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Alexander von Humboldt: „Observations géognostiques et physiques sur les volcans du plateau de Quito“, in: ders., Sämtliche Schriften digital, herausgegeben von Oliver Lubrich und Thomas Nehrlich, Universität Bern 2021. URL: <https://humboldt.unibe.ch/text/1837-xxx_Ueber_die_Vulkane-9> [abgerufen am 28.03.2024].

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Permalink:
https://humboldt.unibe.ch/text/1837-xxx_Ueber_die_Vulkane-9
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Titel Observations géognostiques et physiques sur les volcans du plateau de Quito
Jahr 1839
Ort Paris
Nachweis
in: Annales des mines, ou recueil de mémoires sur l’exploitation des mines et sur les sciences et les arts qui s’y rapportent 16 (1839), S. 411–452.
Sprache Französisch
Typografischer Befund Antiqua; Auszeichnung: Kursivierung; Fußnoten mit Ziffern.
Identifikation
Textnummer Druckausgabe: V.72
Dateiname: 1837-xxx_Ueber_die_Vulkane-9
Statistiken
Seitenanzahl: 42
Zeichenanzahl: 70316

Weitere Fassungen
[Über die Vulkane von Quito] (Berlin, 1837, Deutsch)
Über die Vulkane von Quito (Berlin, 1837, Deutsch)
Geognostische und physikalische Beobachtungen über die Vulkane des Hochlandes von Quito (Leipzig, 1837, Deutsch)
Geognostische und physikalische Beobachtungen über die Vulkane des Hochlandes von Quito (Stuttgart, 1837, Deutsch)
Description géognostique et physique des volcans du plateau de Quito (Paris, 1838, Französisch)
Extrait d’un mémoire de M. de Humboldt sur les Volcans du plateau de Quito (Paris, 1838, Französisch)
Une Description géognostique et physique des volcans du plateau de Quito (Paris, 1838, Französisch)
Sur les volcans du plateau de Quito (Paris, 1839, Französisch)
Observations géognostiques et physiques sur les volcans du plateau de Quito (Paris, 1839, Französisch)
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OBSERVATIONSgéognostiques et physiques sur les volcans duplateau de Quito;Par M. Alexandre DE HUMBOLDT.(Traduit de l’allemand par M. L. LALANNE, Ingénieur des pontset chaussées (1).)


Si l’on attribue à l’action volcanique (2), dansle sens le plus étendu de cette expression, tous lesphénomènes qui dépendent de la réaction de lapartie intérieure d’une planète demeurée liquide,contre la croûte superficielle oxydée et durcie parla déperdition de la chaleur, peu de contréespourraient présenter des effets variés de cette ac-tion, sur une échelle aussi étendue que le plateaude Quito. Les mesures et les aperçus géologiques,recueillis pendant un séjour de huit mois dans cettecontrée, se trouvent disséminés dans plusieursparties de mon ouvrage sur l’Amérique équi-noxiale, principalement dans le nivellement géo-gnostique et barométrique de la chaîne des Andes,dans l’Essai sur le gisement des roches dans lesdeux hémisphères, et dans un Mémoire intitulé:Esquisse d’un tableau géologique de l’Amé-rique méridionale au nord de la rivière desAmazones. Les descriptions topographiques par-ticulières des volcans, leurs monographies, sontencore demeurées inédites. La description géo-gnostique des différentes régions de la terre repose
(1) Cette traduction a été revue par M. de Humboldt.(2) Littéralement vulcanisme, le volkanismus que lesgéologues allemands opposent au neptunisme.
|412| sur deux ordres de faits entièrement distincts, dontles uns dépendent du temps et de l’état variabledes progrès des sciences physiques et minéralo-giques, et dont les autres sont invariables, parcequ’ils fixent seulement les rapports locaux (engrandeur et en position); et si par hasand les ré-volutions de la nature altèrent la configuration dela surface du globe, ces derniers sont d’autant plusimportants qu’ils fournissent les éléments d’uneévaluation numérique des résultats de ces chan-gements. Là où l’on exige une séparation rigou-reuse des formations, selon les caractères zoolo-giques, c’est-à-dire, d’après l’association et laclassification organique par époque des êtres anté-diluviens, ou selon les caractères oryctognostiques,c’est-à-dire, d’après la nature de la contexturecristalline des roches; là, l’observation publiéeperd de son prix et de son importance scientifique,si on la sépare du temps et des idées sous l’in-fluence desquelles elle a été recueillie. Celui quiporte un intérêt sincère à la science qu’il cultivene se plaint pas, lorsque jetant un regard sur sestravaux antérieurs, il reconnaît cet effet du tempssur une matière qui a vieilli. A côté du désir bienvif de revoir encore une fois, et muni de nou-velles connaissances, ce qu’il n’avait pu saisir qu’àdemi, il éprouve aussi le sentiment d’une doucesatisfaction en voyant les progrès que la science afaits depuis l’époque de son voyage. Une autrepartie des observations, la partie topographique,qui décrit l’espace, est indépendante de l’époqueà laquelle on les a recueillies. Elle s’appuie, nonsur des principes variables, mais sur la base inal-térable des sciences mathématiques. Sans doute,avec des instruments plus perfectionnés, on|413| obtient aussi une plus grande rigueur dans ladétermination astronomique des positions, dansles mesures trigonométriques ou barométriquesde différentes hauteurs du globe. Les besoins dela science géognostique et orographique sont plusfaciles à satisfaire que les besoins de l’astronomie,lorsque celle-ci doit déterminer la position oul’orbite des corps célestes, la figure ou la densitéde notre planète, mesurer et peser la terre. De-puis la fin du siècle dernier les instruments d’as-tronomie et de géodésie que peuvent choisir lesvoyageurs sont parfaitement suffisants, surtoutlorsqu’ils sont habilement maniés, pour donner,dans la mesure des angles, des résultats numéri-ques dont l’approximation est en dedans des li-mites exigées par la nature même des problèmesqu’on veut résoudre. Cette partie orographique etgéométrique des observations présente, de plus,l’avantage précieux que, si (comme cela devraittoujours avoir lieu) le détail numérique des me-sures a été publié, ou s’il se trouve au moins con-signé dans le journal du voyageur, elle offre en-core, après un grand nombre d’années, la mesurede la confiance que l’on doit avoir dans le travailentier, et que même elle peut conduire à descombinaisons nouvelles et meilleures (1).

(1) Nous ne pouvons résister au désir de citer à ce sujetles paroles qu’un juge compétent, M. Biot, prononçaitdevant l’Académie des sciences le 30 avril 1838, en com-muniquant ses recherches sur la constitution comparée del’atmosphère à Paris et à l’équateur. «Je me suis aperçu,«dit-il, qu’on pouvait se servir pour ce but des observa-«tions que M. de Humboldt a faites sous l’équateur, quoi-«que lui-même n’ait pas cherché à leur donner tous les«caractères que je viens de rappeler. Ce ne sera pas la
|414| En faisant avec franchise une distinction essen-tielle entre la partie des observations géognosti-ques qui vieillit promptement et celle qui ne dé-pend pas du temps, j’ai dépeint l’infériorité rela-tive du travail que je présente aujourd’hui. Toutvoyageur qui reste confiné seulement trois ouquatre ans, hors d’Europe, dans un pays où ilest privé de relations scientifiques avec sa patrie,sent, dès les premiers jours de son retour, com-bien, par le perfectionnement des aperçus géné-raux sur la classification des terrains et sur la for-mation des masses de montagnes, la terminologiegéologique et le langage adapté à un nouvel ordred’idées, ont dû éprouver de changements. Delànaît souvent une malheureuse disposition à faireplier et à interpréter les faits; et comme à chaqueépoque il n’y a que ce qui s’accorde avec lesopinions dominantes qui plaise généralement, lasimple observation finit par disparaître et suc-comber peu à peu devant les efforts de l’interpré-tation hasardée, et les spéculations théoriques. Untel danger (auquel il est difficile de se soustraireentièrement, parce qu’un désir louable pousse leshommes à vouloir dominer par la pensée l’obser-vation brute et empirique); ce danger, dis-je,est d’autant plus menaçant, qu’il s’est écoulé unplus grand nombre d’années depuis l’époque à la-quelle les résultats ont été recueillis. Lorsque,après les explications que je viens de donner, jen’hésite point à choisir pour sujet de mes Mé-
«première fois que ce célèbre voyageur aura recueilli des«documents dont il ne pouvait prévoir l’utilité future,«et qui ont étonné, par leur exactitude, ceux qui les«ont employés.» (L. L.)
|415| moires académiques quelques fragments encoreinédits de mon journal de voyage dans l’Amériquedu Sud; cette résolution est fondée sur le projetarrêté de rendre les observations presque unique-ment avec les mêmes expressions et les mêmesformes qui leur furent appliquées sur les lieuxmêmes, de les séparer des explications tirées dethéories récentes; cette résolution est fondée surla rectification de la nomenclature des roches qu’apermise l’examen oryctognostique des petites col-lections de roches que j’ai rapportées; elle est en-fin fondée (et c’est le principal motif de la publi-cation) sur cette considération, que la plus grandepartie de mes travaux géognostiques, dans le pla-teau qui entoure les volcans de Quito, s’attachepréférablement à l’hypsométrie et aux rapportsdans l’espace, à la description des inégalités de lasurface du globe, à l’orographie physique qui nevieillit pas, et dont l’intérêt augmente par lesmerveilles d’une région qui, depuis mon voyage,n’a été décrite nulle part.
