COSMOS. (LE MONDE.) Tel est le titre d'un livre encyclopedique dedie a S. M. le roi de Prusse, par M. de Humboldt. C'est un compte rendu, un bulletin exact du progres de la science, depuis les tatonnements de ses premiers essais, jusqu'aux resultats obtenus par l'experience critique des temps modernes. Astronomie, Physique, Chimie, Cosmogonie, Geographie, Geognosie, Magnetisme, Electricite, enfin tout ce qui embrasse le monde connu y est traite avec une rare intelligence, avec une clarte parfaite, avec un enchaeinement admirable. On dirait un esprit universel, planant entre le ciel et la terre, et qui rend compte de ce qui se passe au dessus et au dessous de lui. Pour se faire une idee juste de ce livre, il faut le lire depuis le commencement jusqu'a la fin. Nous aurions bien voulu en donner des extraits plus considerables, mais le temps et l'espace nous manquent, car tout, dans ce livre, se tient dans un ordre succinct et lie. En attendant, nous en avons detache le morceau suivant sur les tremblements de terre, que nous ferons suivre par des extraits plus considerables. LES TREMBLEMENTS DE TERRE. La chaleur interieure de notre planete etant en correlation directe avec la production des courants electro-magnetiques et la formation de la lumiere terrestre, est en meme temps la source principale des phenomenes geognostiques. Nous traiterons ceux-ci dans leur enchaeinement et dans leurs transitions. Des ebranlements purement dynamiques, suivis des exhaussements de continents entiers, nous passerons a la production et a l'emission des liquides, des gaz, des vases bouillantes, des laves et des terres en fusion qui, en se refroidissant, se transforment en monts cristallins. La geognosie a fait un pas immense dans les temps modernes, en recherchant la solidarite des phenomenes. Grace a l'unite qui en decoule nous avons abandonne ces hypotheses pueriles, a l'aide desquelles on avait essaye d'expliquer isolement toutes les manifestations phenomenales du globe. L'Unite combine l'existence multiple des differentes matieres avec les revolutions locales (ebranlements et soulevements); elle reunit des groupes de phenomenes, qui, au premier abord, paraissaient fort heterogenes, tels que l'emission des sources thermales, les eruptions d'acide carbonique, de vapeurs sulfureuses, de sels vaseux et de volcans. Dans le grand tableau de la nature, tout cela se confond avec l'idee une de la reaction de l'interieur de notre planete contre son ecorce et ses couches exterieures. C'est ainsi que, dans les profondeurs de la terre, par suite de l'augmentation graduelle de la chaleur, a partir de la couche superficielle, nous trouvons les germes des tremblements, des exhaussements successifs de continents entiers, des eruptions volcaniques et des productions variees des mineraux et des roches. Mais la nature inorganique n'est pas restee seule sous l'influence de la reaction de l'interieur contre l'exterieur; il est tres probable que les courants de gaz acide carbonique du globe meles avec l'atmosphere ont augmente les secretions de carbonate dans la formation du regne vegetal, et que, par suite des revolutions, devastant des forets entieres, des masses de matieres combustibles, telles que lignites et charbon de terre, ont ete ensevelies dans les couches superieures. Les destinees de l'humanite dependent ellesmemes de la formation de l'ecorce exterieure, de la direction des montagnes et de la nervure des continents souleves. Il est donne a l'esprit scrutateur de remonter, dans l'echelle des phenomenes, jusqu'au point ou les vapeurs exterieures venant a se condenser, et la planete a se refroidir, la chaleur exterieure s'est developpee au sein de la terre, sous l'influence du soleil. Les tremblements de terre s'annoncent par des oscillations rapides et successives, soit perpendiculairement, soit horizontalement, soit d'une maniere rotatoire. Parmi le grand nombre de