De quelques phénomènes physiques et géologiques qu’offrent les Cordillères des Andes de Quito et la partie occidentale de l’Himalaya; Par M. Alexandre de Humboldt. (Lu à l’Académie des Sciences, séances des 7 et 14 mars 1825.) Première partie. J’ai exposé, dans le dernier Mémoire que j’ai eu l’honneur de soumettre à l’Académie, les procédés géométriques d’après lesquels on trace les sections verticales qui représentent une grande étendue de pays. J’ai rappelé qu’en exprimant, par projection, la position relative des points dont les divers systèmes déterminent la forme polyédrique de la surface de la terre, on peut ou projeter ces points sur un même plan, ou les répartir en plusieurs profils partiels qui sont orientés selon la direction des routes qu’a suivies le voyageur. Ces méthodes graphiques, ces sections verticales d’un pays d’une vaste étendue, dont je crois avoir donné le premier exemple dans mon Atlas du Mexique, complètent les notions anciennement acquises sur le figuré géométrique du terrain. Fondées sur des procédés extrêmement simples, elles exigent à la fois la connaissance des courbes de niveau et l’emploi des instrumens propres à fixer astronomiquement, en longitude et en latitude, les intersections des profils partiels qui servent d’axes de rotation, et qui indiquent autant de points dans lesquels a changé la direction de la route parcourue. J’ai publié une suite de sections verticales qui, toutes tracées dans l’esprit d’une même méthode, ont nécessairement aussi la même conformité d’aspect que présentent les cartes trop exclusivement appelées géographiques, celles qui figurent la situation respective des lieux projetés sur un plan horizontal. Dans ces dernières, le rapport entre les échelles de latitude et de longitude, entre les divisions des méridiens et des parallèles, est invariablement déterminé par la nature de la projection que l’on a choisie. Au contraire, dans les coupes géographiques ou sections verticales, le rapport des échelles de distance et de hauteur est variable. Les dimensions auxquelles est assujetti le tracé, permettent rarement de donner la même valeur aux deux échelles, et de représenter les inclinaisons des pentes comme elles existent dans la nature. La plupart des profils défigurent les contours, mais elles les défigurent également dans toutes leurs parties, avantage que n’offre guère la projection de Mercator dans les cartes géographiques. Les coupes, tout en indiquant numériquement le rapport des échelles de hauteur et de distance, offrent des données précises d’après lesquelles on peut calculer l’inclinaison réelle des pentes. Il résulte de ces considérations, que l’aspect plus ou moins agréable que présente le tracé de la section verticale d’un vaste pays, dépend entièrement du rapport entre les deux échelles de hauteur et de distance. J’ai cru devoir rappeler, dans l’introduction de ce Mémoire, les fondemens principaux d’une méthode graphique, qui, à l’imitation de mes profils mexicains et du tableau de la géographie des plantes équinoxiales, a été appliquée successivement à la chaîne du Caucase, par MM. Parrot et d’Engelhardt; aux Alpes de la Suisse et aux Carpathes, par M. Wahlenberg; aux montagnes de l’Allemagne, par MM. Schübler et Hofmann; à celles de la France, par MM. d’Oeynhausen et Dechen; à la Capitania de Minas Geraes, par M. d’Eschwege; et au plateau du Mysore et aux Gates de Malabar , par les officiers ingénieurs attachés à la triangulation du major Lambton, dans l’Inde. Les élémens de cette méthode graphique sont les résultats d’un nivellement barométrique ou géodésique, la connaissance précise des distances, la détermination astronomique des points d’intersection ou axes de rotation des profils partiels, enfin l’orientation de plans sécans, c’est-à-dire l’angle que chaque plan de projection fait avec le méridien. De même que les cartes topographiques proprement dites peuvent embrasser une surface plus ou moins grande en projection horizontale, de même aussi le figuré du terrain en profil offre un tableau physique général ou spécial. C’est à cette dernière classe qu’appartient le travail que j’ai l’honneur de présenter à l’Académie, et dont ce Mémoire n’est qu’une analyse très-succincte. Cette coupe du plateau de Mysore dont le savant naturaliste, M. Leschenault, a rapporté une copie manuscrite, s’étend depuis l’embouchure de la rivière Palaur par Velore, les Gates de Coromandel, Mysore (au sud de Seringapatam), jusqu’aux Gates du Malabar et au mont Dily par les parallèles de 12° 1′ à 12° 50′ de latitude et 72° 53′ à 77° 91 de longitude à l’est de Paris. Le plateau de Mysore a une hauteur moyenne de 420 à 460 toises au-dessus du niveau de la mer, et est par conséquent de près de 100 toises plus élevé que le plateau de l’Espagne entre Almansa et Astorga; mais la longueur de ce dernier est deux fois plus grande. Pour se former une idée précise de la hauteur moyenne des continens européens, je consigne ici les données suivantes: basses plaines de l’intérieur de la France et de la Lombardie, 80 toises; plateau de la Russie centrale autour de Moscou, 145 toises; de la Souabe, 150 toises; de l’Auvergne, 174 toises; de la Suisse, 220 toises; de la Bavière, 260 toises; du Tyrol (bassin d’Inspruck), 307 toises; de l’Espagne, 350 toises. (Note de M. de Humboldt.) Dans la partie la plus occidentale de l’Amérique du sud, entre les parallèles de 1° — 2° de latitude australe, s’élèvent les plus hautes cimes des Andes. Les plateaux de Quito et d’Hambato, qu’on peut appeler le Thibet du Nouveau-Monde, et que couvrent de nombreux troupeaux de llamas, anciennenement appelés brebis du Pérou , se prolongent du nord au sud entre le nœud des montagnes de l’Affuay et celui de Chisinche. Ces plateaux ont plus de trois mille mètres de hauteur au-dessus du niveau de l’Océan. Des deux chaînons qui les limitent, j’appelle celui de l’est le Chaînon du Cotopaxi , celui de l’ouest le Chaînon du Chimborazo. La section verticale présente dans ces véritables dimensions, le plateau d’Hambato et de Calpi, la position de quelques lacs alpins; et tout le chaînon occidental jusqu’au rivage de la Mer du Sud. Ce n’est