Messieurs, Si dans cette seance solennelle ou se manifeste une noble ardeur pour agrandir et honorer les travaux de l'intelligence humaine, j'ose en appeler a Votre indulgence, ce n'est que pour remplir un devoir que Vous m'avez impose. Rentre dans ma patrie apres avoir parcouru la crete glacee des Cordilleres et les forets des basses regions equinoxiales, rendu a l'Europe agitee, apres avoir joui longtems du calme de la nature et de l'aspect imposant de sa sauvage fecondite, j'ai recu de cette illustre Academie, comme une marque publique de sa bienveillance, l'honneur de lui etre agrege. J'aime encore aujourd'hui a reporter ma pensee vers l'epoque de ma vie ou cette meme voix eloquente que Vous avez entendue a l'ouverture de cette seance, m'appela au milieu de Vous, et sut, par d'ingenieuses fictions, presque me persuader d'avoir merite la palme que Vous m'aviez accordee. Que j'etais loin alors de deviner que je ne siegerais sous Votre presidence, Monsieur, qu'en revenant des rives de l'Irtisch, des confins de la Songarie Chinoise et des bords de la Mer Caspienne! Par l'heureux enchaeinement des choses dans le cours d'une vie inquiete et quelquefois laborieuse, j'ai pu comparer les terrains auriferes de l'Oural et de la Nouvelle Grenade, les formations soulevees de porphyre et de trachyte du Mexique avec celles de l'Altai, les savanes ( Llanos ) de l'Orenoque avec ces steppes de la Siberie meridionale qui offrent un vaste champ aux conquetes paisibles de l'agriculture, a ces arts industriels qui, tout en enrichissant les peuples, adoucissent leurs moeurs et ameliorent progressivement l'etat des societes. J'ai pu porter, en partie, les memes instrumens ou ceux d'une construction semblable, mais perfectionnee, aux rives de l'Obi et de l'Amazone. Pendant le long intervalle qui a separe mes deux voyages, la face des sciences physiques, surtout de la Geognosie, de la Chimie et de la theorie electro-magnetique, a considerablement change. De nouveaux appareils, j'oserais presque dire, de nouveaux organes ont ete crees, pour mettre l'homme dans un contact plus intime avec les forces mysterieuses qui animent l'oeuvre de la creation, et dont la lutte inegale, les perturbations apparentes sont sujettes a des lois eternelles. Si les voyageurs modernes peuvent soumettre a leurs observations, en peu de tems, un plus grand espace de la surface du globe, c'est aux progres des sciences mathematiques et physiques, a la precision des instrumens, au perfectionnement des methodes, a l'art de grouper les faits et de s'elever a des considerations generales, qu'ils doivent les avantages dont ils jouissent. Le voyageur met en oeuvre ce qui, par l'influence bienfaisante des academies, par les etudes de la vie sedentaire, a ete prepare dans le silence du cabinet. Pour juger avec justesse et avec equite le merite des voyageurs des differentes epoques, il faut connaeitre avant tout le degre de developpement que l'Astronomie pratique, les connaissances geognostiques, l'etude de l'atmosphere et l'histoire naturelle descriptive avaient acquis simultanement. C'est ainsi que l'etat de culture plus ou moins florissant du grand domaine des sciences doit se refleter dans le voyageur qui veut s'elever au niveau de son siecle; que les voyages entrepris pour etendre la connaissance physique du globe doivent, a differens ages, offrir un caractere individuel, la physionomie d'une epoque donnee; qu'ils doivent etre l'expression de l'etat de culture que les sciences ont progressivement traverse. En tracant ainsi les devoirs de ceux qui ont parcouru la meme carriere que moi, et dont l'exemple souvent a ranime mon ardeur dans des momens difficiles, j'ai signale la source des faibles succes d'un devouement que votre genereuse indulgence, Messieurs, a daigne agrandir par des suffrages publics. Terminant sous d'heureux auspices un voyage lointain entrepris par ordre d'un Monarque magnanime, puissamment aide des lumieres de deux savans dont l'Europe apprecie les travaux, MM. Ehrenberg et Rose, je pourrais me borner ici a deposer devant Vous l'hommage de ma vive et respectueuse reconnaissance; je pourrais solliciter de celui qui, tres jeune encore, avait ose