Extrait d’un mémoire de M. de Humboldt sur les Volcans du plateau de Quito; Lu à l’Académie de Berlin le 9 février 1837. — Traduit de l’allemand sous les yeux de l’auteur par L. Lalanne. Si l’on attribue à l’action volcanique, dans le sens le plus étendu de cette expression, tous les phénomènes qui dépendent de la réaction de la partie intérieure d’une planète demeurée liquide contre la croûte superficielle oxidée et durcie par la déperdition de la chaleur, peu de contrées pourraient présenter des effets variés de cette action sur une échelle aussi étendue que le pays élevé de Quito. Les observations géognostiques communiquées par M. de Humboldt sont extraites d’une partie de son journal encore inédite. Pour apprécier la valeur relative de ces observations, il faut remarquer que les descriptions orographiques reposent sur deux ordres de faits d’une nature entièrement différente: les uns dépendent du temps, de l’état variable de nos connaissances en minéralogie, en physique générale, et de la hauteur à laquelle s’élève l’esprit de la géognosie; les autres sont invariables, parce qu’ils portent seulement sur des rapports d’étendue (en grandeur et en position). Et si par hasard les révolutions naturelles viennent opérer des changemens de configuration à la surface du globe, ils sont d’autant plus importans, qu’ils fournissent la possibilité d’évaluer numériquement les résultats du changement opéré. Là où l’on exige rigoureusement la séparation des formations selon les caractères zoologiques, c’est-à-dire en classant d’après leur organisation les êtres de chaque époque antédiluvienne, ou bien selon les caractères oryctognostiques, c’est-à-dire d’après la nature des roches cristallines d’un terrain, alors l’observation publiée perd de son prix et de son intérêt scientifique, si on la sépare du temps et du point de vue sous l’influence desquels elle a été établie. Elle peut cependant être complétée et corrigée en quelque sorte par l’examen postérieur d’autres observations réunies. Une autre partie des observations écrites, la partie topographique ou descriptive de l’espace, est, au contraire, indépendante de l’époque où elle a été recueillie. Elle s’appuie sur l’estimation de l’axe moyen et de tout le relief d’une chaîne de montagnes, sur les positions astronomiques, sur les mesures barométriques et trigonométriques; elle est fondée sur les premiers principes des connaissances mathématiques. Le traité de M. de Humboldt se divise en deux parties. La première renferme des considérations générales sur la structure de la chaîne des Andes, sur sa division en deux ou trois rameaux réunis, et pour ainsi dire articulés par des crêtes transversales en nœuds de montagnes, et séparés par de hautes vallées. L’auteur montre le parallélisme des différentes Cordillières entre elles, tout en signalant l’exception remarquable offerte par le chemin qui descend au nord-ouest de la Cordillière de la Nouvelle-Grenade et de Merida, et qui réunit l’ancienne fente de montagne, sur le littoral de Caracas, à la nouvelle fente de Quito et de Popayan; il recherche l’influence exercée sur le changement brusque de direction de la Cordillière occidentale, même plus éloignée, par la sinuosité de la côte de la mer du Sud (le continent africain, terminé lui-même en pyramide, présente une rentrée semblable dans le golfe de Biafra près de Fernando- Pô). Considère-t-on comme un tout la longue chaîne qui s’étend, semblable à une muraille, au nord de la rivière des Amazones, on la verra annoncer régulièrement et presque périodiquement le voisinage de volcans actifs par l’apparition subite de certaines espèces minérales qui séparent les formations jadis nommées primitives, ainsi que les formations des dépôts de transition, tels que l’ardoise et le grès. Un phénomène aussi facile à observer devait de bonne heure faire naître la persuasion que ces montagnes d’espèce sporadique étaient le véritable siége des indices volcaniques, et devaient amener d’une manière quelconque des éruptions de cette nature (pour rappeler seulement ici la composition minéralogique sous un point de vue restreint). Ce qui, à cette époque, fut décrit dans l’Amérique du sud comme une espèce particulière de porphyre syénitique et de grunstein porphyrique privé de quartz, prit plus tard la dénomination de trachyte, moins expressive peutêtre que celle plus ancienne de domite. L’époque moderne, qui peut se glorifier d’une transformation totale de la géognosie, a enseigné que ces masses aiguës (élevées tantôt en forme de cloches sans cratère, tantôt tellement ouvertes par les puissances volcaniques, qu’il se forme une communication permanente entre l’intérieur de la terre et l’atmosphère) n’offrent pas toujours la même composition sous différentes zones. Ce sont tantôt de véritables trachytes que caractérise le feldspath, comme au pic de Ténériffe et aux Sept-Montagnes (où un peu d’albite se joint au feldspath), des trachytes feldspathiques qui engendrent souvent de l’obsidienne et de la pierre ponce en qualité de volcans actifs; tantôt ce sont des mélaphyres, mélanges dolériques de labrador et d’augite, comme à l’Etna et au Stromboli, ou au Chimborazo et au Pichincha; tantôt prédomine l’albite avec l’amphibole noir, comme dans les roches tout récemment nommées Andésites, des volcans du Chili, dans les belles colonnes de Pisoje, au pied