Rapport sur le voyage fait par MM. Ehrenberg et Hemprich en Egypte, Dongola, Syrie, Arabie, et a la pente orientale du plateau de l'Abyssinie, de 1820 a 1824; lu a l'Academie des sciences de Berlin par M. A. de Humboldt. L'academie des sciences nous a charges, MM. Link, Lichtenstein, Rudolphi, Weiss et moi, de lui faire un rapport sur les voyages entrepris, aux frais de l'etat, par MM. Ehrenberg et Hemprich, dans le desert de Libye, en Egypte, a Sennaar, a Dongola, au Liban, en Coelesyrie, dans l'Arabie occidentale, et a la pente orientale du plateau de l'Abyssinie, de 1820 a 1825; voyages qui ont enrichi, de la maniere la plus remarquable, toutes les parties de l'histoire naturelle et de la geographie physique. Si, par l'influence bienfaisante que chaque nouvelle collection d'objets relatifs aux sciences exerce sur l'avancement des connoissances humaines, c'est deja un merite incontestable, dans la longue duree d'un voyage perilleux, de decouvrir un grand nombre de nouvelles productions de la nature, de les conserver, et de les rapporter en Europe, ce merite s'accroeit bien davantage lorsque des hommes, envoyes par l'etat, sont deja profondement instruits, et que, penetres du sentiment eleve que leur vocation leur inspire, ils parcourent le monde, non seulement comme des naturalistes infatigables, mais aussi comme des observateurs attentifs et remplis de sagacite. Tout ce qui est relatif a la repartition geographique des formes animales et vegetales, a l'influence que la nature du sol, l'elevation des lieux et les nombreux effets du climat exercent sur la vie organique, ne peut etre approfondi que par l'examen immediat du voyageur. La connoissance des moeurs des animaux n'est pas moins importante que celle de leur structure qui determine leurs habitudes. Un grand nombre des observations les plus delicates en anatomie et en physiologie ne peuvent etre recueillies que sur les lieux ou l'on trouve les animaux. La geognosie ne peut etre redevable de ses progres a l'envoi de mineraux qui ont ete detaches de rochers isoles, sans un principe de direction premiere, sans nul egard a la maniere dont ils sont groupes dans les montagnes, a leur gisement relatif, a leur transition de l'un a l'autre, ni a leur date de formation. Le geognoste observateur peut seul contribuer aux progres de la science qu'il cultive; car cette science, dont le caractere essentiel est d'exposer l'enchaeinement des phenomenes et d'approfondir le rapport des roches heterogenes, ne pourra obtenir des efforts les plus actifs des hommes les plus zeles a recueillir ce qu'ils trouvent, mais denues de connoissances, les memes avantages que ces memes efforts procurent pour la description des animaux et des vegetaux. MM. Ehrenberg et Hemprich, sur lesquels le choix de l'academie s'etoit dirige a cause de plusieurs travaux distingues qu'on leur devoit, ont repondu de la maniere la plus satisfaisante a tout ce que, dans l'etat des sciences, on pouvoit exiger de voyageurs instruits. Le simple recit de ce qu'ils ont fait en est une preuve sans replique. Ils ont recueilli, comme si recueillir eaut ete leur unique objet; pour preparer et conserver les choses et leur donner des noms specifiques, ils ont effectue des travaux auxquels peut-etre ne se sont pas livres des voyageurs places dans des circonstances semblables a celles ou ils se sont trouves. Ce qu'ils ont envoye au museum royal remplissoit cent quatorze caisses de 20 a 30 pieds cubes. Le nombre des plantes depasse 46,000 individus, parmi lesquels il y a 2,900 especes. Le nombre des animaux est de 34,000 individus, comprenant 135 especes de mammiferes, 430 d'oiseaux, 546 de possons et d'amphibies, 600 d'annelides et de crustacees, et 2,000 d'insectes. La collection de mineraux a ete enrichie de 300 echantillons de roches qui, disposees d'apres leur gisement, repandent une vive lumiere sur la structure interieure de la terre dans des pays lointains et entierement nouveaux pour la geognosie. Mais toutes ces collections de mineraux, de vegetaux phanerogames et cryptogames, parmi lesquels les premiers seulement renferment probablement 5 a 600 especes nouvelles; de formes animales de toutes les classes, notamment des inferieures, ordinairement negligees par les voyageurs zoologistes; tous ces objets, dis-je, quoique leur possession materielle soit tres importante pour le musee royal, et que leur usage libre le soit pour l'accroissement de l'histoire naturelle, ne doivent cependant etre considerees que comme un avantage secondaire, et inferieur a celui qui doit resulter de la publication des observations faites par MM. Ehrenberg et Hemprich. L'etude de la nature dans la variete de ses productions et dans l'action de ses forces est le but essentiel d'une expedition du genre de celle dont notre rapport est le sujet. Les decouvertes geographiques d'un Mungo-Park, d'un Burckhardt, d'un Caillaud, d'un Clapperton, ont un autre caractere et une autre fin. En separant soigneusement les objets differens dont les deux especes de voyages ont a s'occuper, les membres de la commission se placeront dans une position qui les mettra en etat, ils l'esperent, de porter un jugement equitable sur ce qui a ete fait. Penetrer dans l'interieur d'un continent encore ferme, examiner des jonctions de rivieres, ou de lignes de partage, entierement nouvelles, et, comme temoins inattendus des progres secrets de la civilisation humaine, trouver des villes peuplees et industrieuses, sont des decouvertes qui valent avec raison au voyageur qui les a faites un honneur de tres-peu inferieur a celui qui appartient au courage. Des expeditions, qui, par des determinations astronomiques de lieux, accroissent lentement et presque imperceptiblement la geographie et rectifient ce que l'on connoeit deja, excitent en general peu d'interet; mais celles qui resolvent soudainement un probleme long-temps en question, en font, presque uniquement, naeitre un qui se propage rapidement: le langage usuel restreint meme l'expression de decouvertes au resultat des entreprises purement geographiques. Cette maniere partiale de considerer