OBSERVATIONS geognostiques et physiques sur les volcans du plateau de Quito; Par M. Alexandre DE HUMBOLDT. (Traduit de l'allemand par M. L. LALANNE, Ingenieur des ponts et chaussees .) Cette traduction a ete revue par M. de Humboldt. Si l'on attribue a l'action volcanique , dans le sens le plus etendu de cette expression, tous les phenomenes qui dependent de la reaction de la partie interieure d'une planete demeuree liquide, contre la croaute superficielle oxydee et durcie par la deperdition de la chaleur, peu de contrees pourraient presenter des effets varies de cette action, sur une echelle aussi etendue que le plateau de Quito. Les mesures et les apercus geologiques, recueillis pendant un sejour de huit mois dans cette contree, se trouvent dissemines dans plusieurs parties de mon ouvrage sur l'Amerique equinoxiale, principalement dans le nivellement geognostique et barometrique de la chaeine des Andes, dans l'Essai sur le gisement des roches dans les deux hemispheres, et dans un Memoire intitule: Esquisse d'un tableau geologique de l'Amerique meridionale au nord de la riviere des Amazones. Les descriptions topographiques particulieres des volcans, leurs monographies, sont encore demeurees inedites. La description geognostique des differentes regions de la terre repose sur deux ordres de faits entierement distincts, dont les uns dependent du temps et de l'etat variable des progres des sciences physiques et mineralogiques, et dont les autres sont invariables, parce qu'ils fixent seulement les rapports locaux (en grandeur et en position); et si par hasand les revolutions de la nature alterent la configuration de la surface du globe, ces derniers sont d'autant plus importants qu'ils fournissent les elements d'une evaluation numerique des resultats de ces changements. La ou l'on exige une separation rigoureuse des formations, selon les caracteres zoologiques, c'est-a-dire, d'apres l'association et la classification organique par epoque des etres antediluviens, ou selon les caracteres oryctognostiques, c'est-a-dire, d'apres la nature de la contexture cristalline des roches; la, l'observation publiee perd de son prix et de son importance scientifique, si on la separe du temps et des idees sous l'influence desquelles elle a ete recueillie. Celui qui porte un interet sincere a la science qu'il cultive ne se plaint pas, lorsque jetant un regard sur ses travaux anterieurs, il reconnaeit cet effet du temps sur une matiere qui a vieilli. A cote du desir bien vif de revoir encore une fois, et muni de nouvelles connaissances, ce qu'il n'avait pu saisir qu'a demi, il eprouve aussi le sentiment d'une douce satisfaction en voyant les progres que la science a faits depuis l'epoque de son voyage. Une autre partie des observations, la partie topographique, qui decrit l'espace, est independante de l'epoque a laquelle on les a recueillies. Elle s'appuie, non sur des principes variables, mais sur la base inalterable des sciences mathematiques. Sans doute, avec des instruments plus perfectionnes, on obtient aussi une plus grande rigueur dans la determination astronomique des positions, dans les mesures trigonometriques ou barometriques de differentes hauteurs du globe. Les besoins de la science geognostique et orographique sont plus faciles a satisfaire que les besoins de l'astronomie, lorsque celle-ci doit determiner la position ou l'orbite des corps celestes, la figure ou la densite de notre planete, mesurer et peser la terre. Depuis la fin du siecle dernier les instruments d'astronomie et de geodesie que peuvent choisir les voyageurs sont parfaitement suffisants, surtout lorsqu'ils sont habilement manies, pour donner, dans la mesure des angles, des resultats numeriques dont l'approximation est en dedans des limites exigees par la nature meme des problemes qu'on veut resoudre. Cette partie orographique et geometrique des observations presente, de plus, l'avantage precieux que, si (comme cela devrait toujours avoir lieu) le detail numerique des mesures a ete publie, ou s'il se trouve au moins consigne dans le journal du voyageur, elle offre encore, apres un grand nombre d'annees, la mesure de la confiance que l'on doit avoir dans le travail entier, et que meme elle peut conduire a des combinaisons nouvelles et meilleures . Litteralement vulcanisme, le volkanismus que les geologues allemands opposent au neptunisme. Nous ne pouvons resister au desir de citer a ce sujet les paroles qu'un juge competent, M. Biot, prononcait devant l'Academie des sciences le 30 avril 1838, en communiquant ses recherches sur la constitution comparee de l'atmosphere a Paris et a l'equateur. "Je me suis apercu, dit-il, qu'on pouvait se servir pour ce but des observations que M. de Humboldt a faites sous l'equateur, quoique lui-meme n'ait pas cherche a leur donner tous les caracteres que je viens de rappeler. Ce ne sera pas la premiere fois que ce celebre voyageur aura recueilli des documents dont il ne pouvait prevoir l'utilite future, et qui ont etonne, par leur exactitude, ceux qui les ont employes." (L. L.) En faisant avec franchise une distinction essentielle entre la partie des observations geognostiques qui vieillit promptement et celle qui ne depend pas du temps, j'ai depeint l'inferiorite relative du travail que je presente aujourd'hui. Tout voyageur qui reste confine seulement trois ou quatre ans, hors d'Europe, dans un pays ou il est prive de relations scientifiques avec sa patrie, sent, des les premiers jours de son retour, combien, par le perfectionnement des apercus generaux sur la classification des terrains et sur la formation des masses de montagnes, la terminologie geologique et le langage adapte a un nouvel ordre d'idees, ont dau eprouver de changements. Dela naeit souvent une malheureuse disposition a faire plier et a interpreter les faits; et comme a chaque epoque il n'y a que ce qui s'accorde avec les opinions dominantes qui plaise generalement, la simple observation finit par disparaeitre et succomber peu a peu devant les efforts de l'interpretation hasardee, et les speculations theoriques. Un tel danger (auquel il est difficile de se soustraire entierement, parce qu'un desir louable pousse les hommes a vouloir dominer par la pensee l'observation brute et empirique); ce danger, dis-je, est d'autant plus menacant, qu'il s'est ecoule un plus grand nombre d'annees depuis l'epoque a laquelle les resultats ont ete recueillis. Lorsque, apres les explications que je viens de donner, je n'hesite point a choisir pour sujet de mes Memoires academiques quelques fragments encore inedits de mon journal de voyage dans l'Amerique du Sud; cette resolution est fondee sur le projet arrete de rendre les observations presque uniquement avec les memes expressions et les memes formes qui leur furent appliquees sur les lieux memes, de les separer des explications tirees de theories recentes; cette resolution est fondee sur la rectification de la nomenclature des roches qu'a permise l'examen oryctognostique des petites collections de roches que j'ai rapportees; elle est enfin fondee (et c'est le principal motif de la publication) sur cette consideration, que la plus grande partie de mes travaux geognostiques, dans le plateau qui entoure les volcans de Quito, s'attache preferablement a l'hypsometrie et aux rapports dans l'espace, a la description des inegalites de la surface du globe, a l'orographie physique qui ne vieillit pas, et dont l'interet augmente par les merveilles d'une region qui, depuis mon voyage, n'a ete decrite nulle part. Dans la longue chaeine des Andes, s'elevant en forme de mur, tantot simple, tantot divisee en deux ou trois rameaux, et alors articulee par d'etroites aretes transversales, le voisinage des volcans actifs se manifeste regulierement et presque periodiquement par l'apparition subite et l'intercalation de certaines roches entre les formations jadis nommees primitives, de meme qu'entre des roches schisteuses et arenacees, appelees de transition et de sediment. Un fait aussi facile a observer devait, de bonne heure, faire naeitre la persuasion que ces roches intercalees et sporadiques etaient le veritable siege des phenomenes volcaniques, et que leur presence etait une condition essentielle des eruptions de cette nature. Pour rappeler ici la composition mineralogique sous un point de vue de geologie plus restreint, je dois faire observer que ce que l'on decrivit alors dans l'Amerique meridionale, comme une espece particuliere de porphyre syenitique ou dioritique depourvu de quartz , prit plus tard, en Europe, la denomination de trachyte, qui fut substituee par Haüy, dans sa distribution mineralogique des roches, au nom ancien plus caracteristique de domite. L'epoque