SUR QUELQUES POINTS IMPORTANS DE LA GÉOGRAPHIE DE LA GUYANE. Par A. de HUMBOLDT. La vaste étendue de terrain comprise entre les trois systèmes de rivières du Rupunury, du Caroni et du Rio Branco, c’est-à-dire, entre les affluens de l’Essequibo, du Bas-Orénoque et de l’Amazone, a heureusement excité de nouveau, depuis six ans, l’intérêt des géographes. Des travaux appuyés sur des positions déterminées astronomiquement, remplaceront peu à peu des combinaisons fondées sur de vagues itinéraires. En 1831, M. William Hillhouse, guidé par un zèle désintéressé, a esquissé le cours du Massarouni. Le capitaine Owen, en remontant en 1833 le Démérari jusqu’au point où près de la grande cataracte le fleuve approche, par les 5° 25′ de latitude N., jusqu’à la distance de quatre milles de l’Essequibo, à l’ouest des Yéya Hills, a offert à la géographie de ces sauvages contrées, par des moyens qui méritent la plus haute confiance, un point de longitude propre à servir de point de départ aux voyageurs qui, pénétrant vers l’ouest et vers le sud-ouest, emploient dans leurs travaux le transport du temps par des chronomètres. A la fin de l’année 1834, le conseil de la société royale de géographie à Londres, a proposé au gouvernement une expédition dont le double but était d’explorer l’intérieur de la Guyane anglaise sous le rapport de la géographie et de la physique générale, et de lier astronomiquement des points bien déterminés dans les possessions britanniques avec la partie la plus orientale du Haut-Orénoque près de la mission de l’Esmeralda et du Cerro-Duida, vers laquelle j’ai pu porter mes instrumens dans le cours d’une navigation de rivières de plus de 480 lieues . Comme il est d’un vif intérêt pour la géographie astronomique de ne pas perdre de vue les bases sur lesquelles se fonde le tracé des cartes de l’Amérique méridionale au nord de l’Amazone, je dois rappeler ici que si par de bonnes observations dont le détail serait publié, on trouvait, en venant de la Guyane anglaise, la longitude du confluent de l’Orénoque et du Casiquiare (près de la mission de l’Esmeralda) peu différente de 68° 37′ à l’occident de Paris, on aurait lié, par-là même, le rocher de la Patience (piedra de la Paciencia), près de l’embouchure du Rio Meta, ayant été rapporté chronométriquement en 1824 à Santa Fe de Bogota ( Oltmanns, Astronom. und hypsometr. Grundlagen der Erdbeschreibung, 1831, t. 1, p. 290), par l’intérieur des terres, Guayaquil, port de l’Océan Pacifique, à la capitale de la Guyane anglaise sur les côtes de l’Atlantique. La différence de longitude de ces deux points est de 21° 46′; car la capitale de la Guyane anglaise (Georges Town, sur la rive droite de l’embouchure du Démérari) est, selon le capitaine Owen, par 60° 31′ 54″ de longitude, et j’ai trouvé pour Guayaquil appuyé sur mes observations au Callao de Lima et sur la nouvelle position assignée à Quito, 82° 18′ 10″. Journal of the royal Geogr. Society, vol. 6, P. II, p. 7 et 10 dans les additions. L’instruction rédigée par le secrétaire de la Société, le capitaine Maconochie, aujourd’hui stationné à la terre de Diémen, porte «que le voyageur, au lieu de parvenir à la mission de l’Esmeralda, en descendant par le Rio Branco, dans le Rio Negro et en remontant par celui-ci dans le Siapa ou Casiquiare (M. Schomburgk a proposé le Padaviri en le confondant avec la Siapa ou Idapa), doit tâcher de descendre l’Orénoque, depuis son origine jusqu’à l’Esmeralda, le but principal de l’expédition étant de lier les positions les plus orientales du travail de M. de Humboldt à celles de l’Essequibo.» Lieues de 20 au degré; c’est la navigation sur l’Apure, l’Orénoque, l’Atabapo, le Temi, le Tuamini, le Rio Negro et le Casiquiare, navigation continue, à l’exception du portage de Javita; cette vaste ligne de positions chronométriquement liées, a été rattachée au système de positions de la Nouvelle-Grenade par le voyage de MM. Boussingault et Roulin sur le Meta, et le transport du temps de Bogota au confluent du Meta et de l’Orénoque. Les grand travaux exécutés, de 1825 à 1836, dans l’expédition de l’Adventure et du Beagle (capitaines King, Stokes et Fitz-Roy), confirment à quatre milles près cette longitude de Guayaquil sur laquelle on avait jeté récemment des doutes. Le tableau du Beagle ( Journal of the Geogr. Soc. L. c. p. 342) donne o h. 32′ 48″ à l’occident de Valparaiso, par conséquent 82° 13′ 40″ à l’occident de Paris, Valparaiso étant trouvé par l’expédition du Beagle 74° 1′ 39″; par les calculs antérieurs de M. Oltmanns 74° 2′ 0″; par M. Lartigue, 74° 3′ 47″. La même expédition anglaise assigne au Callao 5 h. 18′ 15″. Le passage de Mercure sur le disque du soleil (le 9 nov. 1802) m’a donné, par le contact extérieur qui est le plus sûr, 5 h. 18′ 18″, par la moyenne des deux contacts 5 h. 18′ 16″. Du degré de précision qu’atteignent les déterminations que nous venons de comparer dépend la configuration de l’Amérique du sud dans sa largeur, entre Démérari et les côtes de Quito. Ce sont les traits généraux de cette configuration d’un continent qu’il importe de bien fixer. Dans un continent dont les contours seuls ont été fixés par des circumnavigations ou expéditions maritimes, il est d’une grande importance d’appuyer les positions de l’intérieur (systèmes de rivières ou de montagnes) à la fois aux deux côtes opposées. La société géographique de Londres commence à recueillir les fruits des encouragemens qu’elle offre à l’intrépidité des voyageurs. Elle a trouvé dans M. Schomburgk, auquel nous devions déja un travail intéressant sur les îles Vierges, de l’intelligence et de l’ardeur à la fois. Les deux rapports de ce voyageur qu’elle vient de publier, sont d’autant plus intéressans qu’ils offrent en même temps les observations du docteur Hancock sur la végétation du pays. D’autres tentatives non moins dignes d’éloges et encouragées par la société géographique de Paris, ont été faites par la Guyane française; mais à côté de l’avantage d’un point de départ plus méridional, les navigations sur le Haut-Maroni et le Haut-Oyapok ont le désavantage de conduire dans une région dont la longitude est de 4° plus orientale que le méridien du lac Amucu et du Haut-Rupunuri. Les expéditions récentes de M. Leprieur, pharmacien de la marine royale vers l’Arawa (Araoua), les Indiens Emerillau et les nègres marrons du Maroni, ont offert des difficultés insurmontables. Le terrain vers lequel se dirigent actuellement des explorations directes, a été depuis de longues années l’objet de mes recherches. Les nouvelles expéditions sur le Rupunuri vers le Lac Amucu et les sources du Rio Mahu dans la petite cordillère de Pacuraina que M. Hillhouse appelle les montagnes de Saint-George, confirment pleinement les aperçus tirés de l’étude du mythe géographique du Dorado, des itinéraires de Nicolas Hortsmann et de don Antonio Santos et des cartes manuscrites portugaises dues à l’astronome-géographe Pontes et au capitaine des ingénieurs Almeida de Serra. Un simple coup d’œil jeté sur l’intéressante carte de l’expédition de M. Schomburgk et sur ma carte de la république de Colombia, tracée en 1825, et répétée dans l’Atlas de Brué , suffira pour prouver ce que j’avance. Il me paraît avantageux pour le progrès d’explorations qui, par leur nature, ne peuvent être que de courte durée, de fixer l’attention sur quelques points particulièrement douteux, par exemple sur l’ensemble du relief d’un pays que j’ai décrit ailleurs comme un système isolé de montagnes sous le nom de la Sierra Parime. Livre IX, chap 26 de la Relation historique de mon voyage en Amérique (ed. in-4°), t. III, p. 220-228. Quelque rapprochés que soient les affluens de l’Essequibo, du Rio Branco (Rio de Aquas blancas ou Rio Parime du père Caulin) et du Caroni et Paragua, les trois bassins de ces grands fleuves sont entièrement séparés. Ce