les choses ne convient pas aux hommes qui, intimement persuades de l'action reciproque des connoissances humaines, doivent embrasser, sous le meme point de vue, l'histoire naturelle et la geographie dans toutes leurs parties. Penetrer profondement dans la vie interieure des plantes et des animaux; trouver de nouvelles formes organiques qui, comme des membres intermediaires, reunissent des groupes eloignes et, suivant les apparences, isoles; etudier attentivement l'ensemble des phenomenes meteorologiques, ou le jeu, toujours actif des forces magnetico-electriques, n'honore pas moins les efforts penibles de l'esprit humain que la decouverte de lieux nouveaux, que la determination de rapports d'espace dont s'occupe la geographie descriptive. De meme qu'en appreciant avec equite ce que le hardi Mungo-Park a fait dans sa marche rapide, on ne peut le blamer de ce que son premier voyage n'a pas offert de resultats pour la botanique ou la zoologie, de meme on ne peut exiger d'une expedition essentiellement consacree a l'histoire naturelle qu'elle brille par des decouvertes geographiques. Chaque classe de voyages a son caractere particulier; louange aux voyageurs quand ils atteignent le but qui leur etoit propose. Nous avons cru devoir faire preceder de ces considerations generales notre rapport sur les voyages de MM. Ehrenberg et Hemprich, afin d'indiquer ce qui distingue, des autres voyages en Afrique, une expedition si importante, suggeree par l'academie royale des sciences. La multitude des objets traites par ces naturalistes nous a obliges de parler, dans des sections particulieres, des obligations que doivent a leurs efforts la botanique, la zoologie, l'anatomie comparee et la geographie. Quel zele perseverant, quelle energie n'a-t-il pas fallu pour produire ces resultats! c'est ce que prouveront le tableau historique du voyage et le recit des obstacles nombreux que les voyageurs ont eu, presque sans interruption, a combattre, et sous lesquels ils ont, helas! souvent succombe. Revue historique du Voyage. En 1820, le general Menu de Minutoli ayant resolu de faire en Orient un voyage, dont l'objet principal etoit la recherche des objets d'antiquites, il proposa a l'academie de se faire accompagner, aux frais de l'etat, de quelques jeunes gens instruits. Le ministere permit a M. Liman, professeur d'architecture, de se joindre a l'expedition, et l'academie des sciences accorda a MM. Ehrenberg et Hemprich, docteurs en medecine et naturalistes, qui s'etoient deja distingues par leurs travaux, une somme qui paroissoit suffisante pour remplir, pendant les premieres annees, l'objet propose. A Rome, la generosite de S. A. R. le prince Henri de Prusse permit a la societe de s'adjoindre M. Scholz, savant orientaliste. Le plan du general Minutoli etoit de parcourir l'Egypte avec ses oasis, la Cyrenaique, le Dongola, la presqu'eile du mont Sinai, la Palestine, la Syrie, et une partie de l'Asie-Mineure, et de revenir par la Grece, en Allemagne. Les naturalistes recurent de l'academie des sciences des instructions ecrites fort succinctes, ainsi que des questions sur les choses qui devoient principalement fixer leur attention dans ces pays lointains. Au mois d'aoaut, toute la troupe, a l'exception de M. Liman, se trouva reunie a Trieste, puis se partagea sur deux navires qui, au mois de septembre suivant, entrerent heureusement dans le port d'Alexandrie. Les renseignemens que l'on obtint des person nes qui connoissoient le pays, sur la possibilite d'un voyage dans la Cyrenaique, furent tels que l'entreprise parut praticable sans danger imminent. M. Drovetti, qui, pendant plusieurs annees, avoit rempli en Egypte les fonctions de consul de France, et qui avoit visite l'oasis de Siouah, dirigea, avec une complaisance prevenante, l'equipement de la caravane, qui etoit composee de cinquante-six chameaux, et de vingt-cinq Bedouins armes, au nombre desquels il y avoit un cheikh arabe et ses parens. Un firman du grand-seigneur, et des lettres de recommandation speciales du pacha d'Egypte, adressees a Halil, bey de Derna, faisoient esperer au general Minutoli qu'il n'auroit pas a redouter des obstacles de nature politique. M. Liman n'etoit arrive a Alexandrie qu'apres le depart de la caravane; il ne la rejoignit qu'a Aboukir. Son empressement extreme lui avait fait negliger le soin de se pourvoir de vetemens convenables; et, quoique ses compagnons de voyage offrissent tout ce qu'ils pouvoient pour suppleer a ce qui lui manquoit, il est tres-vraisemblable que ce defaut de vetemens contribua beaucoup au derangement de sa sante. La mechancete des Bedouins occasionnoit journellement des querelles serieuses dans la caravane; ils appartenoient a des tribus differentes; et, lorsque l'on eut penetre tres-avant dans le desert de Libye, Hadji Endaoui, cheikh bedouin, declara qu'il n'avoit aucun pouvoir sur elles. Son impatience egaloit celle des voyageurs. Ce fut au milieu de ces circonstances contrariantes, qui obligeoient d'avoir toujours des gardes pendant la nuit, que la caravane parvint a un lieu qui n'est eloigne que d'une journee de route des frontieres du territoire de Tripoli. Alors le cheikh annonca que, sans la permission expresse de Halil, bey de Derna, il ne pouvoit franchir les limites. En consequence, des messagers furent envoyes avec des lettres de recommandation. Les dissentions entre les Arabes augmentant tous les jours, la caravane se partagea. Le general Minutoli, avec le cheikh et le principal interprete, preit la route de l'Ammonium, pour retourner de la au Caire; l'autre partie de la caravane, a laquelle les naturalistes et les artistes appartenoient, resolut d'attendre le retour des messagers. Ce fut a Birel Kor que la separation eut lieu. On attendit vainement pendant dix-sept jours dans le desert; les messagers ne parurent pas. Des voyageurs, que l'on rencontra, raconterent que Halil, bey de Derna, avoit ete extremement trouble de l'arrivee d'une caravane dans laquelle se trouvoit un general. Par un plus long retard, on auroit passe le terme pour lequel les chameaux avoient ete loues; on se determina