tremblements sur terre et sur mer que j'ai ressentis dans mes voyages sur les deux hemispheres, les mouvements perpendiculaires et horizontaux m'ont paru souvent simultanes. L'explosion perpendiculaire de bas en haut s'est montree fatale entre toutes dans la destruction de la ville de Riobamba (1797), ou un grand nombre de cadavres ont ete lances sur la colline de Cullca, haute de plusieurs centaines de pieds, et situee au-dela de la petite riviere de Lican. Les oscillations se prolongent ordinairement dans une direction lineaire et ondulatoire, avec une vitesse de 5 a 7 milles geographiques par minute; quelquefois aussi ces oscillations sont rotatoires et forment de grandes ellipses, dans lesquelles elles se suivent avec une force decroissante vers la peripherie. Il est des contrees qui semblent appartenir a deux spheres oscillatoires qui se croisent. Dans l'Asie septentrionale, que le pere de l'histoire (Herodote) croyait hors de la portee d'une secousse volcanique, j'ai trouve la partie meridionale et metallurgique du Mont Altai sous la double influence du foyer volcanique du lac Baikal et des volcans des Montagnes du Ciel (Thian Schan). Si ces spheres oscillatoires se coupent; si, par exemple, une plaine elevee se trouve entre deux volcans dont l'eruption est simultanee, plusieurs systemes ondulatoires peuvent, comme dans les liquides, se rencontrer sans se troubler. On peut meme, dans ce cas, admettre qu'il y a interference, a l'exemple des ondes sonores qui s'entrecroisent. La grandeur des oscillations qui se prolongent augmente a mesure qu'elles s'approchent de la superficie de la terre; selon la loi universelle de la mecanique, en vertu de laquelle un mouvement communique a un corps elastique tend a en detacher la derniere couche externe. Les oscillations, quant a leur direction et leur force totale, peuvent etre examinees avec le pendule, mais non quant a la nature de leur alternance et de leur intumescence. Dans la ville de Quito, situee au pied d'un volcan (Rucu-Pichincha), a 8,950 pieds au dessus du niveau de la mer, ville qui a de belles eglises ornees de belles coupoles, et dans laquelle il y a des maisons massives, hautes de plusieurs etages, j'ai ete souvent frappe, la nuit, par l'impetuosite de secousses qui occasionnent rarement des crevasses dans les murs, tandis que, dans les plaines peruviennes, des oscillations bien plus faibles endommagent des chaumieres. Des indigenes, qui ont vu plusieurs centaines de tremblements de terre, pretendent que la difference est moins dans la duree longue ou courte des oscillations, ou dans leur lenteur et leur vitesse horizontale, que dans la simultaneite des mouvements en directions opposees. Les oscillations rotatoires sont les plus rares, mais aussi les plus dangereuses. Lors du tremblement de Riobamba, dans la province de Quito (le 4 fevrier 1797), et de celui de la Calabre, le 28 mars 1783, on a vu des murs retournes sans etre endommages, des plantations entieres interverties, et des parcelles de terres couvertes de differentes cultures les unes par les autres. Au phenomene de l'interversion et du changement des terrains, correspond une oscillation rotatoire et une fusion des differentes couches de terre. Quand j'ai crayonne le plan de la ville detruite (Riobamba), on m'a montre la place ou tous les ustensiles d'un menage se sont retrouves dans les ruines d'une autre maison. Le terrain mouvant s'est mis a courir comme un liquide, et le courant, selon toute probabilite, s'est d'abord dirige de haut en bas, puis horizontalement, et enfin de bas en haut. L'Audiencia (le tribunal de la ville) avait plus de mille proces a juger sur la propriete d'objets qui avaient ete transportes a plusieurs centaines de toises de l'endroit qu'ils occupaient primitivement. Dans les pays moins exposes aux tremblements de terre, comme l'Europe meridionale, l'opinion est generalement repandue que le