n’est que la bifurcation de l’Orénoque ou la communication du Casiquiare avec le Rio Negro, et la réunion du Pacimoni avec le Cababuri, au moyen d’un canal naturel de dérivation (le Baria) , qui rendroient possible par un énorme détour de 750 lieues, une navigation continue depuis le Mahu et les sources du Rio Branco jusqu’à l’embouchure du Caroni. Des portages qui traversent des seuils ou arrêtes de partage d’eau (divortia aquarum), des inondations périodiques qui, dans la saison des pluies, unissent des affluens appartenant à différens systèmes hydrauliques, ont fait naître l’idée de plusieurs bifurcations et de liaisons de rivières qui n’ont jamais existé ou qui pour le moins n’existent plus aujourd’hui. Il y a dans tous les versans une tendance à diminuer leurs embranchemens, et à isoler leurs bassins. Ce qui n’était d’abord qu’un bras devient seul récipient; et dans des versans dont les eaux ont peu de vitesse, les bifurcations ou embranchemens entre deux systèmes hydrauliques disparaissent de trois manières, soit parce que le déversoir ou canal communiquant entraîne dans son bassin toute la rivière bifurquée, composée de différens sillons plus ou moins parallèles, soit parce que le canal se bouche par des attérissemens là où il sort du récipient principal, soit enfin parce qu’au milieu de son cours il se forme (comme dans l’Arno Téverin du val de Chiana) un point de partage qui donne une contre-pente à la partie supérieure, et fait refluer les eaux dans une direction opposée. Ce sont les savannes et grandes plaines de l’Amérique méridionale qui offrent surtout ces changemens ou progrès séculaires de développement dans les systèmes de rivières intérieures. Corogr. Brasil. t. II, p. 354. La configuration du terrain que nous venons de signaler, en favorisant des communications en canots ou en pirogues à fond plat à d’immenses distances, a exposé, depuis des siècles, les paisibles habitans du Casiquiare et du Rio Negro aux incursions des peuples de race caraïbe, dont les nombreuses tribus portent différentes dénominations. Ces incursions venant de l’est et du nord-est (de plus de deux cents lieues de distance), avaient pour but à la fois le commerce de quelques marchandises et l’enlèvement des esclaves. La puissante nation des Caraïbes, que par erreur on a cru n’appartenir primitivement qu’aux Petites Antilles, occupait, lors de la découverte de l’Amérique, une grande partie du littoral de la terre ferme (le Cariaï et la Caribana des premiers conquistadores), de même que le terrain oriental entre l’Oyapok, le Cuyuni et le Guarapiche. Elle se rendait redoutable en même temps aux habitans d’Haïti et à ceux des rives du Haut-Orénoque. Depuis que les colons européens ont fait des établissemens stables sur les confins de cette partie basse de la Parime qui (entre les parallèles de 2° et 7°) s’étend de 61° à 65° de longitude, les Espagnols ont réussi à avancer vers le sud par le Caroni et le Paragua qui est un affluent du Caroni; les Hollandais par l’Essequibo et le Cuyuni, vers l’ouest et le sud-ouest; les Portugais par le Rio Branco qui débouche dans le Rio Negro. Cette circonstance offrait naturellement, d’après les lois restrictives du commerce qui règnent même encore aujourd’hui dans les colonies, un grand appât pour la contrebande. Comme les Caraïbes, par leur mobilité et leur longue expérience de voyages sur les rivières, étaient les seuls géographes du pays, les blancs se servaient d’eux pour ouvrir les voies à ce commerce clandestin. D’après les traditions que j’ai pu recueillir à la fin du dernier siècle et d’après les renseignemens que j’ai trouvés dans les archives à Saint-Thomas de la Nouvelle Guyane, vulgairement appelé Angostura, les motifs qu’avaient les gouverneurs espagnols pour essayer de temps en temps à pénétrer dans la Terra Incognita de la Parime, se réduisaient à trois objets. Ils voulaient empêcher l’enlèvement des esclaves et les attaques des missions par les Caraïbes indépendans, connaître avec précision les voies et embranchemens des rivières par lesquels s’introduisait la contrebande, et parvenir à ce riche terrain aurifère du Dorado, qui devait entourer la Laguna Parime devenue si célèbre par la crédulité ou l’astucieuse politique de Ralegh, de Keymis et de Mashan. J’ai prouvé en effet, dans un autre endroit, que c’est l’isthme compris entre les branches du Rio Essequibo (le Dessequebe de Ralegh) et du Rio Branco, c’est-à-dire, entre le Rupunuri, d’un côté, et le Pirara, le Mahu ou l’Uraricuera de l’autre, qu’on doit regarder comme le sol classique du Dorado de la Parime. On nommait d’abord Caribana une province située entre l’embouchure du Rio Sinu et celle de l’Atrato ( Gomara, éd. de 1553, fol. XXX), parce que cette partie occidentale de la Castilla de Oro était un des principaux sites des peuples Caraïbes (Cariba ou Caniba). Il est à espérer que l’intrépide voyageur qui, par un labyrinthe de cascades, est parvenu récemment en naviguant sur le Massarouni, jusqu’à la partie montagneuse où la Table d’Arthur, lui a même paru de cinq à six mille pieds de hauteur, ait pu suppléer au défaut d’observation astronomique par des indications fréquentes de rumbs et de distances. «Nous avons entendu parler, dit un peu vaguement M. Hillhouse, d’expéditions envoyées de Cayenne et de Surinam qui se sont avancées fort loin au sudouest de ces colonies, et suivant un rapport, l’une d’elles au moins serait parvenue à la rivière des Amazones, par quelqu’un de ses affluens septentrionaux. Mais nous sommes encore sans renseignemens sur les sources de l’Essequebo et sur son cours après la jonction du Rippanouni ( Rupunuri ). En consultant l’ Atlas de M. de Humboldt , je fus bientôt convaincu que le Massarouni ( Mazaroni ) devait couler entre le Cujuni et l’Essequebo, et qu’en lui supposant une direction vers le sud-ouest (il faudrait dire vers le sud-sud-ouest), il avait à traverser ce fameux el Dorado ou le grand lac d’or de la fable géographique qui est encore à découvrir.» On voit que le voyageur est resté au nord et au nord-est de la chaîne de montagnes granitiques qui forme un seuil ou le partage d’eau entre le Rio Essequibo et le Rio Blanco (le Branco des Portugais ou Quecuene des indigènes), entre le Rio Paragua (affluent du Caroni) et l’Uraricapara qui passe près de l’ancienne mission espagnole de Santa Rosa. Dans l’esquisse d’un tableau géologique de l’Amérique, au nord de la rivière de l’Amazone, j’ai nommé cette chaîne, d’après les documens inédits que je possède, et qui m’ont servi pour la construction de la carte générale de Colombia (n. 22 de mon atlas), la chaîne des montagnes de Pacaraina. Ralegh, en 1596, l’avait déja connue sous le nom de Wacarima, ce qui prouve combien il y a de vérité géographique au milieu de ses récits confus du Dorado. La chaîne divise le système d’eau boréal du Carony et de son affluent le Paragua du système d’eau méridional du Rio Branco. Elle paraît se diriger, d’après plusieurs combinaisons que j’ai faites, de l’est à l’ouest, entre les parallèles de 4° 4′ et 4° 12′, en réunissant le groupe des montagnes des Guyanes hollandaise et anglaise au groupe exclusivement granitique et syénitique des montagnes de la Parime. C’est une arrête qui s’élargit vers ses deux extrémités, et sépare les savannes et les basses plaines du Carony et du Cuyuni de celles du Rio Branco. Elle forme un des traits les plus caractéristiques de la topographie de ces contrées désertes. Le capitaine Antonio Santos l’a passée en 1778, en se rendant d’un affluent du Rio Paragua, le Nocaprai, au sud de Guirier, à un affluent du Rio Branco, le Curaricara, que les indigènes appellent aussi Uraricapara. Dans les itinéraires de Santos, je trouve le nom de Pacaraymo pour la chaîne qui partage les eaux. Les cartes manuscrites du capitaine de frégate Sylva Pontes Leme