Sur les Gymnotes et autres poissons electriques . Par M. Alex. de Humboldt. Cet article est tire textuellement de la Relation historique du Voyage de M. de Humboldt, dont le tome II, 1re partie, vient de paraeitre chez Maze, libraire, rue Geit-le-Coeur, n° 4. Nous nous proposons de reunir cette derniere partie a celles qui precedent, et d'en donner prochainement un extrait detaille. Nos lecteurs s'etonneront, peut-etre, que nous ayons tant tarde a leur faire connaeitre un ouvrage de cette importance: mais nous repondrons que nous avons jusqu'ici ete arretes par la difficulte de renfermer dans les bornes qui nous sont prescrites, meme un simple apercu des nouvelles observations de geologie, de physique generale, de meteorologie et d'astronomie qu'on rencontre a chaque page de la relation historique. Si nous ne pouvons pas nous flatter d'avoir entierement surmonte cet obstacle, on verra du moins, dans notre extrait, que nous l'avons evite autant que possible, en reunissant dans des groupes separes et distincts toutes les observations de meme espece. Occupe journellement, depuis un grand nombre d'annees, des phenomenes de l'electricite galvanique; livre a cet enthousiasme qui excite a chercher, mais empeche de bien voir ce que l'on a decouvert; ayant construit, sans m'en douter, de veritables piles, en placant des disques metalliques les uns sur les autres, et en les faisant alterner avec des morceaux de chair musculaire ou avec d'autres substances humides , j'etais impatient, des mon arrivee a Cumana, de me procurer des anguilles electriques. On nous en avait promis souvent, et toujours on avait trompe nos esperances. L'argent perd de son prix a mesure qu'on s'eloigne des cotes; et comment vaincre le flegme imperturbable du peuple lorsque le desir du gain ne l'excite point? Voyez mes Experiences sur la fibre irritable, t. I, pag. 74, tab. iii, iv, v de l'edition allemande. Les Espagnols confondent, sous le nom de tembladores (qui font trembler, proprement trembleurs), tous les poissons electriques. Il y en a dans la mer des Antilles, sur les cotes de Cumana. Les Indiens de Guayqueries, qui sont les pecheurs les plus habiles et les plus industrieux de ces parages, nous apporterent un poisson qui, a ce qu'ils disaient, leur engourdissait les mains. Ce poisson remonte la petite riviere du Manzanares. C'etait une nouvelle espece de raie dont les taches laterales sont peu visibles, et qui ressemble assez a la torpille de Galvani. Les torpilles, pourvues d'un organe electrique qui est visible au dehors a cause de la transparence de la peau, forment un genre ou sous-genre different des raies proprement dites . La torpille de Cumana etait tres-vive, tres-energique dans ses mouvemens musculaires, et cependant les commotions electriques qu'elle nous donnait etaient infiniment faibles. Elles devinrent plus fortes en galvanisant l'animal par le contact du zinc et de l'or. D'autres tembladores, de veritables gymnotes, ou anguilles electriques, habitent le Rio-Colorado, le Guarapiche, et plusieurs petits ruisseaux qui traversent les missions des Indes Chaymas. Ils abordent de meme dans les grands fleuves de l'Amerique, l'Orenoque, l'Amazone et le Meta; mais la force du courant et la profondeur des eaux empechent les Indiens de les prendre. Ils voient ces poissons moins souvent qu'ils n'en sentent les commotions electriques, en nageant ou en se baignant dans la riviere. C'est dans le Llanos, surtout dans les environs de Calabozo, entre les metairies du Morichal et les missions de Arriba et de Abaxo, que les bassins d'eau stagnante et les affluens de l'Orenoque (le Rio-Guarico, les Cannos du Rastro, de Berito et de la Paloma) sont remplis de gymnotes. Nous desirions d'abord faire nos experiences dans la maison meme que nous habitions a Calabozo; mais la crainte des commotions electriques du gymnote est si grande et si exageree parmi le peuple, que pendant trois jours nous ne paumes nous en procurer, quoique la peche en soit tres-facile, et que nous eussions promis aux Indiens deux piastres pour chaque poisson bien grand et bien vigoureux. Cette crainte des Indiens est d'autant plus extraordinaire, qu'ils ne tentent pas d'employer un moyen dans lequel ils assurent avoir beaucoup de confiance. Ils ne manquent jamais de dire aux blancs, lorsqu'on les interroge sur l'effet des tembladores, qu'on peut les toucher impunement lorsqu'on mache du tabac. Cette fable de l'influence du tabac sur l'electricite animale est aussi repandue sur le continent de l'Amerique meridionale, que l'est, parmi les matelots, la croyance de l'effet de l'ail et du suif sur l'aiguille aimantee. ( Cuvier, Regne animal, t. II, p. 156.) La Mediterranee a, d'apres M. Risso, quatre especes de torpilles electriques, qui jadis etaient toutes confondues sous le nom de raia torpedo, savoir: torpedo narke, T. unimaculata, T. galvanii et T. marmorata. La torpille du cap de Bonne- Esperance, sur laquelle M. Todd a fait recemment des experiences, est sans doute une espece non decrite. Impatientes par une longue attente, et n'obtenant que des resultats tres-incertains sur un gymnote vivant, mais tres-affaibli, qu'on nous avait apporte, nous nous