De la Température des différentes parties de la zone torride au niveau des mers. Par Mr A. de Humboldt. On s’est habitué depuis long-temps à confondre sous la dénomination de zone torride la région comprise entre l’équateur et les tropiques, et à attribuer à toutes les parties de cette vaste région une égalité de température qui ne résulte aucunement de l’examen des observations météorologiques. Pour rectifier les idées, je commencerai par la partie la plus boréale de la zone torride. Le climat de la Havane est celui qui correspond à la limite extrême de la zone torride; c’est un climat tropical dans lequel une distribution plus inégale de la chaleur entre les différentes parties de l’année annonce le passage aux climats de la zone tempérée. Calcutta (lat. 22° 34′ N.), Canton (lat. 23° 8′ N.), Macao (lat. 22° 12′ N.), la Havane (lat. 23° 9′ N.), et Rio Janeiro (lat. 22° 54′ S.), sont des endroits auxquels leur position, au niveau de l’Océan et près des tropiques du cancer et du capricorne, par conséquent à égale distance de l’équateur, donne une grande importance pour l’étude de la météorologie. Cette étude ne peut avancer que par la détermination de certains élémens numériques qui sont la base indispensable des lois que l’on cherche à découvrir. Comme l’aspect de la végétation est identique vers les bords de la zone torride et sous l’équateur, on s’accoutume à confondre vaguement les climats des deux zones comprises entre 0° et 10°, et entre 15° et 23° de latitude. La région des palmiers, des bananes et des graminées arborescentes s’étend même bien au-delà des deux tropiques; mais il serait dangereux (comme on l’a fait récemment lors de la mort du docteur Oudney, en discutant l’élévation du sol à laquelle la glace a pu se former dans le royaume de Bornou), d’appliquer ce que l’on a observé à l’extrémité de la zone tropicale, à ce qui peut avoir lieu dans les plaines voisines de l’équateur. C’est pour rectifier ces erreurs qu’il est important de bien faire connaître les températures moyennes de l’année et des mois, comme les oscillations thermométriques en différentes saisons, sous le parallèle de la Havane, et de prouver par une comparaison exacte avec d’autres points également éloignés de l’équateur, par exemple, avec Rio Janeiro et Macao, que les grands abaissemens de température observés à l’île de Cuba sont dus à l’irruption et au déversement des couches d’air froid qui se portent des zones tempérées vers les tropiques du cancer et du capricorne. La température moyenne de la Havane est, d’après quatre années de bonnes observations, 25°,7 (20°,6 R.), seulement de 2° cent. inférieure à celle des régions de l’Amérique les plus rapprochées de l’équateur . La proximité de la mer élève sur les côtes la température moyenne de l’année; mais dans l’intérieur de l’île, là où les vents du nord pénètrent avec la même force et où le sol s’élève à la petite hauteur de 40 toises , la température moyenne n’atteint que 23° (18°,4 R.) et ne surpasse pas celles du Caire et de toute la Basse-Egypte. Les différences entre la température moyenne du mois le plus chaud et le mois le plus froid s’élèvent, dans l’intérieur de l’île, à 12°; à la Havane, sur les côtes, à 8°; à Cumana, à peine à 3°. Les mois les plus chauds, juillet et août, atteignent, à l’île de Cuba, 28°,8, peut-être même 29°,5 de température moyenne, comme sous l’équateur. Les mois les plus froids sont décembre et janvier: leur température moyenne est, dans l’intérieur de l’île, 17°; à la Havane, 21°, c’est-à-dire 5° à 8° au-dessous des mêmes mois, sous l’équateur, mais encore 3° au-dessus du mois le plus chaud à Paris. Quant aux températures extrêmes qu’atteint le thermomètre centigrade, à l’ombre, on observe, vers la limite de la zone torride, ce qui caractérise les régions les plus rapprochées de l’équateur (entre 0° et 10° de lat. bor. et austr.); le