LES PALMIERS, Par M. Alexandre De Humboldt. Il est surprenant qu'a l'epoque de la mort de Linne, on n'eut encore decrit que quinze especes de cette majestueuse famille des Palmiers, dont quelques-uns atteignent une hauteur double du chateau royal de Berlin, et que l'Indien Amarasinha caracterisait tres-heureusement en les appelant les rois des graminees. Ruiz et Pavon, a la suite de leur voyage au Perou, n'ajouterent que huit especes. Apres avoir parcouru un pays plus considerable, depuis le 12e degre de latitude australe jusqu'au 21e degre de latitude boreale, nous avons decrit, M. Bonpland et moi, 20 especes nouvelles de Palmiers, et nous en avons reconnu 20 autres especes que nous avons designees sous des noms distincts, sans pouvoir nous procurer des specimens complets de leurs fleurs ( Humboldt , de Distributione geographica plantarum, p. 225-233). Actuellement, 44 ans apres mon retour du Mexique, on connaeit, par des descriptions methodiques, dans l'ancien et le nouveau continent, plus de 440 especes de Palmiers, en y comprenant celles qui ont ete apportees par Griffith. L'Enumeration plantarum, de Kunth, publiee en 1841, contient deja, a elle seule, 356 especes. Il n'y a qu'un petit nombre de Palmiers qui, comme nos Coniferes, nos Quercinees et nos Betulinees, appartiennent aux plantes sociales. Ce sont, par exemple, le Palmier Moriche (Mauritia flexuosa) et les deux especes de chamaerops, dont l'une, Chamaerops humilis, couvre de vastes espaces de terrain, a l'embouchure de l'Ebre et dans le royaume de Valence, et dont l'autre, Chamaerops Mocini, decouverte par nous au Mexique, sur les rivages de l'Ocean Pacifique, est tout-a-fait depourvue de piquants. De meme que certains Palmiers, entre autres, les chamaerops et les cocotiers, croissent au bord des eaux, il existe aussi sous les tropiques un groupe particulier de Palmiers des montagnes, qui, si je ne me trompe, etait entierement inconnu avant mon voyage en Amerique, puisque toutes les especes de la famille des Palmiers vegetent dans la plaine, sous une temperature moyenne de 22° et de 24 degres. Il est rare qu'ils s'elevent sur la chaeine des Andes jusqu'a 1800 pieds; au contraire, le beau Palmier a cire Ceroxylon andicola, le Palmeto de l'Azufral (Oreodoxa frigida) et le Kunthia montana de Pasto, qui ressemble a un roseau, en espagnol Cana de la Vibora, croissent entre 6,000 et 9,000 pieds au-dessus du niveau de la mer, dans des lieux ou le thermometre descend souvent pendant la nuit a 4°, 8 et 6°, et ou la temperature moyenne atteint a peine 11°. Ces Palmiers alpestres sont confondus pele-mele avec des noyers, des especes de Podocarpus dont les feuilles ressemblent a celles des Ifs, et avec des chenes (quercus granatensis). J'ai determine soigneusement a l'aide de mesures barometriques, la limite superieure et la limite inferieure des Ceroxylon. Nous commencames a les rencontrer a la hauteur de 7440 pieds sur la pente orientale des Andes de Quindiu, ou ils montent jusqu'a la Garita del Peramo et a Los Volcancitos, c'est-a-dire a 9,100 pieds audessus du niveau de la mer. Plusieurs annees apres mon depart, un botaniste tres-distingue, don Jose Caldas, qui, longtemps, nous accompagna dans les montagnes de la Nouvelle-Grenade et a peri victime des haines des partis qui divisaient l'Espagne, a trouve dans le Peramo de Guanacos, trois especes de Palmiers tres-voisins de la ligne des neiges eternelles, probablement a plus de 15,000 pieds de hauteur (seminario de Santa-Fe de Bogata, 1809, n° 21, p. 163), meme en dehors de la region tropicale par 28° de latitude, le chamaerops Martiana s'eleve dans les montagnes interieures de l'Himalaya a la hauteur de 4,690 pieds ou 5,000 pieds anglais (Wallich, Plantae asiaticae, t. III, tab. 211). En considerant les limites extremes de latitude, et par consequent de temperature, entre lesquelles sont compris les Palmiers dans des lieux peu eleves au-dessus du niveau de la mer, on voit quelques formes, telles que le dattier, le chamaerops humilis, le chamaerops palmetto et l'areca sapida de la Nouvelle-Zelande, penetrer dans la zone temperee des deux hemispheres jusqu'a des contrees ou la temperature moyenne de l'annee atteint a peine 11°,2 et 12°,5. Si l'on range les plantes cultivees selon le degre de chaleur qu'elles exigent, on