Nouvelles Recherches sur les lois que l’on observe dans la distribution des formes végétales. Par M. Alex. de Humboldt. (Extrait d’un Mémoire lu à l’Académie des Sciences le 19 février 1821.) Il y a quatre ans que, dans un Mémoire présenté à l’Institut , j’ai fixé l’attention des botanistes sur les rapports numériques des formes végétales. La discussion des matériaux qui ont servi à ce travail se trouve consignée dans un ouvrage que j’ai publié à la même époque, sous le titre de Prolegomena de distributione geographicâ plantarum, secundùm cœli temperiem et altitudinem montium. Il en est de la distribution des êtres organisés comme de tous les autres phénomènes du monde physique. Au milieu du désordre apparent qui semble naître de l’influence d’une multitude de causes locales, on reconnaît les lois immuables de la nature dès qu’on fixe les yeux sur une grande étendue de pays, ou qu’on emploie une masse de faits dans laquelle se compeusent mutuellement les perturbations partielles. J’ai eu la satisfaction de voir ce travail soumis à un examen détaillé, en Allemagne, en Angleterre, en Italie, et récemment en Danemarck. Un des plus grands botanistes de notre temps et de tous les siècles, M. Robert Brown, a comparé chaque résultat numérique à ceux qu’offrent les riches herbiers qu’il a pu consulter. Beaucoup de nombres ont été rectifiés, d’autres se sont trouvés dans un accord presqu’inattendu. La masse des faits s’est accrue par là même qu’on a voulu infirmer ou appuyer les résultats auxquels je m’étais arrêté. C’est ainsi que, dans la marche des sciences physiques, des idées générales qui d’abord n’ont été déduites que d’un petit nombre de faits forcent les observateurs à multiplier les données partielles. Enrichi de ces matériaux, profitant toujours de ce que la critique la plus sévère de mes ouvrages renferme de vrai et d’utile, j’ai pu donner aux résultats numériques dont se compose le tableau des formes végétales, un degré d’exactitude que je n’avais pu atteindre jusqu’alors. Il est de la nature de ces recherches de ne pouvoir rectifier les coefficiens que progressivement, à mesure que les observations se multiplient. Je ne m’arrèterai ici qu’au développement général des principes. Comme cette espèce d’arithmétique botanique exige des discussions minutieuses sur les rapports de chaque famille de plantes à toute la masse des phanérogames, j’ai réuni ces discussions dans des notes que j’ai publiées séparément . Voyez Annales de Chimie et de Physique, année 1816, t. 1, p. 225. Voyez Dictionnaire des Sciences naturelles, rédigé par le Professeur du Jardin des Plantes, tome xviii, p. 432- 436. Il est à prévoir que le travail que j’ai fait sur les familles des plantes s’appliquera un jour avec succès à plusieurs classes d’animaux vertébrés. Les immenses collections qui se trouvent à Paris, au Musée d’Histoire naturelle, font voir que déjà l’on connaît sur le globe entier près de 56,000 espèces de plantes cryptogames et phanérogames, 44,000 insectes, 2500 poissons, 700 reptiles, 4000 oiseaux et 500 espèces de mammiferes. D’après des recherches que nous avons faites, M. Valenciennes et moi, il existe dans l’Europe seule à-peuprès 80 mammifères, 400 oiseaux et 30 reptiles: il y a par conséquent, sous cette zone tempérée boréale, cinq fois autant d’espèces d’oiseaux que de mammifères, comme il y a (en Europe) cinq fois autant de composées que d’amentacées et de conifères, cinq fois autant de légumineuses que d’orchidées et d’euphorbiacées. Les belles collections rapportées récemment du Cap de Bonne-Espérance par M. Delalande prouvent (si on les compare aux ouvrages de MM. Temmink et Levaillant), que, dans cette partie de la zone tempérée australe, les mammifères sont aussi aux oiseaux = 1:4,3. Une telle concordance entre deux zones opposées est assez frappante. Les oiseaux, et surtout les reptiles, augmentent beaucoup plus vers la zone équatoriale que les mammifères. D’après les découvertes de M. Cuvier sur les ossemens fossiles, on pourrait croire que ces rapports n’ont pas été les mêmes de tous les temps, et qu’il a disparu, dans les anciennes catastrophes de notre planète, beaucoup plus de mammifères que d’oiseaux. M. Latreille, dans un excellent Mémoire sur la distribution géographique des insectes, n’a pas comparé le nombre des animaux articulés au nombre des plantes et à celui des différentes classes d’animaux vertébrés qui habitent les mêmes climats; mais il a fait voir d’une manière intéressante quels groupes d’insectes augmentent ou diminuent, en avançant du pole vers l’équateur. Je passe sous silence les laborieuses recherches de M. Illiger sur la Géographie des oiseaux . L’auteur a discuté l’habitation de plus de 3800 espèces; mais il s’est contenté de les envisager d’après leur distribution entre les cinq parties du monde: méthode peu philosophique et tout-à-fait impropre à reconnaître l’influence des climats sur le développement des êtres organisés. Tous les continens, à l’exception de l’Europe, s’étendent de la zone tempérée dans la zone équatoriale; les lois de la nature ne peuvent donc pas se manifester lorsqu’on groupe les phénomènes d’après des divisions arbitraires et qui ne dépendent, pour ainsi dire, que de la seule différence des méridiens. Il ne m’appartient pas de pousser plus loin ces considérations sur les rapports numériques entre les animaux de différentes classes. Il me suffit d’avoir rappelé l’attention des savans sur une branche de la philosophie naturelle, qui me paraît bien digne d’être étudiée. Nous concevons comment, sur un espace de terrain donné, les individus appartenant à différentes tribus de plantes et