Infusoires fossiles. (L’article suivant, extrait d’une lettre de M. de Humboldt à M. Arago, est l’analyse d’un mémoire que M. Ehrenberg a lu le 27 juin dernier, devant l’Académie de Berlin. Cette analyse, traduite de l’allemand, est de l’auteur même du travail.) «Un observateur zélé, M. Chrétien Fischer, propriétaire de la manufacture de porcelaine de Pirhen-Lammer près de Carlsbad, avait découvert qu’un dépôt siliceux renfermé dans les tourbières de Franzensbad en Bohème, est composé presque en entier de carapaces de quelques espèces de navicula. Il croyait que ce dépôt était dû à l’effet des feux souterrains sur le fond ancien de la mer. Ayant envoyé à M. Ehrenberg un fragment de kieselguhr (dépôt siliceux), de 2 pouces de long et de 1 pouce de haut, pour déterminer les espèces animales dont il présente les carapaces, ce naturaliste ne confirma pas seulement l’observation curieuse de M. Fischer, mais il reconnut, de plus, que des bacillaires étaient mêlées aux navicules et que les carapaces siliceuses, transparentes et striées, appartenaient au navicula viridis, qui est très commun dans les eaux douces des environs de Berlin. Le feu souterrain a sans doute agi sur ces animalcules, et détruit toute matière organique. Le dépôt s’est formé, non au fond de l’Océan, mais dans des lacs ou des sources. Déjà, en 1834, M. Ehrenberg avait communiqué à l’Académie l’observation importante de M. Kützing, d’après laquelle la carapace qui cache la partie molle du corps des bacillaires est de la silice pure. M. Henri Rose avait, conjointement avec M. Ehrenberg, constaté l’existence de la silice dans plusieurs espèces vivantes. Le cabinet de minéralogie confié à la direction de M. Weiss, renferme les masses siliceuses de Santa-Fiore en Toscane, et de l’Ile de France, que Klaproth a analysées. Les échantillons proviennent de la collection des minéraux de ce célèbre chimiste. M. Ehrenberg a reconnu (sous le microscope de Pistor et Schieg) que ces échantillons sont entièrement composés de carapaces d’infusoires de la famille des bacillaroïdes et de quelques brins siliceux d’éponges (spongia), les unes d’eau douce, les autres d’eau de mer. Ces espèces fossiles ont presque toutes encore leurs analogues dans le monde actuel. Des navicules étaient aussi reconnaissables dans des masses de tourbes de Franzensbad, provenant des mêmes tourbières dans lesquelles M. Fischer avait découvert les dépôts siliceux à anciennes carapaces d’infusoires. Depuis plusieurs années, M. Ehrenberg avait remarqué que la matière jaune mucilagineuse qui couvre quelquefois nos ruisseaux et nos eaux stagnantes, et que l’on a pris par erreur pour du fer oxidé, offre les carapaces siliceuses d’un gaillonella, qui dans l’ouvrage qui va paraître (Table X) est figuré sous le nom de gaillonella ferruginea. Ces carapaces sont en effet ferrugineuses et rougissent au feu; il est assez probable que ce même gaillonella a joué un rôle dans l’origine du fer limoneux terreux (rosen-eisenstein), dans lequel M. Ehrenberg a reconnu des fils articulés, transparents et siliceux. Le même savant a déterminé plus de 40 espèces des genres navicula, gomphonema, gaillonella, synedra, bacillaria et spongia, dans les substances minérales soumises à l’analyse microscopique. La majeure partie des infusoires fossiles se trouvent à l’état vivant, soit dans les eaux douces près de Berlin, soit dans les eaux salées de la Baltique près de Weimar. Beaucoup d’espèces sont si bien conservées qu’on peut en reconnaître l’organisation avec la plus grande certitude. On reconnaît les stries et les 6 ouvertures de la carapace (Panzer) du navicula viridis, les 4 ouvertures du gaillonella, les 2 du gomphonema. Il est possible que les espèces dont les analogues nous sont inconnus dans la création actuelle soient découvertes un jour. M. Ehrenberg remarque, en finissant, que dans les eaux stagnantes actuelles que l’on examine, on trouve réunies et mêlées un grand nombre d’espèces vivantes diverses, entourant des végétaux dont elles tirent leur nourriture, tandis que parmi les infusoires fossiles, il y a une prédominance absolue de certaines espèces. Le dépôt siliceux de Franzensbad en Bohème, est caractérisé par le navicula viridis; le dépôt siliceux de l’Ile de France, par le bacillaria vulgaris; celui de Santa-Fiore (Bergmehl) par le synedra capitata. La couche minérale de l’Ile de France abonde en espèces océaniques.