trouve en commencant par celles qui en demandent le plus: le cacao, l'indigo, le pisang, le cafeier, le cotonnier, le dattier, le citronnier, l'olivier, le chataigner et la vigne. Le dattier s'avance en Europe, accompagne de chamaerops humilis jusqu'a 43°,30 et 44° de latitude, par exemple, sur la Rivera del Ponentes, dans le golfe de Genes; pres de Bordighera, entre Monaco et Santo-Stephano, ou existe un bois de Palmiers compose de plus de 4000 tiges et autour de Spalatro en Dalmatie. Il est singulier que le chamaerops humilis, qui abonde a Nice et dans l'ile de Sardaigne, manque absolument a la Corse, situee entre ces deux contrees. Dans le Nouveau-Monde, le chamaerops palmetto, haut de 40 pieds, ne penetre pas vers le Nord au-dela du 34° degre de latitude, ce qui s'explique par la courbure des lignes isothermes. De l'autre cote de l'equateur, les Palmiers, selon Robert Brown, s'arretent aussi dans la Nouvelle-Hollande au 34° parallele; ils y sont d'ailleurs fort rares, et l'on n'en compte pas plus de six ou sept especes (General Remarks on the botany of terra australis, p. 45). Dans la Nouvelle-Zelande, ou sir Joseph Banks a vu le premier areca, ils s'avancent jusqu'au 38°. L'Afrique, contrairement a un ancien prejuge, repandu encore de nos jours, possede tres-peu d'especes de cette famille; une seule, l'Hyphaene coriacea, s'etend jusqu'au port Natal sous le 30° degre au-dela de l'equateur. Le continent de l'Amerique meridionale nous offre a peu pres les memes limites. A l'est de la chaine des Andes, dans les Pampas de Buenos- Ayres et dans la province qui s'etend au-dela de la Plata, les Palmiers penetrent, selon Auguste de St.-Hilaire, jusqu'a 34° ou 35°. (Voyage au Bresil, p. 60.) Suivant M. Claude Gay, le coco de Chili, probablement notre Jubaea spectabilis, la seule espece de Palmier qui croisse au Chili, atteint precisement la meme limite, a l'ouest des Andes, sur les bords du Rio-Maule (Ch. Darwin, Journal of Researches, edit. de 1845, p. 244 et 256). J'insere ici quelques remarques que j'ecrivis en 1801, au moment ou je quittais l'embouchure du Rio-Sinn, ombragee par un grand nombre de Palmiers et situee a l'ouest du golfe de Darien, pour faire voile vers Cartagena de Indias. "Depuis deux ans, nous avons vu plus de 27 especes differentes de Palmiers dans l'Amerique du Sud. Combien Commerson, Thunberg, Banks, Solander, les deux Forster, Adanson et Sonnerat, ne doivent-ils pas en avoir observees dans leurs longs voyages! Cependant, au moment ou j'ecris ces lignes, il n'existe pas plus de 14 a 18 especes de Palmiers, dont on possede une description systematique. Il est reellement plus malaise qu'on ne le supposerait d'atteindre et de se procurer des fleurs de ces arbres. Dirigeant de preference notre attention sur les Palmiers, les graminees, les cyperacees, les juncees, les cryptogames et d'autres vegetaux tres-negliges jusqu'a ce jour, nous avons vivement senti cette difficulte. La plupart des palmiers ne portent des fleurs qu'une fois par an, et fleurissent, du moins aupres de l'equateur, dans le mois de janvier et de fevrier. Quel est le voyageur qui puisse etre saur de passer precisement ces deux mois dans les contrees fertiles en Palmiers? La periode de floraison est d'ailleurs pour beaucoup d'especes, limitee a un si petit nombre de jours, qu'on arrive presque toujours trop tard, quand l'ovaire est deja gonfle et que les fleurs males ont disparu. Souvent sur une etendue de plus de 10,000 lieues carrees, on ne rencontre que trois ou quatre especes de Palmiers. Qui peut se trouver simultanement, pendant un laps de deux mois, dans les missions de Rio Caroni, dans les Morichales qui bordent l'embouchure de l'Orenoque, dans la vallee de Caura et d'Erevato, au bord de l'Atabapo ou de Rio-Negro, et sur les pentes du Duida? Ajoutez a cela la difficulte d'atteindre, dans d'epaisses forets ou sur des rives marecageuses, comme au bord du Terni et du Tuamini, des fleurs qui pendent a des tiges, hautes de 60 pieds et herissees de piquants. Les voyageurs qui se preparent en Europe a des expeditions scientifiques se font d'etranges illusions: ils se figurent des ciseaux ou des couteaux recourbes qui, attaches a des gaules, doivent tout abattre, ou de jeunes garcons qui, a l'aide d'une corde fixee a leurs pieds, peuvent