thermomètre qui a été vu à Paris, à 38°,4 (30°,7 R.), ne monte, à Cumana, qu’à 33°; à la Vera-Cruz, il n’a été, en treize ans, qu’une seule fois à 32° (25°,6 R.); à la Havane, M. Ferrer ne l’a vu osciller, en trois ans (1810-1812), qu’entre 16° et 30°. M. Robredo, dans les Notes manuscrites que je possède, cite comme une chose remarquable que la température, en 1801, s’est élevée à 34°,4 (27°,5 R.), tandis qu’à Paris, d’après les recherches curieuses de M. Arago, les extrêmes de température entre 36°,7 et 38° (29°,4 et 30°,7 R.) ont été atteints quatre fois en dix ans (de 1793 à 1803). Le grand rapprochement des deux époques où le soleil passe par le zénit des lieux situés vers l’extrémité de la zone torride rend souvent très-intenses les chaleurs du littoral de Cuba et de tous les endroits compris entre les parallèles de 20° et 23° [Formel] , moins pour des mois entiers, que pour un groupe de quelques jours. Année commune, le thermomètre ne monte pas, en août, au-delà de 28° à 30°: j’ai vu qu’on se plaignait d’une excessive chaleur lorsqu’il s’élevait à 31° (24°,8 R.). L’abaissement de la température hivernale à 10° ou 12° est déjà assez rare; mais lorsque le vent du nord souffle pendant plusieurs semaines et qu’il amène l’air froid du Canada, on voit quelquefois, dans l’intérieur de l’île, dans la plaine et à très-peu de distance de la Havane, se former de la glace pendant la nuit . D’après les observations de MM. Wells et Wilson, on peut admettre que le rayonnement du calorique produit cet effet lorsque le thermomètre se soutient encore à 5° et même à 9° au-dessus du point de la congélation; mais M. Robredo m’a assuré avoir vu le thermomètre à zéro même. Cette formation d’une glace épaisse presqu’au niveau de la mer, dans un lieu qui appartient à la zone torride, frappe d’autant plus le physicien, qu’à Caracas (lat. 10° 31′) et à 477 toises de hauteur l’atmosphère ne se refroidit pas au-dessous de 11°; et que, plus près de l’équateur, il faut monter à 1400 toises de hauteur pour voir se former de la glace . Il y a plus encore: entre la Havane et Saint-Domingue, entre le Batabano et la Jamaïque, il n’y a qu’une différence de 4° ou 5° de latitude; et à Saint-Domingue, à la Jamaïque, à la Martinique et à la Guadeloupe, les minima de température dans les plaines sont de 18°,5 à 20°,5. Temp. moy. de Cumana (lat. 10° 27′) 27°,7 cent. On assure que même, dans les Petites-Antilles, par 13° et 16° de latitude, on trouve pour la Guadeloupe 27°,5; pour la Martinique, 27°,2; pour la Barbade, 26°,3. A peine 6 toises de plus que la hauteur de Paris (premier étage de l’Observatoire royal) au-dessus du niveau de la mer. M. Lachenaie assure avoir vu monter en 1800 le thermomètre centésimal, à l’ombre (à Sainte-Rose, dans l’île de la Guadeloupe), à 39° 3′; mais on ignore si son instrument était exact et libre des effets du rayonnement. A la Martinique, les extrêmes sont 20° et 35°. Ce froid accidentel avait déjà frappé les premiers voyageurs. «En Cuba , dit Gomara, algo se siente el frio. ( Hist. de l’Ind., fol. xxvii.) On n’en voit pas même encore à Quito (1490 t.), situé dans une vallée étroite, où un ciel souvent brumeux diminue la force du rayonnement. L’observation de 18°,5 est de M. Hapel-Lachenaie. M. Le Dru assure aussi n’avoir vu le thermomètre descendre à Porto-Ricco qu’à 18°,7; mais il croit qu’il tombe de la neige sur les montagnes de Loquillo, dans la même île. Il sera intéressant de comparer le climat de la Havane avec celui de Macao et de Rio Janeiro, deux endroits dont l’un est également placé près des bords de la zone torride borèale, mais sur la côte orientale de l’Asie, et l’autre sur une côte orientale d’Amérique, vers l’extrémité de la zone torride australe. Les températures moyennes de Rio Janeiro sont déduites de 3500 observations faites par M. Benito Sanchez Dorta; celles de Macao, de 1200 observations, que M. l’abbé Richenet a bien voulu me communiquer. Havane. lat. 23° 9′ N. Macao. lat. 22° 12′ N. Rio-Janeiro. lat. 22° 54′ S. Temp. moy. de l’année... 