donc a gagner l'oasis de Siouah, ou l'on esperoit trouver protection de la part des Bedouins qui l'habitoient. Un present considerable fut promis a un guide qui restoit dans un camp de Bedouins, s'il pouvoit rapporter a Siouah une reponse favorable du bey de Derna; mais on fut decu dans toutes ces esperances. La caravane traversa, presque sans interruption, le desert, pendant cinq jours et cinq nuits. A Siouah, les chefs qui exercoient le pouvoir supreme dans l'oasis, dirent que les voyageurs etoient des espions, et les menacerent de faire tirer sur eux s'ils franchissoient les bornes d'un espace qui leur fut assigne. En revenant a Alexandrie, MM. Liman, et Guillaume Söllner, aide naturaliste, tomberent malades par suite du refroidissement de la temperature et de la fatigue de la marche. Ils arriverent tous deux jusqu'au bord de la mer; mais, au mois de decembre, ils moururent victimes de leurs efforts penibles. Au Caire, M. Scholz se separa des naturalistes, et se dirigea vers la Palestine. MM. Ehrenberg et Hemprich suivirent alors seuls le plan du voyage qui leur avoit ete trace. Une excursion entreprise au mois de mars dans la province de Fayoum, fut interrompue par une fievre nerveuse qui retint M. Ehrenberg pendant trois mois dans une tente, au pied de la grande pyramide de Sakhara. Les soins assidus de son ami purent seuls le sauver; ce ne fut qu'a la fin de mai 1821, qu'il devint possible de continuer le voyage du Fayoum. Il fut le plus productif pour l'entomologie. Francois Kreysel, natif d'Auras, en Silesie, qui avoit remplace Söllner, s'etant refroidi dans le lac Moeris, en chassant aux oiseaux aquatiques, mourut de la dyssenterie. La somme que l'academie des sciences avoit fournie de ses propres moyens etoit epuisee; alors le voyage auroit ete termine, si les souhaits de l'academie n'eussent pas ete accomplis avec promptitude par M. le baron d'Altenstein, ministre du roi. Les voyageurs, s'attendant avec raison a decouvrir de nouvelles formes de corps organiques dans des pays plus meridionaux, resolurent de suivre l'armee victorieuse de Mehemed-Ali. Depuis le mois d'aoaut 1821 jusqu'en fevrier 1823, ils parcoururent la Nubie, et arriverent a Dongola. Toutes les esperances que pouvoient faire naeitre ces contrees, non encore parcourues par des naturalistes, furent accomplies de la maniere la plus satisfaisante. MM. Ehrenberg et Hemprich arriverent, par la Nubie, jusque dans le desert d'Emboukol et de Corti, qui separe le Cordofan de Dongola. La diminution de leurs finances, et le desir de mettre en saurete les objets d'histoire naturelle deja recueillis, engagerent les voyageurs a se separer dans ce lieu. M. Hemprich conduisit les collections a Alexandrie; mais, au lieu de l'argent qu'il attendoit, il y trouva l'ordre de revenir. M. Ehrenberg, reste a Dongola, quitta ce pays qu'une revolution et l'assassinat d'Ismael-Pacha avoient jete dans une grande confusion. Une fievre inte mittente des tropiques avoit affoibli la sante de M. Ehrenberg. Dans ce voyage, Vincenzo, Italien, se noya dans le Nil, et Ibrahim, l'interprete, mourut de la peste. MM. Ehrenberg et Hemprich furent alors obliges de vendre, en Egypte, leurs chameaux et leurs effets. Pendant qu'ils faisoient les preparatifs de leur depart pour revenir en Europe, arriva la nouvelle agreable que le gouvernement leur avoit accorde des sommes considerables pour la continuation de leur entreprise. Afin d'employer utilement le temps qui pouvoit s'ecouler jusqu'a ce que cet argent leur parveint, ils resolurent de visiter le golfe de Suez, le mont Sinai, et les eiles le long de la cote, depuis Akaba jusqu'a Moile. Cette excursion dura du mois de mai 1823 au mois de mars 1824. Hemprich revint a Alexandrie avec les collections faites dans la presqu'eile; mais il ne trouva que la moitie de la somme qu'il attendoit. Ehrenberg resta cinq mois au Tor, et dans une si grande penurie qu'il manquoit des choses indispensables a l'existence. Le projet forme precedemment par les deux voyageurs de s'embarquer au Tor, pour l'Abyssinie, dut alors etre abandonne. Ce ne fut qu'au retour d'Ehrenberg a Alexandrie, que s'eclaircit l'obscurite qui planoit sur l'arrivee des nouvelles sommes qui leur avoient ete accordees par l'etat. Le bruit s'etoit repandu que le consul de Prusse a Trieste, chez lequel cet argent avoit ete depose, avoit fait banqueroute et s'etoit tue. Dans de telles conjonctures, il ne restoit plus aux deux naturalistes qu'a attendre de nouveaux ordres et de nouvelles remises. La peste devastoit l'Egypte; il parut plus avantageux de profiter de la saison favorable pour visiter le Liban, eloigne seulement de douze journees de navigation, que de passer le temps a ne rien faire. Un sejour de trois mois fut suffisant pour gravir deux fois sur le sommet neigeux de cette chaeine; la premiere par Sarnin, en traversant ensuite la Coelesyrie jusqu'a Balbeck; la seconde, en allant de Balbeck, par Bischerra, et la foret des Cedres, a Tripoli, sur la cote maritime. Dans les premiers jours d'aoaut 1824, les voyageurs revirent Damiette et Alexandrie; mais leur societe eprouva une nouvelle perte: en revenant de Syrie, un des aides-naturalistes fut enleve par la fievre. Heureusement l'argent et de nouveaux ordres pour la continuation du voyage etoient arrives a Alexandrie. MM. Ehrenberg et Hemprich, animes d'un courage renaissant, se deciderent a entreprendre a l'instant le voyage en Abyssinie, depuis si long-temps l'objet de leurs voeux. La mer Rouge leur promettoit une grande richesse en annelides, en mollusques, en animaux du corail. Les fragmens d'observations, sauves des papiers de Forskol, faisoient desirer de nouvelles recherches sur l'ichtyologie de ces parages dont l'eau est toujours echauffee. Le 27 novembre 1824, MM. Ehrenberg et Hemprich purent enfin se mettre en route pour l'Abyssinie. Ils allerent d'abord par mer de Suez a Djedda, d'ou ils firent une excursion vers la Mecque, afin de determiner le vegetal celebre qui donne le baume. Plus au sud, a Goumfoude, dans l'Arabie deserte, un gouverneur turc se montra reconnoissant des soins