grimper au sommet des plus hauts arbres. Ces reves ne se realisent presque jamais; telle est la hauteur de ces palmiers qu'il est impossible d'atteindre l'enveloppe florale. Dans les missions etablies au milieu du reseau des fleuves de la Guyane, on se trouve parmi des indiens satisfaits de leur pauvrete et rendus assez riches par leur stoicisme et leur sauvagerie. Ni argent, ni offres d'aucune espece ne les decideraient de s'ecarter de trois pas de leur chemin, quand, par hasard, il y a un chemin. Cette apathie insurmontable des indigenes, irrite d'autant plus le voyageur europeen, qu'il les voit en meme temps gravir partout avec une rapidite extraordinaire, des qu'il s'agit de satisfaire leurs propres desirs, d'attraper un perroquet, un igname ou un singe, qui, frappe d'une fleche, se rattrape aux branches avec sa queue. Durant le mois de janvier, nous avons vu a la Havane, dans la promenade publique et dans les prairies qui avoisinent la ville tous les troncs de palma reals, notre Oreodoxa regia, couronnes de fleurs blanches comme la neige. Plusieurs jours de suite nous offrimes aux negrillons que nous rencontrions dans les rues etroites de Regla ou de Guanavacoa deux piastres pour un seul spadice de ces fleurs hermaphrodites; ce fut en vain. Sous les tropiques l'homme n'est capable d'aucun effort, sans y etre contraint par la necessite absolue. Les botanistes et les peintres de la commission espagnole instituee sous la direction du comte de Jaruco y Mopox, pour le progres des sciences naturelles, MM. Estevez Boldo, Guio et Echeveria, nous ont avoue que faute de pouvoir parvenir a ces fleurs, ils etaient restes plusieurs annees sans les examiner. "Apres l'enumeration de ces obstacles, on concoit ce qui, en Europe, m'eut paru a moi-meme incomprehensible, que, tout en ayant reconnu, dans l'espace de deux ans, plus de vingt especes differentes de palmiers, nous n'ayons pu en decrire systematiquement que douze. Quel interet n'offrirait pas l'ouvrage d'un voyageur qui parcourrait l'Amerique meridionale en se livrant exclusivement a cette etude, et representerait avec leurs dimensions naturelles la spathe, le spadice, les parties florales et les fruits des palmiers!" (J'ecrivais ces lignes plusieurs annees avant le voyage de Martius et de Spix, au Bresil, par consequent avant l'apparition de l'excellent ouvrage que Martius a publie sur les palmiers.) "Il y a une grande uniformite dans les feuilles; elles sont ou pinnees (pinnata) ou digitees (palmo-digitata), tantot le petiole est sans piquants, tantot il est decoupe de telle facon que chaque dent est terminee par une epine (serrato-spinosus). La feuille du Caryota urens et du Martinezia caryotifolia que nous avons vus aux bords de l'Orenoque et de l'Atabapo, et plus tard sur les Andes, dans le passage de Quindiu, a une hauteur de 3,000 pieds, a une forme presque unique parmi les palmiers, comme la feuille du Gingko parmi les arbres dycotyledones. Ce qui distingue surtout les palmiers c'est une physionomie et un port majestueux qu'il est difficile de representer par des paroles. Le stipe (caudex) est tres-rarement divise en branches comme l'est celui des dragoniers; il est simple en particulier dans le Cucifera thebaica ou palmier Doum, et dans l'Hyphaene coriacea. Tantot il a la souplesse d'un roseau, comme dans le Piritu, le Kunthia montana et le Corypha nana du Mexique, celui de cocotier est renfle vers la base. Quelquefois les stipes sont unis, quelquefois ils sont couverts d'ecailles comme dans le palma de Covija y de Sombrero des Llanos. Enfin on en voit d'epineux, comme par exemple le Corozo de Cumana et du Macanilla du Caripe, dont les longs piquants sont tres-regulierement distribues en anneaux concentriques. "On remarque aussi des differences caracteristiques dans les racines des palmiers qui, bien qu'elles ne prennent pas naissance a plus d'un pied ou d'un pied et demi au-dessus du sol exhaussent le tronc sur une sorte d'echafaudage, ou s'enroulent tout autour en forme de bourrelets. J'ai vu des civettes et de tres-petits singes se glisser entre les racines du Caryota. Souvent la tige est renflee au milieu et va en s'amincissant audessus et au-dessous, comme dans le palma real de l'eile de Cuba. Tantot les feuilles sont d'un vert sombre, comme dans le Mauritia et le