Recherches sur les Systemes de montagnes et les Volcans de l'interieur de l' Asie. Par M. Alexandre de Humboldt. (Extrait.) Les phenomenes volcaniques n'appartiennent pas, dans l'etat actuel de nos connaissances, a la geognosie seule: consideres dans l'ensemble de leurs rapports, ils sont un des objets les plus importans de la physique du globe. Les volcans enflammes paraissent l'effet d'une communication permanente entre l'interieur de la terre en fusion et l'atmosphere qui enveloppe la croaute endurcie et oxidee de notre planete. Des couches de laves jaillissent comme des sources intermittentes de terres liquefiees; leurs nappes superposees semblent repeter sous nos yeux, sur une petite echelle, la formation des roches cristallines de differens ages. Sur la crete des Cordilieres du Nouveau-Monde, comme dans le sud de l'Europe et dans l'ouest de l'Asie, se manifeste une liaison intime entre l'action chimique des volcans proprement dits, de ceux qui produisent des roches, parce que leur forme et leur position, c'est-a-dire, la moindre elevation de leur sommet ou cratere, et la moindre epaisseur de leurs flancs (non renforces par des plateaux), permettent l'issue des matieres terreuses en fusion, avec les salses ou volcans de boue de l'Amerique du Sud, de l'Italie, de la Tauride et de la Mer Caspienne, lancant d'abord des blocs (de grands quartiers de roches), des flammes et des vapeurs acides; puis, dans un autre stade plus calme et trop exclusivement decrit, vomissant des argiles boueuses, de la naphte et des gaz irrespirables (de l'hydrogene mele d'acide carbonique et de l'azote tres-pur). L'action des volcans proprement dits manifeste cette meme liaison avec la formation, tantot lente, tantot brusque, de bancs de gypse et de sel gemme anhydre, renfermant du petrole, de l'hydrogene condense, du fer sulfure, et parfois (au Rio-Huallaga, a l'est des Andes du Perou) des masses considerables de galene; avec l'origine des sources thermales; avec l'agroupement des metaux deposes, a diverses epoques, de bas en haut, dans les filons, dans des amas (Stockwerke) et dans la roche alteree qui avoisine les crevasses metalliferes; avec les tremblemens de terre dont les effets ne sont pas toujours uniquement dynamiques, mais qui sont accompagnes quelquefois de phenomenes chimiques, de developpemens de gaz irrespirables, de fumee et de phenomenes lumineux; enfin, avec les soulevemens instantanes ou tres-lents et seulement perceptibles apres de longues periodes, de quelques parties de la surface du globe. Cette connexion intime entre tant de phenomenes divers, cette consideration de l'action volcanique comme action de l'interieur du globe sur sa croaute exterieure, sur les couches solides qui l'enveloppent, a eclairci, dans ces derniers temps, un grand nombre de problemes geognostiques et physiques qui avaient paru jusqu'ici insolubles. L'analogie de faits bien observes, l'examen rigoureux des phenomenes qui se passent sous nos yeux dans les differentes regions de la terre, commencent a nous conduire progressivement a deviner (non en precisant toutes les conditions, mais en envisageant l'ensemble du mode d'action) ce qui s'est passe a ces epoques reculees qui ont precede les temps historiques. La volcanicite, c'est-a-dire, l'influence qu'exerce l'interieur d'une planete sur son enveloppe exterieure dans les differens stades de son refroidissement, a cause de l'inegalite d'agregation (de fluidite et de solidite), dans laquelle se trouvent les matieres qui la composent, cette action du dedans en dehors (si je puis m'exprimer ainsi) est aujourd'hui tres-affaiblie, restreinte a un petit nombre de points, intermittente, moins souvent deplacee, tres-simplifiee dans ses effets chimiques, ne produisant des roches qu'autour de petites ouvertures circulaires ou sur des crevasses longitudinales de peu d'etendue, ne manifestant sa puissance, a