et du capitaine des ingénieurs, Almeida de Serra, terminées en 1804, nomment Sierra Pacarahina l’arrête qu’on passe pour arriver de l’Araicuque (affluent de l’Uraricapara) à l’Anocapra, affluent du Paraguamussi. Il faut être très scrupuleux dans la synonymie de ces noms barbares de montagnes et de rivières, car si les cartes de la Guyane, comme a déja dit La Condamine, «fourmillent de détails aussi faux que circonstanciés, la cause en est souvent l’extrême incorrection de la nomenclature et le désir de créer un fleuve pour chaque nom. On a de la peine à reconnaître le Guaicia dans le Xia, et le Rio Guarapo dans le fleuve Europa de Ralegh. Lorsque les géographes, pour chaque nom de ces synonymes, ont inventé et ont donné un fleuve, il se répète pendant des siècles dans les cartes qui sont calquées sur un même type. Un esprit conservateur se plaît à perpétuer les erreurs des temps passés. La carte de la Colombia que j’ai publiée en 1825, et qui a été rédigée par M. Brué, d’après l’ensemble de mes dessins et des matériaux que j’ai fournis à cet habile géographe, offre les fruits de mes recherches. Les parties supérieures du cours du Rio Branco et du Rio Caroni, y paraissent sous un aspect tout nouveau. Occupé à débrouiller le mythe du Dorado, qui a été transporté progressivement de l’ouest à l’est, des sources du Rio Negro (Guainia), du Guape (Uaupès) et du Supura (Caqueta) aux sources de l’Orénoque, j’ai dû mettre une grande importance au cours du Rio Rupunury, ou Rupunuwini (weni ou wini signifient eau, fleuve dans le grand rameau des langues maypure, cabre et guypunare), j’ai dû le faire, d’autant plus que les cartes, dès la fin du 16e siècle, avaient donné le nom de Rupunuwini au lac Parime ou lac Dorado . L’idée d’un terrain aurifère, éminemment riche, placé d’abord en 1535 (d’après les récits de don Luis Daze) dans les montagnes de la Nouvelle-Grenade (Cundirumarca et Cundinamarca), où «un seigneur dont le corps était couvert de poudre d’or , faisait ses ablutions religieuses dans un lac alpin», a été lié depuis l’expédition d’Antonio de Berrio, gendre du grand adelantado Quesada, sur le Casanare, le Meta et l’Orénoque, à l’hypothèse d’un grand lac intérieur, donnant à la fois ses eaux au Rio Essequibo, au Rio Branco et à l’Orénoque. Je crois être parvenu par une connaissance plus exacte des lieux, par une étude longue et laborieuse des auteurs espapagnols qui traitent du Dorado et de la Mer Parime, et surtout par la comparaison d’un grand nombre de cartes anciennes rangées par ordre chronologique, à découvrir la source de ces erreurs. Les fables qui tiennent à de certaines localités, ont généralement quelque fondement réel; celle du Dorado (c’est-à-dire del hombre dorado, du personnage doré), ressemble à ces mythes de l’antiquité qui, voyageant de pays en pays, ont été successivement adaptés à des sites différens. Pour distinguer la vérité de l’erreur, il suffit, le plus souvent dans les sciences, de retracer l’histoire des opinions et de suivre leur développement successif. Les peuples indigènes, pour se défaire plus facilement de leurs hôtes incommodes, dépeignaient sans cesse le Dorado comme facile à atteindre et à une distance peu considérable. C’était comme un fantôme qui semblait fuir devant les Espagnols et qui les appelait sans cesse. Il est de la nature de l’homme errant sur la terre, de se figurer le bonheur audelà de ce qu’il connaît. Le Dorado, semblable à l’Atlas et aux îles Hespérides, est sorti peu à peu du domaine des fictions, pour entrer dans celui de la géographie systématique. Voyez la pl. 14 de mon Atlas géographique portant le titre d’Histoire de la Géographie de l’Orénoque depuis la carte de Jodocus Hondius de 1599 jusqu’à la carte de Buache de 1798. L’origine du mythe du Dorado se trouve exposée dans le livre VII, chap. 24 de la Relation historique de mon voyage (t. II, p. 674-712). C’est ce personnage dont Oviedo, dans une lettre adressée au cardinal Bembo, fait dire à Gonzalo Pizarro, «que, couvert de poudre d’or du pied à la tête, il ressemblait à una figura d’ora lavorata di mano d’un buonissimo artifice, et que le Seigneur doré faisait souvent des ablutions à cause de la gêne due au genre de vêtement auquel il était condamné.» Il me paraît probable que ce rite se rapportait primitivement au chef ecclésiastique de Cundinamarca, qui résidait à Iraca (aujourd’hui Sogamozo), espèce de grand Lama de la secte de Bochica ou d’Ilacanzas. J’ai discuté ailleurs si les ablutions avaient eu lieu dans la Laguna de Tota à l’est de Tunja (l’ancien Huncahua) où résidait le chef séculier de Cundinamarca ou dans le lac sacré de Guatavita, un peu au sud de Bogota. A l’époque où les associations pour les travaux des mines d’Amérique se formaient avec une imprudente ardeur en Angleterre, quelques lignes imprimées dans mes Vues des Cordillères, pl. 67, dans lesquelles est rapporté le fait historique «qu’une brèche avait été tentée au 16e siècle pour dessécher le lac et pour retirer les trésors que, selon la tradition, les indigènes y avaient cachés à l’arrivée de Quesada,» sont devenues à mon plus grand regret et à mon insu, la cause de pertes considérables d’argent. C’est la grande célébrité attachée à un pays aurifère entre le Caqueta (Papamene) et le Guaupe, un des affluens du Rio Negro, qui a fixé la localité du premier Dorado, de celui de l’ouest, du Dorado des Om-aguas et de Manoa. Je vois avec plaisir que les notions que j’ai receuillies à San-Carlos del Rio Negro, relativement à ce terrain montueux et aurifère, ont été récemment confirmées par M. W. Smyth, lieutenant de vaisseau de la marine anglaise. Cet officier a relevé avec une grande précision, conjointement avec M. Lowe, presque tout le cours du Rio Huallaga, une partie de l’Ucayali et l’Amazone, depuis Nanta et Omaguas jusqu’à l’embouchure du Rio Negro. Dans un mémoire lu le 14 décembre 1835, à la Société Royale de Géographie à Londres , M. Smyth assure, d’après un manuscrit du père André Fernandez de Souza, «que les riches ornemens d’or que l’on trouve parmi les Indiens Tarianas, leur arrivent d’une tribu, celle des Panenoa beaucoup plus avancés qu’eux dans la civilisation, et habitant près des sources du Rio Uaupès (Guepe).» Ces lavages d’or, entre l’Uaupès, l’Iguiare et le Yurubeche , sont le théâtre des exploits de Pedro de Ursua et de Philippe de Huten, seigneur Allemand, que les auteurs espagnols on transformé en Felipe de Urre et Utre. Des Indiens de S. Jose de Maravitanos, endroit placé à 12 lieues de distance au sud de San-Carlos du Rio Negro, avaient fait accroire au capitaine poblador Don Apollinario Diaz de la Fuente, qui a visité ces rives du Haut Orénoque, du Casiquiare et du Rio Negro un demi-siècle avant moi, et dont je me suis procuré les journaux de route à Quito, «qu’en naviguant au nord-ouest pendant 15 jours sur le Uaupès, on parvient à une fameuse Laguna de Oro environnée de montagnes et si grande, qu’on ne peut en distinguer la rive opposée. La nation féroce des Guanés ne permet pas de recueillir l’or du terrain sablonneux qui forme les plages du lac.» Le pays souvent inondé entre les sources du Jurubeche et du Rio Marahi, affluent du Caqueta, où la Condamine place un autre lac d’or, qu’il appelle Parahi (c’est à dire le lac eau!), peut avoir donné lieu, par une transposition des localités, au conte absurde de l’immensité du lac de l’Uaupès. Toujours il me paraît certain qu’il existe entre les sources inconnues du Rio Negro et ses affluens le Xié et l’Uaupès (lat. 1°-2° [Formel] bor., long. 71° [Formel] -74°), un petit plateau montagneux qui renferme des couches d’attérissemens aurifères. La civilisation avancera un jour dans ces contrées soit de l’est à l’ouest par les missions brésiliennes ou colombiennes du Rio Negro et de l’Atabapo, également misérables aujourd’hui, soit de