Sur les lois que l'on observe dans la distribution des formes vegetales; par Alexandre de Humboldt. Cet article est tire de la seconde edition, inedite, de la Geographie des plantes de M. de Humboldt. Les rapports numeriques des formes vegetales peuvent etre consideres de deux manieres tres-distinctes. Si l'on etudie les plantes, groupees par familles naturelles, sans avoir egard a leur distribution geographique, on demande quels sont les types d'organisation d'apres lesquels le plus grand nombre d'especes sont formees? Y a-t-il plus de Glumacees que de Composees sur le globe? ces deux tribus de vegetaux font-elles ensemble le quart des Phanerogames? quel est le rapport des Monocotyledonees aux Dicotyledonees? Ce sont la des questions de phytologie generale, de la science qui examine l'organisation des vegetaux et leur enchaeinement mutuel. Si l'on envisage les especes qu'on a reunies d'apres l'analogie de leur forme, non d'une maniere abstraite, mais selon leurs rapports climateriques ou leur distribution sur la surface du globe, les questions que l'on se propose offrent un interet beaucoup plus varie. Quelles sont les familles de plantes qui dominent sur les autres Phanerogames plus dans la zone torride que sous le cercle polaire? les Composees sont-elles plus nombreuses, soit a la meme latitude geographique, soit sur une meme bande isotherme, dans le nouveau continent que dans l'ancien? Les types qui dominent moins en avancant de l'equateur au pole, suiventils la meme loi de decroissement a mesure qu'on s'eleve vers le sommet des montagnes equatoriales? Les rapports des familles entre elles ne varient-ils pas sur des lignes isothermes de meme denomination, dans les zones temperees au nord et au sud de l'equateur? Ces questions appartiennent a la geographie des vegetaux proprement dite; elles se lient aux problemes les plus importans qu'offrent la meteorologie et la physique du globe en general. De la preponderance de certaines familles de plantes depend aussi le caractere du paysage, l'aspect d'une nature riante ou majestueuse. L'abondance des Graminees qui forment de vastes savanes, celle des Palmiers ou des Coniferes, ont influe puissamment sur l'etat social des peuples, sur leurs moeurs, et le developpement plus ou moins lent des arts industriels. En etudiant la distribution geographique des formes, on peut s'arreter aux especes, aux genres et aux familles naturelles (Humboldt, Prolog. in Nov. Gen., tom. I, p. XIII, LI et 33). Souvent une seule espece de plantes, surtout parmi celles que j'ai appelees sociales, couvre une vaste etendue de pays. Telles sont, dans le nord, les bruyeres et les forets de pins; dans l'Amerique equinoxiale, les reunions de Cactus, de Croton, de Bambusa et de Brathys de la meme espece. Il est curieux d'examiner ces rapports de multiplication et de developpement organique: on peut demander quelle espece, sous une zone donnee, produit le plus d'individus; on peut indiquer les familles auxquelles, sous differens climats, appartiennent les especes qui dominent sur les autres. Notre imagination est singulierement frappee de la preponderance de certaines plantes que l'on considere a cause de leur facile reproduction, et du grand nombre d'individus qui offrent les memes caracteres specifiques, comme les plantes les plus vulgaires de telle ou telle zone. Dans une region boreale ou les Composees et les Fougeres sont aux Phanerogames dans les rapports de 1:13 et de 1:25 (c'esta-dire, ou l'on trouve ces rapports en divisant le nombre total des Phanerogames par le nombre des especes de Composees et de Fougeres), une seule espece de fougeres peut occuper dix fois autant de terrain que toutes les especes de Composees ensemble. Dans ce cas, les Fougeres dominent sur les Composees par la masse, par le nombre des individus appartenant aux memes especes de Pteris ou de Polypodium; mais elles ne dominent pas, si l'on compare a la somme totale des especes de Phanerogames les formes differentes qu'offrent les deux groupes de Fougeres et de Composees. Comme la multiplication de toutes les especes ne suit pas les memes lois, comme toutes ne produisent pas le meme nombre d'individus, les quotiens obtenus en divisant le nombre total des Phanerogames par le nombre des especes des differentes familles ne decident pas seuls de