d’animaux peuvent se limiter numériquement; comment, après une lutte opiniâtre et après de longues oscillations, il s’établit un état d’équilibre qui résulte des besoins de la nourriture et des habitudes de la vie; mais les causes qui ont limité les formes sont cachées sous ce voile impénétrable qui dérobe à nos yeux tout ce qui tient à l’origine des choses, au premier développement de la vie organique. Mémoires de l’Academie de Berlin, pour les années 1812 et 1813, p. 221-237. Les rapports numériques des formes végétales peuvent être considérées de deux manières très-distinctes. Si l’on étudie les plantes, groupées par familles naturelles, sans avoir égard à leur distribution géographique, on demande quels sont les types d’organisation d’après lesquels le plus grand nombre d’espèces sont formées? Y a-t-il plus de glumacées que de composées sur le globe? ces deux tribus de végétaux font-elles ensemble le quart des phanérogames? quel est le rapport des monocotylédonées aux dicotylédonées? Ce sont là des questions de Phytologie générale, de la science qui examine l’ organisation des végétaux et leur enchaînement mutuel. Si l’on envisage les espèces qu’on a réunies d’après l’analogie de leur forme, non d’une manière abstraite, mais selon leurs rapports climatériques ou leur distribution sur la surface du globe, les questions que l’on se propose offrent un intérêt beaucoup plus varié. Quelles sont les familles de plantes qui dominent sur les autres phanérogames plus dans la zone torride que sous le cercle polaire? les composées sont-elles plus nombreuses, soit à la même latitude géographique, soit sur une même bande isotherme, dans le nouveau continent que dans l’ancien? Les types qui dominent moins en avançant de l’équateur au pole, suivent-ils la même loi de décroissement à mesure qu’on s’élève vers le sommet des montagnes équatoriales? Les rapports des familles entre elles ne varient-ils pas sur des lignes isothermes de même dénomination, dans les zones tempérées au nord et au sud de l’équateur? Ces questions appartiennent à la Géographie des végétaux proprement dite; elles se lient aux problêmes les plus importans qu’offrent la Météorologie et la Physique du globe en général. De la prépondérance de certaines familles de plantes dépend aussi le caractère du paysage, l’aspect d’une nature riante ou majestueuse. L’abondance des graminées qui forment de vastes savannes, celle des palmiers ou des conifères, ont influé puissamment sur l’état social des peuples, sur leurs mœurs et le développement plus ou moins lent des arts industriels. En étudiant la distribution géographique des formes, on peut s’arrêter aux espèces, aux genres et aux familles naturelles (Humboldt, Prolog. in Nov. Gen., tom. 1, pag. 13, 51 et 33). Souvent une seule espèce de plantes, surtout parmi celles que j’ai appelées sociales, couvre une vaste étendue de pays. Telles sont, dans le nord, les bruyères et les forêts de pins; dans l’Amérique équinoxiale, les réunions de cactus, de croton, de bambusa et de brathys de la même espèce. Il est curieux d’examiner ces rapports de multiplication et de développement organique: on peut demander quelle espèce, sous une zone donnée, produit le plus d’individus; on peut indiquer les familles auxquelles, sous différens climats, appartiennent les espèces qui dominent sur les autres. Notre imagination est singulièrement frappée de la prépondérance de certaines plantes qu’à cause de leur facile reproduction, et du grand nombre d’individus qui offrent les mêmes caractères spécifiques, on considère comme les plantes les plus vulgaires de telle ou telle zone. Dans une région boréale, où les composées et les fougères sont aux phanérogames dans les rapports de 1:13 et de 1:25 (c’est-à-dire, où l’on trouve ces rapports en divisant le nombre total des phanérogames par le nombre des espèces de composées et de fougères), une seule espèce de fougère peut occuper dix fois autant de terrain que toutes les espèces de composées ensemble. Dans ce cas, les fougères dominent sur les composées par la masse, par le nombre des individus appartenant aux mêmes espèces de pteris ou de polypodium; mais elles ne dominent pas, si l’on compare à la somme totale des espèces de phanérogames les formes différentes qu’offrent les deux groupes de fougères et de composées. Comme la multiplication de toutes les espèces ne suit pas les mêmes lois, comme toutes ne produisent pas le même nombre d’individus, les quotiens obtenus en divisant le nombre total des phanérogames par le nombre des espèces des différentes familles ne décident pas seuls de l’aspect, je dirais presque du genre de monotonie de la nature dans les différentes régions du globe. D’un autre côté, si le voyageur est frappé de la répétition fréquente des mêmes espèces, de la vue de celles qui dominent par leur masse, il ne l’est pas moins de la rareté des individus de quelques autres espèces utiles à la société humaine. Dans les régions où les rubiacées, les légumineuses ou les térébinthacées composent des forêts, on est supris de voir combien sont rares les troncs de certaines tribus de cinchona, d’hæmatoxylum et de baumiers. En s’arrêtant aux espèces, on peut, sans avoir égard à leur multiplication et au nombre plus ou moins grand des individus, comparer, sous chaque zone, d’une manière absolue, les espèces qui appartiennent à différentes familles. Cette comparaison intéressante a été faite dans le grand ouvrage de M. de Candolle (Regni vegetabilis Systema Naturæ, t. 1, p. 128, 396, 439, 464, 510). M. Kunth l’a tentée sur plus de 3300 composées déjà connues jusqu’à ce jour. (Nov. gen., t. iv, p. 238). Elle n’indique