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Alexander von Humboldt: „Lettre à L’Auteur de cette Feuille; sur le Bohon-Upas, par un jeune Gentilhomme de cette ville“, in: ders., Sämtliche Schriften digital, herausgegeben von Oliver Lubrich und Thomas Nehrlich, Universität Bern 2021. URL: <https://humboldt.unibe.ch/text/1789-Lettre_a_L-1> [abgerufen am 19.04.2024].

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Permalink:
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Titel Lettre à L’Auteur de cette Feuille; sur le Bohon-Upas, par un jeune Gentilhomme de cette ville
Jahr 1789
Ort Berlin
Nachweis
in: Gazette littéraire de Berlin 1270 (5. Januar 1789), S. 4–8; 1271 (12. Januar 1789), S. 11–13.
Sprache Französisch
Deutsche Übersetzung dieses Textes
Typografischer Befund Antiqua (mit lang-s); Spaltensatz; Auszeichnung: Kursivierung, Kapitälchen; Fußnoten mit Asterisken.
Identifikation
Textnummer Druckausgabe: I.1
Dateiname: 1789-Lettre_a_L-1
Statistiken
Seitenanzahl: 8
Spaltenanzahl: 16
Zeichenanzahl: 19836

Einführungskommentar zu diesem Text



Weitere Fassungen
Lettre à L’Auteur de cette Feuille; sur le Bohon-Upas, par un jeune Gentilhomme de cette ville (Berlin, 1789, Französisch)
Ueber den Bohon Uppas (Berlin, 1790, Deutsch)
|4| |Spaltenumbruch|

LETTRE A L’Auteur de cette Feuille; ſur le Bo-hon-Upas, par un jeune Gentilhommede cette ville.

Monsieur.

Il y a quelque tems que vous publi-âtes dans votre Gazette Littéraire, unedeſcription d’un arbre vénéneux, quicroît dans les Indes, & que l’on connaîtſous le nom de Bohon Upas. Cette deſ-cription contenait tant de choſes merveil-leuſes, qu’on était preſque tenté de lestaxer de fables. Vous même, M, vousne parûtes pas alors les regarder commedes vérités conſtatées. Cependant uneBrochure toute nouvelle, qu’un de mesamis vient de recevoir de Suède, & que,vû ſon Auteur, on peut nommer auten-tique, nous démontre aſſez bien que leseffets de ce poiſon terrible ſurpaſſenttout ce que l’imagination peut produirede plus cruel. Cet Ouvrage récent apour tître. Arbor Toxicaria Macaſſarienſis: Up-ſaliae 1788. L’Auteur de cette Diſſertation eſt leProfeſſeur Thunberg, Chevalier de l’Or-dre de Vaſa, de la plupart des Acadé-mies de l’Europe, homme célèbre parſes talens & ſes connaiſſances univerſel-les ſur la Nature. C’eſt un élève de |Spaltenumbruch| Linné, dont il a ſuivi les traces avec unſuccès, qui lui fait autant d’honneur qu’àſon grand Maître. Ayant fini ſes étudesà l’Académie d’Upſal, il paſſa en Hol-lande, muni de recommandations deSavans Suédois, il ſut, par ſon génie &par ſes connaiſſances, ſe concilier la faveurde quelques Magiſtrats, des plus diſtin-gués de la République. Le deſir ardentqu’il avait de ſe rendre utile au Genre humain par quelque découverte impor-tante, tourna ſes vues ſur les parties en-core trop inconnues de notre Globe. Sesilluſtres Mécènes appercevant en lui cettenoble ardeur, en tirèrent parti pour lebien de la République des Lettres. Cefut à leurs dépens que M. Thunberg fitdans le cours de pluſieurs années les vo-yages du Cap, de Java & du Japon. Ilviſita tous les endroits les plus remarqua-bles de l’Inde Orientale, & peu de Bota-niſtes, de nos Contemporains, peuventſe glorifier de ſuccés auſſi heureux. Deretour en Europe, il obtint dans ſa