cocotier, tantot elles presentent sur le revers la blancheur de l'argent, comme celles de Corypha miraguana, espece de palmier elance que nous avons trouve dans l'eile de Cuba, pres du port de la Trinite. Parfois aussi le milieu de la feuille deployee en eventail est orne de raies concentriques jaunes et bleuatres, comme une queue de paon; on peut citer en exemple le mauritia epineux que M. Bonpland a decouvert sur les rives de l'Atabapo. "La direction des feuilles n'est pas un caractere moins important que leur forme et leur couleur. Les folioles sont tantot pectinees, c'est-a-dire rangees sur le meme plan les unes contre les autres et formees d'un parenchyme raide et allonge comme dans le cocotier et le phoenix. De la les jeux de lumiere que produit le soleil, puisqu'il tombe sur la surface superieure des feuilles, d'un vert clair dans les cocotiers, d'un vert plus mat et cendre dans les dattiers. Quelquefois aussi le feuillage compose de vaisseaux plus tenus et plus souples, et frise vers l'extremite, ressemble a celui des roseaux. Telles sont les feuilles du Jagua, du Palma real del Sinu, del Palma real de Cuba, du Pirritu del Orinoco. La direction des feuilles est avec l'axe tracee par leur tige, ce qui contribue le mieux a donner aux palmiers cet air de majeste souveraine qui les distingue. Un caractere qui releve encore la physionomie de quelques-uns d'entre-eux, c'est qu'ils conservent non-seulement dans leur jeunesse, comme la seule espece de dattier qui ait ete introduite en Europe, mais durant toute leur vie, la direction droite et inflexible de leurs feuilles. Plus l'angle que forment les palmes avec le prolongement superieur de la tige est aigu, plus la forme est noble et grandiose. Quelle difference d'aspect entre les feuilles pendantes du Corypha tectorum ou palma de Covija del Orinoco y da Los Llanos de Calabozo, les feuilles plus horizontales du Dattier et du Cocotier et enfin les branches de Jagua, du Lucurito et du Pirijao, qui semblent menacer le Ciel. "La nature a reuni tous les genres de beaute dans les palmiers Jagua, qui, meles aux Cucuritos ou Vadgihai, hauts de quatre-vingts ou cent pieds ornent les rochers granitiques des cataractes d'Atures et de Maypures, et que nous avons apercus aussi ca et la sur les rives solitaires du Casiquiare . Leurs tiges sveltes et unies atteignent une elevation de soixante a soixante-dix pieds, de maniere a former des colonnades au-dessus du feuillage epais des arbres dicolyledones. Leurs cimes aeriennes contrastent merveilleusement avec les branches touffues des Ceiba, avec les forets de laurinees, les Calophyllum et les Amyris qui les entourent. Leur feuilles, au nombre de sept ou huit a peine se dressent presque verticalement dans les airs jusqu'a une hauteur de quinze a seize pieds. Les extremites des feuilles sont frisees et ressemblent a des panaches. Les folioles ont un parenchyme mince comme celui des graminees; elles flottent, legeres et fremissantes, autour du petiole qui se balance lentement au gre des airs. Chez tous les palmiers, l'inflorescence sort du tronc au-dessous de la naissance des feuilles, mais on distingue les diverses especes a la maniere dont s'opere cette eclosion. L'enveloppe florale de quelques palmiers, tels que le Corozo del Sinu, se dresse verticalement, et les fruits, suivant la meme direction, forment une espece de thyrse semblable a celle du Bromelia. Dans la plupart des especes, au contraire, les spathes tantot lisses, tantot rabotteuses et herissees d'epines, sont pendantes; quelques-unes produisent des fleurs males d'une blancheur eblouissante. Le spadice de ces palmiers brille a une grande distance, lorsqu'il a atteint son entier developpement. Chez le plus grand nombre, les fleurs males sont jaunatres, pressees les unes contre les autres, et deja presques fanees lorsqu'elles se degagent de la spathe. "Dans les palmiers a feuillage pinne, tels que les Cocotiers, le Phoenix, le Palma real del Sinu, les petioles sortent de la partie seche, rude et ligneuse du stipe ou bien comme dans le Palma real del Havana (Oreodoxa regia) qui faisait deja l'admiration de Christophe Colomb, ils naissent de tiges plus minces, lisses et vertes, qui se superposent au tronc comme des colonnes a des colonnes. La couronne de feuillage qui surmonte