MUTIS (Don Josef-Celestino), directeur de l’expédition botanique du royaume de la Nouvelle-Grenade, et astronome royal à Santa-Fé de Bogota, naquit à Cadix, d’une famille aisée, le 6 avril 1732. Il n’a été connu en Europe que par ses vastes connaissances en botanique (Linné l’appelle Phytologorum americanorum princeps); mais les services qu’il a rendus à toutes les branches de l’histoire naturelle, la découverte des quinquinas, dans des régions où l’on en ignorait l’existence, l’influence bienfaisante qu’il a exercée sur la civilisation et le progrès des lumières dans les colonies espagnoles lui assignent un rang distingué parmi les hommes qui ont illustré le Nouveau-Monde. Après s’être occupé avec ardeur de l’étude des mathématiques, Mutis fut forcé, par ses parents, de se livrer à la médecine pratique. Il suivit des cours au collége de San-Fernando de Cadix, prit ses grades à Séville, et fut nommé, en 1757, suppléant d’une chaire d’anatomie à Madrid. Pendant un séjour de trois ans dans la capitale de l’Espagne, il montra plus de goût pour les excursions botaniques que pour la visite des hôpitaux; et il eut le rare bonheur de se faire connaître au célèbre naturaliste d’Upsal , qui desirait posséder dans ses herbiers les plantes de la péninsule. Cette correspondance de Mutis avec Linné devint d’autant plus importante pour les sciences, que le vice-roi, don Pedro Mesia de La Cerda, l’engagea, en 1750, à le suivre, en qualité de médecin, en Amérique. Notre jeune botaniste avait été nommé par le ministère parmi les personnes destinées à terminer leurs études à Paris, à Leyde et à Bologne; mais il n’hésita pas de sacrifier l’espoir de visiter les plus célèbres universités de l’Europe aux avantages d’une expédition lointaine. — Arrivé à la Nouvelle-Grenade, il fut vivement frappé des richesses naturelles d’un pays dans lequel les climats se succèdent, comme par étages, les uns au-dessus des autres. Après avoir séjourné long-temps à Carthagène des Indes, à Turbaco et à Honda (embarcadère principal du Rio-Magdalena), Mutis suivit le vice-roi dans son voyage à Santa-Fé de Bogota, situé sur un plateau qui a 1365 toises de hauteur au-dessus du niveau de l’Océan, et dont la température est semblable à celle de Bordeaux. Il traversa, entre Honda et Santa-Fé, des forêts qui renferment de précieuses espèces de cinchona (quinquina); mais, jusqu’en 1772, il ne reconnut pas cette utile production. Nommé professeur de mathématiques dans le Colegio mayor de Nuestra-Señora del Rosario, il répandit à Santa-Fé les premières notions du vrai système planétaire. Les Dominicains ne virent pas sans inquiétude que «les hérésies de Copernic,» déjà professées par Bouguer, Godin et La Condamine, à Quito, pénétrassent dans la Nouvelle-Grenade; mais le vice-roi protégea Mutis contre les moines, qui voulaient que la terre demeurât immobile. Ceux ci s’accoutumèrent peuà-peu à ce qu’ils appellent encore «les hypothèses de la nouvelle philosophie.» Mutis, animé du desir d’examiner les plantes de la région chaude, et de visiter les mines argentifères de la Nouvelle-Grenade, quitta le plateau de Santa-Fé. Il fit un long séjour, d’abord à la Montuosa, entre Giron et Pamplona, puis (de 1777 à 1782) au Réal-del-Sapo et à Mariquita, situés au pied des Andes de Quindio, et du Paramo de Herveo. C’est à la Montuosa qu’il commença la grande Flore de la Nouvelle-Grenade, ouvrage botanique auquel il travailla sans relâche pendant quarante ans, et qui, nous devons le craindre, ne sera peut-être jamais publié en entier. Linné, dans le Supplément du Species plantarum, et dans son Mantissa, a signalé un grand nombre d’espèces rares, que Mutis lui avait envoyées de la Montuosa; mais, par une erreur bizarre et funeste pour la géographie des plantes, il les a indiquées comme venant du Mexique. Le peu d’argent que notre voyageur gagnait par la pratique de son art, quelquefois dans l’exploitation des mines, il l’employait à se former une bibliothèque botanique, à se procurer des baromètres, des instruments de géodésie, et des lunettes pour observer les occultations des satellites de Jupiter. Il s’associa des peintres qui dessinaient les plantes les plus curieuses, et qui