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Alexander von Humboldt: „Discours prononcé par M. Alexandre de Humboldt à la séance extraordinaire de l’Académie impériale des sciences de Saint-Pétersbourg, tenue le 16/28 novembre 1829“, in: ders., Sämtliche Schriften digital, herausgegeben von Oliver Lubrich und Thomas Nehrlich, Universität Bern 2021. URL: <https://humboldt.unibe.ch/text/1829-Discours_prononce_par-8-neu> [abgerufen am 20.04.2024].

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Titel Discours prononcé par M. Alexandre de Humboldt à la séance extraordinaire de l’Académie impériale des sciences de Saint-Pétersbourg, tenue le 16/28 novembre 1829
Jahr 1830
Ort Paris
Nachweis
in: Nouvelles annales des voyages et des sciences géographiques 1 (1830), S. 86–101.
Sprache Französisch
Typografischer Befund Antiqua; Auszeichnung: Kursivierung; Schmuck: Kapitälchen.
Identifikation
Textnummer Druckausgabe: IV.96
Dateiname: 1829-Discours_prononce_par-8-neu
Statistiken
Seitenanzahl: 16
Zeichenanzahl: 33777

Weitere Fassungen
Discours (Sankt Petersburg, 1829, Französisch)
Discours prononcé par M. Alexandre de Humboldt a la Séance extraordinaire de l’Academie imperiale des sciences de St.-Petersbourg tenue le 16/28 Novembre 1829 (Stuttgart; Tübingen, 1829, Französisch)
Discours prononcé par M. Alexandre de Humboldt à la séance extraordinaire de l’Académie impériale des sciences de Saint-Pétersbourg, tenus le 16/28 novembre 1829 (Paris, 1830, Französisch)
Mowa Barona A. Humboldta, miana na publiczném posiedzeniu Akademii Nauk w Sankt-Petersburgu, dnia 16 listopada 1829 roku (Vilnius, 1830, Polnisch)
Ueber den terrestrischen Magnetismus (Fragment der Rede des Herrn v. Humboldt, in der Kaiserl. Akademie der WW) (Riga, 1830, Deutsch)
General view of the Scientific researches recently carried on in the Russian Empire. In a discourse pronounced at the Extraordinary sitting of the Imperial Academy of Sciences of St Petersburg, held on the 28th November 1829 (Edinburgh; London; Dublin, 1830, Englisch)
Discourse delivered by Baron Alexander Humboldt at the Extraordinary Meeting of the Imperial Academy of Sciences of St Petersburg, held on the 28th November 1829 (Edinburgh, 1830, Englisch)
Discours prononcé par M. Alexandre de Humboldt à la séance extraordinaire de l’Académie impériale des sciences de Saint-Pétersbourg, tenue le 16/28 novembre 1829 (Paris, 1830, Französisch)
Discours prononcé par M. Alexandre de Humboldt à la Séance extraordinaire de l’académie impériale des sciences de St.-Pétersbourg tenue le 16/28. November 1829 (Sankt Petersburg, 1830, Französisch)
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Discours prononcé par M. Alexandre de Humboldt àla séance extraordinaire de l’Académie impérialedes sciences de Saint-Pétersbourg, tenue le 16/28 novembre 1829.

Messieurs, Si dans cette séance solennelle où se manifeste unenoble ardeur pour agrandir et honorer les travaux de l’in-telligence humaine, j’ose en appeler à votre indulgence,ce n’est que pour remplir un devoir que vous m’avez im-posé. Rentré dans ma patrie après avoir parcouru la crêteglacée des Cordillères et les forêts des basses régions équino-xiales, rendu à l’Europe agitée, après avoir joui long-tempsdu calme de la nature et de l’aspect imposant de sa sauvagefécondité, j’ai reçu de cette illustre Académie, comme unemarque publique de sa bienveillance, l’honneur de lui êtreagrégé. J’aime encore aujourd’hui à reporter ma penséevers l’époque de ma vie où cette même voix éloquenteque vous avez entendue à l’ouverture de cette séance,m’appela au milieu de vous, et sut, par d’ingénieuses fic-tions, presque me persuader d’avoir mérité la palme que |87| vous m’aviez accordée. Que j’étais loin alors de deviner queje ne siégerais sous votre présidence, monsieur, qu’en re-venant des rives de l’Irtych, des confins de la Dzongariechinoise et des bords de la mer Caspienne! Par l’heureuxenchaînement des choses dans le cours d’une vie inquièteet quelquefois laborieuse, j’ai pu comparer les terrainsaurifères de l’Oural et de la Nouvelle-Grenade, les forma-tions soulevées de porphyre et de trachyte du Mexiqueavec celles de l’Altaï, les savanes (Llanos) de l’Orénoqueavec ces steppes de la Sibérie méridionale qui offrent unvaste champ aux conquêtes paisibles de l’agriculture, àces arts industriels qui, tout en enrichissant les peuples,adoucissent leurs mœurs et améliorent progressivementl’état des sociétés. J’ai pu porter, en partie, les mêmes