pa-trie tous les honneurs que mérite un Ci-toyen de ſon eſpèce. Le Roi de Suèdequi favoriſe les Sciences & les Beaux-Artsle décora de ſon Ordre. Les Académiesle plus célèbres de l’Europe s’empreſſè-rent de le recevoir au nombre de leursMembres, & il occupe maintenant à Up-ſal la même place dont l’immortel Linné a fait l’ornement. M. Thunberg oſa le premier fairedes changemens heureux dans le ſyſtêmede ſon Maître - auquel nul autre, avantlui, n’avait touché avec ſuccès. Il enretrancha les quatre dernières Claſſescomme inutiles, & le rédigea en vingtClaſſes: méthode plus ſimple que M. |5| |Spaltenumbruch| Willdenow, jeune Botaniſte, mais pro-fond, a ſuivie dans ſon exellente Flora Berolinenſis. Le Chevalier Thunberg ayant paſſépluſieurs années dans ces Isles immenſesqui ſe trouvent à l’Oueſt de l’Aſie, con-naît mieux qu’aucun Savant de l’Europeles productions merveilleuſes de ces cli-mats fortunés. Sa deſcription des Plan-tes du Japon, ſes Diſſertations ſur le Gé-roffle & la Muſcade, & tant d’autresOuvrages ſavans nous prouvent que peude Botaniſtes avant lui, ont voyagé avecautant d’attention pour tout ce qui regar-de la Nature. C’eſt donc à ſes jugemensque l’on peut s’en rapporter à l’égard dematières ſur leſquelles nous ſommes in-duits en erreur par des Voyageurs mal in-ſtruits ou crédules. Les relations del’Arbre Poiſon de l’Inde nous feront voirde nouveau combien on a outré des cho-ſes, qui, par leur propre nature, nousoffrent aſſez de merveilles, ſans qu’ilſoit beſoin d’y en ajouter d’imaginairespour les rendre plus intéreſſantes. M. Thunberg commence par nousfaire une deſcription botanique du Bo-hon-Upas, ou pour l’écrire plus correc-tement, du Boa-Upas, c’eſt-à dire dansle jargon des Malayes, Arbre-poiſon. Ces Peuples en diſtinguent deux ſortes,par les noms de Macan-Cavul. & Djatomatti; dont le dernier eſt plus dangereuxque le premier. Le célèbre Rumphius dans ſon Herbarium Amboinenſe, les qua-lifie de femelle & de mâle, telle qu’étaitla manière ridicule des anciens Botaniſtes.Ils ont tous les deux le tronc robuſte &gros, les branches éparſes, l’écorce fen-due, d’un brun tirant ſur le gris, un |Spaltenumbruch| bois jaunâtre & bigarré de taches noires.Les feuilles ſont ovales, de la largeur dedeux pouces, & de la longueur d’unepalme. Les fleurs & les fruits de cet ar-bre pernicieux n’ayant pas encore pu êtreobſervés par aucun Botaniſte, on ne ſau-rait en définir le genre avec ſûreté. Ce-pendant M. Thunberg a ſes raiſons pourpréſumer qu’il appartient à celui de Ceſ-trum Lin. *) que les Anciens ont nom-mé une eſpèce de Jaſmin. Cette opinionlui paraît d’autant plus juſte qu’il a vu,au Cap de Bonne Eſpérance, les Hotten-tots mêler le ſuc d’un Ceſtrum aux veninsterribles qu’ils tirent de leurs ſerpens. Le Boa-Upas croît principalementdans les Isles de Java, Sumatra, Borneo, Baleija, & de Macaſſar. Il aime les mon-tagnes nues & les déſerts. Un ſol ſtérile,aride, ou plutôt réduit comme en cendre,annonce ſa préſence. Aucun arbre, au-cune herbe même ne peut croître ſousſon ombre. Auſſi loin qu’on puiſſe jet-ter une pierre, autour de cet arbre, ditnotre Auteur, la terre ſemble être brû-lée. „Encore, ajoute t-il par parenthèſe,à ce que l’on dit pro certo venditatur; par où il démontre aſſez bien que cecin’eſt qu’un bruit populaire.