25°,7 23°,3 23°,5 — du mois le plus chaud 28,8 28,4 27,2 — du mois le plus froid. 21,1 16,6 20,0. Don Ramon de la Sagra, professeur d’histoire naturelle, a publié une seule année (1825) d’observations météorologiques faites au Jardin botanique de la Havane. Il trouve pour la moyenne annuelle 24°,9; pour le mois le plus chaud 28°,5; pour le mois le plus froid 21°,4. Ces résultats offrent une harmonie très-remarquable avec ceux tirés de trois années d’observations (1810-1812) publiées par M. Ferrer. Le climat de la Havane, malgré la fréquence des vents du nord et du nord-ouest, est plus chaud que celui de Macao et de Rio Janeiro. Le premier de ces deux endroits ne participe au froid qu’à cause de la fréquence des vents ouest qu’on éprouve en hiver sur toutes les côtes orientales d’un grand continent. La proximité des terres d’une extrême largeur, couvertes de montagnes et de plateaux, rend la distribution de la chaleur, entre les différens mois de l’année, plus inégale à Macao et à Canton que dans une île côtoyée vers l’ouest et vers le nord des eaux chaudes du Gulf-stream . Aussi, à Canton et à Macao les hivers sont beaucoup plus froids qu’à la Havane. Les températures moyennes de décembre, janvier, février et mars ont été, à Canton, en 1801, entre 15° et 17°,3 cent.; à Macao, entre 16°,6 et 20°, lorsqu’à la Havane elles sont généralement entre 21° et 24°,3: cependant la latitude de Macao est de 1° plus australe que celle de la Havane; et cette dernière ville et Canton sont, à une minute près, sur le même parallèle. Or, quoique les lignes isothermes ou d’egale chaleur aient un sommet concave vers le pole dans le système des climats de l’Asie orientale, comme dans le système des climats de l’Amérique orientale, le refroidissement, sur le même parallèle géographique, est pourtant plus considérable encore du côté de l’Asie . Pendant neuf ans (1806—1814), l’abbe Richenet, qui se servait de l’excellent thermomètre à maxima et à minima de Six, a vu descendre cet instrument jusqu’à 3°,3 et 5° (38° et 41° Fahr.). A Canton, le thermomètre atteint presque quelquefois le point zéro; et, par l’effet du rayonnement, on y trouve de la glace sur les terrasses des maisons. Quoique ce grand froid ne dure jamais plus d’un seul jour, les négocians anglais qui résident à Canton aiment à faire du feu de cheminée, de novembre à janvier; tandis qu’à la Havane on ne sent pas même la nécessité de se chauffer au brazero. La grêle est fréquente et extrêmement grosse sous les climats asiatiques de Canton et de Macao, tandis qu’on l’observe à peine tous les quinze ans à la Havane. Dans les trois endroits, le thermomètre se soutient quelquefois pour plusieurs heures entre 0° et 4° cent., et cependant (ce qui me paraît bien remarquable) on n’y a jamais vu tomber de la neige; et, malgré les grands abaissemens de la température, le bananier et les palmiers offrent, autour de Canton, de Macao et de la Havane, une végétation tout aussi belle que dans les plaines les plus rapprochées de l’équateur. Telle est la différence du climat des côtes orientales et occidentales de l’Ancien-Continent, qu’a Canton (lat. 25° 8′), la température moyenne de l’année est 22°,9, lorsqu’a Sainte- Croix de Ténériffe (lat. 28° 28′) elle est, d’après MM. de Buch et Escolar, de 23°,8. Canton, situé sur une côte orientale, participe du climat continental; Ténériffe est une île rapprochée des côtes occidentales de l’Afrique. Il est heureux pour l’étude approfondie de la météorologie que, dans l’état actuel de la civilisation, on puisse déjà réunir tant d’élémens numériques sur le climat des lieux qui sont placés presque immédiatement sous les deux tropiques. Cinq des plus grandes villes du monde