de grandes distances, que dynamiquement en ebranlant la croaute de notre planete dans des directions lineaires, ou dans des etendues (cercles d'oscillations simultanees) qui restent les memes pendant un grand nombre de siecles. Dans les temps qui ont precede l'existence de la race humaine, l'action de l'interieur du globe sur la croaute solide qui augmentait de volume, a dau modifier la temperature de l'atmosphere, rendre le globe entier habitable aux productions, que l'on doit regarder comme tropicales, depuis que, par l'effet du rayonnement, du refroidissement de la surface, les rapports de position de la terre avec un corps central (le soleil) ont commence a determiner presque exclusivement la diversite des climats d'apres la diversite des latitudes geographiques. C'est dans ces temps primitifs aussi que les fluides elastiques, les forces volcaniques de l'interieur plus puissantes peut-etre, et se faisant jour plus facilement a travers la croaute oxidee et solidifiee, ont crevasse cette croaute, et intercalle, non-seulement par filons (dykes), mais par masses tres-irregulieres de forme, des matieres d'une grande densite (basaltes ferrugineux, melaphyres, amas de metaux), matieres qui se sont introduites apres que la solidification et l'aplatissement de la planete etaient deja determines. L'acceleration qu'eprouvent les oscillations du pendule sur plusieurs points de la terre offrent souvent, par cette cause geognostique, des apparences trompeuses d'un aplatissement plus grand que celui qui resulte d'une combinaison raisonnee des mesures trigonometriques et de la theorie des inegalites lunaires. L'epoque des grandes revolutions geognostiques a ete celle ou les communications entre l'interieur fluide de la planete et son atmosphere etaient plus frequentes, agissant sur un plus grand nombre de points, ou la tendance a etablir ces communications a fait soulever, a differens ages et dans differentes directions (vraisemblablement determinees par la diversite de ces epoques), sur de longues crevasses, des Cordilieres, comme l'Himalaya et les Andes, des chaeines de moutagnes d'une moindre elevation, et ces rides ou arretes, dont les ondulations variees embellissent le paysage de nos plaines. C'est comme temoin de ces soulevemens, et marquant (d'apres les vues grandes et ingenieuses de M. Elie de Beaumont) l'age relatif des montagnes, que j'ai vu dans les Andes du Nouveau-Monde, a Cundinamarca, des formations puissantes de gres s'etendre, des plaines du Magdalena et du Meta, presque sans interruption, sur les plateaux de quatorze a seize cents toises de hauteur, et recemment encore dans le nord de l'Asie, dans la chaeine de l'Oural, ces memes ossemens d'animaux anti-diluviens (si celebres dans les basses regions de la Kama et de l'Yrtiche) meles, sur le dos de la chaeine, dans les plateaux entre Beresowsk et Jekatherinbourg, a des terrains de rapport, riches en or et en platine. C'est encore comme temoin de cette action souterraine de fluides elastiques qui soulevent des continens, des domes et des chaeines de montagnes, qui deplacent les roches et les debris organiques qu'elles renferment, qui forment des eminences et des creux lorsque la voaute s'affaisse, qu'on peut considerer cette grande depression de l'ouest de l'Asie, dont la surface de la mer Caspienne et du lac Aral forme la partie la plus basse (50 et 32 toises au-dessous du niveau de l'Ocean); mais qui s'etend, comme les nouvelles mesures barometriques faites par MM. Hofmann, Helmersen, Gustave Rose et moi, le demontrent, loin dans l'interieur des terres, jusqu'a Saratow et Orenbourg sur le Jaik, vraisemblablement aussi au sud-est, jusqu'au cours inferieur du Sihoun (Jaxartes) et de l'Amou (Djihoun, Oxus des anciens). Cette depression d'une portion considerable de l'Asie, cet abaissement d'une masse continentale de plus de trois cents pieds au-dessous de la surface des eaux de l'Ocean, dans leur etat moyen d'equilibre, n'a pu etre considere jusqu'ici dans toute son importance, parce qu'on ignorait l'etendue du phenomene de depression dont quelques parties des contrees littorales de l'Europe et de l'Egypte n'offrent que de faibles traces. La formation de ce creux, de cette grande concavite de la surface dans le N.