BULLETIN de la SOCIETE DE GEOGRAPHIE. septembre 1845. PREMIERE SECTION. MEMOIRES, EXTRAITS, ANALYSES ET RAPPORTS. SUR LES PHENICIENS. (Extrait des nouveaux Eclaircissements qui doivent completer les Religions de l'antiquite ou la Symbolique et Mythologie du Dr Creuzer, traduite, refondue et developpee par M. Guigniaut. Paris, 1825-1845; 8 volumes avec 300 planches gravees au trait.) § I. Origine et premiers etablissements des Pheniciens. -- Le nom des Pheniciens, Phoinikes, qui fut etendu par les Grecs aux Carthaginois, designes par les Romains sous celui de Poeni, le meme au fond, comme ses adjectifs phoinikios et poenicus ou punicus, plus usite, phoinikeos phoeniceus, poeniceus, puniceus, sont identiques; ce nom, qui passa au pays appele Phoinike, Phoenicie, Phoenicia, est d'origine purement grecque, et signifie Rouges, les hommes rouges, de phoinos, phoinios, rouge de sang, Sur les races humaines et sur les langues, apercus ethnographiques, extraits du Cosmos ou Essai d'une description physique du monde, par M. A. de Humboldt, tome Ier, dont la traduction francaise par M. Faye, revue par l'auteur et par MM. Arago, Elie de Beaumont et Guigniaut, paraeitra prochainement chez Gide. Le tableau general de la nature que j'essaie de dresser serait incomplet, si je n'entreprenais de decrire ici egalement, en quelques traits caracteristiques, l'espece humaine consideree dans ses nuances physiques, dans la distribution geographique de ses types contemporains, dans l'influence que lui ont fait subir les forces terrestres, et qu'a son tour elle a exercee, quoique plus faiblement, sur celles-ci. Soumise, bien qu'a un moindre degre que les plantes et les animaux, aux circonstances du sol et aux conditions meteorologiques de l'atmosphere, par l'activite de l'esprit, par le progres de l'intelligence qui s'eleve peu a peu, aussi bien que par cette merveilleuse flexibilite d'organisation qui se plie a tous les climats, notre espece echappe plus aisement aux puissances de la nature; mais elle n'en participe pas moins d'une maniere essentielle a la vie qui anime notre globe tout entier. C'est par ces secrets rapports que le probleme si obscur et si controverse de la possibilite d'une origine commune pour les differentes races humaines, rentre dans la sphere d'idees qu'embrasse la description physique du monde. L'examen de ce probleme marquera, si je puis m'exprimer ainsi, d'un interet plus noble, de cet interet superieur qui s'attache a l'humanite, le but final de mon ouvrage. L'immense domaine des langues, dans la structure si variee desquelles se reflechissent mysterieusement les aptitudes des peuples, confine de tres pres a celui de la parente des races; et ce que sont capables de produire meme les moindres diversites de race, nous l'apprenons par un grand exemple, celui de la culture intellectuelle si diversifiee de la nation grecque. Ainsi les questions les plus importantes que souleve l'histoire de la civilisation de l'espece humaine, se rattachent aux notions capitales de l'origine des peuples, de la parente des langues, de l'immutabilite d'une direction primordiale tant de l'ame que de l'esprit. Tant que l'on s'en tint aux extremes dans les variations de la couleur et de la figure, et que l'on se laissa prevenir a la vivacite des premieres impressions, on fut porte a considerer les races, non comme de simples varietes, mais comme des souches humaines, originairement distinctes. La permanence de certains types1, en depit des influences les plus contraires des causes exterieures, surtout du climat, semblait favoriser cette maniere de voir, quelque courtes que soient les periodes de temps dont la connaissance historique nous est parvenue. Mais, dans mon opinion, des raisons plus puissantes militent en faveur de l'unite de l'espece humaine, savoir, les nombreuses gradations2 de la couleur de la peau et de la structure du crane, que les progres