la plus recente a appris que ces masses d'eruption (tantot elevees en forme de dome ou de cloche sans cratere, tantot tellement ouvertes par les puissances volcaniques qu'il se forme une communication permanente entre l'interieur de la terre et l'atmosphere) n'offrent pas toujours la meme composition sous des zones differentes. Ce sont tantot des trachytes proprement dits, que caracterise le feldspath, comme au pic de Teneriffe et aux Sept Montagnes (pres de Bonn), ou un peu d'albite se joint au feldspath, des trachytes a feldspath qui, en qualite de volcans actifs, donnent souvent naissance a de l'obsidienne et a de la pierre ponce; tantot du melaphyre, melange doleritique de labrador et de pyroxene, qui se rapproche du basalte par sa composition, comme a l'Etna, a Stromboli et au Chimborazo; parfois domine l'albite avec l'amphibole, comme dans les roches volcaniques du Chili, nouvellement nommees Andesites, dans les magnifiques colonnes de Pisoje, pres de Popayan, decrites comme un porphyre dioritique, au pied du volcan de Purace, ou au volcan mexicain de Tolucca; ailleurs enfin, ce sont des leucitophyres, melanges de leucite et de pyroxene, comme a la Somma, qui est le vieux mur du cratere d'elevation du Vesuve. M. Gustave Rose, par son excellente analyse chimique et cristallographique du groupe feldspathique, a repandu un nouveau jour sur la texture des roches a travers lesquelles les eruptions volcaniques se sont fraye un chemin: il a rendu par la un service signale aux progres de la geognosie. Cette opinion a ete emise deja, au sein de cette academie, par un juge plus competent, M. Leopold de Buch, dont le dernier ouvrage embrasse dans un meme tableau l'ensemble de ces roches et des formations volcaniques. L'edition francaise de la Description physique des eiles Canaries qu'on vient de publier offre, dans le chapitre intitule: Volcans centraux et volcans groupes par series , la plus vivante et la plus complete peinture des eruptions qui ont eu lieu sur le globe entier. Quarzlose Grünstein-und syenit-porphyr. L'absence totale du quartz est le caractere essentiel que j'ai indique le premier. Central und reihen vulcane. Les volcans du plateau de Quito, qui fait le sujet de ce Memoire, appartiennent, d'apres les travaux geographiques de La Condamine, Bouguer et Pedro Maldonado, a la classe des volcans en series. On a deja reconnu tres-anciennement qu'ils sont divises en deux groupes par une etroite vallee longitudinale assise entre les Cordillieres. En comparant avec des faits analogues les resultats de mes propres observations, je tacherai de donner a la monographie des volcans de Quito cet interet qui repond toujours a la generalite des idees, et a la rectification des premiers apercus. C'est comme une clarte qui rayonne de points lumineux tres-eloignes. Avant de m'etendre sur la description du volcan du Pichincha, pour que l'on puisse mieux s'orienter et se figurer la position du plateau, je dois faire remarquer quelques resultats de mesures, qui pris isolement n'auraient assurement aucune importance geognostique, mais qui en acquierent si l'on examine l'accroissement graduel des hauteurs du sol des vallees longitudinales qui se succedent comme par echelons. De nouvelles determinations hypsometriques etaient d'autant plus necessaires, que les evaluations barometriques des astronomes francais, au temps de la celebre mesure d'un arc de meridien, presentaient des erreurs dues a trois causes differentes: 1° a l'omission de la correction de temperature; 2° a une fausse valeur de la pression atmospherique moyenne au niveau de la mer; 3° a l'ignorance ou l'on etait alors de la variation horaire de la hauteur barometrique. Par suite de compensations accidentelles dans les causes d'erreur, les resultats de La Condamine se rapprochent parfois de ceux qui ont ete obtenus et calcules avec beaucoup de soin par M. Boussingault et par moi; mais dans la plupart des autres points les differences sont considerables, tantot positives, tantot negatives, et toujours d'une valeur tres-inegale; de sorte que les determinations anciennes des hauteurs relatives ne meritent que peu de confiance partout ou il est question de ces plateaux partiels inegalement eleves au-dessus du grand foyer volcanique. Les erreurs que je viens de signaler influent naturellement aussi sur les resultats absolus des mesures trigonometriques des hauteurs; car on sait que pour ces operations les lignes fondamentales (bases) aux extremites desquelles les angles de hauteur se rattachent aux sommets des montagnes ne sont pas placees dans la plaine le long de la cote, et que chaque mesure de montagnes, dans la chaeine des Andes, est necessairement composee de deux mesures, l'une trigonometrique, l'autre barometrique. Si l'on jette un regard sur l'esquisse de la carte hypsometrique dans laquelle, d'apres la discussion approfondie des determinations astronomiques les plus recentes, j'ai cherche a exprimer, pour la premiere fois, le relief et la structure variee de la chaeine des Andes si etrangement defiguree auparavant dans toutes les cartes de l'Amerique meridionale, et a consigner toutes les relations importantes de hauteur connues jusqu'alors (jusqu'en 1831, c'est-a-dire, en profitant des decouvertes de Pentland en Bolivie); on voit que la fameuse bifurcation des Andes n'a lieu que de 3° [Formel] de latitude sud a 2° 20' de latitude nord, entre le noeud de montagnes de Loxa, celebre par les magnifiques forets de quinquina du versant oriental, et le noeud de montagnes qui est la source du grand fleuve de la Magdalena. Au nord et au sud des paralleles a l'equateur qui passent par les noeuds de montagnes extremes du Perou et de la Nouvelle-Grenade (Cundinamarca), les Andes sont divisees en trois branches qui ne sont pas tout a fait paralleles entre elles. Quelquefois meme sur les cartes, on augmentait considerablement la largeur des chaeines de montagnes, par suite d'une singuliere meprise linguistique. Partout ou la carte de La Crux Olmedilla, le type de toutes les cartes anglaises, francaises et allemandes qui ont paru pendant quarante ans, portait ces mots: "Ici croeit le cacao sauvage, aqui hay montes de cucao," de celebres geographes ont place des montagnes de neige, prenant pour montagnes (Cerros, serranias) le mont monte (foret), qui est generalement usite dans les colonies espagnoles; ils oubliaient que le cacao ne reussit que dans des plaines braulantes, sous la temperature moyenne de 23° Reaumur. Dans le dialecte espagnol le plus pur d'Europe, une foret avec de hautes futaies s'appelle aussi Monte alto. La grande vallee longitudinale qui s'etend entre les deux noeuds de montagnes designes precedemment, a une longueur de plus de 60 milles geographiques (de 15 au degre), mais seulement une largeur moyenne de 5 milles. Elle est partagee par des aretes transversales en cinq petits bassins, dont le sol s'eleve a une hauteur tres-inegale au-dessus du niveau de la mer. Les hauteurs respectives des plateaux, qui constituent le fond de ces vallees, sont pour les trois plus meridionaux, dans lesquels se trouvent situees les villes de Tuenca, Tacunga et Quito, de 1.350, de 1.320 et 1.340 toises, par consequent concordantes d'une maniere assez remarquable; vient ensuite la plaine de Los Pastos, haute de 1.582 a 1.650 toises, le Tübet volcanique de l'Amerique, et cependant encore de 355 toises inferieure au fond de la vallee qui renferme le lac de Titicaca, visite recemment par MM. Pentland, Meyer et d'Orbigny. Le bassin d'Almaguer, le cinquieme et le plus septentrional, decroeit subitement a 1.164 toises. De toutes les aretes ou digues transversales, une seule est importante; c'est le passage de l'Assuay, couvert des ruines des chateaux des Incas: j'en ai trouve le point culminant de 14.500 pieds (2.428 toises), la ou le chemin conduit sur la Ladera de Cadlad. C'est seulement a 400 toises plus bas que se trouve le palais de l'Incas (Tupayupangi) avec des restes de bains, qui (il faut le supposer) etaient alimentes avec l'eau chaude, dans ce climat apre et inhospitalier. Comme les mesures de M. Pentland, dans la Cordilliere orientale de Bogota, ou le Sorata est a 3.918 toises (23.688 pieds de Paris), et par consequent a 440 toises seulement plus bas que le Dhavalagiri de la chaeine de l'Himalaya, et de 600 toises plus haut que le Chimborazo, ont fait naeitre l'opinion que tous les elements hypsometriques devaient, a cette latitude meridionale, avoir des dimensions plus gigantesques que dans la zone la plus voisine de l'equateur, je dois faire remarquer ici, a ce sujet, que le passage a travers l'arete transversale de l'Assuay, situe sur la grande route de commerce de Quito a Tuenca et a