-O. de l'Asie, me paraeit etre en rapport intime avec le soulevement des montagnes du Caucase, de l'Hindou- Kho et du plateau de la Perse, qui bordent la Mer Caspienne et le Maveralnehere au sud; peut-etre aussi plus a l'est, avec le soulevement du grand massif que l'on designe par le nom bien vague et bien incorrect de plateau de l'Asie centrale. Cette concavite de l'ancien monde est un pays-cratere, comme le sont, sur la surface lunaire, Hipparque, Archimede et Ptolemee, qui ont plus de trente lieues de diametre, et qu'on peut plutot comparer a la Boheme qu'a nos cones et crateres des volcans. J'ai cru devoir faire preceder de ces considerations generales le Memoire que je presente a l'Academie, pour fixer les points de vue geographiques et geognostiques qui ont dirige mes recherches. Je me bornerai a un simple extrait, par rapport a tout ce qui concerne les discussions de position si indispensables a la geographie positive. Il me suffit de consigner ici un seul fait assez important, qui resulte du calcul presque termine des observations astronomiques que j'ai eu occasion de faire, l'annee passee, dans les regions du nord de l'Asie. La pente occidentale de l'Altai, tout le pays au sud de la grande route qui conduit de Tobolsk, par Krasnojarsk, au lac Baikal, depuis le meridien de Tara entre le Haut-Obi, le cours meridional de l'Irtyche, et la Dzoungarie chinoise, est place sur nos cartes de presque [Formel] de degre (40' en arc) trop a l'ouest. J'ai determine la longitude de Barnaould, au pied de l'Altai, au moyen du transport du temps de Tobolsk, par 5h 27' 4", a l'est du meridien de Paris. La longitude de Tobolsk, ou j'ai observe sur la meme pierre sur laquelle les instrumens de l'abbe Chappe avaient ete places, a ete fixee avec beaucoup de precision par Triesnecker, a 4h 23' 58",7; par M. Encke, dans son excellent Traite sur les Parallaxes, et le passage de Venus, a 4h 23' 45", difference de 13" en temps. J'avais deja observe, dans un autre pays, au Mexique, aux memes points que l'abbe Chappe. Les distances lunaires que j'ai prises au Schlangenberg, au pied occidental de l'Altai, donnent une longitude qui est encore un peu plus orientale que celle qu'offrait mon chronometre d'Earnshaw, dont j'ai verifie la marche dans chaque endroit ou j'ai pu m'arreter. M. Hansteen, a son retour du lac Baikal, a passe (plusieurs mois apres moi) a Barnaould, et a confirme la position que j'avais determinee. Il fait la longitude de Barnaould, 5h 27' 12", meme 8", en temps, plus orientale que moi. Ces erreurs de position dans nos cartes commencent, et presque toujours dans le meme sens, deja depuis le midi de la Russie europeenne. Comme les resultats des observations plus precises sont consignes dans des ouvrages periodiques moins repandus ou moins accessibles, a cause de la difficulte des langues dans lesquelles ils sont rediges, nos tableaux de positions astronomiques manquent souvent de donnees plus recentes. D'apres la Connaissance des temps, Moscou est de 7' 15" en arc, Tobolsk de 10' 15", Barnaould, au pied de l'Altai (d'apres mes observations), de 40' en arc place trop a l'ouest. L'erreur sur la longitude de l'Observatoire de Kasan est dans un sens oppose. Sa vraie longitude est 3h 7' 4",7 en temps, et non 3h 8' 3", erreur d'un quart de degre, et qui influe sur la configuration du bassin du Wolga, au-dessous de l'embouchure de Kama, entre les belles ruines tatares de l'ancienne ville des Timourides (Bolgari) et les plaines fertiles de Simbirsk. (La suite a un prochain Cahier.)