Extrait du Rapport fait d l’Académie des Sciences, par M. le Baron de Humboldt, sur un ouvrage de M. Auguste de Saint-Hilaire, intitulé: Plantes usuelles des Brasiliens. ........ L’auteur de cet ouvrage continue à faire jouir le public des fruits d’un voyage de six années, pendant lesquelles il a parcouru une vaste portion du Brésil, de la province Cisplatine et des missions du Paraguay. La botanique et l’histoire naturelle des animaux ont été enrichies à la fois par ce savant qui, avant de quitter l’Europe, avait déjà donné tant de preuves de sa sagacité et d’une connaissance intime et des affinités des formes végétales. Mais ce qui double le prix des objets qu’il a rapportés, ce sont les observations précieuses qu’il a faites sur les lieux mêmes, pour avancer l’étude des familles naturelles, la géographie des plantes et des animaux, la connaissance des inégalités du sol et l’état de sa culture. Aussi les savans de toutes les nations désirent-ils la publication d’un grand ouvrage dans lequel, par la munificence du Gouvernement, M. Auguste de St.-Hilaire pourrait réunir tant de matériaux divers. Jusqu’à l’époque où leurs vœux seront remplis, ils applaudiront avec nous à l’ardeur soutenue qui porte ce voyageur à devancer ce grand ouvrage par des mémoires et des traités moins volumineux, quoique également propres à répandre du jour sur la Flore du Brésil et des pays voisins . Outre les Plantes usuelles, l’auteur va encore publier un ouvrage intitulé: Histoire des Plantes les plus remarquables du Brésil et du Paraguay. Les quatre premières livraisons sont déjà prêtes et paraîtront en avril, chez Belin, rue des Mathurins-Sorbonne, à Paris. La description des Plantes usuelles renfermera un choix des végétaux les plus intéressans, sous le rapport de leur utilité médicale, industrielle ou alimentaire. Le premier cahier qui a été presenté à l’Académie contient trois espèces nouvelles de véritable Quinquina; deux Exostema, genre voisin du Cinchona, établi par M. Bonpland, et un Strychnos, dont les propriétés fébrifuges sont des plus prononcées. La découverte de vrais Cinchona dans la partie orientale de l’Amérique du sud, loin des Cordillières, doit frapper ceux qui s’occupent de la distribution des végétaux sur le globe et des causes géologiques qui l’ont modifiée. On ne connaît jusqu’à ce jour aucune espèce de Cinchona, pas même d’Exostema, ni dans les montagnes de la Silla de Caracas, où végètent des Befaria, des Aralia, des Thibaudia et d’autres arbustes alpins de la Nouvelle-Grenade, ni dans les montagnes boisées de Caripé et de la Guyane française. Cette absence totale des genres Cinchona et Exostema sur le plateau du Mexique et dans les régions orientales de l’Amérique du sud, au nord de l’équateur (si toutefois elle est aussi absolue qu’elle le paraît jusqu’à ce jour), surprend d’autant plus que les îles Antilles ne manquent pas d’espèces de Quinquina à corolles lisses et à étamines saillantes. Les Quinquina des Cordillières n’avancent vers l’est dans l’hémisphère boréal que jusqu’aù 72° degré de longitude occidentale de Paris, jusqu’aux montagnes de mica schiste de la Sierra Nevada de Merida. Les Cinchona ferruginea, C. Vellozii et C. Remijiana de M. Auguste de Saint Hilaire, long-tems confondus avec les Macrocnemum, végètent sur les plateaux de la provinee de Minas- Geraes, à 100 mètres d’élévation, sous un climat tempéré, entre les 18° et 22° degrés de latitude australe. On regarde leur présence, et ce fait est bien remarquable, comme un indice à peu près sûr de la proximité des minérais de fer. L’écorce amère et astringente de ces Quinquina des montagnes du Brésil, (Quina da Serra) ressemble singulièrement, par la saveur, à celle du Quinquina du Pérou et de la Nouvelle- Grenade; cependant leurs qualités fébrifuges sont