commerçant, Canton, Macao, Calcutta, la Havane et Rio Janeiro, se trouvent dans cette position. De plus, dans l’hémisphère boréal, Mascate, Syène, Nuevo Santander, Durango et les plus septentrionales des îles Sandwich; dans l’hémisphère austral, Bourbon, Ilede-France et le port de Cobija, entre Copiapo et Arica, sont des lieux fréquentés par les Européens, et offrent aux physiciens les mêmes avantages de position que Rio Janeiro et la Havane. La climatologie avance lentement, parce que l’on accumule au hasard des résultats obtenus dans des points du globe où commence à se développer la civilisation humaine. Ces points forment de petits groupes séparés les uns des autres par d’immenses espaces de terres inconnues aux météorologistes. Pour reconnaître les lois de la nature dans la distribution de la chaleur sur le globe, il faut donner aux observations une direction conforme aux besoins d’une science naissante, et savoir quelles données numériques sont les plus importantes. Nuevo-Santander, sur les côtes orientales du golfe du Mexique, a probablement une température moyenne inférieure à celle de l’île de Cuba. L’atmosphère doit y participer au froid hivernal d’un grand continent qui s’élargit vers le nord-ouest. Au contraire, si nous quittons le système des climats de l’Amérique orientale, si nous franchissons le bassin ou plutôt la vallée submergée de l’Atlantique pour fixer nos regards sur les côtes d’Afrique, nous trouvons, dans le système des climats cisatlantiques, sur le littoral occidental de l’ancien continent, des lignes isothermes relevées, convexes vers le pôle. Le tropique du Cancer y passe entre le cap Bojador et le cap Blanc, près Rio do Ouro, sur les bords inhospitaliers du désert de Sahara, et la température moyenne de ces lieux doit être bien au-dessus de celle de la Havane, pour la double raison de leur position sur une côte occidentale, et par la proximité du désert qui rayonne la chaleur et répand des molécules de sable dans l’atmosphère. La connaissance exacte du climat de la Havane et de Rio Janeiro, situés sous les tropiques du Cancer et du Capricorne, complète les notions que nous avons acquises sur les températures moyennes des différentes parties de la région équinoxiale. Cette région offre sans doute le maximum de chaleur moyenne annuelle sous l’équateur même; mais la chaleur décroît presqu’insensiblement depuis l’équateur jusqu’à 10° de latitude; elle décroît avec plus de rapidité du parallèle de 15° à celui de 23°. Ce qui frappe le voyageur en allant de l’équateur vers les tropiques, est moins le décroissement de la température moyenne annuelle, que l’inégale distribution de la chaleur entre les différentes parties de l’année. On ne saurait douter que les élémens numériques de la Climatologie tropicale ne soient encore loin d’être déterminés avec une égale précision: on doit travailler constamment à les perfectionner; mais déjà, dans l’état actuel de la science, on peut assigner à ces élémens de certaines limites d’erreur qu’il n’est pas probable de voir dépasser par de nouvelles observations. Nous avons déjà reconnu que les températures moyennes de la Havane, de Macao et de Rio Janeiro, trois endroits situés au niveau de la mer, à l’extrémité de la zone équatoriale, dans les deux hémisphères, sont 25°,7; 23°,3; 23°,5 cent., et que ces différences proviennent de la répartition inégale des terres et des mers voisines. Quel est le degré de température qu’on doit admettre pour l’équateur? Cette question a été agitée récemment dans un Mémoire que M. Atkinson a publié dans le second volume des Memoirs of the Astronomical Society of London (p. 137- 183), et qui renferme des considérations très-judicieuses sur plusieurs points importans de la Météorologie. Le savant auteur tâche de déduire de mes propres observations, en employant les artifices du calcul le plus rigoureux, que la