penetrer dans ces Mysteres antiques (sources memorables de la civilisation religieuse et politique de la Grece) de me preter le secours de l'art de bien dire, pour exprimer plus dignement les sentimens qui m'animent. Mais, je le sais, Messieurs, le charme de la parole, daut-il meme etre d'accord avec la vivacite du sentiment, ne suffit point dans cette enceinte. Vous etes charge dans ce vaste Empire de la grande et noble mission de donner une impulsion generale a la culture des sciences et des lettres, a encourager les travaux qui sont en harmonie avec l'etat actuel des connaissances humaines, a vivifier et a agrandir la pensee dans le domaine des hautes Mathematiques, de la Physique du Monde, dans celui de l'histoire des peuples eclairee par les monumens des differens ages. Vos regards se portent en avant sur la carriere qui reste a parcourir, et le tribut de reconnaissance que je viens Vous offrir, le seul digne de Votre institution, est l'engagement solennel que je prends, de rester fidele a la culture des sciences jusqu'au dernier stade d'une carriere deja avancee, d'explorer sans cesse la nature et de poursuivre une route tracee par Vous et Vos illustres devanciers. Cette communaute d'action dans les fortes etudes, le secours reciproque que se portent les differens embranchemens de l'entendement humain, les efforts tentes a la fois dans les deux continens et dans l'immensite des mers, ont imprime un mouvement rapide aux sciences physiques, comme, apres des siecles de barbarie, la simultaneite des efforts en a imprime aux progres de la raison. Heureux le pays dont le gouvernement accorde une auguste protection aux lettres et aux beaux-arts qui ne charment pas uniquement l'imagination de l'homme, mais augmentent aussi sa puissance intellectuelle et vivifient les nobles pensees; aux sciences physiques et mathematiques qui influent si heureusement sur le developpement de l'industrie et de la prosperite publique; au zele des voyageurs qui s'efforcent de penetrer dans des regions inconnues, ou d'examiner les richesses du sol de la patrie, de preciser par des mesures la connaissance utile de sa configuration. Rappeller ici une faible partie de ce qui s'est fait dans l'annee qui va se terminer, c'est rendre au Prince un hommage qui, par sa simplicite meme, ne saurait lui deplaire. Pendant qu'entre l'Oural, l'Altai et la Mer Caspienne nous avons, par de communs efforts, MM. Rose, Ehrenberg et moi, examine la constitution geognostique du sol, les rapports de sa hauteur et de ses depressions, indique par des mesures barometriques, les variations du magnetisme terrestre a differentes latitudes (surtout les accroissemens de l'inclinaison et de l'intensite des forces magnetiques), la temperature de l'interieur du globe, l'etat d'humidite de l'atmosphere au moyen d'un instrument psychrometrique, qui n'avait point encore ete employe dans un voyage lointain, enfin la position astronomique de quelques lieux, la distribution geographique des vegetaux et de plusieurs groupes peu etudies jusqu'ici du regne animal; de savans et intrepides voyageurs ont affronte les dangers que presentent les cimes neigeuses de l'Elborouz et de l'Ararat. Je me felicite de voir heureusement retourne dans le sein de l'Academie celui dont nous venons de recueillir des notions precieuses sur les variations horaires de l'aiguille aimantee, et a qui les sciences doivent (a cote d'ingenieuses et delicates recherches sur la cristallographie) la decouverte de l'influence de la temperature sur l'intensite des forces electro-magnetiques. M. Kupffer revient depuis peu de ces Alpes du Caucase ou, a la suite de longues migrations de l'espece humaine, dans le grand naufrage des peuples et des langues, se sont refugiees tant de races diverses. Au nom de ce voyageur, notre savant confrere, se joint par l'analogie des efforts le nom du physicien qui a lutte avec une noble perseverence, sur la pente de l'Ararat, regarde comme le sol classique des premiers et venerables souvenirs de l'histoire, avec les obstacles qu'opposent a la fois l'epaisseur et la mollesse des neiges eternelles. Je craindrais presque de blesser la modestie du pere, en ajoutant que M. Parrot, le