instrumens ouceux d’une construction semblable, mais perfectionnés,aux rives de l’Obi et de l’Amazone. Pendant le long inter-valle qui a séparé mes deux voyages, la face des sciencesphysiques, surtout de la géognosie, de la chimie et de lathéorie électro-magnétique, a considérablement changé.De nouveaux appareils, j’oserais presque dire de nou-veaux organes ont été créés, pour mettre l’homme dansun contact plus intime avec les forces mystérieuses quianiment l’œuvre de la création, et dont la lutte inégale, lesperturbations apparentes sont sujettes à des lois éternelles.Si les voyageurs modernes peuvent soumettre à leurs ob-servations, en peu de temps, un plus grand espace de lasurface du globe, c’est aux progrès des sciences mathé-matiques et physiques, à la précision des instrumens, auperfectionnement des méthodes, à l’art de grouper lesfaits et de s’élever à des considérations générales, qu’ilsdoivent les avantages dont ils jouissent. Le voyageur meten œuvre ce qui, par l’influence bienfaisante des acadé-mies, par les études de la vie sédentaire, a été préparédans le silence du cabinet. Pour juger avec justesse et avecéquité le mérite des voyageurs des différentes époques, ilfaut connaître avant tout le degré de développement quel’astronomie pratique, les connaissances géognostiques,l’étude de l’atmosphère et l’histoire naturelle descriptiveavaient acquis simultanément. C’est ainsi que l’état deculture plus ou moins florissant du grand domaine des |88| sciences doit se refléter dans le voyageur qui veut s’éleverau niveau de son siècle; que les voyages entrepris pourétendre la connaissance physique du globe doivent, à dif-férens âges, offrir un caractère individuel, la physiono-mie d’une époque donnée; qu’ils doivent être l’expressionde l’état de culture que les sciences ont progressivementtraversé. En traçant ainsi les devoirs de ceux qui ont parcourula même carrière que moi, et dont l’exemple souvent aranimé mon ardeur dans des momens difficiles, j’ai signaléla source des faibles succès d’un dévouement que votregénéreuse indulgence, messieurs, a daigné agrandir pardes suffrages publics. Terminant sous d’heureux auspices un voyage lointainentrepris par ordre d’un monarque magnanime, puissam-ment aidé des lumières de deux savans dont l’Europe ap-précie les travaux, MM. Ehrenberg et Rose, je pourraisme borner ici à déposer devant vous l’hommage de mavive et respectueuse reconnaissance; je pourrais sollici-ter de celui qui, très jeune encore, avait osé pénétrer dansces mystères antiques (sources mémorables de la civilisa-tion religieuse et politique de la Grèce) de me prêter lesecours de l’art de bien dire, pour exprimer plus digne-ment les sentimens qui m’animent. Mais, je le sais, mes-sieurs, le charme de la parole, dût-il même être d’accordavec la vivacité du sentiment, ne suffit point dans cetteenceinte. Vous êtes chargés dans ce vaste empire de lagrande et noble mission de donner une impulsion géné-rale à la culture des sciences et des lettres, à encouragerles travaux qui sont en harmonie avec l’état actuel desconnaissances humaines, à vivifier et à agrandir la penséedans le domaine des hautes mathématiques, de la physiquedu monde, dans celui de l’histoire des peuples, éclairéepar les monumens des différens âges. Vos regards se por-tent en avant sur la carrière qui reste à parcourir, et letribut de reconnaissance que je viens vous offrir, le seuldigne de votre institution, est l’engagement solennel queje prends de rester fidèle à la culture des sciences jusqu’audernier stade d’une carrière déja avancée, d’explorer sanscesse la nature, et de poursuivre une route tracée parvous et vos illustres devanciers. |89| Cette communauté d’action dans les fortes études, lesecours réciproque que se portent les différens embran-chemens de l’entendement humain, les efforts tentés à lafois dans les deux continens et dans l’immensité des mers,ont imprimé un mouvement rapide aux sciences physi-ques, comme, après des siècles de barbarie, la simulta-néité des efforts en a imprimé aux progrès de la raison.Heureux le pays dont le gouvernement accorde une au-guste protection aux lettres et aux beaux-arts qui ne char-ment pas uniquement l’imagination de l’homme, maisaugmentent aussi sa puissance intellectuelle et viviſient lesnobles pensées; aux sciences physiques et mathématiques,qui influent si heureusement sur le développement de l’in-dustrie et de la prospérité publique; au zèle des voyageursqui s’efforcent de pénétrer dans