calme du vent, une chaleur suffoquante et un horizon brumeux, sont les precurseurs du phenomene. C'est une erreur; non-seulement ma propre experience, mais encore toutes les observations faites par des hommes qui ont vecu dans des pays exposes souvent a de semblables secousses, tels que le Cumana, le Quito, le Perou et le Chili, sont contraires a cette croyance populaire. J'ai ressenti des secousses par un beau temps, par un vent d'est comme par un temps de pluie et de tonnerre. Sous les tropiques, le jour de tremblement de terre, il n'y avait aucune alteration dans la regularite des changements horaires de l'aiguille aimantee et dans la pression de l'air. Les observations qu'Adolphe Erman a faites dans la zone temperee lors du tremblement de terre d'Irtutsk, pres du lac Baikal (le 8 mars 1829) s'accordent avec les miennes. Lors de la secousse violente de Cumana (4 novembre 1799) j'ai trouve l'intensite de la force magnetique et sa declinaison tout-a-fait regulieres; mais, a mon grand etonnement, l'inclinaison de l'aiguille etait diminuee de 48'. Je dois dire que cette inclinaison est restee tout-a-fait a l'etat normal pendant beaucoup d'autres secousses que j'ai ressenties dans le pays de Quito et de Lima. Toutefois, si, en general, aucun phenomene meteorologique, aucun indice particulier dans la voaute celeste n'annonce d'avance ce qui se passe dans les entrailles de la terre, il n'est cependant pas improbable que des secousses violentes influencent l'atmosphere; d'ou il suit que l'effet de ces secousses n'est pas toujours purement dynamique. Durant le tremblement prolonge de la terre dans les vallees piemontaises de Pelis et de Clusson, on a remarque, par un ciel non orageux, de grands changements dans la tension electrique de l'atmosphere. L'intensite du bruissement sourd qui accompagne ordinairement la secousse n'augmente nullement avec celle des oscillations. Grace aux recherches minutieuses et exactes que j'ai faites sur le tremblement de Riobamba (1797), un des phenomenes les plus terribles de l'histoire physique de notre planete, j'ai acquis la certitude qu'il n'etait accompagne d'aucun bruit. Le grondement effrayant (el gran ruido) qu'on a entendu sous le sol des villes de Quito et d'Ibarra, mais nullement au centre meme du mouvement pres de Tacunga et de Hambato, ne s'est produit que 18 a 20 minutes apres la catastrophe. Lors du tremblement de terre de Lima et de Callao (le 28 octobre 1746) on n'a entendu a Truxillo le bruit de coups de tonnerre souterrains qu'un quart-d'heure apres la secousse. De meme, selon Boussingault, qui decrit le tremblement de terre de la Nouvelle-Grenade (le 16 novembre 1827) on n'a entendu dans la vallee de Cauca, a des intervalles de 30 a 35 secondes, la detonation souterraine que long-temps apres la secousse. La nature du bruit differe aussi; tantot la detonation est roulante et crepitante comme des chaeines en mouvement, tantot saccadee comme un coup de tonnerre, tantot carrillonante comme si l'on fracassait de l'obsidiane ou des masses de verres au fond des catacombes souterraines. Comme les corps durs sont d'excellents conducteurs du son, et qu'un coup frappe sur de l'argile cuite se repand dix a douze fois plus vite que dans l'air, le bruit souterrain s'entend d'un lieu tres-eloigne de la cause premiere qui l'a produit. A Caracas dans les prairies de Calaboso, aux bords du Rio-Apure, qui s'abouche dans l'Orinoco, sur une superficie de 2,300 milles carres, on a entendu partout, le 30 avril 1812, sans aucune secousse, un enorme bruit de tonnerre au moment ou, a 15 milles de la, dans le nord-est, le volcan de Saint-Vincent, vomissait aux petites Antilles un torrent de lave. C'est proportionnellement parlant, comme si l'on entendait dans le nord de la France l'eruption du Vesuve. En l'an 1744, lors de l'eruption du volcan Cotopaxi, on entendait a Honda, aux bords du fleuve de Madelaine, des