GEOGNOSIE. Sur les volcans du plateau de Quito. M. de Humboldt a communique, il y a environ un an, a l'Academie de Berlin, un extrait d'une partie encore inedite de son journal. Cet extrait, traduit sous les yeux de l'auteur, a paru dans l'avant-dernier numero des Annales de chimie et de physique. En voici les passages les plus interessants: Si l'on attribue a l'action volcanique, dans le sens le plus etendu de cette expression, tous les phenomenes qui dependent de la reaction de la partie interieure d'une planete demeuree liquide contre la croaute superficielle oxydee et durcie par la deperdition de la chaleur, peu de contrees pourraient presenter des effets varies de cette action sur une echelle aussi etendue que le pays eleve de Quito. Pour apprecier la valeur relative de ces observations, il faut remarquer que les descriptions de ce qui appartient aux montagnes reposent sur deux ordres de faits d'une nature entierement differente: les uns dependent du temps, de l'etat variable de nos connaissances en mineralogie, en physique generale, et de la hauteur a laquelle s'eleve l'esprit de la geognosie; les autres sont invariables, parce qu'ils portent seulement sur des rapports d'etendue en grandeur et en position; et si, par hasard, les revolutions naturelles viennent operer des changements de configuration a la surface du globe, ils sont d'autant plus importants qu'ils fournissent la possibilite d'evaluer numeriquement les resultats du changement opere la ou l'on exige rigoureusement la separation des formations selon les caracteres zoologiques, c'est a-dire en classant, d'apres leur organisation, les etres de chaque epoque antediluvienne, ou bien selon les caracteres oryctognostiques, c'est-a-dire d'apres la nature des roches cristallines d'un terrain, alors l'observation publiee perd de son prix et de son interet scientifique si on la separe du temps et du point de vue sous l'influence desquels elle a ete etablie. Elle peut cependant etre completee et corrigee, en quelque sorte, par l'examen posterieur d'autres observations reunies. Une autre partie des observations ecrites, la partie topographique ou descriptive de l'espace, est, au contraire, independante de l'epoque ou elle a ete recueillie. Elle s'appuie sur l'estimation de l'axe moyen et de tout le relief d'une chaeine de montagnes, sur les positions astronomiques, sur les mesures barometriques et trigonometriques; elle est fondee sur les premiers principes des connaissances mathematiques. Le traite de M. de Humboldt se divise en deux parties: la premiere renferme des considerations generales sur la structure de la chaeine des Andes, sur sa division en deux ou trois rameaux reunis, et, pour ainsi dire, articules par des cretes transversales en noeuds de montagnes, et separes par de hautes vallees. L'auteur montre le parallelisme des differentes Cordillieres entre elles, tout en signalant l'exception remarquable offerte par le chemin qui descend au nord-ouest de la Cordilliere de la Nouvelle-Grenade et de Merida, er qui reunit l'ancienne fente de montagne, sur le littoral de Caracas, a la nouvelle fente de Quito et de Popayan; il recherche l'influence exercee sur le changement brusque de direction de la Cordilliere occidentale, meme plus eloignee, par la sinuosite de la cote de la mer du Sud. Le continent africain, termine lui meme en pyramide, presente une rentree semblable dans le golfe de Biafra, pres de Fernando-Po. Considere-t-on comme un tout la longue chaeine qui s'etend, semblable a une muraille, au nord de la riviere des Amazones, on la verra annoncer regulierement et presque periodiquement le voisinage de volcans actifs par l'apparition subite de certaines especes minerales qui separent les formations jadis nommees primitives, ainsi que les formations des depots de transition, tels que l'ardoise et le gres. Pour rappeler seulement ici la composition mineralogique sous un point de vue restreint, un phenomene aussi facile a observer devait de bonne heure faire naeitre la persuasion que ces montagnes d'espece sporadique etaient le veritable siege des indices volcaniques, et devaient amener d'une maniere quelconque des eruptions de cette nature. Ce qui, a cette epoque, fut decrit dans l'Amerique du Sud comme une espece particuliere de porphyre syenitique et de grunstein porphyrique prive de quartz, prit plus tard la denomination de trachyte, moins expressive peut-etre que celle de domite. L'epoque moderne, qui peut se glorifier d'une transformation totale de la geognosie, a enseigne que ces masses aigues, elevees les unes en forme de cloches sans crateres, les autres tellement ouvertes par les puissances volcaniques, qu'il se forme une communication permanente entre l'interieur de la terre et l'atmosphere, n'offrent pas toujours la meme composition sous differentes zones. Ce sont tantot de veritables trachytes que caracterise le feldspath, comme au pic de Teneriffe et aux Sept-Montagnes, ou un peu d'albite se joint au feldspath; des trachytes feldspathiques qui engendrent souvent de l'obsidienne, et de la pierre ponce en qualite de volcans actifs; tantot ce sont des melaphyres, melanges doleriques de labrador et d'augite, comme a l'Etna et au Stromboli, ou au Chimborazo et au Pichincha; tantot predomine l'albite avec l'amphibole noir, comme dans les roches tout recemment nommees andesites, des volcans du Chili, dans les belles