pas quelle famille domine au même degré sur les autres phanérogames indigènes, soit par la masse des individus, soit par le nombre des espèces; mais elle offre les rapports numériques entre les espèces d’une même famille appartenant à différens pays. Les résultats de cette méthode sont généralement plus précis, parce qu’on les obtient sans évaluer la masse totale des phanérogames, après s’être livré avec soin à l’étude de quelques familles isolées. Les formes les plus variées des fougères, par exemple, se trouvent sous les tropiques; c’est dans les régions montueuses, tempérées, humides et ombragées de la zone équatoriale, que la famile des fougères renferme le plus d’espèces. Sous la zone tempérée, il y en a moins que sous les tropiques; leur nombre absolu diminue encore en avançant vers le pole: mais comme la région froide, par exemple, la Laponie, nourrit des espèces de fougères qui résistent plus au froid que la grande masse des phanérogames, les fougères, par le nombre des espèces, dominent plus sur les autres plantes en Laponie qu’en France et en Allemagne. Les rapports numériques qu’offre le tableau que j’ai publié dans mes Prolegomena de distributione geographicâ plantarum, et qui reparaît ici perfectionné par les grands travaux de M. Robert Brown, diffèrent entièrement des rapports que donne la comparaison absolue des espèces qui végètent sous les zones diverses. La variation qu’on observe en se portant de l’équateur aux poles, n’est par conséquent pas la même dans les résultats des deux méthodes. Dans celle des fractions que nous suivons, M. Brown et moi, il y a deux variables, puisqu’en changeant de latitude, ou plutôt de zone isotherme, on ne voit pas varier le nombre total des phanérogames dans le même rapport que le nombre des espèces qui constituent une même famille. Lorsque des espèces ou des individus de même forme qui se reproduisent d’après des lois constantes, on passe à ces divisions de la méthode naturelle qui ne sont que des abstractions diversement graduées, on peut s’arrêter aux genres, aux familles, ou à des sections plus générales encore. Il y a quelques genres et quelques familles qui appartiennent exclusivement à de certaines zones, à une réunion particulière de conditions climatériques; mais il y a un plus grand nombre de genres et de familles qui ont des représentans sous toutes les zones et à toutes les hauteurs. Les premières recherches qui ont été tentées sur la distribution géographique des formes, celles de M. Treviranus, publiées dans son ingénieux ouvrages de Biologie (t. ii, p. 47, 63, 83, 129), ont eu pour objet la répartition des genres sur le globe. Cette méthode est moins propre à présenter des résultats généraux que celle qui compare le nombre des espèces de chaque famille ou les groupes principaux d’une même famille à la masse totale des phanérogames. Dans la zone glaciale, la variété des formes génériques ne diminue pas au même degré que la variété des espèces: on y trouve plus de genres dans un moindre nombre d’espèces. (De Candolle, Théorie élém., p. 190; Humboldt, Nova gen., t. i, p. 17 et 50.) Il en est presque de même sur le sommet des hautes montagnes qui reçoivent des colons d’un grand nombre de genres que nous croyons appartenir exclusivement à la végétation des plaines. J’ai cru devoir indiquer les points de vue différens sous lesquels on peut envisager les lois de la distribution des végétaux. C’est en les confondant que l’on croit trouver des contradictions qui ne sont qu’apparentes, et que l’on attribue à tort à l’incertitude des observations. (Berliner Jahrbücher der Gewǎchskunde, Bd., t. i, p. 18, 21, 30.) Lorsqu’on se sert des expressions suivantes: «cette forme ou cette famille se perd vers la zone glaciale; elle a sa véritable patrie sous tel ou tel parallèle; c’est une forme australe; elle abonde dans la zone tempérée, il faut énoncer expressément si l’on considère le nombre absolu des espèces, leur fréquence absolue croissante ou décroissante avec les latitudes, ou si l’on parle des familles qui dominent, au même degré, sur le reste des plantes phanérogames. Ces expressions sont justes; elles offrent un sens précis, si l’on distingue les différentes méthodes d’après lesquelles on peut étudier la variété des formes. L’île de Cuba (pour citer un exemple analogue et tiré de l’économie politique) renferme beaucoup plus d’individus de race africaine que l’île de la Martinique; et cependant la masse de ces individus domine bien plus sur le nombre des blancs dans cette dernière île que dans celle de Cuba. Les progrès rapides qu’a faits la géographie des plantes depuis douze ans, par les travaux réunis de MM. Brown, Wahlenberg, De Candolle, Léopold de Buch, Parrot, Ramond, Schouw et Hornemann, sont dus en grande partie aux avantages de la méthode naturelle de M. de Jussieu. En suivant, je ne dirai pas les classifications artificielles du système sexuel, mais des familles établies d’après des principes vagues et erronés (Dumosæ, Corydales, Oleraceæ), on ne reconnaît plus les grandes lois physiques dans la distribution des végétaux sur le globe. C’est M. Robert Brown qui, dans un Mémoire célèbre sur la végétation de la Nouvelle-Hollande, a fait connaître le premier les véritables rapports entre les grandes divisions du règne végétal, les acotylédonées, les monocotylédonées et les dicotylédonées (Brown, dans Flinder’s Voyage to Terra australis, tom. ii, p. 538; et Observ. syst. and geographical on the herbal of the Congo, p. 3.). J’ai essayé, en 1815, de suivre ce genre de recherches, en l’étendant aux différens ordres ou familles naturelles. La physique du globe a ses élémens