Hauteur des montagnes d’Himalaya. M. de Humboldt a lu, le 7 et le 15 mars 1825, à l’académie des sciences, un mémoire d’où nous tirons les passages suivans: «Voici les données les plus positives auxquelles je me suis arrêté conjointement avec M. Colebrook, dans un mémoire que je prépare pour la Société asiatique. «Il faut distinguer entre les sommets dont la hauteur a été déterminée par des opérations trigonométriques qui ne laissent rien à désirer, et quelques sommets plus élevés encore, dont la mesure ne se fonde que sur des angles de hauteur, et des relèvemens pris dans des lieux dont la position astronomique, et par conséquent la différence en latitude et en longitude paroissoient suffisamment connues . A la première classe appartient le Jawahir, situé par les 30° 22′ 19″ de latitude au sud-ouest du lac sacré de Manassarowar; à la seconde classe, le Dhawalagiri ou Mont-Blanc (car en sanscrit dhawala signifie blanc, et giri montagne), au sud-est du Lac Sacré par les 28° 40’ de latitude. Le Jawahir a 7,848 mètres (4,026 toises), le Dhawalagiri 8,556 mètres (4,390 toises) de hauteur. En adoptant le résultat de ma mesure du Chimborazo (6,530 mètres), on trouve que le sommet de l’Himalaya, mesuré avec le plus de précicion, est de 1,318 mètres; le sommet mesuré par approximation de 2,026 mètres, plus élevé que le Chimborazo. Dans la mesure du Jawahir (qui est le Pic A. n° 2, relevé de la plate-forme du temple de Surkandra, et le Pic n° 14 du tableau de hauteurs publié par le capitaine Webb) , les résultats obtenus par MM. Hodgson et Herbert ne changeroient encore que de 136 mètres, si la réfraction oscilloit dans les limites extrêmes de [Formel] et [Formel] , tandis que des observations directes ont prouvé que, sous cette zone et à cette hauteur, elles se soutiennent assez généralement entre [Formel] à [Formel] . La hauteur du Dhawalagiri est dépendante d’un plus grand nombre d’élémens incertains, de la position astronomique des lieux en longitude et en latitude, des azimuths et de la réfraction; cependant deux mesures successives des capitaines Webb et Blake dont nous possédons tous les détails, offrent à peine une différence de 150 mètres. MM. Herbert et Hodgson s’expriment avec beaucoup de précision sur cette différence entre la certitude des mesures du Iawahir et de Dhawalagiri: «On ne connoît, disent-ils, aucune hauteur des pics plus au sud-est de lat. 29° 49′ 43″, et long. 81° 2′ à l’est de Greenwich.» (Asiat. Res., tom. 14, p. 89.) Ges habiles observateurs excluent par censéquent les mesures trigonométriques qui ne sont pas fondées sur des hases directement mesurées. Le capitaine Webb donne à ce pic, n° 4, la hauteur de 25,669 pieds anglois, en le plaçant lat. 30° 21′ 51″, long. 79° 48′ 31″ à l’est de Greenwich (Asiat. Res., vol. 13, p. 306). MM. Herbert et Hodgson le font, lat. 30° 22′ 19′, long. 79° 52′ 22″. On lui attribuoit d’abord 25,519 pieds anglois (Asiat. Res., tom. 14, p. 311-316), et puis 25,749 pieds anglois;—4,026 toises, parce que la hauteur du plateau de Belville fut d’abord supposée de 858 pieds, et, par des observations barométriques plus exactes, de 1,013 pieds au-dessus du niveau de la mer. Il y a trois pics d’une hauteur prodigieuse qui se suivent dans la direction du sud-ouest au nord-est, que l’on voit de la plate-forme du temple de Surkandra. Ces pics sont désignés, dans la carte de M. Herbert, par les noms de Jawahir Peaks, A n° 1, A n° 2 et A n° 3 ou P. C’est le pic intermédiaire qui est le plus élevé de tous. Plus au nord-ouest, paroissent les montagnes colossales de Kadarnath et de Iamnautri. «Le Dhawalagiri, appelé aussi par corruption Dhoulagir ou Gasakoti, donne naissance, sur sa pente méridionale, à la rivière Ghandaki . C’est sur les bords de cette rivière qu’on recueillit, dans un schiste de transition, les fameuses cornes d’Ammon (salagrana) que les croyans parmi les Hindous regardent comme des images de l’incarnation de Vishnou pendant le cataclysme des grandes eaux. En plaçant le Puy-de-Dôme sur le Chimborazo, on aura la hauteur du Dhawalagiri. En contemplant du fond des plaines et des sillons que couvrent nos cultures, les sommets des Alpes et des Cordillères, nous sommes d’abord frappés de la différence prodigieuse qu’offre la hauteur des montagnes; nous oublions qu’une planète voisine, dont le nivellement du sol a été entreprise dans toute la surface visible aux habitans de la terre, présente ces mêmes merveilles et de plus grandes encore. Fondés sur des analogies qui ne sont qu’apparentes, nous nous formons une idée vague du maximum de hauteur que les cimes de notre globe peuvent atteindre, comme s’il nous étoit donné de mesurer les forces élastiques qui ont soulevé la croûte oxidée de notre planète: comme si l’action qui a produit, sur des crevasses, ces murs rocheux que nous appelons les Alpes et les Pyrénées, avoit limité les forces qui ont agi sous la chaîne des Andes et de l’Himalaya, sous Mowna-Roa et le Pic de Ténériffe. Pourquoi ne découvriroit-on pas un jour, au nord de l’Himalaya, entre cette chaîne et celle du Zungling ou entre la chaîne du Zungling et celle de Thianschan ou Montagnes célestes, des sommets qui seroient supérieurs au Dhawalagiri comme celui-ci l’est au Chimborazo, et le Chimborazo au Mont-Blano? Même les êtres organisés nous offrent cette variété prodigieuse de grandeur. Lorsque je fis connoître la fleur de l’ Aristolochia cordiflora de 18 pouces de diamètre, on ne se doutait pas de l’existence du Rafflesia dont la fleur a 3 pieds d’ouverture. Asait. Res., vol. 12, p. 266; Journ. of the Royal Inst., vol. 11, p. 204. La longitude de Dhawalagiri est de 83° 20′ à l’est de Greenwich; sa hauteur est de 28,077 pieds anglois=8,556 mètres=4,390 toises. Les premiers relèvemens avoient donné, dans les hypothèses de distance et de réfraction les plus défavorables, un minimum de 26,862 pieds anglois. «La géognosie a ses élémens numériques comme toutes les sciences qui traitent de la configuration et de l’étendue des chaînes de montagnes et des bassins, de la distribution des êtres organisés, des causes qui modifient les inflexions des lignes isothermes. Dans un mémoire géologique, que j’aurai bientôt l’honneur de présenter à l’Académie, j’exposerai quelques propriétés remarquables de ces élémens numériques, relatives aux points culminans et à l’aire de la section horizontale des chaînes. Il suffit d’annoncer ici que le rapport de la hauteur moyenne des crêtes est à celle des cimes les plus élevées dans les Pyrénées comme 1:1 [Formel] , dans les Alpes=1:2, dans les Andes et l’Himalaya= 1:1 [Formel] . En Amérique, un seul système de montagnes, celui des Andes, réunit, dans une zone étroite et longue de trois mille lieues, tous les sommets qui ont plus de 2,700 mètres de hauteur, tandis qu’en Europe, même en considérant (d’après des vues trop systématiques) les Alpes et les Pyrénées comme une seule ligne de faîte, on trouve encore sporadiquement bien loin de cette ligne ou arête principale (dans la Sierra-Nevada de Grenade, en Sicile, en Grèce, dans les Apennins, peut-être aussi en Portugal), des cimes de 1,900 et 3,500 mètres de hauteur. Cette distribution inégale des points culminans, tantôt isolés ou sporadiques au milieu des bassins des mers et des plaines continentales, tantôt réunis en groupes ou alignés par files, a des rapports avec la forme et la masse des terres qui (en les comparant au fond de l’Océan) ne sont elles-mêmes que de vastes plateaux.»