Lima, n'est surpasse en hauteur que par deux des passages semblables mesures par M. Pentland; encore la difference est-elle tres-petite. En Bolivie, le passage au-dessus des Altos de Toledo est plus eleve de 25 toises, et celui de Chullunquani de 17 toises. Il s'ensuit que partout les hauteurs moyennes des cretes ou dos de montagnes, dont les passages nous font connaeitre les minima d'elevation, ne sont pas en rapport direct avec les points culminants ou sommets isoles des chaeines. Une representation graphique des Alpes et des Pyrenees, que j'ai publiee dans les Annales des sciences naturelles, confirme cette consideration. Les dernieres surtout ont une crete fort elevee en comparaison de la petite hauteur des points culminants. Du sommet rocailleux du volcan du Pichincha, la vue s'etend au loin jusqu'a la mer du Sud, audessus des forets inhabitees et impenetrables des Jumbos et de la province de Los Esmeraldas. D'un autre cote, encore a l'ouest des eiles calcaires de Puna et de Sainte-Clara (el Amertajado), on commence a apercevoir le Chimborazo par un temps tres-clair dans la navigation de Lima a Guayaquil. Ces faits donnent un grand interet a la connaissance precise de la veritable distance de la cote a la Cordilliere occidentale, et j'ai dau m'en occuper particulierement. L'intervalle a evaluer depend de la difference de longitude entre les villes de Quito et de Guayaquil, comme de l'azimuth et de l'angle de hauteur du sommet du Chimborazo, mesures sur la plage du littoral de Guayaquil. Je me contenterai de remarquer ici que les doutes emis par le capitaine Basil Hall, sur ma longitude de Guayaquil, ont ete entierement dissipes, a ma satisfaction, par la derniere grande expedition anglaise sur les batiments l'Aventure et le Beagle (capitaines King, Stokel et Fitz Roy) pour le relevement des cotes de la Patagonie occidentale jusqu'a Guayaquil. D'apres les resultats de l'expedition publies depuis peu de mois par sir John Barrow , on a trouve pour Guayaquil, a 17 secondes de temps pres, la longitude que donne ma determination deja tres-ancienne, quoique le temps ait ete transporte d'un point fort eloigne, de Valparaiso. Pour le port de Callao de Lima, auquel j'avais rapporte chronometriquement la position de Guayaquil, l'accord est encore plus satisfaisant; la derniere expedition anglaise ayant obtenu, comme les navigateurs le remarquent expressement, un resultat moyen qui ne differe que de deux secondes de la longitude que M. Oltmanns a conclue de mon observation du passage de Mercure sur le disque du soleil. Comme a d'aussi grandes hauteurs et a d'aussi longues distances (le Pichincha, qui est un peu plus eleve que le Mont-Blanc peut, sans refraction, etre apercu a 34 milles geographiques, et le Chimborazo a 39) le nombre des couches de nuages superposees les unes aux autres diminue la probabilite que les rayons de lumiere puissent parvenir a l'oeil, on jouit rarement, sur le rivage de la mer du Sud, du beau spectacle de la chaeine majestueuse des Andes. Un angle de hauteur du Chimborazo (seulement 1° 57' 40") qu'un marin espagnol tresinstruit, don Joseph Espinosa , a pris sur le rivage de Guayaquil, pendant la navigation de Malaspina autour du monde, a ete le sujet d'une controverse qu'il ne s'agit pas de discuter a fond ici, au sujet de la veritable hauteur du Chimborazo; il suffit de faire remarquer que la refraction, l'azimuth, et meme la distance horizontale n'ont pas ete determines avec precision. Journal of the Royal Geogn. Soc., t. 6, P. 2, p. 337. Memorias de los navegantes espannoles, t. 1, p. 187. J'ai encore a mentionner un autre point relatif aux rapports de position et de dimension des Cordillieres. M. Leopold de Buch, dans l'exposition lumineuse de sa theorie du surgissement des chaeines de montagnes par des crevasses, a montre plusieurs fois les relations que l'on remarque entre la direction des chaeines et celle des cotes voisines ou eloignees. On sait que le phenomene des volcans actifs est limite dans l'Amerique meridionale au bord occidental du continent. Le trace hypsometrique de toute la chaeine des Andes, qui a ete copie de mon Atlas de l'Amerique meridionale dans la derniere grande carte de Brue, mais qui nulle part n'a ete rendu plus exactement que dans une petite carte malheureusement encore inedite de M. Berghaus , prouve la plus entiere dependance entre la forme (le contour) du continent et la direction variable de la chaeine. Le coude que presente le littoral d'Arica, ou la direction S.-N. de la cote change brusquement en S.E.-N.O., sinuosite qui correspond par les 18° [Formel] de latitude meridionale a une deviation entierement semblable de la cote occidentale du continent pyramidal de l'Afrique (vers les 4° [Formel] de latitude nord), pres de l'eile de Fernando Po, est un point dont j'ai deja signale plusieurs fois la grande importance geologique. Le changement brusque d'allure de la chaeine des Andes dans le parallele d'Arica n'est pas borne a la Cordilliere occidentale voisine de la mer du Sud; il s'etend egalement a la direction de la chaeine orientale qui borde le plateau de Titicaca, site ancien de culture humaine dans l'Amerique du sud, au pied des montagnes colossales de Sorata et d'Ilimani. Le parallelisme qu'observent les Cordillieres entre elles, surtout entre le 5° de latitude sud et le 5° de latitude nord, est aussi frappant que leur parallelisme avec les sinuosites du littoral. Une seule branche de la chaeine, qui change d'allure, semblable au trum devie d'un sillon, reunit en parcourant la Nouvelle-Grenade, a l'est de la ville de Bogota, la crevasse de formation plus recente des Andes de Quito avec la crevasse plus ancienne de la chaeine littorale de Caracas. Karte des ganzen neuen continents. Cette carte de M. Berghaus a ete presentee a l'Academie en fevrier 1837. Abscharendes trumm, dans le langage du mineur allemand. A l'ouest du plateau de Quito, la direction meme des chaeines paraeit indiquer que l'angle rentrant de la cote au golfe de Guayaquil, est un petit phenomene accidentel d'une origine posterieure au soulevement des chaeines. En cet endroit la cote approche jusqu'a 25 minutes (en arc) de la Cordilliere de l'ouest, dans la contree de Cuenca, au sud de l'arete transversale de l'Assuay, ou une route tres-frequentee atteint presque la hauteur du Mont-Blanc. On n'apercoit la aucune influence du voisinage de la mer sur la position relative des volcans. Deja a 20 milles geographiques plus au nord, le parallele de Tunguragua termine vers le sud la longue rangee des volcans actifs. Des obstacles provenant de la nature des roches y ont peut-etre empeche que, dans le voisinage de la mer, les forces elastiques ne se fissent jour, et n'etablissent une communication permanente avec l'interieur du globe. Il est meme tres-remarquable que l'obstacle ait ete moins grand dans une partie treseloignee du littoral; car au pied de la chaeine orientale s'eleve le Sangay ou volcan de Macas, un demi-degre au sud du parallele de Tunguragua, dans une plaine ombragee par d'epaisses forets, aux sources du Rio-Morona. M. Rüppel donne a la montagne conique du Kordofan, qui jette de la fumee, 84 milles de distance a la mer; le Peschan dans l'Asie centrale, qui a vomi des torrents de lave a une epoque recente, dans des temps historiques, et d'autres volcans actifs de la chaeine du Thianschant ou monts celestes, sont places environ trois fois aussi loin, a une distance de 260 milles geographiques , de toute mer, et sans aucune communication avec un grand bassin interieur. Voyez mon Esquisse des chaeines de montagnes de l'Asie interieure dans les Fragments de geologie et de meteorologie asiatiques. Quoique, dans une grande partie du monde, le soulevement de masses de trachyte, d'andesite et de dolerite ait forme les sommets les plus eleves des chaeines ou des groupes d'eiles, on voit, par ce qui a lieu dans les autres zones (celles de l'Himalaya et de la Cordilliere orientale des Andes de Bolivia), qu'il n'existe pas de dependance necessaire entre le maximum d'elevation et la nature de la roche mise au jour. Au Mexique, ou tous les volcans ont surgi le long d'une crevasse qui coupe l'isthme et l'axe de la chaeine presque a angle droit (M. de Buch compare cette crevasse d'un ordre secondaire aux aretes transversales de l'interieur de Java), il est vrai que tous les sommets volcaniques (Nevados), qui s'elevent audessus des limites des neiges eternelles, sont composes de l'une des trois roches que l'on vient de nommer. Il est vrai encore que, sur le plateau de Quito, les points culminants de la Cordilliere sont parmi les cones et les cloches de dolerite; mais aussi sur le meme plateau, a peu de distance du Chimborazo et