*) D’autres Botaniſtes ont cru que le Boa-Upas était une ſorte d’arbre de fer Side-roxilon Lin: j'ignore à quel tître. Rum-phius dit que „les Indiens cachent cet ar-„bre avec tant de ſoin, qu’àprès la con-„quête de Célèbes même en 1670, on„ne pouvait point en donner une deſcrip-tion.“ Cependant il parvint en 1694 àen recevoir un rameau, qu’il a fait pein-dre. Herbar. Amboin. T. II, Tab.LXXXVII.
|6| |Spaltenumbruch| Remarquons ici quelle foi l’on doitavoir en des Voyageurs ſuperſtitieux oumal intentionnés: les uns ont écrit qu’à10 à 12 milles à l’entour, il ne croit niarbre, ni buiſſon, ni herbe même. Lesautres rapportent „que dans le circuit de 15 — 18. milles on ne trouve aucunhomme, aucune bête, pas ſeulement unpoiſſon dans les eaux.“ Quelle différen-ce énorme entre l’eſpace dans lequel onpeut jetter une pierre, & celui de 18milles à l’entour? M. Thunberg remarque que les Prêtres ſurtouttrouvent leur intérêt à répandre ceserreurs, que le vulgaire des Indiens em-braſſe avidement. Voltaire dirait quecela prouve que les Prêtres ne changentpas de nature ſous l’équateur. Nous ſuſ-pendons notre jugement là deſſus, nouscontentant de déplorer le malheur desmortels, qui ſont dupes de leurs ſoi-di-ſant Frères. Les Prêtres Mahométanspourraient ſe paſſer de faire accroire auVulgaire que Dieu, cédant aux inſtancesdu Prophète, avait produit cet arbrepour punir les Peuples de leurs péchés.Les maux des humains ſont aſſez nom-breux, ſans qu’il ſoit beſoin de les aug-menter par des idées auſſi funeſtes. Il y a bien à douter encore ſi la ſtéri-lité dont tous les Auteurs font mention,eſt attribuée à juſte titre aux exhalaiſonsvénéneuſes du Boa-Upas. Il ſe peut fortbien que cet arbre ſe plaiſe dans un ſolduquel aucune autre plante ne pourraittirer ſa nourriture. Un Genévrier ſoli-taire qui croît dans la fente d’un rocherne prouve ſûrement pas qu’il opprimetoute végétation autour de lui. M. Thun-berg rapporte que, quand même il ſe- |Spaltenumbruch|rait conſtaté que des Voyageurs n’auraientobſervé à pluſieurs milles à la ronde au-cun animal, aucune plante, cela ne ſe-rait rien d’extraordinaire pour la zône ar-dente de notre Globe. Les Chaleurs ex-ceſſives qui règnent pendant l’été font pé-rir toutes les plantes: les animaux ne trou-vant plus de nourriture dans ces déſerts,fuient dans les bois les plus touffus. Lespluies fréquentes de l’hiver réveillent laNature, & la tirent, pour ainſi dire, deſon ſommeil léthargique: la terre chan-ge ſa ſtérilité contre des tapis de gazon;& l’on voit paître des troupeaux dans cesmêmes lieux, qu’auparavant on avaitcrûs inhabitables. Le ſuc de cet arbre affreux eſt une ré-ſine noirâtre, qui ſe diſſout à la chaleurdu feu. Il eſt d’un grand prix parmi lesIndiens. Les Peuples qui le poſſèdentont un avantage réel ſur leurs ennemis. Rumphius, autrefois Conſul à Amboine,raconte qu’avant que l’on eût découvertdes antidotes efficaces, les Hollandais ſescompatriotes avaient plus craint les flê-ches empoiſonnées de ce ſuc, que tousles autres dangers, toutes les autres ri-gueurs de la Guerre. Ce ſuc eſt très difficile à recueillir; onne l’a pas ſans riſque. Les exhalaiſonsde l’arbre étant très pernicieuſes, on nepeut s’en approcher qu’avec la dernièreprudence: & ces difficultés, les dangersque l’on court, augmentent le prix de cepoiſon. Ceux qui vont le recueillir ſontobligés de s’envelopper de linges, la tête, les mains & les pieds. Perſonne n’oſetoucher le tronc fatal. On s’en tientà quelque diſtance, parceque, dit l’Auteur, |7| |Spaltenumbruch| la mort ſemble avoir fixé le pied & ſa de-meure près de cet arbre. C’eſt avec de longues perches de Bam-bouc que les