que les medecinsvoyageurs lui avoient donnes. Il les fit accompagner d'une escorte militaire avec laquelle ils purent aller en saurete se livrer a des recherches dans le mont Derban, situe a peu de distance. La saurete de leur traversee leur offrit des objets importans a observer; tels que Ketoumboul, eile rocailleuse et volcanique, et une autre dans laquelle paissent des gazelles, et que les habitans nomment Farsan. Cette derniere ne se trouve pas sur la carte qui est jointe au voyage de lord Valentia. De Ghisan, lieu situe sur la limite entre l'Arabie-Heureuse et l'Arabie-Deserte, les voyageurs allerent a Loheia, ville dans le voisinage de laquelle l'infortune Forskol se vante d'avoir recueilli la plus grande quantite de plantes de l'Arabie. Plus au sud encore, on visita Kameran, Haouakel et Dalac; enfin, le 24 avril 1824, les voyageurs entrerent dans le port de Massaoua. Au sud-ouest de cette ville, s'eleve le plateau de l'Abyssinie qui devoit etre le but du voyage. Hemprich fit une excursion au mont Ghedan; Ehrenberg alla dans les montagnes de Taranta jusqu'aux sources thermales d'Eilet. Sur la pente du plateau d'Abyssinie, on recueillit des productions de la nature qui, seulement par le lieu ou elles se trouvent, appartiennent aux plus rares qu'un museum europeen puisse posseder. Malheureusement une perspective si flatteuse fut troublee par de nouveaux accidens. Une maladie epidemique regnoit a Massaoua; elle coauta la vie a Niemeyer, natif de Brunswick, et aide des naturalistes; tous les autres voyageurs, a l'exception de Fienzi, peintre italien, tomberent malades et furent long-temps dans un grand danger. Hemprich, fatigue de son voyage penible dans les montagnes, succomba, le 30 juin, apres avoir donne, pendant cinq ans, des preuves d'un talent distingue, d'une activite infatigable, et d'un courage sans lequel il est impossible d'entreprendre un voyage en Orient. M. Ehrenberg, vivement affecte de la perte de son ami, ne s'occupa plus que de son retour, et, apres une absence de dix mois, revint, par Djedda, Cosseir et le Caire, a Alexandrie, ou, au commencement de novembre 1825, il s'embarqua pour Trieste. Voila l'apercu general des contrees dans lesquelles les voyageurs ont recueilli leurs observations. Dans l'expose qui va suivre de ce qu'ils ont fait pour la botanique et la geographie des plantes, pour la zoologie et l'anatomie comparee, pour la geognosie et la mineralogie, pour la geographie et l'ethnographie, nous ne separerons pas les travaux d'Ehrenberg de ceux d'Hemprich; ces deux naturalistes, unis par les liens de l'amitie la plus intime, ayant exprime, avant et durant le voyage, le voeu que tout ce qu'ils avoient fait faut considere comme leur appartenant en commun. Resultats pour la botanique. A l'exception de la collection nombreuse de plantes que M. Delile avoit faite en Egypte, il n'y avoit eu, dans ces derniers temps, rien d'effectue pour la botanique de ce pays; mais M. Delile n'etoit pas alle tres-loin au sud. Les excursions entreprises en Nubie avoient enrichi les arts, mais n'avoient rien produit pour la botanique. Nous recevions de ces contrees beaucoup de drogues tres-efficaces et tres-usitees en medecine; et nous ne connoissions nullement leur origine, ou du moins nous n'avions sur ce point que des notions peu saures; nous ne sommes donc pas en etat de juger suffisamment si elles ne sont pas falsifiees et si elles sont de bonne qualite. La plupart des botanistes, hors de l'Europe, faisoient peu d'attention a ces rudimens de vegetation que nous designons sous les noms de champignons et d'algue, bien qu'ils soient tres-importans pour l'histoire de la nature. Long-temps avant d'entreprendre son voyage, M. Ehrenberg avoit montre une connoissance si intime de cette vegetation cachee, que, sous ce rapport, on attendoit beaucoup de lui. Depuis Forskol, qui faisoit partie de cette expedition de savans dont Niebuhr seul revint en Europe, nul botaniste n'avoit parcouru l'Arabie; mais Forskol mourut dans le voyage, et ce qui a ete sauve de ses collections est dans un etat qui a plutot occasionne des meprises que donne des lumieres. La mort malheureuse de M. Hemprich empecha de penetrer en Abyssinie; mais la petite quantite de plantes que l'on obtint fut importante pour la connoissance de ce pays, Bruce et Salt n'ayant fait que tres-peu de chose pour la botanique. Quoique les plantes du Liban aient ete examinees avec beaucoup de soin par M. La Billardiere, cette chaeine est si riche en vegetaux, que l'on pouvoit s'attendre a y faire une recolte abondante. Les voyageurs ont, par leurs travaux, repondu a cette esperance d'une maniere signalee. Le nombre des especes de plantes qu'ils ont recueillies se monte a 2,875; savoir, 1,035 en Egypte et dans le Dongola, 700 en Arabie et en Abyssinie, 1,140 dans le Liban, proportion d'autant plus remarquable pour cette chaeine que les voyageurs ne purent lui consacrer que deux mois, par consequent une seule saison. Les graines de 699 especes ont ete recueillies et envoyees au jardin royal; plus de 300 y ont fleuri; il y en a dans le nombre de nouvelles et de remarquables. On peut estimer le nombre des especes non encore decrites a 600. Il y a, dans la collection, 44 echantillons de bois, et 44 drogues medicinales tirees du regne vegetal. On doit regretter que, de 48 arbres vivans, un seul, qui est une espece de saule (Salix subserrata), soit arrive en bon etat; tous les autres sont morts. Plus de 1,000 especes de plantes ont ete examinees vivantes; beaucoup de fleurs et de fruits ont ete disseques; les plantes grasses ont ete soigneusement dessinees. La plupart des especes decrites par Forskol ont ete retrouvees. Les voyageurs ont recueilli la myrrhe sur l'Amyris Kataf; determine avec exactitude les differens arbres qui donnent la gomme arabique et les follicules de sene, et fourni des details sur la maniere dont on se procure l'aloes. La manne du Sinai est produite par une espece de tamarisc non encore decrite. Trois nouvelles especes de plantes alimentaires ont ete observees; ce sont le Zygophyllum album, le Panicum turgidum et le