numériques, comme le système du monde, et l’on ne parviendra que par les travaux réunis des botanistes voyageurs, à reconnaître les véritables lois de la distribution des végétaux. Il ne s’agit pas seulement de grouper les faits; il faut, pour obtenir des approximations plus précises (et nous ne prétendons donner que des approximations), discuter les circonstances diverses sous lesquelles les observations ont été faites. Je pense, comme M. Brown, qu’on doit préférer en général, aux calculs faits sur les inventaires incomplets de toutes les plantes publiées, les exemples tirés de pays considérablement étendus, et dont la Flore est bien connue, tels que la France, l’Angleterre, l’Allemagne et la Laponie. Il serait à desirer qu’on eût déjà une Flore complète de deux terrains de 20,000 lieues carrées, dépourvus de hautes montagnes et de plateaux, et situés entre les tropiques dans l’ancien et le nouveau Monde. Jusqu’à l’époque où ce vœu sera accompli, il faut se contenter des grands herbiers formés par des voyageurs qui ont séjourné dans les deux hémisphères. Les habitations des plantes sont si vaguement et si incorrectement indiquées dans les vastes compilations connues sous les noms de Systema vegetabilium et de Species plantarum, qu’il serait très-dangereux de s’en servir d’une manière exclusive. Je n’ai employé ces inventaires que subsidiairement, pour contrôler et modifier un peu les résultats obtenus par les Flores et les herbiers partiels. Le nombre des plantes équinoxiales que nous avons rapportées en Europe, M. Bonpland et moi, et dont notre savant collaborateur, M. Kunth, aura bientôt terminé la publication, est peut-être numériquement plus grand qu’aucun des herbiers formés entre les tropiques; mais il se compose de végétaux des plaines et des plateaux élevés des Andes. Les végétaux alpins y sont même beaucoup plus considérables que dans les Flores de la France, de l’Angleterre et des Indes, qui réunissent aussi les productions de différens climats appartenant à une même latitude. En France, le nombre des espèces qui végètent exclusivement au-dessus de 500 toises de hauteur, ne paraît être que [Formel] de la masse entière des phanérogames. (De Candolle, dans les Mémoires de la Société d’Arcueil, tom. iii, pag. 295). Il sera utile de considérer un jour la végétation des tropiques et celle de la région tempérée, entre les parallèles de 40° et de 50°, d’après deux méthodes différentes, soit en cherchant les rapports numériques dans l’ensemble des plaines et des montagnes qu’offre la nature sur une grande étendue de pays, soit en déterminant ces rapports exclusivement dans les plaines de la zone tempérée et de la zone torride. Comme nos herbiers sont les seuls qui font connaître, d’après un nivellement barométrique, pour plus de 4000 plantes de la région équinoxiale, la hauteur de chaque station au-dessus du niveau de la mer, on pourra, lorsque notre ouvrage des Nova Genera sera terminé, rectifier les rapports numériques du tableau que je publie aujourd’hui, en défalquant des 4000 phanérogames que M. Kunth a employés à ce travail (Prolegom., pag. 16) les plantes qui croissent au-dessus de 1000 toises, et en divisant le nombre total des plantes non alpines par celui des espèces de chaque famille qui végètent, entre les tropiques, au-dessous de 1000 toises de hauteur. Cette manière d’opérer doit affecter le plus, comme nous le verrons tantôt, les familles qui ont des espèces alpines très-nombreuses, par exemple, les graminées et les composées. A 1000 toises d’élévation, la température moyenne de l’air est encore, sur le dos des Andes équatoriales, de 17° cent., égale à celle du mois de juillet à Paris. Quoique dans les plateaux des Cordillières, on trouve la même température annuelle que dans les hautes latitudes (parce que la ligne isotherme de 17°, par exemple, est la trace marquée dans les plaines par l’intersection de la surface isotherme de 17° avec la surface du sphéroïde terrestre), il ne faut pas trop généraliser ces analogies des climats tempérés dans les montagnes équatoriales et les basses régions de la zone circompolaire. Ces analogies sont moins grandes qu’on ne le pense; elles sont modifiées par l’influence de la distribution partielle de la chaleur dans les différentes parties de l’année. (Proleg., p. 54, et mon Mémoire sur les lignes isothermes, p. 137). Les quotiens ne changent pas toujours en montant de la plaine vers les sommets arides des montagnes, de la même manière qu’ils changent en approchant du pole: c’est le cas des monocotylédonées considérées en général; c’est le cas des fougères et des composées. (Proleg., p. 51 et 52; Brown, on Congo, pag. 5.). On peut d’ailleurs remarquer que le développement des végétaux de différentes familles et la distribution des formes ne dépendent ni des latitudes géographiques seules, ni même des seules latitudes isothermes; mais que les quotiens ne sont pas toujours semblables sur une même ligne isotherme de la zone tempérée, dans les plaines de l’Amérique et dans celles de l’ancien continent. Il existe sous les tropiques une différence très-remarquable entre l’Amérique, l’Inde et les côtes occidentales de l’Afrique. La distribution des êtres organisés sur le globe dépend non-seulement de circonstances climatériques très-compliquées, mais aussi de causes géologiques qui nous sont entièrement inconnues, parce qu’elles ont rapport au premier état de notre planète. Les grands animaux pachydermes manquent aujourd’hui dans le Nouveau-Monde, quand nous les trouvons encore abondamment sous des climats analogues, en Afrique et en Asie. Dans la zone équinoxiale de l’Afrique, la famille des