rendeimes au Canno de Bera pour faire nos experiences en plein air, au bord de l'eau meme. Nous parteimes, le 19 mars, de grand matin, pour le petit village de Rastro de Abaxo: de la, les Indiens nous conduisirent a un ruisseau qui, dans le temps des secheresses, forme un bassin d'eau bourbeuse entoure de beaux arbres , de clusia, d'amyris et de mimoses a fleurs odoriferantes. La peche des gymnotes avec des filets est tres-difficile, a cause de l'extreme agilite de ces poissons, qui s'enfoncent dans la vase comme des serpens. On ne voulut point employer le barbasco, c'est-a-dire, les racines du piscidia erithryna, du jacquinia armillaris et de quelques especes de phyllanthus qui, jetees dans une mare, enivrent ou engourdissent les animaux: ce moyen aurait affaibli les gymnotes. Les Indiens nous disaient qu'ils allaient pecher avec des chevaux, embarbascas con cavallos . Nous eaumes de la peine a nous faire une idee de cette peche extraordinaire; mais bientot nous veimes nos guides revenir de la savane, ou ils avaient fait une battue de chevaux et de mulets non domptes. Ils en amenerent une trentaine qu'on forca d'entrer dans la mare. Amyris lateriflora, A. coriacea, Laurus Pichurin, Myroxilon secundum, Malpighia reticulata. Proprement endormir ou enivrer les poissons par le moyen des chevaux. Le bruit extraordinaire cause par le pietinement des chevaux, fait sortir les poissons de la vase et les excite au combat. Ces anguilles jaunatres et livides, semblables a de grands serpens aquatiques, nagent a la surface de l'eau, et se pressent sous le ventre des chevaux et des mulets. Une lutte entre des animaux d'une organisation si differente offre le spectacle le plus pittoresque. Les Indiens, munis de harpons et de roseaux longs et minces, ceignent etroitement la mare; quelques-uns d'entre eux montent sur les arbres, dont les branches s'etendent horizontalement au-dessus de la surface de l'eau. Par leurs cris sauvages et la longueur de leurs joncs, ils empechent les chevaux de se sauver, en atteignant la rive du bassin. Les anguilles, etourdies du bruit, se defendent par la decharge reiteree de leurs batteries electriques. Pendant long-temps elles ont l'air de remporter la victoire. Plusieurs chevaux succombent a la violence des coups invisibles qu'ils recoivent de toute part dans les organes les plus essentiels a la vie; etourdis par la force et la frequence des commotions, ils disparaissent sous l'eau. D'autres, haletant, la criniere herissee, les yeux hagards, et exprimant l'angoisse, se relevent et cherchent a fuir l'orage qui les surprend. Ils sont repousses par les Indiens au milieu de l'eau: cependant un petit nombre parvient a tromper l'active vigilance des pecheurs. On les voit gagner la rive, broncher a chaque pas, s'etendre dans le sable excedes de fatigue et les membres engourdis par les commotions electriques des gymnotes. En moins de cinq minutes, deux chevaux etaient noyes. L'anguille, ayant cinq pieds de long et se pressant contre le ventre des chevaux, fait une decharge de toute l'etendue de son organe electrique. Elle attaque a-la-fois le coeur, les visceres et le plexus coeliacus des nerfs abdominaux. Il est naturel que l'effet qu'eprouvent les chevaux soit plus puissant que celui que le meme poisson produit sur l'homme lorsqu'il ne le touche que par une des extremites. Les chevaux ne sont probablement pas tues, mais simplement etourdis. Ils se noient, etant dans l'impossibilite de se relever, par la lutte prolongee entre les autres chevaux et les gymnotes. Nous ne doutions pas que la peche ne se terminat par la mort successive des animaux qu'on y emploie; mais peu a peu l'impetuosite de ce combat inegal diminue; les gymnotes, fatigues, se dispersent. Ils ont besoin d'un long repos et d'une nourriture abondante pour reparer ce qu'ils ont perdu de force galvanique. Les mulets et les chevaux parurent moins effrayes; ils ne herissaient plus la criniere; leurs yeux exprimaient moins l'epouvante. Les gymnotes s'approchaient timidement du bord des marais, ou on les prit au moyen de petits harpons attaches a de longues cordes. Lorsque les cordes sont bien seches, les Indiens, en soulevant le poisson dans l'air, ne ressentent point de commotions. En peu de minutes nous eaumes cinq grandes anguilles, dont la plupart n'etaient que legerement blessees. D'autres furent prises vers le soir par les memes moyens. Les Indiens assurent que, si l'on fait courir les chevaux, deux jours de suite, dans une mare remplie de gymnotes, aucun cheval n'est tue le second jour. Voyez, sur la peche des gymnotes et sur le detail des experiences faites a Calabozo, un Memoire particulier que j'ai publie dans mes Observations de Zoologie, t. I, p. 59-92; et mes Tableaux de la Nature, t. I, p. 53-57. J'ai pu ajouter ici des considerations nouvelles, fondees sur une connaissance plus intime de l'action des appareils electro-moteurs. La temperature des eaux dans lesquelles vivent habituellement les gymnotes est de 26° a 27°. On assure que leur force electrique diminue dans les eaux plus froides; et il est assez remarquable, en general, comme l'a deja observe un physicien celebre, que les animaux doues d'organes