voyageur de l'Ararat, soutient dignement dans les sciences l'eclat d'une celebrite hereditaire. Dans les regions plus orientales de l'Empire illustrees a jamais par les travaux de Pallas, mon compatriote, (pardonnez, Messieurs, si j'ose reclamer pour la Prusse une partie de cette gloire qui peut enorgueillir deux nations a la fois!) dans les montagnes de l'Oural et de Kolyvan, nous avons suivi les traces encore recentes des expeditions scientifiques de MM. Ledebour, Meyer et Bunge, de MM. Hoffmann et Helmerssen. La belle et nombreuse Flore de l'Altai a deja enrichi l'etablissement botanique dont s'honore cette capitale, et qui s'est eleve, comme par enchantement, grace au zele infatigable et eclaire de son Directeur, au rang des premiers jardins botaniques de l'Europe. Le monde savant attend avec impatience la publication de la Flore de l'Altai dont le Docteur Bunge lui-meme, dans les environs de Zmeinogorsk, a pu montrer a mon ami, M. Ehrenberg, quelques productions interessantes. C'etait sans doute la premiere fois qu'un voyageur de l'Abyssinie, de Dongola, du Sinai et de la Palestine eaut gravi les montagnes de Riddersky couvertes de neiges perpetuelles. La description geognostique de la partie meridionale de l'Oural a ete confiee a deux jeunes savans, MM. Hoffmann et Helmerssen dont l'un a fait connaeitre le premier avec precision les volcans de la Mer du Sud. Ce choix est dau a un Ministre eclaire, ami des sciences et de ceux qui les cultivent, M. le Comte de Cancrin, dont les soins affectueux et la prevoyante activite nous ont laisse, a mes collaborateurs et a moi, un souvenir ineffacable. MM. Helmerssen et Hoffmann, eleves de la celebre ecole de Dorpat, ont etudie pendant deux ans avec succes les divers embranchemens des Monts d'Oural, depuis le grand Taganai et les granits de l'Iremel jusqu'au dela du plateau de Gouberlinsk qui se lie, plus au sud, aux Monts Mougodjares et a l'Oust-Ourt entre le lac Aral et le bassin de la Mer Caspienne. C'est la, que la rigueur de l'hiver n'a point empeche M. Lemm, de faire les premieres observations astronomiques precises qu'on ait obtenues de cette contree aride et inhabitee. Nous avons eu la vive satisfaction d'etre accompagnes, pendant un mois, de MM. Hoffmann et Helmerssen, et ce sont eux qui nous ont montre les premiers, pres de Grasnuschinskaia, une formation d'amygdaloides volcaniques, les seules que l'on connaisse jusqu'ici dans cette longue chaeine de l'Oural qui separe l'Europe de l'Asie, qui offre sur sa pente orientale les plus abondantes eruptions de metaux, et qui renferme, soit en filons, soit dans des atterrissements, l'or, le platine, l'osmiure d'iridium, le diamant, decouvert par le Comte de Polier dans des alluvions a l'ouest de la haute montagne de Catschcanar, le zircon, le saphir, l'amethyste, le rubis, la topaze, le beryl, le grenat, l'anatase reconnu par M. Rose, la ceylanite et d'autres substances precieuses des Grandes Indes et du Bresil. Je pourrais etendre la liste des travaux importans de la presente annee du regne de Sa Majeste, en parlant des operations trigonometriques de l'ouest, qui par la reunion des travaux de MM. les Generaux Schubert et Tenner, et du grand Astronome de Dorpat, M. Struve, vont reveler sur une immense echelle la figure de la terre; de la constitution geologique du lac Baikal illustree par M. Hess; de l'expedition magnetique de MM. Hansteen, Erman et Dowe; justement celebree dans toute l'Europe, la plus etendue et la plus courageuse que l'on ait jamais entreprise par terre (depuis Berlin et Christiania jusqu'au Kamtchatka ou elle se rattache aux grands travaux des Capitaines Wrangell et Anjou ): enfin de la circumnavigation du globe qu'a executee, par ordre du Souverain, le Capitaine Luetke, voyage fecond en beaux resultats astronomiques, physiques, botaniques et anatomiques, par la cooperation de trois excellens naturalistes le Docteur Mertens, le Baron de Kittliz et M. Postels. J'ai entrepris de signaler cette communaute d'efforts par lesquels plusieurs parties de l'Empire ont ete explorees, en y portant l'appui des connaissances modernes, celui de nouveaux instrumens, de nouvelles methodes, d'appercus fondes sur