On croit ne pouvoir mieux terminer ce travail que par la citation d’une lettre que M. Kelley a reçue d’un homme illustre dont il suffit de prononcer le nom pour reconnaître tout le prix qui s’y rattache du baron Alexandre de Humboldt. «C’est avec la plus vive satisfaction, monsieur, que j’ai pris connaissance pendant votre trop court séjour à Berlin, des grands et solides travaux de mesures et de nivellement que vous avez fait exécuter par un habile ingénieur, M. William Kennish, depuis le commencement de janvier 1855, dans le cours du grand Rio Atrato et de ses affluents de l’ouest. Ce travail, et ceux que vous avez fait précéder et sur lesquels mon savant ami M. Alexandre Bache, surintendant du Coast Survey des États-Unis, avait déjà fixé mon attention, sont d’autant plus dignes d’estime, que vous vous proposez de faire examiner avec la même précision le passage du port de Cupica au Rio Naîpi (Napipi) et les points placés au-dessus de l’embouchure du Truando, points bien importants dans la solution du vaste problème d’un canal océanique. »Le grand nombre de cartes et de profils à grandes échelles, que vous possédez, fournissent tous les éléments nécessaires pour juger de la possibilité des communications par les branches de l’Atrato, le Rio Truando, et un canal qui conduirait à la mer du Sud. C’est pour n’avoir pas fait un examen si complet du terrain montagneux compris entre le golfe de San Miguel et la Caledonia-Bay que le projet de M. Lionel Gisborne, de 1852, n’a pas pu avoir d’exécution. L’ignorance des localités et le manque de mesures hypsométriques ont eu pour suite la courageuse mais triste expédition du lieutenant Isaac Strain. »Le grand but à atteindre est, selon moi, un canal qui réunisse les deux océans sans écluses et sans galeries souterraines (sans tunnels). Quand les plans et les profils pourront être mis sous les yeux du public, une discussion libre et franche éclaircira les avantages et les désavantages de chaque localité; et l’exécution de cet important ouvrage, qui intéresse les peuples civilisés des deux continents, sera confiée à des ingénieurs qui ont concouru avec succès à de semblables travaux. La Compagnie de jonction trouvera des actionnaires parmi ceux des gouvernements et des citoyens qui, cédant à de nobles impulsions, s’enorgueilliront de l’idée d’avoir contribué à une œuvre digne des progrès d’intelligence du xix e siècle. Cette opinion, je l’ai énoncée avec chaleur il y a plus de cinquante ans; j’ai travaillé sans cesse à répandre les idées géographiques qui conduisent à procurer les communications commerciales, soit par canaux (sans ou avec des écluses, tantôt simples ou tantôt accomplies par gradins), soit par les moyens des chemins de fer, réunissant des côtes ou des rivières d’un cours opposé. »J’ai obtenu, du général Bolivar, le nivellement géodésique exact de l’isthme de Panama. J’ai fait connaître le premier, dans mon atlas mexicain, le tracé des deux rivières de Guasacualco et de Chimalapa, d’après des renseignements trouvés dans les archives de la vice-royauté du Mexique; j’ai indiqué la proximité du port, presque inconnu, de Cupica aux sources du Rio Naîpi, et des eaux de l’Atrato; de même, l’existence ignorée en Europe d’un canal de très-petite navigation, creusé en 1788 sous la direction d’un moine, curé de Novità, par les Indiens de sa paroisse, pour réunir les eaux du Rio de la Raspadura, affluent du Rio de Quilò (Quihdò), aux eaux du Rio San Juan de Chirambirà. »J’ai pensé qu’il n’y a rien de plus dangereux pour l’agrandissement du commerce et la liberté des rapports internationaux, que de dégoûter de toute investigation ultérieure, en déclarant d’une manière absolue et impérieuse, que tout espoir de canal océanique doit être abandonné aujourd’hui. J’ai décrit tout exprès dans mon Essai politique de la Nouvelle- Espagne (comparer dans la 2e édition, t. I, pp. 202– 248 avec t. II, pp. 95–145) les immenses travaux de coupure de montagne, de canal à ciel ouvert dans le désague de Huehuetoca exécutés par le gouvernement espagnol au commencement du xvii e siècle, et j’ai trop de foi dans la puissance des moyens qu’offre la civilisation actuelle, pour me décourager déjà. »Je n’ignore pas que dans les importantes communications que je dois à M. le colonel Auguste Codazzi, et à l’affectueuse bienveillance du ministre de l’intérieur, M. Pastor Ospina, à Bogota, le trajet de Cupica au Rio Naîpi offre une série d’élévations, et ce sera un nouveau service que vous rendrez à la géographie, Monsieur, en faisant niveler ce trajet. Un homme dont le nom est justement célèbre parmi les navigateurs, le capitaine Robert Fitz-Roy (R. N.), a dit dans son Memoir on the Isthmus of Central America : «La comparaison de toutes les routes bien connues a démontré que la ligne de l’Atrato et de Cupica est la plus convenable pour un canal, et la route de Panama pour un chemin de fer ou route..... L’officier qui a récemment exploré Cupica (le lieutenant Wood, de la marine royale) fait connaître, relativement à la terre située entre cette localité et le Naîpi, qu’il partit un matin de Cupica à huit heures, se rendit à pied avec des guides indigènes au Naîpi, se baigna dans cette rivière, et réjoignit son navire (la Pandora) à midi. Le point le plus élevé peut être évalué selon lui à 300 ou 400 pieds (anglais).» ( Journal of the Royal Geographical Society, vol. XX, 1851, Part II, p. 178.) Agréez, etc. Alexandre de Humboldt. Berlin, 27 janvier 1856.