Indiens recueillent ce ſucmortel. Ils aiguiſent ces perches parun bout, & les font entrer dans l’arbre.L’écorce fendue par cette opération ſe dé-charge auſſitôt de ſon ſuc noirâtre, quicoule à groſſes goutes dans le creux desperches. Quinze ou vingt Bamboucsſont enfoncés de cette manière dans l’ar-bre; & trois ou quatre jours après, onles retire remplis du poiſon mortel. Tan-diſque le ſuc eſt récent, il eſt mol & ma-niable comme une pâte: c’eſt alors qu’onen fait de petits rouleaux qu’on rejette dansdes tuyaux de Bambouc: & comme ce poi-ſon eſt très volatil, on enveloppe les tu-yaux dans huit à dix doubles de toile.De ce que j’ai dit au ſujet des précautionsà prendre pour pouvoir approcher decet arbre, où la mort ſemble attendre lestéméraires qui oſent la braver, vous enconcluerez facilement que rien n’eſt plusdangereux que cette récolte; & vous neconcevrez pas plus que moi qu’il puiſſeſe trouver des hommes aſſez hardis pourtenter cette dangereuſe aventure. Quene peut d’un côté la ſoif de la vengeance;& de l’autre que ne peut celle de l’or? Le Peuple, auſſi ſuperſtitieux qu’ill’eſt dans toutes les Indes, croit qu’encoupant le tronc de l’arbre, on peut enrendre le poiſon bien plus actif, bienplus terrible. Le peuple ne raiſonnepas; il croit en aveugle; autrement ilſe demanderait quel rapport il peut exi-ſter entre le ſuc d’un arbre & le troncdont il eſt ſéparé. D’ailleurs ſi le toucherde cet arbre eſt ſi fatal, comment par- |Spaltenumbruch|viendrait-on à pouvoir en raſer le tronc.Et ſi cela pouvait ſe faire, cette opérationſouvent répétée détruirait bientôt le Boa-Upas. Les Arbres poiſon ſemblent être unbien public de l’Etat. Rumphius dit queles habitans des montagnes remettenttout le ſuc qu’ils recueillent, à un Granddu pays, nommé Creyn Sumana. Celui-ci conſerve ce tréſor national dans ſonChâteau de Boerenbourg, dans des ap-partemens qui ne doivent être ni tropchauds ni trop froids: ces deux extrémi-tés ſont également nuiſibles au poiſon.Toutes les ſemaines le ſuc & les Bamboucsſont frottés & nétoyés: & les femmesſeules ſont appellées & admiſes à ce tra-vail, parcequ’on ne croit pas les hom-mes aſſez honnêtes pour le leur confier:d’autres alléguent des raiſons puériles *) qui ne méritent pas notre attention. Le poiſon du Boa-Upas ſurpaſſe tout cequ’on reproche de plus terrible à l’art per-fide, mais autrefois mis en uſage par la ven-geance de certains Princes Ultramontains.Les ſeules exhalaiſons de l’arbre font roi-dir les membres & cauſent des mouve-mens des plus convulſifs. Rumphius, leſeul Botaniſte qui ait eu juſqu’ici l’avan-tage de recevoir une branche de cet Arbrefuneſte, dit que ſon effet deſtructeur ſemanifeſtait à travers le Bambouc dans le-quel on l’avait renfermé. En poſant la
*) Nous allons les citer en Latin, ne pou-vant les préſenter décemment en Fran-çais. Menſtruum nempe muliebre huicmiſceri veneno dicitur, atque in eam finem Macaſſarienſium fœminas bracties indutaseſſe, in quibus iſtud colligebant. — Quel-les abſurdités!
|8| |Spaltenumbruch| main ſur ce tuyau, l’on éprouvait uneſorte de crampe ſemblable à celle que cauſeun changement ſubit de froid & de chaud.Ceux qui hazardent de reſter tête nue ſouscet arbre malfaiſant, perdent leur che-velure. Une goute de ce ſuc vénéneux,qui ne ferait que toucher la peau y cau-ſerait de groſſes enflures. Autour del’Arbre, l’air eſt tellement empoiſonné,que tous les animaux en évitent l’appro-che. Un oiſeau qui s’égare ſur ſes bran-ches, tombe, en expirant à l’inſtant. M. Thunberg n’a pas jugé à propos de citerun fait qui cependant ne ſemble pas mé-riter d’être paſſé ſous ſilence: le voici aurapport de Rumphius.