l'analogie de faits jadis inconnus. C'est aussi par une communaute d'interets que, lance encore une fois dans la carriere des voyages, j'ai dau me plaire a orner mon discours de noms qui sont devenus chers a la science. Apres avoir admire la richesse des productions minerales, les merveilles de la nature physique, on aime a signaler (et c'est un devoir bien doux a remplir, dans une terre etrangere, au milieu de l'Assemblee qui m'ecoute) les richesses intellectuelles d'une nation, les travaux de ces hommes utiles et desinteresses dans leur devouement pour les sciences, qui parcourent leur patrie, ou, dans la solitude, devancent par la pensee, preparent par la voie du calcul et de l'experience, les decouvertes des generations futures. Si, comme nous venons de le prouver par des exemples recens, la vaste etendue de l'Empire de Russie, qui depasse celle de la partie visible de la lune, exige le concours d'un grand nombre d'observateurs, cette meme etendue offre aussi des avantages d'un autre genre qui Vous sont connus depuis long-tems, Messieurs, mais qui, dans leur rapport avec les besoins actuels de la Physique du globe, ne me paraissent pas assez generalement apprecies. Je ne parlerai pas de cette immense echelle sur laquelle, depuis la Livonie et la Finlande jusqu'a la Mer du Sud qui baigne l'Asie orientale et l'Amerique Russe, on peut etudier, sans franchir les limites d'un meme empire, le gisement et la formation des rochers de tous les ages; les depouilles de ces animaux pelagiques que d'anciennes revolutions de notre planete ont enfouis dans le sein de la terre; les ossemens gigantesques des quadrupedes terrestres dont les analogues sont perdus, ou ne vivent que dans la region des tropiques; je ne fixerai pas l'attention de cette Assemblee sur les secours que la Geographie des plantes et des animaux (science a peine encore ebauchee) tirera un jour d'une connaissance specifique plus approfondie de la distribution climaterique des etres organises depuis les regions heureuses de la Chersonese et de la Mingrelie, depuis les frontieres de la Perse et de l'Asie mineure jusqu'aux tristes bords de l'Ocean glacial; je m'arrete de preference a ces phenomenes variables dont la periodicite reguliere, constatee avec la rigoureuse precision des observations astronomiques, conduirait immediatement a la decouverte des grandes lois de la nature. Si l'on avait connu dans le sein de l'ecole d'Alexandrie et a l'epoque brillante des Arabes (les premiers maeitres dans l'art d'observer et d'interroger la nature par la voie des experiences) les instrumens qui sont dus au grand siecle de Galilee, de Huyghens et de Fermat, nous saurions aujourd'hui par des observations comparatives, si la hauteur de l'atmosphere, la quantite d'eau qu'elle renferme et qu'elle precipite, la temperature moyenne des lieux, ont diminues depuis des siecles. Nous connaeitrions les changemens seculaires de la charge electro-magnetique de notre planete et les modifications que peut avoir eprouve, soit pour une augmentation de rayonnement, soit par des mouvemens volcaniques interieurs, la temperature des differentes couches du globe croissant en raison de la profondeur; nous connaeitrions enfin les variations du niveau de l'Ocean, les perturbations partielles que cause la pression barometrique dans l'equilibre des eaux, la frequence relative de certains vents dependant de la forme et de l'etat de surface des continens. M. Ostrogradsky soumettrait a ses profonds calculs ces donnees accumulees depuis des siecles, comme il a resolu recemment avec succes un des problemes les plus difficiles de la propagation des ondes. Malheureusement dans les sciences physiques la civilisation de l'Europe ne date pas de tres loin. Nous sommes, comme les pretres de Sais le disaient des Hellenes, un peuple nouveau. L'invention presque simultanee de ces organes qui nous rapprochent du monde exterieur, du telescope, du thermometre, du barometre, du pendule et de cet autre instrument, le plus general et le plus puissant de tous, du Calcul infinitesimal, date a peine de trente lustres. Dans ce confleit des forces de la nature, confleit qui ne detruit pas la stabilite, les variations