CHRONOLOGIE des plus anciennes cartes d’amérique. (Extrait d’une lettre adressée à M. Jomard par le baron Alexandre de Humboldt.) Paris, 24 décembre 1835. ..... Le feuillet ci-joint donne de la netteté à la série des faits que j’ai éclaircis par de longues et pénibles recherches. C’est un homme obscur, qui allait manger du raisin en Lorraine, qui a inventé le nom d’ Amérique, qu’Appien, Vadianus et Camers ont répandu depuis, par Strasbourg, Fribourg et Vienne. L’immense célébrité du petit ouvrage d’Appien a propagé le mal, par d’innombrables éditions, en Hollande et ailleurs.... Paris, 15 décembre 1835. Alex. de Humboldt. NOTE. 1500. La plus ancienne carte dessinée de l’Amérique que l’on connaissait jusqu’ici était celle de 1527, de la bibliothèque d’Ebner de Nuremberg, aujourd’hui à la bibliothèque militaire de Weimar. Elle est de deux ans antérieure à la carte de Diego-Ribero, gravée par Gussefeld, et aujourd’hui également conservée à la bibliothèque militaire de Weimar (j’ai comparé les deux cartes, qu’on a souvent confondues, dans l’ Examen critique, p. 182). La mappemonde de la collection de M. le baron Walckenaer, reconnue pendant le choléra, en 1832, est dessinée à Puerto Santa-Maria, en 1500, par Juan de la Cosa, compagnon du second voyage de Colomb, compagnon d’Ojeda et de Vespuce dans l’expédition de 1499 (voyez la chronologie des découvertes dans l’ Examen critique, p. 101). C’est ce Juan de la Cosa, dont, selon le témoignage de Bernardo de Sbarra dans le procès du fiscal contre don Diego Colon, l’amiral se plaignait, puisque Cosa «hombre habil andaba diciendo que sabia mas que el.» 1507. Martinus Ylacomylus, professeur à Fribourg, qui, dans le temps des vendanges, va en Lorraine dont le duc, grand protecteur des études géographiques, était lié avec Vespuce, propose, le premier, dans une petite cosmographie ( Cosmographiæ introductio: insuper quatuor Americi Vespucii navigationes. Imp. in urbe Deodati 1507), le nom d’ Amérique. Avant Navarrete et Washington Irving, ce livre a été cité par Canovai et le chevalier Napione ( Primo scopritore, p. 39 et 111); mais aucun de ces auteurs n’a connu la personne d’Ylacomylus et ses rapports avec Vespuce par la Lorraine. Navarrete prend même Saint-Diez en Lorraine pour une ville en Hongrie, pour Tata. Les plus anciennes éditions de la Margaritha philosophica de 1503, 1504, 1508 et 1512, et une lettre d’Ylacomylus à Philesius Vosigena (Ringmann, professeur à Bâle, traducteur d’un Jules-César), répandent du jour sur Ylacomylus, qui confondait Colomb et Vespuce comme le public confond souvent les capitaines Ross et Parry, ne connaissant qu’un seul de ces navigateurs. Je crois qu’Ylacomylus est le géographe Wald-Seemuller, auteur d’une carte marine allemande. La date de 1507 prouve seule déjà combien est injuste l’inculpation si souvent repétée contre Vespuce d’avoir placé son nom sur des cartes du nouveau continent, comme piloto major du roi d’Espagne : Vespuce n’a eu cette charge que depuis le 22 mai 1508. 1508. En 1508 paraît dans l’édition de Ptolémée la première carte gravée du nouveau continent, mais sans nom d’ Amérique, par Jean Ruysch, comme l’a fait voir M. Walckenaer dans la Biographie universelle, tome vi, p. 207, et Recherches géographiques sur l’intérieur de l’Afrique septentrionale, p. 186. 1509. En 1509, je trouve le nom d’ Amérique (proposé par Ylacomylus en 1507) déjà en usage comme une dénomination très connue, dans un ouvrage cosmographique anonyme, qui porte le titre de Globus mundi declarati sive descriptio mundi et totius orbis, impress. Argent. 1509; c’est trois ans avant la mort de Vespuce. L’ouvrage a été faussement attribué par Panzer à Henricus Loritus Glareanus, né en 1488, auteur de Geographiæ liber, Basil. 1527. 1512. L’Amérique est aussi nommée, dans la lettre à Rodolphe Agricola, datée de Vienne 1512, par Joachim Vadianus, dans le commentaire de ce savant sur Mela ( Pomponius Mela, de orbis situ, cum commentariis Joachimi Vadiani ), adjecta est epistola Vadiani, ab eo pene adolescente, ad Rod. Agricolam juniorem scripta. Tout le livre est de 1522; mais la lettre qui renferme le passage d’Amérique devenu célèbre récemment, est de 1512. Cancellieri a faussement cru que c’est Vadianus qui a prononcé le premier le nom de l’Amérique. 1520. La première carte gravée du Nouveau-Monde avec le nom d’Amérique n’est pas celle de Ptolémée de 1522, mais une mappemonde de Petrus Appianus de 1520, annexée une fois à l’édition de Camers de Solin polyh. (Viennæ austr. 1520), une seconde fois à l’édition de Vadianus de Mela, 1522. Cette carte, avec le nom d’ Amérique, offre sur la planche la date de 1520; l’isthme de Panama s’y trouve percé par un détroit, ce qui est d’autant plus remarquable que cette erreur des cartes chinoises récentes est déjà consignée sur un globe de Jean Schoner, qui est comme la carte d’Appien de 1520 (voy. mon Examen critique, p. 125). De plus, cette carte d’Appien, tout en offrant le mot d’ Amérique, ajoute dans cette même partie méridionale «qu’elle a été découverte en 1497 par Colomb» (c’est l’année de la prétendue découverte de Vespuce ajoutée au nom de Colomb!), tandis que dans le Cosmographicus liber Petri Appiani, studiose correctus per Gemmam Phrysium (Antverpiæ 1529), on lit: «Quarta pars mundi ab Americo Vespuccio ejusdem inventore nomen sortitur. Inventa est anno 1497». Éternelle confusion des deux noms, qui a pris naissance entre la Lorraine, l’Alsace, Fribourg et Vienne. 1522. C’est sans doute parmi les éditions de Ptolémée, la première (celle de 1522), qui offre le nom d’ Amérique, comme l’ont fait voir le chevalier Napione ( Primo scopritore, 1809, p. 88) et M. Walckenaer (1, p. 352); mais cette carte avec le nom d’ Amérique est de deux ans postérieure à la carte gravée dans le Solin de Camers et le Mela de Vadianus. Al. Humboldt.