rapides de la science geographique ont fait connaeitre dans les temps modernes; l'analogie que suivent en s'alterant d'autres classes d'animaux, tant sauvages que prives; les observations positives que l'on a recueillies sur les limites prescrites a la fecondite des metis3. La plus grande partie des contrastes dont on etait si frappe jadis se sont evanouis devant le travail approfondi de Tiedemann sur le cerveau des Negres et des Europeens, devant les recherches anatomiques de Brolik et de Weber sur la configuration du bassin. Si l'on embrasse dans leur generalite les nations africaines de couleur foncee, sur lesquelles l'ouvrage capital de Prichard a repandu tant de lumieres, et si on les compare avec les tribus de l'archipel meridional de l'Inde et des eiles de l'Australie occidentale, avec les Papous et Alfourous (Harafores, Endamenes), on apercoit clairement que la teinte noire de la peau, les cheveux crepus, et les traits de la physionomie negre sont loin d'etre toujours associes4. Tant qu'une faible partie de la terre fut ouverte aux peuples de l'Occident, des vues exclusives dominerent parmi eux. La chaleur braulante des tropiques et la couleur noire du teint semblerent inseparables. "Les Ethiopiens, chantait l'ancien poete tragique Theodectes de Phaselis5, "doivent au dieu du soleil, qui s'approche d'eux dans sa course, le sombre eclat de la suie dont il colore leurs corps." Il fallut les conquetes d'Alexandre, qui eveillerent tant d'idees de geographie physique, pour engager le debat relatif a cette problematique influence des climats sur les races d'hommes. "Les familles des animaux et des plantes," dit un des plus grands anatomistes de notre age, Jean Müller, dans sa Physiologie de l'homme, "se modifient durant leur propagation sur la face de la terre, entre les limites qui determinent les especes et les genres. Elles se perpetuent organiquement comme types de la variation des especes. Du concours de differentes causes, de differentes conditions, tant interieures qu'exterieures, qui ne sauraient etre signalees en detail, sont nees les races presentes des animaux; et leurs varietes les plus frappantes se rencontrent chez ceux qui ont en partage la faculte d'extension la plus considerable sur la terre. Les races humaines sont les formes d'une espece unique, qui s'accouplent en restant fecondes, et se perpetuent par la generation. Ce ne sont point les especes d'un genre; car, si elles l'etaient, en se croisant, elles deviendraient steriles. De savoir si les races d'hommes existantes descendent d'un ou de plusieurs hommes primitifs, c'est ce qu'on ne saurait decouvrir par l'experience6" Les recherches geographiques sur le siege primordial, ou, comme on dit, sur le berceau de l'espece humaine, ont dans le fait un caractere purement mythique. "Nous ne connaissons," dit Guillaume de Humboldt, dans un travail encore inedit sur la diversite des langues et des peuples, "nous ne connaissons ni historiquement ni par aucune tradition certaine un moment ou l'espece humaine n'ait pas ete separee en groupes de peuples. Si donc cet etat de choses a existe des l'origine, ou se produisit plus tard, c'est ce qu'on ne saurait decider par l'histoire. Des legendes isolees se retrouvant sur des points tres divers du globe, sans communication apparente, sont en contradiction avec la premiere hypothese, et font descendre le genre humain tout entier d'un couple unique. Cette tradition est si repandue, qu'on l'a quelquefois regardee comme un antique souvenir des hommes. Mais cette circonstance meme prouverait plutot qu'il n'y a la aucune transmission reelle d'un fait, aucun fondement vraiment historique, et que c'est tout simplement l'identite de la conception humaine qui partout a conduit les hommes a une explication semblable d'un phenomene identique. Un grand nombre de mythes sans liaison historique les uns avec les autres doivent ainsi leur