les régions inconnues, oud’examiner les richesses du sol de la patrie, de préciserpar des mesures la connaissance utile de sa configuration.Rappeler ici une faible partie de ce qui s’est fait dans l’an-née qui va se terminer, c’est rendre au prince un hom-mage qui, par sa simplicité même, ne saurait lui déplaire. Pendant qu’entre l’Oural, l’Altaï et la mer Caspiennenous avons, par de communs efforts, MM. Rose, Ehren-berg et moi, examiné la constitution géognostique du sol,les rapports de sa hauteur et de ses dépressions, indiquépar des mesures barométriques les variations du magné-tisme terrestre à différentes latitudes (surtout les accrois-semens de l’inclinaison et de l’intensité des forces magné-tiques), la température de l’intérieur du globe, l’étatd’humidité de l’atmosphère au moyen d’un instrumentpsychrométrique, qui n’avait point encore été employédans un voyage lointain, enſin la position astronomiquede quelques lieux, la distribution géographique des végé-taux et de plusieurs groupes peu étudiés jusqu’ici du règneanimal; de savans et intrépides voyageurs ont affronté lesdangers que présentent les cîmes neigeuses de l’Elbrouzet de l’Ararat. Je me félicite de voir heureusement retourné dans lesein de l’Académie celui dont nous venons de recueillirdes notions précieuses sur les variations horaires de l’ai-guille aimantée, et à qui les sciences doivent (à côté d’in-génieuses et délicates recherches sur la cristallographie) |90| la découverte de l’influence de la température sur l’inten-sité des forces électro-magnétiques. M. Kupffer revientdepuis peu de ces Alpes du Caucase où, à la suite de lon-gues migrations de l’espèce humaine, dans le grand nau-frage des peuples et des langues, se sont réfugies tant deraces diverses. Au nom de ce voyageur, notre savant con-frère, se joint par l’analogie des efforts le nom du physicienqui a lutté avec une noble persévérance, sur la pente del’Ararat, regardé comme le sol classique des premiers etvénérables souvenirs de l’histoire, avec les obstacles qu’op-posent à la fois l’épaisseur et la mollesse des neiges éter-nelles. Je craindrais presque de blesser la modestie dupère, en ajoutant que M. Parrot, le voyageur de l’Ararat,soutient dignement dans les sciences l’éclat d’une célébritéhéréditaire. Dans les régions plus orientales de l’empire, illustréesà jamais par les travaux de Pallas, mon compatriote,(pardonnez, messieurs, si j’ose réclamer pour la Prusseune partie de cette gloire qui peut enorgueillir deux na-tions à la fois!) dans les montagnes de l’Oural et de Ko-lyvan, nous avons suivi les traces encore récentes desexpéditions scientifiques de MM. Ledebour, Meyer etBunge, de MM. Hoffmann et Helmerssen. La belle etnombreuse flore de l’Altaï a déja enrichi l’établissementbotanique dont s’honore cette capitale, et qui s’est élevé,comme par enchantement, grace au zèle infatigable etéclairé de son directeur, au rang des premiers jardins bo-taniques de l’Europe. Le monde savant attend avec impa-tience la publication de la flore de l’Altaï, dont le docteurBunge lui-même, dans les environs de Zméïnogorsk, a pumontrer à mon ami, M. Ehrenberg, quelques productionsintéressantes. C’était sans doute la première fois qu’unvoyageur de l’Abyssinie, de Dongola, du Sinaï et de laPalestine eût gravi les montagnes de Riddersky couvertesde neiges perpétuelles. La description géognostique de la partie méridionale del’Oural a été confiée à deux jeunes savans, MM. Hoffmannet Helmerssen, dont l’un a fait connaître le premier avecprécision les volcans de la mer du Sud. Ce choix est dû àun ministre éclairé, ami des sciences et de ceux qui lescultivent, M. le comte de Cancrin, dont les soins affec- |91| tueux et la prévoyante activité nous ont laissé, à mes col-laborateurs et à moi, un souvenir ineffaçable. MM. Hel-merssen et Hoffmann, élèves de la célèbre école de Dor-pat, ont étudié pendant deux ans avec succès les diversembranchemens des monts d’Oural, depuis le grand Ta-ganaï et les granits de l’Iremel jusqu’au-delà du plateaude Gouberlinsk, qui se lie, plus au sud, aux monts Mou-godjares et à l’Oust-Ourt entre le lac Aral et le bassin dela mer Caspienne. C’est là que la rigueur de l’hiver n’apoint empéché M. Lemm de faire les premières observa-tions astronomiques précises qu’on ait obtenues de cettecontrée aride et inhabitée. Nous avons eu la vive sa-tisfaction d’être accompagnés, pendant un mois, deMM. Hoffmann et Helmerssen, et ce sont eux qui nousont montré les premiers, près