Dans la longue chaîne des Andes, s’élevant enforme de mur, tantôt simple, tantôt divisée endeux ou trois rameaux, et alors articulée pard’étroites arêtes transversales, le voisinage des vol-cans actifs se manifeste régulièrement et presquepériodiquement par l’apparition subite et l’inter-calation de certaines roches entre les formationsjadis nommées primitives, de même qu’entre desroches schisteuses et arénacées, appelées de tran-sition et de sédiment. Un fait aussi facile à ob-server devait, de bonne heure, faire naître la per-suasion que ces roches intercalées et sporadiquesétaient le véritable siége des phénomènes volca-niques, et que leur présence était une condition|416| essentielle des éruptions de cette nature. Pour rap-peler ici la composition minéralogique sous unpoint de vue de géologie plus restreint, je dois faireobserver que ce que l’on décrivit alors dans l’Amé-rique méridionale, comme une espèce particulièrede porphyre syénitique ou dioritique dépourvude quartz (1), prit plus tard, en Europe, la déno-mination de trachyte, qui fut substituée par Haüy,dans sa distribution minéralogique des roches,au nom ancien plus caractéristique de domite.L’époque la plus récente a appris que ces massesd’éruption (tantôt élevées en forme de dôme ou decloche sans cratère, tantôt tellement ouvertes parles puissances volcaniques qu’il se forme une com-munication permanente entre l’intérieur de la terreet l’atmosphère) n’offrent pas toujours la mêmecomposition sous des zones différentes. Ce sonttantôt des trachytes proprement dits, que carac-térise le feldspath, comme au pic de Ténériffe etaux Sept Montagnes (près de Bonn), où un peud’albite se joint au feldspath, des trachytes à feld-spath qui, en qualité de volcans actifs, donnent sou-vent naissance à de l’obsidienne et à de la pierreponce; tantôt du mélaphyre, mélange doléritiquede labrador et de pyroxène, qui se rapproche dubasalte par sa composition, comme à l’Etna, àStromboli et au Chimborazo; parfois domine l’al-bite avec l’amphibole, comme dans les roches vol-caniques du Chili, nouvellement nommées Andé-sites, dans les magnifiques colonnes de Pisojè,près de Popayan, décrites comme un porphyre
(1) Quarzlose Grünstein-und syenit-porphyr. L’ab-sence totale du quartz est le caractère essentiel que j’ai in-diqué le premier.
|417| dioritique, au pied du volcan de Puracé, ou auvolcan mexicain de Tolucca; ailleurs enfin, ce sontdes leucitophyres, mélanges de leucite et de py-roxène, comme à la Somma, qui est le vieux murdu cratère d’élévation du Vésuve. M. Gustave Rose,par son excellente analyse chimique et cristallo-graphique du groupe feldspathique, a répandu unnouveau jour sur la texture des roches à traverslesquelles les éruptions volcaniques se sont frayéun chemin: il a rendu par là un service signaléaux progrès de la géognosie. Cette opinion a étéémise déjà, au sein de cette académie, par unjuge plus compétent, M. Léopold de Buch, dontle dernier ouvrage embrasse dans un même tableaul’ensemble de ces roches et des formations volca-niques. L’édition française de la Description phy-sique des îles Canaries qu’on vient de publieroffre, dans le chapitre intitulé: Volcans centrauxet volcans groupés par séries (1), la plus vivanteet la plus complète peinture des éruptions qui onteu lieu sur le globe entier.
Les volcans du plateau de Quito, qui fait lesujet de ce Mémoire, appartiennent, d’après lestravaux géographiques de La Condamine, Bou-guer et Pedro Maldonado, à la classe des volcansen séries. On a déjà reconnu très-anciennementqu’ils sont divisés en deux groupes par une étroitevallée longitudinale assise entre les Cordillières.En comparant avec des faits analogues les résul-tats de mes propres observations, je tâcherai dedonner à la monographie des volcans de Quitocet intérêt qui répond toujours à la généralité desidées, et à la rectification des premiers aperçus.
(1) Central und reihen vulcane.
|418| C’est comme une clarté qui rayonne de points lu-mineux très-éloignés.
Avant de m’étendre sur la description du volcandu Pichincha, pour que l’on puisse mieux s’orien-ter et se figurer la position du plateau, je doisfaire remarquer quelques résultats de mesures,qui pris isolément n’auraient assurément aucuneimportance géognostique, mais qui en acquièrentsi l’on examine l’accroissement graduel des hau-teurs du sol des vallées longitudinales qui se suc-cèdent comme par échelons. De nouvelles déter-minations hypsométriques étaient d’autant plusnécessaires, que les évaluations barométriques desastronomes français, au temps de la célèbre me-sure d’un arc de méridien, présentaient des er-reurs dues à trois causes différentes: 1° à l’omissionde la correction de température; 2° à une faussevaleur de la pression atmosphérique moyenne auniveau de la mer; 3° à l’ignorance où l’on étaitalors de la variation horaire de la hauteur baro-métrique. Par suite de compensations accidentellesdans les causes d’erreur, les résultats de La Con-damine se rapprochent parfois de ceux qui ontété obtenus et calculés avec beaucoup de soin parM. Boussingault et par moi; mais dans la plupartdes autres points les différences sont considéra-bles, tantôt positives, tantôt négatives, et tou-jours d’une valeur très-inégale; de sorte que lesdéterminations anciennes des hauteurs relativesne méritent que peu de confiance partout où il estquestion de ces plateaux partiels inégalement éle-vés au-dessus du grand foyer volcanique. Les er-reurs que je viens de signaler influent naturelle-ment aussi sur les résultats absolus des mesurestrigonométriques des hauteurs; car on sait que|419| pour ces opérations les lignes fondamentales (bases)aux extrémités desquelles les angles de hauteur serattachent aux sommets des montagnes ne sontpas placées dans la plaine le long de la côte, etque chaque mesure de montagnes, dans la chaînedes Andes, est nécessairement composée de deuxmesures, l’une trigonométrique, l’autre baromé-trique.Si l’on jette un regard sur l’esquisse de la cartehypsométrique dans laquelle, d’après la discussionapprofondie des déterminations astronomiques lesplus récentes, j’ai cherché à exprimer, pour lapremière fois, le relief et la structure variée de lachaîne des Andes si étrangement défigurée aupa-ravant dans toutes les cartes de l’Amérique méri-dionale, et à consigner toutes les relations im-portantes de hauteur connues jusqu’alors (jusqu’en1831, c’est-à-dire, en profitant des découvertesde Pentland en Bolivie); on voit que la fameusebifurcation des Andes n’a lieu que de 3° \( \frac{1}{4} \) de lati-tude sud à 2° 20′ de latitude nord, entre le nœudde montagnes de Loxa, célèbre par les magnifiquesforêts de quinquina du versant oriental, et lenœud de montagnes qui est la source du grandfleuve de la Magdalena. Au nord et au sud desparallèles à l’équateur qui passent par les nœudsde montagnes extrêmes du Pérou et de la Nou-velle-Grenade (Cundinamarca), les Andes sontdivisées en trois branches qui ne sont pas tout àfait parallèles entre elles. Quelquefois même surles cartes, on augmentait considérablement la lar-geur des chaînes de montagnes, par suite d’unesingulière méprise linguistique. Partout où la cartede La Crux Olmedilla, le type de toutes les cartesanglaises, françaises et allemandes qui ont paru|420| pendant quarante ans, portait ces mots: «Icicroît le cacao sauvage, aqui hay montes de cu-cao,» de célèbres géographes ont placé des mon-tagnes de neige, prenant pour montagnes (Cerros,serranias) le mont monte (forêt), qui est géné-ralement usité dans les colonies espagnoles; ilsoubliaient que le cacao ne réussit que dans desplaines brûlantes, sous la température moyennede 23° Réaumur. Dans le dialecte espagnol le pluspur d’Europe, une forêt avec de hautes futaiess’appelle aussi Monte alto. La grande vallée lon-gitudinale qui s’étend entre les deux nœuds demontagnes désignés précédemment, a une lon-gueur de plus de 60 milles géographiques (de 15au degré), mais seulement une largeur moyennede 5 milles. Elle est partagée par des arêtes trans-versales en cinq petits bassins, dont le sol s’élève àune hauteur très-inégale au-dessus du niveau de lamer. Les hauteurs respectives des plateaux, qui con-stituent le fond de ces vallées, sont pour les troisplus méridionaux, dans lesquels se trouvent situéesles villes de Tuenca, Tacunga et Quito, de 1.350,de 1.320 et 1.340 toises, par conséquent concor-dantes d’une manière assez remarquable; vientensuite la plaine de Los Pastos, haute de 1.582 à1.650 toises, le Tübet volcanique de l’Amérique,et cependant encore de 355 toises inférieure aufond de la vallée qui renferme le lac de Titicaca,visité récemment par MM. Pentland, Meyer etd’Orbigny. Le bassin d’Almaguer, le cinquième