température moyenne de l’équateur est, pour le moins, de 29°,2 du thermomètre centigrade (84°,5 F.), et non de 27°,5 (81°,5 F.), comme je l’ai supposé dans mon Essai sur les Lignes isothermes . Kirwan s’était arrêté à 28°,8; M. Brewster, dans ses formules climatériques, à 28°,2. ( Edimb. Journ. of Science, 1826, n° 7, p. 180.) S’il était question, dans cette discussion, de la température moyenne d’une bande équatoriale entourant le globe entier et limitée par les parallèles de 3° N. et 3° S., il faudrait examiner avant tout la température de l’Océan équatorial; car il n’y a que [Formel] de la circonférence du globe qui, dans cette bande, appartient à la terre-ferme. Or, la température moyenne de l’Océan, entre les limites que nous venons d’énoncer, oscille en général entre 26°,8 et 28°. Je dis en général, car on trouve quelquefois entre ces mêmes limites des maxima restreints à des zones qui ont à peine la largeur d’un degré, et dont la température s’élève, par différentes longitudes, de 28°,7 à 29°,3. J’ai observé cette dernière température, qu’on peut regarder comme extrêmement élevée dans l’Océan-Pacifique, à l’est des îles Galapagos, et récemment M. le baron Dirckinck de Holmfeldt, officier très-instruit de la marine danoise, qui, à ma prière, a fait un grand nombre d’observations thermométriques, a troûvé (lat. 2° 5′ N.; long. 81° 54′ O.), presque sur le parallèle de la Punta Guascama, la surface de l’eau à 30°,6. Ces maxima n’appartiennent pas à l’équateur même; on les observe tantôt au nord, tantôt au sud de l’équateur, souvent entre les 2° [Formel] et 6° de latitude. Le grand cercle qui passe par les points où les eaux de la mer sont les plus chaudes, coupe l’équateur sous un angle qui semble varier avec la déclinaison du soleil. Dans l’Océan- Atlantique, on est même venu plusieurs fois de la zone tempérée boréale à la zone tempérée australe, sans avoir vu monter, dans la bande des eaux les plus chaudes, le thermomètre centigrade au-dessus de 28°. Les maxima y ont été pour Perrins, 28°,2; pour Churruca, 28°,7; pour Quevedo, 28°,6; pour Rodman, 28°,8; pour John Davy, 28°,1. L’air qui repose sur ces eaux équatoriales est de 1° à 1° [Formel] plus froid que l’Océan. Il résulte de ces faits que, sur les ⅚ de la circonférence du globe, la bande équatoriale pélagique, loin d’offrir une température moyenne de 29°,2 (84°,5 F.), n’a probablement pas même 28°,5. M. Atkinson lui-même convient (p. 171) que le mélange de parties océaniques et continentales tend à diminuer la température moyenne de l’équateur. Mais en se bornant aux seules plaines continentales de l’Amérique méridionale, ce savant adopte pour la zone équatoriale (de 1° N. à 1° S.), d’après différentes suppositions théoriques, 29°,2 ou 31°. Il fonde cette conclusion sur le fait que, déjà, par 10° 27′ de latitude, à Cumana, la température moyenne est 27°,6, et que, d’après la loi de l’accroissement de la chaleur du pôle à l’équateur (accroissement qui dépend du carré du cosinus de la latitude), la température moyenne de l’équateur doit être pour le moins au-dessus de 29°,2. M. Atkinson trouve la confirmation de ce résultat, en réduisant au niveau des mers équatoriales plusieurs des températures que j’ai observées sur la pente des Cordillères jusqu’à 500 toises de hauteur. Tout en employant les corrections qu’il croit dues à la latitude et à la diminution progressive de la chaleur dans un plan vertical, il ne se dissimule pas combien la position des lieux sur de vastes plateaux ou dans des vallées étroites, rend incertaine une partie de ces corrections. ( Mem. of the Astr. Soc., tom. 11, p. 149, 158, 171, 172, 182, 183.) Lorsqu’on étudie le problême de la distribution de la chaleur à la surface du globe dans toute sa généralité, et qu’on le débarrasse des considérations accessoires de localités (par exemple des effets de la configuration, de la