periodiques ne semblent pas depasser de certaines limites: elles font osciller (du moins dans l'etat actuel des choses, depuis les grands cataclysmes qui ont enseveli tant de generations d'animaux et de plantes) le systeme entier autour d'un etat moyen d'equilibre. Or la valeur du changement periodique est determinee avec d'autant plus de precision, que l'intervalle entre les observations extremes embrasse un plus grand nombre d'annees. C'est aux corps scientifiques qui se renouvellent et se rajeunissent sans cesse, c'est aux academies, aux universites, aux diverses societes savantes repandues en Europe, dans les deux Ameriques, a l'extremite meridionale de l'Afrique, aux Grandes Indes et dans cette Australasie, naguere si sauvage, ou deja s'eleve un temple d'Uranie, qu'il appartient de faire observer regulierement, mesurer, surveiller pour ainsi dire, ce qui est variable dans l'economie de la nature. L'illustre auteur de la Mecanique celeste a exprime souvent verbalement la meme pensee au sein de l'Institut ou j'ai eu le bonheur de sieger avec lui pendant dix-huit ans. Les peuples occidentaux ont porte dans les differentes parties du monde ces formes de civilisation, ce developpement de l'entendement humain dont l'origine remonte a l'epoque de la grandeur intellectuelle des Grecs et a la douce influence du Christianisme. Divises de langages et de moeurs, d'institutions politiques et religieuses, les peuples eclaires ne forment de nos jours (et c'est un des plus beaux resultats de la civilisation moderne) qu'une seule famille, des qu'il s'agit du grand interet des sciences, des lettres et des arts, de tout ce qui, naissant d'une source interieure, du fond de la pensee et du sentiment, eleve l'homme au dessus des besoins vulgaires de la societe. Dans cette noble communaute d'interets et d'action, la plupart des problemes importans qui ont rapport a la Physique de la terre et que j'ai signales plus haut, peuvent sans doute devenir l'objet de recherches simultanees, mais l'immense etendue de l'Empire Russe en Europe, en Asie et en Amerique offre des avantages particuliers et locaux, bien dignes d'occuper un jour les meditations de cette illustre Societe. Une impulsion donnee de si haut produirait une heureuse activite parmi les physiciens observateurs dont s'honore Votre patrie. J'ose signaler ici et recommander a Votre surveillance speciale, Messieurs, trois objets qui ne sont pas (comme on le disait jadis en meconnaissant l'enchaeinement des connaissances humaines) de pure speculation theorique, mais qui touchent de pres aux besoins materiels de la vie. L'art nautique dont l'enseignement, encourage par d'augustes suffrages, a pris (sous la direction d'un grand navigateur) un si heureux developpement dans ce pays, l'art nautique reclame depuis des siecles une connaissance precise des variations du magnetisme terrestre en declinaison, inclinaison et intensite des forces, car la declinaison de l'aiguille en differens parages, dont l'appreciation est plus exclusivement requise par les marins, est intimement liee en theorie aux deux autres elemens, l'inclinaison et l'intensite mesuree par des oscillations. A aucune epoque anterieure la connaissance des variations du magnetisme terrestre n'a fait des progres aussi rapides que depuis trente ans. Les angles que forme l'aiguille avec la verticale et le meridien du lieu, l'intensite des forces dont j'ai eu le bonheur de reconnaeitre l'accroissement de l'equateur au pole magnetique, les variations horaires de l'inclinaison, de la declinaison et de l'intensite, modifiees souvent par des aurores boreales, des tremblemens de terre et des mouvemens mysterieux dans l'interieur du globe, les affollemens ou perturbations non periodiques de l'aiguille que j'ai designees, dans un long cours d'observations, par le nom d'orages magnetiques, sont devenus tour-a-tour l'objet des plus laborieuses recherches. Les grandes decouvertes d' Oerstedt, d' Arago, d' Ampere, de Seebeck, de Morichini et de Mistriss Somerville nous ont revele les rapports mutuels du magnetisme avec l'electricite, la chaleur et la lumiere solaire. Ce ne sont plus trois metaux seulement, le fer, le nickel et le cobalt, qui