Cucumis farinosa. La couleur de la mer Rouge a depuis long-temps occasionne beaucoup de recherches, M. Ehrenberg, le premier, a vu qu'elle est due a une petite oscillatoria, une de ces plantes exigues qui tiennent le milieu entre les vegetaux et les animaux. Nous savons actuellement par M. Ehrenberg que les moisissures, petites plantes qui naissent sur les choses gatees, sont entierement les memes sous les differentes zones, et qu'en general les vegetaux de l'ordre inferieur restent les memes sous les divers climats. Les commencemens de la vegetation sur les eiles basses de la mer Rouge ont ete observes avec soin. Les voyageurs ont remarque, avec beaucoup d'attention, la propagation des plantes tant cultivees que sauvages; ce qui fait esperer un grand accroissement a la geographie des plantes. Resultats pour la Zoologie. Ce que les voyageurs ont fait pour la zoologie est non seulement aussi important que leur travail dans les autres branches de l'histoire naturelle, mais aussi par la richesse, la diversite, et la preparation des objets recueillis, ainsi que par la profondeur des observations ecrites et des experiences auxquelles ces objets ont donne lieu, cette partie est d'une si haute consequence que l'on auroit sujet d'etre satisfait, quand meme l'expedition n'auroit pas eu d'autre resultat. En effet, il est si considerable que l'on a de la peine a comprendre comment les voyageurs ont ete en etat de tant faire pour les autres divisions de l'histoire naturelle. Ils ont envoye 590 individus qui appartiennent a 135 especes differentes. Le plus petit nombre etoit connu, soit en general, soit par des descriptions exactes. Des individus, ou les observations dont ils ont ete le sujet, ont fourni des explications tres-importantes de passages d'auteurs anciens, de doutes des auteurs modernes, de la signification de sculptures anciennes. La quantite et le choix des exemplaires ont produit des lumieres sur les variations resultant du genre, de l'age et des saisons; des recherches anatomiques, faites en meme temps, ont complete l'idee que l'on doit concevoir de leur nature, de sorte qu'il reste bien peu a faire aux observateurs futurs. Les formes les moins connues ont procure des renseignemens utiles pour connoitre leur extension geographique, et faire considerer les changemens des individus comme des consequences de l'influence des climats differens sous lesquels ils ont ete rencontres. Les bornes que doit avoir ce rapport ne permettent de citer que quelques exemples de ce que les travaux des deux voyageurs offrent de plus important. Dans l'ordre des rongeurs, ils nous ont les premiers fait connoeitre avec exactitude le lievre de Libye, et en ont decouvert deux varietes remarquables qui sont peut-etre des especes particulieres, l'une en Nubie, l'autre sur le Sinai. La singuliere famille des gerboises, tant de la division a trois doigts (dipus) que de celle a cinq doigts (meriones), a obtenu, par la decouverte de plusieurs especes nouvelles, une richesse que l'on n'auroit pas pu deviner. Des opinions de Bruce, de Meyer et meme de Pallas qui paroissoient singulieres, ont ete rendues claires ou rectifiees de la maniere la plus satisfaisante. On a eu lieu d'etre surpris de la diversite et du caractere particulier des formes de tant de petits rongeurs de la famille des rats qui vivent sous terre et dans la vallee du Nil, en Arabie, et en Syrie, et il a ete tres-interessant de les comparer avec les rongeurs d'Asie, si bien decrits par Pallas, et dont une coincidence heureuse nous a, a la meme epoque, procure par MM. Eversman et Gebler un si grand nombre venant de la Siberie. Le Liban et le versant oriental des montagnes d'Abyssinie ont fourni de nouvelles especes d'ecureuils tres-curieuses; ce dernier pays a aussi donne le babouin d'Arabie (Simia Hamadryas), jusqu'a present si imparfaitement connu, et qui vit sur les hauteurs des parties equinoxiales des deux cotes de la mer Rouge. Le fameux singe rouge (Simia Patas) fut apporte vivant du Sennaar; l'individu etoit si grand et si fort, qu'il a change toutes les idees que l'on avoit sur cette espece et sa place dans les systemes. Parmi les carnassiers, les genres du chien, du chat, de la civette, de l'ichneumon, de la marte, de la belette et de la musaraigne ont ete soit enrichis de nouveaux genres, soit rendus plus clairs par le complement de faits connus et par l'authenticite des individus envoyes. Le fameux cerdo des anciens, ou fennek a longues oreilles de Bruce, expedie en Europe par nos voyageurs, est le premier qui y soit parvenu, et, de meme que deux autres especes, le canis riparius et le canis pygmaeus, se montre comme un diminutif de la forme des renards, et ne devant pas former un genre separe de cette grande famille. Les questions relatives aux points qui etablissent la difference entre le vrai chacal et les autres especes de chiens orientaux et a la degeneration que notre renard subit dans les pays chauds et secs, trouveront une reponse passablement satisfaisante dans nos rapports ulterieurs. Pareillement les chats de ces contrees, designes, dans les manuels systematiques, sous les noms de Felis Libyca, F. ocreata, F. Manul, etc., ne doivent etre consideres que comme des varietes du chat sauvage ordinaire, et les lignes constantes que nos individus y forment meritent sans doute, sous ce rapport, l'attention des nouvelles methodes de zoologie. Parmi les autres carnassiers, on se contentera de citer une petite belette assez semblable a notre hermine avec son pelage d'ete, mais chez laquelle on observe distinctement des membranes natatoires, et qui, d'ailleurs, rapproche encore plus les belettes et les loutres entre lesquelles il y a tant d'affinite. Le voyage a aussi fait connoeitre une espece d'ours trouvee dans le Liban; sa petite taille et la couleur claire de son poil peuvent faire croire, en attendant un examen exact du crane, que ce n'est pas seulement une variete de l'ours terrestre d'Europe. Sur le Sinai et dans toutes les hauteurs moyennes des montagnes de la Nubie et de l'Arabie, vit un hyrax (hyrax syriacus), qui a beaucoup d'affinite