Sur quelques phenomenes d'intensite de la lumiere zodiacale, par m. de humboldt. Cette note, publiee d'abord dans le Compte Rendu mensuel de l'Academie de Berlin, juillet 1855, a ete aussi communiquee a l'Academie des sciences dans la seance du 22 octobre, et nous nous proposions depuis longtemps de l'inserer dans le Cosmos, la voici: "Dans l'estimable journal astronomique americain de M. Gould, 26 mai 1855, on lit une note du reverend George Jones, chapelain de la fregate le Mississipi, dans laquelle cet auteur conclut, des observations qu'il a faites sur la lumiere zodiacale dans les mers de la Chine et du Japon, a l'existence d'un deuxieme anneau lumineux en relation avec la lune. Cette conjecture s'appuie sur l'aspect extraordinaire de la lumiere zodiacale observee simultanement sur les deux horizons, est et ouest, de 11 heures a 1 heure pendant plusieurs jours de suite. "Comme j'ai eu, il y a 52 ans, l'occasion de faire plusieurs jours de suite dans la mer du Sud, pendant une traversee de 40 jours, de Callao, Perou, au port d'Acapulco, Mexique, des observations analogues, j'ai pense qu'il y aurait quelque interet a extraire de mon journal de voyage, ecrit sur mer en francais, ce qui a rapport a ce phenomene que l'on n'a point jusqu'a ce jour explique d'une maniere complete. La lumiere zodiacale et la solution de la question difficile de savoir, si les remarquables variations de son intensite, alors que les plus petites etoiles gardent a l'oeil nu, pendant les nuits tropicales, la meme intensite, doivent etre attribuees a quelque cause materielle exterieure a notre atmosphere, est un des sujets qui m'ont occupe pendant cinq ans, sur les hauts plateaux des Cordillieres, sur les plaines des Llanos, et sur la mer, en deca et au dela de l'equateur, comme le prouve ma correspondance avec Olbers, en partie publiee depuis. Je trouve dans mon journal de bord, du 14 au 19 mars 1803, entre 12° 9' et 15° 20' de la latitude nord, 104° 27' et 105° 45' de longitude chronometrique a l'ouest de Paris, ces observations faites par moi-meme: Le 17 et le 18 mars, le fuseau zodiacal, dont la base paraeit appuyee sur le soleil, brillait d'un eclat dont je ne l'avais jamais vu doue a l'approche de l'equinoxe du printemps. La pyramide lumineuse se terminait entre Aldebaran et les Pleiades, a 39° 51 de hauteur apparente, mesuree au-dessus de l'horizon de la mer, qui etait encore assez visible. Sa pointe etait un peu inclinee au nord, et la partie la plus lumineuse, relevee a la boussole, se montrait ouest-nord-ouest. Ce qui m'a le plus frappe pendant cette navigation, c'est la grande regularite avec laquelle, pendant cinq ou six nuits de suite, l'intensite de la lumiere zodiacale augmentait et diminuait progressivement. On en apercevait a peine l'existence dans les premiers trois quarts d'heure apres le coucher du soleil; mais, apres 7h 15m, le fuseau lumineux paraissait tout d'un coup dans sa beaute. La couleur n'etait pas blanche, comme celle de la voie lactee, mais telle que Dominique Cassini assure l'avoir vue en Europe, d'un jaune rougeatre. De tres-petits nuages, situes accidentellement de ce cote de l'horizon, reflechissaient sur le fond rougeatre une lumiere bleue. On croyait presque voir a l'ouest un second coucher du soleil. Vers les 10 heures, la lumiere disparaissait presque subitement; a minuit, je n'en voyais qu'une faible trace, quoique la voaute celeste eaut conserve la meme transparence. Pendant que la lumiere etait tres-vive a l'ouest, nous observames constamment a l'est, et c'est la, sans aucun doute, un phenomene bien frappant, une lueur blanchatre, de forme egalement pyramidale. Cette derniere etait tellement forte qu'elle augmentait la clarte du ciel en ce point d'une maniere tres-frappante. Les matelots eux-memes furent emerveilles de cette double lueur a l'est et a l'ouest; et j'incline a croire que cette lueur blanche a l'est etait le reflet de la veritable lumiere zodiacale au couchant. Aussi, toutes les deux disparaissaient-elles en meme temps. Des reflets analogues se presentent souvent dans nos climats au coucher du soleil; mais je n'aurais jamais imagine que l'intensite de la lumiere zodiacale paut etre assez forte pour se repeter elle meme par la simple reflexion de ses rayons. Toutes ces apparences lumineuses furent a peu pres les memes du 14 au 19 mars. Nous ne veimes pas la lumiere zodiacale le 20 et le 21 mars, quoique les nuits fussent de la plus grande beaute. Cinq ans avant la publication des interessantes observations du R. George Jones, je m'exprimais ainsi dans la partie astronomique du Cosmos: "En somme, les variations d'intensite de la lumiere zodiacale me paraissent dependre de modifications internes, d'une intensite plus ou moins grande du phenomene lumineux lui-meme (dans l'anneau), comme le montrent les observations faites par moi dans la mer du Sud, d'un reflet semblable a ceux qu'on observe au coucher du soleil (Cosmos, vol. III, p. 589)." Le reverend George Jones tirait de ses observations des conclusions bien differentes que nous ne pouvons pas laisser ignorer a nos lecteurs: "Il me semble que toutes les donnees recueillies par moi ne peuvent etre expliquees que par la supposition d'un anneau nebuleux ayant la terre pour centre, et situe en dedans de l'orbite lunaire. Cette conclusion ressort: 1° de l'apparence simultanee, au milieu de la nuit, de deux lueurs de forme pyramidale, a l'est et a l'ouest, ce qui exclut la possibilite d'un anneau entourant le soleil en dedans de l'orbite de la terre; 2° des grands changements lateraux horaires, quelquefois meme semi-horaires, dans les limites de la lueur, changements causes par le deplacement de l'observateur dans le meme temps relativement a l'ecliptique ou a l'axe de la lumiere zodiacale, et trop grands pour que nous pussions les apercevoir a la distance de 56 millions de lieues, distance de la limite inferieure et a laquelle cette limite serait a peine visible, s'il s'agissait d'un anneau entourant le soleil au dela de l'orbite terrestre; 3° enfin de la lumiere zodiacale lunaire, si elle est reelle, comme je pense qu'il faut l'admettre. La continuite non interrompue de mes observations ne me laisse aucun doute sur le fait principal que la lumiere zodiacale est un anneau; car, pendant plus de deux ans, je n'ai jamais manque de voir cette lumiere matin et soir, toutes les fois que la lune et les nuages ne s'y opposaient pas; mes registres font foi d'une continuite absolue. Je n'ai pas pu determiner la parallaxe de ces lueurs; au contraire, lorsque nous marchions vers le sud, les limites de la lumiere zodiacale marchaient avec nous vers le sud, a travers les etoiles; quand nous marchions vers le nord, elle marchait aussi vers le nord. Cet effet provient, sans aucun doute, de ce que l'anneau nous montrait sans cesse de nouvelles portions de sa large surface reflechissant les rayons du soleil." Il serait tres-extraordinaire que la terre eaut un anneau comme Saturne, et que l'anneau de Saturne, qui, a distance, nous paraeit si brillant et si merveilleux, n'eaut, vu de Saturne, que le faible eclat de notre lumiere zodiacale! Tout cela, au fond, n'est nullement impossible; l'idee de M. Jones est deja venue a beaucoup d'esprits, et nous l'avons longtemps caressee nous-meme. F. Moigno.