l'aspect, je dirois presque du genre de monotonie de la nature dans les differentes regions du globe. Si le voyageur est frappe de la repetition frequente des memes especes, de la vue de celles qui dominent par leur masse, il ne l'est pas moins de la rarete des individus de quelques autres especes utiles a la societe humaine. Dans les regions ou les Rubiacees, les Legumineuses ou les Terebinthacees composent des forets, on est surpris de voir combien sont rares les troncs de certaines especes de Cinchona, d'Haematoxylum et de Baumiers. En s'arretant aux especes, on peut aussi, sans avoir egard a leur multiplication et au nombre plus ou moins grand des individus, comparer sous chaque zone, d'une maniere absolue, les especes qui appartiennent a differentes familles. Cette comparaison interessante a ete faite dans le grand ouvrage de M. De Candolle ( Regni vegetabilis Systema Naturae, t. 1, p. 128, 396, 439, 464, 510). M. Kunth l'a tentee sur plus de 3300 Composees deja connues jusqu'a ce jour ( Nov. gen., t. 4, p. 238). Elle n'indique pas quelle famille domine au meme degre sur les autres Phanerogames indigenes, soit par la masse des individus, soit par le nombre des especes; mais elle offre les rapports numeriques entre les especes d'une meme famille appartenant a differens pays. Les resultats de cette methode sont generalement plus precis, parce qu'on les obtient sans evaluer la masse totale des Phanerogames, apres s'etre livre avec soin a l'etude de quelques familles isolees. Les formes les plus variees, des Fougeres, par exemple, se trouvent sous les tropiques; c'est dans les regions montueuses, temperees, humides et ombragees de la region equatoriale, que la famille des Fougeres renferme le plus d'especes. Dans la zone temperee, il y en a moins que sous les tropiques; leur nombre absolu diminue encore en avancant vers le pole: mais comme la region froide, par exemple, la Laponie, nourrit des especes de Fougeres qui resistent plus au froid que la grande masse des Phanerogames, les Fougeres, par le nombre des especes, dominent plus sur les autres plantes en Laponie qu'en France et en Allemagne. Les rapports numeriques qu'offre le tableau que j'ai publie dans mes Prolegomena de distributione geographica plantarum, et qui reparoeit ici perfectionne par les grands travaux de M. Robert Brown, different entierement des rapports que donne la comparaison absolue des especes qui vegetent sous les zones diverses. La variation qu'on observe en se portant de l'equateur aux poles, n'est par consequent pas la meme dans les resultats des deux methodes. Dans celle des fractions que nous suivons, M. Brown et moi, il y a deux variables, puisqu'en changeant de latitude, ou plutot de zone isotherme, on ne voit pas varier le nombre total des Phanerogames dans le meme rapport que le nombre des especes qui constituent une meme famille. Lorsque des especes ou des individus de meme forme qui se reproduisent d'apres des lois constantes, on passe aux divisions de la methode naturelle qui sont des abstractions diversement graduees, on peut s'arreter aux genres, aux familles, ou a des sections plus generales encore. Il y a quelques genres et quelques familles qui appartiennent exclusivement a de certaines zones, a une reunion particuliere de conditions climateriques; mais il y a un plus grand nombre de genres et de familles qui ont des representans sous toutes les zones et a toutes les hauteurs. Les premieres recherches qui ont ete tentees sur la distribution geographique des formes, celles de M. Treviranus, publiees dans son ingenieux ouvrage de Biologie (tom. 2, pag. 47, 63, 83, 129), ont eu pour objet la repartition des genres sur le globe. Cette methode est moins propre a presenter des resultats generaux, que celle qui compare le nombre des especes de chaque famille ou des grands groupes d'une meme famille a la masse totale des Phanerogames. Dans la zone glaciale, la variete des formes generiques ne diminue pas au meme degre que la variete des especes: on y trouve plus de genres dans un moindre nombre d'especes ( De Candolle, Theorie element., p. 190; Humboldt, Nova gen., tom. 1, pag. XVII et L). Il en est presque de meme sur le sommet des hautes montagnes, qui recoivent des colons d'un grand nombre de genres que nous croyons appartenir exclusivement a