avec le klippdachs du Cap. On ignoroit en quoi consistoient les differences entre ces deux especes, et on doutoit meme qu'il en existat. Mais nous avons trouve une dissemblance frappante dans le rapport de la longueur des pattes a celle du corps, et nous presumons que les suppositions de Schreber et de Shaw, a cet egard, sont exactes. Mais ce sont surtout les decouvertes faites dans l'ordre des ruminans que l'on peut qualifier de brillantes, car elles fournissent de nombreux materiaux pour expliquer divers passages des anciens. L'academie a deja sous les yeux un rapport etendu sur ce resultat de l'examen des antilopes de Nubie. Depuis, une nouvelle espece a ete decouverte en Arabie: probablement elle avoit toujours ete confondue avec l'antilope dorcas. Elle a ete trouvee dans l'eile de Farsan, jusqu'a present inconnue. L'antilope modoqua (antilope saltiana de Blainville), la plus elegante de toutes, qui precedemment n'etoit connue que par un fragment conserve dans le musee de Londres, a ete apportee en plusieurs individus pris dans les differens etats de la vie. Son veritable caractere est donne pour la premiere fois. Les voyageurs ont egalement retrouve, en Nubie, le tragelaphus de Pline, et ont obtenu, en Egypte, des chevres semblables a celles de ce dernier pays qui ont le museau aplati, mais qui, par l'abondance et la finesse de leur laine, le cedent de bien peu a celles des Kirghiz qui ont ete prises dans le troupeau de M. Ternaux a Saint- Ouen et amenees ici. Un crane et les cornes d'un apis, apporte des pyramides de Sakhara, fait connoeitre avec certitude l'espece et la forme de l'ancien taureau sacre. Un grand nombre de chauve souris a ete trouve dans les pyramides et les cavernes de la vallee du Nil; d'abord toutes celles qui sont decrites par M. Geoffroy dans la Description de l'Egypte, et plusieurs nouvelles, une entre autres avec de tres-grandes mamelles abdominales que, jusqu'a present, on n'a pas observees dans ce genre de mammiferes. La syrene de la mer Rouge est, selon les renseignemens obtenus, une espece du genre halicore, nommee par les Arabes, naga et lothum. Les voyageurs ont trouve dans une eile deserte et rapporte un crane qui ne laisse aucun doute a cet egard. Il a besoin d'etre examine avec plus d'attention, pour s'assurer si l'espece n'est pas identique avec celle de l'Inde que l'on connoeit deja. M. Hemprich obtint en present, d'Abdim-bey, gouverneur de Dongola, une peau d'hippopotame, ainsi qu'un squelette et une peau de girafe. Le nombre des oiseaux recueillis et prepares de diverses manieres est de 4,671 individus compris dans 429 especes. Les premiers envois renfermoient tout ce qui est represente dans les planches d'ornithologie de la Description de l'Egypte, planches excellentes, mais malheureusement trop peu nombreuses; les envois suivans ont augmente proportionnellement l'admiration causee par l'inepuisable richesse de ces contrees et le zele infatigable des voyageurs. La vallee du Nil a donne plusieurs oiseaux europeens qui cependant sont d'un grand prix pour l'etude de l'ornithologie indigene, dont les progres sont si rapides; mais les excursions au Dongola, en Arabie, en Syrie, enfin en Abyssinie, ont procure une quantite toujours croissante de formes d'oiseaux des tropiques. Les deserts ont fourni des outardes, des ganga, des alouettes, des tourne-pierres d'especes inconnues, et meme de nouveaux degres de formes dans ces genres; les rivages humides, une foule de merles, de grives, de guepiers, de martins-pecheurs; les bords de la mer, des pluviers, des barges, des spatules, des mouettes et des hirondelles de mer, et, dans tous ces genres, plus d'especes nouvelles et rares que de connues et de communes. Parmi les plus remarquables, nous ne citerons qu'une tres-belle autruche du Kordofan, la magnifique cigogne pourpree (ciconia abdimii), l'ibis a longue chevelure (ibis comata), le grand vautour chauve d'Egypte, le faucon a tete blanche qui est vraisemblablement le type du faucon sacre, souvent represente avec Phre, dieu du soleil; les mouettes a tete noire et grise; enfin le dromas ardeola, peint, il y a vingt ans, par Paykull, d'apres un individu unique, dont on ignoroit la patrie et qui n'avoit pas ete retrouve. Les genres anas, totanus et tringa, quoique leurs especes soient tres-nombreuses en Orient, n'en ont donne que d'europeennes. Dans les autres genres, le nombre des especes etrangeres est plus considerables meme pour ceux qui, vu la proximite des continens, devroient offrir beaucoup d'especes europeennes; par exemple, les genres falco, strix, columba, turdus, fringilla, emberiza, charadrius; et une particularite remarquable est l'identite parfaite entre quelques oiseaux de la mer Rouge et ceux de la cote du Bresil; par exemple, le sterna cayennensis, le larus macrorynchos, le dysporus sula, et d'autres qui n'ont encore ete trouves que dans les parages cites. Le nombre des especes d'amphibies est de 120. M. Ehrenberg en a dessine beaucoup d'apres l'individu vivant. Les especes de poisson s'elevent a 426, dont 310 appartenant a la mer Rouge, comprennent, a peu d'exceptions pres, toutes les especes citees par Forskol, et sont une fois plus nombreuses. M. Ehrenberg, et dans la derniere annee, M. Finzi, peintre italien que ce savant avoit instruit, ont mesure presque toutes les formes de poissons, les ont dessinees rigoureusement, et en ont colorie 110 especes d'apres nature. Le poisson volant de la mer Rouge, qui est peut-etre le salwa ou l'animal volant de l'histoire des Israelites, n'etait connu par l'ouvrage de Forskol que comme un phenomene en haute mer: nos voyageurs l'ont vu frequemment; et une fois, par un hasard extremement heureux, ils l'ont trouve mort sur le rivage, mais nullement endommage, a peu de distance de Rhalim (Elim), lieu duquel les Israelites etoient peu eloignes, a moins que l'on ne veuille prendre ces animaux volans pour des sauterelles. Dans les gros temps, ce poisson tombe parfois en troupe sur les navires. On n'a pas pu apprendre qu'on le peche soit a la ligne, soit avec les filets usites dans ces contrees, parce