etle plus septentrional, décroît subitement à 1.164toises. De toutes les arêtes ou digues transversales,une seule est importante; c’est le passage de l’As-suay, couvert des ruines des châteaux des Incas:j’en ai trouvé le point culminant de 14.500 pieds|421| (2.428 toises), là où le chemin conduit sur la La-dera de Cadlad. C’est seulement à 400 toises plusbas que se trouve le palais de l’Incas (Tupayu-pangi) avec des restes de bains, qui (il faut lesupposer) étaient alimentés avec l’eau chaude, dansce climat âpre et inhospitalier. Comme les me-sures de M. Pentland, dans la Cordillière orientalede Bogota, où le Sorata est à 3.918 toises (23.688pieds de Paris), et par conséquent à 440 toisesseulement plus bas que le Dhavalagiri de la chaînede l’Himalaya, et de 600 toises plus haut que leChimborazo, ont fait naître l’opinion que tous leséléments hypsométriques devaient, à cette lati-tude méridionale, avoir des dimensions plus gi-gantesques que dans la zone la plus voisine del’équateur, je dois faire remarquer ici, à ce sujet,que le passage à travers l’arête transversale de l’As-suay, situé sur la grande route de commerce deQuito à Tuenca et à Lima, n’est surpassé en hau-teur que par deux des passages semblables me-surés par M. Pentland; encore la différence est-elletrès-petite. En Bolivie, le passage au-dessus desAltos de Toledo est plus élevé de 25 toises, et celuide Chullunquani de 17 toises. Il s’ensuit que par-tout les hauteurs moyennes des crêtes ou dos demontagnes, dont les passages nous font connaîtreles minima d’élévation, ne sont pas en rapport directavec les points culminants ou sommets isolés deschaînes. Une représentation graphique des Alpeset des Pyrénées, que j’ai publiée dans les Annalesdes sciences naturelles, confirme cette considé-ration. Les dernières surtout ont une crête fortélevée en comparaison de la petite hauteur despoints culminants.Du sommet rocailleux du volcan du Pichincha,|422| la vue s’étend au loin jusqu’à la mer du Sud, au-dessus des forêts inhabitées et impénétrables desJumbos et de la province de Los Esmeraldas. D’unautre côté, encore à l’ouest des îles calcaires dePuna et de Sainte-Clara (el Amertajado), on com-mence à apercevoir le Chimborazo par un tempstrès-clair dans la navigation de Lima à Guayaquil.Ces faits donnent un grand intérêt à la connais-sance précise de la véritable distance de la côte àla Cordillière occidentale, et j’ai dû m’en occuperparticulièrement. L’intervalle à évaluer dépend dela différence de longitude entre les villes de Quitoet de Guayaquil, comme de l’azimuth et de l’anglede hauteur du sommet du Chimborazo, mesuréssur la plage du littoral de Guayaquil. Je me con-tenterai de remarquer ici que les doutes émis parle capitaine Basil Hall, sur ma longitude de Guaya-quil, ont été entièrement dissipés, à ma satisfac-tion, par la dernière grande expédition anglaisesur les bâtiments l’Aventure et le Beagle (capi-taines King, Stokel et Fitz Roy) pour le relève-ment des côtes de la Patagonie occidentale jusqu’àGuayaquil. D’après les résultats de l’expédition pu-bliés depuis peu de mois par sir John Barrow (1),on a trouvé pour Guayaquil, à 17 secondes detemps près, la longitude que donne ma détermi-nation déjà très-ancienne, quoique le temps aitété transporté d’un point fort éloigné, de Valpa-raiso. Pour le port de Callao de Lima, auquelj’avais rapporté chronométriquement la positionde Guayaquil, l’accord est encore plus satisfaisant;la dernière expédition anglaise ayant obtenu,
(1) Journal of the Royal Geogn. Soc., t. 6, P. 2,p. 337.
|423| comme les navigateurs le remarquent expressé-ment, un résultat moyen qui ne diffère que dedeux secondes de la longitude que M. Oltmannsa conclue de mon observation du passage de Mer-cure sur le disque du soleil. Comme à d’aussigrandes hauteurs et à d’aussi longues distances(le Pichincha, qui est un peu plus élevé que leMont-Blanc peut, sans réfraction, être aperçu à34 milles géographiques, et le Chimborazo à 39)le nombre des couches de nuages superposées lesunes aux autres diminue la probabilité que lesrayons de lumière puissent parvenir à l’œil, onjouit rarement, sur le rivage de la mer du Sud,du beau spectacle de la chaîne majestueuse desAndes. Un angle de hauteur du Chimborazo (seu-lement 1° 57′ 40″) qu’un marin espagnol très-instruit, don Joseph Espinosa (1), a pris sur lerivage de Guayaquil, pendant la navigation deMalaspina autour du monde, a été le sujet d’unecontroverse qu’il ne s’agit pas de discuter à fondici, au sujet de la véritable hauteur du Chimbo-razo; il suffit de faire remarquer que la réfrac-tion, l’azimuth, et même la distance horizontalen’ont pas été déterminés avec précision.
J’ai encore à mentionner un autre point relatifaux rapports de position et de dimension desCordillières. M. Léopold de Buch, dans l’expo-sition lumineuse de sa théorie du surgissementdes chaînes de montagnes par des crevasses, amontré plusieurs fois les relations que l’on re-marque entre la direction des chaînes et celledes côtes voisines ou éloignées. On sait que le
(1) Memorias de los navegantes españoles, t. 1,p. 187.
|424| phénomène des volcans actifs est limité dansl’Amérique méridionale au bord occidental ducontinent. Le tracé hypsométrique de toute lachaîne des Andes, qui a été copié de mon Atlasde l’Amérique méridionale dans la dernièregrande carte de Brué, mais qui nulle part n’a étérendu plus exactement que dans une petite cartemalheureusement encore inédite de M. Ber-ghaus (1), prouve la plus entière dépendanceentre la forme (le contour) du continent etla direction variable de la chaîne. Le coude queprésente le littoral d’Arica, où la direction S.-N.de la côte change brusquement en S.E.-N.O.,sinuosité qui correspond par les 18° \( \frac{1}{2} \) de latitudeméridionale à une déviation entièrement sem-blable de la côte occidentale du continent pyra-midal de l’Afrique (vers les 4° \( \frac{1}{2} \) de latitude nord),près de l’île de Fernando Pô, est un point dontj’ai déjà signalé plusieurs fois la grande impor-tance géologique. Le changement brusque d’al-lure de la chaîne des Andes dans le parallèled’Arica n’est pas borné à la Cordillière occiden-tale voisine de la mer du Sud; il s’étend égale-ment à la direction de la chaîne orientale quiborde le plateau de Titicaca, site ancien de cul-ture humaine dans l’Amérique du sud, au pieddes montagnes colossales de Sorata et d’Ilimani.Le parallélisme qu’observent les Cordillières entreelles, surtout entre le 5° de latitude sud et le 5°de latitude nord, est aussi frappant que leur pa-rallélisme avec les sinuosités du littoral. Uneseule branche de la chaîne, qui change d’allure,
(1) Karte des ganzen neuen continents. Cette carte deM. Berghaus a été présentée à l’Académie en février 1837.
|425| semblable au trum dévié (1) d’un sillon, réuniten parcourant la Nouvelle-Grenade, à l’est de laville de Bogota, la crevasse de formation plusrécente des Andes de Quito avec la crevasse plusancienne de la chaîne littorale de Caracas.
A l’ouest du plateau de Quito, la directionmême des chaînes paraît indiquer que l’anglerentrant de la côte au golfe de Guayaquil, est unpetit phénomène accidentel d’une origine pos-térieure au soulèvement des chaînes. En cet en-droit la côte approche jusqu’à 25 minutes (enarc) de la Cordillière de l’ouest, dans la contréede Cuenca, au sud de l’arête transversale del’Assuay, où une route très-fréquentée atteintpresque la hauteur du Mont-Blanc. On n’aperçoitlà aucune influence du voisinage de la mer sur laposition relative des volcans. Déjà à 20 millesgéographiques plus au nord, le parallèle de Tun-guragua termine vers le sud la longue rangée desvolcans actifs. Des obstacles provenant de la na-ture des roches y ont peut-être empêchéque, dans le voisinage de la mer, les forces élas-tiques ne se fissent jour, et n’établissent unecommunication permanente avec l’intérieur duglobe. Il est même très-remarquable que l’ob-stacle ait été moins grand dans une partie très-éloignée du littoral; car au pied de la chaîneorientale s’élève le Sangay ou volcan de Macas,un demi-degré au sud du parallèle de Tungu-ragua, dans une plaine ombragée par d’épaissesforêts, aux sources du Rio-Morona. M. Rüppeldonne à la montagne conique du Kordofan, qui
(1) Abscharendes trumm, dans le langage du mineurallemand.
|426| jette de la fumée, 84 milles de distance à la mer;le Peschan dans l’Asie centrale, qui a vomi destorrents de lave à une époque récente, dans destemps historiques, et d’autres volcans actifsde la chaîne du Thianschant ou monts célestes,sont placés environ trois fois aussi loin, à unedistance de 260 milles géographiques (1), detoute mer, et sans aucune communication avecun grand bassin intérieur.