pas la représentation d’un pays entier, comme dans mon Profil de la Péninsule espagnole, c’est le figuré géométrique d’une région de peu d’étendue, représentation qui n’a de commun avec ma coupe idéale de l’Amérique équinoxiale, publiée à la suite de la Géographie des plantes de 1805, que l’identité de la méthode graphique. Les cartes spéciales et les tableaux physiques d’une seule province ont l’avantage de préciser les idées, et de présenter les phénomènes tels qu’ils sont modifiés par les localités. Avant de s’élever à des aperçus généraux, il faut, dans toutes les branches des sciences, rassembler un grand nombre de faits particuliers, et les considérer dans leurs rapports les plus individuels. Les plantes inscrites sur le profil ne sont pas celles qui végètent daus toute la région équinoxiale des Andes; ce sont les plantes propres à la flore de Quito, que nous avons recueillies, M. Bonpland et moi, pendant l’espace de dix mois, depuis le niveau de la Mer du Sud jusqu’à la hauteur de 5600 mètres. Le seul aspect du profil suffit pour rappeler simultanément la position astronomique des lieux, la configuration du terrain, la distribution de la végétation selon la diversité des familles naturelles, la limite des neiges, le décroissement du calorique, la diminution de la pression de l’atmosphère, enfin la comparaison des plus hautes cimes des Andes avec celles de l’Himalaya. C’est le grand avantage des méthodes graphiques appliquées aux différens objets de la philosophie naturelle, de porter dans l’esprit cette conviction intime qui accompagne toujours les notions que nous recevons immédiatement par les sens. D’après l’ensemble de ces considérations, il serait superflu de développer ici ce que la vue seule de mon dessin fait suffisamment connaître: je me bornerai à un petit nombre de remarques relatives à des objets qui n’ont point encore été suffisamment discutés. Les sections verticales d’un pays, comme les cartes en projection horizontale, ne peuvent inspirer de la confiance qu’autant qu’elles sont accompagnées d’un mémoire justificatif. Comparaison de la ligne de faîte des Andes et de l’Himalaya. Personne ne voudrait révoquer en doute aujourd’hui, que la partie de la chaîne de l’Himalaya, comprise entre les rivières Gundhuk et le Sutledge, ne soit de beaucoup plus élevée que les plus hauts sommets de la Cordillère des Andes. Les premiers relèvemens du colonel Crawford, du lieutenant Webb, et de l’ingénieur en chef M. Colebrook, frère de l’orientaliste célèbre de ce nom, avaient déjà rendu ce fait très-probable: mais, encore cinq ans après mon retour de Quito, dans le onzième volume des Recherches asiatiques, on croyait devoir s’arrêter à la simple conclusion «que quelques cimes de l’Himalaya égalaient pour le moins la hauteur du Chimborazo.» On manquait à cette époque d’une mesure barométrique précise, propre à déterminer l’élévation du plateau dans lequel la base et les angles avaient été mesurés; on craignait surtout l’influence variable des réfractions terrestres sur des angles de hauteur de 2° à 3°. Ces doutes furent singulièrement exagérés en Europe par des personnes qui n’étaient aucunement versées dans la théorie des mesures géodésiques. J’ai examiné, dans deux Mémoires sur les montagnes de l’Inde , les limites des erreurs qui peuvent avoir affecté les premières mesures de M. Webb, et j’ai démontré que pour croire les maxima de la ligne de faite de l’Himalaya, inférieurs aux points culminans de la Cordillère des Andes, le coefficient de la réfraction aurait dû être de [Formel] , presque de [Formel] au lieu de [Formel] et de [Formel] , qui résultent, pour des latitudes si méridionales et pour des plateaux si élevés, des opérations très-précises du colonel Lambton. Voyez Annales de Chimie et de Physique, tom. 3, pag. 297 et tom. 14, pag. 5. Depuis l’année 1815, dans laquelle la province du Nepaul a été ajoutée à l’empire Britannique dans l’Inde, le capitaine Hodgson et le lieutenant Herbert ont fait une triangulation qui embrasse toute l’extrémité occidentale de l’Himalaya: les coefficiens de réfraction ont été déterminés par des observations réciproques; les angles de hauteur ont été mesurés à différentes heures du jour, et l’élévation des bases au-dessus du niveau de la mer a été déterminée en employant plusieurs baromètres comparés entre eux et un grand nombre d’observations correspondantes, faites aux mêmes heures, à Calcutta et à Seharampoor. Tous les doutes sur la hauteur prodigieuse des montagnes de l’Inde ont été levés; mais d’après les divers Mémoires publiés à Calcutta et en Angleterre, d’après les indications contradictoires des cartes les plus modernes, sans en excepter celle qui vient d’être publiée sous les auspices du colonel Blacker, directeurgénéral des opérations géodésiques dans l’Indostan, on restait encore incertain sur les questions suivantes: quelle est la cime de l’Himalaya qui atteint le maximum de hauteur? Quel nom doit-on donner à cette cime? Parmi les sommets qui se présentent en premier rang, dans les méridiens de Bénarès et d’Almora, le plus élevé est-il mesuré avec la même précision que le sommet qui le suit immédiatement? Ces incertitudes ont rapport, non à des quantités peu considérables, mais à plus de 1200 mètres de hauteur. De plus, les cartes géographiques et les journaux qui paraissent en Angleterre, en France et en Allemagne, augmentent journellement la confusion des résultats numériques. Les observateurs ont assigné, à diverses époques, différentes hauteurs à la même montagne. Souvent on a pris les élévations au-dessus du plateau de Gorukpoor, pour des élévations au-dessus du niveau de la mer; souvent on s’est trompé dans la réduction des mesures anglaises en mesures françaises; enfin on a confondu les unes avec les autres, des montagnes qui n’étaient désignées que par des numéros, ou, ce qui est pire encore, par le nom des stations d’où leur azimuth avait été déterminé. Forcé par la méthode graphique que j’emploie dans le figuré du terrain, de m’arrêter à des données précises, j’ai rassemblé tous les matériaux qui ont rapport à la mesure des différentes parties de l’Himalaya, depuis