la vegetation des plaines. J'ai cru devoir indiquer les points de vue differens sous lesquels on peut envisager les lois de la distribution des vegetaux. C'est en les confondant que l'on croit trouver des contradictions qui ne sont qu'apparentes, et que l'on attribue a tort a l'incertitude des observations ( Berliner Jahrbücher der Gewächskunde, Bd. 1, p. 18, 21, 30). Lorsqu'on se sert des expressions suivantes: "cette forme ou cette famille se perd vers la zone glaciale; elle a sa veritable patrie sous tel ou tel parallele; c'est une forme australe; elle abonde dans la zone temperee;" il faut enoncer expressement si l'on considere le nombre absolu des especes, leur frequence absolue croissante ou decroissante avec les latitudes, ou si l'on parle des familles qui dominent, au meme degre, sur le reste des plantes phanerogames. Ces expressions sont justes; elles offrent un sens precis, si l'on distingue les differentes methodes d'apres lesquelles on peut etudier la variete des formes. L'eile de Cuba (pour citer un exemple analogue et tire de l'economie politique) renferme beaucoup plus d'individus de race africaine que la Martinique; et cependant la masse de ces individus domine bien plus sur le nombre des blancs dans cette derniere eile que dans celle de Cuba. Les progres rapides qu'a faits la geographie des plantes depuis douze ans, par les travaux reunis de MM. Brown, Wahlenberg, De Candolle, Leopold de Buch, Parrot, Ramond, Schouw et Hornemann, sont dus, en grande partie, aux avantages de la methode naturelle de M. de Jussieu. En suivant, je ne dirai pas les classifications artificielles du systeme sexuel, mais les familles etablies d'apres des principes vagues et errones (Dumosae, Corydales, Oleraceae), on ne reconnoeit plus les grandes lois physiques dans la distribution des vegetaux sur le globe. C'est M. Robert Brown qui, dans un memoire celebre sur la vegetation de la Nouvelle-Hollande, a fait connoeitre le premier les veritables rapports entre les grandes divisions du regne vegetal, les Acotyledonees, les Monocotyledonees et les Dicotyledonees ( Brown, dans Flinder's voyage to Terra australis, tom. 2, p. 538; et Observ. syst. et geographical on the herbar. of the Congo, p. 3). J'ai essaye, en 1815, de suivre ce genre de recherches, en l'etendant aux differens ordres ou familles naturelles. La physique du globe a ses elemens numeriques, comme le systeme du monde, et l'on ne parviendra que par les travaux reunis des botanistes voyageurs a reconnoeitre les veritables lois de la distribution des vegetaux. Il ne s'agit pas seulement de grouper des faits; il faut, pour obtenir des approximations plus precises (et nous ne pretendons donner que des approximations), discuter les circonstances diverses sous lesquelles les observations ont ete faites. Je pense, comme M. Brown, qu'on doit preferer, en general, aux calculs faits sur les inventaires incomplets de toutes les plantes publiees, les exemples tires de pays considerablement etendus, et dont la Flore est bien connue, tels que la France, l'Angleterre, l'Allemagne et la Laponie. Il seroit a desirer qu'on eaut deja une Flore complete de deux terrains de 20,000 lieues carrees, depourvus de hautes montagnes et de plateaux, et situes entre les tropiques dans l'ancien et le nouveau monde. Jusqu'a ce que ce voeu soit accompli, il faut se contenter des grands herbiers formes par des voyageurs qui ont sejourne dans les deux hemispheres. Les habitations des plantes sont si vaguement et si incorrectement indiquees dans les vastes compilations connues sous les noms de Systema vegetabilium et de Species plantarum, qu'il seroit tres-dangereux de s'en servir d'une maniere exclusive. Je n'ai employe ces inventaires que subsidiairement, pour controler et modifier un peu les resultats obtenus par les Flores et les herbiers partiels. Le nombre des plantes equinoxiales que nous avons rapportees en Europe, M. Bonpland et moi, et dont notre savant collaborateur, M. Kunth, aura bientot termine la publication, est peut-etre numeriquement plus grand qu'aucun des herbiers formes entre les tropiques: mais il se compose de vegetaux des plaines et des plateaux eleves des Andes. Les vegetaux alpins y sont meme beaucoup plus considerables que dans les Flores de la France, de l'Angleterre et des Indes, qui