colonnes de Pisoje, au pied du volcan de Puracee, ou au volcan mexicain de Tolucca; tantot, enfin, ce sont des leucitophyres, melanges de leucite et d'augite, comme a la Somma, ce vieux mur du cratere d'elevation du Vesuve. Les rapports mutuels de ces especes minerales et les effets de leur groupement sont un probleme important de la geognosie generale. La seconde partie du traite de M. de Humboldt est consacree a la description geognostique des environs les plus rapproches de la ville de Quito et du volcan du Pichincha, sur la pente duquel la ville est elevee. Beaucoup de fentes ouvertes, la plupart sans eau, embranchees d'une infinite de manieres differentes, nommees guaycos par les Indiens, entrecoupent la ville. Elles sont larges de 30 a 40 pieds; elles ressemblent a des crevasses de filon non remplies, et ont une profondeur de 60 a 80 pieds. Elles sont toutes dirigees a angle droit vers la crete de la montagne, ce qui est important sous le rapport geognostique, et correspond a l'elevation du volcan, qui n'est pas en forme de cone, mais bien d'un dos long de 800 toises. C'est a leur influence que le prejuge populaire attribue le peu de dommage que font eprouver aux habitations elevees et aux eglises magnifiquement voautees de Quito, les tremblements de terre frequents, toujours accompagnes d'un bruit souterrain rapproche. L'experience de ce qui se passe dans les quartiers de la ville qui ne sont pas coupes par ces fentes, temoigne contre la justesse d'une croyance populaire deja mentionnee par les historiens latins. Pour l'explication des trois excursions geognostiques faites par M. de Humboldt sur le Pichincha, on a presente des plans, des vues pittoresques et des profils, fondes sur une operation trigonometrique entreprise dans la plaine de Cochapamba, pres de Chillo. Comme on avait mesure soigneusement, a l'aide d'un barometre, les sommets particuliers et visibles au loin, qui couronnent en forme de tours la chaeine de montagnes, on peut appliquer la methode hypsometrique des angles de hauteur et des lignes horizontales, methode dont l'exactitude relative, quand les azimuths etaient bien fixes, a ete demontree a l'auteur du present traite dans la determination de l'intervalle des meridiens de Mexico et de Vera-Cruz (dont l'eloignement est de trois degres entiers de longitude). La temperature, la tension hygrometrique, l'intensite electrique et le bleu de l'atmosphere furent observes, sur le sommet de la montagne, par un ciel tres-clair. Le point d'ebullition de l'eau de neige fondue se trouve a 187° 2 Fahr. (environ 68°9 Reaum.), sur une crete etroite de roches doleritiques couvertes de pierres ponces, qui reunit le cone de Tablahuma, a la hauteur de 2,356 toises, au pic de Los Ladrillos (montagne d'ardoises.) Du sommet de la montagne du volcan du Pichincha, vers le sud-est, on jouit d'une vue magnifique sur la plaine, couverte d'une foret primitive presque impenetrable et inhabitee (Los Jambos, dans le gouvernement de Las Esmeraldas), ainsi que sur la cote de la mer du Sud. Par une difference de longitude determinee avec precision entre Callao et Guayaquil, on rectifia la carte du littoral levee lors de l'expedition de Malaspina, et l'on trouva ainsi l'intervalle de la partie du littoral visible du point nomme (88' de degre). La hauteur du Pichincha, qui est tres-peu considerable en comparaison des autres volcans de Quito, puisqu'elle ne surpasse que peu celle du Mont-Blanc, et que la grande route de Quito a Cuenza et a Sima atteint presque le meme niveau dans le col de Assuay, donne un horizon dont le demi-diametre, sans refraction, est de 2° 13. Des nuages epais s'elevaient au-dessus de la plaine chaude et couverte d'une riche vegetation des Jambos, qui verse une enorme quantite de vapeurs d'eau dans l'atmosphere. L'on ne put reconnaeitre un horizon de mer bien distinct a la separation de l'air et de l'eau; l'on voyait, pour ainsi dire, dans le vide, parce que la quantite de lumiere reflechie par l'eau est trop peu considerable pour arriver a l'oeil a une distance aussi eloignee apres avoir ete absorbee dans l'atmosphere. Les gorges profondes ou les fentes ouvertes et sans eau qui se dirigent a angle droit vers la crete du Pichincha, rendent l'acces de cette montagne tres-difficile. Les voyageurs (MM. de Humboldt, Aime Bonpland et don Carlos Montufar) trouverent la plus d'obstacles que sur le sommet couvert de neige de l'Antisana, qu'ils avaient gravi peu de temps auparavant a une hauteur de plus de 17,000 pieds. La nuit qui survint, l'ignorance absolue du chemin et des precipices profonds les empecherent, lors de cette premiere excursion, d'arriver jusqu'au quatrieme sommet au sud-ouest, qui porte le nom de Rucu-Pichincha (2,490 toises), qui n'avait point ete mesure par les astronomes francais, et qui vomit des flammes dans les annees 1539, 1566, 1577 et 1660. Le cratere, enferme entre trois rochers, comme une forteresse, ne fut atteint qu'a la seconde excursion. La montagne presente aussi des blocs sur une longue fente dirigee vers N. 56° E., et qu'elle a poussee en dehors peut-etre deja a sa premiere elevation. Ils gisent en file dans la plaine Roumi-Pambo, et vinrent de la vallee la plus au nord-ouest, nommee des Condors (Condor Guachana). A cette vallee repond donc une ligne de collines situees vis-a-vis une autre excavation qui conduit dans le profond bassin du Guapulo.