deviennent aimant. L'etonnant phenomene du magnetisme de rotation, que mon illustre ami, M. Arago, a fait connaeitre le premier, nous montre presque tous les corps de la nature transitoirement susceptibles d'actions electro-magnetiques. L'Empire de Russie est le seul pays de la terre traverse par deux lignes sans declinaison, c'est a dire, sur lesquels l'aiguille est dirigee vers les poles de la terre. L'une de ces deux lignes, dont la position et le mouvement periodique de translation de l'est a l'ouest, sont les elemens principaux d'une theorie future du magnetisme terrestre, passe d'apres les dernieres recherches de MM. Hansteen et Erman entre Mourom et Nijni-Novgorod, la seconde quelques degres a l'est d'Irkoutsk entre Parchinskaia et Iarbinsk. On ne connaeit point encore leur prolongement vers le nord, ou la rapidite de leur mouvement vers l'occident. La physique du globe reclame le trace complet des deux lignes sans declinaison, a des epoques egalement espacees, par exemple, de dix en dix ans, la recherche precise des variations absolues d'inclinaison et d'intensite sur tous les points ou MM. Hansteen, Erman et moi, nous avons observe en Europe, entre St.-Petersbourg, Cazan et Astrakhan, dans l'Asie septentrionale entre Iekaterinbourg, Miask, Oust-Kamenogorsk, Obdorsk et Iakoutsk. Ces resultats ne peuvent etre obtenus par des etrangers qui traversent le pays dans une seule direction et a une seule epoque. Il faudrait arreter un systeme d'observations sagement combinees, suivies pendant un long espace de tems et confiees a des savans etablis dans le pays. St.-Petersbourg, Moscou et Cazan sont heureusement places tres pres de la premiere ligne sans declinaison qui traverse la Russie d'Europe. Kiachta et Verkhne-Oudinsk offrent des avantages pour la seconde ligne, celle de Siberie. Lorsqu'on reflechit sur la precision comparative des observations faites sur mer et sur terre, a l'aide des instrumens de Borda, de Bessel et de Gambey, on se persuade aisement que la Russie, par sa position, pourrait dans l'espace de vingt ans, faire des progres gigantesques a la theorie du magnetisme. En me livrant a ces considerations, je ne suis, pour ainsi dire, que l'interprete de Vos propres voeux, Messieurs. L'empressement avec lequel Vous avez accueilli la priere que je Vous adressai, il y a sept mois, relative aux observations correspondantes de variations horaires faites a Paris, a Berlin, dans une mine a Freyberg et a Cazan par le savant et laborieux astronome M. Simonoff, a prouve que l'Academie Imperiale secondera dignement les autres Academies de l'Europe dans l'epineuse mais utile recherche de la periodicite de tous les phenomenes magnetiques. Si la solution du probleme que je viens de signaler, est egalement importante pour l'histoire physique de notre planete et les progres de l'art nautique, le second objet dont je dois Vous entretenir, Messieurs, et pour le quel l'etendue de l'Empire presente d'immenses avantages, tient plus immediatement a des besoins generaux, aux choix des cultures, a l'etude de la configuration du sol, de la connaissance exacte de l'humidite de l'air qui decroeit visiblement avec la destruction des forets et la diminution de l'eau des lacs et des riveres. Le premier et le plus noble but des sciences geit sans doute en elles-memes, dans l'agrandissement de la sphere des idees, de la force intellectuelle de l'homme. Ce n'est pas au sein d'une Academie comme la Votre, sous le Monarque qui regle les destinees de l'Empire, que la recherche des grandes verites physiques a besoin de l'appui d'un interet materiel et exterieur, d'une application immediate aux besoins de la vie sociale: mais lorsque les sciences, sans devier de leur noble but primitif, peuvent s'enorgueillir de cette influence direct sur l'agriculture et les arts industriels (trop exclusivement appeles utiles), il est du devoir du physicien de rappeler ces rapports entre l'etude et l'accroissement des richesses territoriales. Un pays qui s'etend sur plus de 135 degres de longitude, depuis la zone heureuse des oliviers jusqu'aux climats ou le sol n'est couvert que de plantes licheneuses, peut avancer, plus que tout autre, l'etude de