reunissent aussi les productions de differens climats appartenant a une meme latitude. En France, le nombre des especes qui vegetent exclusivement au-dessus de 500 toises de hauteur, ne paroit etre que de la masse entiere des Phanerogames ( De Cand., dans les Mem. d'Arcueil, t. 3, p. 295). Il sera utile de considerer un jour la vegetation des tropiques et celle de la region temperee, entre les paralleles de 40° et de 50°, d'apres deux methodes differentes, soit en cherchant les rapports numeriques dans l'ensemble des plaines et des montagnes qu'offre la nature sur une grande etendue de pays, soit en determinant ces rapports dans les plaines seules de la zone temperee et de la zone torride. Comme nos herbiers sont les seuls qui font connoeitre, d'apres un nivellement barometrique, pour plus de 4000 plantes de la region equinoxiale, la hauteur de chaque station au-dessus du niveau de la mer, on pourra, lorsque notre ouvrage des Nova genera sera termine, rectifier les rapports numeriques du tableau que je publie aujourd'hui, en defalquant des 4000 Phanerogames que M. Kunth a employes a ce travail ( Prolegom., pag. XVI) les plantes qui croissent au-dessus de mille toises, et en divisant le nombre total des plantes non alpines de chaque famille par celui des vegetaux qui viennent dans les regions froides et temperees de l'Amerique equinoxiale. Cette maniere d'operer doit affecter le plus, comme nous le verrons tantot, les familles qui ont des especes alpines tres-nombreuses, par exemple, les Graminees et les Composees. A 1000 toises d'elevation, la temperature moyenne de l'air est encore, sur le dos des Andes equatoriales, de 17° cent., egale a celle du mois de Juillet a Paris. Quoique sur le plateau des Cordilleres on trouve la meme temperature annuelle que dans les hautes latitudes (parce que la ligne isotherme de 8°, par exemple, est la trace marquee dans les plaines par l'intersection de la surface isotherme de 8° avec la surface du spheroide terrestre), il ne faut pas trop generaliser ces analogies des climats temperes des montagnes equatoriales avec les basses regions de la zone circompolaire. Ces analogies sont moins grandes qu'on ne le pense; elles sont modifiees par l'influence de la distribution partielle de la chaleur dans les differentes parties de l'annee ( Proleg., p. LIV, et mon Memoire sur les lignes isothermes; p. 137). Les quotiens ne changent pas toujours en montant de la plaine vers les montagnes, de la meme maniere qu'ils changent en approchant du pole: c'est le cas des Monocotyledonees considerees en general; c'est le cas des Fougeres et des Composees. ( Proleg., pag. LI et LII; Brown, on Congo, pag. 5.) On peut d'ailleurs remarquer que le developpement des vegetaux de differentes familles et la distribution des formes ne dependent ni des latitudes geographiques seules, ni meme des latitudes isothermes; mais que les quotiens ne sont pas toujours semblables sur une meme ligne isotherme de la zone temperee, dans les plaines de l'Amerique et de l'ancien continent. Il existe sous les tropiques une difference tres-remarquable entre l'Amerique, l'Inde et les cotes occidentales de l'Afrique. La distribution des etres organises sur le globe depend non-seulement de circonstances climateriques tres-compliquees; mais aussi de causes geologiques qui nous sont entierement inconnues, parce qu'elles ont rapport au premier etat de notre planete. Les grands Pachydermes manquent aujourd'hui dans le nouveau monde, quand nous les trouvons encore abondamment, sous des climats analogues, en Afrique et en Asie. Dans la zone equinoxiale de l'Afrique la famille des Palmiers est bien peu nombreuse, comparee au grand nombre d'especes de l'Amerique meridionale. Ces differences, loin de nous detourner de la recherche des lois de la nature, doivent nous exciter a etudier ces lois dans toutes leurs complications. Les lignes d'egale chaleur ne suivent pas les paralleles a l'equateur; elles ont, comme j'ai tache de le prouver ailleurs, des sommets convexes et des sommets concaves, qui sont distribues tres-regulierement sur le globe, et forment differens systemes le long des cotes orientales et occidentales des deux mondes, au centre des continens et dans la proximite des grands bassins des mers. Il est probable que, lorsque des physiciens-botanistes