorps qui l’entourent. L’électromètre le plus sensiblen’est aucunement affecté, de quelque manière qu’on l’em-ploie, soit en l’approchant des organes, soit en isolantle poisson, en le couvrant d’un plateau métallique, eten faisant communiquer ce plateau par un fil conduc-teur avec le condensateur de Volta. Nous avons mis beau-coup de soin à varier ces expériences, par lesquelles oncherche à rendre sensible la tension électrique dans lesorganes de la torpille. Elles ont toujours été sans effet, etconfirment parfaitement ce que nous avions observé,M. Bonpland et moi, sur les gymnotes pendant notreséjour dans l’Amérique méridionale. Les poissons électriques, lorsqu’ils sont très-vigou-reux, agissent avec la même énergie sous l’eau et dansl’air. Cette observation nous a mis à même d’examinerla propriété conductrice de l’eau, et nous avons trouvéque lorsque plusieurs personnes font la chaîne entre lasurface supérieure et la surface inférieure des organesde la torpille, la commotion ne se fait sentir que dansle cas où ces personnes se sont mouillé les mains. L’ac-tion n’est point interceptée si deux personnes, qui de |433| leurs mains droites soutiennent la torpille, au lieu dese donner la main gauche, enfoncent chacune un styletmétallique dans une goutte d’eau placée sur un corpsisolant. En substituant la flamme à la goutte d’eau,la communication est interceptée, et ne se rétablit,comme dans les gymnotes, que lorsque les deux sty-lets se touchent immédiatement dans l’intérieur de laflamme. Nous sommes bien loin, sans doute, d’avoir dévoilétous les secrets de l’action électrique des poissons, quiest modifiée par l’influence du cerveau et des nerfs; maisles expériences que nous venons de rapporter suffisentpour prouver que ces poissons agissent par une élec-tricité dissimulée, et par des appareils électro-moteursd’une composition particulière, qui se rechargent avecune extrême rapidité. M. Volta admet que, dans lestorpilles et les gymnotes, la décharge des électricités op-posées se fait par leur propre peau, et que, dans le casoù nous ne les touchons que d’une main, ou au moyend’une pointe métallique, nous sentons l’effet d’un choclatéral, le courant électrique ne se dirigeant pas uni-quement par le chemin le plus court. Lorsqu’on placeune bouteille de Leyde sur un drap mouillé qui estmauvais conducteur, et qu’on décharge la bouteille, demanière que le drap fasse partie de l’arc, des grenouillespréparées, placées à différentes distances, annoncentpar leurs contractions que le courant se répand dans ledrap entier par mille routes diverses. D’après cette ana-logie, le coup le plus fort que le gymnote lance au loinne serait qu’une faible partie du coup qui rétablit |434| l’équilibre dans l’intérieur du poisson (1). Comme legymnote dirige son fluide où il veut, il faut admettreaussi que la décharge ne se fait pas par toute la peauà-la-fois; mais que l’animal, excité peut-être au moyende la sécrétion d’un fluide versé dans une partie dutissu cellulaire, établit à volonté la communication entreses organes et tel ou tel point de sa peau. On conçoitqu’un coup latéral hors de la chaîne doit devenir insen-sible dans les deux conditions d’une décharge très-faible ou d’un obstacle très-grand qu’opposent la natureet la longueur du conducteur. Malgré ces considéra-tions, il me paraît bien surprenant que, dans la torpille,des commotions très-fortes en apparence ne se soient pas
(1) Les poles hétérogènes des organes électriques doublesdoivent se trouver dans chaque organe. M. Todd a constatérécemment, par des expériences faites sur des torpilles du cap de Bonne-Espérance, que l’animal continue à donner defortes commotions lorsqu’on extirpe un des organes. Au con-traire, on arrête toute action électrique, et ce point, déjàéclairci par Galvani, est de la plus haute importance, soit enfaisant une forte lésion au cerveau, soit en coupant les nerfsqui se répandent dans les feuillets des organes électriques.Dans ce dernier cas, les nerfs étant coupés sans léser le cer-veau, la torpille continue de vivre et d’exercer tous les mou-vemens musculaires. Un poisson fatigué par de trop nom-breuses décharges électriques, était beaucoup plus souffrantqu’un poisson dans lequel on avait intercepté, par la sec-tion des nerfs, la communication entre le cerveau et lesorganes électro-moteurs. (Philos. Trans., 1816, part. I,p. 120.)
|435| propagées à la main, lorsqu’un plateau très-mince demétal est interposé entre la main et le poisson.