ressemblance et leur origine a la parite des imaginations ou des reflexions de l'esprit humain. Ce qui montre encore dans la tradition dont il s'agit le caractere manifeste de la fiction, c'est qu'elle pretend expliquer un phenomene en dehors de toute experience, celui de la premiere origine de l'espece humaine, d'une maniere conforme a l'experience de nos jours; la maniere, par exemple, dont, a une epoque ou le genre humain tout entier comptait deja des milliers d'annees d'existence, une eile deserte ou un vallon isole des montagnes peut avoir ete peuple. En vain la pensee se plongerait dans la meditation du probleme de cette premiere origine; l'homme est si etroitement lie a son espece et au temps, que l'on ne saurait concevoir un etre humain venant au monde sans une famille deja existante, et sans un passe. Cette question donc ne pouvant etre resolue ni par la voie du raisonnement ni par celle de l'experience, faut-il penser que l'etat primitif, tel que nous le decrit une pretendue tradition, est reellement historique, ou bien que l'espece humaine, des son principe, couvrit la terre en forme de peuplades? C'est ce que la science des langues ne saurait decider par elle-meme, comme elle ne doit point non plus chercher une solution ailleurs pour en tirer des eclaircissements sur les problemes qui l'occupent." L'humanite se distribue en simples varietes, que l'on designe par le mot un peu indetermine de races. De meme que dans le regne vegetal, dans l'histoire naturelle des oiseaux et des poissons, il est plus saur de grouper les individus en un grand nombre de familles, que de les reunir en un petit nombre de sections embrassant des masses considerables; de meme, dans la determination des races, il me paraeit preferable d'etablir de petites familles de peuples. Que l'on suive l'ancienne classification de mon maeitre Blumenbach en cinq races (Caucasique, Mongolique, Americaine, Ethiopique et Malaie), ou bien qu'avec Prichard on reconnaisse sept races7, Iranienne, Touranienne, Americaine, des Hottentots et Bouschmans, des Negres, des Papous et des Alfourous), il n'en est pas moins vrai qu'aucune difference radicale et typique, aucun principe de division naturel et rigoureux ne regit de tels groupes. On separe ce qui semble former les extremes de la figure et de la couleur, sans s'inquieter des familles de peuples qui echappent a ces grandes classes et que l'on a nommees, tantot races scythiques, tantot races allophyliques. Iraniens est, a la verite, une denomination mieux choisie pour les peuples d'Europe que celle de Caucasiens; et pourtant il faut bien avouer que les noms geographiques pris comme designations de races sont extremement indetermines, surtout quand le pays qui doit donner son nom a telle ou telle race se trouve, comme le Touran ou Mawerannahr, par exemple, avoir ete habite a differentes epoques8 par les souches de peuples les plus diverses, d'origine indo-germanique et finnoise, mais non pas mongolique. Les langues, creations intellectuelles de l'humanite, et qui tiennent de si pres aux premiers developpements de l'esprit, ont, par cette empreinte nationale qu'elles portent en elles-memes, une haute importance pour aider a reconnaeitre la ressemblance ou la difference des races. Ce qui leur donne cette importance, c'est que la communaute de leur origine est un fil conducteur, au moyen duquel on penetre dans le mysterieux labyrinthe, ou l'union des dispositions physiques du corps avec les pouvoirs de l'intelligence se manifeste sous mille formes diverses. Les remarquables progres que l'etude philosophique des langues a faits en Allemagne depuis moins d'un demi-siecle, facilitent les recherches sur leur caractere national9, sur ce qu'elles paraissent devoir a la parente des peuples qui les parlent. Mais, comme dans toutes les spheres de la speculation ideale, a cote de l'espoir d'un butin riche et assure, est ici le danger