Quoique, dans une grande partie du monde, lesoulèvement de masses de trachyte, d’andésite etde dolérite ait formé les sommets les plus élevésdes chaînes ou des groupes d’îles, on voit, par cequi a lieu dans les autres zones (celles de l’Hi-malaya et de la Cordillière orientale des Andesde Bolivia), qu’il n’existe pas de dépendancenécessaire entre le maximum d’élévation et lanature de la roche mise au jour. Au Mexique, oùtous les volcans ont surgi le long d’une crevassequi coupe l’isthme et l’axe de la chaîne presqueà angle droit (M. de Buch compare cette crevassed’un ordre secondaire aux arêtes transversales del’intérieur de Java), il est vrai que tous les som-mets volcaniques (Nevados), qui s’élèvent au-dessus des limites des neiges éternelles, sont com-posés de l’une des trois roches que l’on vient denommer. Il est vrai encore que, sur le plateau deQuito, les points culminants de la Cordillière sontparmi les cônes et les cloches de dolérite; maisaussi sur le même plateau, à peu de distance duChimborazo et du volcan de Tunguragua, s’é-
(1) Voyez mon Esquisse des chaînes de montagnes del’Asie intérieure dans les Fragments de géologie et de mé-téorologie asiatiques.
|427| lèvent les hauts Nevados de Condorasto, Cu-villan et Collanes, composés de micaschistequartzeux. Les plus hautes montagnes de toutela chaîne des Andes, le Sorata ou Tusubaya, unpeu à l’ouest de la mission de Challana, et l’Ili-mani, au sud du petit village de la mission d’Oco-buya, sommets dont le dernier n’est inférieurque d’environ une hauteur de clocher (78 toises)au second colosse de l’Himalaya (1), mesuré avecune extrême précision, sont composées de grau-wacke schisteuse; mais d’après d’intéressantes notesmanuscrites de M. Pentland, que je possède sur leversant occidental de l’Ilimani, on trouve desmasses de syénite et de porphyre dans lesquellesdes fragments anguleux de grauwacke schisteusesont empâtés comme des preuves de l’apparitionpostérieure de ces masses. Tous ces faits démon-trent que la hauteur absolue des sommets isolés(phénomène qui, dans tous les temps, a excité depréférence l’intérêt populaire) n’est qu’un ac-cident local dépendant seulement d’une résistanceplus ou moins considérable des couches rocheusesà travers lesquelles le surgissement a eu lieu. L’im-portance géognostique de la hauteur absolue deces points culminants est très-petite en com-paraison de l’importance que l’on doit attacher àla direction de l’axe, à la constance de sa direc-tion, et de la hauteur moyenne du faîte d’unechaîne de montagnes.
Après ces considérations générales sur les Cor-dillières des Andes, je vais tracer le tableau dequelques volcans du plateau de Quito. Je com-
(1) Le Jawahir a 4.026 toises, le Sorata a 3.948 toisesde hauteur au-dessus du niveau de l’Océan.
|428| mence par un des sommets les moins élevés, lePichincha, parce qu’il est le plus rapproché de lacapitale, parce qu’il a une forme très-différente decelle des montagnes qui vomissent du feu, de nosjours, et qu’il fut pour moi l’objet de trois expé-ditions. En Europe, cette montagne a eu dans lemilieu du siècle dernier un grand renom, qui, ilest vrai, a disparu depuis longtemps, les astronomesBouguer et La Condamine ayant séjourné troissemaines entières sur son sommet dans une ca-bane où ils firent des observations météorologiques.Cette cabane était placée à 2.430 toises de hauteur,et par conséquent seulement de 180 pieds plus basque le sommet du Mont-Blanc. La portion de lavallée longitudinale qu’occupe la ville de Quito,entre les Cordillières orientales et occidentales, ou,pour m’exprimer plus correctement, entre la Cor-dillière d’Antisana et de Cotopaxi et celle du Pi-chincha et du Chimborazo, est de nouveau diviséeen deux parties, dans le sens de sa longueur dusud au nord, par une chaîne de collines peu éle-vées, celle d’Ichimbio et de Poingazi. A l’est deces collines sont placées les fertiles et charmantesplaines de Puembo et de Chillo; à l’ouest, plusprès du volcan du Pichincha, s’étendent les savanesarides d’Inaquito et de Turabamba. Ces deux val-lées secondaires ne sont pas au même niveau. Danscelle de l’est, où le climat est plus doux, le sol està 8.040 pieds de hauteur; dans celle de l’ouest, oùle climat est plus âpre, le sol s’élève presque à 9.000pieds (d’après mes observations à 1.492 toises,d’après M. Boussingault à 1.496 toises) au-dessusdu niveau de la mer. L’inscription latine que lesastronomes français ont placée dans le collége desjésuites, et qui donne à Quito une longitude beau-|429| coup trop occidentale, donne aussi à cette villeune hauteur trop basse de 270 pieds; j’ai men-tionné plus haut les causes de cette erreur. Si l’onconsidère maintenant que Quito est bâti sur lesflancs rocailleux du Pichincha et entrecoupé pardes fentes très-profondes, ouvertes, et la plupartprivées d’eau, les guaycos, descendant à angledroit de la crête du volcan; si l’on se rappelle quepresque tous les mois, dans cette ville, nous en-tendions sous nos pieds un épouvantable fracas in-térieur (bramido), parfois accompagné de trem-blements de terre, on ne s’étonnera point que dansla partie du plateau de Quito qui est plus voisinedu volcan, dans les plaines d’Inaquito et de Turu-bamba, le sol ait été soulevé par ces mêmes forcesvolcaniques, qui agissent encore aujourd’hui, à uneplus grande hauteur absolue que le sol de Chillodans la partie orientale et plus éloignée de lavallée. La température moyenne de Quito estde 11°,5 R., d’après mes observations de maximaet de minima de la température de l’air, embras-sant à peine quatre mois; elle est de 12°,2 d’aprèsles expériences ingénieuses de M. Boussingault surla température du sol à 12 ou 14 pouces deprofondeur dans un terrain extrêmement sec:différence 0°,7. C’est presque la températuremoyenne de Rome, mais à la hauteur de Quito,presque sous l’équateur même. La distribution dela chaleur dans les différentes parties de l’année,très-constante et uniforme pour les mois, variedans les extrêmes des jours de 4°,8 à 17°,6 R. Ilest extrêmement rare d’y voir de la glace, mêmeen croûtes minces; encore est-ce seulement parl’effet du rayonnement nocturne sous un ciel sansnuages. Les académiciens français dépeignent le|430| climat comme plus doux qu’il ne l’est aujourd’hui.La comparaison avec la vallée circulaire de Cache-mir ne paraît aucunement fondée. D’après lesmesures récentes de M. Victor Jacquement (1) etdu baron de Hügel (2), la ville de Cachemir estplacée de 3.700 pieds plus bas que Quito. Dugrand marché de la ville (Plaza mayor), on aper-çoit dans un voisinage menaçant les flanes escar-pés (faldas) du volcan du Pichincha, sans voircependant la série des sommets que nous devonsbientôt décrire; on aperçoit aussi une colline pelée,qui surpasse en hauteur le pic de Ténériffe et oùLa Condamine avait placé une croix pour servir designal dans la triangulation. La cascade aux refletsargentés de Cantuna, placée à l’ouest de la cruzde Pichincha à une hauteur de 1.728 toises, offreaussi un beau coup d’œil aux habitants de Quito.Le pied seul de la cascade reste caché derrière unrocher saillant.

le pichincha.

J’ai tracé à Quito même, d’après des relève-ments très-complets, un plan topographique duvolcan et de toutes les vallées qui conduisent lelong du versant du sud-est jusqu’à son faîte pro-longé comme un mur ou comme la crête d’unfilon dans son affleurement. Pour servir à l’intel-ligence de cette carte, j’y ai ajouté une vue gé-nérale de l’aspect que présente par un ciel serein,
(1) Correspondance pendant son voyage dans l’Inde,t. II, p. 58, 74.(2) Journal of the Royal Geogn. Soc., t. VI, P. 2,p. 348. Jacquemont donne 5.350, M. de Hügel 5.850 piedsanglais: moyenne 875 toises.
|431| non loin de Chillo, dans la savane de Cacha-pamba, le volcan de Pichincha. Là on peut ensaisir tous les contours à la fois. La carte faitpartie de l’atlas de l’Amérique méridionale, quiaccompagne la relation de mon voyage; la vuepittoresque a paru dans les vues des Cordillières.Outre les mesures barométriques de plusieurssommets ou roches qui forment la crête, j’aipris une mesure trigonométrique de toute lamontagne, dans la plaine de Cachapamba, quiest éloignée du cratère du Rucupichincha de14.211 toises. Comme il m’était impossible defaire, dans les ravins et vallées étroites du volcan,sur son versant même, une triangulation précisequi aurait d’ailleurs exigé plusieurs semaines,je préférai la méthode hypsométrique ou desangles de hauteur, méthode plus courte, dontl’exactitude a été démontrée de la manière la plusévidente par l’application que j’en ai faite à la dé-termination des longitudes de Mexico et de Vera-Cruz, dans un intervalle de 3 degrés de longi-tude. Les angles pris dans la plaine de Cacha-pamba m’ont fait connaître en outre la masseet les dimensions de tout le volcan, comme cellesdes sommets détachés. Sur les coteaux de Poin-gasi où l’on aperçoit à la fois les trois rochersqui entourent le cratère du volcan et le clocherde l’église de la Merced, à Quito, j’ai réussi àtrouver, par une triangulation assez compliquée,la distance du cratère à ce clocher (distance quiintéresse vivement les habitants de la ville à causedes dangers que peuvent offrir les éruptions duPichincha). Plusieurs combinaisons différentesm’ont donné 5.586 toises. A ma grande satisfac-tion, longtemps après que mon plan avait été|432| gravé, j’ai trouvé à Paris la première ébauched’une carte manuscrite provenant de la succes-sion de La Condamine; l’échelle permettaitd’évaluer une différence de 8 à 10 toises. Cettecarte présente, outre la ville de Quito et leclocher de l’église de la Merced, le centre mêmedu cratère du Pichincha. Les autres sommets dela longue crête du volcan n’y sont pas marqués.La distance mesurée graphiquement sur lacarte fut trouvée de 5.520 toises, différence:66 toises ou \( \frac{1}{84} \). Je dois faire remarquer aussi queje n’ai employé des azimuths magnétiques quedans l’opération de Poingasi et pour des pointssecondaires. On y est placé à 1.800 toises de dis-tance du versant du volcan, et j’ai eu soin d’yévaluer la déclinaison magnétique absolue aumoyen d’un déclinatoire de 14 pouces, muni,sclon la méthode de Lambert, d’un gnomon fi-laire. Ces considérations générales sur les moyensemployés à la construction de ma carte, déjà tropétendues peut être, suffiront pour apprécier ledegré de confiance que peut mériter l’évaluationdes principales dimensions d’un volcan qui, danssa direction principale du S.-O. au N.-E., se pré-sente comme une muraille isolée et non inter-rompue. Quant au contour de la montagne, dansla vue pittoresque, je l’ai dessiné en employantscrupuleusement les angles horizontaux et de hau-teur, mesurés plusieurs fois et à différentes heuresdu jour avec le sextant.