detonations souterraines semblables a des coups de canon. Non-seulement le cratere de Cotopaxi est a 1,700 pieds au-dessus du niveau de Honda, mais encore ces deux localites sont separees par les masses colossales des montagnes de Quito, de Pasto et de Popayan, et par des vallees et des ravins sans nombre d'une etendue de 409 milles. Le son, certes, n'a pas ete transmis par l'air, mais par les entrailles de la terre. Le jour du tremblement de terre de la Nouvelle-Grenade (en fevrier 1835), on a entendu un tonnerre souterrain simultanement a Popayan, Bogota, Santa-Marta et Caracas, eloignes de sept lieues, et a Haiti, Jamaica, pres du lac de Nicaragua, et cela sans aucune secousse. Ces phenomenes de tonnerre souterrain, bien que non accompagnes d'un tremblement de terre, font une profonde impression, meme sur ceux qui sont habitues a ces sortes de catastrophes. On attend avec anxiete ce qui doit suivre. L'exemple le plus frappant, unique dans ce genre, d'un bruit souterrain non interrompu, sans aucune trace de secousse, se trouve dans un phenomene connu sous le nom de bramidos y truenos subterreneos (fracas et tonnerre souterrains) a Guanamato, dans le haut pays du Mexique. Cette ville, aussi celebre que riche, est eloignee de tout volcan actif. Le bruit ayant dure depuis minuit (9 janvier 1784) jusqu'au 12 fevrier, j'ai pu en donner une description detaillee, selon la deposition des temoins et les documents de la municipalite. Depuis le 13 jusqu'au 16 janvier on se croyait sur des nuages volcaniques dans lesquels des tonnerres roulants alternaient avec des coups fortement saccades. Le bruit s'en allait comme il etait venu avec une force decroissante; il etait circonscrit sur un petit espace. A plusieurs lieues de la, sur un terrain de basalte, on n'entendait rien du tout. Presque tous les habitans, saisis de frayeur, quitterent la ville, dans laquelle de grandes masses de barres d'argent etaient amoncelees; les plus courageux, habitues enfin a ce bruit, retournerent dans la ville pour livrer bataille aux bandes de brigands qui s'etaient empares des tresors. On ne trouva aucune trace d'un tremblement quelconque, ni a la surface de la terre, ni dans les mines, profondes de 1,500 pieds. Jamais avant cette epoque un bruit de ce genre ne s'etait fait entendre dans tout le Haut-Mexique, et depuis il ne s'est pas repete une seule fois. C'est ainsi que, dans les entrailles de la terre, il s'ouvre et se forme des courants qui nous envoient ou nous soustraient leurs oscillations resonnantes. Les effets d'un volcan, si terribles qu'ils soient, si effroyable qu'en soit le tableau, sont cependant reduits a un petit espace. Il n'en est pas de memo des tremblements de terre, qui, a peine visibles a l'oeil, se font sentir souvent a un eloignement de deux mille lieues. Le grand tremblement de terre qui, le 1er novembre 1755 a detruit la ville de Lisbonne, et dont les phenomenes ont ete etudies avec tant de sagacite par le grand philosophe Emmanuel Kant, a ete ressenti dans les Alpes, sur les cotes de la Suede, sur les Antilles (Antigua, Barbados, et Martinique), dans les grands lacs du Canada, comme dans la Thuringe et dans les pays plats de l'Allemagne du Nord. Des sources lointaines furent interrompues dans leurs cours, phenomene qui deja, selon Demetrius Kallatian, accompagne ordinairement ces catastrophes. Les sources thermales de Teplitz tarirent subitement, et devinrent ferrugineuses, inondant toute la ville. A Cadix, la mer se levait a 60 pieds de hauteur, tandis que dans les petites Antilles, le flot, d'ordinaire haut de 26 a 28 pouces, s'elevait, noir comme de l'encre, a une hauteur de vingt pieds. On a fait le calcul que le 1er novembre 1755, l'espace de terre souleve par le tremblement surpasse quatre fois en etendue la superficie de l'Europe. Aucune force destructive, y compris les inventions meurtrieres de notre aimable genre humain, n'est