le Hindou-Khoo jusqu’à la vallée du Bourampooter. J’ai comparé ces mesures entre elles, et j’ai consulté sur les résultats de ces comparaisons, un savant illustre que son séjour dans l’Inde, ses occupations géodésiques, et sa vaste érudition dans la géographie moderne et ancienne de l’Asie, ont le plus familiarisé avec l’objet que je voulais traiter. Voici les données les plus positives auxquelles je me suis arrêté conjointement avec M. Colebrook, dans un Mémoire que je prépare pour la Société asiatique. Il faut distinguer entre les sommets dont la hauteur a été déterminée par des opérations trigonométriques qui ne laissent rien à désirer, et quelques sommets plus élevés encore, dont la mesure ne se fonde que sur des angles de hauteur, et des relèvemens pris dans des lieux dont la position astronomique, et par conséquent la différence en latitude et en longitude paraissaient suffisamment connues . A la première classe appartient le Jawahir , situé par les 30° 22′ 19″ de latitude au sud-ouest du lac sacré de Manassarowar; à la seconde classe le Dhawalagiri ou Mont-Blanc (car en sanscrit dhawala signifie blanc, et giri montagne), au sud-est du lac sacré par les 28° 40′ de latitude. Le Jawahir a 7848 mètres (4026 toises), le Dhawalagiri 8556 mètres (4390 toises) de hauteur. En adoptant le résultat de ma mesure du Chimborazo (6530 mètres), on trouve que le sommet de l’Himalaya, mesuré avec le plus de précision, est de 1318 mètres; le sommet mesuré par approximation de 2026 mètres, plus élevé que le Chimborazo. Dans la mesure du Jawahir (qui est le Pic A. n° 2, relevé de la plate-forme du temple de Surkandra, et le Pic n° 14 du tableau de hauteurs publié par le capitaine Webb) , les résultats obtenus par MM. Hodgson et Herbert ne changeraient encore que de 136 mètres, si la réfraction oscillait dans les limites extrèmes de [Formel] et [Formel] , tandis que des observations directes ont prouvé que, sous cette zône et à cette hauteur, elles se soutiennent assez généralement entre [Formel] à [Formel] . La hauteur du Dhawalagiri est dépendante d’un plus grand nombre d’élémens incertains, de la position astronomique des lieux en longitude et en latitude, des azimuths et de la réfraction; cependant deux mesures successives des capitaines Webb et Blake dont nous possédons tous les détails, offrent à peine une différence de 150 mètres. MM. Herbert et Hodgson s’expriment avec beaucoup de précision sur cette difference entre la certitude des mesures du Iawahir et de Dhawalagiri: «On ne connaît, disent-ils, aucune hauteur des Pics plus au sud-est de lat. 29° 49′ 43″, et long. 81° 2′ à l’est de Greenwich.» ( Asiat. Res., tom. 14, p. 189). Ces habiles observateurs excluent par conséquent les mesures trigonométriques qui ne sont pas fondées sur des bases directement mesurées. Le capitaine Webb donne à ce Pic, n° 14, la hauteur de 25,669 pieds anglais, en le plaçant lat. 30° 21′ 51″, long. 79° 48′ 31″ à l’est de Greenwich. ( Asiat. Res., vol. 13, p. 306). MM. Herbert et Hodgson le font lat. 30° 22′ 19″, long. 79° 57′ 22″. On lui attribuait d’abord 25,589 pieds anglais. ( Asiat. Res., tom. 14, p. 311-316), et puis 25,749 pieds anglais = 4026 toises parce que la hauteur du plateau de Belville fut d’abord supposée de 853 pieds, et par des observations barométriques plus exactes de 1013 pieds au-dessus du niveau de la mer. Il y a trois Pics d’une hauteur prodigieuse qui se suivent dans la direction du sud-ouest au nord-est que l’on voit de la plateforme du temple de Surkandra. Ces Pics sont désignés dans la carte de M. Herbert, par les noms de Jawahir Peaks A n° 1, A n° 2 et A n° 3 ou P. C’est le Pic intermédiaire qui est le plus élevé de tous. Plus au nord-ouest paraissent les montagnes colossales de Kedarnath et de Iamnautri. Le Dhawalagiri, appelé aussi par corruption Dhoulagir ou Gasakoti, donne naissance, sur sa pente méridionale, à la rivière Ghandaki . C’est sur les bords de cette rivière qu’on recueillit dans un schiste de transition, les fameuses cornes d’Ammon (salagrana) que les croyans parmi les Hindous regardent comme des images de l’incarnation de Vishnou pendant le cataclysme des grandes eaux. En plaçant le Puy-de-Dôme sur le Chimborazo on aura la hauteur du Jawahir; en placant le Saint-Gothard sur le Chimborazo on aura la hauteur du Dhawalagiri. En contemplant du fond des plaines et des sillons que couvrent nos cultures, les sommets des Alpes et des Cordillères, nous sommes d’abord frappés de la différence prodigieuse qu’offre la hauteur des montagnes; nous oublions qu’une planète voisine dont le nivellement du sol a été entreprise dans toute la surface visible aux habitans de la terre, présente ces mêmes merveilles et de plus grandes encore. Fondés sur des analogies qui ne sont qu’apparentes, nous nous formons une idée vague du maximum de hauteur que les cimes de notre globe peuvent atteindre, comme s’il nous était donné de mesurer les forces élastiques qui ont soulevé la croûte oxidée de notre planète; comme si l’action qui a produit, sur des crevasses, ces murs rocheux que nous appelons les Alpes et les Pyrénées, avait limité les forces qui ont agi sous la chaine des Andes et de l’Himalaya, sous Mowna-Roa et le Pic de Ténériffe. Pourquoi ne découvrirait-on pas un jour, au nord de l’Himalaya, entre cette chaîne et celle du Zungling ou entre la chaîne du Zungling et celle de Thianschan ou Montagnes célestes, des sommets qui seraient supérieurs au Dhawalagiri comme celui-ci l’est au Chimborazo, et le Chimborazo au Mont-Blanc? Même les êtres organisés nous offrent cette variété prodigieuse de grandeur. Lorsque je fis connaître la fleur de l’Aristolochia cordiflora de 18 pouces de diamètre, on ne se doutait pas de l’existence du Rafflesia dont la fleur a 3 pieds d’ouverture. Aux yeux du géologue qui ne perd pas de vue les masses et la configuration générale du sphéroïde terrestre, la hauteur des montagnes est un phénomène peu important: il ne voit dans les maxima de faîtes des Pyrénées, des Alpes, des Cordillères et de l’Himalaya, qu’une série de termes qui croissent comme les nombres 1. 1 [Formel] . 