qu'il ne s'approche pas de la cote, et ne mord a aucun appat. Les voyageurs l'ont nomme trigla israelitarum. Parmi les poissons d'eau douce, independamment de ceux du Nil dont plusieurs sont nouveaux, entre autres une grande espece qui a de l'affinite avec le sudis du Senegal, et un poisson du Dongola qui forme un genre nouveau, et qu'ils ont nomme heterotis nilotica, ils en ont aussi decouvert d'autres dans le Nahr-el-Kelb (riviere du Chien), et dans le Nahr-Ibrahim (riviere d'Abraham), en Syrie; dans le ruisseau que forment les eaux thermales de Rhalim, pres de Tor, dans le Sinai, dans le Ouadi-Kamme, riviere precedemment inconnue, et dans le Ouadi-Djara, dans l'Arabie-Deserte, et dans le ruisseau qui sort de la source du soleil, dans l'oasis d'Ammon: celui-ci fut trouve dans le ventre d'un heron qu'on venoit de tuer. Les voyageurs ont recueilli 3,508 mollusques; savoir, 2,657 coquillages et 851 animaux conserves dans l'esprit de vin. Ils comptent 310 especes. On concoit aisement que, dans le grand nombre des coquilles, il doit, en proportion des autres divisions, s'en trouver peu de nouvelles, mais en revanche les mollusques nus et les ascidies en ont offert beaucoup. En comparant les animaux de cette classe qui habitent la mer Rouge, avec ceux de la mer Mediterranee qui en est si voisine, on obtiendra un resultat assez precis. La derniere liste des coquillages de la mer Rouge, donnee par Brocchi dans la Bibliotheca italiana de 1822, n'en contient que 91 especes. La plupart des mollusques nus ont ete peints par M. Ehrenberg d'apres les in dividus vivans. 251 flacons sont remplis d'annelides au nombre de 67 especes, la plupart tres-remarquable par la diversite de leurs formes. M. Ehrenberg pense que c'est un des resultats les plus importans du voyage. Tous ces animaux ont ete examines avec le microscope et decrits: les caracteres nouveaux ont ete dessines. Les voyageurs sont redevables de la possibilite d'un examen exact en ce genre a la complaisance de M. Savigny de Paris, qui a eu la bonte de leur envoyer un travail classique sur ce sujet. Il y a eu 675 crustacees recueillis, dont 103 especes. Une certaine quantite des plus beaux ont ete colories d'apres l'individu vivant. Le nombre des arachnoides est de 275 individus appartenant a 120 especes, la plupart dans l'esprit de vin; toutes ont ete peintes par M. Ehrenberg, et decrites en detail. Cette division, jusqu'a present si peu etudiee, pourroit avoir un interet particulier pour l'histoire naturelle. Il a ete envoye plus de 20,000 insectes, mais un grand nombre ont ete gates en chemin; cependant il paroeit que peu d'especes sont perdues; la quantite en est de 1,500 a 2,000. Les voyageurs ont porte leur attention non seulement sur les coleopteres et les papillons, mais principalement sur les hymenopteres, les dipteres et d'autres divisions peu etudiees auparavant; plus des deux tiers des especes sont probablement nouveaux. A chaque caisse etoit joint un catalogue detaille avec des observations sur le developpement, la maniere de vivre et la metamorphose des individus, sur le lieu ou ils ont ete rencontres. Les especes les plus difficiles a conserver ont ete dessinees en couleur. Les voyageurs ont eu la satisfaction de decouvrir dans un petit coccus du tamaix mannifera, arbrisseau du Sinai, tres rapproche du T. gallica, le producteur de la manne cherche en vain depuis si long-temps. Les especes d'epizoaires, d'epinodermes, d'entozoaires, d'achlephes, de polypes, d'animaux du corail sont tresnombreuses. Des observations sur les infusoires ont ete faites en Egypte et dans le Dongola, dans l'oasis de Jupiter Ammon et sur le Sinai. Les voyageurs ont essaye, mais inutilement, de decouvrir des infusoires dans la rosee recemment tombee. Enfin, par leur attention a noter les lieux ou ils ont trouve les divers animaux, ils ont enrichi considerablement la geographie zoologique qui embrasse jusqu'aux formes les plus basses, sans donner a une division la preference sur une autre. Resultats pour la zootomie et la physiologie. Les voyageurs ont apporte autant et meme plus d'attention a l'examen des animaux les plus simples et les plus petits, qu'a celui des plus grands, ce qui etoit d'autant plus a desirer que, pour les premiers, cette operation n'est possible que lorsqu'ils sont dans un etat de fraeicheur. Ainsi, par ce procede, le nombre des especes et des genres a ete beaucoup augmente, et tres-frequemment leur structure a ete representee d'une maniere tressatisfaisante. L'on eprouve un grand plaisir en parcourant la quantite de figures excellentes de polypes, d'entozoaires, de radiaires, de mollusques, etc., et en rencontrant partout des observations interessantes. Resultats pour la geognosie et l'oryktognosie. Dans les vastes regions qu'ils ont parcourues, les voyageurs ont examine partout les roches, d'apres leur gisement relatif. Celles qu'ils ont recueillies peuvent se diviser en cinq groupes principaux; 1° formations recentes a couches et tertiaires de l'Egypte et du desert voisin; 2° roche primitive et de transition des cataractes, onyx d'Assouan, gneis granitique, calcaire grenu, roche amphibolique de Nubie, et sel gemme du Dongola; 3° formations porphyritiques et syenitiques du Sinai et de la presqu'eile ou il est situe; 4° calcaire jurassique du Liban, avec des petrifications de poissons, a 3000 pieds au-dessus de la mer, a Djebbehl, avec des coquillages marins a Sanin, pres de la limite des neiges, et avec du braunkohl dans le gres et l'argile schisteuse a Bischerra, et avec du basalte a Haddet, a 6,000 pieds de hauteur absolue; 5° cotes de la mer Rouge, Ketoumboul, eile volcanique, versant sud-est des montagnes d'Abyssinie. MM. Ehrenberg et Hemprich ont observe, dans toutes ces contrees, une analogie frappante entre les rapports geognostiques, notamment dans l'association des roches. Plusieurs esquisses de cartes mineralogiques, que les membres de la commission ont examinees, temoignent de l'activite sans borne que les voyageurs ont deployee egalement dans cette partie de leurs travaux. Resultats pour la geographie et l'ethnographie. Dans