auront parcouru une plus vaste etendue du globe, on trouvera que souvent les lignes des maxima d'agroupement (les lignes tirees par les points ou les fractions sont reduites au denominateur le plus petit) devient des lignes isothermes. En divisant le globe par bandes longitudinales comprises entre deux meridiens, et en en comparant les rapports numeriques sous les memes latitudes isothermes, on reconnoeitra l'existence de differens systemes d'agroupement. Deja, dans l'etat actuel de nos connoissances, nous pouvons distinguer quatre systemes de vegetation, ceux du nouveau continent, de l'Afrique occidentale, de l'Inde et de la Nouvelle-Hollande. De meme que, malgre l'accroissement regulier de la chaleur moyenne du pole a l'equateur, le maximum de chaleur n'est pas identique dans les differentes regions par differens degres de longitude, il existe aussi des lieux ou certaines familles atteignent un developpement plus grand que partout ailleurs: c'est le cas de la famille des Composees dans la region temperee de l'Amerique du nord, et surtout a l'extremite australe de l'Afrique. Ces accumulations partielles determinent la physionomie de la vegetation, et sont ce que l'on appelle vaguement les traits caracteristiques du paysage. Dans toute la zone temperee les Glumacees et les Composees font ensemble plus d'un quart des Phanerogames. Il resulte de ces memes recherches, que les formes des etres organises se trouvent dans une dependance mutuelle. L'unite de la nature est telle, que les formes se sont limitees les unes les autres d'apres des lois constantes et immuables. Lorsqu'on connoeit sur un point quelconque du globe le nombre d'especes qu'offre une grande famille (p. ex., celle des Glumacees, des Composees ou des Legumineuses), on peut evaluer avec beaucoup de probabilite, et le nombre total des plantes phanerogames, et le nombre des especes qui composent les autres familles vegetales. C'est ainsi qu'en connoissant, sous la zone temperee, le nombre des Cyperacees ou des Composees, on peut deviner celui des Graminees ou des Legumineuses. Ces evaluations nous font voir dans quelles tribus de vegetaux les Flores d'un pays sont encore incompletes: elles sont d'au tant moins incertaines que l'on evite de confondre les quotiens qui appartiennent a differens systemes de vegetation. Le travail que j'ai tente sur les plantes, sera sans doute applique un jour avec succes aux differentes classes des animaux vertebres. Dans les zones temperees il y a pres de cinq fois autant d'oiseaux que de mammiferes, et ceux-ci augmentent beaucoup moins vers l'equateur que les oiseaux et les reptiles. La geographie des plantes peut etre consideree comme une partie de la physique du globe. Si les lois qu'a suivies la nature dans la distribution des formes vegetales etoient beaucoup plus compliquees encore qu'elles ne le paroissent au premier abord, il ne faudroit pas moins les soumettre a des recherches exactes. On n'a pas abandonne le trace des cartes lorsqu'on s'est apercu des sinuosites des fleuves et de la forme irreguliere des cotes. Les lois du magnetisme se sont manifestees a l'homme des que l'on a commence a tracer les lignes d'egale declinaison et d'egale inclinaison, et que l'on a compare un grand nombre d'observations qui paroissoient d'abord contradictoires. Ce seroit oublier la marche par laquelle les sciences physiques se sont elevees progressivement a des resultats certains, que de croire qu'il n'est pas encore temps de chercher les elemens numeriques de la geographie des plantes. Dans l'etude d'un phenomene complique, on commence par un apercu general des conditions qui determinent ou modifient le phenomene; mais, apres avoir decouvert de certains rapports, on trouve que les premiers resultats auxquels on s'est arrete, ne sont pas assez degages des influences locales: c'est alors qu'on modifie et corrige les elemens numeriques, qu'on reconnoeit de la regularite dans les effets memes des perturbations partielles. La critique s'exerce sur tout ce qui a ete annonce prematurement comme un resultat general, et cet esprit de critique, une fois excite, favorise la recherche de la verite et accelere le progres des connoissances humaines. Acotyledonees. Plantes cryptogames (Champignons, Lichens, Mousses et Fougeres); Agames celluleuses et vasculaires de