Le ſeul animal qui ſe plaiſe ſous l’om-bre du Boa-Upas, c’eſt un Serpent, nonmoins dangereux que l’endroit qu’il habi-te. Les Indiens diſent qu’il porte unecorne, ou, ce qui paraît plus probable,une large crête. Ses yeux jettent pen-dant la nuit un éclat brillant; ſa voix imi-te le chant du coq. On l’entend quel-quefois près des demeures des habitans.Les exhalaiſons du Serpent étant très vé-néneuſes, empêchent qu’on ne puiſſe l’ap-procher; on ne le tue que de loin. C’eſttrop dans un même endroit que deux êtresſemblables, auſſi dangereux, auſſi fu-neſtes pour tout ce qui reſpire: cepen-dant admirons ici la ſageſſe de la Nature,qui, en donnant à chaque être une con- |Spaltenumbruch|ſtitution particulière, rend le même en-droit pernicieux à l’un & ſalutaire à l’autre. Le poiſon du Boa-Upas mériterait tou-te l’attention d’un Médecin, & des Na-turaliſtes; la cauſe & les effets en ſontégalement merveilleux. S’il faut en croi-re les Naturels des endroits où ſe trouvecet Arbre extraordinaire, le ſuc pur &ſans mélange n’en eſt preſque pas nuiſi-ble; il ſert même d’antidote aux exhalai-ſons vénéneuſes de quelques poiſſons. Rumphius vient à l’appui de ceci, en rap-portant qu’on l’emploie comme remèdeintérieur; ce qui paraît tout-à fait éton-nant. Comment les exhalaiſons de cetarbre terrible peuvent-elles être auſſi mor-telles, & comment ſon ſuc peut-il pro-duire un effet auſſi ſalutaire? Enfin leſuc de Boa-Upas mêlé avec le jus du Zé-rumbet *) offre le poiſon le plus efficaceque l’art & la Nature puiſſent jamais pro-duire: & cependant ce même Zérumbet eſt un remède ſalutaire, dont on ſe ſertdans les Indes, comme antidote. Quede difficultés à vaincre pour ceux qui ai-ment à connaître les vraies cauſes de cesphénomènes extraordinaires! Le reſte une autre fois.
*) Le Zérumbet eſt la racine d’une Plantenommée Liné Amomum Zérumbet. C’eſtà ce même genre qu’appartient le Gin-gembre Amomum Zingibre; le Cardomo-me, Amom. Cardamomum, & autres ſor-tes aromatiques.
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Fin de la Lettre à L’Auteur de cetteFeuille; ſur le Bohon-upas, par unjeune Gentilhomme de Cette ville.

Le ſuc du Boa-Upas, une fois entrédans le corps de l’homme, ne paraîtpas en ſortir de ſitôt. Le malade infec-té doit ſe garder ſurtout de ne pas man-ger de la racine du Zérumbet; car troisans encore après avoir pris du Boa-Upas, le Zérumbet lui coûterait la vie. Qu’eſtce donc qu’un poiſon qui reſte ainſi dansle corps auſſi longtems ſans s’altérer,ſans perdre ſa qualité mortelle, qui n’yeſt qu’aſſoupi, qui malgré ſa volatilités’y concentre pour développer ſa malig-nité par le mélange d’un autre ſuc, quieſt lui-même un antidote contre d’autresvenins & d’autres poiſons? L’on remar-que principalement que ceux qui ont étéguéris du Boa-Upas par des antidotes,ſentent tous les ans renaître le poiſon dansleurs veines. Auſſitôt que les habitans de Célèbes ſont attaqués par quelque ennemi, ilsfont tirer de leur arſenal, ou dépôt, tousles Bamboucs qui contiennent le poiſonfatal; & on les diſtribue en différentesClaſſes. Comme l’œil ne peut pas juger |12| |Spaltenumbruch| avec certitude de la bonté du poiſon, l’oneſt obligé d’en faire l’épreuve par desmoyens chymiques. Un petit grain deſuc endurci ſert à cette preuve; on lejette dans le jus du Zérumbet, & ſi le poi-ſon eſt dans ſa force, il fait bouillonnerle Zérumbet, & y cauſe une