des illusions si frequentes en pareille matiere. Des etudes ethnographiques positives, soutenues par une connaissance approfondie de l'histoire, nous apprennent qu'il faut apporter de grandes precautions dans cette comparaison des peuples et des langues dont ils se sont servis a une epoque determinee. La conquete, une longue habitude de vivre ensemble, l'influence d'une religion etrangere, le melange des races, lors meme qu'il aurait eu lieu avec un petit nombre d'immigrants plus forts et plus civilises, ont produit un phenomene qui se remarque a la fois dans les deux continents, savoir, que deux familles de langues entierement differentes peuvent se trouver dans une seule et meme race; que, d'un autre cote, chez des peuples tres divers d'origine peuvent se rencontrer des idiomes d'une meme souche de langues. Ce sont les grands conquerants asiatiques qui, par la puissance de leurs armes, par le deplacement et le bouleversement des populations, ont surtout contribue a creer dans l'histoire ce double et singulier phenomene. Le langage est une partie integrante de l'histoire naturelle de l'esprit; et bien que l'esprit, dans son heureuse independance, se fasse a lui-meme des lois qu'il suit sous les influences les plus diverses, bien que la liberte qui lui est propre s'efforce constamment de le soustraire a ces influences, pourtant il ne saurait s'affranchir tout-a-fait des liens qui le retiennent a la terre. Toujours il reste quelque chose de ce que les dispositions naturelles empruntent au sol, au climat, a la serenite d'un ciel d'azur, ou au sombre aspect d'une atmosphere chargee de vapeurs. Sans doute la richesse et la grace dans la structure d'une langue sont l'oeuvre de la pensee, dont elles naissent comme de la fleur la plus delicate de l'esprit; mais les deux spheres de la nature physique et de l'intelligence ou du sentiment n'en sont pas moins etroitement unies l'une a l'autre; et c'est ce qui fait que nous n'avons pas voulu oter a notre tableau du monde ce que pouvaient lui communiquer de coloris et de lumiere, ces considerations, toutes rapides qu'elles sont, sur les rapports des races et des langues. En maintenant l'unite de l'espece humaine, nous rejetons, par une consequence necessaire, la distinction desolante de races superieures et de races inferieures. Sans doute il est des familles de peuples plus susceptibles de culture, plus civilisees, plus eclairees; mais il n'en est pas de plus nobles que les autres. Toutes sont egalement faites pour la liberte, pour cette liberte qui, dans un etat de societe peu avance, n'appartient qu'a l'individu; mais qui, chez les nations appelees a la jouissance de veritables institutions politiques, est le droit de la communaute tout entiere. "Une idee qui se revele a travers l'histoire, en etendant chaque jour son salutaire empire; une idee qui, mieux que toute autre, prouve le fait si souvent conteste, mais plus souvent encore mal compris, de la perfectibilite generale de l'espece, c'est l'idee de l'humanite. C'est elle qui tend a faire tomber les barrieres que des prejuges et des vues interessees de toute sorte ont elevees entre les hommes, et a faire envisager l'humanite dans son ensemble, sans distinction de religion, de nation, de couleur, comme une grande famille de freres, comme un corps unique, marchant vers un seul et meme but, le libre developpement des forces morales. Ce but est le but final, le but supreme de la sociabilite, et en meme temps la direction imposee a l'homme par sa propre nature, pour l'agrandissement indefini de son existence. Il regarde la terre aussi loin qu'elle s'etend, le ciel aussi loin qu'il le peut decouvrir illumine d'etoiles, comme son intime propriete, comme un double champ ouvert a son aciv. septembre. 