electro-moteurs, dont les effets deviennent sensibles a l'homme, ne se rencontrent pas dans l'air, mais dans un fluide conducteur de l'electricite. Le gymnote est le plus grand des poissons electriques; j'en ai mesure qui avaient de cinq pieds a cinq pieds trois pouces de long. Les Indiens assuraient en avoir vu de plus grands encore. Nous avons trouve qu'un poisson qui avait trois pieds dix pouces de long pesait douze livres. Le diametre transversal du corps etait (sans compter la nageoire anale, qui est prolongee en forme de carene) de trois pouces cinq lignes. Les gymnotes du Canno de Bera sont d'un beau vert d'olive. Le dessous de la tete est jaune, mele de rouge. Deux rangees de petites taches jaunes sont placees symetriquement le long du dos, depuis la tete jusqu'au bout de la queue. Chaque tache renferme une ouverture excretoire: aussi la peau de l'animal est-elle constamment couverte d'une matiere muqueuse qui, comme Volta l'a prouve, conduit l'electricite vingt a trente fois mieux que l'eau pure. Il est, en general, assez remarquable qu'aucun des poissons electriques decouverts jusqu'ici dans les differentes parties du monde, ne soit couvert d'ecailles. On ne connaeit encore avec quelque certitude que sept poissons electriques: torpedo narke Risso, T. unimaculata, T. marmorata, T. galvanii, silurus electricus, tetraodon electricus, gymnotus electricus. Il paraeit incertain si le trichiurus indicus a des proprietes electriques. (Cuvier, Regne animal, t. II, p. 247.) Mais le genre torpedo, tres-different de celui des raies proprement dites, a de nombreuses especes dans les mers equatoriales, et il est probable qu'il existe plusieurs gymnotes specifiquement differens. Les Indiens nous ont parle d'une espece tres-noire et tres-energique qui habite les marecages de l'Apure, et qui n'atteint jamais plus de deux pieds de longueur: nous n'avons pas pu nous la procurer. Le raton du Rio de la Magdalena, que j'ai decrit sous le nom de gymnotos aequilabiatus (Observ. de Zool., t. I, pl. x, fig. 1) forme un sousgenre particulier. C'est un carape non ecailleux, sans organe electrique. Cet organe manque aussi entierement aux carapes du Bresil et a toutes les raies que M. Cuvier a bien voulu examiner de nouveau, a ma priere. Le gymnote, comme nos anguilles, se plaeit a avaler et a respirer de l'air a la surface de l'eau. Il ne faut pas en conclure, avec M. Bajon, que le poisson perirait s'il ne pouvait venir respirer l'air. Nos anguilles se promenent une partie de la nuit dans l'herbe, tandis que j'ai vu mourir a sec un gymnote tres-vigoureux qui s'etait elance hors du baquet. Nous avons prouve, M. Provencal et moi, par notre travail sur la respiration des poissons, que leurs branchies humides peuvent servir a la double fonction de decomposer l'air atmospherique, et de s'approprier l'oxigene dissous dans l'eau. Ils ne suspendent pas leur respiration dans l'air; mais ils absorbent l'oxigene gazeux, comme fait un reptile muni de poumons. Il est connu qu'on engraisse des carpes en les nourrissant hors de l'eau, et en leur mouillant de temps en temps les ouies avec de la mousse humide, pour empecher qu'elles ne se dessechent. Les poissons ecartent leurs opercules dans le gaz oxigene plus que dans l'eau. Cependant leur temperature ne s'eleve pas, et ils vivent egalement longtemps dans l'air vital et dans un melange de 90 parties d'azote et de 10 d'oxigene. Nous avons trouve que des tanches (cyprinus tinca) placees sous des cloches remplies d'air absorbent, dans une heure de temps, un demicentimetre cube d'oxigene. Cette action a lieu dans les ouies seules; car les poissons auxquels on adapte des colliers de liege, et dont la tete reste hors du bocal rempli d'air, n'agissent pas sur l'oxigene par le reste de leur corps. Memoires de la Societe d'Arcueil, t. II, p. 398. La respiration dans l'air se fait-elle par l'intermede d'une lame d'eau infiniment mince qui humecte les ouies? La vessie natatoire du gymnote , dont M. Bloch a nie l'existence, a deux pieds cinq pouces de long dans un individu de trois pieds dix pouces. Elle est separee de la peau exterieure par une masse de graisse, et repose sur les organes electriques qui remplissent plus de deux tiers de l'animal. Les memes vaisseaux qui s'insinuent entre les lames ou feuillets de ces organes, et qui les couvrent de sang lorsqu'on les coupe transversalement, donnent aussi de nombreux rameaux a la surface exterieure de la vessie. J'ai trouve, dans 100 parties de l'air de la vessie natatoire, 4 d'oxigene et 96 d'azote. La substance medullaire du cerveau n'offre qu'une faible analogie avec la matiere albumineuse et gelatineuse des organes electriques; mais ces deux substances ont de commun la grande quantite de sang arteriel qu'elles recoivent, et qui s'y desoxide. Nous remarquons de nouveau, a cette occasion, qu'une extreme activite dans les fonctions du cerveau fait refluer plus abondamment le sang vers la tete, comme l'energie du mouvement des muscles accelere la desoxidation du sang arteriel. Quel contraste entre la multitude et le diametre des vaisseaux sanguins du gymnote, et le petit volume qu'occupe son systeme musculaire! Ce contraste rappelle