M. De Candolle. En reunissant les plantes des plaines et celles des montagnes, nous en avons trouve sous les tropiques ; mais leur nombre doit etre beaucoup plus grand. M. Brown a rendu tres-probable que dans la zone torride le rapport est pour les plaines 1/15, pour les montagnes 1/5 ( Congo, p. 5). Sous la zone temperee, les Agames sont generalement aux Phanerogames comme 1:2; dans la zone glaciale, elles atteignent le meme nombre, et le surpassent souvent de beaucoup. Dans cet article, les fractions , 1/15, 1/5 , indiquent le rapport entre les especes d'une famille et la somme des Phanerogames qui vegetent dans le meme pays. Les abreviations Trop., Temp., Glac., designent les trois zones, torride, temperee et glaciale. En separant les Agames en trois groupes, on observe que les Fougeres sont plus frequentes (le denominateur de la fraction etant plus petit) dans la zone glaciale que dans la zone temperee ( Berl. Jahrb., B. 1, p. 32). De meme les Lichens et les Mousses augmentent vers la zone glaciale. La distribution geographique des Fougeres depend de la reunion de circonstances locales d'ombre, d'humidite et de chaleur temperee. Leur maximum (c'est-a-dire le lieu ou le denominateur de la fraction normale du groupe devient le plus petit possible) se trouve dans les parties montagneuses des tropiques, surtout dans des eiles de peu d'etendue, ou le rapport s'eleve a 1/3 et au-dela. En ne separant pas les plaines et les montagnes, M. Brown trouve pour les Fougeres de la zone torride 1/20. En Arabie, dans l'Inde, dans la Nouvelle-Hollande et dans l'Afrique occidentale (entre les tropiques), il y a 1/26: nos herbiers d'Amerique ne donnent que 1/38; mais les Fougeres sont rares dans les vallees tres-larges et les plateaux arides des Andes, ou nous avons ete forces de sejourner longtemps ( Congo, pag. 43, et Nov. gen., tom. 1, pag. 33). Dans la zone temperee, les Fougeres sont 1/70; en France 1/73; en Allemagne, d'apres des recherches recentes, 1/71 ( Berl. Jahrb., B. 1, pag. 26). Le groupe des Fougeres est extremement rare dans l'Atlas, et manque presque entierement en Egypte. Sous la zone glaciale, les fougeres paroissent s'elever a 1/25. Monocotyledonees. Le denominateur devient progressivement plus petit en allant de l'equateur vers le 62.e de latitude nord; il augmente de nouveau dans des regions plus boreales encore, sur la cote du Groenland, ou les Graminees sont tres-rares ( Congo, pag. 10). Le rapport varie de 1/5 a 1/6 dans les differentes parties des tropiques. Sur 3880 Phanerogames de l'Amerique equinoxiale que nous avons trouvees, M. Bonpland et moi, en fleur et en fruit, il y a 654 Monocotyledonees et 3226 Dicotyledonees: donc la grande division des Monocotyledonees seroit 1/6 des Phanerogames. D'apres M. Brown, ce rapport est dans l'ancien continent (dans l'Inde, dans l'Afrique equinoxiale et dans la Nouvelle- Hollande), 1/5 . Sous la zone temperee on trouve 1/4 (France 1:4 2/5 ; Allemagne, 1:41/2; Amerique boreale, d'apres Pursh, 1:41/2); Royaume de Naples, 1:4 1/5 ; Suisse, 1:41/4; Isles britanniques, 1:33/4). Sous la zone glaciale, 1/3 . Glumacees (les trois familles des Joncacees, des Cyperacees et des Graminees, reunies). = Trop., 1/11.--Temp., 1/8 .--Glac., 1/4. L'augmentation vers le nord est due aux Joncacees et aux Cyperacees, qui sont beaucoup plus rares, relativement aux autres Phanerogames, sous les zones temperees et sous la zone torride. En comparant entre elles les especes appartenant aux trois familles, on trouve que les Graminees, les Cyperacees et les Joncacees sont sous les tropiques comme 25, 7, 1; dans la region temperee de l'ancien continent, comme 7, 5, 1; sous le cercle polaire, comme 2 2/5 , 2 3/5 , 1. Il y a en Laponie autant de Graminees que de Cyperacees: de la vers l'equateur les Cyperacees et les Joncacees diminuent beaucoup plus que les Graminees; la forme des Joncacees se perd presque entierement sous les tropiques ( Nov. gen., T. I.er, p. 240). Joncacees seules. = Trop., 1/400. -- Temp., 1/90. -- Glac., 1/25 (Allemagne, 1/94; France, 1/86). Cyperacees seules. = Trop. Amerique, a peine 1/57; Afrique occidentale, 1/18; Inde, 1/25; Nouvelle-Hollande, 1/14 ( Congo, p. 9). -- Temp., peut-etre 1/20 (Allemagne, 1/19; France, toujours d'apres les travaux de M. De Candolle, 1/27; Danemarck, 