peignaient à l’huile, le plus souvent de grandeur naturelle, les animaux indigènes. L’auteur de cet article a vu une partie de cette précieuse collection, formée avant que Mutis devînt l’objet de la munificence de son souverain. C’est aussi pendant le séjour au Réal-del-Sapo (1786), qu’il fit la découverte importante d’une mine de mercure, près d’Ibaguè-Viejo, entre le Nevado de Tolima et le Rio-Saldaña. Tant de travaux utiles trouvèrent enfin d’honorables encouragements. La cour de Madrid, d’après la demande du viceroi-archevêque don Antonio Caballero y Gongora, résolut, en 1782, de fonder, d’abord à Mariquita, puis (1790) à Santa-Fé de Bogota, un grand établissement d’histoire naturelle, sous le nom d’Expedicion real botanica, à la tête duquel on plaça don Celestino Mutis. Un vaste édifice de la capitale fut destiné à cet établissement. Il renfermait les herbiers, l’école de dessin, et la bibliothèque, une des plus belles et des plus riches que l’on ait jamais consacrées, dans aucune partie de l’Europe, à une seule branche d’histoire naturelle. Mutis avait embrassé l’état ecclésiastique, dès l’année 1772: il fut nommé chanoine de l’église métropolitaine de Santa-Fé, et confesseur d’un couvent de religieuses. Zélé dans l’exercice des devoirs qu’il s’était imposés, il ne put faire des excursions que dans la proximité de la capitale; mais il envoya les peintres attachés à son Expédition, dans les régions chaudes et tempérées qui environnent le plateau de Bogota. Des artistes espagnols, dont il avait perfectionné les talents par ses conseils, formèrent, en peu d’années, une école de jeunes dessinateurs indigènes. Les Indiens, les métis, et les naturels de races mêlées, montrèrent des dispositions extraordinaires, pour imiter la forme et la couleur des végétaux. Les dessins de la Flore de Bogota étaient faits sur du papier grand-aigle; on choisissait les branches les plus chargées de fleurs. L’analyse ou l’anatomie des parties de la fructification était ajoutée au bas du dessin. Généralement chaque plante était représentée sur trois ou quatre grandes feuilles, à-la-fois en couleur et en noir. Les couleurs étaient tirées en partie de matières colorantes indigènes et inconnues en Europe. Jamais collection de dessins n’a été faite avec plus de luxe, on pourrait dire sur une échelle plus grande. Mutis avait pris pour modèles les ouvrages de botanique les plus admirés de son temps, ceux de Jacquin, de L’Héritier, et de l’abbé Cavanilles. L’aspect de la végétation, la physionomie des plantes, étaient rendus avec la plus grande fidélité: les botanistes modernes qui étudient les affinités des végétaux d’après l’insertion et l’adhérence des organes, auraient peutêtre desiré une analyse plus détaillée des fruits et des graines. Lorsque MM. de Humboldt et Bonpland séjournèrent à Santa-Fé de Bogota, dans l’année 1801, et qu’ils jouirent de la noble hospitalité de Mutis, celui-ci évaluait le nombre des dessins déja terminés a 2000, parmi lesquels on admirait 43 espèces de passiflores, et 120 espèces d’orchidées. Ces voyageurs étaient d’autant plus surpris de la richesse des collections botaniques (formées par Mutis, par ses dignes élèves, MM. Valenzuela, Zea et Caldas, par ses peintres les plus habiles, MM. Rizo et Mathis), que les plus fertiles contrées de la Nouvelle-Grenade, les plaines de Tolu et de San-Benito Abad, les Andes de Quindio, les provinces de Sainte-Marthe, d’Antioquia et du Choco, n’avaient, à cette époque, encore été parcourues par aucun botaniste. Plus la masse des matériaux réunis par son zèle infatigable, était grande, plus ce savant trouvait de difficultés à publier les fruits de ses travaux. Il avait fait multiplier les dessins de la Flore de Bogota (ou comme l’on dit aujourd’hui, de Cundinamarca), pour en envoyer un exemplaire en Espagne, et en conserver d’autres à Santa-Fé. Mais comment espérer que les savants pussent jouir de cet immense ouvrage, quand la Flora Peruviana et Chilensis, de Ruiz et Pavon (V. Dombey, XI, 506), malgré les secours pécuniaires du gouvernement et des colonies, n’avançait qu’avec une extrême lenteur? Mutis était trop attaché aux établissements qu’il avait fondés, il aimait trop un pays