a l'observateur que trois fonctions de la vie animale, qui paraissent d'ailleurs assez heterogenes, les fonctions du cerveau, celles de l'organe electrique et celles des muscles, requierent toutes l'affluence et le concours du sang arteriel ou oxigene. M. Cuvier m'a fait voir, depuis mon retour en Europe, qu'il existe dans le gymnotus electricus, outre la grande vessie natatoire, une autre vessie anterieure et plus petite; elle ressemble a la vessie natatoire bicorne que j'ai dessinee dans le Gymnotus aequilabiatus. On ne s'expose pas temerairement aux premieres commotions d'un gymnote tres-grand et fortement irrite. Si, par hasard, on recoit un coup avant que le poisson soit blesse ou fatigue par une longue poursuite, la douleur et l'engourdissement sont si violens, qu'il est impossible de se prononcer sur la nature du sentiment qu'on eprouve. Je ne me souviens pas d'avoir jamais recu, par la decharge d'une grande bouteille de Leyde, une commotion plus effrayante que celle que j'ai ressentie en placant imprudemment les deux pieds sur un gymnote que l'on venait de retirer de l'eau. Je fus affecte, le reste du jour, d'une vive douleur dans les genoux et presque dans toutes les jointures. Pour s'assurer de la difference assez marquante qui existe entre la sensation produite par la pile de Volta et les poissons electriques, il faut toucher ces derniers lorsqu'ils sont dans un etat de faiblesse extreme: les gymnotes et les torpilles causent alors un tressaillement qui se propage depuis la partie appuyee sur les organes electriques jusqu'au coude. On croit sentir, a chaque coup, une vibration interne qui dure deux a trois secondes, et qui est suivie d'un engourdissement douloureux. Aussi les Indiens Tamanaques, dans leur langue expressive, appellent le temblador, arimna, c'est-a-dire, qui prive de mouvement. Subsultus tendinum. La sensation que causent les faibles emotions d'un gymnote m'a paru tres-analogue au tressaillement douloureux dont j'ai ete saisi a chaque contact de deux metaux heterogenes appliques sur des plaies que je m'etais faites au dos par le moyen des cantharides . Cette difference de sensations entre les effets des poissons electriques et ceux de la pile ou d'une bouteille de Leyde faiblement chargee, a frappe tous les observateurs; elle n'est cependant aucunement contraire a la supposition de l'identite de l'electricite et de l'action galvanique des poissons. L'electricite peut etre la meme; mais ses effets seront diversement modifies par la disposition des appareils electriques, par l'intensite du fluide, par la rapidite du courant, par un mode d'action particulier. Versuche über die gereizte Muskelfaser, vol. I, p. 323-329. Dans la Guyane hollandaise, par exemple, a Demerary, on a employe jadis les gymnotes pour guerir les paralytiques. Dans un temps ou les medecins d'Europe avaient une grande confiance dans les effets de l'electricite, un chirurgien d'Essequibo, M. Vanderlott, publia en Hollande un Memoire sur les proprietes medicales des gymnotes. Ces cures electriques se retrouvent parmi les sauvages de l'Amerique comme parmi les Grecs. Scribonius Largus, Galien et Dioscoride nous apprennent que les torpilles guerissent les maux de tete, les migraines et la goutte. Je n'ai point entendu parler de ce genre de traitement dans les colonies espagnoles que j'ai parcourues; mais je puis assurer qu'apres avoir fait des experiences pendant quatre heures consecutives avec des gymnotes, nous eprouvames, M. Bonpland et moi, jusqu'au lendemain, une debilite dans les muscles, une douleur dans les jointures, un malaise general qui etait l'effet d'une forte irritation du systeme nerveux. Les gymnotes ne sont ni des conducteurs charges, ni des batteries, ni des appareils electro-moteurs, dont on recoit la commotion chaque fois qu'on les touche d'une main, ou en appliquant les deux mains pour former l'arc conducteur entre des poles heterogenes. L'action electrique du poisson depend uniquement de sa volonte, soit qu'il ne tienne pas toujours charges ses organes electriques, soit qu'il puisse, par la secretion de quelque fluide, ou par un autre moyen egalement mysterieux pour nous, diriger au dehors l'action de ses organes. On tente souvent, isole ou non isole, de toucher le poisson sans sentir la moindre commotion. Lorsque M. Bonpland le tenait par la tete ou le milieu du corps, tandis que je le tenais par la queue, et que, place sur le sol humide, nous ne nous donnions pas la main, l'un de nous recevait des secousses que l'autre ne sentait pas. Il depend du gymnote de n'agir que vers le point dans lequel il se croit le plus fortement irrite. La decharge se fait alors par un seul point, et non par le point voisin. De deux personnes qui touchent de leur doigt le ventre du poisson a un pouce de distance, et qui appuient simultanement, c'est tantot l'une, tantot l'autre qui recoit le coup. De meme, lorsqu'une personne isolee tient la queue d'un gymnote vigoureux, et qu'une autre le pince aux ouies et a la nageoire pectorale, c'est souvent la premiere seule qui eprouve la commotion. Il ne nous a guere paru qu'on paut attribuer ces differences a la secheresse ou a l'humidite de nos mains, a