l’ouest à l’est par les missions de Caguan et du Guayavero au pied des Cordillères de Cundinamarca. On verra alors, si ces couches de sables aurifères sont dignes d’être traitées par le lavage, et si j’ai bien expliqué la partie géographique du premier Dorado, de celui des Om-aguas, but de toutes les expéditions qui se sont faites depuis 1535 jusqu’en 1560. Dans cette dernière année, Pedro de Ursua prit le titre fastueux de Gobernador del Dorado y de Omagua . Il entendit que son gouvernement in partibus s’étendait sur une province que les indigènes désignaient sous le nom de pays de Caricuri , et ce nom seul dont il ignorait sans doute la signification, prouve les effets des incursions caraïbes dans ces contrées de l’ouest. En tamanaque l’or s’appelle Caricuri, en caraïbe Carucuru, deux langues dont les rapports ont déja été remarqués par le savant continuateur du Mithridate, M. Vater. Cependant curi (cori) est aussi le mot péruvien (quichua) pour le même métal, de sorte que nous trouvons ici une de ces racines importées qui, à l’aide de tribus voyageuses, ont parcouru quatre à cinq cents lieues dans la direction du sud-ouest au nord-est. A la fin du 16e siècle, Antonio de Berrio, l’héritier du grand Adelantado Gonzalo Ximenez de Quesada, passa les Cordillères de la Nouvelle-Grenade (Cundinamarca) à l’est de Tunja et parvint par le Rio Casanare, le Meta et le Bas-Orénoque à l’île de la Trinité. C’est dès-lors que le mythe du Dorado se fixa dans la partie orientale de la Guyane, entre les 62 et 66 degrés de longitude dans la région qui est redevenue tout récemment l’objet d’utiles et pénibles explorations. Les mêmes noms furent attachés à d’autres localités; le mythe géographique fut modifié d’après la configuration d’un pays exposé à de fréquentes inondations au pied de la chaîne de Pacaraina. Comme les sources des grands fleuves ont toujours excité la curiosité des hommes en offrant un vaste champ aux hypothèses les plus hasardées, les questions relatives aux sources de l’Orénoque se sont trouvées étroitement liées à la recherche du Dorado dans la Guyane orientale. Les contes faits par un certain Martinez, répandus par Ralegh et calqués sur l’histoire des aventures de Juan-Martin de Albujar, avaient enflammé l’imagination de Antonio de Berrio, et de son Maese de Campo Domingo de Vera dans l’année 1595. Ce Martinez avait été traîné par les Caraïbes «de ville en ville jusqu’à ce qu’il parvint à Manoa, capitale du Dorado, où il crut voir un parent de l’Inca Atabalipa (Atahualpa) qu’il prétendit avoir déja connu à Caxamarca. Comme Martinez habitait le Haut Caroni qui descend de la chaîne de Pacaraina et qu’il reparut, après une longue absence, parmi les Indiens, à l’île de la Trinité, en sortant par le Rio Essequibo, il a contribué, sans doute, à fixer le lac Manoa sur l’isthme du Rupunuri ou Rupunuwini. Ce lac fut agrandi peu à peu en une mer intérieure (Laguna Parime ou de Roponowini de Jodocus Hondius). Dans l’année où j’écris ces lignes beaucoup de cartes très récentes, conservent encore les traces de cet ancien mythe géographique, comme elles conservent aussi religieusement le mythe d’un grand plateau d’Asie centrale, plateau non interrompu qui doit s’étendre de la chaîne de l’Himalaya à celle de l’Altaï. Les noms de trois nations puissantes, les Om-Aguas ou Dit-Aguas ou Aguas, les Manaos ou Manoas et les Guaypres ou Uaupès, le long des rives du Uaupe ou Guaupe, sont encore connus aujourd’hui dans les bassins de l’Amazone et du Rio Negro. Journal of the royal Geogr. Soc. 1836, vol. 6, P. I, p. 21. Je regrette que le lieutenant Smyth n’ait pas eu connaissance, soit des observations astronomiques que j’ai faites sur les rives du Haut Rio Negro et du Casiquiare, soit de la carte itinéraire de l’Orénoque et de sa bifurcation que j’ai publiée en 1814 ( Atlas, n. 6). Il aurait rectifié, sans doute, par quelques données plus certaines, le sauvage dessin du Casiquiare et des affluens du Rio Negro qui lui a été donné à la Barra et qu’il a fait graver dans son intéressant ouvrage ( Narrative of a journey from Lima to Para, 1836, p. 293). L’assertion du père André Fernando de Souza, relative à la communication du Uaupès (Vaupé) avec l’Auiyari (le Guaviare) n’a aucune probabilité. Voyez mon Atlas, n. 21. C’est plutôt l’Inirida, affluent du Guaviare qui par sa direction se rapproche des sources du Rio Negro. Pour ne pas augmenter la confusion de la nomenclature hydrographique de ces contrées, je dois faire observer ici que le manuscrit du père Souza appelle le Casiquiare Guxiquiari, le Tuamini Tiniuini, l’Atabapo Yatauapu, le Pimichin Yaita, probablement à cause de la proximité de la mission de Savita. Ayant navigué sur les rivières que je viens de nommer, je puis en parler avec quelque assurance. On a souvent agité la question de savoir ce que c’est que ces rivières Jurubeche et Squiare des pères Acuña et Fritz. Je crois les avoir reconnues dans le Hyurubaxi (prononcez Iurubaji avec le kla arabe) et l’Iguiari des cartes manuscrites portugaises tracées au dépôt hydrographique de Rio Janeiro. Le premier se jette dans le Rio Negro près de Sainte-Isabelle, le second se jette dans l’Issana, qui est un affluent du Rio Negro. Voyez ma carte de Colombia, lat. mer. 1° 5′; long. 68° 10. Aussi le père Fritz dans un voyage fait en 1637, a rendu célèbre ce terrain aurifère. J’ai trouvé parmi les collections précieuses de d’Anville, conservées dans les Archives des affaires étrangères à Paris, sous le n. 9545, une carte manuscrite, très curieuse, qui retrace le voyage du père Fritz. Elle porte le titre de Tabula geografica del Marañon, 1690. J’en ai profité pour mes recherches sur l’Histoire de la Géographie de l’Amérique. Fray Pedro Simon. Not. VI, cap. x, p. 348. L. c. p. 422. Le second Dorado, celui de l’est, peut être désigné par le nom de Dorado de la Parime ou de Ralegh, car ce grand homme fit quatre expéditions au Bas-Orénoque, depuis 1595 jusqu’en 1617. Il était certainement déçu lui-même, mais quand il s’agissait d’enflammer l’imagination de la reine Elisabeth et d’exécuter les projets de sa politique ambitieuse, il ne négligeait aucun des artifices de la flatterie la plus recherchée. Il dépeignait à la reine «les transports de ces peuples barbares à la vue de son portrait: il veut que le nom de la vierge auguste qui sait conquérir des empires, parvienne jusqu’aux pays des femmes belliqueuses (Amazones) de la Guyane; il assure qu’à l’époque où les Espagnols ont renversé le trône du Cuzco, on a trouvé une ancienne prophétie, d’après laquelle la dynastie des Incas devra un jour sa restauration à la Grande-Bretagne: il conseille de placer, sous le prétexte de défendre le territoire contre des ennemis extérieurs, des garnisons de trois à quatre mille Anglais dans les villes de l’Inca, en obligeant ce prince, si généreusement protégé, à payer annuellement à la reine Elisabeth, une contribution de 300,000 livres sterling; enfin il ajoute, comme un homme qui prévoit l’avenir, que toutes ces vastes contrées de l’Amérique méridionale appartiendront un jour à la nation anglaise .» Cayley’s Life of Ralegh, t. I, p. 7, 17, 51 et 100. Les parties orientales de la Guyane acquirent une nouvelle célébrité, lorsque séduit par des chefs indiens qui espéraient se venger par le secours des Espagnols de quelque tribu ennemie, le gouverneur don Manuel Centurion, en 1770, fit de nouvelles incursions par le Haut-Cauca. La nation des Majenaos, par l’incorrection de la prononciation, fut alors travestie en Manaos et ce nom, illustré par l’expédition d’Urre et de Jorge de Espira (Georg van Speier), fut retrouvé dans la vallée du Rio Branco. Jusqu’à la moitié du xviii e siècle, tout le vaste terrain compris entre les montagnes de la Guyane française et les forêts de cacaoyers sauvages et de juvia (Bertholletia excelsa) du