de Griasnouchinskaïa, uneformation d’amygdaloïdes volcaniques, les seules que l’onconnaisse jusqu’ici dans cette longue chaîne de l’Ouralqui sépare l’Europe de l’Asie, qui offre sur sa pente orien-tale les plus abondantes éruptions de métaux, et qui ren-ferme, soit en filons, soit dans des attérissemens, l’or,le platine, l’osmiure d’iridium, le diamant, découvert parle comte Polier dans des alluvions à l’ouest de la hautemontagne de Catchcanar, le zircon, le saphir, l’amé-thyste, le rubis, la topaze, le béryl, le grenat, l’anatasereconnu par M. Rose, la ceylanite et d’autres substancesprécieuses des Grandes-Indes et du Brésil. Je pourrais étendre la liste des travaux importans dela présente année du règne de sa majesté, en parlant desopérations trigonométriques de l’Ouest, qui par la réu-nion des travaux de MM. les généraux Schubert et Tenner,et du grand astronome de Dorpat, M. Struve, vont révélersur une immense échelle la figure de la terre; de la cons-titution géologique du lac Baïkal, illustrée par M. Hess;de l’expédition magnétique de MM. Hansteen, Erman etDowe, justement célébrée dans toute l’Europe, la plusétendue et la plus courageuse que l’on ait jamais entre-prise par terre (depuis Berlin et Christiania jusqu’au Kam-tchatka, où elle se rattache aux grands travaux des capi-taines Wrangel et Anjou); enfin de la circumnavigationdu globe, qu’a exécutée, par ordre du souverain, le ca-pitaine Lutke, voyage fécond en beaux résultats astro- |92| nomiques, physiques, botaniques et anatomiques, par lacoopération de trois excellens naturalistes le docteurMertens, le baron de Kittliz et M. Postels. J’ai entrepris de signaler cette communauté d’effortspar lesquels plusieurs parties de l’empire ont été explo-rées, en y portant l’appui des connaissances modernes,celui de nouveaux instrumens, de nouvelles méthodes,d’aperçus fondés sur l’analogie de faits jadis inconnus.C’est aussi par une communauté d’intérêts que, lancé en-core une fois dans la carrière des voyages, j’ai dû meplaire à orner mon discours de noms qui sont devenuschers à la science. Après avoir admiré la richesse des pro-ductions minérales, les merveilles de la nature physique,on aime à signaler (c’est un devoir bien doux à remplir,dans une terre étrangère, au milieu de l’assemblée quim’écoute) les richesses intellectuelles d’une nation, les tra-vaux de ces hommes utiles et désintéressés dans leur dé-vouement pour les sciences, qui parcourent leur patrie,ou, dans la solitude devancent par la pensée, préparentpar la voie du calcul et de l’expérience, les découvertesdes générations futures. Si, comme nous venons de le prouver par des exemplesrécens, la vaste étendue de l’empire de Russie, qui dé-passe la partie visible de la lune, exige le concours d’ungrand nombre d’observateurs, cette même étendue offreaussi des avantages d’un autre genre qui vous sont connusdepuis long-temps, messieurs, mais qui, dans leur rapportavec les besoins actuels de la physique du globe, ne meparaissent pas assez généralement appréciés. Je ne par-lerai pas de cette immense échelle sur laquelle, depuis laLivonie et la Finlande jusqu’à la mer du Sud qui baignel’Asie orientale et l’Amérique russe, on peut étudier sansfranchir les limites d’un même empire, le gisement et laformation des rochers de tous les âges; les dépouilles deces animaux pélagiques que d’anciennes révolutions denotre planète ont enſouis dans le sein de la terre, les osse-mens gigantesques des quadrupèdes terrestres dont lesanalogues sont perdus, ou ne vivent que dans la régiondes tropiques; je ne fixerai pas l’attention de cette assem-blée sur les secours que la géographie des plantes et desanimaux (science à peine encore ébauchée) tirera un jour |93| d’une connaissance spécifique plus approſondie de la dis-tribution climatérique des êtres organisés, depuis les ré-gions heureuses de la Chersonèse et de la Mingrélie, de-puis les frontières de la Perse et de l’Asie-Mineure jus-qu’aux tristes bords de l’Océan glacial; je m’arrête depréférence à ces phénomènes variables dont la périodicitérégulière, constatée avec la rigoureuse précision des ob-servations astronomiques, conduirait immédiatement à ladécouverte des grandes lois de la nature. Si l’on avait connu dans le sein de l’école d’Alexandrieet à l’époque brillante des Arabes (les premiers maîtresdans l’art d’observer et d’interroger la nature par la voiedes expériences), les instrumens qui sont dûs au grandsiècle de Galilée, de Huyghens et de Fermat, nous