2 et 2 [Formel] . Asiat. Res., vol. 12, p. 266. — Journ. of the Royal Inst., vol. 11, p. 240. La longitude du Dhawalagiri est de 83° 20′ à l’est de Greenwich; sa hauteur est de 28,077 pieds anglais = 8556 mètres = 4390 toises. Les premiers relèvemens avaient donné, dans les hypothèses de distance et de réfraction les plus défavorables, un minimum de 26,862 pieds anglais. Je m’arrête aux points culminans de chaque système, car la hauteur moyenne des lignes de faîtes, déterminée par la hauteur moyenne des cols et des passages, est une idée abstraite, et même assez vague lorsqu’il y a groupement de montagnes et non une chaîne continue. M. Ramond, qui, dans toutes les branches des sciences physiques qu’il a traitées, s’est toujours élevé à des vues générales, avait déjà observé que le faîte des Pyrénées n’est guère plus bas que la hauteur moyenne des Alpes, et que ce qui caractérise cette dernière chaîne est la grande élévation relative de ses sommets, c’est-à-dire le rapport de ces sommets à la hauteur moyenne de la ligne de faîte. D’après mes recherches cette hauteur moyenne égale dans les Andes les points culminans des Pyrénées; dans l’Himalaya, les points culminans des Alpes. La géognosie a ses élémens numériques comme toutes les sciences qui traitent de la configuration et de l’étendue des chaînes de montagnes et des bassins, de la distribution des êtres organisés, des causes qui modifient les inflexions des lignes isothermes. Dans un Mémoire géologique, que j’aurai bientôt l’honneur de présenter à l’Académie, j’exposerai quelques propriétés remarquables de ces élémens numériques, relatives aux points culminans et à l’aire de la section horizontale des chaînes. Il suffit d’annoncer ici que le rapport de la hauteur moyenne des crêtes est à celle des cimes les plus élevées dans les Pyrénées comme 1:1 [Formel] , dans les Alpes = 1 : 2, dans les Andes et l’Himalaya = 1:1 [Formel] . En Amérique un seul système de montagnes, celui des Andes, réunit dans une zône étroite et longue de trois mille lieues, tous les sommets qui ont plus de 2700 mètres de hauteur, tandis qu’en Europe, même en considérant (d’après des vues trop systématiques) les Alpes et les Pyrénées comme une seule ligne de faîte, on trouve encore sporadiquement bien loin de cette ligne ou arète principale (dans la Sierra-Nevada de Grenade, en Sicile, en Grèce, dans les Apennins, peut-être aussi en Portugal), des cimes de 1900 et 3500 mètres de hauteur. Cette distribution inégale des points culminans, tantôt isolés ou sporadiques au milieu des bassins des mers et des plaines continentales, tantôt réunis en groupes ou alignés par files, a des rapports avec la forme et la masse des terres qui (en les comparant au fond de l’Océan) ne sont elles-mêmes que de vastes plateaux. Si la hauteur des pics offre peu d’intérêt au géologue, il n’en est pas de même des évaluations du volume des arêtes comparé à l’étendue de la surface des basses régions. Cette partie de l’Orographie, sur laquelle mes sections verticales jettent quelque jour, est même de beaucoup d’importance dans les recherches de la Mécanique céleste. M. de Laplace a fait voir récemment «que l’harmonie qu’offrent les expériences du pendule avec l’aplatissement donné par les mesures des degrés terrestres et les inégalités lunaires, prouve que la surface serait à peu près celle de l’équilibre, si cette surface devenait fluide. Il suit de cette concordance des résultats que la petite profondeur moyenne des mers doit être du même ordre que la hauteur moyenne des continens et des îles . Or cette hauteur moyenne dépend bien moins de ces chaînons ou arêtes longitudinales de peu de largeur, de ces points culminans ou dômes qui attirent la curiosité du vulgaire, que de la configuration générale des plateaux, de ces plaines doucement ondulées et à pentes alternatives, qui influent, par leur étendue et leur masse, sur la position d’une surface moyenne, c’est-à-dire sur la hauteur d’un plan placé de manière que la somme des ordonnées positives soit égale à la somme des ordonnées négatives. La géographie physique, de même que la météorologie et la connaissance des climats, ne peuvent faire des progrès qu’à mesure que l’on considère les phénomènes dans leur ensemble, et que l’on se déshabitue d’attacher trop d’importance soit aux points culminans qui se trouvent isolés sur une ligne de faîtes, soit à ces extrêmes de température qu’atteint le thermomètre pendant un seul jour de l’année. Mécanique celeste, tom. V., p. 14. Seconde partie. J’ai exposé dans la première partie de ce Mémoire les avantages que présente la méthode graphique des sections verticales lorsqu’on l’applique à une grande étendue de pays; j’ai rappelé que ce genre de projection seul, trop long-temps négligé, peut fournir une connaissance précise de la hauteur moyenne des continens et des îles, élément qui n’est pas sans intérêt pour la Mécanique céleste, et que les observations du pendule semblent lier à la connaissance du maximum de la profondeur de la mer. J’ai fait voir en même temps: 1°. Que cette hauteur moyenne des continens, d’après les recherches que j’ai pu faire jusqu’aujourd’hui, a pour nombres limites 120 et 160 mètres; 2°. Que les opérations géodésiques faites sur le plateau du Seharanpoor prouvent indubitablement qu’un des sommets de la ligne de faîte de l’Himalaya (le pic Jawahir), situé à l’ouest du Lac Manassarowar, surpasse de 676 toises le point culminant des Andes; 3°. Qu’il existe dans la même chaîne de l’Himalaya, mais au sud-est du Lac Manassarowar, un autre sommet, appelé par les indigènes la Montagne-Blanche (Dhawalagiri), qui est plus élevé encore que le Jawahir 4°. Que deux mesures de ce Mont-Blanc de l’Inde, faites en différentes stations et à diverses époques, ont donné, à 12 toises près, la même hauteur prodigieuse de 4390 toises; mais que, malgré cette concordance, sans doute accidentelle, le Dhawalagiri n’est pas mesuré avec la même précision que le Jawahir, la longueur de la base à laquelle s’appuyaient les angles, n’ayant été déterminée que par des moyens astronomiques; 5°. Que pour croire que le Jawahir ne surpasse pas le Chimborazo en hauteur, on est forcé d’admettre un coefficient