l'atmosphere, la connaissance des temperatures moyennes de l'annee et, ce qui est bien plus important pour le cycle de la vegetation, celle de la distribution de la chaleur annuelle entre les differentes saisons. Joignez a ces donnees, pour obtenir un groupe de faits intimement lies entr'eux, la pression variable de l'air et le rapport de cette pression avec les vents dominans et la temperature, l'etendue des variations horaires du barometre (variations qui sous les tropiques transforment un tube rempli de mercure en une espece d'horloge de la marche la plus imperturbable), l'etat hygrometrique de l'air et la quantite annuelle des pluies, si importante a connaeitre pour les besoins de l'agriculture. Lorsque les inflexions variees des lignes isothermes ou d'egale chaleur seront tracees d'apres des observations precises, et continues au moins pendant cinq ans, dans la Russie d'Europe, et en Siberie; lorsqu'elles seront prolongees jusqu'aux cotes occidentales de l'Amerique ou residera bientot un excellent navigateur, le Capitaine Wrangell, la science de la distribution de la chaleur a la surface du globe et dans les couches accessibles a nos recherches, sera basee sur des fondemens solides. Le gouvernement des Etats-Unis de l'Amerique du nord, vivement interesse aux progres de la population et d'une culture variee de plantes utiles, a senti depuis long-tems les avantages qu'offre l'etendue de ses possessions depuis l'Atlantique jusqu'aux Montagnes Rocheuses, depuis la Louisiane et la Floride, ou se cultive le sucre, jusqu'au lacs du Canada. Des instrumens meteorologiques compares entr'eux ont ete distribues sur un grand nombre de points dont le choix a ete soumis a une discussion approfondie, et les resultats annuels reduits a un petit nombre de chiffres sont publies par un Comite central, qui surveille l'uniformite des observations et des calculs. J'ai deja rappele dans un memoire, ou je discute les causes generales dont dependent les differences des climats par une meme latitude, sur quelle grande echelle ce bel exemple des Etats-Unis pourrait etre suivi dans l'Empire de Russie. Nous sommes heureusement loin de l'epoque ou les physiciens croyaient connaeitre le climat d'un lieu, lorsqu'ils connaissaient les extremes de temperature qu'atteint le thermometre en hiver et en ete. Une methode uniforme fondee sur le choix des heures et au niveau des connaissances acquises recemment sur les vraies moyennes des jours, des mois et de l'annee entiere, remplacera les methodes anciennes et vicieuses. Par ce travail, plusieurs prejuges sur le choix des cultures, sur la possibilite de planter la vigne, le murier, les arbres fruitiers, le marronnier ou le chene disparaeitront dans certaines provinces de l'Empire. Pour l'etendre aux parties les plus eloignees, on pourra compter sur la cooperation eclairee de beaucoup de jeunes officiers tres instruits dont s'honore le Corps des mines, sur celle des medecins animes de zele pour les sciences physiques et sur les eleves de cette excellente institution, l'ecole des voies de communication, dans laquelle de fortes etudes mathematiques font naeitre comme un tact instinctif d'ordre et de precision. A cote des deux objets de recherches que nous venons d'examiner dans leur rapport avec l'etendue de l'Empire (le magnetisme terrestre et l'etude de l'atmosphere qui conduit en meme tems, a l'aide des hauteurs moyennes du barometre, a la connaissance perfectionnee de la configuration du sol) je placerai, en terminant, un troisieme genre de recherches d'un interet plus local, quoique lie aux plus grandes questions de la Geographie physique. Une partie considerable de la surface du globe, autour de la Mer Caspienne, se trouve inferieure au niveau de la Mer Noire et de la Baltique. Cette depression soupconnee depuis plus d'un siecle, mesuree par les travaux penibles de MM. Parrot et Engelhardt, peut etre rangee parmi les phenomenes geognostiques les plus etonnans. La determination exacte de la hauteur barometrique moyenne annuelle de la ville d'Orenbourg, due a MM. Hoffmann et Helmerssen; un nivellement par station, fait a l'aide du barometre, par ces memes observateurs d'Orenbourg a Gourief, port