Haut-Orénoque, entre les sources du Rio Caroni et la rivière des Amazones (de 0° à 4° [Formel] de latitude boréale, et de 57° à 68° de longitude), était si peu connu, que les géographes pouvaient à leur gré y placer des lacs et y créer des communications de rivières. Aujourd’hui le champ des hypothèses se trouve singulièrement rétréci. On a fixé la longitude de l’Esmeralda dans le Haut-Orénoque; à l’est de ce point, au milieu des plaines et des savannes de la Parime, une bande de vingt lieues de large a été parcourue du nord au sud, le long des rives du Caroni et du Rio Branco. C’est le chemin périlleux par lequel ont passé, en 1739, le chirurgien Nicolas Hortsman, natif de Hildesheim; en 1775, l’Espagnol don Antonio Santos, avec son ami, Nicolas Rodriguez; en 1793, le lieutenant-colonel du premier régiment de ligne du Para, don Francisco Jose Rodriguez Barata, et d’après des notes manuscrites que je dois à M. le chevalier de Brito, cidevant ambassadeur de Portugal à Paris, plusieurs colons anglais et hollandais qui sont venus en 1811 de Surinam au Para, par le portage du Rupunuri et par le Rio Branco. Ce chemin divise la Terra incognita de la Parime en deux portions inégales, et il assigne en même temps, ce qui est un point très important pour la géographie de positions de ces contrées, des limites aux sources de l’Orénoque, qu’il n’est plus possible de reculer indéfiniment vers l’est sans faire traverser le lit du Rio Branco, qui coule du nord au sud, par le lit du Haut-Orénoque, dont la direction est de l’est à l’ouest. A cause de la position de Santa Rosa sur l’Uraricapara, dont le cours me paraît suffisamment bien déterminé par des ingénieurs portugais, les sources de l’ Orénoque ne peuvent pas être à l’est du méridien de 65° [Formel] . C’est la limite orientale au-delà de laquelle il est impossible de les reculer, mais en me fondant sur l’état de la rivière dans le Raudal des Guaharibos (au-dessus du Caño Chiguire, dans le pays des Indiens Guaycas, à peau singulièrement blanchâtre, 52′ à l’est du grand Cerro Duida), il me paraît probable que l’Orénoque atteint au plus, dans son cours supérieur, le méridien de 66° [Formel] . Ce point est, selon mes combinaisons, de 4° 12′ plus occidental que le petit lac Amucu, auquel M. Schomburgk est récemment parvenu. Si l’on suit le cours du Rio Branco dans toute sa longueur, à commencer des deux branches qui le forment, l’Uraricuera et le Tacutu , si l’on descend de la chaîne de montagnes de Pacaraina, par l’étroite bande de terrain cultivé (ou plutôt habité) qui dépend de la Capitania général du Grand-Para, on peut diviser les lacs en partie imaginés, en partie agrandis par les géographes, en deux groupes distincts. Le premier de ces groupes embrasse ceux que l’on place entre l’Esmeralda, mission la plus orientale du Haut-Orénoque et le Rio Branco; au second, appartiennent les lacs que l’on suppose dans le terrain entre le Rio Branco et les Guyanes française, hollandaise et anglaise. Cet aperçu, que les voyageurs ne doivent pas perdre de vue, prouve que la question de savoir s’il existe un lac Parime à l’est du Rio Branco, autre que le lac Amucu, qui a été vu par Hortsmann, Santos, le colonel Barata et M. Schomburgk, est tout-à-fait étrangère au problême des sources de l’Orénoque. Comme le nom de mon illustre ami, don Felipe Bauza, ancien directeur du dépôt hydrographique de Madrid, est d’un grand poids en géographie, l’impartialité qui doit diriger toute discussion scientifique, m’engage à rappeler ici que ce savant inclinait un peu à croire à l’existence de lacs situés à l’ouest du Rio Branco, assez près des sources de l’Orénoque. Il m’écrivit de Londres, peu de temps avant sa mort: «Je voudrais vous savoir ici pour que nous puissions discuter ensemble la géographie du Haut-Orénoque qui vous a tant occupé. J’ai été assez heureux de sauver d’une destruction complète les documens qui ont appartenu au général de la marine don Jose Solano, père de celui qui a péri si tristement à Cadix. Ces documens ont rapport à la division des limites entre les Espagnols et les Portugais dont Solano était chargé conjointement avec le chef d’escadre Yturriaga et don Vicente Doz, dès l’année 1754. Dans tous ces plans et croquis du temps, je vois une laguna Parime, figurée tantôt comme source de l’Orénoque, tantôt comme entièrement séparée de ces sources. Doit-on pourtant admettre qu’il y a quelque lac par là à l’est et au nord-est de l’Esmeralda?» Les Brésiliens, par des motifs politiques, ont marqué, depuis le commencement du 19e siècle, un vif intérêt pour les plaines qui s’étendent à l’est du Rio Branco. Voyez un mémoire que j’ai dressé d’après la demande de la cour de Portugal, en 1817, sur les limites de la Guyane française. (Schœll, Archives politiques ou Pièces inédites, t. I, p. 48-58.) Leur jonction est à S. Joacquim do Rio Branco; mais les affluens du Tacutu qui font le Mahu et le Xurumu comme les affluens de l’Uraricuera qui font le Parime, le Mayari et l’Uraricapara, prennent leurs sources immédiatement à la pente méridionale de la petite Cordillère de Pacaraina, de sorte que les eaux du Rio Branco dont le confluent avec le Rio Negro, est d’après l’astronome géographe Pontes Leme par 1° 26′ de latitude méridionale, viennent des 4° de latitude boréale. C’est pour être le botaniste de cette expédition des limites que le célèbre Löffling, disciple de Linné, vint à Cumana. Il mourut après avoir parcouru les missions de Piritu et de Caroni, dès le 22 février 1756, dans la mission de Santa Eulalia de Murucuri, un peu au sud du confluent de l’Orénoque avec le Caroni. Les documens dont parle M. Bauza sont les mêmes que ceux qui ont servi à la grande carte de la Cruz Olmedilla, type primitif de toutes les cartes de l’Amérique méridionale publiées à la fin du dernier siècle en Angleterre, en France et en Allemagne; ils ont aussi servi à deux cartes tracées en 1756, par le père Caulin, historiographe de l’expédition de Solano, et par un compilateur maladroit, M. de Surville, un des archivistes de la secrétairerie d’état à Madrid. La contradiction qu’offrent ces cartes prouve celle qui existait dans les «plans et croquis,» lesquels leur servaient de base. Il y a plus encore: le père Caulin, historiographe de l’expédition, développe avec sagacité les circonstances qui ont donné lieu à la fable du lac Parime, et la carte de Surville, qui accompagne son ouvrage, ne rétablit pas seulement ce même lac sous le nom de Mer Blanche et de Mar Dorado, elle en figure aussi un autre plus petit dont sortent, en partie par des filtrations latérales, l’Orénoque, le Siapa et l’Ocamo. J’ai pu m’assurer sur les lieux du fait très connu dans les missions, que don Jose Solano seul a franchi les cataractes d’Aturès et de Maypure, mais qu’il n’est pas parvenu au-delà du confluent du Guaviare et de l’Orénoque, par les 4° 3′ de latitude et les 70° 31′ de longitude, que les instrumens astronomiques de l’expédition des limites n’ont été portés ni à l’isthme du Pimichin et au Rio Negro, ni au Casiquiare et à l’Alto-Orinoco au-dessus de la bouche de l’Atabapo. Ce vaste pays dans lequel aucune observation précise n’avait été tentée avant mon voyage, ne fut parcouru du temps de Solano que par quelques soldats que l’on envoyait à la découverte, et don Apollinario de la Fuente, dont j’ai tiré les journaux des archives de la province de Quixos, recueillait sans critique dans les récits mensongers des Indiens, tout ce qui pouvait flatter la crédulité du gouverneur Centurion. Aucune personne appartenant à l’expédition n’a vu un lac, et don Apollinario ne put parvenir que jusqu’au Cerro Yumariquin et au Gehette. C’est pour cela que la position de l’équateur, c’est-àdire le point où il traverse le Rio Negro, reste fausse de plus d’un degré. J’ai obtenu de M. Bauza la partie astronomique du