sau-rions aujourd’hui par des observations comparatives, si lahauteur de l’atmosphère, la quantité d’eau qu’elle ren-ferme et qu’elle précipite, la température moyenne deslieux, ont diminué depuis des siècles. Nous connaîtrionsles changemens séculaires de la charge électro-magné-tique de notre planète, et les modifications que peut avoiréprouvées, soit par une augmentation de rayonnement,soit par des mouvemens volcaniques intérieurs, la tempé-rature des différentes couches du globe croissant en raisonde la profondeur; nous connaîtrions enfin les variationsdu niveau de l’Océan, les perturbations partielles quecause la pression barométrique dans l’équilibre des eaux,la fréquence relative de certains vents dépendant de laforme et de l’état de surface des continens. M. Ostrogradskysoumettrait à ses profonds calculs ces données accumuléesdepuis des siècles, comme il a résolu récemment avecsuccès un des problèmes les plus difficiles de la propagationdes ondes. Malheureusement dans les sciences physiques la civili-sation de l’Europe ne date pas de très loin. Nous sommes,comme les prêtres de Saïs le disaient des Hellènes, unpeuple nouveau. L’invention presque simultanée de cesorganes qui nous rapprochent du monde extérieur, du té-lescope, du thermomètre, du baromètre, du pendule etde cet autre instrument, le plus général et le plus puis-sant de tous, le calcul infinitésimal, date à peine de trentelustres. Dans ce conflit des forces de la nature, conflit qui |94| ne détruit pas la stabilité, les variations périodiques nesemblent pas dépasser certaines limites: elles font os-ciller (du moins dans l’état actuel des choses, depuis lesgrands cataclysmes qui ont enseveli tant de générationsd’animaux et de plantes) le système entier autour d’unétat moyen d’équilibre. Or, la valeur du changement pé-riodique est déterminée avec d’autant plus de précision,que l’intervalle entre les observations extrêmes embrasseun plus grand nombre d’années. C’est aux corps scientifiques qui se renouvellent et serajeunissent sans cesse, c’est aux Académies, aux Uni-versités, aux diverses Sociétés savantes répandues enEurope, dans les deux Amériques, à l’extrémité méridio-nale de l’Afrique, aux Grandes-Indes et dans cette Austra-lie, naguère si sauvage, où déja s’élève un templed’Uranie, qu’il appartient de faire observer régulièrement,mesurer, surveiller pour ainsi dire, ce qui est variabledans l’économie de la nature. L’illustre auteur de la mé-canique céleste a souvent exprimé verbalement la mêmepensée au sein de l’Institut où j’ai eu le bonheur de siégeravec lui pendant dix-huit ans. Les peuples occidentaux ont porté dans les différentesparties du monde ces formes de civilisation, ce dévelop-pement de l’entendement humain dont l’origine remonteà l’époque de la grandeur intellectuelle des Grecs et à ladouce influence du christianisme. Divisés de langages etde mœurs, d’institutions politiques et religieuses, lespeuples éclairés ne forment de nos jours (et c’est un desplus beaux résultats de la civilisation moderne) qu’uneseule famille, dès qu’il s’agit du grand intérêt des sciences,des lettres et des arts, de tout ce qui, naissant d’unesource intérieure, du fond de la pensée et du sentiment,élève l’homme au-dessus des besoins vulgaires de lasociété. Dans cette noble communauté d’intérêts et d’action,la plupart des problèmes importans qui ont rapport à laphysique de la terre et que j’ai signalés plus haut, peu-vent sans doute devenir l’objet de recherches simul-tanées, mais l’immense étendue de l’empire russe enEurope, en Asie et en Amérique, offre des avantagesparticuliers et locaux, bien dignes d’occuper un jour les |95| méditations de cette illustre Société. Une impulsion don-née de si haut produirait une heureuse activité parmiles physiciens observateurs dont s’honore votre pa-trie. J’ose signaler ici et recommander à votre surveil-lance spéciale, messieurs, trois objets qui ne sont pas(comme on le disait jadis en méconnaissant l’enchaînementdes connaissances humaines) de pure spéculation théorique,mais qui touchent de près aux besoins matériels de la vie. L’art nautique dont l’enseignement, encouragé pard’augustes suffrages, a pris (sous la direction d’un grandnavigateur) un si heureux développement dans ce pays;l’art nautique réclame depuis des siècles une connaissanceprécise des variations du magnétisme terrestre en décli-naison, inclinaison et intensité des forces, car la décli-naison de l’aiguille en différens parages, dont l’appréciationest