de réfraction terrestre qu’il serait absurde de supposer même dans le nord de l’Europe; 6°. Que dans plusieurs parties de l’Inde la valeur du coefficient de réfraction a été déterminée par des observations réciproques; que ce coefficient, dans les basses latitudes et sur les plateaux du Nepaul, est généralement de [Formel] à [Formel] , et qu’en supposant les limites extrêmes de [Formel] et de [Formel] , la hauteur du Pic Jawahir ne changerait encore que de 136 mètres, c’est-àdire de [Formel] de la hauteur totale, erreur qu’on ne peut considérer comme très-considérable, si l’on se rappelle que les opérations faites par des astronomes justement célèbres à différentes époques et à différentes distances, pour déterminer la hauteur du Mont-Rose, varient de [Formel] de la hauteur mesurée, et s’éloignent par conséquent de beaucoup, malgré l’habileté des observateurs, de la grande concordance trouvée récemment pour le Mont-Blanc entre les observations de MM. Tralles, Carlini, Corabœuf et L’Ostende. Welden, Monographie des Mont-Rosa, 1824, pag. 20. 7°. Que toute mesure géodésique d’une chaine de montagnes située dans l’intérieur d’un continent, étant par sa nature en partie géométrique, en partie barométrique, il est important de connaître le rapport de ces deux élémens, qui varie généralement avec la petitesse des angles de hauteur; mais que dans la détermination des sommets de l’Himalaya, la mesure barométrique, fondée sur l’emploi simultané de six baromètres et d’un grand nombre d’observations correspondantes (à Seharanpoor et à Calcutta), ne porte que sur une hauteur de 300 mètres. 8°. Que les points culminans ou les maxima des lignes de faîte des principales chaînes de montagnes en Europe, en Amérique et en Asie, sont comme les nombres 10, 14, 18, 24, c’est-à-dire qu’ils suivent à peu près une progression par différences dont la raison est un demi, mais que dans les sept chaînes des Alpes, des Andes, de l’Himalaya, du Caucase, des Alleghanis et de Venezuela, le rapport des crêtes aux sommets, c’est-à-dire le rapport entre la hauteur moyenne des faîtes et les points culminans, est très-régulièrement comme 1 à 1 [Formel] ou comme un à deux. La masse des Hautes-Pyrénées est généralement plus élevée que celle des Hautes-Alpes, quoique la hauteur des pics dont les Pyrénées sont dominées soit de beaucoup inférieure. En calculant la hauteur moyenne de vingt-trois passages mesurés avec beaucoup de précision, j’ai trouvé pour les Pyrénées 1217 toises, pour les Alpes seulement 1168 toises ou 49 toises de moins. Les passages ou cols appelés ports ou hourques dans les Pyrénées, sont de faibles échancrures ou dépressions locales des faîtes. Ils donnent un nombre limite, un minimum de la hauteur du faîte; tandis que la ligne des neiges éternelles qui n’atteint pas la hauteur moyenne de la crête, fournit un autre nombre limite pour le maximum. La hauteur moyenne des faîtes est par conséquent contenue entre ces deux extrêmes. Or les sommets des Pyrénées sont si peu élevés que le rapport des crêtes à ces sommets y est de 1 à 1 [Formel] , au lieu de 1 à 2, comme donnent six autres chaînes principales des deux continens. Il est presque superflu d’ajouter que les rapports numériques que nous venons d’annoncer ne seront plus les mêmes, si le niveau des mers venait à changer, ou si on comparait les sommets des courbes au centre de la terre. Après avoir rappelé ces résultats généraux qui ne sont pas sans intérêt pour la géographie physique, je vais passer à la seconde partie de ce Mémoire qui peut être considéré comme un Mémoire justificatif de la nouvelle carte en section verticale que j’ai eu l’honneur de présenter à l’Académie dans sa dernière séance. Constitution géognostique. La chaîne de l’Himalaya sur laquelle le capitaine Gérard s’est élevé à la même hauteur (près de 5900 mètres) à laquelle MM. Bonpland, Carlos Montufar et moi, nous sommes parvenus à la pente du Chimborazo, est composée, autant qu’on a pu l’examiner jusqu’ici, non de roches porphyriques, comme le Caucase, mais de granite, de gneiss, de micaschiste avec disthène, et de ces amphibolites que l’on désigne vulgairement sous le nom de diorites ou grunstein primitif. Les mesures des montagnes de l’Inde dont les plus précises ne datent que de l’année 1816, ont restitué par conséquent les points culminans de la surface du globe au domaine des formations primitives, et ceux parmi les géognostes qui regardent les Cordillères comme soulevées par des forces élastiques à travers des crevasses ou sillons ouverts plus ou moins ramifiés, croient trouver dans la prodigieuse hauteur des montagnes de l’Inde, une preuve de l’assertion que les premiers ou plus anciens soulèvemens de la croûte oxidée de notre planète, ont été les plus considérables et les plus violens. Lorsqu’on examine la constitution géognostique de l’Himalaya entre les méridiens du Lac Manasarowar et le glacier des sources du Gange, on est frappé de la ressemblance parfaite qu’elle offre avec la constitution géognostique des Alpes, dans les environs du Saint-Gothard. Au contraire, la partie des Andes de Quito, dont j’ai tracé la section verticale, est presque entièrement composée de trachyte. C’est une éruption de trachytes qui, sur la pente occidentale des Andes, atteint une épaisseur de plus de 6500 mètres, à travers des formations de micaschiste et de gneiss, devenu talqueux. J’ai déterminé avec soin, en appuyant les angles de position à une base mesurée dans la plaine de Riobamba- Nuevo, le volume du Chimborazo, et j’ai trouvé le diamètre du dôme de trachyte, là où commencent les neiges perpétuelles de 6700 mètres, et à la grande hauteur de 5900 mètres, par conséquent près du sommet encore de 1300 mètres. Il serait à désirer que l’on eût déterminé d’une manière analogue le volume du Mont- Blanc et de quelques pics de l’Himalaya. Lorsque des forêts de Cinchona qui avoisinent la ville de Loxa, on avance vers le nord, on franchit d’abord le nœud des montagnes de l’Assnay, groupe de roches trachytiques, qui offre un passage des Andes très-fréquenté. J’ai trouvé le point culminant du col à 2428 toises de hauteur: c’est une échancrure, une