Le spectacle que présente aujourd’hui l’Amérique aux yeux atten-tifs de l’observateur, est peut-être plus étonnant, plus propre à ins-pirer à l’Europe et à tous les peuples civilisés de grandes réflexions,que la découverte même de ce vaste continent. Mais, pour apprécierles conséquences des événemens dont il est aujourd’hui le théâtre,pour se faire une idée juste des différens intérêts qui doivent natu-rellement s’y combattre, ou qui peuvent facilement s’amalgamer en-semble, il est nécessaire d’avoir des idées fixes et précises sur la po-pulation des peuples qui se le partagent, des religions professées parchacun d’eux, et des idiômes qui leur sont familiers. On conçoit que|2|
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des renseignemens exacts sur les divers élémens de l’organisationrelative et absolue de ces peuples n’ont pu être recueillis que par unhomme qui réunisse l’impartialité la plus sévère aux lumières les plusétendues; dont les études, dirigées par un esprit élevé, et par l’ha-bitude de l’investigation, aient été constamment appliquées à cessortes de recherches; par un homme enfin dont le nom seul défendeen quelque sorte le doute, et réponde d’avance à toutes les objec-tions. A ces traits, on a déjà reconnu M. Alexandre de Humboldt;la lettre que nous publions est adressée par cet illustre savant àM. Ch. Coquerel, pasteur à Amsterdam; nous la donnons textuel-lement, telle qu’elle a été imprimée dans la Revue protestante;et nous profitons avec plaisir de cette circonstance pour mentionnerhonorablement un recueil rédigé avec autant de talent que demodération par des hommes estimables, dont nous ne partageonspoint les opinions religieuses, mais auxquels nous nous faisons undevoir de rendre cet hommage désintéressé d’estime et d’affectionfraternelle.«Vous desirez connoître, Monsieur, le rapport entre le nombredes habitans de l’Amérique qui appartiennent aux différentes com-munautés chrétiennes. Je crois posséder des matériaux assez précissur les rapports des catholiques romains et des protestans; mais jen’entrerai pas aujourd’hui dans le détail des divisions de l’Eglise pro-testante ou évangélique. Voici les résultats auxquels je crois pouvoirm’arrêter provisoirement, d’après les recherches laborieuses que j’aifaites, dans ces dernières années, sur la population du nouveau con-tinent. Quelques évaluations partielles, par exemple le nombre descatholiques dans la Louisiane, dans le Maryland et dans le Bas-Canada anglais, sont peut-être un peu incertaines; mais ces incerti-tudes affectent des quantités qui ont une foible influence sur le résul-tat définitif. Je pense que le nombre des protestans, dans toute l’Amé-rique continentale et insulaire, depuis l’extrémité méridionale duChili jusqu’au Groënland, est à celui des catholiques romains comme1 est à 2. Il existe, sur la côte occidentale de l’Amérique du nord,quelques milliers d’individus qui suivent le culte grec. J’ignore lenombre des Juifs répandus sur la surface des Etats-Unis et dans plu-sieurs des îles Antilles. Leur nombre est peu considérable. Les Indiensindépendans qui n’appartiennent à aucune communauté chrétiennesont à la population chrétienne comme 1 est à 42. Les élémens numé-riques sur lesquels se fonde le tableau suivant se trouvent exposésen détail dans le volume III de mon Voyage aux Régions équinoxiales,livre IX, chapitre xxvi, qui va paroltre incessamment.
Population totale de l’Amérique, 34,284,000.
I. Catholiques romains |
22,177,000. |
a.
|
Amérique espagnole continentale
. |
15,985,000 |
|
|
Blancs |
2,937,000 |
|
|
|
Indiens |
7,530,000 |
|
|
|
Races mixtes et nègres |
5,518,000
|
|
|
|
|
15,985,000
|
|
|
b.
|
Amérique portugaise
|
4,000,000 |
|
|
Blancs |
920,000 |
|
|
|
Nègres |
1,960,000 |
|
|
|
Races mixtes et Indiens |
1,120,000
|
|
|
|
|
4,000,000
|
|
|
c.
|
États-Unis,
Bas-Canada et Guyane
française |
536,000 |
|
|
Haïti, Porto-Rico,
et Antilles françaises
|
1,656,000
|
|
|
|
|
22,177,000
|
|
II. Protestans |
11,287,000 |
a.
|
États-Unis |
9,990,000 |
|
b.
|
Canada anglais,
Nouvelle-Écosse,
Labrador |
260,000 |
|
c.
|
Guyane anglaise et
hollandaise |
220,000 |
|
d.
|
Antilles anglaises
|
734,500 |
|
e.