manuscrit original de Solano et de Doz qui a été publiée par M. Oltmanns, dans les Mémoires de l’académie de Berlin pour 1830, p. 113. Toutes les observations sont au nord du Raudal d’Atures, on a recalculé les éclipses des satellites de Jupiter, d’après les nouvelles tables de Delambre. Les erreurs de longitude disparaissent alors en grande partie, elles étaient, d’après les résultats auxquels s’arrêtait l’expédition des limites de 1754 à 1757, pour la longitude de Cumana de 2° [Formel] , pour le port d’Espagne à l’île de la Trinité de 1° [Formel] . Les tables de Delambre réduisent ces erreurs pour le premier point à 15′, pour le second à 2′ en arc. Voilà un exemple nouveau et bien frappant de l’utilité que peut tirer la géographie de la publication des observations astronomiques mêmes. Après avoir établi dans toute l’étendue du pays vers lequel on désire appeler le zèle explorateur des voyageurs, une ligne de division formée par le bassin du Rio Branco, il me reste à faire observer que depuis un siècle nos connaissances géographiques ne sont avancées en rien à l’ouest de cette vallée entre les 64 et 68° de longitude. Les tentatives que le gouvernement de la Guyane espagnole a faites progressivement depuis l’expédition d’Iturria et de Solano pour approcher et dépasser la chaîne de montagnes de Pacaraina ont eu peu de succès. En remontant dans les missions des capucins catalans de Barceloneta, placé au confluent du Caroni avec le Rio Paragua, ce dernier fleuve vers le sud jusqu’à sa réunion avec le Paraguamusi, les Espagnols ont fondé au point de cette réunion la mission de Guirion, nommée d’abord fastueusement la Ciudad de Guirion. Je le suppose à peu près par les 4° [Formel] de latitude. De là le gouverneur Centurion, excité à la recherche du Dorado par les récits extravagans de deux chefs indiens, Paranacare et Arimuicaipi de la nation puissante des Ipurucotos, poussa ce que dans le temps on appela des conquêtes spirituelles plus loin, et établit au-delà des montagnes de Pacaraina, les deux villages de Santa Rosa et de San Bauptista de Caudacacla, le premier dans la partie haute et sur la rive orientale de l’Uraricapara, affluent de l’Uraricuera, que dans l’Itinéraire de Rodriguez je trouve appelé Rio Curaricara; l’autre 6 à 7 lieues plus à l’est-sud-est. L’astronome géographe de la commission portugaise des limites, capitaine de frégate, don Antonio Pires de Sylva Pontes Leme, et le capitaine des ingénieurs, don Riccardo Franco d’Almeïda de Serra qui, de 1787 à 1804, ont relevé, avec le plus grand soin, tout le cours du Rio Branco et de ses embranchemens supérieurs, nomment la partie la plus septentrionale de l’Uraricapara la Vallée de l’Inondation. Ils placent la mission espagnole de Santa Rosa par les 3° 46′ de latitude et marquent la route qui conduit de là au nord, en passant la chaîne de montagnes, au Caño Anocapra, affluent du Paraguamusi pour parvenir du bassin du Rio Branco à celui du Caroni. On trouve outre la vallée de la Inundacion dont nous venons de parler, d’autres grandes mares entre le Rio Xurumu et la Parime . L’une de ces criques est un affluent du Tacutu et l’autre de l’Uraricuera. Au pied même des montagnes de Pacaraina, les rivières sont sujettes à de grandes inondations périodiques, et le lac Amucu, dont il sera question plus bas, offre ce même caractère de position à l’entrée des plaines. Les missions espagnoles de Santa Rosa et de San Bauptista de Caudacada ou Cayacaya, fondées dans les années 1770 et 1773, par le gouverneur don Manuel Centurion, ont été détruites avant la fin du dernier siècle, et, depuis cette époque, aucune tentatative nouvelle n’a été faite pour pénétrer depuis le bassin du Caroni, vers la pente méridionale de la chaîne de Pacaraina. Deux cartes de ces officiers portugais renfermant tout le détail de la levée trigonométrique des sinuosités du Rio Branco, de l’Uraricuera, du Tacutu et du Mahu, nous ont été obligeamment communiquées, à M. le colonel Lapie et à moi, par M. le comte de Linhares. Ces précieux documens inédits dont j’ai profité, se trouvent encore entre les mains du savant géographe qui, il y a long-temps, en a fait commencer la gravure à ses frais. Les Portugais appellent tantôt tout le Rio Branco, Rio Parime, tantôt ils restreignent cette dénomination au seul affluent de l’Uraricuera, un peu au-dessous du Caño Mayari et au-dessus de l’ancienne mission de San Antonio. Comme les mots Paragua et Parime signifient à la fois eau, grande eau, lac et mer, il ne faut pas être surpris de les trouver si souvent répétés chez les Omaguas du Haut-Maragnon, chez les Guaranis septentrionaux et chez les Caribes, par conséquent chez les peuples les plus éloignés les uns des autres. Sous toutes les zones, les grands fleuves sont nommés par les riverains, le fleuve, sans autre dénomination particulière. Paragua, une des branches du Caroni, est aussi le nom que donnent les indigènes au Haut Orénoque. Le nom Orinucu est Tamanaque, et Diego de Ordaz l’entendit prononcer la première fois, en 1531, en remontant jusqu’à l’embouchure du Meta. C’est le terrain situé à l’est de la vallée du Rio Branco qui seul a donné lieu, dans ces dernières années, à d’heureuses explorations. M. Hillhouse a remonté le Massarouni jusqu’à la crique de Caranang, d’où un sentier aurait conduit le voyageur, dit-il, en deux jours, jusqu’à la source du Massarouni, et en trois jours, aux affluens du Rio Branco. Quant aux sinuosités de la grande rivière de Massarouni, que M. Hillhouse a décrite, il remarque dans une lettre qu’il a bien voulu m’adresser (en date de Démérary, le 1er janvier 1831), «que le Massarouni tourne depuis ses sources d’abord à l’ouest, puis, pendant un degré de latitude, au nord, puis près de 200 milles (anglais) à l’est, et enfin au nord et nord-nord-est, pour rejoindre l’Essequibo.» Comme M. Hillhouse n’a pas pu atteindre la pente méridionale de la chaîne de Pacaraina, il n’a eu aucune connaissance du lac Amucu: il rapporte même dans son mémoire imprimé que, «d’après les renseignemens qui lui ont été fournis par les Accaouais qui parcourent continuellement le pays situé entre le littoral et la rivière des Amazones, il a acquis la certitude qu’il n’y a point de lac dans tous ces cantons.» Cette assertion avait de quoi me surprendre; elle était en contradiction directe avec les notions que j’avais puisées sur le lac Amucu, duquel sort le Caño Pirara, dans les itinéraires de Hortsmann, de Santos et de Rodriguez, itinéraires qui m’avaient inspiré d’autant plus de confiance qu’ils étaient entièrement conformes aux nouvelles cartes manuscrites portugaises. Enfin, après cinq années d’attente, le voyage de M. Schomburgk est venu dissiper les doutes. «Il est difficile de croire, dit M. Hilhouse dans son intéressant mémoire sur le Massarouni , que la tradition d’un grand lac intérieur n’ait pas quelque fondement. Voici, selon mes conjectures, ce qui a pu donner lieu à l’existence du fabuleux lac de Parime. A une assez grande distance de la chute appelée Teboco, les eaux du Massarouni n’offrent pas plus de courant sensible que les eaux calmes d’un lac. Si à une époque plus ou moins éloignée les couches horizontales de la formation granitique de Teboco ont été parfaitement compactes et sans aucune fissure, les eaux ont dû s’élever à 50 pieds au moins au dessus de leur niveau actuel, et il se sera formé un vaste lac de 10 à 12 milles de largeur, sur 1500 à 2000 milles de longueur . » Ce n’est pas seulement l’étendue de l’inondation supposée qui m’empêche d’admettre cette explication. J’ai vu des plaines (Llanos) où, à l’époque des pluies, les inondations des affluens de l’Orénoque, par l’effet du relèvement des contre-pentes du terrain, couvrent annuellement d’eau une surface de près de 400 lieues carrées. Le dédale d’embranchemens entre l’Apure, l’Arauca, le