leur inegale conductibilite. Le gymnote semblait diriger ses coups, tantot par toute la surface de son corps, tantot par une seule partie. Cet effet indique moins une decharge partielle de l'organe compose d'une innombrable quantite de feuillets, que la faculte qu'a l'animal (peut-etre par la secretion instantanee d'un fluide qui se repand dans le tissu cellulaire) de n'etablir la communication de ses organes avec la peau que dans un espace treslimite. Rien ne prouve plus la faculte qu'a le gymnote (par l'influence du cerveau et des nerfs) de lancer et de diriger son coup a volonte, que les observations faites, a Philadelphie et recemment a Stockholm , sur des gymnotes extremement apprivoises. Lorsqu'on les avait fait jeauner long-temps, ils tuaient de loin les petits poissons qu'on placait dans le baquet. Ils agissaient a distance, c'est-a-dire, leur coup electrique traversait une couche d'eau tres-epaisse. Il ne faut pas etre surpris qu'on ait pu observer, en Suede, sur un seul gymnote ce que nous n'avons pu voir sur un grand nombre d'individus dans leur pays natal. Comme l'action electrique des animaux est une action vitale et soumise a la volonte, elle ne depend pas uniquement de leur etat de sante et de vigueur. Un gymnote qui fait le trajet de Surinam a Philadelphie et a Stockholm s'accoutume a la prison a laquelle il est reduit; il reprend peu a peu, dans le baquet, les memes habitudes qu'il avait dans les rivieres et dans les mares. On nous porta, a Calabozo, une anguille electrique prise dans un filet, et n'ayant par consequent aucune blessure. Elle mangea de la viande, et effraya cruellement de petites tortues et des grenouilles qui, ne connaissant pas le danger, voulurent se placer avec confiance sur le dos du poisson. Les grenouilles ne recurent le coup qu'au moment ou elles toucherent le corps du gymnote. Revenues a elles-memes, elles se sauverent hors du baquet; et lorsqu'on les replaca pres du poisson, sa seule vue les effraya. Nous n'observames alors rien qui indiquat une action a distance; mais aussi notre gymnote, nouvellement pris, n'etait guere assez apprivoise pour vouloir attaquer et devorer des grenouilles. En approchant le doigt ou des pointes metalliques, a une demi-ligne de distance des organes electriques, aucune commotion ne se fit sentir. L'animal ne s'apercevait peut-etre pas du voisinage d'un corps etranger, ou, s'il s'en apercevait, il faut croire que la timidite qu'il conserve dans le premier temps de sa captivite le porte a ne lancer des coups energiques que lorsqu'il se sent fortement irrite par un contact immediat. Le gymnote etant plonge dans l'eau, j'ai approche la main, armee ou non armee de metal, a peu de lignes de distance des organes electriques; les couches d'eau ne m'ont transmis aucune secousse, tandis que M. Bonpland irritait fortement l'animal par un contact immediat, et en recevait des coups tres-violens. Si j'avais plonge les electroscopes les plus sensibles que nous connaissions, des grenouilles preparees, dans les couches d'eau voisines, elles auraient sans doute eprouve des contractions au moment ou le gymnote semblait diriger son coup autre part. Placees immediatement sur le corps d'une torpille, les grenouilles preparees ressentent, selon Galvani, de fortes contractions chaque fois que le poisson se decharge. Par MM. Williamson et Fahlberg. Voici ce que rapporte ce dernier dans une note interessante publiee dans les Vetensk. Acad. ny. handl. quart. 2 (1801), p. 122-156: "Le gymnote qui a ete envoye, de Surinam a Stockholm, a M. Norderling, a vecu plus de quatre mois dans un etat de parfaite sante. Il avait 27 pouces de long, et les commotions qu'il donnait etaient si violentes, surtout dans l'air, que je ne trouvais presqu'aucun moyen de m'en preserver par des corps non conducteurs, en transportant le poisson d'un endroit a l'autre. Son estomac etait tres-petit; il mangeait peu a-la-fois, mais souvent. Il s'approchait des poissons vivans en leur lancant (de loin) un coup dont l'energie etait proportionnee a la grandeur de la proie. Rarement le gymnote se trompait dans son jugement; un seul coup etait presque toujours suffisant pour vaincre la resistance (les obstacles que les couches d'eau plus ou moins epaisses, selon la distance, opposaient au courant electrique). Lorsqu'il etait tres-presse par-la faim, il lancait aussi quelquefois des coups a celui qui journellement lui donnait a manger de la viande cuite ou non assaisonnee. Les personnes affectees de maux rhumatiques venaient le toucher, dans l'espoir de guerir. On le prenait a-la-fois par le cou et la queue; les commotions etaient, dans ce cas, plus fortes que lorsqu'on le touchait d'une seule main. Il perdit presque entierement sa force electrique peu de temps avant sa mort." L'organe electrique des gymnotes n'agit que sous l'influence immediate du cerveau et du coeur. En coupant un poisson tres-vigoureux par le milieu du corps, la partie exterieure seule m'a donne des commotions. Les coups sont egalement forts dans quelque partie du corps que l'on touche le poisson: cependant il est plus dispose a les lancer lorsqu'on lui pince la nageoire pectorale, l'organe electrique, les