les palmiers a eventails (foliis palmatis), tels que le Moriche et le Palma de Sombrero de la Havana, repose souvent sur un lit de feuilles seches, circonstance qui donne a ces arbres un caractere severe et melancolique. Dans quelques palmiers en parasol, dans le Miraguama par exemple, la couronne ne se compose que d'un tres-petit nombre de feuilles supportees par de minces petioles. Il y a aussi dans la forme et dans la couleur des fruits plus de variete qu'on ne croit en Europe. Les fruits du Mauritia flexuosa sont ovales; leur surface ecailleuse, brune et luisante leur donne l'aspect de jeunes pommes de pins. Quelle difference entre l'enorme coco triangulaire, les baies du Dattier et les petits drupes du Corozo. Mais il n'est pas un palmier dont les fruits egalent en beaute ceux du Pirijao (Pihiguao) de San- Termando de Atabapo et de San-Balthasar. Ces fruits sont des pommes de deux a trois pouces d'epaisseur, de forme ovale, de couleur doree et pourpree sur une de leurs faces; ils ont une substance farineuse, ne laissent pas de semence et pendent en grappes pressees du sommet de troncs majestueux." Nous avons deja mentionne ailleurs ces beaux fruits qui s'agregent en grappes au nombre de soixante-dix ou de quatre-vingts, et sont susceptibles, comme les bananes et les pommes de terre, de preparations diverses. Dans quelques especes de palmiers, les spathes qui enveloppent les spadices font entendre un bruit distinct, lorsqu'elles viennent a s'entr'ouvrir tout-a-coup. Sir Achard Schomburgk, a, comme moi, observe ce phenomene dans l'Oreodoxa oleracea (Reisen in Britisch Guiana, t. I, page. 55). Cette bruyante eclosion de l'inflorescence des palmiers rappelle le dithyrambe de Pindare, en l'honneur du printemps, et le moment ou, dans la ville Argienne de Nemee, le Dattier entr'ouvrant ses bourgeons, annonce l'approche du printemps embaume (Cosmos, t. II, page 9 de la traduction francaise). Trois formes d'une beaute excellente se retrouvent dans les contrees tropicales de toutes les parties du monde; les palmiers, les bananiers et les fougeres arborescentes. Les lieux ou la chaleur et l'humidite agissent simultanement sont ceux ou la vegetation est la plus luxuriante et offre les formes les plus diverses; aussi l'Amerique du sud est-elle la plus belle partie de la region des palmiers. En Asie, ces arbres sont plus rares, peutetre parce que la portion considerable du continent indien qui est situee sous l'equateur, fut bouleversee et recouverte par la mer, dans les premieres revolutions du globe. Nous ne savons presque rien des palmiers qui croissent en Afrique, entre la baie de Benin et la cote d'Ajan, et en general, ainsi que je l'ai deja fait observer, nous ne connaissons qu'un tres-petit nombre de palmiers africains. Apres les coniferes et apres les Eucalyptus de la famille des myrtacees, ce sont les palmiers qui offrent l'exemple du plus grand developpement vegetal. Le chou-palmiste (Areca oleracea) fournit des tiges de cent cinquante a cent soixante pieds de hauteur (Aug. de Saint-Hilaire, Morphologie vegetale, 1840, page 176). Le palmier a cire, notre Ceroxylon andicola, que nous decouvreimes dans la Montana de Quindiu, entre Ibague et Cartago, atteint la taille enorme de cent soixante a cent quatre-vingts pieds. J'ai pu mesurer tout a mon aise des troncs de cet arbre, coupes dans les bois. Apres le Ceroxylon, le plus haut de tous les palmiers d'Amerique, m'a paru etre l'Oreodoxa sancona, que nous trouvames en fleur pres de Roldanilla, dans la vallee de Cauca, et qui fournit un bois de construction tres-dur et excellent de tout point. Si, malgre la quantite enorme de fruits que produit un seul tronc, il n'existe pas dans chaque espece, un grand nombre d'individus sauvages, cela tient sans doute a ce que la plupart des fruits avortent et a ce qu'une foule d'animaux de toutes les classes leur font une guerre acharnee; il est vrai de dire aussi qu'il existe dans le bassin de l'Orenoque, des tribus entieres qui durant plusieurs mois se nourrissent de fruits de palmiers. "In palmetis Pihiguao consitis, singuli trunci quotannis fere 400 fructus ferunt pomiformes, tritumque est verbum inter fratres sancti Francisci, ad ripas Orinoci et Guainiae degentes, mire pinguescere Indorum corpora, quoties uberem palmae fructum fundant."