couleur et de la nature géognostique du sol, de ceux de la prédominance de certains vents, de la proximité des mers, de la fréquence des nuages et des brouillards, du rayonnement nocturne vers un ciel plus ou moins serein, etc.), on trouve que la température moyenne d’une station dépend des différentes manières dont se manifeste l’influence de la hauteur méridienne du soleil. Cette hauteur détermine à la fois: la durée des arcs semi-diurnes; la longueur et la diaphanéité de la portion d’atmosphère que les rayons traversent avant d’atteindre l’horizon; la quantité de rayons absorbés ou échauffans (quantité qui augmente rapidement quand l’angle d’incidence compté du niveau de la surface, s’accroît); enfin le nombre de rayons solaires qu’un horizon donné embrasse. La loi de Mayer, avec toutes les modifications qu’on y a introduites depuis trente ans, est une loi empirique qui représente la généralité des phénomènes par approximation et souvent d’une manière satisfaisante, mais que l’on ne saurait employer à combattre le témoignage des observations directes. Si la surface du globe, depuis l’équateur jusqu’au parallèle de Cumana, était un désert comme le Sahara, ou une savane uniformément couverte de graminées comme les Lianos de Calabozo et de l’Apure, il y aurait indubitablement un accroissement de la température moyenne depuis les 10° [Formel] de latitude jusqu’à l’équateur; mais il est trèsprobable que cet accroissement n’atteindrait pas [Formel] de degré du thermomètre centésimal. M. Arago, dont les importantes et ingénieuses recherches s’étendent sur toutes les branches de la météorologie, a reconnu, par des expériences directes, que depuis l’incidence perpendiculaire jusqu’à 20° de distance zénitale, la quantité de lumière réfléchie est à-peu-près la mème. Il a trouvé aussi que l’effet photométrique de la lumière solaire varie extrêmement peu, à Paris, au mois d’août, dè midi à trois heures du soir, malgré les changemens dans la longueur du chemin que parcourent les rayons en traversant l’atmosphère. Si j’ai fixé la température moyenne équatoriale en nombres ronds, à 27° [Formel] , c’était pour attribuer à la zone équatoriale proprement dite (de 3° N. à 3° S.) la température moyenne de Cumana (27°,7). Cette ville, environnée de sables arides, placée sous un ciel toujours serein, et dont les vapeurs légères ne se résolvent presque jamais en pluie, offre un climat plus ardent que tous les lieux qui l’environnent et qui sont également placés au niveau de la mer. En avançant dans l’Amérique du sud vers l’équateur, par l’Orénoque et le Rio Negro, la chaleur diminue, non à cause de l’élévation du sol qui, depuis le fortin de San Carlos, est trèspeu considérable, mais à cause des forêts, de la fréquence des pluies et du manque de diaphanéité de l’atmosphère. Il est à regretter que les voyageurs, même les plus laborieux, soient si peu en état d’avancer les progrès de la météorologie, en augmentant nos connaissances sur les températures moyennes. Ils ne séjournent pas assez de temps dans les pays dont on voudrait connaître le climat; ils ne peuvent recueillir pour la moyenne annuelle que les observations que d’autres ont faites, et le plus souvent à des heures et à l’aide d’instrumens qui sont loin de donner des résultats exacts. A cause de la constance des phénomènes atmosphériques sous la zone la plus rapprochée de l’équateur, un court espace de temps suffit sans doute pour donner approximativement les températures moyennes à différentes hauteurs au-dessus du niveau de l’Océan. Je me suis partout livré à ce genre de recherches; mais le seul résultat bien précis que j’aie pu rapporter, et qui est tiré d’observations faites deux fois par jour, est celui de Cumana. (Comparez sur le degré de confiance que méritent les températures moyennes, Rel. hist., tom. i, pag. 411, 547, 631—637, 584; tom. ii, pag. 73, 