capable de faire perir un aussi grand nombre d'hommes dans l'espace de quelques minutes (soixante mille en Sicile, 1693; trente a quarante mille a Riobamba, 1797; cinq fois autant en Asie-Mineure et dans la Syrie, sous Tibere et Justin l'aeine, dans les annees 19 et 926). Dans la chaine d'Andes, dans l'Amerique du Sud, la terre tremblait pendant plusieurs jours. Quant aux tremblements qui, durant des mois entiers, se font ressentir presque a chaque heure, je n'en connais que dans les terrains eloignes de tout volcan actif, sur le versant oriental des Alpes, du Mont-Cenis, pres Fenestrelles et Pignerolles (avril 1808), dans les Etats-Unis de l'Amerique, entre New-Madrid et Little-Prairie, au nord de Cincinnati (decembre 1811, et pendant l'hiver entier de 1812), et dans le pachalik d'Alep (aux mois d'aoaut et de septembre 1822). Comme les croyances populaires ne s'elevent jamais jusqu'a des vues generales, et attribuent presque toujours les grands phenomenes a des causes locales, partout ou les secousses se suivent regulierement, surgit la crainte de l'eruption d'un nouveau volcan. Il est vrai que, quelquefois, mais tres rarement, cette croyance a ete appuyee par l'apparition subite d'une eile volcanique ou d'un volcan actif, tel que le Sorullo, mont nouveau de 4,580 pieds de hauteur au dessus de la vieille plaine, qui a soudainement surgi le 29 septembre 1759, apres quatre-vingtdix jours de tremblements et de tonnerre souterrains. S'il etait possible d'avoir tous les jours des nouvelles positives sur l'etat de la superficie du globe, on se convaincrait facilement que presque journellement cette superficie tremble a un point quelconque, et qu'elle est soumise a une reaction incessante de l'interieur contre l'exterieur. Cette frequence et cette universalite d'un phenomene, provoque probablement par l'accroissement de la temperature des couches profondes en fusion, fournit des preuves que le phenomene lui-meme est independant de la nature des montagnes dans lesquelles il se manifeste. Meme, dans les alluvions mouvantes de Middelbourg et de Fleessingen, en Hollande, il y a eu des secousses (23 fevrier 1828). Le granit, comme l'ardoise, sont ebranles comme la chaux, la pierre de sable et le trachyte. Ce n'est pas la nature chimique des objets, mais la structure mecanique des montagnes qui modifie le prolongement de l'onde oscillatoire. La ou cette onde serpente le long d'une cote, au pied ou en suivant la direction de la chaeine des monts, on observe depuis des siecles certaines interruptions sur plusieurs points. L'ondulation se prolonge alors dans la profondeur, sans que l'on s'en ressente a la superficie. Les Peruviens, en parlant de ces couches immuables, disent "qu'elles forment un pont." Comme les chaeines de montagnes se sont formees sur des crevasses; les murs de ces cavites favorisent la direction parallele des ondulations. Quelquefois aussi les oscillations coupent perpendiculairement plusieurs chaeines ensemble. C'est ainsi que, dans l'Amerique du Sud, nous les voyons couper simultanement la chaeine de la cote de Venezuela et de la Sierra-Parime. En Asie, les tremblements de Lahore et de l'Himalaya (22 janvier 1832) se sont prolonges en coupant transversalement la chaeine du Hindou-Kho, jusqu'a Badakschan, jusqu'a l'Oxus superieur, meme jusqu'a Bokhara. Malheureusement, souvent, par un grand tremblement de terre, les voies souterraines s'elargissent. Depuis la destruction de Cumana (14 decembre 1797), la presqu'eile de Maniquarez eprouve, dans ses rocs d'ardoise, tous les chocs de la cote meridionale. Par suite des ondulations non interrompues du sol, dans les vallees du Mississipi, de l'Arkansas et de l'Ohio (depuis 1811 jusqu'a 1813), le prolongement du sud au nord est devenu frappant. On dirait des obstacles souterrains qui disparaissent en laissant libre cours aux ondulations qui se prolongent de plus en plus. Si, de prime-abord, le