qui était devenu sa seconde patrie, pour entreprendre, à l’âge de 76 ans, le retour en Europe . Il continua, jusqu’à sa mort, à accumuler des matériaux pour son travail, sans s’arrêter à un projet fixe sur le mode de publication. Accoutumé à vaincre des obstacles qui paraissaient insurmontables, il se livrait avec plaisir à l’idée d’établir un jour une imprimerie dans sa maison, et d’enseigner à graver à ces mêmes indigènes qui avaient appris à peindre avec tant de succès. Malgré son grand âge, il entreprit, en 1802, au milieu de son jardin, la construction d’un observatoire. C’est une tour octogone de soixantedouze pieds d’élévation, qui renfermait, en 1808, un gnomon de trentesept pieds, un quart-de-cercle de Sisson, la pendule de Graham que La Condamine avait laissée à Quito, deux chronomètres d’Emery, et des lunettes de Dollond. — Mutis eut le bonheur de ne pas voir le commencement des sanglantes révolutions qui ont désolé ces belles contrées. La mort l’enleva le 11 septembre 1808, au moment où il jouissait de tout le bonheur que peuvent répandre, sur une vie laborieuse et utile, la considération des hommes de bien, la gloire littéraire, et la certitude d’avoir contribué, dans le Nouveau-Monde, par son instruction, par son exemple et par la pratique de toutes les vertus, à l’amélioration de l’état social. — Nous venons de donner un aperçu succinct de la vie de Mutis. Nous allons indiquer sommairement ses travaux, qui embrassent presque toutes les branches des sciences naturelles. Il n’existe de lui qu’un petit nombre de Dissertations imprimées dans les Mémoires de l’académie royale de Stockholm (pour l’année 1769), et dans un excellent journal publié à Santa-Fé, en 1794, sous le titre de Papel periodico. Mais le Supplément de Linné, les ouvrages de l’abbé Cavanilles et de M. de Humboldt, le Semanario del Nuevo-Reino de Granada, redigé par M. Caldas, en 1808 et 1809, ont fait connaître une partie de ses observations. Nous ignorons l’état des manuscrits que cet homme célèbre avait recommandés aux soins de ses amis et de ses plus proches parents. M. Caldas, le directeur de l’observatoire de Santa- Fé, et l’élève chéri de Mutis, don Salvador Rizo, premier peintre de l’Expédition botanique, et la plupart des citoyens distingués par leurs connaissances et leurs talents, ont été mis à mort pendant la funeste réaction du parti de la métropole. La précieuse collection des dessins a été envoyée en Espagne où se trouvent deja les materiaux inédits de la Flore du Pérou et du Mexique. Espérons que, quand les agitations politiques auront cessé dans la péninsule et dans les colonies, les travaux de Mutis ne resteront pas voués à l’oubli comme ceux de Sessé et de Mociño. — Ce sont les communications que Mutis avait faites à Linné, qui l’ont rendu célèbre en Europe, long-temps avant qu’on eût connaissance des ouvrages qu’il préparait. Beaucoup de genres (Alstonia, Vallea, Bainadesia, Escallonia, Manettia, Acæna, Brathys, Myroxylum, Befaria, Telipogon, Brabejum, Gomozia, et tant d’autres, publiés dans le Supplément de Linné), sont dus à la sagacité du botaniste de Santa-Fé. En parlant du genre Mutisia, Linné ajoute: Nomen immortale quod nulla ætas unquam delebit. C’est Mutis qui a fait connaître, le premier, les véritables caractères du genre Cinchona. Comme ce travail est devenu très-important, nous allons rappeler ce que l’on savait avant cette époque sur les quinquinas du Nouveau-Monde. La Condamine et Joseph de Jussieu avaient examiné, en 1738, les arbres qui, dans les forêts de Loxa, donnent l’écorce fébrifuge. Le premier a publié la description et le dessin du quinquina du Pérou, dans les Mémoires de l’académie: c’est l’espèce que MM. de Humboldt et Bonpland ont fait connaître sous le nom de Cinchona condaminea, et que les botanistes ont confondue long-temps avec plusieurs autres, sous le nom vague de Cinchona officinalis. Ce Cinchona condaminea (appelé aussi Cascarilia fina de Loxa, de Caxanuma et d’Uritusinga), est l’espèce la plus rare, la plus précieuse, et vraisemblablement la plus anciennement employée. Il n’en est exporté tous les ans, par Guayaquil, port de la mer du Sud, que 100 quintaux d’écorces. L’exportation de