dépression du faîte des Andes dont le fond égale à peu près la hauteur du sommet du Mont-Blanc. A ce nœud succède le passage de la Cordillère, devenu célèbre par les travaux des académiciens français, qui ont placé leurs signaux tantôt sur l’un, tantôt sur l’autre des deux chaînons. L’occidental est le chaînon du Chimborazo, du Carguairazo et d’Iliniza; l’oriental, le chaînon du volcan de Sangay, des Collanes et du Tungurahua. Le dernier est brisé par le Rio Pastaza, car en dépit des dogmes surannés des géographes, les plus hautes Cordillères du monde, l’Himalaya et les Andes, donnent passage à des rivières. Le bassin que limitent les chaînons du Chimborazo et du Tungurahua est fermé vers le nord par le nœud de montagnes de Chisinche, espèce de digue trachytique de peu de hauteur, qui divise les eaux entre l’Océan Atlantique et la Mer du Sud. Dans cette région le système des roches trachytiques est entièrement séparé du système des roches basaltiques. Celui-ci est très-rare dans la province de Quito, et ne se trouve qu’à son extrémité septentrionale; il est caractérisé par la présence de l’olivine qui manque entièrement dans les trachytes des Andes, riches à la fois en cristaux allongés et fendillés de feldspath vitreux, d’amphibole et de pyroxène. Les trachytes sont souvent très-régulièrement stratifiés, par exemple au Chimborazo et à l’Assuay, mais ils varient par groupes dans la direction et dans l’inclinaison de leurs couches, comme font les phonolites du système basaltique. C’est à la pente orientale du Chimborazo que la structure colonnaire des trachytes est la plus commune; j’y ai vu à 2180 toises de hauteur des prismes pentagones et heptagones, de trachytes gris-verdâtres extrêmement minces, et de 50 pieds de longueur. Ces trachytes donnaient des marques très-sensibles de polarité, l’axe magnétique étant perpendiculaire à l’axe longitudinal des prismes. Dans les Andes comme dans l’ancien continent, chaque cône ou dôme trachytique offre des roches différentes dans leur composition, selon que l’un des élémens prédomine sur les autres. Le mica noir est le plus commun dans les trachytes du Cotopaxi qui abondent en même temps en masses semi-vitreuses et en obsidiennes: l’amphibole domine dans les trachytes d’Antisana; le pyroxène dans les régions moyenne et inférieure du Chimborazo. Les trachytes de cette dernière montagne renferment en même temps des pyrites, un peu de quarz, deux variétés de feldspath, le vitreux et le commun, et ce qui est très-remarquable, des grenats. J’ai recueilli ces grenats près de la bouche latérale du Yanaurcu, colline que j’ai figurée sur mon profil, et qui, d’après un mythe local très-répandu parmi les montagnards de race indienne, a été enflammée par la chute d’un aérolithe. M. Beudant a également trouvé des grenats, non dans les trachytes, mais au milieu des brèches trachytiques de la Hongrie. Une roche dans laquelle le feldspath compacte atteint le maximum de son développement, la phonolithe, se montre au milieu des trachytes du Chimborazo: car il y a des phonolites de trachyte, comme il y a des phonolithes du terrain basaltique. Les derniers forment les plus grandes masses dans les deux continens, et ils sont toujours superposés aux basaltes. Une partie du chaînon qui est opposé au chaînon trachytique du Chimborazo présente une formation de gneiss-micaschiste, traversée par de riches filons d’argent rouge et d’argent sulfuré. En montant sur le volcan constamment enflammé du Tungurahua, j’ai même vu apposés, sinon superposés, des trachytes noirs et semivitreux à un micaschiste verdâtre à surface striée et soyeuse, renfermant des grenats. Ce micaschiste repose sur un granite stéatiteux composé de feldspath lamelleux verdâtre et à gros grains, de peu de quarz blanc, de tables hexagones de mica noir et de quelques cristaux effilés d’amphibole. C’est sur ce point seul que l’on voit des trachytes percer les roches vulgairement appelées primitives. Décroissement du calorique. Température des différentes zônes superposées. L’échelle climatérique placée à gauche du profil des Andes de Quito diffère entièrement de celle que présente le tableau physique qui accompagne l’ Essai sur la Géographie des Plantes. Il se fonde sur l’ensemble des observations que j’ai faites à différentes hauteurs depuis les côtes de la Mer du Sud jusqu’à 2550 toises. J’ai indiqué les températures moyennes et les variations de température du jour et de la nuit. Ce tableau prouve, comme M. Oriani l’avait soupçonné depuis long-temps, que dans l’état moyen de l’atmosphère, la température ne décroit pas uniformément en progression arithmétique. J’ai fait voir dans un autre endroit (dans le Mémoire sur les lignes isothermes ), que le décroissement de la chaleur (et ce fait est bien digne d’attention) se rallentit entre 1000 et 3000 mètres, surtout entre 1000 et 2500 mètres de hauteur, là où est placée la première couche de nuages, et qu’ensuite il s’accélère de nouveau. Le Docteur Young a récemment examiné les influences de cette accélération sur les réfractions atmosphériques . Malheureusement toutes les observations de température que l’on peut employer dans ce genre de calcul, ont été faites sur la pente même des Andes ou de l’Himalaya, et non dans des aérostats. Elles sont modifiées localement par les effets de la radiation du sol dont l’influence est difficile à apprécier. Température moyenne: au niveau de la mer du sud 27°,5 therm. cent.; à 500 toises de hauteur 21°,8; à 1000 toises 18°; à 1500 toises 14°,3; à 2000 toises 7°; à 2500 toises 1°,5. Ce dernier resultat ne se fonde que sur un petit nombre d’observations. Journ. of the Royal Inst., vol. XI, p. 360. Positions astronomiques propres à fixer les limites extrêmes de la section verticale. Ces limites extrêmes sont le village indien de Calpi et l’ile de la Punà sur les côtes de la Mer du Sud près de Guayaquil. J’ai lié Calpi par le transport du temps à la ville de Quito, dont la longitude, avant mon voyage, était indiquée, sur toutes les cartes et dans tous les tableaux de positions géographiques, trop à l’est de près d’un degré. La position de Guayaquil se fonde sur deux occultations