du volcan de Tunguragua, s'elevent les hauts Nevados de Condorasto, Cuvillan et Collanes, composes de micaschiste quartzeux. Les plus hautes montagnes de toute la chaeine des Andes, le Sorata ou Tusubaya, un peu a l'ouest de la mission de Challana, et l'Ilimani, au sud du petit village de la mission d'Ocobuya, sommets dont le dernier n'est inferieur que d'environ une hauteur de clocher (78 toises) au second colosse de l'Himalaya , mesure avec une extreme precision, sont composees de grauwacke schisteuse; mais d'apres d'interessantes notes manuscrites de M. Pentland, que je possede sur le versant occidental de l'Ilimani, on trouve des masses de syenite et de porphyre dans lesquelles des fragments anguleux de grauwacke schisteuse sont empates comme des preuves de l'apparition posterieure de ces masses. Tous ces faits demontrent que la hauteur absolue des sommets isoles (phenomene qui, dans tous les temps, a excite de preference l'interet populaire) n'est qu'un accident local dependant seulement d'une resistance plus ou moins considerable des couches rocheuses a travers lesquelles le surgissement a eu lieu. L'importance geognostique de la hauteur absolue de ces points culminants est tres-petite en comparaison de l'importance que l'on doit attacher a la direction de l'axe, a la constance de sa direction, et de la hauteur moyenne du faeite d'une chaeine de montagnes. Le Jawahir a 4.026 toises, le Sorata a 3.948 toises de hauteur au-dessus du niveau de l'Ocean. Apres ces considerations generales sur les Cordillieres des Andes, je vais tracer le tableau de quelques volcans du plateau de Quito. Je commence par un des sommets les moins eleves, le Pichincha, parce qu'il est le plus rapproche de la capitale, parce qu'il a une forme tres-differente de celle des montagnes qui vomissent du feu, de nos jours, et qu'il fut pour moi l'objet de trois expeditions. En Europe, cette montagne a eu dans le milieu du siecle dernier un grand renom, qui, il est vrai, a disparu depuis longtemps, les astronomes Bouguer et La Condamine ayant sejourne trois semaines entieres sur son sommet dans une cabane ou ils firent des observations meteorologiques. Cette cabane etait placee a 2.430 toises de hauteur, et par consequent seulement de 180 pieds plus bas que le sommet du Mont-Blanc. La portion de la vallee longitudinale qu'occupe la ville de Quito, entre les Cordillieres orientales et occidentales, ou, pour m'exprimer plus correctement, entre la Cordilliere d'Antisana et de Cotopaxi et celle du Pichincha et du Chimborazo, est de nouveau divisee en deux parties, dans le sens de sa longueur du sud au nord, par une chaeine de collines peu elevees, celle d'Ichimbio et de Poingazi. A l'est de ces collines sont placees les fertiles et charmantes plaines de Puembo et de Chillo; a l'ouest, plus pres du volcan du Pichincha, s'etendent les savanes arides d'Inaquito et de Turabamba. Ces deux vallees secondaires ne sont pas au meme niveau. Dans celle de l'est, ou le climat est plus doux, le sol est a 8.040 pieds de hauteur; dans celle de l'ouest, ou le climat est plus apre, le sol s'eleve presque a 9.000 pieds (d'apres mes observations a 1.492 toises, d'apres M. Boussingault a 1.496 toises) au-dessus du niveau de la mer. L'inscription latine que les astronomes francais ont placee dans le college des jesuites, et qui donne a Quito une longitude beaucoup trop occidentale, donne aussi a cette ville une hauteur trop basse de 270 pieds; j'ai mentionne plus haut les causes de cette erreur. Si l'on considere maintenant que Quito est bati sur les flancs rocailleux du Pichincha et entrecoupe par des fentes tres-profondes, ouvertes, et la plupart privees d'eau, les guaycos, descendant a angle droit de la crete du volcan; si l'on se rappelle que presque tous les mois, dans cette ville, nous entendions sous nos pieds un epouvantable fracas interieur (bramido), parfois accompagne de tremblements de terre, on ne s'etonnera point que dans la partie du plateau de Quito qui est plus voisine du volcan, dans les plaines d'Inaquito et de Turubamba, le sol ait ete souleve par ces memes forces volcaniques, qui agissent encore aujourd'hui, a une plus grande hauteur absolue que le sol de Chillo dans la partie orientale et plus eloignee de la vallee. La temperature moyenne de Quito est de 11°,5 R., d'apres mes observations de maxima et de minima de la temperature de l'air, embrassant a peine quatre mois; elle est de 12°,2 d'apres les experiences ingenieuses de M. Boussingault sur la temperature du sol a 12 ou 14 pouces de profondeur dans un terrain extremement sec: difference 0°,7. C'est presque la temperature moyenne de Rome, mais a la hauteur de Quito, presque sous l'equateur meme. La distribution de la chaleur dans les differentes parties de l'annee, tres-constante et uniforme pour les mois, varie dans les extremes des jours de 4°,8 a 17°,6 R. Il est extremement rare d'y voir de la glace, meme en croautes minces; encore est-ce seulement par l'effet du rayonnement nocturne sous un ciel sans nuages. Les academiciens francais depeignent le climat comme plus doux qu'il ne l'est aujourd'hui. La comparaison avec la vallee circulaire de Cachemir ne paraeit aucunement fondee. D'apres les mesures recentes de M. Victor Jacquement et du baron de Hügel , la ville de Cachemir est placee de 3.700 pieds plus bas que Quito. Du grand marche de la ville (Plaza mayor), on apercoit dans un voisinage menacant les flanes escarpes (faldas) du volcan du Pichincha, sans voir cependant la serie des sommets que nous devons bientot decrire; on apercoit aussi une colline pelee, qui surpasse en hauteur le pic de Teneriffe et ou La Condamine avait place une croix pour servir de signal dans la triangulation. La cascade aux reflets argentes de Cantuna, placee a l'ouest de la cruz de Pichincha a une hauteur de 1.728 toises, offre aussi un beau coup d'oeil aux habitants de Quito. Le pied seul de la cascade reste cache derriere un rocher saillant. Correspondance pendant son voyage dans l'Inde, t. II, p. 58, 74. Journal of the Royal Geogn. Soc., t. VI, P. 2, p. 348. Jacquemont donne 5.350, M. de Hügel 5.850 pieds anglais: moyenne 875 toises. le pichincha. J'ai trace a Quito meme, d'apres des relevements tres-complets, un plan topographique du volcan et de toutes les vallees qui conduisent le long du versant du sud-est jusqu'a son faeite prolonge comme un mur ou comme la crete d'un filon dans son affleurement. Pour servir a l'intelligence de cette carte, j'y ai ajoute une vue generale de l'aspect que presente par un ciel serein, non loin de Chillo, dans la savane de Cachapamba, le volcan de Pichincha. La on peut en saisir tous les contours a la fois. La carte fait partie de l'atlas de l'Amerique meridionale, qui accompagne la relation de mon voyage; la vue pittoresque a paru dans les vues des Cordillieres. Outre les mesures barometriques de plusieurs sommets ou roches qui forment la crete, j'ai pris une mesure trigonometrique de toute la montagne, dans la plaine de Cachapamba, qui est eloignee du cratere du Rucupichincha de 14.211 toises. Comme il m'etait impossible de faire, dans les ravins et vallees etroites du volcan, sur son versant meme, une triangulation precise qui aurait d'ailleurs exige plusieurs semaines, je preferai la methode hypsometrique ou des angles de hauteur, methode plus courte, dont l'exactitude a ete demontree de la maniere la plus evidente par l'application que j'en ai faite a la determination des longitudes de Mexico et de Vera- Cruz, dans un intervalle de 3 degres de longitude. Les angles pris dans la plaine de Cachapamba m'ont fait connaeitre en outre la masse et les dimensions de tout le volcan, comme celles des sommets detaches. Sur les coteaux de Poingasi ou l'on apercoit a la fois les trois rochers qui entourent le cratere du volcan et le clocher de l'eglise de la Merced, a Quito, j'ai reussi a trouver, par une triangulation assez compliquee, la distance du cratere a ce clocher (distance qui interesse vivement les habitants de la ville a cause des dangers que peuvent offrir les eruptions du Pichincha). Plusieurs combinaisons differentes m'ont donne 5.586 toises. A ma grande satisfaction, longtemps apres que mon plan avait ete grave, j'ai trouve a Paris la premiere ebauche d'une carte manuscrite provenant de la succession de La Condamine; l'echelle permettait d'evaluer une difference de 8 a 10 toises. Cette carte presente, outre la ville de Quito et le clocher de l'eglise de la Merced, le centre meme du cratere du Pichincha. Les autres sommets de la longue crete du volcan n'y sont pas marques. La distance mesuree graphiquement sur la carte fut trouvee de 5.520 toises, difference: 66 toises ou [Formel] . Je dois faire remarquer aussi que je n'ai employe des azimuths magnetiques que dans l'operation de Poingasi et pour des points secondaires. On y est place a 1.800 toises de distance du versant du volcan, et j'ai eu soin d'y evaluer la declinaison magnetique absolue au moyen d'un declinatoire de 14 pouces, muni, sclon la methode de Lambert, d'un gnomon filaire. Ces considerations generales sur les moyens employes a la construction de ma carte, deja trop etendues peut etre, suffiront pour apprecier le degre de confiance que peut meriter l'evaluation des principales dimensions d'un volcan qui, dans sa direction principale du S.