|
Antilles hollandaises,
danoises, etc. |
82,500
|
|
|
11,287,000
|
|
III. Indiens indépendans, non chrétiens |
820,000
|
|
34,284,000
|
»Dans l’état actuel des choses , la population protestante
aug-mente beaucoup plus rapidement dans le Nouveau-Monde que la
po-pulation catholique. Il est probable que, malgré l’état de
prospérité àlaquelle l’indépendance et des institutions libres vont
élever l’Amé-rique espagnole, le Brésil et l’île
d’Haïti, le rapport de 1 à 2 se trou-vera, en moins
d’un demi-siècle, considérablement modifié en faveurdes communautés
protestantes. Je crois qu’en Europe on peut comp-ter (sur une
population totale de 198 millious) à peu près 103 millionsde catholiques
romains, 52 millions de protestans, 38 millions quisuivent le rite grec, et
5 millions de mahométans. Le rapport numé-rique des protestans aux membres
des Eglises catholiques romaines etgrecques, et parcouséquent,
approximativement, comme 1 est à 2 7/10.Le rapport des protestans aux
catholiques romains seuls, est le même|Spaltenumbruch| en Europe qu’en
Amérique. Comme les différences de race et d’ori-gine,
l’individualité du langage et l’état de liberté domestique
in-fluent puissamment sur les dispositions des hommes pour tel ou
telculte, je vous communique en même temps, Monsieur, quelques
ré-sultats de mes recherches les plus récentes sur ces divers objets.» La population de l’Amérique offre actuellement:
Blancs. |
13,162,000 |
— |
38 |
pour 100 |
Indiens. |
8,610,000 |
— |
25 |
— |
Nègres. |
6,223,000 |
— |
18 |
— |
Races mixtes. |
6,289,000
|
— |
19 |
— |
|
34,284,000
|
|
|
|
»La population noire de 6,223,000 (sans mélange avec les blancs etles Indiens), se compose de 1,144,000 noirs libres, et 5,079,000 noirsesclaves; de ces derniers, il y en a 1,152,000 dans l’Archipel des An-tilles; 1,620,000 dans les Etats-Unis, et 1,800,000 au Brésil. Le ta-bleau suivant fait connoître approximativement la prépondérance deslangues réparties en Amérique.
Langues |
Anglaise, parlée par |
11,297,500 |
individus. |
— |
Espagnole |
10,174,000 |
— |
— |
Indiennes |
7,800,000 |
— |
— |
Portugaise |
3,740,000 |
— |
— |
Française |
1,058,000 |
— |
— |
Hollandaise, danoise, sué-doise et russe |
214,500
|
— |
|
|
34,284,000
|
|
»D’où résulte pour les
Langues de l’Europe latine |
14,930,000 |
Total pour les
langues euro- péennes, 26,442,000 |
Langues du rameau germanique |
11,512,000 |
|
Pour les langues indiennes |
7,842,000 |
»On n’a pas fait mention séparément de l’allemand, du gâle (irlan-dais) ou du basque, parce que les individus qui conservent la connois-sance de ces trois langues mères savent en même temps l’anglais ou lecastillan. Le nombre d’individus qui parlent usuellement les languesindiennes est dans ce moment, au nombre d’individus qui se serventdes langues d’Europe, comme 1 est à 3 2/5. Par l’accroissement plusrapide de la population aux Etats-Unis, les langues du rameau ger-manique vont gagner insensiblement, dans le rapport numériquetotal, sur les langues de l’Europe latine; mais ces derniéres se répan-dront en même temps, par l’effet de la civilisation croissante despeuples des races espagnole et portugaise, dans les villages indiens,dont à peine un vingtième de la population entend quelques mots decastillan ou de portugais. Je crois qu’il existe encore plus de sept mil-lions et demi d’indigenes, en Amérique, qui ont conservé l’usage deleurs propres langues et qui ignorent presque entièrement les idiomeseuropeens. Telle est aussi l’opinion de M. l’archevêque de Mexico et deplusteurs ecclésiastiques très respectables, qui ont long-temps habitéle Haut-Pérou, et que j’ai pu consulter à ce sujet. Le petit nombred’Indiens (un million peut-être) qui ont entièrement oublié leslangues indigènes, habitent les grandes villes et les villages trèspopuleux qui entourent ces villes. Parmi les individus qui parlentfrançais dans le nouveau continent, on trouve plus de 700,000 nègresde race africaine, circonstance qui, malgré les efforts très louables dugouvernement haïtien pour l’instruction populaire, ne contribue pasà maintenir la pureté du langage. On peut admettre qu’en général,dans l’Amérique continentale et insulaire, il y a, sur 6,223,000 noirs,plus d’un tiers (au moins 2,360,000) qui parlent anglais, plus d’unquart qui parlent portugais, et un huitième qui parlent français.»Ces tableaux de la population américaine considérée sous les rap-ports de la différence des cultes, des langues et des idiomes, se com-posent d’élémens très variables; ils représentent approximativementl’état de la société américaine vers la fin de l’année qui vient de s’é-couler. Il ne s’agit ici que des grandes masses; les évaluations par-tielles pourront gagner peu à peu une précision plus rigoureuse; ilen est ainsi de tous les élémens numériques des sciences.»Alexandre de Humboldt.
— Nous croyons devoir réparer une erreur dans un de nos articlesd’avant-d’hier. C’est à M. Charles Coquerel, rédacteur de la Revue pro-testante, l’un des secrétaires de la Société de la Morale chrétienne, queM. de Humboldt a adressé la lettre importante sur l’Amérique. Sonfrère, pasteur à Amsterdam, est l’un des plus éloquens ministres qu’aitformés la faculté française de Montauban. On s’abonne à la Revueprotestante, chez Dondey-Dupré, rue de Richelieu, n° 67.