3. tivite physique et intellectuelle. Deja l'ensant aspire a franchir les montagnes et les mers qui circonscrivent son etroite demeure; et puis, se repliant sur luimeme comme la plante, il soupire apres le retour. C'est la, en esset, ce qu'il y a dans l'homme de touchant et de beau, cette double aspiration vers ce qu'il desire et vers ce qu'il a perdu; c'est elle qui le preserve du danger de s'attacher d'une maniere exclusive au moment present. Et de la sorte, enracinee dans les profondeurs de la nature humaine, commandee en meme temps par ses instincts les plus sublimes, cette union bienveillante et fraternelle de l'espece entiere devient une des grandes idees qui president a l'histoire de l'humanite." Qu'il soit permis a un frere de terminer par ces paroles, qui puisent leur charme dans la profondeur des sentiments, la description generale des phenomenes de la nature au sein de l'univers. Depuis les nebuleuses si lointaines, et depuis les etoiles doubles circulant dans les cieux, nous sommes descendus jusqu'aux corps organises les plus petits du regne animal, dans la mer et sur la terre, jusqu'aux germes si delicats de ces plantes qui tapissent la roche nue sur la pente des monts couronnes de glaces. Des lois connues partiellement nous ont servi a classer tous ces phenomenes. D'autres lois, d'une nature plus mysterieuse, exercent leur empire dans les regions les plus elevees du monde organique, dans la sphere de l'espece humaine avec ses conformations diverses, avec l'energie creatrice de l'esprit dont elle est douee, avec les langues variees qui en sont le produit. Un tableau physique de la nature s'arrete a la limite ou commence le domaine de l'intelligence, ou le regard plonge dans un monde different. Cette limite, il la marque et ne la franchit point. Notes sur l'article precedent. 1 Tacite, dans ses considerations sur la population de la Bretagne (Agricola, cap. 11), distingue a merveille ce qui peut tenir aux influences du climat, ce qui, chez les tribus venues du dehors, appartient, au contraire, a l'antique et immuable pouvoir du type hereditaire. "Britanniam qui mortales initio coluerunt, indigenae an advecti, ut inter barbaros, parum compertum. Habitus corporis varii, atque ex eo argumenta; namque rutilae Caledoniam habitantium comae, magni artus Germanicam originem adseverant. Silurum colorati vultus et torti plerumque crines, et posita contra Hispania, Iberos veteres trajecisse, easque sedes occupasse fidem faciunt: proximi Gallis, et similes sunt: seu durante originis vi, seu, procurrentibus in diversa terris, positio coelis corporibus habitum dedit." Cf. sur la permanence des types de configuration, dans les regions chaudes et froides de la terre et des montagnes du nouveau continent, ma Relation historique, t. I, p, 498-503; t. II, p. 572-574. 2 Cf. sur la race americaine en general le magnifique ouvrage de Samuel George Morton: Crania americana, 1839, p. 62-86, et sur les cranes apportes par Pentland du haut pays de Titicaca, Dublin Journal of Medical and Chemical Sciences, vol. V, 1834, p. 475; Alcide d'Orbigny, l'Homme americain considere sous ses rapports physiologiques et moraux, 1839, p. 221. Voyez aussi les Voyages dans l'interieur de l'Amerique du Nord, par le prince Maximilien de Wied, 1839; livre si riche en fines observations ethnographiques. 3 Rudolph Wagner, Sur la generation des metis et batards, dans ses remarques jointes a la traduction allemande de l'ouvrage de Prichard, Histoire naturelle de l'espece humaine, t. I, p. 174-188. 4 Prichard, t. I, p. 431; t. II, p. 363-369. 5 Onesicrite dans Strabon, XV, 690 et 695 Casaub.-- Welcker (Sur les Tragedies grecques, en allem., t. III, p. 1078), pense que les vers de Theodecte cites par Strabon etaient empruntes a une tragedie perdue qui portait peut-etre le titre de Memnon. 6 Joh. Müller, Physiologie de l'homme, en allem., t. II, p. 768, 772-774. 7 Prichard, t. I, p. 295; t. III, p. 11. 