moins prononcées que celles d’un arbre plus célèbre encore, du Strychnos pseudoquina que l’on trouve dans le district des Diamans, dans les déserts de Goyaz et dans la partie occidentale de Minas-Geraes. De toutes les plantes médicinales de ces vastes contrées, le Quina do Campo ou Strychnos pseudoquina, est celle dont l’usage est le plus répandu et le mieux constaté. Les Médecins du Brésil en administrent l’écorce, tantôt en poudre, tantôt en décoction. Des expériences comparatives répétées avec succès à Paris, ont prouvé que ses propriétés médicales ne le cédaient point à celles des meilleures espèces de Cinchona des Cordillières. L’analyse chimique de ce Strychnos, a présenté à M. Vauquelin, un acide d’une nature particulière; mais il n’y a découvert ni brucine, ni quinine, ni un atôme du principe vénéneux que renferment le Strychnos nux-vomica et la fève de Saint-Ignace. On savait déjà qu’une autre espèce du même genre, le S. Potatorum, est également dépourvue de propriétés délétères, et que la pulpe du fruit de la Noix vomique se mange sans danger. Les écorces des Exostema cuspidatum et australe du Brésil sont aussi fébrifuges, mais bien inférieures à celles des Quina da Serra. Elles ressemblent aux écorces des Quinquina des Antilles et n’offrent, comme celles-ci, presqu’aucune trace de quinine et de cinchonine. A cette liste de plantes médicinales, il faut encore ajouter le Paraïba ou Simaruba bigarré, qui est un des plus puissans antivermineux, et l’Evodia febrifuga, que l’on confond dans le pays avec le Quinquina du Pérou, et qui appartient à la même famille que le Cortex angusturæ ou Cusparé, des Missions de Caroni, que j’ai fait connaître sous le nom de Bonplandia trifoliata. Si dans l’intérieur de la Guyanne française on découvre un jour des sites assez élevés pour jouir d’un climat tempéré, on pourra, comme je l’ai proposé depuis long-tems, y transplanter, par la voie de la rivière des Amazones, les Cinchona de la pente orientale des Cordillières, de Loxa et de Bracamoros, ou, d’après les découvertes du voyageur dont nous examinons les travaux, enrichir le sol de la Guyane par la culture des plantes fébrifuges du Brésil. A l’interêt qu’inspirent les considérations sur l’usage des végétaux, sur l’époque de leur découverte, et leur distribution géographique, M. Auguste de Saint- Hilaire a ajouté celui des descriptions botaniques les plus complètes, et de la discussion des affinités de structure par lesquelles chaque plante se lie aux genres voisins. Je ne mettrai pas sous les yeux de l’Académie toutes les observations botaniques entièrement neuves que renferme la description des Plantes usuelles du Brésil; je ne rappellerai que les discussions sur le genre Strychnos d’après lesquelles ce genre ne peut former une famille séparée comme l’avait proposé M. Decandolle; sur le genre Evodia, dont l’adoption devient indispensable depuis que M. Kunth, dans les Nova genera plant. æquin., a prouvé l’identité générique du Zantoxylum et du Fagara; sur les différences des Quassia et des Simaruba, des Cinchona et des Exostema. Les botanistes reconnaîtront dans l’ensemble de ces discussions, la supériorité de talent avec laquelle le même voyageur a déjà traité, dans des Mémoires séparés, les familles des Primulacées et des Caryophyllées. Des planches lithographiées avec soin accompagnent les descriptions, qui forment autant de Monographies séparées: elles offrent l’analyse des parties les plus delicates de la fructification. C’est ainsi que le Traité des Plantes usuelles des Brasiliens tout en enrichissant la botanique et la matière médicale, fera connaître aux habitans d’un autre hémisphère les richesses d’un pays qui ne demande que des bras pour le défricher, et des institutions politiques propres à encourager l’industrie nationale.