418, 463; tom. iii, p. 314—320, 371—382.) Les véritables élémens numériques de la climatologie ne peuvent être fixés que par des personnes instruites qui sont établies, pour un grand nombre d’années, dans les différens lieux de la terre; et, sous ce rapport, la génération intellectuelle qui se prépare dans l’Amérique équatoriale libre, depuis le littoral jusqu’à deux mille toises de hauteur sur le dos et la pente des Cordillères, entre les parallèles de l’île de Chiloé et de San Francisco de la Nouvelle-Californie, aura l’influence la plus heureuse pour les sciences physiques. En comparant ce que l’on savait il y a quarante ans sur la température moyenne de la région équatoriale avec ce que nous en savons aujourd’hui, on est étonné de la lenteur des progrès de la climatologie positive. Je ne connais jusqu’à ce jour qu’une seule température moyenne observée avec quelque apparence de précision entre les 3° N. et 3° S.; c’est celle de Saint-Louis de Maranham (lat. 2° 29′ S.) au Brésil, que le colonel Antonio Pereira Lago trouve, d’après les observations faites en 1821, trois fois par jour (à 20h, à 4h et à 11h), de 27°,4 cent. ( Annaes das Sciencies, das Artes e das Letras, 1822, tom. xvi, pl. 2, pag. 55—80.) C’est encore 0°,3 de moins que la température moyenne de Cumana. Au-dessous de 10° [Formel] de latitude, nous ne connaissons que les températures moyennes de Batavia (lat. 6° 12′ S.)......... 26°,9 cent. Cumana (lat. 10° 27′ N.) ....... 27°,7 Entre les 10° [Formel] de latitude et l’extrémité de la zone torride, suivent: Pondichéry (lat. 11° 55′ N.) ......... 29°,6 Madras (lat. 13° 4′ N.) ............ 26°,9 Manille (lat. 14° 36′ N.) ........... 25°,6 Sénégal (lat. 15° 53′ N.) ........... 26°,5 Bombay (lat. 18° 56′ N.) ........... 26°,7 Macao (lat. 22° 12′ N.) ............. 23°,3 Rio Janeiro (lat. 22° 54′ S.) ........ 23°,5 La Havane (lat. 23° 9′ N.) .......... 25°,7. Nous rappellerons, d’après les observations du colonel Pereira, Maranham (lat. 2° 29′ S.) .......... 27°,4. Il paraît résulter de ces données que le seul endroit de la région équinoxiale, dont la température moyenne excède 27°,7, est situé par les 12° de latitude. C’est Pondichéry dont le climat ne peut pas plus servir à caractériser toute la région équatoriale, que l’Oasis de Mourzouk, où l’infortuné Ritchie et le capitaine Lyon assurent avoir vu pendant des mois entiers (peut-être à cause du sable répandu dans l’air), le thermomètre de Réaumur entre 38° et 43°, ne caractérise le climat de la zone tempérée dans l’Afrique boréale. La plus grande masse de terres tropicales est située entre les 18° et 28° de latitude nord, et c’est sur cette zone aussi que, grâce à l’établissement de tant de villes riches et commerçantes, nous possédons le plus de connaissances météorologiques. Les trois ou quatre degrés les plus voisins de l’équateur sont une terra incognita pour la climatologie. Nous ignorons encore les températures moyennes du Grand-Para, de Guayaquil, et même de Cayenne. Lorsqu’on ne considère que la chaleur atteinte dans une certaine partie de l’année, on trouve, dans l’hémisphère boréal, les climats les plus ardens sous le tropique même, et un peu au-delà. A Abusheer, par exemple (lat. 28° [Formel] ), la température moyenne du mois de juillet est de 34°. Dans la mer Rouge, on voit le thermomètre centésimal, à midi, à 44°; la nuit, à 34° [Formel] . A Benarès (lat. 25° 20′), la chaleur atteint, en été, 44°; tandis qu’elle descend, en hiver, à 7°,2. Ces observations de l’Inde ont été faites avec un excellent thermomètre à maxima de Six; la température moyenne de Benarès est de 25°,2. Les chaleurs extrèmes que l’on observe dans la portion méridionale de la zone tempérée, entre l’Egypte, l’Arabie et le golfe de Perse, est l’effet simultané de la configuration des terres environnantes, de l’état de leur surface, de la diaphanéité constante