palmiers est bien peu nombreuse, comparée au grand nombre d’espèces de l’Amérique méridionale. Ces différences, loin de nous détourner de la recherche des lois de la nature, doivent nous exciter à étudier ces lois dans toutes leurs complications. Les lignes d’égale chaleur ne suivent pas les parallèles à l’équateur; elles ont, comme j’ai tâché de le prouver ailleurs, des sommets convexes et des sommets concaves, qui sont distribués très-régulièrement sur le globe, et forment différens systèmes le long des côtes orientales et occidentales des deux Mondes, au centre des continens, et dans la proximité des grands bassins des mers. Il est probable que, lorsque des physiciens-botanistes auront parcouru une plus vaste étendue du globe, on trouvera que souvent les lignes des maxima d’agroupement (les lignes tirées par les points où les fractions sont réduites au dénominateur le plus petit) dévient des lignes isothermes. En divisant le globe par bandes longitudinales comprises entre deux méridiens, et en en comparant les rapports numériques sous les mêmes latitudes isothermes, on reconnaîtra l’existence de différens systèmes d’agroupement. Déjà, dans l’état actuel de nos connaissances, nous pouvons distinguer quatre systèmes de végétation, ceux du Nouveau-Continent, de l’Afrique occidentale, de l’Inde et de la Nouvelle-Hollande. De même que, malgré l’accroissement régulier de la chaleur moyenne du pole à l’équateur, le maximum de chaleur n’est pas identique dans les différentes régions par différens degrés de longitude, il existe aussi des lieux où certaines familles atteignent un développement plus grand que par-tout ailleurs. C’est le cas de la famille des Composées dans la région tempérée de l’Amérique du nord, et surtout à l’extrémité australe de l’Afrique. Ces accumulations partielles déterminent la physionomie de la végétation; elles sont ce que l’on appelle vaguement les traits caractéristiques du paysage. Il résulte de mes recherches que, dans toute la zone tempérée, les glumacées et les composées font ensemble plus d’un quart des phanérogames, et que les formes des êtres organisés se trouvent dans une dépendance mutuelle. L’unité de la nature est telle, que les formes se sont limitées les unes les autres d’après des lois constantes et immuables. Lorsqu’on connaît sur un point quelconque du globe le nombre d’espèces qu’offre une grande famille (par exemple, celle des glumacées, des composées ou des légumineuses), on peut évaluer avec beaucoup de probabilité, et le nombre total des plantes phanérogames, et le nombre des espèces qui composent les autres familles végétales. C’est ainsi qu’en connaissant, sous la zone tempérée, le nombre des cypéracées ou des composées, on peut deviner celui des graminées ou des légumineuses. Ces évaluations nous font voir aussi dans quelles tribus de végétaux les Flores d’un pays sont encore incomplètes: elles sont d’autant moins incertaines que l’on évite de confondre les quotiens qui appartiennent à différens systèmes de végétation. La géographie des plantes peut être considérée comme une partie de la Physique du globe. Si les lois qu’a suivies la nature dans la distribution des formes végétales étaient beaucoup plus compliquées encore qu’elles ne le paraissent au premier abord, il ne faudrait pas moins les soumettre à des recherches exactes. On n’a pas abandonné le tracé des cartes lorsqu’on s’est aperçu des sinuosités des fleuves et de la forme irrégulière des côtes. Les lois du magnétisme se sont manifestées à l’homme dès que l’on a commencé à tracer des lignes d’égale déclinaison et d’égale inclinaison, et que l’on a comparé un grand nombre d’observations qui paraissaient d’abord contradictoires. Ce serait oublier la marche par laquelle les sciences physiques se sont élevées progressivement à des résultats certains, que de croire qu’il n’est pas encore temps de chercher les élémens numériques de la géographie des plantes. Dans l’étude d’un phénomène compliqué, on commence toujours par un aperçu général des conditions qui déterminent ou modifient le phénomène. Après avoir découvert un certain nombre de rapports, on s’aperçoit que les premiers résultats auxquels on s’est arrêté ne sont pas assez dégagés des influences locales. C’est alors qu’on corrige les élémens numériques, et qu’on reconnaît de la régularité dans les effets mêmes des perturbations partielles. La critique s’exerce sur tout ce qui a été annoncé prématurément comme un résultat général, et l’esprit de critique, une fois excité, favorise la recherche de la vérité, et accélère le progrès des sciences physiques. notes. 1°. En comparant les différens systèmes d’agroupement dans les deux Mondes, on trouve en général, dans le nouveau, sous la zone équatoriale, moins de cypéracées et de rubiacées, et plus de composées; sous la zone tempérée, moins de joncacées, de labiées, d’ombellifères et de crucifères, et plus de composées, d’éricinées et d’amentacées, que dans les zones correspondantes de l’ancien Monde. Les familles qui augmentent de l’équateur vers le pole (selon la méthode des fractions) sont les glumacées, les éricinées et les amentacées; les familles qui diminuent du pole vers l’équateur sont les légumineuses, les rubiacées, les euphorbiacées et les malvacées; les familles qui semblent atteindre le maximum sous la zone tempérée sont les composées, les labiées, les ombellifères et les crucifères. 