La description que La Condamine donne dansla mesure de la méridienne, du volcan du Pi-chincha, est extrêmement vague. Il parle, à lavérité, de plusieurs sommets, mais il n’en nommeque trois au lieu de quatre. Les académiciens|433| français n’ont point mesuré le sommet le plusélevé, situé à l’extrémité sud-ouest du mur, leseul d’où sortent des éruptions. La cime uniquedont il est fait mention dans l’inscription du col-lége des jésuites, et qui y est désignée seulementcomme un cacumen lapideum, est le troisièmesommet en forme de tour, si l’on compte les som-mets du S.-O. au N.-E. Il est difficile de fixerexactement, d’après les hauteurs barométriquesindiquées par La Condamine, et en l’absence detoute tradition, la position qu’occupait la hutteoù les observateurs habitèrent plusieurs semainesde suite, avec une si courageuse persévérance. Onne peut être clair dans la description de la struc-ture de la montagne, qu’en désignant d’une ma-nière précise, les sommets par leurs noms in-diens.Ce qui frappe tout d’abord dans le Pichincha,c’est sa configuration si différente de la forme or-dinaire conique des volcans. Le Pichincha pré-sente le contraste le plus prononcé avec le côneparfait du Cotopaxi, dont les moindres inégalitéssont cachées sous un manteau de neige, et dontles créoles espagnols disent avec raison qu’il estvenu comme fait au tour (hecho al torno). Le Pi-chincha se prolonge en mur allongé, et cette éten-due, considérable pour une hauteur qui est de15.000 pieds à peine, nuit à l’effet majestueux dupaysage aux endroits où l’on peut embrasser d’unseul coup d’œil toute cette arête isolée.Le Pichincha est situé sur le dos de la Cordillièreoccidentale. En embrassant la chaîne dans sonensemble, on peut dire que le Pichincha se trouvedans un même alignement c’est-à-dire dans lamême direction d’axe que les montagnes nei-|434| geuses d’Iliniza, du Corazon et de Cotocachi;il forme une rangée unique avec elles; mais àcause des précipices escarpés qu’oppose la Cor-dillière au rivage de la mer du Sud, on peut direaussi que le Pichincha, considéré à part, cou-ronne la chaîne des Cordillières comme une mu-raille, et que la direction spéciale de cette mu-raille dévie de la direction de la base sur laquelleelle repose (c’est-à-dire de l’axe général des Cor-dillières) de près de 35°. L’axe de la Cordillièreoccidentale de Quito se dirige N. 21° E. entre0° 40′ de latitude australe, et 0° 20′ de latitudeboréale. L’axe particulier du volcan, mené parles points culminants de ses sommets, courtN. 56° E. D’après les aperçus géologiques les plusrépandus de nos jours, la muraille d’origine plusrécente, que nous nommons Pichincha, a étésoulevée le long d’une crevasse qui s’écarte davan-tage du méridien vers l’est que le dos de la Cor-dillière. La grande plaine qui entoure la mon-tagne de l’Antisana, à 12.600 pieds de hauteur,offre aussi le phénomène remarquable de sur-gissements partiels, indépendants de la formegénérale du relief. Le sommet arrondi et neigeuxde la montagne s’élève en forme d’île circulaire aumilieu du plateau d’Antisana; mais à l’ouest, estsorti sur ce même plateau, dans la direction dunord au sud, un mur de rochers noir et étroit;c’est le Chussolongo qui, par sa forme, quoiqueen petit, ressemble au Pichincha. Le dernier està la vérité isolé de toutes parts, cependant il l’estmoins du côté du Corazon et de l’Iliniza oùl’Atacazo s’en approche beaucoup, que vers lenord, près le Cerro de Cuicocha et le Nevado deCotocachi, là où la rivière de Guallabamba se|435| fraye, à travers une large ouverture, un passagedu plateau de Quniche, riche en obsidiennes, àla mer du Sud. Pour la parfaite intelligence de cequi va suivre, je dois encore ajouter que les quatresommets du Pichincha, qui apparaissent dans l é-loignement, partie comme descônes, partie commedes pointes de rocher et des ruines de forteresses, seprésentent dans l’ordre suivant du N.-E. au S.-O.1° Une montagne conique sans nom, près du faîted’Ingapilca, que je nommerai Pic des Condors, àcause du nombre considérable de ces grands vau-tours que l’on y aperçoit, et parce qu’elle terminela profonde crevasse de Cundurguachana, par la-quelle des blocs erratiques sont descendus jusquedans l’Exido de Inaquito, vaste et belle plainecouverte de graminées. 2° Le Guaguapichincha,ce qui signifie l’enfant du vieux volcan. 3° Le Pica-cho de Los Ladrillos, ainsi nommé à cause desfentes parallèles qui divisent le mur du rocher encouches très-minces. Ce Picacho est réuni par unfaîte étroit, à un autre cône qui s’étend plus au sud,celui de Tablahuma. 4° Le Rucupichincha (l’an-cien ou le père), qui contient le cratère. Commeil sort un peu de l’alignement général des autressommets, et se rapproche davantage de la mer duSud, il apparaît, vu de Chillo ou de Poingasi,sous un angle de hauteur un peu moindre que lacime en forme de castel du Guaguapichincha.Les naturels du pays, à la peau cuivrée, indi-vidualisant, pour ainsi dire, dans leur nomencla-ture, chaque cône isolé, nomment volcans deCotopaxi et de Tungurahua les massifs entiers deces montagnes colossales; mais sur le Pichincha,ils ne donnent le nom de el volcan qu’à la seulepartie méridionale, de laquelle, suivant leurs tra-|436| ditions, sortirent des éruptions si fortes dans lesannées 1533, 1539, 1560, 1566, 1577, 1580et 1660, que la ville de Quito fut longtempsplongée, en plein jour, dans la plus profonde ob-scurité, par les pluies de cendres. Lorsque lesindigènes veulent passer pour plus latinisés(muy latinos), c’est-à-dire instruits, ils se serventmême de préférence du mot vulkan pour désignerla dernière et quatrième cime; ils s’en servent plussouvent que du nom de Rucupichincha.Première ascension. Nous fîmes la premièretentative, pour parvenir au cratère du Pichincha,dans une sereine matinée du mois d’avril (1). Notreescorte était plus nombreuse que nous ne l’aurionssouhaité, inconvénient que l’on ne peut éviterdans aucun voyage où la curiosité des habitantsdu pays est excitée par les instruments dont on sesert. Comme on chasse en troupe dans les contréesinférieures du volcan, et que les Indiens apportentaussi à la ville un mélange de grêle et de neigequ’ils prennent vraisemblablement, non pas sur lessommets couverts de neige du cratère, mais dans deprofondes cavités de neige et de glace, tous leshommes de notre escorte, blancs et rouges, sevantaient de connaître parfaitement la contrée.J’avais été à l’Antisana précisément un mois avant,avec M. de Bonpland et le jeune fils du marquisde Salvalègre, Carlos Montufar, qui nous avaitaccompagnés à la rivière des Amazones, à Lima,à Mexico et à Paris, et qui, après son retour d’Eu-rope, trouva la mort dans les glorieux combats pourla liberté de sa patrie. Nous étions arrivés sur l’An-tisana bien au-dessus de la limite des neiges, à
(1) Le 14 avril 1802.
|437| une arête de rochers qui avait plus de 17.000 piedsde hauteur absolue, de sorte qu’il nous paraissaitcomparativement bien facile de parvenir au som-met le plus élevé du Pichincha, qui surpasse leMont-Blanc de 180 pieds à peine. L’expériencenous montra que les profondes vallées en forme decrevasses qui séparent les quatre sommets princi-paux du Pichincha, présentent en beaucoup depoints des obstacles infranchissables.