1/16). -- Glac., . C'est le rapport trouve en Laponie et au Kamtschatka. Graminees seules. = Trop. J'ai admis jusqu'ici 1/15. M. Brown trouve pour l'Afrique occidentale 1/12, pour l'Inde 1/12 ( Congo, p. 41). M. Hornemann s'arrete pour cette meme partie de l'Afrique a ( De indole plant. Guineensium, 1819, p. 10). -- Temp. Allemagne, 1/13; France, 1/13. -- Glac., . Composees. En confondant les plantes des plaines avec celles des montagnes, nous avons trouve dans l'Amerique equinoxiale 1/6 et ; mais, sur 534 Composees de nos herbiers, il n'y en a que 94 qui vegetent depuis les plaines jusqu'a 500 toises (hauteur a laquelle la temperature moyenne est encore de 21°, 8; egale celle du Caire, d'Alger et de l'ile de Madere). Depuis les plaines equatoriales jusqu'a 1000 toises de hauteur (ou regne encore la temperature moyenne de Naples), nous avons recueilli 265 Composees. Ce dernier resultat donne le rapport des Composees, dans les regions de l'Amerique equinoxiale au-dessous de 1000 toises, de a . Ce resultat est tres-remarquable, puisqu'il prouve qu'entre les tropiques, dans la region tres-basse et tres-chaude du nouveau continent il y a moins de Composees, dans les regions subalpines et temperees plus de Composees, que sous les memes conditions dans l'ancien monde. M. Brown trouve pour le Rio-Congo et Sierra-Leone, 1/23; pour l'Inde et la Nouvelle-Hollande, 1/16 ( Congo, p. 26; Nov. gen., t. IV, p. 239). Quant a la zone temperee, les Composees font en Amerique 1/6 (c'est peut-etre aussi dans l'Amerique equinoxiale le rapport des Composees des tres-hautes montagnes a toute la masse des Phanerogames alpins); au cap de Bonne- Esperance, 1/5 ; en France, (proprement 2/15); en Allemagne, 1/8 . Sous la zone glaciale les Composees sont, en Laponie, 1/13; au Kamtschatka, 1/13. ( Hornemann, p. 18; Berl. Jahrb., B. I, p. 29.) Legumineuses. = Trop. Amerique, 1/12; Inde, ; Nouvelle-Hollande, ; Afrique occidentale, 1/8 ( Congo, p. 10). -- Temp. France, 1/16; Allemagne, 1/20; Amerique boreale, 1/19; Siberie, 1/14 ( Berl. Jahrb., B. I, p. 22). -- Glac., 1/35. Labiees. = Trop., 1/40. -- Temp. Amerique boreale, 1/40; Allemagne, 1/26; France, 1/24. -- Glac., 1/70. La rarete des Labiees et des Cruciferes dans la zone temperee du nouveau continent est un phenomene tres-remarquable. Malvacees. = Trop. Amerique, 1/47; Inde et Afrique occidentale, 1/34 ( Congo, p. 9); dans la seule cote de Guinee, 1/20 ( Hornemann, p. 20). -- Temp., 1/200. -- Glac., 0. Cruciferes. = Presque point sous les tropiques, en faisant abstraction des montagnes au-dessus de 1200 a 1700 toises ( Nov. gen., p. 16). France, 1/19; Allemagne, 1/18; Amerique boreale, 1/62. Rubiacees. Sans diviser la famille en plusieurs sections, on trouve pour les tropiques, en Amerique 1/29, dans l'Afrique occidentale 1/14; pour la zone temperee, en Allemagne 1/70, en France 1/73; pour la zone glaciale, en Laponie 1/80. M. Brown separe la grande famille des Rubiacees en deux groupes qui offrent des rapports climateriques tresdistincts. Le groupe des Stellatae sans stipules interposees appartient principalement a la zone temperee: il manque presque entre les tropiques, excepte sur le sommet des montagnes. Le groupe des Rubiacees a feuilles opposees et a stipules appartient tres-particulierement a la region equinoxiale. M. Kunth a divise la grande famille des Rubiacees en huit groupes, dont un seul, celui des Coffeacees, renferme dans nos herbiers un tiers de toutes les Rubiacees de l'Amerique equinoxiale. ( Nov. gen., t. III, p. 341.) Euphorbiacees. = Trop. Amerique, 1/35; Inde et Nouvelle- Hollande, 1/30; Afrique occidentale, 1/78 ( Congo, p. 25). -- Temp. France, 1/70; Allemagne, 1/100. -- Glac., Laponie 1/500. Ericinees et Rosages. = Trop. Amerique, 1/130. -- Temp. France, 1/125; Allemagne, 1/90; Amerique boreale, 1/36. -- Glac. Laponie, 1/25. Amentacees. = Trop. Amerique, 1/800. -- Temp. France, 1/50; Allemagne, 1/40; Amerique boreale, 1/25. -- Glac. Laponie, 1/20. Ombelliferes. = Presque point sous les tropiques au-dessous de 1200 toises; mais, en comptant dans l'Amerique equinoxiale les plaines et les hautes montagnes, 1/100: sous la zone temperee beaucoup plus dans l'ancien que dans le nouveau continent. France, 1/34; Amerique boreale, 1/57; Laponie, 1/60. En comparant les deux mondes, on trouve en general