l’Amérique entière (en différentes espèces de quinquina) est annuellement de 14,000 quintaux. Linné avait formé, en 1742, son genre Cinchona, dont le nom devait rappeler celui d’une vice-reine du Pérou (V. Cinchon, VIII, 564). Il n’avait pu fonder ce genre que sur la description imparfaite de La Condamine. En 1753, un intendant de la monnaie de Santa- Fé de Bogota (don Miguel de Santestevan), visita les forêts de Loxa, et découvrit les arbres de quinquina (entre Quito et Popayan), dans plusieurs endroits, surtout près du Pueblo de Guanacas, et du Sitio de los Corales. Il communiqua des échantillons de cinchona à Mutis. C’est sur ces échantillons que celuici fit la première description exacte du genre. Il se hâta d’envoyer à Linné la fleur et le fruit du quinquina jaune (Cinchona cordifolia); mais le grand naturaliste d’Upsal, en publiant les observations de Mutis (Syst. nat. éd. 12, pag. 164), confondit le quinquina jaune avec celui qu’avait décrit La Condamine. Jusqu’à cette époque, l’Europe ne recevait l’écorce fébrifuge du quinquina que par les ports de la mer du Sud. On ne connaissait point encore au nord du parallèle de 2° ½ de latitude boréale, l’arbre qui donne cette production précieuse. En 1772, Mutis reconnut le quinquina, à six lieues de Santa-Fé de Bogota, dans le Monte de Tena. Cette découverte importante fut bientôt (1773) suivie de celle du même végétal dans le chemin de Honda à Villeta et à la Mesa de Chinga. Nous sommes entrés dans quelques détails sur cet objet, parce que le quinquina de la Nouvelle-Grenade, exporté par Carthagène des Indes, et conséquemment par un port de la mer des Antilles rapproché de l’Europe, a eu l’influence la plus bienfaisante sur l’industrie coloniale et sur la diminution du prix des écorces fébrifuges dans les marchés de l’Ancien-Monde. Mutis a eu raison de mettre une grande importance à cette découverte, pour laquelle il n’a jamais été récompensé par son gouvernement. Un habitant de Panama, don Sébastien-Jose-Lopez Ruiz, qui avoue lui-même, dans ses Informes al Rey, n’avoir connu les quinquinas de Honda qu’en 1774, a passé longtemps pour le véritable descubridor de las cascarillas de Santa-Fé. Il a joui, à ce titre, d’une pension de 10,000 fr., jusqu’à ce qu’en 1775, le vice-roi de Gongora eût démontré à la cour la priorité des droits de Mutis. Vers la même époque (1776), don Francisco Renjifo trouva le quinquina dans l’hémisphère austral, sur le dos des Andes péruviennes de Guanuco. Aujourd’hui, on le connaît tout le long des Cordillières , entre 700 et 1500 toises de hauteur, sur une étendue de plus de 600 lieues, depuis le Paz et Chuquisaca, jusqu’aux montagnes de Sainte-Marthe et de Mérida. Mutis à le mérite d’avoir distingué, le premier, les différentes espèces de Cinchona, dont les unes à corolles velues, sont beaucoup plus actives que les autres à corolles glabres. Il a prouvé qu’on ne doit pas employer indistinctement les espèces actives, dont les propriétés médicales varient avec la forme et la structure organique. La Quinologia de Mutis, qui va être publiée par M. Lagasca, à Madrid, et dont une partie seulement a été insérée dans le Papel periodico de Santa-Fé de Bogota, février 1794, renferme l’ensemble de ces recherches médicales et botaniques. Cet ouvrage a fait connaître aussi une préparation de quinquina fermenté, qui est célèbre à Santa-Fé, a Quito et à Lima, sous le nom de bière (Cerveza) de Quina . — Parmi les plantes utiles dans la médecine et le commerce, que Mutis a décrites le premier, il faut compter le Psychotria emetica ou Ipecacuanha (Raizilla) du Rio-Magdalena; le Toluifera, et le Myroxylum, qui donnent les baumes de Tolu et du Pérou, la Wintera grenadensis, voisin de la Canella alba de nos pharmacies, et l’Alstonia theæformis, qui fournit le thé de Santa-Fé, dont l’infusion ne saurait être assez recommandée aux voyageurs qui restent long-temps exposés aux pluies des tropiques. A Mariquita, sous un climat délicieux et tempéré, Mutis a formé une petite plantation de quinquina, de ces canelliers (Laurus cinnamomoïdes), qui abondent dans les missions des Andaquies, et de noix de muscades indigènes (Myristica Otoba). Le nom de ce botaniste célèbre se