Nous nous dirigeâmes d’abord de Quito versle N.-O. pour parvenir à la cascade Chorro dela Cantana, en passant à côté du jardin du cou-vent Recolleccion de la Merced. La Recolleccionest située entre deux des guaycos ou crevassesouvertes de 30 à 40 pieds de largeur, dont j’aiparlé plus haut, et qui toutes se rattachent auversant de la montagne. Les deux crevasses serejoignent un peu au nord de l’église de la Mer-ced, où l’on peut les franchir sur un pont. Plusloin, vers la place de Saint-François, les guaycosdeviennent invisibles, parce que des constructionsélevées les cachent sous des voûtes. Quelques-unsde ces guaycos paraissent de larges filons entr’ou-verts de 60 à 80 pieds de profondeur. En beau-coup de points, sur une longueur de 30 à 40 toi-ses, ils ne sont pas ouverts à leur partie supérieure,mais ils ressemblent à des aqueducs ou à des gale-ries souterraines. C’est une croyance populaire àQuito que, si les magnifiques églises et les édi-fices élevés de la ville souffrent si peu des fré-quents tremblements de terre, cela tient à ce queces crevasses ouvertes, importantes sous un autrepoint de vue géognostique, offrent une issue libreaux vapeurs élastiques (à los vapores). Cette théo-rie, adoptée aussi par Ulloa, et liée à l’ancienne|438| croyance des Romains sur l’utilité des puits pen-dant les tremblements de terre, est peu confirméepar l’expérience. Des observateurs attentifs ontremarqué que quelques-uns des quartiers orien-taux de la ville de Quito, près de Santa Barbaraet de San Juan Evangelista, qui ne sont entre-coupés par aucun des guaycos, souffrent moinsque ceux qui en sont plus rapprochés. Les coteauxpeu escarpés (faldas) qui conduisent à la chuted’eau de la Cantuna sont couverts de gazons et degroupes de plantes sociales (Podosaemum de-bile, Gymnotrix et Stipa eminens, Cavan).Quelques calcéolaires fleuris apparaissent isolésdans la savane. La chute d’eau de Cantuna, éle-vée de 1.728 toises au-dessus du niveau de la mer,était alors très-pauvre, et entrevue de la Plazamayor, dans d’autres saisons, elle avait excité da-vantage notre curiosité. Plus loin, nous suivîmesen montant une étroite fondrière par laquellenous parvînmes à une petite plaine entièrementhorizontale (Llano de la Torca ou Llano dePalmascuchu); nous laissâmes à notre droite lacroix de La Condamine, la crux de Pichincha,que l’on voit de très-loin. La hauteur absolue dela plaine de Palmascuchu est de 2.280 toises. Uneplaine entièrement semblable, mais presque demoitié plus petite (au plus de 300 toises de lar-geur), le Llano de Altarcuchu, est située à l’ouest,également très-près de la crête principale de lamontagne.Ces deux plaines, semblables à un àncien fondde lac, terminent les vallées ascendantes, et sontséparées par un contrefort au dessus duquel s’élèvele rocher à formes bizarres de Guaguapichincha.De la première petite plaine de Palmascuchu,|439| située au nord-est, nous eûmes une vue magnifi-que sur l’Antisana, sur la cime appelée le volcand’Ansango, sur le Cotopaxi et le Sinchulahua,appartenant tous à la Cordillière de l’est. Il étaitonze heures du matin, et malgré la hauteur oùnous étions, le thermomètre marquait à l’ombrejusqu’à 11° R. Le Guaguapichincha, vu de laplaine, ressemble à un château fort en ruine. Nouscroyions d’abord que cet aspect était dû à des co-lonnes verticales articulées; mais lorsque nouseûmes gravi jusqu’à cet endroit, nous trouvâmesune roche noire, semblable à du pechstein, etfendue en couches très-minces. Ces couches n’a-vaient souvent que 2 à 3 pouces de puissance;quelques groupes étaient épais de 12 à 14 pouces;tous plongent d’une manière très-régulière de85° au nord. La direction des couches étaithora 6, 4, selon la boussole du mineur alle-mand. Des fentes transversales donnaient dansl’éloignement, à la roche luisante non décomposéeet à couches presque perpendiculaires, quelqueressemblance avec la roche de phonolite ou por-phyre schisteux. Je nommai alors cette roche untrapp-porphyre à base de pechstein. Là où je n’a-vais soupçonné que de l’amphibole, M. de Buchqui examina attentivement à la loupe, bientôtaprès mon retour en Europe, mes collections alorsbeaucoup plus riches, reconnut distinctement descristaux de pyroxène. Il trouva aussi cette mêmesubstance dans les roches volcaniques du Chimbo-razo. D’après les recherches récentes de M. GustaveRose, la base noire de la roche piciforme dont secompose le Guaguapichincha, à 2.378 t. de hau-teur, renferme du labrador outre le pyroxène;mais elle ne contient ni feldspath, ni albite, ni|440| amphibole. L’éclat de la roche n’atteint pas celuidu pechstein proprement dit; seulement la masse,faiblement translucide aux arêtes, est d’une cas-sure inégale. Au chalumeau, M. Rose l’a vue setransformer en un verre blanc, mais difficilementet seulement aux arêtes. Le labrador s’y trouvedans des cristaux accouplés à angles rentrants. Lescristaux sont blancs, fortement translucides, et ontà la cassure un bel état nacré. Ils paraissent seule-ment petits et étroits aux plans de joint à anglesrentrants, longs d’environ deux lignes, et souventdispersés dans la masse. Les cristaux d’augite sontd’un vert noirâtre, ordinairement petits et en petitnombre. Voilà donc aussi au Pichincha comme àl’Etna, une roche doléritique dans laquelle dominele labrador. Les contours du Guaguapichinchasont singulièrement dentelés, ce que l’on remar-que pour beaucoup de roches noires volcaniquesdes Andes. Du côté du sud-ouest, nous vîmes desaiguilles et des dentelures qui, avec 10 poucesd’épaisseur à peine, s’élevaient à une hauteur ver-ticale de 8 à 9 pieds. Le dessin que j’ai fait soi-gneusement du contour du Guaguapichincha (enl’examinant par une lunette grossissant quatre-vingts fois, de la plaine de Chillo à une distance de13.326 t.), montre que le Guaguapichincha estbien le acutum et lapideum cacumen de l’in-scription placée au couvent des jésuites par La Con-damine. Le pic le plus élevé est taillé en forme declocher mais tronqué au sommet.Dans notre ascension par le ravin étroit qui con-duit à la petite plaine de Palmascuchu, au pied duGuaguapichincha, nous avions déjà trouvé à moitiéchemin de la croix qui servit autrefois de signal,environ à 1.800 t. de hauteur, le rocher nu, cou-|441| vert çà et là de pierre ponce. Ces gisements depierre ponce devenaient plus fréquents à mesureque nous montions davantage. Il fut bientôt évi-dent pour nous que, sur le sommet du Guaguapi-chincha, la pierre ponce est plus abondante le longdes pentes ouest et sud-ouest, par conséquent vis-à-vis le cratère de Rucupichincha, que sur le ver-sant opposé. Elle contraste d’une manière remar-quable, par sa couleur blanche, quelquefois jau-nâtre, avec la couleur noire de la roche pyroxé-nique.Les naturels du pays qui nous servaient deguides, nous avouèrent bientôt d’eux-mêmes qu’ilsn’avaient jamais atteint la cime de la montagne:ils ne pouvaient nous donner d’autre conseil pourparvenir au troisième pic, pico de los Ladrillos,le plus rapproché du cratère, que de descendred’abord dans la plaine de Palmascuchu, et ensuitedans les gorges secondaires d’Altarcuchu et deVerdecuchu (marchant au-dessus du rapide contre-fort de Loma-Gorda, qui sépare deux crevasses voi-sines et sensiblement parallèles).Un coup d’œil jeté sur la carte fera concevoir lastructure particulière, mais, à proprement parler,uniforme de la montagne. Beaucoup de vallées sè-ches (véritables crevasses) se détachent de la cimevers le plateau de Quito. Ce sont les gorges deCundurguachana, auxquelles, comme nous le di-rons bientôt, correspond une ouverture près deGuapulo, au pied du Pichincha; la Quebrada, quiconduit à Palmascuchu; enfin la vallée de Verde-cuchu, et la vallée plus large de Juyucha; enfinune cinquième fondrière qui conduit à une plainecouverte de pierres ponces au pied du Rucupichin-cha, dans la vallée de Lloa Chiquito. Les embou-|442| chures de ces vallées sont disposées de telle sorteque les inondations produites par la fonte des neigesà chaque éruption volcanique, sont détournéesde la ville de Quito, et arrivent à Lloa et dans laplaine du Turubamba. D’après les vues de la nou-velle géognosie, on ose attacher quelque impor-tance à ce phénomène des fentes du Pichincha.Leur origine remonte au soulèvement de la mon-tagne qui les a déterminées; elles n’ont point étécreusées par les eaux, mais elles peuvent avoir ren-fermé plus tard des bassins d’eau de neige fondue,partout où ces eaux étaient maintenues par desbarrages naturels. En effet, lorsque nous mon-tions de la petite plaine de Verdecuchu (2.173 toi-ses) à la plaine d’Altarcuchu (2.256 toises), jecrois avoir reconnu distinctement, près du faîtede la montagne, cette disposition d’anciens bas-sins qui se suivent par gradins, et présentent lefond de petits lacs alpins desséchés.Au lieu de nous diriger sur le Picacho de