dans le nouveau, sous la zone equatoriale, moins de Cyperacees et de Rubiacees, et plus de Composees; sous la zone temperee, moins de Labiees et de Cruciferes, et plus de Composees, d'Ericinees et d'Amentacees, que dans les zones correspondantes de l'ancien monde. Les familles qui augmentent de l'equateur vers le pole (selon la methode des fractions), sont les Glumacees, les Ericinees et les Amentacees; les familles qui diminuent du pole vers l'equateur, sont les Legumineuses, les Rubiacees, les Euphorbiacees et les Malvacees; les familles qui semblent atteindre le maximum sous la zone temperee, sont les Composees, les Labiees, les Ombelliferes et les Cruciferes. J'ai reuni les resultats principaux de ce travail dans un seul tableau; mais j'engage les physiciens a recourir aux eclaircissemens sur les diverses familles, chaque fois que les nombres partiels leur paroissent douteux. Les quotiens des tropiques sont modifies de telle maniere qu'ils ont rapport aux regions dont la temperature moyenne est de 28° a 20° (de 0 a 750 toises de hauteur). Les quotiens de la zone temperee sont adaptes a la partie centrale de cette zone, entre 13° et 10° de temperature moyenne. Dans la zone glaciale la temperature moyenne est de 0° a 1°. A ce tableau des quotiens ou des fractions, qui indique les rapports de chaque famille a la masse totale des phanerogames, on pourroit ajouter un tableau dans lequel seroient compares entre eux les nombres absolus des especes. Nous en donnerons ici un fragment qui n'embrasse que les zones temperees et glaciales. France. Amerique boreale. Laponie. Glumacees....... 460 ...... 365 .... 124 Composees....... 490 ...... 454 .... 38 Legumineuses ..... 230 ...... 148 .... 14 Cruciferes....... 190 ...... 46 .... 22 Ombelliferes...... 170 ...... 50 .... 9 Caryophyllees..... 165 ...... 40 .... 29 Labiees ........ 149 ...... 78 .... 7 Rhinanthees...... 147 ...... 79 .... 17 Amentacees ...... 69 ...... 113 .... 23 Ces nombres absolus sont tires des ouvrages de MM. De Candolle, Pursh et Wahlenberg. La masse des plantes decrites en France est a celle de l'Amerique boreale dans le rapport de 1 1/3 : 1; a celle de Laponie, dans le rapport de 7:1. Article GEOGRAPHIE BOTANIQUE (page 436). GROUPES fondes sur l'analogie des formes. RAPPORTS A TOUTE LA MASSE DES PHANEROGAMES. SIGNES indiquant la direction de l'accroissement. Zone equatoriale; lat. 0° -- 10° Zone temperee; lat. 45° -- 52° Zone glaciale; lat. 67° -- 70° Agames (Fougeres, Lichens, Mousses, Champignons.) Plaines................ 1/15 Montagnes............. 1/5 1/2 1/1 / Fougeres seules........................... Pays peu montueux...... 1/20 Pays tres-montueux.. 1/3 a 1/8 1/70 1/25 - - Monocotyledonees......................... Ancien continent........ 1/5 Nouveau continent....... 1/6 1/4 1/3 / Glumacees (Joncacees, Cyperacees, Graminees). 1/11 1/8 1/4 / Joncacees seules .......................... 1/400 1/90 1/25 / Cyperacees seules ......................... Ancien continent....... 1/22 Nouveau continent...... 1/50 1/20 / Graminees seules.......................... 1/14 1/12 / Composees ............................... Ancien continent....... 1/18 Nouveau continent...... 1/12 Ancien continent..... 1/8 Nouveau continent.... 1/6 1/13 - - Legumineuses............................ 1/18 1/35 / Rubiacees............................... Ancien continent....... 1/14 Nouveau continent..... 1/25 1/60 1/80 / Euphorbiacees ........................... 1/32 1/80 1/500 / Labiees.................................. 1/40 Amerique........... 1/40 Europe............. 1/25 1/70 - - Malvacees .............................. 1/35 1/200 0 / Ericinees et Rosages.......................... 1/130 Europe ............ 1/100 Amerique.......... 1/36 1/25 / Amentacees................................ 1/800 Europe.............1/45 Amerique........... 1/25 1/20 / Ombelliferes ............................. 1/500 1/40 1/60 - - Cruciferes................................ 1/800 Europe............. 1/18 Amerique........... 1/60 1/24 - - Explication des signes: / le denominateur de la fraction diminue de l'equateur vers le pole nord; / le denominateur diminue vers l'equateur; - - le denominateur diminue du pole nord et de l'equateur vers la zone temperee; - - le denominateur diminue vers l'equateur et vers le pole nord.