2°. Quoique les résultats principaux de mon nouveau travail aient été réunis dans un seul tableau, j’engage pourtant les physiciens à recourir aux éclaircissemens sur les diverses familles, chaque fois que les nombres partiels leur paraissent douteux. Les quotiens des tropiques sont modifiés de telle manière qu’ils ont rapport aux régions dont la température moyenne est de 28° à 20° (de 0 à 750 toises de hauteur). Les quotiens de la zone tempérée sont adaptés à la partie centrale de cette zone, entre 13° et 10° de température moyenne. Dans la zone glaciale, la température moyenne est de 0° ou 1°. A ce tableau des quotiens ou des fractions, qui indique les rapports de chaque famille à la masse totale des phanérogames, on pourrait ajouter un tableau dans lequel seraient comparés entre eux les nombres absolus des espèces. Nous en donnerons ici un fragment qui n’embrasse que les zones tempérée et glaciale. France. Amérique boréale. Laponie. Glumacées, 460 365 124 Composées, 490 454 38 Légumineuses, 230 148 14 Crucifères, 190 46 22 Ombellifères, 170 50 9 Caryophyllées, 165 40 29 Labiées, 149 78 7 Rhinanthées, 147 79 17 Amentacées, 69 113 23 Ces nombres absolus sont tirés des Flores de MM. de Candolle, Pursh et Wahlenberg. La masse des plantes phanérogames décrites en France est à celle de l’Amérique boréale dans le rapport de 1 [Formel] : 1; à celle de Laponie, dans le rapport de 7:1. 3°. En examinant en détail tout ce que nous savons déjà sur le rapport des monocotylédonées aux dicotylédonées, on observe que le dénominateur devient progressivement plus petit (et avec la plus grande régularité) en allant de l’équateur vers le 62e de latitude nord; il augmente peut-être de nouveau dans des régions plus boréales encore, sur la côte du Groenland, où les graminées paraissent très-rares (Congo, p. 4). Le rapport varie de [Formel] à [Formel] dans les différentes parties des tropiques. Sur 3880 phanérogames de l’Amérique équinoxiale que nous avons trouvées, M. Bonpland et moi, en fleur et en fruit, il y a 654 monocotylédonées et 3226 dicotylédonées: donc la grande division des monocotylédonées serait [Formel] des phanérogames. D’après M. Brown, ce rapport est par-tout dans l’ancien continent (dans l’Inde, dans l’Afrique équinoxiale et dans la Nouvelle-Hollande), [Formel] . Sous la zone tempérée, on trouve (d’après mes Proleg., p. xii, et les données partielles publiées par M. de Candolle, Dict. des Sciences nat., t. xviii, p. 594—597) que les monocotylédonées sont aux dicotylédonées: En Barbarie ................. = 1:4,8 En Egypte *................. = 1:5,0 Dans le Caucase et en Crimée * . = 1:6,0 Dans le royaume de Naples..... = 1:4,7 Dans l’état de Venise. ......... = 1:4,0 En France .................. = 1:4,7 En Allemagne ............... = 1:4,0 En Suisse................... = 1:4,3 Dans les Iles britanniques *..... = 1:3,6 Dans l’Amérique septentrionale. = 1:4,6. Sous la zone glaciale, le rapport est: En Laponie ................. = 1:2,8 En Islande .......... ....... = 1:2,8. On voit que des tropiques au pole l’augmentation relative des monocotylédonées est très-régulière. Comme les monocotylédonées aiment l’humidité, elles sont plus nombreuses dans les Iles britanniques, et plus rares en Egypte et dans les montagnes arides du Caucase. J’avais déjà observé que, dans les Alpes de la Suisse, au-dessus de la rêgion des Rhododendrons, les monocotylédonées sont aux phanérogames = 1:7,1 quand dans les plaines, elles sont, au pied des Alpes, = 1:4,3. ( Prolegomena , p. lii.) 4°. Dans la partie la plus fertile de l’Europe, au centre de la zone tempérée, une étendue de pays de 30,000 lieues carrées nourrit près de 6000 espèces de plantes, dont 2200 acotylédonées ou cryptogames et 3800 phanérogames. Parmi les dernières, il y a presque 500 composées, 300 graminées (en excluant les cypéroïdées et les joncacées), 250 légumineuses et 200 crucifères; mais seulement 70 amentacées, 50 euphorbiacées et 25 malvacées. Les grandes familles forment [Formel] à [Formel] , les petites au-dessous de [Formel] de la masse totale des phanérogames: c’est là, pour ainsi dire, l’état moyen de la végétation en Europe, dans des terrains fertiles, entre 42°—50° de latitude boréale. Pour convaincre les plus incrédules de la réalité des proportions fixes ou de la régularité que l’on observe en Europe dans la distribution des formes, sous une même zone, je vais offrir ici les rapports qu’offrent deux pays limitrophes, la France et l’Allemagne. On peut regarder les chiffres indiqués dans le tableau suivant comme les coefficiens de chaque famille; car, en multipliant le nombre des phanérogames de la zone tempérée de l’Europe par 0.076 ou 0.053, on trouve le nombre des espèces qui composent les familles des graminées ou des crucifères. Composées...... ↙ en France, 1/7,4 = 0.135 En Allemagne, 1/8 = 0.125 Glumacées ...... ↗ Fr. 1/7,9 = 0.127 All. 1/7,1. = 0.141. Graminées seules.↗ Fr. 1/13 = 0.077 All. 1/13 = 0.077 Légumineuses ...↙ Fr. 1/16 = 0.063 All. 1/18 = 0.056 Crucifères.......↙ Fr. 1/19 = 0.052 All. 1/18 = 0.056 Ombellifères .... ↙ Fr. 1/21 = 0.048 All. 1/22 = 0.046 Labiées......... ↙ Fr. 1/24 = 0.042 All. 1/26 = 0.038 Cypéracées* seules.↗ Fr. 1/27 = 0.037 All. 1/18 = 0.056 Amentacées .....↗ Fr. 1/50 = 0.020 All. 1/40 = 0.025 Orchidées * .....↙ Fr. 1/67 = 0.015 All. 1/43 = 0.023 Boraginées ......↗ Fr. 1/74 = 0.014 All. 1/72 = 0.014 Rubiacées .......↙ Fr. 1/73 = 0.014 All. 1/70 = 0.014 Euphorbiacées* ..↙ Fr. 1/70 = 0.014 All. 1/100 = 0.010 Joncacées .......↗ Fr. 1/85 = 0.012 All. 1/94 = 0.011 Ericinées * ......↗ Fr. 1/125 = 0.008 All. 1/90 = 0.011 Malvacées * .....↙ Fr. 1/140 = 0.007 All. 1/230 = 0.004 Conifères.......