plus exclusivement requise par les marins, est intime-ment liée en théorie aux deux autres élémens, l’inclinaisonet l’intensité mesurée par des oscillations. A aucune époqueantérieure la connaissance des variations du magnétismeterrestre n’a fait des progrès aussi rapides que depuis trenteans. Les angles que forme l’aiguille avec la verticale et leméridien du lieu, l’intensité des forces dont j’ai eu le bon-heur de reconnaître l’accroissement de l’équateur au pôlemagnétique, les variations horaires de l’inclinaison, de ladéclinaison et de l’intensité, modifiées souvent par des au-rores boréales, des tremblemens de terre et des mouve-mens mystérieux dans l’intérieur du globe, les affolle-mens ou perturbations non périodiques de l’aiguille quej’ai désignées dans un long cours d’observations, par lenom d’orages magnétiques, sont devenus tour à tour l’ob-jet des plus laborieuses recherches. Les grandes décou-vertes d’Oerstedt, d’Arago, d’Ampère, de Seebeck, deMorichini et de mistriss Somerville nous ont révélé lesrapports mutuels du magnétisme avec l’électricité, la cha-leur et la lumière solaire. Ce ne sont plus trois métaux,le fer, le nickel et le cobalt qui deviennent aimant. L’é-tonnant phénomène du magnétisme de rotation, que monillustre ami, M. Arago, a fait connaître le premier, nousmontre presque tous les corps de la nature transitoire-ment susceptibles d’actions électro-magnétiques. L’empirede Russie est le seul pays de la terre traversé par deux |96| lignes sans déclinaison, c’est-à-dire sur lesquelles l’ai-guille est dirigée vers les pôles de la terre. L’une de cesdeux lignes, dont la position et le mouvement périodiquede translation de l’est à l’ouest, sont les élémens princi-paux d’une théorie future du magnétisme terrestre, passed’après les dernières recherches de MM. Hansteen et Er-man entre Mourom et Nijueï-Novgorod, la seconde quel-ques degrés à l’est d’Irkoutsk entre Parchinskaïa et lar-binsk. On ne connaît point encore leur prolongementvers le nord, ou la rapidité de leur mouvement vers l’oc-cident. La physique du globe réclame le tracé completdes deux lignes sans déclinaison et d’intensité sur tousles points où MM. Hansteen, Erman et moi, nous avonsobservé en Europe, entre Saint-Pétersbourg, Cazan etAstrakhan, dans l’Asie septentrionale entre IekaterinbourgMiask, Oust-Kaménogorsk, Obdorsk et Iakoutsk. Cesrésultats ne peuvent être obtenus par des étrangers quitraversent le pays dans une seule direction et à une seuleépoque. Il faudrait arrêter un système d’observations sa-gement combinées, suivies pendant un long espace detemps et confiés à des savans établis dans le pays. Saint-Pétersbourg, Moscou et Cazan sont heureusement placéstrès près de la première ligne sans déclinaison qui tra-verse la Russie d’Europe. Kiakhta et Verkhné-Oudinskoffrent des avantages pour la seconde ligne, celle de Si-bérie. Lorsqu’on réfléchit sur la précision comparative desobservations faites sur mer et sur terre, à l’aide des ins-trumens de Borda, de Bessel et de Gambez, on se per-suade aisément que la Russie, par sa position, pourraitdans l’espace de vingt ans, faire faire des progrès gigan-tesques à la théorie du magnétisme. En me livrant à cesconsidérations, je ne suis, pour ainsi dire, que l’inter-prète de vos propres vœux, messieurs. L’empressementavec lequel vous avez accueilli la prière que je vousadressai, il y a sept mois, relative aux observations cor-respondantes des variations horaires faites à Paris, à Ber-lin, dans une mine à Freyberg et à Cazan par le savantet laborieux astronome M. Simonov, a prouvé que l’Aca-demie impériale secondera dignement les autres Académiesde l’Europe dans l’épineuse mais utile recherche de lapériodicité de tous les phénomènes magnétiques. |97| Si la solution du problème que je viens de signaler estégalement importante pour l’histoire physique de notre pla-nète et les progrès de l’art nautique, le second objet dontje dois vous entretenir, messieurs, et pour lequel l’éten-due de l’empire présente d’immenses avantages, tientplus immédiatement à des besoins généraux, au choixdes cultures, à l’étude de la configuration du sol, de laconnaissance exacte de l’humidité de l’air qui décroît vi-siblement avec la destruction des forêts et la diminu-tion de l’eau des lacs et des rivières. Le premier etle plus noble but des sciences gît sans doute en elles-mêmes, dans l’agrandissement de la sphère des idées,de la force intellectuelle de l’homme. Ce n’est pas ausein d’une académie