levres, les yeux et les ouies. Quelquefois l'animal se debat fortement contre celui qui le tient par la queue, sans communiquer la moindre commotion. Je n'en eprouvai pas non plus lorsque je fis une legere incision pres la nageoire pectorale du poisson, et que je galvanisai la plaie par le simple contact de deux armatures de zinc et d'argent. Le gymnote se recourba convulsivement; il leva sa tete hors de l'eau, comme effraye par une sensation toute nouvelle; mais je ne sentis aucun fremissement dans les mains qui tenaient les armatures. Les mouvemens musculaires les plus violens ne sont pas toujours accompagnes de decharges electriques. L'action du poisson sur les organes de l'homme est transmise et interceptee par les memes corps qui transmettent et interceptent le courant electrique d'un conducteur charge, d'une bouteille de Leyde ou d'une pile de Volta. Quelques anomalies que nous avons cru observer s'expliquent aisement lorsqu'on se rappelle que meme les metaux (comme le prouve leur incandescence par la pile) opposent un leger obstacle au passage de l'electricite, et qu'un mauvais conducteur aneantit pour nos organes l'effet d'une electricite faible, tandis qu'il nous transmet l'effet d'une electricite tres-forte. La force repulsive qu'exercent entre eux le zinc et l'argent etant de beaucoup superieure a celle de l'or et de l'argent, j'ai reconnu que, lorsqu'on galvanise sous l'eau une grenouille, preparee et armee d'argent, l'arc conducteur de zinc produit des commotions, des qu'une de ses extremites approche des muscles a trois lignes de distance, tandis qu'un arc d'or n'excite pas les organes des que la couche d'eau, entre l'or et le muscle, a plus d'une demiligne d'epaisseur. De meme, en employant un arc conducteur compose de deux morceaux de zinc et d'argent soudes l'un au bout de l'autre, et en appuyant comme auparavant une des extremites de l'arc metallique sur le nerf ischiatique, il faut, pour produire des contractions, approcher l'autre extremite de l'arc conducteur de plus en plus pres des muscles, a mesure que l'irritabilite des organes diminue. Vers la fin de l'experience, la plus mince couche d'eau empeche le passage du courant electrique, et ce n'est qu'au contact immediat de l'arc avec le muscle que les contractions ont lieu. J'insiste sur ces circonstances dependantes de trois variables: de l'energie de l'appareil electro-moteur, de la conductibilite des milieux, et de l'irritabilite des organes qui recoivent les impressions. C'est pour n'avoir pas suffisamment multiplie les experiences, selon ces trois elemens variables, qu'on a pris, dans l'action des gymnotes electriques et des torpilles, des conditions accidentelles pour des conditions sans lesquelles des commotions electriques ne se font pas sentir. Dans des gymnotes blesses, qui donnent des commotions faibles, mais tres-egales, ces commotions nous ont paru constamment plus fortes en touchant le corps du poisson d'une main armee de metal que de la main nue. Elles sont plus fortes aussi, lorsqu'au lieu de toucher par une main nue ou non armee d'un metal, on appuie a-la-fois les deux mains nues ou armees. Ces differences, je le repete, ne deviennent sensibles que lorsqu'on a assez de gymnotes a sa disposition pour pouvoir choisir les plus faibles, et que l'egalite extreme des decharges electriques permet de distinguer entre les sensations qu'on eprouve alternativement par la main nue ou armee d'un metal. C'est aussi seulement dans le cas des petites commotions faibles et uniformes, que les coups sont plus sensibles en touchant le gymnote d'une main (sans former de chaeine) avec du zinc qu'avec du cuivre ou du fer. Les substances resineuses, le verre, le bois tres-sec, la corne, et meme les os, que l'on croit generalement bons conducteurs, empechent l'action des gymnotes d'etre transmise a l'homme. J'ai ete surpris de ne pas sentir la moindre commotion en pressant contre les organes du poisson des batons de cire d'Espagne mouilles, tandis que le meme individu me porta les coups les plus violens en l'excitant au moyen d'une tige metallique. M. Bonpland recut des commotions en portant un gymnote sur deux cordes de fibres de palmier qui nous parurent tres-seches. Une forte decharge se fraie un chemin a travers des conducteurs tres-imparfaits. Peut-etre aussi l'obstacle qu'oppose l'arc conducteur rend-il l'explosion plus douloureuse. J'ai touche sans effet le gymnote avec un pot d'argile brune humectee, et j'ai recu de violentes commotions lorsque je portais le gymnote dans ce meme pot, parce que le contact etait plus grand. Lorsque deux personnes isolees, ou non isolees, se tiennent par la main, et que seulement une d'elles touche le poisson de la main nue ou armee de metal, les commotions se font le plus souvent sentir aux deux personnes a-la-fois. Il arrive cependant aussi que, dans les coups les plus douloureux, la personne seule qui entre en contact immediat avec le poisson eprouve le choc. Quand le gymnote epuise ou dans un etat d'excitabilite tresfaible ne veut absolument plus lancer de coups en l'irritant d'une seule main, les commotions se sentent tresvivement en formant la chaeine et en employant les deux