↗ Fr. 1/192 = 0.005 All. 1/269 = 0.004 Cette harmonie dans la majeure partie des résultats est d’autant plus frappante que les coefficiens ont été obtenus sur des masses de plantes très-inégales. En France, 3645; en Allemagne, seulement 1884 phanérogames ont été employées pour déterminer les rapports partiels des familles. Quoique les deux pays soient limitrophes, il s’en faut de beaucoup que les espèces soient les mêmes. La concordance des résultats entre des limites aussi étroites (le plus souvent au-dessous de [Formel] de différence) prouve deux faits également remarquables: 1° que les 1700 à 1800 espèces de phanérogames qu’a de plus le catalogue de plantes françaises que l’excellent catalogue de M. Schrader employé pour l’Allemagne, sont réparties entre les diverses familles à-peu-près dans les mêmes rapports que l’on observe parmi les plantes communes aux deux pays; 2° que les espèces de légumineuses, de crucifères et d’ombellifères, que l’Allemagne paraît avoir exclusivement, se trouvent remplacées en France par un nombre à-peu-près égal d’espèces appartenant aux mêmes familles. Par-tout où l’on observe des écarts très-sensibles, on peut les attribuer à la circonstance que l’Allemagne est plus boréale que la France. Nous savons que les cypéracées et les éricinées augmentent si rapidement vers le nord, qu’il y a sous la zone tempérée [Formel] de cypéracées et [Formel] d’éricinées, tandis que, sous la zone glaciale on compte [Formel] de cypéracées et [Formel] d’éricinées. D’un autre côté, les rapports des orchidées, des malvacées et des euphorbiacées augmentent avec une égale rapidité vers le sud. En comparant le tableau précédent au tableau des trois zones (torride, tempérée et glaciale), on reconnaît les mêmes lois. J’ai ajouté à ce tableau comparatif de la France et de l’Allemagne les flèches qui, dans le tableau général, indiquent les directions de l’accroissement du pole à l’équateur et de l’équateur au pole. Ce qui est bien remarquable aussi, c’est que les coefficiens des familles ne changent pas beaucoup, si, au lieu d’examiner de vastes contrées, qui ont 2600 à 3800 espèces de phanérogames, on restreint ses recherches à une étendue de quelques lieues carrées; par exemple, à la Flore de Berlin, qui, d’après l’ouvrage de M. Kunth, ne renferme que 900 espèces. Dans cette petite étendue de terrain, les légumineuses sont [Formel] ; (dans toute la France, [Formel] ; dans toute l’Allemagne, [Formel] ); les glumacées, [Formel] ; (en France, [Formel] ; en Allemagne, [Formel] ) de la masse totale des phanérogames. 5°. De même que le système de climats du nouveau continent diffère essentiellement de celui de l’ancien à cause de la répartition inégale de la chaleur entre les différentes parties de l’année, de même aussi le système d’agroupement des plantes américaines offre des traits qui lui sont propres. C’est aux nouvelles recherches de l’Arithmétique botanique que l’on doit la connaissance de ces contrastes entre les zones tempérées des deux Mondes. J’ai réuni dans le tableau suivant les résultats de la Flore américaine de Pursh et de la Flore française de M. de Candolle. J’ai ajouté quelques coefficiens de la région glaciale européenne, pour prouver combien l’Amérique tempérée présente un caractère boréal dans les cinq familles des éricinées (et des rosages), des conifères, des amentacées, des ombellifères et des labiées. Composées. Amériq. tempérée. 1/6 France. 1/7 Glumacées............ 1/8....... 1/7,9 Graminées seules ...... 1/10...... 1/13 Joncacées seules........ 1/152..... 1/85 Cyperacées seules....... 1/40...... 1/27 Crucifères ............. 1/62...... 1/19 Légumineuses ......... 1/19 ...... 1/16 Malvacées ............ 1/125 ..... 1/140 Labiées ............... 1/40 ...... 1/24 Laponie. 1/70 Ericinées et Rosages .... 1/36...... 1/125...... 1/25 Ombellifères........... 1/57...... 1/20....... 1/55 Amentacées ........... 1/25...... 1/50....... 1/21 Conifères ............. 1/103..... 1/200...... 1/160 Les différences qui se manifestent dans ce tableau, entre les deux continens, portent non-seulement sur les cinq dernières familles que l’on pourrait appeler des formes boréales, mais aussi sur les crucifères, les joncacées et les cypéracées, qui sont également rares sous la zone torride et sous la zone tempérée du nouveau continent. 6°. On conçoit que les recherches sur les rapports numériques des familles végétales offriront des résultats beaucoup plus intéressans lorsque les flores des différens pays seront circonscrites entre des limites géographiques plus précises, et que les botanistes se seront mieux entendus sur les principes d’après lesquels on doit distinguer les variétés et les espèces. Les catalogues que l’on observe, sous le nom vague de Flore des Etats-Unis de l’Amérique, comprennent des pays situés sous des climats très-différens, depuis 18° à 9° de température moyenne. C’est la différence des climats qu’il y a, en Europe, entre la Calabre et l’Autriche. Lorsqu’on aura décrit un jour isolément, et avec la même exactitude, la végétation de la Caroline du Sud, de la Pensylvanie et de la Nouvelle-Angleterre, on distinguera un accroissement et un décroissement réguliers dans les rapports numériques des familles du sud au nord. Nous ne connaissons aujourd’hui que la moyenne générale de ces rapports partiels. Beaucoup de contrées nous paraissent plus riches en plantes, parce que les botanistes y élèvent plus légèrement des variétés au rang des espèces. D’un autre côté, les voyageurs négligent souvent les plantes qu’ils croient les mêmes que celles de leur patrie. Mais lorsqu’on s’arrête à de grandes divisions, et lorsque le nombre des espèces que l’on compare est assez considérable, d’heureuses compensations favorisent ces recherches. C’est ainsi que les nouvelles flores, beaucoup plus complètes, de l’Amérique et de la