oriental de la Mer Caspienne; des mesures correspondantes prises pendant plusieurs mois dans ces deux lieux, enfin les observations que nous avons faites recemment a Astrakhan et a l'embouchure du Volga, correspondant a la fois a Sarepta, Orenbourg, Cazan et Moscou, pourront servir (lorsque toutes les donnees seront reunies et calculees avec rigueur) a verifier la hauteur absolue de ce bassin interieur. Sur la cote septentrionale de la Mer Caspienne tout paraeit indiquer aujourd'hui un abaissement progressif du niveau des eaux, mais sans ajouter trop de foi au rapport de Hanway (ancien voyageur anglais, d'ailleurs tres estimable) sur les accroissemens et les decroissemens periodiques, on ne saurait nier les envahissemens de la Mer Caspienne du cote de l'ancienne ville de Terek et au sud de l'embouchure du Cyrus, ou des troncs d'arbres epars (restes d'une foret) se trouvent constamment inondes. L'ilot de Pogorelaia Plita au contraire, semble croeitre et s'elever progressivement au dessus des flots qui le couvraient il y a peu d'annees, avant le jet de flammes que des navigateurs ont apercu de loin. Pour resoudre solidement les grands problemes relatifs a la depression, peut-etre variable, du niveau des eaux et de celui du bassin continental de la Mer Caspienne, il serait a desirer qu'on tracat dans l'interieur des terres, autour de ce bassin dans les plaines de Sarepta, d'Ouralsk et d'Orenbourg, une ligne de sonde, en reunissant les points qui sont exactement au niveau de la Baltique et de la Mer Noire, que l'on constatat par des marques placees sur les cotes dans tout le pourtour de la Mer Caspienne (a l'instar des marques placees presque depuis un siecle sur les cotes de Suede par les soins de l'Academie de Stockholm) s'il y a un abaissement general ou partiel, continu ou periodique des eaux, ou si plutot (comme le soupconne pour la Scandinavie le grand Geognoste, M. Leopold de Buch ) une partie du continent voisin s'eleve ou se deprime par des causes volcaniques agissant a d'immenses profondeurs dans l'interieur du globe. L'Isthme montueux du Caucase compose en partie de trachyte et d'autres roches, qui doivent leur origine indubitablement au feu des volcans, borde la Mer Caspienne a l'ouest, tandis qu'elle est entouree a l'est de formations tertiaires et secondaires qui s'etendent vers ces contrees d'antique celebrite, dont l'Europe doit la connaissance a l'important ouvrage du Baron de Meyendorf. Dans ces considerations generales que je soumets a Vos lumieres, Messieurs, j'ai tache d'indiquer quelques uns des avantages, que l'histoire physique du globe peut tirer de la position et de l'etendue de cet Empire. J'ai expose les idees dont j'ai ete vivement occupe a la vue des regions que je viens de visiter. Il m'a paru plus convenable de rendre un hommage public a ceux qui, sous les auspices du Gouvernement, ont suivi la meme carriere que moi, et de fixer les regards sur ce qui reste a faire pour les progres des sciences et la gloire de Votre patrie, que de parler de mes propres efforts et de resserrer dans un cadre etroit les resultats d'observations qui doivent encore etre compares a la grande masse de donnees partielles que nous avons recueillies. J'ai rappele dans ce discours l'etendue de pays qui separe la ligne sans variation magnetique a l'est du lac Baikal du bassin de la Mer Caspienne, des vallees du Cyrus et des sommets glaces de l'Ararat. A ces noms la pensee se reporte involontairement vers cette lutte recente dans laquelle la moderation du vainqueur a agrandi la gloire des armes, qui a ouvert de nouvelles voies au commerce et a affermi la delivrance de cette Grece, berceau long-tems abandonne de la civilisation de nos ancetres. Mais ce n'est point dans cette enceinte paisible que je dois celebrer la gloire des armes. Le Monarque auguste qui a daigne m'appeler dans ce pays et sourire a mes travaux, se presente a ma pensee comme un genie pacificateur. Vivifiant par son exemple tout ce qui est vrai, grand et genereux, il s'est plau, des l'aurore de Son regne, a proteger l'etude des sciences qui nourrissent et fortifient la raison, celle des lettres et des arts, qui embellissent la vie des peuples.