comme la vôtre, sous le monarquequi règle les destinées de l’empire, que la recherche desgrandes vérités physiques a besoin de l’appui d’un intérêtmatériel et extérieur, d’une application immédiate aux be-soins de la vie sociale: mais lorsque les sciences, sansdévier de leur noble but primitif, peuvent s’enorgueillir decette influence directe sur l’agriculture et les arts indus-triels (trop exclusivement appelés utiles), il est du devoirdu physicien de rappeler ces rapports entre l’étude et l’ac-croissement des richesses territoriales. Un pays qui s’étend sur plus de 135 degrés de longi-tude, depuis la zone heureuse des oliviers jusqu’aux cli-mats où le sol n’est couvert que de plantes licheneuses,peut avancer, plus que tout autre, l’étude de l’atmo-sphère, la connaissance des températures moyennes del’année et, ce qui est bien plus important pour le cyclede la végétation, celle de la distribution de la chaleurannuelle entre les différentes saisons. Joignez à ces données,pour obtenir un groupe de faits intimement liés entre eux,la pression variable et le rapport de cette pression avec lesvents dominans et la température, l’étendue des variationshoraires du baromètre (variations qui, sous les tropi-ques, transforment un tube rempli de mercure en uneespèce d’horloge de la marche la plus imperturbable), l’étathygrométrique de l’air et la quantité annuelle des pluies,si importante à connaître pour les besoins de l’agriculture.Lorsque les inflexions variées des lignes isothermes ou d’é-gale chaleur seront tracées, des observations précises et |98| continuées au moins pendant cinq ans dans la Russie d’Eu-rope, et en Sibérie; lorsqu’elles seront prolongées jus-qu’aux côtes occidentales de l’Amérique où résidera bientôtun excellent navigateur, le capitaine Wrangel, la sciencede la distribution de la chaleur à la surface du globe et dansles couches accessibles à nos recherches, sera basée sur desfondemens solides. Le gouvernement des Etats-Unis d’Amérique du Nord,vivement intéressé aux progrès de la population et d’uneculture variée de plantes utiles, a senti depuis long-tempsles avantages qu’offre l’étendue de ses possessions depuisl’Atlantique jusqu’aux Montagnes Rocheuses, depuis laLouisiane et la Floride, où se cultive le sucre, jusqu’auxlacs du Canada. Des instrumens météorologiques compa-rés entre eux, ont été distribués sur un grand nombre depoints dont le choix a été soumis à une discussion appro-fondie, et les résultats annuels réduits à un petit nombrede chiffres sont publiés par un comité central, qui surveillel’uniformité des observations et des calculs. J’ai déjarappelé dans un mémoire, où je discute les causes gé-nérales dont dépendent les différences des climats parune même latitude, sur quelle grande échelle ce belexemple des Etats-Unis pourrait être suivi dans l’empirede Russie. Nous sommes heureusement loin de l’époque où les phy-siciens croyaient connaître le climat d’un lieu lorsqu’ilsconnaissaient les extrêmes de température qu’atteint lethermomètre en hiver et en été. Une méthode uniformefondée sur le choix des heures et au niveau des connais-sances acquises récemment sur les vraies moyennes desjours, des mois et de l’année entière, remplacera les mé-thodes anciennes et vicieuses. Par ce moyen, plusieurs pré-jugés sur le choix des cultures, sur la possibilité de planterla vigne, le mûrier, les arbres fruitiers, le marronnier oule chêne, disparaîtront dans certaines provinces de l’em-pire. Pour l’étendre aux parties les plus éloignées, onpourra compter sur la coopération de beaucoup de jeunesofficiers très instruits, dont s’honore le corps des mines, surcelle des médecins animés de zèle pour les sciences physi-ques, et sur les élèves de cette excellente institution, l’é-cole des voies de communication, dans laquelle de fortes |99| études mathématiques font naître comme un tact instinctifd’ordre et de précision. A côté des deux objets de recherches que nous venonsd’examiner dans leurs rapports avec l’étendue de l’empire(le magnétisme terrestre et l’étude de l’atmosphère quiconduit en même temps à l’aide des hauteurs moyennesdu baromètre, à la connaissance perfectionnée de la con-figuration du sol) je placerai, en terminant, un troisièmegenre de recherches d’un intérêt plus local, quoique liéaux plus grandes questions de la géographie physique. Unepartie considérable de la surface du globe, autour de la merCaspienne, se trouve inférieure au niveau de la mer Noireet de la Baltique. Cette dépression