mains. Cependant, meme dans ce cas, le choc electrique n'a lieu que par la volonte de l'animal. Deux personnes, dont l'une tient la queue et l'autre la tete, ne peuvent pas forcer le gymnote a lancer le coup lorsqu'elles se donnent la main et qu'elles forment une chaeine. En employant de mille manieres des electrometres tres-sensibles, en les isolant sur une plaque de verre, et en recevant des commotions tres-fortes qui passaient par l'electrometre, je n'ai jamais pu decouvrir aucun phenomene d'attraction et de repulsion. La meme observation a ete faite, a Stockholm, par M. Fahlberg. Ce physicien cependant a vu une etincelle electrique, comme, avant lui, Walsh et Ingenhouss, a Londres, en placant le gymnote dans l'air, et en interrompant la chaeine conductrice par deux feuillets d'or colles sur du verre et eloignes d'une ligne. Personne, au contraire, n'a jamais apercu une etincelle sortant du corps meme du poisson. Nous l'avons irrite long-temps de nuit, a Calabozo, dans une parfaite obscurite; mais nous n'avons observe aucun phenomene lumineux. En disposant quatre gymnotes d'une force inegale, de maniere que je recusse les commotions du poisson le plus vigoureux par communication, c'esta-dire, en ne touchant qu'un des autres poissons, je n'ai pas vu ceux-ci s'agiter au moment ou le courant passait par leur corps. Peut-etre le courant ne s'etablit-il que par la surface humide de leur peau. Nous n'en conclurons pas cependant que les gymnotes sont insensibles a l'electricite, et qu'ils ne peuvent combattre les uns contre les autres au fond des mares. Leur systeme nerveux doit etre soumis aux memes agens que les nerfs des autres animaux. J'ai vu, en effet, qu'en mettant les nerfs a nu, ils eprouvent des contractions musculaires au simple contact de deux metaux heterogenes, et M. Fahlberg, a Stockholm, a trouve que son gymnote s'agitait convulsivement lorsqu'il etait place dans un baquet de cuivre, et que de faibles decharges d'une bouteille de Leyde traversaient sa peau. Apres les experiences que j'avais faites sur les gymnotes, il etait d'un grand interet pour moi, a mon retour en Europe, de connaeitre avec precision les diverses circonstances dans lesquelles un autre poisson electrique, la torpille de nos mers, donne ou ne donne pas de commotion. Quoique ce poisson ait ete examine par un grand nombre de physiciens, j'ai trouve extremement vague tout ce qui a ete publie sur ses effets electriques. On a suppose tres-arbitrairement qu'elle agit comme une bouteille de Leyde qu'on decharge a volonte, en la touchant des deux mains, et cette supposition paraeit avoir induit en erreur les observateurs qui se sont livres a ce genre de recherches. Pendant notre voyage en Italie, nous avons, M. Gay-Lussac et moi, fait un grand nombre d'experiences sur des torpilles prises dans le golfe de Naples. Ces experiences offrent plusieurs resultats assez differens de ceux que j'ai recueillis sur les gymnotes. Il est probable que la cause de ces anomalies tient plutot a l'inegalite du pouvoir electrique dans les deux poissons, qu'a la disposition differente de leurs organes . Geoffroy-de-Saint-Hilaire, dans les Annales du Museum, tom. I, p. 392-407. Quoique la force de la torpille ne soit pas a comparer a celle des gymnotes, elle est suffisante pour causer des sensations tres-douloureuses. Une personne accoutumee aux commotions electriques ne tient qu'avec peine entre les mains une torpille de 12 a 14 pouces de long, et qui jouit de toute sa vigueur. Lorsque l'animal ne donne plus que des coups tres-faibles sous l'eau, les commotions deviennent plus sensibles si on l'eleve au-dessus de la surface de l'eau. J'ai souvent observe ce phenomene en galvanisant des grenouilles. La torpille remue convulsivement les nageoires pectorales chaque fois qu'elle lance le coup, et ce coup est plus ou moins douloureux, selon que le contact immediat se fait par une surface plus ou moins large. Nous avons observe plus haut que le gymnote donne les commotions les plus fortes sans faire aucun mouvement des yeux, de la tete ou des nageoires . Cette difference est-elle causee par la position de l'organe electrique qui n'est pas double dans les gymnotes? ou le mouvement des nageoires pectorales de la torpille prouve-t-il directement que le poisson retablit l'equilibre electrique par sa propre peau, qu'il se decharge par son propre corps, et que nous n'eprouvons generalement que l'effet d'un choc lateral? Il n'y a que la nageoire anale des gymnotes qui remue sensiblement lorsqu'on excite ces poissons sous le ventre, la ou se trouve place l'organe electrique. On ne peut decharger a volonte ni une torpille ni un gymnote, comme on decharge a volonte une bouteille de Leyde ou une pile de Volta. On ne sent pas toujours de commotion, meme lorsqu'on touche des deux mains un poisson electrique; il faut l'irriter pour qu'il donne la commotion. Cette action, dans les torpilles comme dans les gymnotes, est une action vitale; elle ne depend que de la volonte de l'animal, qui, peut-etre, ne tient pas toujours charges ses organes electriques, ou qui n'emploie pas toujours l'action de ses nerfs pour etablir la chaeine entre les poles positifs et