tremblement de terre ne parait etre qu'un phenomene local et dynamique, les experiences, au contraire, prouvent que, non seulement il souleve des pays entiers au dessus de leur ancien niveau (par exemple Ulla Bund, apres le tremblement de Cutsch, en juin 1819, a l'est du delta de l'Indus et la cote de Chili (novembre 1822), mais encore qu'il vomit, durant le choc, de l'eau chaude (pres de Canania, 1818), des vapeurs bouillantes (vallee du Mississipi, pres de New-Madrid, 1812), des gaz irrespirables, si dangereux aux troupeaux paissants de la chaeine d'Andes; de la vase, de la fumee noire et meme des flammes (Messine, 1743; Cumana, 11 novembre 1797). Durant le grand tremblement de terre a Lisbonne (1755, 1er novembre), on voyait pres de la capitale sortir d'une fente nouvellement formee dans le roc d'Alvidras, des flammes et une colonne de fumee. La fumee s'epaississait a mesure que les detonations souterraines augmentaient en force. Lors de la destruction de Riobamba (1797), tremblement de terre qui n'etait accompagne d'aucune eruption volcanique, malgre la proximite des volcans, la terre soulevait de la moya, masse singuliere, composee de charbon, de crystal-augit et d'infusoires. Au tremblement de terre de la Nouvelle-Grenade (16 novembre 1827), le gaz acide carbonique, en faisant eruption, asphyxia un grand nombre de serpents, de rats et d'autres betes, vivant dans des cavernes; quelquefois aussi, sous les tropiques, des changements subits de la temperature, des pluies abondantes, inusitees pour la saison, en ont ete la suite, comme a Quito et au Perou. Est-ce parce que des fluides gazogenes, sortant du sein de la terre, se melent avec l'atmosphere; ou ces phenomenes meteorologiques sont-ils l'effet d'un trouble dans l'electricite atmospherique?... Dans les contrees tropicales de l'Amerique, ou quelquefois, durant dix mois de l'annee, il ne tombe pas une goutte de pluie, les habitants prennent des secousses reiterees, non dangereuses aux petites chaumieres, pour des precurseurs heureux de la fertilite du sol et des pluies abondantes. La cause interieure de tous ces phenomenes est encore entouree d'un voile obscur. Il est certain que ce sont des fluides elastiques qui causent, tantot ce tremblement lent, soutenu et peu dangereux, tel que celui de Scaccia, en 1816, avant l'apparition de la nouvelle eile volcanique de Julia, tantot les grandes et terribles explosions. Le foyer du mal, le siege de la force motrice, se trouvent dans les profondeurs de la terre, bien eloignees de la couche superieure. Nous ne savons pas plus a quelle profondeur ces phenomenes se produisent plus que nous ne connaissons la nature chimique des vapeurs en tension. Poste aux bords de deux crateres, a cote du Vesuve, et sur le roc en forme de tour, qui depasse le gouffre de Pichincha, pres Quito, j'ai ressenti periodiquement et regulierement des secousses, 20 a 30 secondes avant l'eruption des vapeurs et des scories braulantes. Plus les explosions etaient tardives, plus la commotion etait forte, attendu que les vapeurs avaient ete plus longtemps comprimees. Dans cette simple experience, confirmee par un grand nombre de voyageurs, se trouve la solution generale du phenomene. Les volcans actifs sont des soupapes et des ventilateurs de saurete pour les terrains environnants. Le danger du tremblement augmente, a mesure que les ouvertures des volcans se bouchent, et ne sont plus en communication libre avec l'atmosphere. Toutefois, la destruction de Lisbonne, de Caracas, de Lima et de Caschmir (1554), et de tant d'autres villes de la Calabre, de la Syrie et de l'Asie-Mineure, prouverait qu'en tout cas, la plus grande intensite du tremblement n'est pas dans le voisinage des volcans braulants. De meme que l'activite troublee des volcans agit sur les tremblements de terre, ceux-ci, a leur tour, reagissent sur les phenomenes volcaniques. Des ouvertures de crevasses