rattache aussi à une découverte qui a beaucoup occupé les esprits en Amérique. On savait que les Indiens et les Nègres qui travaillent dans les lavages d’or et de platine de la province du Choco, possèdent ce qu’ils appellent le secret d’une plante qui est l’antidote le plus puissant contre la piqûre des serpents venimeux. Mutis est parvenu à découvrir ce mystère, et à faire connaître cette plante: elle est de la famille des composées, et connue dans le pays sous le nom de Vejuco del Guaco. MM. de Humboldt et Bonpland l’ont figurée les premiers (V. la Mikania Guaco, dans les Plantæ æquinoctiales, t. 11, p. 85, pl. 105). La plante a une odeur nauséabonde, qui paraît affecter les organes de l’odorat des vipères: l’odeur du Guaco se mêle sans doute à la transpiration cutanée de l’homme. On se croit garanti du danger de la morsure des serpents, pendant un temps plus ou moins long, lorsqu’on s’est curado, c’est-à-dire, introduit (inoculé) dans le système dermoïde, le suc du Guaco. Des expériences hardies, faites dans la maison de Mutis par MM. Zea, Vargas et Mathis, et pendant lesquelles on les a vus manier impunément les vipères les plus venimeuses, sont décrites dans le Semanario de agricultura de Madrid, 1798, tom. iv, p. 397. Comme on a découvert le Guaco dans plusieurs vallées chaudes des Andes, depuis le Pérou jusqu’à Carthagène des Indes et aux montagnes de Varinas, un grand nombre de personnes doivent leur guérison à cette belle découverte de Mutis. Il est à regretter que cette plante, qu’on a souvent confondue avec l’Ayapana, perde sa vertu, lorsque les feuilles et les tiges sont conservées dans l’alcohol. Le Guaco ne se trouve pas dans tous les endroits où abondent les serpents venimeux. — Nous ne connaissons que très-peu les travaux de zoologie et de physique de Mutis; mais nous savons qu’il avait étudié longtemps les mœurs des fourmis, et de ces termites qui, en Amérique comme au Sénégal, construisent des tertres de 5 à 6 pieds de hauteur. Il a fait peindre avec une grande fidélité beaucoup d’espèces de mammifères, d’oiseaux et de poissons de la Nouvelle-Grenade. Il a décrit, d’après la méthode Linnéenne, dans les Mémoires de l’académie de Stockholm, dont il était membre, une nouvelle espèce de putois (Viverra mapurito). — Les manuscrits de Mutis renferment aussi un grand nombre d’observations précieuses sur les marées atmosphériques qui se manifestent sous les tropiques, mieux encore que sous les climats tempérés, par les variations horaires du baromètre. Cet instrument monte et baisse quatre fois en vingt-quatre heures sous la zône torride, avec une telle régularité, au niveau de la mer, comme sur les plateaux les plus élevés, que l’on peut, presque à un quart-d’heure près, savoir l’heure qu’il est par la seule inspection de la colonne de mercure. Il paraît que cette observation curieuse, qui a tant occupé les physiciens, et dont La Condamine (Voyage à l’équateur, pag. 50), attribue si faussement la découverte à Godin, avait déjà été faite à Surinam, en 1722 (Journal littéraire de la Haye, pour l’année 1722, pag. 234). Le père Bondier (1742) s’en était occupé à Chandernagor; Godin (1737) à Quito; Thibault de Chanvalon (1751), à la Martinique; Lamanon, en 1786, dans la mer du Sud. Mutis assure avoir trouvé que la Lune exerce une influence sensible sur la période et l’étendue des variations horaires (Caldas, dans le Semanario del Nuevo Reino de Grenada, tom. 1er., pag. 55 et 361, n°. 3). — L’homme qui a déployé une si étonnante activité, pendant quarante-huit ans de travaux dans le Nouveau-Monde, était doué, par la nature, de la constitution physique la plus heureuse. Il était d’une stature élevée: il avait de la noblesse dans les traits, de la gravité dans le maintien, de l’aisance et de la politesse dans les manières. Sa conversation était aussi variée que les objets de ses études. S’il parlait souvent avec chaleur, il aimait à pratiquer aussi cet art d’écouter, auquel Fontenelle attachait tant de prix, et que déjà il trouvait si rare de son temps. Quoique fort occupé d’une science qui rend nécessaire l’étude la plus minutieuse de l’organisation, Mutis ne perdait jamais de vue les grands problèmes de la physique