du volcan de Puracé, ou au volcan mexicain de Tolucca; tantôt enfin ce sont des leucitophyres, mélanges de leucite et d’augite, comme à la Somma, ce vieux mur du cratère d’élévation du Vésuve. Les rapports mutuels de ces espèces minérales et les effets de leurs groupemens sont un problème important de la géognosie générale. Près de Bonn. La seconde partie du traité de M. de Humboldt est consacrée à la description géognostique des environs les plus rapprochés de la ville de Quito et du volcan du Pichincha, sur la pente duquel la ville est élevée. Beaucoup de fentes ouvertes, la plupart sans eau, embranchées d’une infinité de manières différentes, nommées guaycos par les Indiens, entrecoupent la ville. Elles sont larges de 30 à 40 pieds, elles ressemblent à des crevasses de filon non remplies, et ont une profondeur de 60 à 80 pieds. Elles sont toutes dirigées à angle droit vers la crête de la montagne (ce qui est important sous le rapport géognostique, et correspond à l’élévation du volcan, qui n’est pas en forme de cône, mais bien d’un dos long de 800 toises). C’est à leur influence que le préjugé populaire attribue le peu de dommage que font éprouver aux habitations élevées et aux églises magnifiquement voûtées de Quito les tremblemens de terre fréquens, toujours accompagnés d’un bruit souterrain rapproché. L’expérience de ce qui se passe dans les quartiers de la ville qui ne sont pas coupés par ces fentes, témoigne contre la justesse d’une croyance populaire déjà mentionnée par les historiens latins. Pour l’explication des trois excursions géognostiques faites par M. de Humboldt sur le Pichincha, on a présenté des plans, des vues pittoresques et des profils, fondés sur une opération trigonométrique entreprise dans la plaine de Cochapamba près de Chillo. Comme on avait mesuré soigneusement à l’aide du baromètre les sommets particuliers et visibles au loin qui couronnent en forme de tours la chaîne de montagnes, on put appliquer la méthode hypsométrique des angles de hauteur et des lignes horizontales, méthode dont l’exactitude relative, quand les azimuths étaient bien fixés, a été démontrée à l’auteur du présent traité dans la détermination de l’intervalle des méridiens de Mexico et de Vera-Cruz (dont l’éloignement est de trois degrés entiers de longitude). La température, la tension hygrométrique, l’intensité électrique et le bleu de l’atmosphère furent observés, sur le sommet de la montagne, par un ciel très clair. Le point d’ébullition de l’eau de neige fondue se trouve à 187°,2 Fahr. (environ 68°,9 Réaum.), sur une crête étroite de roches doléritiques couverte de pierres ponces, qui réunit le cône de Tablahuma, à la hauteur de 2356 toises, au pic de los Ladrillos (montagne d’ardoises). Du sommet de la montagne du volcan du Pichincha, vers le sud-est, on jouit d’une vue magnifique sur la plaine couverte d’une forêt primitive presque impénétrable et inhabitée (los Jambos, dans le gouvernement de las Esmeraldas), ainsi que sur la côte de la mer du Sud. Par une différence de longitude déterminée avec précision entre Callao et Guayaquil, on rectifia la carte du littoral levée lors de l’expédition de Malaspina, et l’on trouva ainsi l’intervalle de la partie du littoral visible du point nommé (88′ de degré). La hauteur du Pichincha, qui est très peu considérable en comparaison des autres volcans de Quito, puisqu’elle ne surpasse que peu celle du Mont-Blanc, et que la grande route de Quito à Cuenca et à Lima atteint presque le même niveau dans le col de Assuay, donne un horizon dont le demi-diamètre, sans réfraction, est de 2° 13′. Des nuages épais s’élevaient au dessus de la plaine chaude et couverte d’une riche végétation des Jambos, qui verse une énorme quantité de vapeurs d’eau dans l’atmosphère. L’on ne put reconnaître un horizon de mer bien distinct à la séparation de l’air et de l’eau; l’on voyait, pour ainsi dire, dans le vide, parce que la quantité de lumière réfléchie par l’eau est trop peu considérable pour arriver à l’œil à une distance aussi éloignée après avoir été absorbée dans l’atmosphère. Les gorges profondes ou les fentes ouvertes et sans eau qui se dirigent à angle droit vers la crête du Pichincha rendent l’accès de cette montagne très difficile. Les voyageurs (MM. de Humboldt, Aimé Bonpland et don Carlos Montufar) trouvèrent là plus d’obstacles que sur le sommet couvert de neige de l’Antisana, qu’ils avaient gravi peu de temps auparavant à une hauteur de plus de 17,000 pieds. La nuit qui survint, l’ignorance absolue du chemin et des précipices profonds les empêchèrent, lors de cette première excursion, d’arriver jusqu’au quatrième sommet au sud-ouest, qui porte le nom de Rucu-Pichincha (2490 toises), qui n’avait point été mesuré par les astronomes français, et qui vomit des flammes dans les années 1539, 1566, 1577 et 1660. Le cratère, enfermé entre trois rochers, comme une forteresse, ne fut atteint qu’à la seconde excursion. La montagne présente aussi des blocs sur une longue fente dirigée vers N. 56° E., et qu’elle a poussée en dehors peut-être déjà à sa première élévation. Ils gisent en file dans la plaine Roumi Pambo, et vinrent de la vallée la plus au nord-ouest, nommée des Condors (Condor Guachana). A cette vallée répond donc une ligne de collines situées vis-à-vis une autre excavation qui conduit dans le profond bassin du Guapulo.