-O. au N.-E., se presente comme une muraille isolee et non interrompue. Quant au contour de la montagne, dans la vue pittoresque, je l'ai dessine en employant scrupuleusement les angles horizontaux et de hauteur, mesures plusieurs fois et a differentes heures du jour avec le sextant. La description que La Condamine donne dans la mesure de la meridienne, du volcan du Pichincha, est extremement vague. Il parle, a la verite, de plusieurs sommets, mais il n'en nomme que trois au lieu de quatre. Les academiciens francais n'ont point mesure le sommet le plus eleve, situe a l'extremite sud-ouest du mur, le seul d'ou sortent des eruptions. La cime unique dont il est fait mention dans l'inscription du college des jesuites, et qui y est designee seulement comme un cacumen lapideum, est le troisieme sommet en forme de tour, si l'on compte les sommets du S.-O. au N.-E. Il est difficile de fixer exactement, d'apres les hauteurs barometriques indiquees par La Condamine, et en l'absence de toute tradition, la position qu'occupait la hutte ou les observateurs habiterent plusieurs semaines de suite, avec une si courageuse perseverance. On ne peut etre clair dans la description de la structure de la montagne, qu'en designant d'une maniere precise, les sommets par leurs noms indiens. Ce qui frappe tout d'abord dans le Pichincha, c'est sa configuration si differente de la forme ordinaire conique des volcans. Le Pichincha presente le contraste le plus prononce avec le cone parfait du Cotopaxi, dont les moindres inegalites sont cachees sous un manteau de neige, et dont les creoles espagnols disent avec raison qu'il est venu comme fait au tour (hecho al torno). Le Pichincha se prolonge en mur allonge, et cette etendue, considerable pour une hauteur qui est de 15.000 pieds a peine, nuit a l'effet majestueux du paysage aux endroits ou l'on peut embrasser d'un seul coup d'oeil toute cette arete isolee. Le Pichincha est situe sur le dos de la Cordilliere occidentale. En embrassant la chaeine dans son ensemble, on peut dire que le Pichincha se trouve dans un meme alignement c'est-a-dire dans la meme direction d'axe que les montagnes neigeuses d'Iliniza, du Corazon et de Cotocachi; il forme une rangee unique avec elles; mais a cause des precipices escarpes qu'oppose la Cordilliere au rivage de la mer du Sud, on peut dire aussi que le Pichincha, considere a part, couronne la chaeine des Cordillieres comme une muraille, et que la direction speciale de cette muraille devie de la direction de la base sur laquelle elle repose (c'est-a-dire de l'axe general des Cordillieres) de pres de 35°. L'axe de la Cordilliere occidentale de Quito se dirige N. 21° E. entre 0° 40' de latitude australe, et 0° 20' de latitude boreale. L'axe particulier du volcan, mene par les points culminants de ses sommets, court N. 56° E. D'apres les apercus geologiques les plus repandus de nos jours, la muraille d'origine plus recente, que nous nommons Pichincha, a ete soulevee le long d'une crevasse qui s'ecarte davantage du meridien vers l'est que le dos de la Cordilliere. La grande plaine qui entoure la montagne de l'Antisana, a 12.600 pieds de hauteur, offre aussi le phenomene remarquable de surgissements partiels, independants de la forme generale du relief. Le sommet arrondi et neigeux de la montagne s'eleve en forme d'eile circulaire au milieu du plateau d'Antisana; mais a l'ouest, est sorti sur ce meme plateau, dans la direction du nord au sud, un mur de rochers noir et etroit; c'est le Chussolongo qui, par sa forme, quoique en petit, ressemble au Pichincha. Le dernier est a la verite isole de toutes parts, cependant il l'est moins du cote du Corazon et de l'Iliniza ou l'Atacazo s'en approche beaucoup, que vers le nord, pres le Cerro de Cuicocha et le Nevado de Cotocachi, la ou la riviere de Guallabamba se fraye, a travers une large ouverture, un passage du plateau de Quniche, riche en obsidiennes, a la mer du Sud. Pour la parfaite intelligence de ce qui va suivre, je dois encore ajouter que les quatre sommets du Pichincha, qui apparaissent dans l eloignement, partie comme descones, partie comme des pointes de rocher et des ruines de forteresses, se presentent dans l'ordre suivant du N.-E. au S.-O. 1° Une montagne conique sans nom, pres du faeite d'Ingapilca, que je nommerai Pic des Condors, a cause du nombre considerable de ces grands vautours que l'on y apercoit, et parce qu'elle termine la profonde crevasse de Cundurguachana, par laquelle des blocs erratiques sont descendus jusque dans l'Exido de Inaquito, vaste et belle plaine couverte de graminees. 2° Le Guaguapichincha, ce qui signifie l'enfant du vieux volcan. 3° Le Picacho de Los Ladrillos, ainsi nomme a cause des fentes paralleles qui divisent le mur du rocher en couches tres-minces. Ce Picacho est reuni par un faeite etroit, a un autre cone qui s'etend plus au sud, celui de Tablahuma. 4° Le Rucupichincha (l'ancien ou le pere), qui contient le cratere. Comme il sort un peu de l'alignement general des autres sommets, et se rapproche davantage de la mer du Sud, il apparaeit, vu de Chillo ou de Poingasi, sous un angle de hauteur un peu moindre que la cime en forme de castel du Guaguapichincha. Les naturels du pays, a la peau cuivree, individualisant, pour ainsi dire, dans leur nomenclature, chaque cone isole, nomment volcans de Cotopaxi et de Tungurahua les massifs entiers de ces montagnes colossales; mais sur le Pichincha, ils ne donnent le nom de el volcan qu'a la seule partie meridionale, de laquelle, suivant leurs traditions, sortirent des eruptions si fortes dans les annees 1533, 1539, 1560, 1566, 1577, 1580 et 1660, que la ville de Quito fut longtemps plongee, en plein jour, dans la plus profonde obscurite, par les pluies de cendres. Lorsque les indigenes veulent passer pour plus latinises (muy latinos), c'est-a-dire instruits, ils se servent meme de preference du mot vulkan pour designer la derniere et quatrieme cime; ils s'en servent plus souvent que du nom de Rucupichincha. Premiere ascension. Nous feimes la premiere tentative, pour parvenir au cratere du Pichincha, dans une sereine matinee du mois d'avril . Notre escorte etait plus nombreuse que nous ne l'aurions souhaite, inconvenient que l'on ne peut eviter dans aucun voyage ou la curiosite des habitants du pays est excitee par les instruments dont on se sert. Comme on chasse en troupe dans les contrees inferieures du volcan, et que les Indiens apportent aussi a la ville un melange de grele et de neige qu'ils prennent vraisemblablement, non pas sur les sommets couverts de neige du cratere, mais dans de profondes cavites de neige et de glace, tous les hommes de notre escorte, blancs et rouges, se vantaient de connaeitre parfaitement la contree. J'avais ete a l'Antisana precisement un mois avant, avec M. de Bonpland et le jeune fils du marquis de Salvalegre, Carlos Montufar, qui nous avait accompagnes a la riviere des Amazones, a Lima, a Mexico et a Paris, et qui, apres son retour d'Europe, trouva la mort dans les glorieux combats pour la liberte de sa patrie. Nous etions arrives sur l'Antisana bien au-dessus de la limite des neiges, a une arete de rochers qui avait plus de 17.000 pieds de hauteur absolue, de sorte qu'il nous paraissait comparativement bien facile de parvenir au sommet le plus eleve du Pichincha, qui surpasse le Mont-Blanc de 180 pieds a peine. L'experience nous montra que les profondes vallees en forme de crevasses qui separent les quatre sommets principaux du Pichincha, presentent en beaucoup de points des obstacles infranchissables. Le 14 avril 1802. Nous nous dirigeames d'abord de Quito vers le N.