d’étoiles et sur mon observation du passage de mercure sur le disque du soleil, faite au Callao de Lima, en supposant la différence de la longitude entre le Callao et l’île Santa-Clara (au S. S. O. du port de Guayaquil) telle qu’elle a été déterminée chronométriquement par l’expédition de Malaspina, par moi et récemment par le capitaine Basil Hall. Un tableau de positions que ce navigateur a ajouté à son intéressant voyage aux côtes du Chili et du Mexique, semblait jeter de nouveau quelques doutes sur les longitudes du Callao et de Valparaiso. Ces doutes devaient d’autant plus fixer l’attention des géographes, que M. Givry, ingénieur hydrographe de la marine royale, dans une lumineuse discussion insérée dans la Connaissance des temps pour l’année 1827, avait confirmé le résultat de mon observation du passage de mercure par des nombreuses séries de distances lunaires, et qu’il avait réduit Valparaiso, Arica et les points principaux de la côte de l’Océan Pacifique, à la longitude de Callao ...... La position de cette île est d’après les cartes du Deposito hidrografico de Madrid, 82° 35′ 0″; d’après mon chronomètre ( Rec. d’obs. astr., tom. II, p. 439), 82° 37′ 44″; d’après le capitaine Basil-Hall ( Extracts from a journal written on the coasts of Chili, Peru, etc., tom. II, p. 379), 82° 34′ 48″ à l’occident du méridien de Paris (maximum des différences 12″ en temps). L’ensemble de ces distances lunaires orientales et occidentales prises par M. Lartigue, enseigne de vaisseau, donne au Callao 79° 29′; mon passage de Mercure 79° 34′ 30″. ( Conn. des temps pour 1827, p. 257.) (L’auteur a cru devoir supprimer ici des développemens qui n’auraient eu de l’intérêt que pour un très-petit nombre de lecteurs de ce Journal.) La géographie astronomique d’une grande partie des côtes de l’Amérique du sud est aujourd’hui tellement avancée (la limite des erreurs étant au-dessous de 4′ à 5′ en arc), que dans les points les plus importans elle ne peut être que faiblement perfectionnée par des déterminations chronométriques, ou par des distances lunaires prises avec des instrumens de petites dimensions, mais qu’elle exige, pour ne pas rester stationnaire, des observations nombreuses d’occultations d’étoiles, d’éclipses du soleil, de passages de planètes et d’immersions ou d’émersions des deux premiers satellites du Jupiter. Végétation de la province de Quito. La coupe dont je donne une description succincte offre l’esquisse de la géographie des plantes dans les Andes de Quito, depuis l’équateur jusqu’à 4° de latitude australe. C’est une carte spéciale dans laquelle j’ai inscrit les noms des espèces les plus remarquables d’après la hauteur à laquelle nous les avons recueillies, M. Bonpland et moi. Nous n’avons pu herboriser avec soin que dans les parties tempérées et froides de cette région des Tropiques. Depuis les recherches laborieuses faites au Brésil par M. Auguste de Saint-Hilaire, nos herbiers ne renferment peut-être pas le plus grand nombre d’espèces équinoxiales qu’on ait rapporté en Europe; mais le travail immense de M. Kunth entièrement terminé aujourd’hui et formant sept volumes des Nova Genera , présente non-seulement la plus grande masse de plantes tropicales qu’on ait jamais publiées ou illustrées par l’analyse des parties de la fructification; cet ouvrage est aussi le seul dans lequel la Géographie des plantes ait été fixée par des mesures précises relativement à la station de quatre mille cinq cents espèces phanérogames. Dans mon traité de Distributione geographicâ plantarum, secundùm cœli temperiem et altitudinem montium , je n’ai pu me servir que de résultats approximatifs: c’est depuis que M. Kunth a terminé les Nova Genera , avec cette supériorité de talent dont les grands maîtres de l’art lui ont rendu les témoignages les plus honorables, que nous avons pu concevoir le projet d’employer un si grand nombre de matériaux entièrement nouveaux, pour trouver les coefficiens numériques de chaque groupe, pour diviser les plantes par flores, qui se succèdent comme par étages les unes aux autres, pour les consigner dans des cartes spéciales, et pour publier ensemble, dans le courant de cette année même, un ouvrage général sur la Géographie des plantes dans les deux continens . Ce traité sera précédé par mon Essai sur les climats, considérés dans leurs rapports avec les inflexions des lignes isothermes. La Géographie des plantes est, pour ainsi dire, une science mixte. Placée sur la limite de la botanique descriptive et de la climatologie, elle emprunte des secours à chacune de ces deux branches des sciences physiques. M. de Humboldt a développé le phénomène singulier de la constance des rapports numériques, dans un mémoire inséré dans le dixhuitième volume du Dictionnaire des Sciences Naturelles, ayant pour titre: Nouvelles recherches sur les lois que l’on observe dans la distribution des formes végétales. « Les formes des êtres organisés, dit-il, se trouvent dans une dépendance mutuelle. L’unité de la nature est telle, que les formes se sont limitées les unes les autres d’après des lois constantes et immuables. Lorsqu’on connaît sur un point quelconque du globe, le nombre d’espèces qu’offre une grande famille (p. ex., celle des Glumacées, des Composées ou des Légumineuses), on peut évaluer avec beaucoup de probabilité, et le nombre total des plantes phanérogames, et le nombre des espèces qui composent les autres familles végétales. C’est ainsi qu’en connaissant, sous la zône tempérée, le nombre des Cypéracées ou des Composées, on peut deviner celui des Graminées ou des Légumineuses. Ces évaluations nous font voir dans quelles tribus de végétaux les Flores d’un pays sont encore incomplètes: elles sont d’autant moins incertaines que l’on évite de confondre des quotiens qui appartiennent à différens systemes de végétation. Le travail que j’ai tenté sur les plantes, sera sans doute appliqué un jour avec succès aux différentes classes des animaux vertébrés. Dans les zônes tempérées, par exemple, il y a près de cinq fois autant d’oiseaux que de mammifères, et ceux-ci augmentent beaucoup moins en avançant vers l’équateur, que les oiseaux et les