de l’air dépourvu de vapeurs aqueuses et la durée des jours qui croissent avec les latitudes. Entre les tropiques même, les grandes chaleurs sont rares et n’excèdent généralement pas, à Cumana et à Bombay, 32°,8; à la Vera-Cruz, 35°,1. Il est presque inutile de rappeler qu’on n’a consigné dans cette note que des observations faites à l’ombre et loin de la réverbération du sol. A l’équateur, où les deux hauteurs solsticiales atteignent 66° 32′, les passages du soleil par le zénit sont éloignés l’un de l’autre de 186 jours; à Cumana, la hauteur solst. d’été est de 76° 59′; celle d’hiver, de 56° 5′, et les passages par le zénit (17 avril et 26 août) s’éloignent de 131 jours. Plus au nord, à la Havane, on trouve, haut. solst. d’été, 89° 41′; d’hiver, 43° 23′; distance des passages (12 juin et 1er juillet), 19 jours. Si ces passages ne se reconnaissent pas toujours avec une égale évidence dans la courbe des mois, c’est que leur influence est masquée dans quelques lieux par l’entrée de la saison des pluies et d’autres phénomènes électriques. Le soleil est à Cumana, pendant 109 jours ou plus exactement pendant 1275 heures (du 28 octobre au 14 février suivant), plus bas que sous l’équateur; mais dans cet intervalle, son maximum de distance zénitale n’excède pas encore 33° 55′. Le ralentissement de la marche du soleil en approchant des tropiques augmente la chaleur des lieux situés plus loin de l’équateur, surtout vers les confins des zones torride et tempérée. Près des tropipiques, par exemple, à la Havane (lat. 23° 9′), le soleil emploie 24 jours à parcourir un degré de chaque côté du zénit; sous l’équateur, il n’emploie que cinq jours. A Paris (lat. 48° 50′) où le soleil baisse au solstice d’hiver jusqu’à 17° 42′, la hauteur solsticiale d’été est de 64° 38′. L’astre calorifiant est par conséquent à Paris, du 1er mai au 12 août, pendant l’intervalle de 103 jours, ou de 1422 heures, aussi haut qu’il l’est, à Cumana, à une autre époque de l’année. En comparant Paris à la Havane, on trouve, dans le premier endroit, du 26 mars au 17 septembre, pendant 175 jours, ou 2407 heures, le soleil aussi haut qu’il l’est dans une autre saison sous le tropique du Cancer. Or, dans cet intervalle de 175 jours, le mois le plus chaud (juillet) a, d’après les registres de l’Observatoire royal de Paris, de 1806 à 1820, une température moyenne de 18°,6, tandis qu’à Cumana et à la Havane, lorsque le soleil s’abaisse dans le premier endroit jusqu’à 56° 5′; dans le second, jusqu’à 43° 23′; le mois le plus froid offre encore, malgré des nuits plus longues, à Cumana, 26°,2; à la Havane, 21°,2 de chaleur moyenne. Sous toutes les zones, la température d’une partie de l’année est modifiée par la température des saisons qui ont précédé. Sous les tropiques, les abaissemens de températures sont peu considérables, parce que la terre a reçu, dans les mois antérieurs, une masse de chaleur moyenne qui équivaut à Cumana à 27°, à la Havane à 25°,5 du thermomètre centigrade. D’après l’ensemble des considérations que je viens d’exposer, il ne me paraît aucunement probable que la température équatoriale puisse atteindre 29°,2, comme le suppose le savant et estimable auteur du Mémoire sur les réfractions astronomiques . Déjà le père de Bèze, le premier des voyageurs qui conseilla d’observer aux heures les plus froides et les plus chaudes du jour, avait cru trouver dans les années 1686 et 1699, en comparant Siam, Malacca et Batavia, «que la chaleur n’est pas plus grande sous l’équateur que par les 14° de latitude.» Je pense qu’il existe une différence, mais qu’elle est très-petite et masquée par l’effet de tant de causes qui agissent simultanément sur la température moyenne d’un lieu. Les observations recueillies jusqu’à ce jour ne nous donnent pas la mesure d’un accroissement progressif entre l’équateur et la latitude de Cumana. Paris, septembre 1826.