efferveſcen-ce véhémente. Après cet eſſai on pré-pare le Boa-Upas avec le Zérumbet; ony trempe les flêches, & leurs piquûresſeules ſont mortelles, ſi l’on n’y portepas promptement du ſecours: mais il n’ya pas un inſtant à perdre. Les flêches trempées dans ce mélan-ge, gardent pendant deux années leurforce mortelle, ſi le poiſon eſt bon: d’au-tres la perdent dans l’eſpace de deux àtrois mois. Les Indiens, curieux de con-naître leurs armes, les éprouvent ſouventpar le jus du Zérumbet. Ceux qui ontle malheur d’être bleſſés par ces flêchesempoiſonnées périſſent d’une mort auſſiprompte que cruelle. Ils éprouvent d’a-bord des convulſions par tout le corps:le viſage s’enfle, la bouche ſe remplitd’écume, les yeux leur ſortent de la tête,& ils expirent en gémiſſant, les uns dansl’eſpace d’un quart d’heure, les autres enune demie heure; quelquefois même pluspromptement encore, ſelon l’activité dupoiſon. Les flêches des Macaſſariens ne ſontplus ſi terribles pour les Européens qu’el-les l’étaient autrefois. Rumphius rappor-te que ces Peuples ont une confiance ſansbornes dans leur armure, & les Euro-péens ont cherché à les imiter. Les Ma-caſſariens entreprirent une fois de ſacca-ger entièrement l’Isle d’Amboine, maisles Hollandais, par le moyen d’un vête- |Spaltenumbruch|ment particulier, fait de cuir d’Eſpagne ſurent ſe garantir des terribles effets deleurs flêches empoiſonnées. Autrefois les Européens ne connaîſ-ſaient point d’autre antidote contre cesfatales bleſſures, que des excrémens hu-mains, pris intérieurement: ce remèdedégoutant, & nauſéabond naturellement,ſervait de vomitif au malheureux bleſſé,& ôtait ainſi au poiſon ſon énergie mor-telle: mais il devait être appliqué à l’in-ſtant. On vit ſouvent dans les bataillescontre ces Peuples, des Soldats Europé-ens prier en grace quelques-uns de leurscamarades de leur adminiſtrer l’antidotenéceſſaire; & celui qui pouvait ſur lechamp ſatisfaire ces miſérables, en étaitregardé comme un Ange tutelaire. Rum-phius cite l’exemple d’un ſoldat Hollan-dais qui ſe ſauva cinq fois de la mort parce moyen impur. Dans la ſuite l’on ap-prit des Indiens mêmes des antidotes plusefficaces & moins rebutans, tels que laracine du Crinum Aſiaticum, l’écorce du Ficus ramoſa &c. &c. L’amputation, ceremède auſſi univerſel dans la Chirurgie,n’eſt d’aucune utilité pour ceux qui ſontbleſſés de ces flêches empoiſonnées: ilfaut des remèdes intérieurs. Les Roisdes Célèbes ont fait bien des expérienceslà-deſſus, en bleſſant avec ces flêches mor-telles des Eſclaves condamnés à la mort:le membre bleſſé était auſſitôt ſéparé ducorps, mais l’Eſclave n’en périſſait pasmoins. Par tout ceci, Monſieur, vous vo-yez que le Boa-Upas eſt un des phénomè-nes les plus ſinguliers de la Nature, &qu’il ſerait à ſouhaiter que quelque Na-turaliſte pût avoir les moyens d’exami- |13| |Spaltenumbruch| ner à fond cet arbre dangereux. Maiscomment pouvoir travailler ſur un objetqui offre de tous côtés tant de riſques àcelui qui voudrait tenter cette entrepriſe?Nous avons toujours de grandes obliga-tions à M. le Chevalier Thunberg de nousavoir communiqué ſes obſervations là-deſ-ſus, & nous devons ſouhaiter que lesVoyageurs inſtruits veuillent ajouter à cesobſervations, ſoit par les leurs propres,ſoit en recueillant tout ce qui ſera conſ-taté ſur cet objet ſi digne de l’attentiondes Naturaliſtes.

J’ai l’honneur d’être &c. &c.

|Spaltenumbruch|