-O. pour parvenir a la cascade Chorro de la Cantana, en passant a cote du jardin du couvent Recolleccion de la Merced. La Recolleccion est situee entre deux des guaycos ou crevasses ouvertes de 30 a 40 pieds de largeur, dont j'ai parle plus haut, et qui toutes se rattachent au versant de la montagne. Les deux crevasses se rejoignent un peu au nord de l'eglise de la Merced, ou l'on peut les franchir sur un pont. Plus loin, vers la place de Saint-Francois, les guaycos deviennent invisibles, parce que des constructions elevees les cachent sous des voautes. Quelques-uns de ces guaycos paraissent de larges filons entr'ouverts de 60 a 80 pieds de profondeur. En beaucoup de points, sur une longueur de 30 a 40 toises, ils ne sont pas ouverts a leur partie superieure, mais ils ressemblent a des aqueducs ou a des galeries souterraines. C'est une croyance populaire a Quito que, si les magnifiques eglises et les edifices eleves de la ville souffrent si peu des frequents tremblements de terre, cela tient a ce que ces crevasses ouvertes, importantes sous un autre point de vue geognostique, offrent une issue libre aux vapeurs elastiques (a los vapores). Cette theorie, adoptee aussi par Ulloa, et liee a l'ancienne croyance des Romains sur l'utilite des puits pendant les tremblements de terre, est peu confirmee par l'experience. Des observateurs attentifs ont remarque que quelques-uns des quartiers orientaux de la ville de Quito, pres de Santa Barbara et de San Juan Evangelista, qui ne sont entrecoupes par aucun des guaycos, souffrent moins que ceux qui en sont plus rapproches. Les coteaux peu escarpes (faldas) qui conduisent a la chute d'eau de la Cantuna sont couverts de gazons et de groupes de plantes sociales (Podosaemum debile, Gymnotrix et Stipa eminens, Cavan). Quelques calceolaires fleuris apparaissent isoles dans la savane. La chute d'eau de Cantuna, elevee de 1.728 toises au-dessus du niveau de la mer, etait alors tres-pauvre, et entrevue de la Plaza mayor, dans d'autres saisons, elle avait excite davantage notre curiosite. Plus loin, nous suiveimes en montant une etroite fondriere par laquelle nous parveinmes a une petite plaine entierement horizontale (Llano de la Torca ou Llano de Palmascuchu); nous laissames a notre droite la croix de La Condamine, la crux de Pichincha, que l'on voit de tres-loin. La hauteur absolue de la plaine de Palmascuchu est de 2.280 toises. Une plaine entierement semblable, mais presque de moitie plus petite (au plus de 300 toises de largeur), le Llano de Altarcuchu, est situee a l'ouest, egalement tres-pres de la crete principale de la montagne. Ces deux plaines, semblables a un ancien fond de lac, terminent les vallees ascendantes, et sont separees par un contrefort au dessus duquel s'eleve le rocher a formes bizarres de Guaguapichincha. De la premiere petite plaine de Palmascuchu, situee au nord-est, nous eaumes une vue magnifique sur l'Antisana, sur la cime appelee le volcan d'Ansango, sur le Cotopaxi et le Sinchulahua, appartenant tous a la Cordilliere de l'est. Il etait onze heures du matin, et malgre la hauteur ou nous etions, le thermometre marquait a l'ombre jusqu'a 11° R. Le Guaguapichincha, vu de la plaine, ressemble a un chateau fort en ruine. Nous croyions d'abord que cet aspect etait dau a des colonnes verticales articulees; mais lorsque nous eaumes gravi jusqu'a cet endroit, nous trouvames une roche noire, semblable a du pechstein, et fendue en couches tres-minces. Ces couches n'avaient souvent que 2 a 3 pouces de puissance; quelques groupes etaient epais de 12 a 14 pouces; tous plongent d'une maniere tres-reguliere de 85° au nord. La direction des couches etait hora 6, 4, selon la boussole du mineur allemand. Des fentes transversales donnaient dans l'eloignement, a la roche luisante non decomposee et a couches presque perpendiculaires, quelque ressemblance avec la roche de phonolite ou porphyre schisteux. Je nommai alors cette roche un trapp-porphyre a base de pechstein. La ou je n'avais soupconne que de l'amphibole, M. de Buch qui examina attentivement a la loupe, bientot apres mon retour en Europe, mes collections alors beaucoup plus riches, reconnut distinctement des cristaux de pyroxene. Il trouva aussi cette meme substance dans les roches volcaniques du Chimborazo. D'apres les recherches recentes de M. Gustave Rose, la base noire de la roche piciforme dont se compose le Guaguapichincha, a 2.378 t. de hauteur, renferme du labrador outre le pyroxene; mais elle ne contient ni feldspath, ni albite, ni amphibole. L'eclat de la roche n'atteint pas celui du pechstein proprement dit; seulement la masse, faiblement translucide aux aretes, est d'une cassure inegale. Au chalumeau, M. Rose l'a vue se transformer en un verre blanc, mais difficilement et seulement aux aretes. Le labrador s'y trouve dans des cristaux accouples a angles rentrants. Les cristaux sont blancs, fortement translucides, et ont a la cassure un bel etat nacre. Ils paraissent seulement petits et etroits aux plans de joint a angles rentrants, longs d'environ deux lignes, et souvent disperses dans la masse. Les cristaux d'augite sont d'un vert noiratre, ordinairement petits et en petit nombre. Voila donc aussi au Pichincha comme a l'Etna, une roche doleritique dans laquelle domine le labrador. Les contours du Guaguapichincha sont singulierement denteles, ce que l'on remarque pour beaucoup de roches noires volcaniques des Andes. Du cote du sud-ouest, nous veimes des aiguilles et des dentelures qui, avec 10 pouces d'epaisseur a peine, s'elevaient a une hauteur verticale de 8 a 9 pieds. Le dessin que j'ai fait soigneusement du contour du Guaguapichincha (en l'examinant par une lunette grossissant quatrevingts fois, de la plaine de Chillo a une distance de 13.326 t.), montre que le Guaguapichincha est bien le acutum et lapideum cacumen de l'inscription placee au couvent des jesuites par La Condamine. Le pic le plus eleve est taille en forme de clocher mais tronque au sommet. Dans notre ascension par le ravin etroit qui conduit a la petite plaine de Palmascuchu, au pied du Guaguapichincha, nous avions deja trouve a moitie chemin de la croix qui servit autrefois de signal, environ a 1.800 t. de hauteur, le rocher nu, couvert ca et la de pierre ponce. Ces gisements de pierre ponce devenaient plus frequents a mesure que nous montions davantage. Il fut bientot evident pour nous que, sur le sommet du Guaguapichincha, la pierre ponce est plus abondante le long des pentes ouest et sud-ouest, par consequent visa-vis le cratere de Rucupichincha, que sur le versant oppose. Elle contraste d'une maniere remarquable, par sa couleur blanche, quelquefois jaunatre, avec la couleur noire de la roche pyroxenique. Les naturels du pays qui nous servaient de guides, nous avouerent bientot d'eux-memes qu'ils n'avaient jamais atteint la cime de la montagne: ils ne pouvaient nous donner d'autre conseil pour parvenir au troisieme pic, pico de los Ladrillos, le plus rapproche du cratere, que de descendre d'abord dans la plaine de Palmascuchu, et ensuite dans les gorges secondaires d'Altarcuchu et de Verdecuchu (marchant au-dessus du rapide contrefort de Loma-Gorda, qui separe deux crevasses voisines et sensiblement paralleles). Un coup d'oeil jete sur la carte fera concevoir la structure particuliere, mais, a proprement parler, uniforme de la montagne. Beaucoup de vallees seches (veritables crevasses) se detachent de la cime vers le plateau de Quito. Ce sont les gorges de Cundurguachana, auxquelles, comme nous le dirons bientot, correspond une ouverture pres de Guapulo, au pied du Pichincha; la Quebrada, qui conduit a Palmascuchu; enfin la vallee de Verdecuchu, et la vallee plus large de Juyucha; enfin une cinquieme fondriere qui conduit a une plaine couverte de pierres ponces au pied du Rucupichincha, dans la vallee de Lloa Chiquito. Les embouchures de ces vallees sont disposees de telle sorte que les inondations produites par la fonte des neiges a chaque eruption volcanique, sont detournees de la ville de Quito, et arrivent a Lloa et dans la plaine du Turubamba. D'apres les vues de la nouvelle geognosie, on ose attacher quelque importance a ce phenomene des fentes du Pichincha. Leur origine remonte au soulevement de la montagne qui les a determinees; elles n'ont point ete creusees par les eaux, mais elles peuvent avoir renferme plus tard des bassins d'eau de neige fondue, partout ou ces eaux etaient maintenues par des barrages naturels. En effet, lorsque nous montions de la petite plaine de Verdecuchu (2.173 toises) a la plaine d'Altarcuchu (2.256 toises), je crois avoir reconnu distinctement, pres du faeite de la montagne, cette disposition d'anciens bassins qui se suivent par gradins, et presentent le fond de petits lacs alpins desseches. Au lieu de nous diriger sur le Picacho de los Ladrillos (la montagne des Briques) par la crete etroite entierement recouverte de pierres ponces qui joint le Guaguapichincha avec ce sommet, les Indiens nous firent gravir sur les parois de rocher presque verticales des bassins environnants de l'Altarcuchu, sur la montagne meme des Ladrillos. La hauteur verticale relative n'est que de 900 