8 L'arrivee tardive des tribus turques et mongoles, soit sur l'Oxus, soit dans la steppe des Kirghises, est en opposition avec l'opinion de Niebuhr, selon laquelle les Scythes d'Herodote et d'Hippocrate auraient ete des Mongols. Il est beaucoup plus vraisemblable que les Scythes (Scolotes) doivent etre rapportes aux Massagetes indo-germains (Alains). Les Mongols, les vrais Tatares (ce dernier nom fut donne plus tard mal a propos a des tribus purement turques en Russie et en Siberie), habitaient alors bien loin dans l'est de l'Asie. Cf. mon Asie centrale, t. I, p. 239 et 400; et l'Examen critique de l'histoire de la geographie, t. II, p. 320. Un linguiste distingue, le professeur Buschmann, rappelle que Firdoussi dans le Schahnameh, qui debute par une histoire a demi mythique, fait mention d'une "forteresse des Alains" sur les bords de la mer, ou Selm, le fils aeine du roi Feridoun (deux siecles certainement avant Cyrus) voulait se refugier. Les Kirghises de la steppe dite scythique sont originairement une population finnoise; ils sont aujourd'hui vraisemblablement, avec leurs trois hordes, le plus nombreux de tous les peuples nomades, et ils vivaient deja au vi e siecle dans la steppe ou je les ai vus. Le Byzantin Menandre (p. 380-382, ed. Niebuhr) raconte positivement que le chakan des Turks (Thu-Khiu), en 569, fit present d'une esclave kirghise a l'ambassadeur de Justin II, Zemarque; il appelle cette esclave une Kherkhis, et de meme chez Aboulgasi (Historia Mongolorum et Tatarorum) les Kirghises sont nommes Kirkiz. La ressemblance des moeurs, la ou la nature du pays leur imprime un caractere dominant, est une preuve fort peu certaine de l'identite des races. La vie des steppes produit chez les Turks (Ti, Tukiu), chez les Baschkirs (Finnois), chez les Kirghises, chez les Torgod et Dsungares (Mongols) les usages communs aux tribus nomades, celui des tentes de feutre, par exemple, transportees sur des chars, et dressees aupres des troupeaux. 9 Guillaume de Humboldt, Sur la diversite de structure des langues humaines, dans le grand ouvrage Sur la langue kawi, dans l'eile de Java, t. I, p. XXI, XLVIII et CCXIV. 10 La doctrine si desolante, et plus tard tant de fois reproduite, de l'inegalite du droit a la liberte parmi les hommes, et de l'esclavage comme etant une institution fondee sur la nature, se trouve, helas! developpee avec une rigueur toute systematique, dans Aristote, Politique, I, 3, 5, 6. 11 Guillaume de Humboldt, Sur la langue kawi, t. III, p. 426. Je tire du meme ouvrage les reflexions suivantes: "Les impetueuses conquetes d'Alexandre, celles des Romains, conduites avec une habilete toute politique, celles des Mexicains si sauvages et si cruelles, les despotiques reunions de territoires des Incas, ont contribue dans les deux mondes a faire cesser l'isolement des peuples et a former de plus vastes societes. De grandes et fortes ames, des nations entieres agirent sous l'empire d'une idee qui, dans sa purete morale, leur etait completement etrangere. Ce fut le christianisme qui la proclama le premier, dans sa verite et sa charite profonde, quoiqu'il lui ait fallu bien du temps pour la faire accueillir. L'on ne trouve auparavant que des accents epars et fugitifs preludant a cette grande voix. Les temps modernes ont donne un essor nouveau a l'idee de la civilisation, et ont suscite le besoin d'etendre de plus en plus les relations des peuples entre eux, et les bienfaits de la culture morale et intellectuelle. La cupidite elle-meme commence a trouver qu'il y a plus a gagner, en suivant cette voie de progres, qu'en maintenant par la force un isolement retrograde. Le langage, plus qu'aucune autre faculte de l'homme, forme un faisceau de l'espece humaine tout entiere. Il semble, au premier abord, separer les peuples comme les idiomes; mais c'est justement la necessite de s'entendre reciproquement dans une langue etrangere qui rapproche les individualites, en laissant a chacun son originalite propre. (Ibid., p. 427.) (Communique par M. Guigniaut.)