Laponie, publiees par MM. Pursh et Wahlenberg, n’ont pas sensiblement altéré les rapports numériques que l’on trouve en s’arrtêant aux anciennes flores de Michaux et de Linné. (Berl. Jahrb. der Gew., B. i, S. 24.) Quelles que soient les rectifications que l’on pourra apporter à mon travail, je suis persuadé d’avance que plus on réunira d’observations exactes, et plus on verra que dans un même hémisphère, dans un même système d’agroupement, les variations partielles des coefficiens ne se font point par sauts brusques, mais selon des lois invariables. Il se peut que la proportion tropicale des malvacées soit [Formel] ou [Formel] , au lieu de [Formel] ; mais il n’en est pas moins certain que les légumineuses et les malvacées augmentent vers l’équateur, comme les joncacées et les éricinées augmentent vers le pole. On peut révoquer en doute les quantités des variations, la rapidité de l’accroissement, mais non sa direction. 7°. En comparant les coefficiens qui appartiennent aux mêmes familles sous différentes zones, on apprend à connaître, dans la rapidité de l’accroissement, des contrastes très-marquans. Dans l’ancien continent, les rapports des graminées, des légumineuses et des euphorbiacées changent beaucoup moins de la zone tempérée à l’équateur, que de la zone tempérée au pole. 8°. Les savans qui aiment à considérer chaque phénomène dans l’isolement le plus absolu, qui regardent les températures moyennes des lieux, les lois que l’on observe dans les variations du magnétisme terrestre, dans les rapports entre les naissances et les décès, comme des hypothèses hardies et comme de vagues spéculations théoriques, dédaigneront peut-être les discussions qui font l’objet principal de ce Mémoire: ceux, au contraire, qui se plaisent à contempler l’enchaînement mutuel des êtres organisés, qui savent que les résultats numériques se rectifient par l’accumulation et l’étude soignée des faits particuliers, accueilleront un genre de recherches qui jettent du jour sur l’économie de la nature, sur la liaison qu’on remarque entre les climats et la forme des êtres, sur la distribution des plantes et des animaux dans les diverses régions de notre planète. Ce n’est que par l’examen numérique et la comparaison des espèces que l’on peut se former une juste idée de l’état de la végétation dans un pays donné; de l’influence générale qu’exerce la température sur la fréquence de certaines formes, près de l’équateur, sous le parallèle moyen et vers le cercle polaire; des traits caractéristiques qui distinguent, sous des zones isothermes, les deux systèmes d’agroupement de l’ancien et du nouveau Monde . A l’usage des personnes qui n’ont pas fait une étude spéciale de la botanique descriptive, et qui desirent cependant connaître les travaux que l’on a tentés dans les diverses branches des sciences naturelles, nous ajouterons ici les noms de quelques plantes très-communes qui caractérisent, pour ainsi dire, les tribus ou familles dont il est souvent question dans ce Mémoire. Joncacées (joncs); — Cypéracées (souchet, laiche); — Graminées (froment, avoine, ivraie); — Composées (chardon, bluet, grand soleil); — Légumineuses ou Papillonacées (haricot, vesce, fève, acacia); — Rubiacées (caillelait, garence); — Euphorbiacées (titimale, ricin); — Labiées (sauge, menthe, ortie blanche); — Malvacées (guimauve, coton); — Ombellifères (fenouil, cerfeuil, carotte); — Crucifères (navet, moutarde, giroflée). L’ensemble des plantes qui couvrent le globe est divisé par les botanistes en phanérogames (plantes à fleurs visibles) et Cryptogames ou Agames (fougères, lichens, champignons). Tome XVI, pages 293-296. GROUPES FONDÉS SUR L’ANALOGIE DES FORMES. RAPPORTS A TOUTE LA MASSE DES PHANÉROGAMES. SIGNES indiquant la direction de l’accroissement. ZONE ÉQUATORIALE; lat. 0° — 10°. ZONE TEMPÉRÉE; lat. 45° — 52°. ZONE GLACIALE; lat. 67° — 70°. Agames (Fougères, Lichens, Mousses, Champign.) Plaines.............. 1/15 Montagnes........... 1/5 1/2 1/1 ↗ Fougères seules........................... Pays peu montueux ... 1/20 Pays très-montueux. 1/3 à 1/8 1/70 1/25 ↙ Monocotylédonées ........................ Ancien continent ...... 1/5 Nouveau continent ..... 1/6 1/4 1/3 ↗ Glumacées (Joncacées, Cypéracées, Graminées). 1/11 1/8 1/4 ↗ Joncacées seules........................... 1/400 1/90 1/25 ↗ Cypéracées seules.......................... Ancien continent ..... 1/22 Nouveau continent .... 1/50 1/20 1/9 ↗ Graminées seules........................... 1/14 1/12 1/10 ↗ Composées................................ Ancien continent ..... 1/18 Nouveau continent .... 1/12 Ancien continent ... 1/8 Nouveau continent.. 1/6 1/13 → ← Légumineuses............................. 1/10 1/18 1/35 ↙ Rubiacées ................................ Ancien continent ..... 1/14 Nouveau continent .... 1/25 1/60 1/80 ↙ Euphorbiacées ............................ 1/52 1/80 1/500 ↙ Labiées .................................. 1/40 Amérique ........ 1/40 Europe .......... 1/25 1/70 → ← Malvacées ............................... 1/35 1/200 0 ↙ Éricinées et Rosages ....................... 1/130 Europe .......... 1/100 Amérique ....... 1/36 1/25 ↗ Amentacées .............................. 1/800 Europe .......... 1/45 Amérique ........ 1/25 1/20 ↗ Ombellifères ............................. 1/500 1/40 1/60 → ← Crucifères ............................... 1/800 Europe .......... 1/18 Amérique ........ 1/60 1/24 → ← Explication des signes: ↗ le dénominateur de la fraction diminue de l’équateur vers le pole nord; ↙ le dénominateur diminue du pole nord vers l’équateur; → ← le dénominateur diminue du pole nord et de l’équateur vers la zone tempérée. (Humboldt.)