les considerations qui precedent ce rapport, nous avons dit que les observations sur la geographie et l'ethnographie, de meme que les dessins qui s'y rattachent, ne devoient etre regardes que comme des travaux accessoires a l'objet du voyage; toutefois, une mention sommaire de ce que les voyageurs ont fait a cet egard montrera que, sans le secours de determinations astronomiques des lieux, par de nombreuses mesures des angles que les points les plus importans font avec le meridien magnetique, par l'estimation des distances, et par des itineraires tenus avec beaucoup d'exactitude, ils ont recueilli un grand nombre de materiaux importans pour la topographie. A l'entree du golfe d'Akaba, et a Ghisan, M. Ehrenberg a dessine plusieurs eiles qui manquent entierement sur les cartes de lord Valentia. L'eile Farsan, dont le circuit est de trois jours de route, et qui a trois villages et plusieurs ports pour les petits navires, peut passer pour une decouverte nouvelle en geographie. Les itineraires de Tor au Sinai et a Suez meritent une attention particuliere, ainsi que la route par Bir Beda au marais rempli de roseaux, a peu de distance du mont Goaebe; celle de Suez a l'eile Cameran, en suivant la cote orientale de la mer Rouge, ou des mouillages nombreux restoient inconnus aux voyageurs; celle de Goumfoude, au pays des Wekhabites, jusqu'au mont Derban; celle de Massaoua, en Abyssinie, jusqu'au mont Taranta, et aux sources thermales d'Eilet; celle des deux ceimes neigeuses du Liban, par la Coelesyrie a Balbek, et de la a la cote de Tripoli, celle d'Alexandrie a Bir el Kor, et de la a l'oasis de Siouah. Dans les pays qui bordent la mer Rouge au nord, les voyageurs ont recueilli des observations geographiques qui servent a expliquer plusieurs des traditions les plus anciennes et les plus respectables du genre humain. C'est ainsi qu'ils ont vu Beda, probablement le Bedeah de l'Ecriture-Sainte, qui n'avoit pas encore ete determine; et le lac Iam-Souf, rempli de roseaux. Madian, lieu du sejour de Moise, est encore indique par la position de Magne, ou il y a des maisons entourees de jardins. A Tor, nos voyageurs reconnurent, dans les sources thermales de Rhalim, Elim, station des Israelites. Les puits, de meme que les forets et les collines de sable, sont, dans ces contrees, des monumens durables de la nature. Independamment de ces notices geographiques, les voyageurs ont envoye en Europe: 1° Une liste de tous les villages maronites dans la partie septentrionale du Liban; ces noms, au nombre de 649, sont ecrits en caracteres arabes et latins, par un secretaire de l'emir Bschir, prince du Liban; 2° Liste des mouillages, eiles, recifs de corail et lieux situes sur la cote orientale de la mer Rouge, entre Suez et Cameran; le nombre en est de 287, la plupart des noms sont en Arabe; 3° Semblable liste de 86 noms de lieux sur la cote occidentale de la mer Rouge; 4° Carte du pays des Wekhabites, depuis Taife, pres de la Mecque, jusqu'a Assir et a Goumfoude, dressee par un Arabe de l'armee du pacha d'Egypte. 5° Profils des montagnes de la cote orientale de la mer Rouge, du mont Sinai, du Liban et de l'eile de Cypre, dessines par M. Ehrenberg. Nous ne parlons pas des observations sur les races humaines, sur les moeurs et sur les langues que contiennent les journaux des naturalistes. Ils ont examine partout l'influence du climat sur l'organisme, et fait pres de 800 observations de thermometre, dans des cantons situes entre les tropiques, ou sur les limites meridionales de la zone temperee, ou le froid en hiver est assez considerable, et sur lesquels on n'a encore que bien peu de determinations precises. Plusieurs momies d'hommes et d'animaux, deux rouleaux grecs en papyrus, trouves en Egypte, sept manuscrits arabes, une bible abyssinienne, ou les psaumes sont en amharique, sont d'importantes acquisitions pour les collections royales. Voila le tableau succinct des resultats qu'ont eus, pour les sciences, les voyages de MM. Ehrenberg et Hemprich en Egypte, en Nubie, en Syrie et sur les cotes de chaque cote de la mer Rouge. Le but d'une entreprise si importante ne seroit pas atteint, si des observations, qui contribuent si essentiellement a enrichir toutes les parties de l'histoire naturelle et de la geographie physique, et qui peuvent etre considerees comme la propriete commune de toutes les nations civilisees, n'obtenoient pas l'appui de l'etat pour favoriser leur publication. La protection bienveillante que le gouvernement accorde a tous les travaux qui honorent les sciences et les arts, et rehaussent la gloire de la patrie, nous permet d'eloigner entierement cette crainte; mais il est du devoir de vos commissaires d'exprimer le voeu de l'academie pour un genre de publication qui reponde completement aux besoins actuels des sciences, sans rendre, par une magnificence superflue, l'ouvrage inaccessible a une grande partie des naturalistes. Les figures coloriees des corps organiques ne peuvent etre trop exactes quand elles representent de nouvelles formes, comme le type d'une nouvelle famille, ou d'un nouveau genre. Au contraire, les dessins lineaires sont suffisans lorsque l'on decrit un grand nombre de nouvelles especes de genres connus. Les excellens dessins que M. Ehrenberg a traces durant le voyage, en ayant les objets sous les yeux, peuvent servir de modele pour ce qui reste a faire. Un livre de voyage, qui a pour caractere la diversite et l'exactitude des observations, doit tirer son principal ornement de la fidelite scrupuleuse et du choix judicieux des figures qui representent les objets. De cette maniere, l'ouvrage paroeitra plus promptement, et sera moins dispendieux pour l'etat. L'academie des sciences, qui a donne lieu au voyage, et qui l'a, de ses propres moyens, soutenu si efficacement, ne rempliroit pas completement sa vocation, qui est de propager et de vivifier la culture des sciences, si elle ne recommandoit pas, de la maniere la plus pressante, la publication prochaine des travaux de MM. Ehrenberg et Hemprich. Berlin, 13 novembre 1826. A. de Humboldt, Lichtenstein, Link, Rudolphi, Weiss.