Le Dr Schilling avait annoncé que le gymnote s’ap-prochait involontairement de l’aimant. Nous fûmesétonnés de voir cette même idée adoptée par M. Pozo.Nous avons essayé de mille manières cette prétendue in-fluence de l’aimant sur les organes électriques, et nousn’avons jamais observé aucun effet sensible. Le poissonne s’approchait pas plus d’un aimant que d’un barreaunon aimanté. La limaille de fer jetée sur son dos restaimmobile. Les gymnotes, sujets de la prédilection et du plus vifintérêt des physiciens d’Europe, sont à-la-fois redoutéset détestés par les indigènes. Ils offrent, il est vrai, dansleur chair musculaire, un aliment assez bon; mais l’or-gane électrique occupe la plus grande partie du corps,et cet organe est baveux et désagréable au goût: aussile sépare-t-on avec soin du reste du corps. On regarded’ailleurs la présence des gymnotes comme la cause prin-cipale du manque de poissons dans les étangs et lesmares des Llanos. Ils en tuent beaucoup plus qu’ils n’enmangent, et les Indiens nous ont dit que, lorsque dansdes filets très-forts on prend à-la-fois de jeunes croco-diles et des gymnotes, ceux-ci n’offrent jamais des tracesde blessure, parce qu’ils mettent hors de combat lesjeunes crocodiles avant d’être attaqués par eux. Tous leshabitans des eaux redoutent la société des gymnotes. Leslézards, les tortues et les grenouilles cherchent des maresoù ils soient à l’abri de leur action. Près d’Uritucu, il afallu changer la direction d’une route, parce que lesanguilles électriques s’étaient tellement accumulées dans |436| une rivière, qu’elles tuaient, tous les ans, un grandnombre de mulets de charge qui passaient la rivière àgué. Quoique, dans l’état actuel de nos connaissances,nous puissions nous flatter d’avoir répandu quelque joursur les effets extraordinaires des poissons électriques, ilreste à faire un grand nombre de recherches physiqueset physiologiques. Les résultats brillans que la chimie aobtenus par le moyen de la pile ont occupé tous lesobservateurs, et les ont détournés pour quelque tempsde l’examen des phénomènes de la vitalité. Espérons queces phénomènes, les plus imposans et les plus mysté-rieux de tous, occuperont à leur tour la sagacité desphysiciens. Cet espoir sera réalisé facilement si, dansune des grandes capitales de l’Europe, on parvient à seprocurer de nouveau des gymnotes vivans. Les décou-vertes que l’on fera sur les appareils électro-moteurs deces poissons, beaucoup plus énergiques (1) et plus fa-
(1) Pour connaître les phénomènes des appareils électro-moteurs vivans dans toute leur simplicité, et pour ne pasprendre des circonstances qui dépendent du degré d’énergiedes organes pour des conditions générales, il faut soumettreaux expériences les poissons électriques les plus faciles àapprivoiser. Si l’on ne connaissait pas les gymnotes, on pour-rait croire, d’après les observations faites sur les torpilles,que les poissons ne lancent pas leurs coups de loin, à traversdes couches d’eau très-épaisses ou sans chaîne, le longd’une barre de fer. M. Williamson a senti de vives commo-tions lorsqu’il tenait une seule main dans l’eau, et que cettemain, sans toucher le gymnote, était placée entre celui-ci
|437| ciles à conserver que les torpilles, s’étendront sur tousles phénomènes du mouvement musculaire soumis à lavolonté. On trouvera peut-être que, dans la plupart desanimaux, chaque contraction de la fibre musculaire estprécédée par une décharge du nerf dans le muscle, etque le simple contact de substances hétérogènes est unesource de mouvement et de vie dans tous les êtres orga-nisés. Un peuple vif et ingénieux, les Arabes, avaient-ilsdeviné, depuis une haute antiquité, que la même forcequi, dans les orages, enflamme la voûte du ciel, estl’arme vivante et invisible des habitans des eaux? Onassure que le poisson électrique du Nil (1) porte, en Egypte, un nom qui signifie le tonnerre.


et le petit poisson vers lequel se dirigeait le coup à 10 ou15 pouces de distance. (Phil. Trans., t. LXV, p. 99-108.) Quand le gymnote était affaibli (en mauvais état desanté), le coup latéral était insensible, et pour avoir unecommotion, il fallait former une chaîne et toucher le pois-son des deux mains à-la-fois. Cavendish, dans ses expériencesingénieuses sur une torpille artificielle, a très-bien observéces différences, selon que la charge était plus ou moins éner-gique. (Phil. Trans., 1776, p. 212.)(1) (Ann. du Mus., t. I, p. 398). Il paraît cependantqu’il faut distinguer entre radh, tonnerre, et rahadd, lepoisson électrique; et que ce dernier mot signifie sim-plement qui fait trembler. (Silv. de Sacy, dans Abd-Allatif, p. 167.)