soupçonnée depuis plusd’un siècle, mesurée par les travaux pénibles de MM. Par-rot et Engelhardt, peut être rangée parmi les phénomènesgéognostiques les plus étonnans. La détermination exactede la hauteur barométrique moyenne annuelle de la villed’Orenbourg, due à MM. Hoffmann et Helmerssen; unnivellement à Gouriev, port oriental de la mer Caspienne;des mesures correspondantes prises pendant plusieurs moisdans ces deux lieux, enfin les observations que nous avonsfaites récemment à Astrakhan et à l’embouchure du Vol-ga, correspondant à la fois à Sarepta, Orenbourg, Cazanet Moscou, pourront servir (lorsque toutes les donnéesseront réunies et calculées avec rigueur) à vérifier la hau-teur absolue de ce bassin intérieur. Sur la côte septentrionale de la mer Caspienne tout pa-raît indiquer aujourd’hui un abaissement progressif duniveau des eaux, mais sans ajouter trop de foi au rapportde Hanway (ancien voyageur anglais, d’ailleurs très esti-mable) sur les accroissemens et les décroissemens pério-diques, on ne saurait nier les envahissemens de la merCaspienne du côté de l’ancienne ville de Terk et au sudde l’embouchure de Cyrus, où des troncs d’arbres épars(restes d’une forêt), se trouvent constamment inondés.L’îlot de Pogorélaïa Plita, au contraire, semble croître ets’élever progressivement au-dessus des flots qui le cou-vraient il y a peu d’années, avant le jet des flammes quedes navigateurs ont aperçu de loin. Pour résoudre solidement les grands problèmes rela-tifs à la dépression, peut-être variable, du niveau des |100| eaux et de celui du bassin continental de la mer Cas-pienne, il serait à désirer qu’on traçât dans l’intérieur desterres, autour de ce bassin dans les plaines de Sareptol,d’Ouralsk, et d’Orenbourg, une ligne de sonde, en réunis-sant les points qui sont exactement au niveau de la Bal-tique et de la mer Noire, que l’on constatât par des mar-ques placées sur les côtes dans tout le pourtour de la merCaspienne (à l’instar des marques placées presque depuisun siècle sur les côtes de Suède par les soins de l’Acadé-mie de Stockholm), s’il y a un abaissement général oupartiel, continu ou périodique des eaux, ou si plutôt(comme le soupçonne pour la Scandinavie le grand géo-gnoste, M. Léopold de Buch) une partie du continent s’é-lève ou se déprime par des causes volcaniques agissant àd’immenses profondeurs dans l’intérieur du globe. L’isthmemontueux du Caucase composé en partie de trachyte etd’autres roches, qui doivent leur origine indubitablementau feu des volcans, borde la mer Caspienne à l’ouest,tandis qu’elle est entourée à l’est de formations tertiaireset secondaires qui s’étendent vers ces contrées d’antiquecélébrité, dont l’Europe doit la connaissance à l’importantouvrage du baron de Meyendorff. Dans ces considérations générales que je soumets à voslumières, messieurs, j’ai tâché d’indiquer quelques-unsdes avantages que l’histoire physique du globe peut tirerde la position et de l’étendue de cet empire. J’ai exposéles idées dont j’ai été vivement occupé à la vue des régionsque je viens de visiter. Il m’a paru plus convenable de ren-dre un hommage public à ceux qui, sous les auspices dugouvernement, ont suivi la même carrière que moi, et deſixer les regards sur ce qui reste à faire pour les progrèsdes sciences et la gloire de votre patrie, que de parler demes propres efforts et de resserrer dans un cadre étroitles résultats d’observations qui doivent encore être compa-rées à la grande masse des données partielles que nousavons recueillies. J’ai rappelé dans ce discours l’étendue de pays qui sé-pare la ligne sans variation magnétique à l’est du lac Baï-kel du bassin de la mer Caspienne, des vallées du Cyruset des sommets glacés de l’Ararat. A ces noms la penséese porte involontairemut vers cette lutte récente dans la- |101| quelle la modération du vainqueur a agrandi la gloire desarmes; qui a ouvert de nouvelles voies au commerce et aaffermi la délivrance de cette Grèce, berceau long-tempsabandonné de la civilisation de nos ancêtres. Mais ce n’estpoint dans cette enceinte paisible que je dois célébrerla gloire des armes. Le monarque auguste qui a daigném’appeler dans ce pays et sourire à mes travaux, se pré-sente à ma pensée comme un génie paciſicateur. Viviſiantpar son exemple tout ce qui est vrai, grand et généreux, ils’est plu, dès l’aurore de son règne, à protéger l’étude dessciences qui nourrissent et fortiſient la raison, celle deslettres et des arts, qui embellissent la vie des peuples.