favorisent l'ascension des crateres erupteurs, ainsi que les tranformations qui s'y produisent par le contact de l'atmosphere. Une colonne de fumee qu'on a vue, durant des mois entiers, monter du volcan de Pasto dans l'Amerique du Sud, disparut subitement lorsque, dans le sud, a une distance de 48 milles, il y eut le grand tremblement de Riobamba. De longs tremblements en Syrie, dans les Cyclades et a Euboea ont cesse tout a coup, lorsque, pres de Chalcis, un torrent de vase bouillante sortit d'une crevasse de terre. Amasea, geographe ingenieux, en rapportant ce fait, ajoute: "depuis que les bouches de l'Etna sont ouvertes pour vomir du feu, de l'eau bouillante et des masses enflammees, les cotes, d'Italie, bien que separees de la Sicile par un bras de mer, ne sont plus aussi exposees aux tremblement de terre que lorsque toutes les issues de la surface etaient bouchees." Dans les tremblements de terre, il se manifeste donc une puissance volcanique mediatrice; mais cette puissance, universelle comme la chaleur interieure de la terre, est rarement elevee jusqu'a un phenomene d'eruption. La marche ordinaire, c'est-a-dire le comblement des crevasses par des masses cristallines venant du dedans, trouble graduellement la communication libre des vapeurs. Par la tension, celles-ci agissent de trois manieres: par eruption, par un soulevement en arriere, et, comme on l'a observe en Suede, par des oscillations lentes, mais non interrompues, visibles sur un rayon fort etendu, et changeant le niveau de la terre et de la mer. Avant de quitter ce grand phenomene, que nous avons considere dans ses relations generales de physique et de geognostique, plutot que dans ses details, nous nous arreterons un instant sur l'effet profond et singulier que le premier tremblement de terre produit sur nous, meme s'il n'est accompagne d'aucun bruit souterrain. Ce n'est pas le souvenir de tant de terribles catastrophes conservees par l'histoire qui vient saisir notre imagination. Non! Ce qui nous surprend, nous saisit, nous aneantit, c'est l'ebranlement de la foi que nous avons dans l'immobilite des couches solides de la terre. Des notre enfance, nous sommes habitues au contraste de l'element mobile de l'eau et de l'immobilite de la terre. Tous les temoignages de nos sens ont fortifie cette foi; voila que, soudain, la terre se souleve, se meut, marche, coule, court! Une puissance inconnue jusqu'alors, puissance terrible et occulte apparaeit; un moment suffit pour renverser l'illusion de toute une vie. -- Nous sommes donc dans un nouveau monde de destruction, de puissances inconnues! L'homme sent alors toute sa nullite; chaque son, le plus petit mouvement du vent saisit et serre son ame... Il ne respire plus, il suffoque!... Les animaux memes semblent eprouver des sentiments analogues; les porcs et les chiens, surtout, en sont saisis. Les crocodiles d'Oronoco, d'ordinaire silencieux et muets comme nos petits lezards, quittent le terrain ebranle du fleuve, et courent vers la foret en poussant des cris horriblement comiques. Le tremblement de terre se presente a l'homme comme l'infini universel. On peut fuir les eruptions d'un cratere, on peut echapper aux approches d'un torrent de lave, mais quand la terre se souleve, il n'y a plus de salut. Heureusement cet etat ne dure pas long-temps. Si, dans un pays, un certain nombre de petites secousses se suivent regulierement, on n'y fait plus attention, on n'a plus peur. Sur les cotes du Perou, on ne connaeit ni la grele, ni le tonnerre, ni les explosions de lumiere dans l'atmosphere. Le tonnerre des nuages y est remplace par le bruit souterrain qui accompagne les tremblements, et l'opinion generalement repandue, que les tremblements dangereux ne se manifestent que deux ou trois fois par siecle, fait qu'on ne donne pas plus d'attention aux secousses ordinaires qu'a la chute de la grele dans la zone temperee. Traduit par A. W.