reptiles. Nous concevons comment, sur un espace de terrain donné, les individus appartenant à différentes tribus de plantes et d’animaux peuvent se limiter numériquement; comment, après une lutte opiniâtre et après de longues oscillations, il s’établit un état d’équilibre qui résulte des besoins de la nourriture et des habitudes de la vie; mais les causes qui ont limité les formes sont cachées sous ce voile impénétrable qui dérobe à nos yeux tout ce qui tient à l’origine des choses, au premier développement de la vie organique.» (Note des Rédacteurs.) Les bornes de ce Mémoire ne me permettent pas d’entrer dans le détail des considérations que fait naître le tableau de la végétation sur la pente occidentale des Cordillères de Quito. Il suffit de rappeler ici que les neiges éternelles y commencent à la hauteur du Mont-Blanc, c’est-à-dire à 2460 toises, tandis que sur la pente boréale de l’Himalaya, sous le 30° à 31° de latitude, elles se trouvent 140 toises plus haut. Cette circonstance rend habitable, à un grand nombre de peuples de races tartare et mongole, de vastes pays qui, sans l’heureux effet du rayonnement de la chaleur dans les plateaux d’Asie, seraient ensevelis, même pendant l’été, sous une couche épaisse de glaces et de neiges. M. Colbrooke a reçu très-récemment de l’Inde, de nouvelles mesures géodésiques qui confirment ce que j’ai exposé ailleurs, sur la différence de hauteur à laquelle se soutiennent les neiges sur les pentes méridionales et septentrionales de l’Himalaya. Quoique dans le plateau des Cordillères de Quito on trouve la même température annuelle que dans les hautes latitudes, il ne faut pas trop généraliser ces analogies entre les climats tempérés des montagnes équatoriales, et ceux des basses régions de la zône circompolaire. Ces analogies sont modifiées par l’influence de la distribution partielle de la chaleur dans les différentes parties de l’année. Considérées en masse, les formes des plantes alpines du Chimborazo et de l’Antisana ont une physionomie que l’on pourrait appeler européenne. Je ne citerai que les genres Plantago, Geranium, Arenaria, Banunculus et les Saxifrages. Les Malvacées, les Rubiacées et les Labiées diminuent, tandis que les Composées, les Ombellifères et les Crucifères augmentent. Dans les Andes de la Nouvelle-Grenade et de Quito, le peuple reconnaît la proximité de la région des neiges éternelles, par des touffes éparses de deux plantes à feuilles cotonneuses de la famille des Composées. C’est le Fraylejon appartenant aux deux genres Culcitium et Espeletia. Très-près des neiges végètent les Stereocaulon botryoides, Bryum argenteum, Polytrichum juniperinum, Eudema rupestris, Gentiana rupestris, Culcitium nivale, Culcitium rufescens, Lysipomia reniformis, Ranunculus Gusmanni, Geranium acaule, Sida pichinchensis, Eudema nubigena, Cenomyce vermicularis, Stellaria serpyllifolia, Festuca dasyantha, Deyeuxia rigida, etc. Parmi les plantes que nous avons recueillies dans la région froide du volcan d’Antisana, M. Kunth a reconnu le Montia fontana que l’on trouve dans toute l’Europe tempérée. C’est la réunion des phénomènes physiques et des productions végétales qu’offre le dessin que j’ai l’honneur de soumettre à l’Académie. L’enchaînement des causes et des effets est tel, qu’aucun phénomène ne peut être considéré isolément. L’équilibre général qui règne au milieu des perturbations et d’un trouble apparent, est le résultat d’une infinité de forces mécaniques et d’attractions chimiques qui se balancent les unes les autres , et s’il est utile d’envisager séparément chaque série des faits pour y reconnaître une loi particulière, l’étude de la nature, qui est le grand problème de la Physique générale, ne peut se perfectionner que par la réunion de toutes les connaissances qui ont rapport aux modifications de la matière. Humboldt et Bonpland, Essai sur la Géographie des Plantes équinoxiales, 1807, pag. 43. La coupe de la partie occidentale des Andes de Quito qui accompagne ce Mémoire, ne pouvant être réduite aux petites dimensions de notre Atlas, nous nous sommes bornés à ajouter au travail de M. de Humboldt, la section verticale qui représente le rapport des crêtes et des sommets dans les Pyrénées, les Alpes, les Andes et l’Himalaya. Voici les données numériques sur lesquelles se fonde le dessin de M. de Humboldt. PYRÉNÉES. Passages. Toises. Port de Rat. .... 1169 Col de la Couillade.. 1016 Port de la Vieillat... 1286 Port de la Picade... 1243 Port de Benasque... 1235 Port de la Glère... 1192 Port de Plan.... 1151 Port de Vieil .... 1314 Port de Pinède.... 1280 Col de Piméné.... 1291 Port de Gavarnie... 1190 Port de Campbiel... 1333 Col de Tourmalet... 1126 Hauteur moyenne des passages..... 1217 Point culminant (m).. 1787 Crête (n)...... 1250 n : m : : 1 : 1,4. ALPES. Passages. Toises. Col de Seigne.... 1263 Col de Terret.... 1191 Mont-Cenis..... 1060 Petit Saint-Bernard.. 1125 Grand Saint-Bernard.. 1246 Simplon...... 1129 Saint-Gothard.... 1065 Col de la Fourche... 1250 Grimsel...... 1314 Julier-pass..... 1138 Hauteur moyenne des Passages ..... 1178 Point culminant (m).. 2462 Crête (n)...... 1200 n : m : : 1 : 2. ANDES. Passages. Toises. Quindiu...... 1798 Guanacas...... 2300 Guamani...... 1713 Micuipampa..... 1817 Montan...... 1780 De Mendoza à Valparaiso...... 1987 Hauteur moyenne (sans Guanacas)..... 1819 Point culminant (m).. 3350 Crête (n)...... 1850 n : m : : 1 : 1,8. HIMALAYA. Passages. Toises. Bamsaru...... 2416 Nitce Gbaut..... 2629 Rol-Ghati...... 2345 Gunass....... 2413 Baspa....... 2360 Hauteur moyenne des Passages...... 2432 Point culminant.... 4390? Crête....... 2432 n : m = 1 : 1,8. CHAINE DE VENEZUELA. Toises. Maximum: Silla de Caracas....... 1350 Crête....... 750 n : m : : 1 : 1,8. CAUCASE. Maximum: Elburz ... 2785 Crête....... 1330 n : m : : 1 : 2. ALLEGHANIS. Toises. Maximum: Mt. Washington. 1040 Crête....... 560 n : m : : 1 : 1,8. Pyrénées...... 1 : 1,5 Alpes....... 1 : 2 Andes....... 1 : 1,8 Venezuela..... 1 : 1,8 Alleghanis..... 1 : 1,8 Caucase...... 1 : 2 Himalaya..... 1 : 1,8 PYRÉNÉES. ALPES. ANDES. HIMALAYA. Sommets.. 1,0 1,4 1,8 2,4 A peu près. 1 1 1/2 2 2 1/2 Abbildungen