Capanaparo et le Sinaruco , disparaît alors en entier; la forme des lits de rivières est effacée, et le tout paraît un vaste lac. Mais la localité du mythe du Dorado et de la Parime, appartient historiquement à une toute autre région de la Guyane, elle appartient au sud des monts Pacaraina. Ce sont comme je crois l’avoir prouvé ailleurs (il y a quinze ans), les roches micacées de l’Ucucuamo, le nom du Rio Parime (Rio Branco), les inondations de ses affluens et surtout l’existence du lac Amucu, voisin du Rio Rupunuwini ( Rupunuri ), et communiquant par le Pirara avec le Rio Parime qui ont donné lieu à la fable de la Mer Blanche et du Dorado de la Parime.» Annales des Voyages, 1836, sept. p. 316. Voyez les cartes 17 et 18 de mon Atlas géographique et physique. La librairie Gide a récemment complété cet atlas, dont l’analyse est jointe à l’Examen critique de l’Histoire de la géographie du Nouveau Continent et des progrès de l’astronomie nautique aux XVe et XVIe siècles, ouvrage publié en deux éditions, in-fol. et in-8° . J’ai eu la satisfaction de voir que le voyage de M. Schomburgk a entièrement confirmé ces premiers aperçus. La partie de sa carte qui offre le cours de l’Essequibo et du Rupunuri, est entièrement neuve et d’une haute importance pour la géographie. Elle retrace la chaîne de Pacaraina, par 3° 52′ à 4° de latitude; j’avais indiqué sa direction moyenne de 4° à 4° 10′. La chaîne atteint le confluent de l’Essequibo et du Rupunuri , par les 3° 57′ de latitude, et les 60° 23′ de longitude . J’avais placé ce confluent d’un demi-degré trop au nord. La position du lac Amucu et ses rapports avec le Mahu (Maou) et le Tacutu (Takoto) sont entièrement conformes à ma carte de Colombia, de 1825, et quoique, selon les extraits des manuscrits de M. Schomburgk, dans l’indication des fondemens de sa carte, la mienne ne se trouve pas nommée, la plus légère comparaison prouve que tout ce qui n’a pas été parcouru par ce voyageur, et ce qui est tracé en lignes ponctuées dans la nouvelle carte jusqu’au Rio Xuruma (Zuruma) et à San Joacquim do Rio Branco, est copié de celle de 1825. Nous sommes aussi singulièrement d’accord dans la latitude du lac Amucu. Le voyageur la trouve de 3° 33′, j’avais cru devoir m’arrêter à 3° 35′; mais le Caño Pirara (Pirarara) qui réunit l’Amucu au bassin du Rio Branco, sort au nord et non pas à l’ouest du lac . M. Schomburgk l’appelle, selon la prononciation des Indiens Macousis, Rupunouni. Il donne comme synonymes Rupunouri, Rupunuwini et Opununy, les tribus caribes de ces contrées prononçant très difficilement la lettre r. Toujours réduites au méridien de Paris. Le Sibarana de ma carte que Hortsmann fait naître près d’une belle mine de cristal de roche un peu au nord du Cerro Ucucuamo, est le Siparouni de la carte de M. Schomburgk . Le Waa-Ecouru de celui-ci, est le Tavaricouru du géographe portugais, Pontes Leme: c’est l’affluent du Rupunuri qui se rapproche le plus du lac Amucu. Les notions suivantes que je vais traduire du mémoire de M. Schomburgk, jettent quelque lumière sur l’objet qui nous occupe. «Le lac Amucu, dit ce voyageur, est sans contredit le nucleus du lac Parime et de la (prétendue) mer Blanche. Au mois de décembre et de janvier, lorsque nous le visitâmes, il avait à peine une lieue de long et était à demi couvert de joncs (cette expression se trouve déja sur la carte de d’Anville de 1748). Le Pirara sort du lac, à l’ouest-nord-ouest du village indien de Pirara et tombe dans le Maou ou Mahu. Ce dernier fleuve, selon les renseignemens que j’ai pu recueillir, naît au nord de l’arrête de Pacarina, qui dans la partie orientale n’a que 1,500 pieds d’élevation. Les sources se trouvent dans un plateau où la rivière forme une belle cataracte appelée la Corona. Nous étions sur le point de la visiter, lorsque le troisième jour de cette excursion dans les montagnes, l’indisposition d’un de nos compagnons me força de retourner à la station du lac Amucu. Le Mahu a des eaux noires (couleur de café) et son courant est plus rapide que celui de Rupunuri. Au milieu des montagnes parmi lesquelles il se fraie un passage, il n’a encore que 60 yards de largeur et offre un aspect très pittoresque. Cette vallée et les rives du Buroburo, affluent du Siparouni, sont habitées par les Indiens Macousis. Dans le mois d’avril, les savannes sont inondées et offrent le phénomène particulier que des eaux, dérivées de deux systèmes différens de rivières, se mêlent ensemble. La grande étendue qu’occupe cette inondation temporaire, peut avoir donné lieu à la fable du lac Parima. Pendant le temps des pluies une communication par eau pourraît être établie dans l’intérieur des terres, de l’Essequibo au Rio Branco et au Grand Parà. Quelques groupes d’arbres placés sur des collines de sables, s’élèvent comme des oasis dans les savannes, et paraissent à l’époque des inondations, des ilots épars dans un lac: ce sont là, sans doute, «ces îles Ipomucena de don Antonio Santos.» J’ai trouvé dans les manuscrits de d’Anville, dont les héritiers m’ont obligeamment permis l’examen, que le chirurgien Hortsmann de Hildesheim , qui a décrit ces contrées avec tant de soin, a connu un autre lac alpin qu’il place à deux journées de distance au-dessous du confluent du Mahu avec le Rio Parime (le Tacutu?). C’est un lac à eaux noires, situé sur la cime d’une montagne. Il le distingue très bien du lac Amucu, qu’il dit «couvert de joncs.» Les itinéraires de Hortsmann et de Santos, de même que les cartes manuscrites portugaises du dépôt de la marine à Rio-Janeiro, n’offrent aucune communication permanente entre le Rupunuri et le lac Amucu. Telle est aussi sur les cartes de d’Anville, le tracé des rivières dans la première édition de l’ Amérique méridionale de 1778, supérieure, sous ce rapport, à l’édition plus répandue de 1760. Le voyage de M. Schomburgk confirme cette indépendance du bassin du Rupunuri et de l’Essequibo, mais l’auteur fait remarquer que «pendant la saison des pluies, le Rio Waa-Ecouru, affluent du Rupunuri, communique avec le Caño Pirara. Tel est l’état de ces bassins de rivières peu développées et presque dépourvues de seuils (d’arètes) propres à les séparer. Le Rupunuri et le village d’Annay (lat. 3° 56′, long. 60° 56′), sont reconnus aujourd’hui comme formant dans ces contrées désertes, la limite politique entre les territoires anglais et brésilien. M. Schomburgk, gravement malade, s’est trouvé forcé de séjourner long-temps à Annay; il fonde la position chronométrique du lac Amucu, sur la moyenne des distances lunaires prises (à l’est et à l’ouest) pendant le séjour d’Annay. Les longitudes de ce voyageur sont en général pour ces points de la Parime, près d’un degré plus orientales que les longitudes de ma carte de Colombia . Je suis loin de jeter des doutes sur le résultat des distances lunaires d’Annay; mais, je dois faire observer que le calcul de ces distances devient important, si l’on veut transporter le temps, du lac Amuca à l’Esméralda que j’ai trouvé par les 68° 23′ 19″ de longitude. M. Schomburgk a été surpris de rencontrer les vestiges d’un établissement hollandais sur les rives de l’Essequibo, beaucoup au-dessus de son confluent avec le Rupunuri, par les 3° 50′ de latitude, près de l’Inlet Primoso . Ce poste était jadis fortifié contre les incursions des Caraïbes. Il n’est pas sans intérêt de savoir que don Antonio Santos parle de cette même habitation hollandaise sur le Haut-Essequibo, dans son itinéraire rédigé en 1775. Les établissemens européens étaient alors plus avancés vers le sud et vers l’ouest qu’ils ne le sont aujourd’hui. On trouve indiqués à cette époque trois chemins de terre du bassin du Rio Branco au Demerary, celui du Mahu à travers les montagnes au Benamo, affluent du Cuyuni; celui du Caño Pirara au Tavaricouru (Waa-Ecouru), et le chemin du Sarauru qui