losLadrillos (la montagne des Briques) par la crêteétroite entièrement recouverte de pierres poncesqui joint le Guaguapichincha avec ce sommet, lesIndiens nous firent gravir sur les parois de rocherpresque verticales des bassins environnants del’Altarcuchu, sur la montagne même des La-drillos.La hauteur verticale relative n’est que de900 pieds. Le sommet de la montagne des La-drillos est un cône presque entièrement recouvertde pierres ponces. Cette ascension nous rappelaitle cône de cendres du pic de Ténériffe (Pan deAzucar). Une bande de pierre noire éclatantecomme le pechstein, et divisée en minces couchesverticales, a valu à cette partie du Pichincha le|443| nom de Pico de los Ladrillos. Les naturels lanomment une muraille naturelle. La ressem-blance des strates verticaux, lorsqu’on les voit deloin, avec des colonnes minces de basalte, esttrès-frappante. La zone de roches doléritiques quientoure le cône au-dessous de son sommet estentrecoupée, à sa partie inférieure, par une cou-che orbiculaire de pierre ponce, qui gît là en formed’île, et se détache sur un fond noir. J’ai dessinédeux fois la vue du sommet de los Ladrillos, unefois très-près, à un intervalle de 500 toises, etune autre fois à travers un télescope, en l’exami-nant de Chillo. Ces deux esquisses concordentparfaitement, et la tache de pierre ponce en formed’île m’a souvent empêché de confondre un som-met avec un autre dans la mesure des angles.Nous trouvâmes 2.402 toises pour la hauteur dupic de los Ladrillos. Il y avait assez d’espace sur lacime pour y établir un graphomètre de Ramsdensur son pied, et pour mesurer en outre, au moyend’un sextant, les angles nécessaires au canevas dela carte du volcan et à la détermination de la po-sition relative de ses sommets isolés, comparés augisement des montagnes de neige voisines. Lefroid était sensible (d’environ + 3° R.). Des massesde neige isolées couvraient la pente de la monta-gne. Vers le sud-ouest, nous aperçûmes alorsdans toute sa splendeur, mais séparé par des pré-cipices qui paraissaient inaccessibles, le volcandu Rucupichincha entièrement couvert de neige.Le lieu de l’ouverture du cratère restait encoreinconnu pour nous, car depuis le mois de juin1742, personne n’était parvenu à son bord. Onsavait seulement à cette époque que le cratères’ouvrait vers la mer du Sud.On jouit également de ce côté, du haut du|444| sommet du pic de los Ladrillos, d’une des vuesles plus magnifiques qui se soient jamais offertesà moi dans tous mes voyages de montagnes. Leversant sud-ouest du Pichincha est très-escarpé.Là il est aussi divisé par des gorges parallèles en-tre elles et perpendiculaires à la crête. Nous ap-prîmes, dans une autre excursion, seulement lesnoms de deux de ces ravins, la Quebrada de Ninaurcu, et du plus rapproché du Rucupichincha, laQuebrada de las Minas de Melizaldi. Dans ces so-litudes élevées, au milieu de roches volcaniques,on a aussi fait des fouilles pour chercher tantôt desmines, tantôt des trésors enſouis. L’aspect du sol,à la partie inférieure du versant, présente la vé-gétation forestière de los Jumbos, qui, presqueimpénétrable, s’étend jusqu’au rivage de la mer,et remplit des plaines vastes et brûlantes. Pourdécouvrir quelle est la partie du littoral qui serapproche le plus du volcan, on ne peut avoir re-cours jusqu’à présent qu’aux déterminations deMalaspina, Espinosa et Bauza.L’expédition des navires Descubierta et Atre-vida a longé la côte depuis Guayaquil jusqu’enface du promontoire de Guasacama, à une distancede 15 à 16 milles marins (de 60 au degré). L’er-reur de \( \frac{3}{4} \) de degré en longitude, que mes obser-vations astronomiques ont fait connaître pour laville de Quito, et la position également beaucouptrop orientale que Malaspina et tous les naviga-teurs et géographes postérieurs donnent au portde Guayaquil, ont naturellement une grande in-fluence sur l’évaluation de la distance à laquelle lelittoral de la mer du Sud est le plus rapprochédu volcan. Comme les longitudes chronométri-ques de Malaspina dépendent des différences avecle méridien de Guayaquil, elles avaient besoin|445| d’une correction de 18 minutes en arc; ensuite,en rapportant le volcan de Pichincha à Quito,qui en est voisin, et en donnant à ce dernier pointsa véritable longitude de 81° 4′, il s’ensuit que lacôte de la mer du Sud la plus rapprochée de l’œilest située à une distance de 88 minutes en arc,ou de 22 milles géographiques de 15 au degrééquatorial.Telle est immédiatement à l’ouest du volcan ladistance de l’embouchure du Rio del Palmar,ainsi qu’au nord-ouest; c’est la distance du petit golfede Las Sardinas et San Mateo, près de la rivière desEsmeraldas. Dans la carte de la province de Quitopar La Condamine et Maldonado, à laquelle nousavons donné précédemment des éloges mérités,les côtes sont malheureusement dessinées avec tantd’inexactitude, que la position des côtes les plusvoisines de la rivière des Esmeraldas est erronéede plus de 30 minutes en arc. La courbure de laterre fournit, pour la hauteur du Pichincha, unhorizon visuel de 2° 13′ de rayon, sans réfraction,et d’environ 2° 25′ en supposant des effets de ré-fraction tels qu’on les observe ordinairement sousl’équateur. Il n’est donc pas douteux que l’on nepuisse voir bien au loin dans la mer, du sommetdu volcan. L’horizon de la mer qui s’élève toujours,comme on sait, à la hauteur de l’œil, de tellesorte qu’au Pic de Ténériffe, par exemple, les ob-jets voisins paraissent comme projetés et peints surla surface de la mer, s’étend, pour le volcan de Pi-chincha, encore à 56 minutes en arc, ou à 14 millesgéographiques de distance du littoral de la mer duSud. Les épaisses forêts vierges des Jumbos, et del’ancienne Governacion de las Esmeraldas, sillon-nées par beaucoup de fleuves, versent une pro-digieuse quantité de vapeurs dans l’atmosphère.|446| Ainsi, lorsque nous eûmes atteint la crête de lamontagne, nous trouvâmes vers le sud-est, ducôté du plateau de Quito, un ciel pur et entière-ment dépouillé de nuages (le cyanomètre de Saus-sure marquait 37°), tandis qu’un banc d’épaissesvapeurs s’étendait sur les plaines de l’ouest, recou-vertes d’une riche végétation. Dans cette zone denuages se trouvait une ouverture unique, à traverslaquelle nous aperçûmes une large surface bleuâ-tre. Était-ce une de ces rangées de nuages déliésque j’ai vus répandus le matin sur l’Océan, du hautdu Pic de Ténériffe et de plusieurs sommets desCordillières, et dont la surface supérieure ne pré-sente aucune inégalité, ou bien était-ce la merdu Sud elle-même (comme nos compagnonsl’affirmaient, et comme la couleur semblait l’in-diquer)? Je n’oserais trancher la question. Sil’horizon de mer est placé à une distance de plusde deux degrés, la lumière totale réfléchie parl’eau est trop faible pour que dans le long trajetjusqu’à la cime d’une montagne de 15.000 piedsde hauteur, la plus grande partie n’en soit pasperdue par absorption dans l’atmosphère. Alorsla limite de l’horizon visible, l’air reposant sur uneligne d’eau, on voit, pour ainsi dire, dans le vide,comme si l’on était dans un aérostat, où, d’aprèsl’expérience de M. Gay-Lussac, les ondes sonoresmontent plus haut que la faible lumière terrestreréfléchie par l’horizon.Par la très-basse température de 3°, l’hygromè-tre à baleine de Deluc marquait 32° entre midi etune heure (à une hauteur à peu près égale, et parune latitude de 0° 11′ sud, les astronomes français,dans leur hutte, ont vu le thermomètre de Réau-mur descendre, pendant la nuit, presque jusqu’à5° au-dessous de o.). Une grande sécheresse s’était|447| aussi manifestée peu de temps auparavant, à magrande surprise, lorsque nous étions enveloppésparfois dans un brouillard léger. L’hygromètre nemarqua pas alors au-dessus de 34°. La tensionélectrique de l’atmosphère offrit une observationremarquable: longtemps après que nous n’étionsplus entourés par une couche de vapeurs, l’élec-tromètre de Volta, muni d’un conducteur mé-tallique vissé, d’environ 8 pieds de hauteur au-dessus du rocher, marquait 3 lignes d’électricitépositive. Il était inutile d’armer les pointes avecde l’amadou fumant. Mais lorsque nous entrâmesdans une couche de brouillards, l’électricité de-vint subitement négative, d’environ une ligne, etvaria alors en changeant de l’état négatif au positif,durant le passage du nuage. Ce phénomène rap-pelait, sur une échelle fort petite, ce que l’onobserve pendant l’orage; la vapeur vésiculaireétait sans doute distribuée par couches distinctes.Du pic de Los Ladrillos, sur lequel nous étions,se détache une crête étroite de rochers, entière-ment recouverte de pierre ponce, qui va jusqu’àune cime voisine un peu plus basse et parfaitementconique, le Tablahuma. La crête horizontale estplacée 46 toises plus bas que la montagne des Ladril-los, et 34 toises plus bas que le Tablahuma. Là oùla roche se