pieds. Le sommet de la montagne des Ladrillos est un cone presque entierement recouvert de pierres ponces. Cette ascension nous rappelait le cone de cendres du pic de Teneriffe (Pan de Azucar). Une bande de pierre noire eclatante comme le pechstein, et divisee en minces couches verticales, a valu a cette partie du Pichincha le nom de Pico de los Ladrillos. Les naturels la nomment une muraille naturelle. La ressemblance des strates verticaux, lorsqu'on les voit de loin, avec des colonnes minces de basalte, est tres-frappante. La zone de roches doleritiques qui entoure le cone au-dessous de son sommet est entrecoupee, a sa partie inferieure, par une couche orbiculaire de pierre ponce, qui geit la en forme d'eile, et se detache sur un fond noir. J'ai dessine deux fois la vue du sommet de los Ladrillos, une fois tres-pres, a un intervalle de 500 toises, et une autre fois a travers un telescope, en l'examinant de Chillo. Ces deux esquisses concordent parfaitement, et la tache de pierre ponce en forme d'eile m'a souvent empeche de confondre un sommet avec un autre dans la mesure des angles. Nous trouvames 2.402 toises pour la hauteur du pic de los Ladrillos. Il y avait assez d'espace sur la cime pour y etablir un graphometre de Ramsden sur son pied, et pour mesurer en outre, au moyen d'un sextant, les angles necessaires au canevas de la carte du volcan et a la determination de la position relative de ses sommets isoles, compares au gisement des montagnes de neige voisines. Le froid etait sensible (d'environ + 3° R.). Des masses de neige isolees couvraient la pente de la montagne. Vers le sud-ouest, nous apercaumes alors dans toute sa splendeur, mais separe par des precipices qui paraissaient inaccessibles, le volcan du Rucupichincha entierement couvert de neige. Le lieu de l'ouverture du cratere restait encore inconnu pour nous, car depuis le mois de juin 1742, personne n'etait parvenu a son bord. On savait seulement a cette epoque que le cratere s'ouvrait vers la mer du Sud. On jouit egalement de ce cote, du haut du sommet du pic de los Ladrillos, d'une des vues les plus magnifiques qui se soient jamais offertes a moi dans tous mes voyages de montagnes. Le versant sud-ouest du Pichincha est tres-escarpe. La il est aussi divise par des gorges paralleles entre elles et perpendiculaires a la crete. Nous appreimes, dans une autre excursion, seulement les noms de deux de ces ravins, la Quebrada de Nina urcu, et du plus rapproche du Rucupichincha, la Quebrada de las Minas de Melizaldi. Dans ces solitudes elevees, au milieu de roches volcaniques, on a aussi fait des fouilles pour chercher tantot des mines, tantot des tresors ensouis. L'aspect du sol, a la partie inferieure du versant, presente la vegetation forestiere de los Jumbos, qui, presque impenetrable, s'etend jusqu'au rivage de la mer, et remplit des plaines vastes et braulantes. Pour decouvrir quelle est la partie du littoral qui se rapproche le plus du volcan, on ne peut avoir recours jusqu'a present qu'aux determinations de Malaspina, Espinosa et Bauza. L'expedition des navires Descubierta et Atrevida a longe la cote depuis Guayaquil jusqu'en face du promontoire de Guasacama, a une distance de 15 a 16 milles marins (de 60 au degre). L'erreur de [Formel] de degre en longitude, que mes observations astronomiques ont fait connaeitre pour la ville de Quito, et la position egalement beaucoup trop orientale que Malaspina et tous les navigateurs et geographes posterieurs donnent au port de Guayaquil, ont naturellement une grande influence sur l'evaluation de la distance a laquelle le littoral de la mer du Sud est le plus rapproche du volcan. Comme les longitudes chronometriques de Malaspina dependent des differences avec le meridien de Guayaquil, elles avaient besoin d'une correction de 18 minutes en arc; ensuite, en rapportant le volcan de Pichincha a Quito, qui en est voisin, et en donnant a ce dernier point sa veritable longitude de 81° 4', il s'ensuit que la cote de la mer du Sud la plus rapprochee de l'oeil est situee a une distance de 88 minutes en arc, ou de 22 milles geographiques de 15 au degre equatorial. Telle est immediatement a l'ouest du volcan la distance de l'embouchure du Rio del Palmar, ainsi qu'au nord-ouest; c'est la distance du petit golfe de Las Sardinas et San Mateo, pres de la riviere des Esmeraldas. Dans la carte de la province de Quito par La Condamine et Maldonado, a laquelle nous avons donne precedemment des eloges merites, les cotes sont malheureusement dessinees avec tant d'inexactitude, que la position des cotes les plus voisines de la riviere des Esmeraldas est erronee de plus de 30 minutes en arc. La courbure de la terre fournit, pour la hauteur du Pichincha, un horizon visuel de 2° 13' de rayon, sans refraction, et d'environ 2° 25' en supposant des effets de refraction tels qu'on les observe ordinairement sous l'equateur. Il n'est donc pas douteux que l'on ne puisse voir bien au loin dans la mer, du sommet du volcan. L'horizon de la mer qui s'eleve toujours, comme on sait, a la hauteur de l'oeil, de telle sorte qu'au Pic de Teneriffe, par exemple, les objets voisins paraissent comme projetes et peints sur la surface de la mer, s'etend, pour le volcan de Pichincha, encore a 56 minutes en arc, ou a 14 milles geographiques de distance du littoral de la mer du Sud. Les epaisses forets vierges des Jumbos, et de l'ancienne Governacion de las Esmeraldas, sillonnees par beaucoup de fleuves, versent une prodigieuse quantite de vapeurs dans l'atmosphere. Ainsi, lorsque nous eaumes atteint la crete de la montagne, nous trouvames vers le sud-est, du cote du plateau de Quito, un ciel pur et entierement depouille de nuages (le cyanometre de Saussure marquait 37°), tandis qu'un banc d'epaisses vapeurs s'etendait sur les plaines de l'ouest, recouvertes d'une riche vegetation. Dans cette zone de nuages se trouvait une ouverture unique, a travers laquelle nous apercaumes une large surface bleuatre. Etait-ce une de ces rangees de nuages delies que j'ai vus repandus le matin sur l'Ocean, du haut du Pic de Teneriffe et de plusieurs sommets des Cordillieres, et dont la surface superieure ne presente aucune inegalite, ou bien etait-ce la mer du Sud elle-meme (comme nos compagnons l'affirmaient, et comme la couleur semblait l'indiquer)? Je n'oserais trancher la question. Si l'horizon de mer est place a une distance de plus de deux degres, la lumiere totale reflechie par l'eau est trop faible pour que dans le long trajet jusqu'a la cime d'une montagne de 15.000 pieds de hauteur, la plus grande partie n'en soit pas perdue par absorption dans l'atmosphere. Alors la limite de l'horizon visible, l'air reposant sur une ligne d'eau, on voit, pour ainsi dire, dans le vide, comme si l'on etait dans un aerostat, ou, d'apres l'experience de M. Gay-Lussac, les ondes sonores montent plus haut que la faible lumiere terrestre reflechie par l'horizon. Par la tres-basse temperature de 3°, l'hygrometre a baleine de Deluc marquait 32° entre midi et une heure (a une hauteur a peu pres egale, et par une latitude de 0° 11' sud, les astronomes francais, dans leur hutte, ont vu le thermometre de Reaumur descendre, pendant la nuit, presque jusqu'a 5° au-dessous de o.). Une grande secheresse s'etait aussi manifestee peu de temps auparavant, a ma grande surprise, lorsque nous etions enveloppes parfois dans un brouillard leger. L'hygrometre ne marqua pas alors au-dessus de 34°. La tension electrique de l'atmosphere offrit une observation remarquable: longtemps apres que nous n'etions plus entoures par une couche de vapeurs, l'electrometre de Volta, muni d'un conducteur metallique visse, d'environ 8 pieds de hauteur audessus du rocher, marquait 3 lignes d'electricite positive. Il etait inutile d'armer les pointes avec de l'amadou fumant. Mais lorsque nous entrames dans une couche de brouillards, l'electricite devint subitement negative, d'environ une ligne, et varia alors en changeant de l'etat negatif au positif, durant le passage du nuage. Ce phenomene rappelait, sur une echelle fort petite, ce que l'on observe pendant l'orage; la vapeur vesiculaire etait sans doute distribuee par couches distinctes. Du pic de Los Ladrillos, sur lequel nous etions, se detache une crete etroite de rochers, entierement recouverte de pierre ponce, qui va jusqu'a une cime voisine un peu plus basse et parfaitement conique, le Tablahuma. La crete horizontale est placee 46 toises plus bas que la montagne des Ladrillos, et 34 toises plus bas que le Tablahuma. La ou la roche se montre a nu, elle est encore partagee en strates minces, fortement inclines, et semblables au phonolite par sa structure. J'avais fait construire pour mon voyage, par