du monde. Il avait parcouru les Cordillières, le baromètre à la main: il avait déterminé la température moyenne de ces plateaux qui forment comme des îlots au milieu de l’Océan aérien. Il avait été frappé de l’aspect de la végétation, qui varie à mesure que l’on descend dans les vallées, ou que l’on gravit vers les sommets glacés des Andes. Toutes les questions qui ont rapport à la géographie des plantes, l’intéressaient vivement; et il avait cherché à connaître les limites plus ou moins étroites entre lesquelles se trouvent renfermées, sur la pente des montagnes, les différentes espèces de Cinchona. Ce goût pour les sciences physiques, cette curiosité active qui se porte sur l’explication des phénomènes de l’organisation et de la météorologie, s’est maintenu en lui jusqu’au dernier moment de sa vie. Rien ne prouve plus la supériorité de son talent, que l’enthousiasme avec lequel il recevait la nouvelle d’une découverte importante. Il n’avait pas vu de laboratoire de chimie depuis 1760; et cependant la lecture assidue des ouvrages de Lavoisier, de Guyton-Morveau et de Fourcroy, lui avait donné des connaissances très-précises sur l’état de la chimie moderne. — Mutis accueillait avec bonté les jeunes gens qui montraient des dispositions pour l’étude; il leur fournissait des livres et des instruments: il en fit voyager plusieurs à ses frais. Après avoir parlé de sa libéralité et des sacrifices qu’il faisait journellement pour les sciences, il est inutile de vanter son désintéressement. Il a joui long-temps de la confiance des vice-rois, qui exerçaient un pouvoir presque illimité dans ces contrées; mais il ne s’est servi de son crédit que pour être utile aux sciences, pour faire connaître le mérite qui aime à se cacher, pour plaider avec courage la cause de l’infortune. Il n’ambitionnait d’autres succès que de faire triompher la vérité et la justice. Il remplissait avec zèle, on pourrait dire avec une ferveur austère, les devoirs que lui imposait l’état qu’il avait embrassé; mais sa piété ne cherchait point le vain éclat de la renommée: elle était douce, comme elle l’est toujours lorsqu’elle se trouve unie à la sensibilité du cœur et à l’élévation dans le caractère. H-dt. Chalmers, qui a consacré un article à Mutis, dans son Biographical dictionary, se trompe évidemment en disant que ce botaniste vint à Paris, en 1797, y demeura jusqu’en 1801, et qu’il etait, en 1804, professeur de botanique, et directeur du jardin botanique de Madrid. Il l’a vraisemblablement confondu avec un neveu de Don Celestino Mutis, qui a passé quelque temps à Paris; et avec M. Zea, élève de Mutis, qui était alors démonstrateur du jardin botanique de Madrid. Z. On mèle 32 livres de sucre, trois quarts de livre de quinquina en poudre (surtout le quinquina blanc, Cinchona ovalifolia), et 15 bouteilles d’eau: dans l’espace de 20 jours, on obtient (la temperature de l’atmosphère étant de 15°), une boisson fermentée d’un goût agréable, spiritueuse, même un peu enivrante, et très-utile aux convalescents de fièvres tierces. Cette bière de quinquina se conserve pendant 4 à 5 mois, et Mutis la convertit en un vinaigre de quinquina, en laissant continuer la fermentation à l’air libre, et en ajoutant des tranches de bananes. Ce vinaigre de quina a été reconnu trèsutile dans des navigations de long cours. Les propriétés médicales de ces boissons prophylactiques, qu’on n’a point encore imitées en Europe, prouvent que la fermentation n’a pas dissous la matière vegétale en ces derniers éléments. MUTIUS, architecte romain, acheva, par l’ordre de Marius, d’embellir, par les plus riches ornements de l’architecture, le temple de l’Honneur et de la Vertu, bâti par Marcellus. Cet édifice était en pierre; et si le marbre eût fait ressortir la beauté du travail et des ornements, on eût pu le mettre au nombre des temples les plus magnifiques de l’antiquité. Il existe des médailles d’argent, qu’on croit avoir été frappées en l’honneur de cet architecte; on y voit les initiales no. et virt., et dans l’exergue, cet autre mot cordi... Or, le surnom de Cordus était particulier à l’une des branches de la famille Mutia, dont descendait aussi le triumvir monétaire Cordus. L—s—e.