tombe dans le Tacutu, au Rupunuri un peu au sud des montagnes de Cumucumu de la côte de Pontes Leme, identiques peut-être avec les montagnes Conocon (Conoconu) de la carte de M. Schomburgk . Journal of the geog. Soc. vol. VI, P. I, p. 263. Voilà donc, par des explorations modernes, cette grande Mer de la Parima, si difficile à faire disparaître sur nos cartes, et à laquelle, lors de mon retour de l’Amérique, on donnait encore quarante lieues de longueur, réduite au lac Amucu de deux à trois lieues de circonférence. Des illusions entretenues pendant près de deux siècles (une dernière expédition espagnole, faite en 1775, pour la recherche du Dorado, a coûté la vie à plusieurs centaines d’hommes), ont fini par porter quelque fruit à la géographie. En 1512, des milliers de soldats ont péri dans l’expédition qu’entreprit Ponce de Leon, pour découvrir la fontaine de jouvence d’une petite île Bahama, qu’on appelle Bimini, et qu’on trouve à peine sur nos cartes. Cette expédition conduisit à la conquête de la Floride, et à la connaissance du grand courant pélagique, le Gulf-Stream, qui débouche par le canal de Bahama. La soif des richesses et le désir de rajeunir, le Dorado et une fontaine de jouvence, ont excité presque simultanément les passions populaires. Telle est l’importance que depuis l’antiquité les peuples ont mise aux sources des rivières et aux rivières qui sortent d’un lac que déja, pendant mon court séjour au fortin de San Carlos del Rio Negro, un habitant de Barcelos, homme de couleur, me désignait «un petit lac duquel sort le Rio Tacucu ( Tacutu ) en formant, avec une autre rivière (l’Uraricuera), le Rio Branco.» Il confondait seulement le Tacutu avec le Mahu; et regardait le Pirara comme le commencement du Mahu. Dans la séance de la société des Antiquaires, à Londres, on a lu, le 17 novembre 1836, un mémoire de M. Schomburgk sur les traditions religieuses des Indiens Macousis qui habitent le Haut-Mahu et une partie des montagnes de Pacaraina, nation qui par conséquent depuis un siècle (depuis le voyage de l’aventureux Hortsmann), n’a pas changé de site. «Les Macusis, dit M. Schomburgk, croient que le seul homme qui ait survécu à une inondation générale, a repeuplé la terre en transformant les pierres en hommes.» Si ce mythe, fruit de l’imagination mobile des peuples, rappelle Deucalion et Pyrrha, il se présente sous une forme un peu différente chez les Tamanaques de l’Orénoque. Lorsqu’on leur demande comment le genre humain a survécu à ce grand cataclysme, qui est l’âge de l’eau des Mexicains, ils répondent sans hésiter «qu’un homme et une femme se sont sauvés à la cime de la haute montagne de Tamanacu, située sur les rives de l’Asiveru, et que, jetant derrière eux, au-dessus de leurs têtes, les fruits du palmier Mauritia, ils virent naître des noyaux de ces fruits, des hommes et des femmes qui repeuplèrent la terre.» A quelques lieues de l’Encaramada, s’élève, au milieu de la savanne, un rocher appelé Tepu-Mereme, c’est-à-dire la roche peinte; il offre des figures d’animaux et des traits symboliques semblables à ceux que nous avons vus à peu de distance au-dessous de l’Encaramada, près de Caycara (latitude 7° 5′ à 7° 40′; longitude 68° 50′ à 69° 45′). Ces mêmes roches sculptées se trouvent entre le Cassiquiare et l’Atabapo (latitude 2° 5′ à 3° 20′; longitude 69° 70′), et ce qui doit frapper le plus, 140 lieues vers l’est, dans la solitude de cette même Parime, qui est l’objet de ce mémoire. J’ai constaté le dernier fait dans le journal du chirurgien Nicolas Hortsmann (de Hildesheim), dont j’ai eu sous les yeux une copie de la main du célèbre d’Anville. Ce voyageur simple et modeste écrivait jour par jour, sur les lieux, ce qui lui paraissait digne de remarque. Il mérite d’autant plus de confiance que, mécontent d’avoir manqué le but de ses recherches, le lac Dorado, les pépites d’or et une mine de diamans qui ne lui offrait que du cristal de roche très limpide, il regarde avec une espèce de dédain tout ce qu’il rencontre sur sa route. En remontant le Rupunuri, là où le fleuve rempli de petites cascades, serpente entre les montagnes de Macarana, il trouve le 16 avril 1749, avant d’arriver dans les environs du lac Amucu, «des rochers couverts de figures, ou comme il dit en portugais: de varias letras.» On nous a aussi montré près du rocher de Culimacari, sur les bords du Casiquiare, des traits qu’on disait être des caractères alignés; ce n’étaient cependant que des figures informes, représentant des corps célestes, des crocodiles, des serpens boas et des instrumens servant à la fabrication de la farine de manioc. Je n’ai point reconnu dans ces roches peintes (piedras pintadas) un arrangement symétrique, ou des caractères régulièrement espacés. Le mot de letras, dans le journal du chirurgien allemand, ne doit donc pas, ce me semble, être pris dans le sens le plus stricte. M. Schomburgk n’a pas été assez heureux pour retrouver ces roches sculptées, vues par Hortsmann, mais il en a décrit d’autres sur la rive de l’Essequibo à la cascade de Warapouta. «Cette cascade, dit-il, n’est pas seulement célèbre à cause de sa hauteur, elle l’est aussi à cause du grand nombre de figures taillées dans la pierre, et semblables à celles que j’ai vues à St.-John, une des îles Vierges et que je ne doute pas être l’ouvrages des Caraïbes, qui jadis ont peuplé cette partie des Antilles. Je fis l’impossible pour briser une de ces roches, qui porte des inscriptions, voulant l’emporter avec moi, mais la pierre était trop dure, et la fièvre m’avait ôté les forces. Ni menaces, ni promesses ne pouvaient engager les Indiens à donner un seul coup de marteau contre ces masses pierreuses, vénérables monumens de l’intelligence et de la supériorité de leurs ancêtres. Ils les croient l’ouvrage du Grand Esprit, et les différentes tribus que nous avons rencontrées, les connaissaient malgré l’éloignement des lieux. La terreur était peinte sur la figure de mes compagnons indiens. Ils semblaient attendre que le feu du ciel tombât sur ma tête. Voyant que je ne pouvais venir à bout de casser une de ces roches sculptées, il fallut me contenter d’en faire un dessin complet.» Ce dernier parti était sans doute le plus sage, et l’éditeur du Journal anglais ajoute, à ma grande satisfaction, dans une note: «Il est à espérer que d’autres ne réussiront pas plus que M. Schomburgk, et qu’aucun voyageur, appartenant à une nation civilisée, ne mettra la main à la destruction de ces monumens of the untutored Indian.» Malgré l’étendue des incursions des peuples caraïbes et de l’ancienne puissance de cette belle race d’hommes, je ne puis croire que toute cette vaste zone de roches sculptées que je viens d’indiquer et qui traverse une grande portion de l’Amérique méridionale de l’ouest à l’est soit l’ouvrage des Caraïbes. Ce sont des traces d’une ancienne civilisation appartenant peut-être à une époque où les races que nous distinguons aujourd’hui étaient inconnues de nom et de filiation. Le respect même que partout l’on porte à ces sculptures grossières des ancêtres prouve que les Indiens d’aujourd’hui n’ont aucune idée de l’exécution de semblables ouvrages. Il y a plus encore. Entre l’Encaramada et Caycara, sur les rives de l’Orénoque, ces figures hiéroglyphiques sont souvent placées à de grandes hauteurs sur des murs de rochers qui ne seraient aujourd’hui accessibles qu’en construisant des échafaudages extrêmement élevés. Lorsqu’on demande aux indigènes comment ces figures ont pu être sculptées, ils répondent en souriant, comme rapportant un fait qu’un homme blanc seul peut ignorer, «que ce fut jadis aux jours des grandes eaux que leurs pères naviguaient en canot à cette hauteur.» C’est un rêve géologique adapté à la solution d’un problême de civilisation très ancienne. Tableaux de la nature, t. I, p. 240, 2e éd., 1828, chez Gide.