l'habile mecanicien Paul, a Geneve, outre le cyanometre de Saussure (instrument bien imparfait), un tres-bel appareil pour l'evaluation du point d'ebullition sur de hautes montagnes. Je ne me servais pas de la bouilloire thermoscopique, comme l'ont fait des voyageurs modernes dans l'Asie mineure, dans la Perse et dans la Boukharie, pour evaluer les hauteurs par une methode deja publiee en 1739, par Lemonnier (l'erreur d'un degre Fahrenheit, dans l'observation du point d'ebullition, peut donner lieu a une erreur de 340 pieds dans l'estimation de la hauteur); je preferais observer simultanement la hauteur du barometre, la temperature de l'air et du mercure, et le point d'ebullition de l'eau, aussi souvent que je le pouvais, pour reunir des faits propres au perfectionnement de la theorie alors encore si incertaine de Deluc, des variations du point d'ebullition. L'appareil venait d'etre installe lorsque nous reconnaumes, avec regret, que l'Indien qui portait les matieres ordinairement employees a faire du feu, n'avait point encore atteint le sommet. Par un heureux hasard, le soleil se montra avec une lumiere eclatante. Nous savions qu'une plante alpestre laineuse, de la famille des composees, et qui ne commence a se montrer qu'a une hauteur de 13.500 pieds, le culcitium rufescens, decrit pour la premiere fois dans nos Icones plantarum oequinoxialium, fournit une espece d'amadou (yesca), matiere tres-facilement inflammable, et toujours seche. Ce Frailejon du Pichincha ne doit pas etre confondu avec une plante de la Nouvelle-Grenade, laineuse aussi, et portant le meme nom, mais qui appartient au genre Espeletia. Nous enlevames l'objectif d'une grande lunette de Dollond, et nous enflammames au soleil la laine des feuilles du culcitium, qui se laisse enlever avec l'epiderme, comme un gant. Le vase rempli d'eau de neige, donna pour le point d'ebullition 187°,2 Fahrenheit (un peu moins de 69° Reaumur). A tres-peu de distance de la, le barometre indiquait 16 pouces 4,64 lignes (ancienne mesure francaise), reduction faite a la temperature de o. D'apres les calculs de M. Poggendorf, mon observation du point d'ebullition indique, d'apres la table psychrometrique de M. Auguste, fondee sur les recherches de M. Gay- Lussac, une hauteur barometrique de 199, 4 lignes de Paris. D'apres la table de M. Biot, fondee sur les recherches de Dalton, on trouverait environ une ligne et demie de plus, ou 200, 92 lignes de Paris (les hauteurs du mercure etant toujours ramenees a la temperature 0). Une observation immediate faite sur l'arete de rocher qui joint la montagne des Ladrillos avec la cime du Tablahuma, me donna avec mon barometre 196, 64 lignes de Paris (reduction faite a 0°), resultat plus rapproche de la table de M. Gay-Lussac et de M. Auguste que de celle de MM. Dalton et Biot; il ne faut pas oublier cependant, que dans ce genre d'observations tres-delicates, un degre Fahrenheit correspond deja a 4, 5 lignes de hauteur du barometre. Si l'on pouvait avoir une pleine confiance a nos tables actuelles et aux evaluations de la force elastique de la vapeur d'eau au-dessous de 80° Reau., il resulterait de ces comparaisons, que j'aurais trouve de quelques fractions de degre trop eleve le point de l'ebullition de l'eau de neige, quoique je me fusse servi d'un vase construit d'apres le modele de la bouilloire de Saussure, et duquel les vapeurs pouvaient s'echapper tres-librement. Le sommet ignivome du Pichincha etait encore, comme je l'ai fait observer plus haut, a une distance considerable, separe de nous par une crevasse infranchissable. Comme nous ignorions le chemin, et que nous pouvions compter seulement sur trois heures de jour, il aurait ete imprudent de poursuivre notre exploration et de contourner le ravin ou plutot le grand bassin de la Sienega del vulcan. Une circonstance fortuite, si peu importante qu'elle faut alors, engagea mes compagnons a insister pour un prompt retour. J'etais reste tres-longtemps seul, sur le sommet de Tablahuma, pour determiner, avec plus de soin encore, le point d'ebullition. La fatigue d'une marche de dix heures, a pied, par des chemins escarpes, le froid, et les vapeurs epaisses de charbon que degageait le brasier sur lequel je me tenais penche (on sait que sous la faible pression atmospherique de 15 a 16 pouces la flamme se divise, et s'eleve difficilement), me causerent des vertiges et une defaillance. Jamais, apres de plus grandes fatigues et a des hauteurs plus elevees de quelques milliers de pieds, auparavant ni plus tard, je n'ai eprouve un accident semblable. Les vapeurs de charbon avaient assurement produit plus d'effet que la hauteur peu considerable de 2.356 toises. Mes compagnons de voyage qui se trouvaient sur la pente occidentale du sommet, s'apercurent bientot de l'accident: ils accoururent pour me relever et me rendre les forces, en me faisant prendre un peu de vin. Nous descendeimes lentement par la vallee de Juyucha, jouissant pendant le retour, de l'admirable vue que nous offrit le volcan de Cotopaxi eclaire par les rayons de la lune; c'est de toutes les montagnes de neige, sans doute a cause de sa forme parfaite de cone et du manque absolu des inegalites de surface, celle qui se montre le plus souvent entierement libre de nuages. Nous arrivames a Quito vers les 7 heures du soir. La composition de la roche du Pichincha est, suivant toute probabilite, peu differente a la partie inferieure de ce qu'elle est dans la region plus elevee; mais le melange est a grains moins fins, et presente un aspect different. Une carriere (Cantera) voisine du Panecillo de Javirac (sommet arrondi isole, au-dessous duquel les Incas avaient essaye de creuser une galerie pour ouvrir un passage a Turubamba), offre beaucoup d'interet sous le rapport geognostique. La roche de la Cantera est designee sous le nom de gres par le peuple; elle est disposee en couches, d'une couleur ordinairement gris-verdatre, avec des rognons rougeatres, et melangee ca et la de petites lames de mica noir. Je l'avais nommee, pendant mon voyage, grünstein porphyrique a grains tres-fins; mais d'apres l'examen plus soigneux de M. Rose, c'est egalement une roche doleritique criblee d'un grand nombre de pores tres-petits. On distingue dans la masse quelques cristaux blancs de labrador avec des angles distinctement rentrants, et beaucoup de cristaux de pyroxene d'un vert noiratre. L'amphibole n'y paraeit pas. A un niveau inferieur a celui de la Cantera, sous le sol de la ville de Quito meme, aupres de l'eglise de Saint-Roch, dans une excavation de 15 pieds de profondeur, j'ai trouve au milieu d'une couche d'argile un banc de pierre ponce de 8 a 10 pouces d'epaisseur. Pour terminer le recit de cette premiere expedition au volcan du Pichincha, je dois encore parler des nombreux blocs a aretes tres-vives qui gisent a l'extremite nord-ouest de la montagne, dans la belle savane d'Inaquito, celebre par la bataille qui s'y livra en 1516, entre Gonzalve Pizarre et le vice-roi Blasco-Nundez-Vela. Ces blocs, d'une grosseur extraordinaire, nullement arrondis et non poreux, ressemblent, comme la roche du Guaguapichincha, a un pechstein noir et lustre. Les habitants nomment le phenomene de cette accumulation de blocs, la Reventazon, mot difficile a traduire, et par lequel ils designent a la fois l'effet d'un ebranlement et d'une eruption volcanique. Les blocs gisent par rayons, sensiblement alignes, mais toujours accumules en plus grand nombre au pied meme du volcan. Ce lieu s'appelle Rumipamba. Je crois que les blocs, peut-etre, lors du premier soulevement de la montagne, ont ete rejetes a travers la crevasse des Condors. Il m'a paru tres-digne d'attention que, dans la meme direction de la crevasse, la petite chaeine de collines qui termine la plaine d'Inaquito ou d'Anaquito a l'ouest, presente une fente qui porte un nom particulier (Boca de Nayon). La meme cause, ai-je dit dans mon journal, qui a la pente de Pichincha a ouvert la vallee etroite de Cundurguachana, aura sans doute aussi produit le Boca de Nayon. C'est comme une pente naturelle qui conduit dans un bassin etroit, dont le fond, d'apres une mesure barometrique, est place a 840 pieds plus bas que la plaine ou gisent les blocs erratiques. Le joli petit village, Guapulo, dont l'eglise est ornee de colonnes d'ordre dorique, s'eleve dans ce bassin. Le tout ressemble a une cavite de filon, et l'on peut a peine s'empecher de craindre, que dans un pays soumis a de si grands et si frequents bouleversements, cette cavite ne vienne un jour a se fermer et a ensevelir sous les decombres le village de Guapulo, ses jardins si riches en arbres fruitiers, et l'eglise qui renferme une des images les plus reverees de la province de Quito.