montre à nu, elle est encore partagéeen strates minces, fortement inclinés, et sembla-bles au phonolite par sa structure. J’avais faitconstruire pour mon voyage, par l’habile méca-nicien Paul, à Genève, outre le cyanomètre deSaussure (instrument bien imparfait), un très-belappareil pour l’évaluation du point d’ébullition surde hautes montagnes. Je ne me servais pas de labouilloire thermoscopique, comme l’ont fait des|448| voyageurs modernes dans l’Asie mineure, dans laPerse et dans la Boukharie, pour évaluer les hau-teurs par une méthode déjà publiée en 1739, parLemonnier (l’erreur d’un degré Fahrenheit, dansl’observation du point d’ébullition, peut donnerlieu à une erreur de 340 pieds dans l’estimationde la hauteur); je préférais observer simultané-ment la hauteur du baromètre, la température del’air et du mercure, et le point d’ébullition de l’eau,aussi souvent que je le pouvais, pour réunir desfaits propres au perfectionnement de la théoriealors encore si incertaine de Deluc, des variationsdu point d’ébullition. L’appareil venait d’être ins-tallé lorsque nous reconnûmes, avec regret, quel’Indien qui portait les matières ordinairement em-ployées à faire du feu, n’avait point encore atteintle sommet. Par un heureux hasard, le soleil semontra avec une lumière éclatante. Nous savionsqu’une plante alpestre laineuse, de la famille descomposées, et qui ne commence à se montrer qu’àune hauteur de 13.500 pieds, le culcitium rufes-cens, décrit pour la première fois dans nos Iconesplantarum œquinoxialium, fournit une espèced’amadou (yesca), matière très-facilement inflam-mable, et toujours sèche. Ce Frailejon du Pichin-cha ne doit pas être confondu avec une plante dela Nouvelle-Grenade, laineuse aussi, et portant lemême nom, mais qui appartient au genre Espele-tia. Nous enlevâmes l’objectif d’une grande lunettede Dollond, et nous enflammâmes au soleil lalaine des feuilles du culcitium, qui se laisse en-lever avec l’épiderme, comme un gant. Le vaserempli d’eau de neige, donna pour le point d’é-bullition 187°,2 Fahrenheit (un peu moins de69° Réaumur). A très-peu de distance de là, le|449| baromètre indiquait 16 pouces 4,64 lignes (an-cienne mesure française), réduction faite à latempérature de o. D’après les calculs de M. Pog-gendorf, mon observation du point d’ébullitionindique, d’après la table psychrométrique deM. Auguste, fondée sur les recherches de M. Gay-Lussac, une hauteur barométrique de 199, 4 lignesde Paris. D’après la table de M. Biot, fondée surles recherches de Dalton, on trouverait environune ligne et demie de plus, ou 200, 92 lignes deParis (les hauteurs du mercure étant toujours ra-menées à la température 0). Une observation im-médiate faite sur l’arête de rocher qui joint lamontagne des Ladrillos avec la cime du Tablahu-ma, me donna avec mon baromètre 196, 64 lignesde Paris (réduction faite à 0°), résultat plus rappro-ché de la table de M. Gay-Lussac et de M. Augusteque de celle de MM. Dalton et Biot; il ne faut pasoublier cependant, que dans ce genre d’observa-tions très-délicates, un degré Fahrenheit corres-pond déjà à 4, 5 lignes de hauteur du baromètre.Si l’on pouvait avoir une pleine confiance à nostables actuelles et aux évaluations de la force élas-tique de la vapeur d’eau au-dessous de 80° Réau.,il résulterait de ces comparaisons, que j’auraistrouvé de quelques fractions de degré trop élevéle point de l’ébullition de l’eau de neige, quoiqueje mé fusse servi d’un vase construit d’après lemodèle de la bouilloire de Saussure, et duquelles vapeurs pouvaient s’échapper très-librement.Le sommet ignivome du Pichincha était encore,comme je l’ai fait observer plus haut, à une dis-tance considérable, séparé de nous par une cre-vasse infranchissable. Comme nous ignorions lechemin, et que nous pouvions compter seulementsur trois heures de jour, il aurait été imprudent|450| de poursuivre notre exploration et de contournerle ravin ou plutôt le grand bassin de la Sienegadel vulcan. Une circonstance fortuite, si peu im-portante qu’elle fût alors, engagea mes compa-gnons à insister pour un prompt retour. J’étaisresté très-longtemps seul, sur le sommet de Ta-blahuma, pour déterminer, avec plus de soin en-core, le point d’ébullition. La fatigue d’une marchede dix heures, à pied, par des chemins escarpés,le froid, et les vapeurs épaisses de charbon quedégageait le brasier sur lequel je me tenais pen-ché (on sait que sous la faible pression atmosphé-rique de 15 à 16 pouces la flamme se divise, ets’élève difficilement), me causèrent des vertigeset une défaillance. Jamais, après de plus grandesfatigues et à des hauteurs plus élevées de quel-ques milliers de pieds, auparavant ni plus tard,je n’ai éprouvé un accident semblable. Les vapeursde charbon avaient assurément produit plus d’effetque la hauteur peu considérable de 2.356 toises.Mes compagnons de voyage qui se trouvaient surla pente occidentale du sommet, s’aperçurent bien-tôt de l’accident: ils accoururent pour me releveret me rendre les forces, en me faisant prendre unpeu de vin. Nous descendîmes lentement par lavallée de Juyucha, jouissant pendant le retour,de l’admirable vue que nous offrit le volcan deCotopaxi éclairé par les rayons de la lune; c’estde toutes les montagnes de neige, sans doute àcause de sa forme parfaite de cône et du manqueabsolu des inégalités de surface, celle qui se mon-tre le plus souvent entièrement libre de nuages.Nous arrivâmes à Quito vers les 7 heures du soir.La composition de la roche du Pichincha est,suivant toute probabilité, peu différente à la par-tie inférieure de ce qu’elle est dans la région plus|451| élevée; mais le mélange est à grains moins fins,et présente un aspect différent. Une carrière (Can-tera) voisine du Panecillo de Javirac (sommetarrondi isolé, au-dessous duquel les Incas avaientessayé de creuser une galerie pour ouvrir un pas-sage à Turubamba), offre beaucoup d’intérêtsous le rapport géognostique. La roche de la Can-tera est désignée sous le nom de grès par le peuple;elle est disposée en couches, d’une couleur ordi-nairement gris-verdâtre, avec des rognons rougeâ-tres, et mélangée çà et là de petites lames de micanoir. Je l’avais nommée, pendant mon voyage,grünstein porphyrique à grains très-fins; mais d’a-près l’examen plus soigneux de M. Rose, c’est éga-lement une roche doléritique criblée d’un grandnombre de pores très-petits. On distingue dans lamasse quelques cristaux blancs de labrador avecdes angles distinctement rentrants, et beaucoupde cristaux de pyroxène d’un vert noirâtre. L’am-phibole n’y paraît pas. A un niveau inférieur àcelui de la Cantera, sous le sol de la ville de Quitomême, auprès de l’église de Saint-Roch, dansune excavation de 15 pieds de profondeur, j’aitrouvé au milieu d’une couche d’argile un bancde pierre ponce de 8 à 10 pouces d’épaisseur.Pour terminer le récit de cette première expé-dition au volcan du Pichincha, je dois encoreparler des nombreux blocs à arêtes très-vives quigisent à l’extrémité nord-ouest de la montagne,dans la belle savane d’Inaquito, célèbre par labataille qui s’y livra en 1516, entre Gonzalve Pi-zarre et le vice-roi Blasco-Nuñez-Vela. Ces blocs,d’une grosseur extraordinaire, nullement arron-dis et non poreux, ressemblent, comme la rochedu Guaguapichincha, à un pechstein noir et lustré.|452| Les habitants nomment le phénomène de cetteaccumulation de blocs, la Reventazon, mot diffi-cile à traduire, et par lequel ils désignent à la foisl’effet d’un ébranlement et d’une éruption volca-nique. Les blocs gisent par rayons, sensiblementalignés, mais toujours accumulés en plus grandnombre au pied même du volcan. Ce lieu s’appelleRumipamba. Je crois que les blocs, peut-être,lors du premier soulèvement de la montagne, ontété rejetés à travers la crevasse des Condors. Il m’aparu très-digne d’attention que, dans la même di-rection de la crevasse, la petite chaîne de collinesqui termine la plaine d’Inaquito ou d’Anaquitoà l’ouest, présente une fente qui porte un nomparticulier (Boca de Nayon). La même cause, ai-jedit dans mon journal, qui à la pente de Pichin-cha a ouvert la vallée étroite de Cundurguachana,aura sans doute aussi produit le Boca de Nayon.C’est comme une pente naturelle qui conduitdans un bassin étroit, dont le fond, d’après unemesure barométrique, est placé à 840 pieds plusbas que la plaine où gisent les blocs erratiques. Lejoli petit village, Guapulo, dont l’église est ornéede colonnes d’ordre dorique, s’élève dans ce bas-sin. Le tout ressemble à une cavité de filon, etl’on peut à peine s’empêcher de craindre, quedans un pays soumis à de si grands et si fréquentsbouleversements, cette cavité ne vienne un jourà se fermer et à ensevelir sous les décombres levillage de Guapulo, ses jardins si riches en arbresfruitiers, et l’église qui renferme une des imagesles plus révérées de la province de Quito.