negatifs. Ce qui est certain, c'est que la torpille peut donner avec une celerite etonnante une longue suite de commotions, soit que les lames ou feuillets de ses organes ne soient pas toujours epuises en entier, soit que le poisson les recharge instantanement. Le coup electrique se fait sentir quand l'animal est dispose a le lancer, que l'on touche d'un seul doigt une seule surface des organes, ou que l'on applique les deux mains aux deux surfaces, a la superieure et a l'inferieure a-la-fois. Dans l'un et l'autre cas, il est tout-a-fait indifferent que la personne qui touche le poisson d'un doigt ou des deux mains soit isolee ou qu'elle ne le soit pas. Tout ce qu'on a dit de la necessite d'une communication par le sol humide pour etablir une chaeine, est fonde sur des observations inexactes. M. Gay-Lussac a fait l'observation importante, que lorsqu'une personne isolee touche la torpille d'un seul doigt, il est indispensable que le contact soit immediat. On touche impunement le poisson avec une clef ou avec tout autre instrument metallique, aucune commotion ne se faisant sentir des qu'un corps conducteur ou non conducteur est interpose entre le doigt et l'organe electrique de la torpille. Cette circonstance offre une grande difference entre la torpille et le gymnote, le dernier lancant ses coups a travers une barre de fer de plusieurs pieds de longueur. Lorsqu'on place la torpille sur un plateau metallique de tres-peu d'epaisseur, de maniere que le plateau touche la surface inferieure des organes, la main qui soutient ce plateau ne sent jamais de commotion, quoiqu'une autre personne isolee excite l'animal, et que le mouvement convulsif des nageoires pectorales annonce les decharges les plus fortes et les plus reiterees. Si, au contraire, une personne tient la torpille placee sur un plateau metallique de la main gauche, comme dans l'experience precedente, et si cette meme personne touche la surface superieure de l'organe electrique de la main droite, alors une forte commotion se fait sentir dans les deux bras. La sensation qu'on eprouve est la meme lorsque le poisson est place entre deux plateaux metalliques dont les bords ne se touchent pas, et lorsqu'on appuie les deux mains a-la-fois sur ces plateaux. L'interposition d'une lame metallique empeche la communication si on touche cette lame d'une seule main, tandis que l'interposition de deux lames metalliques cesse d'empecher la commotion des qu'on applique les deux mains. Dans ce dernier cas, on ne saurait douter que la circulation du fluide s'etablit par les deux bras. Si, dans la meme position du poisson entre deux plateaux, il existe quelque communication immediate entre les bords des deux plateaux, toute commotion cesse. La chaeine entre les deux surfaces de l'organe electrique est formee alors par les plateaux, et la nouvelle communication que l'on etablit par le contact des deux mains avec les deux plateaux reste sans effet. Nous avons porte impunement la torpille entre deux plats de metal, et nous n'avons senti les coups qu'elle lancait qu'au moment ou les plats ne se touchaient pas par leurs bords. Dans la torpille, comme dans le gymnote, rien n'annonce que l'animal modifie la tension electrique des corps qui l'entourent. L'electrometre le plus sensible n'est aucunement affecte, de quelque maniere qu'on l'emploie, soit en l'approchant des organes, soit en isolant le poisson, en le couvrant d'un plateau metallique, et en faisant communiquer ce plateau par un fil conducteur avec le condensateur de Volta. Nous avons mis beaucoup de soin a varier ces experiences, par lesquelles on cherche a rendre sensible la tension electrique dans les organes de la torpille. Elles ont toujours ete sans effet, et confirment parfaitement ce que nous avions observe, M. Bonpland et moi, sur les gymnotes pendant notre sejour dans l'Amerique meridionale. Les poissons electriques, lorsqu'ils sont tres-vigoureux, agissent avec la meme energie sous l'eau et dans l'air. Cette observation nous a mis a meme d'examiner la propriete conductrice de l'eau, et nous avons trouve que lorsque plusieurs personnes font la chaeine entre la surface superieure et la surface inferieure des organes de la torpille, la commotion ne se fait sentir que dans le cas ou ces personnes se sont mouille les mains. L'action n'est point interceptee si deux personnes, qui de leurs mains droites soutiennent la torpille, au lieu de se donner la main gauche, enfoncent chacune un stylet metallique dans une goutte d'eau placee sur un corps isolant. En substituant la flamme a la goutte d'eau, la communication est interceptee, et ne se retablit, comme dans les gymnotes, que lorsque les deux stylets se touchent immediatement dans l'interieur de la flamme. Nous sommes bien loin, sans doute, d'avoir devoile tous les secrets de l'action electrique des poissons, qui est modifiee par l'influence du cerveau et des nerfs; mais les experiences que nous venons de rapporter suffisent pour prouver que ces poissons agissent par une electricite dissimulee, et par des appareils electro-moteurs d'une composition particuliere, qui se rechargent avec une extreme rapidite. M. Volta admet que, dans les torpilles et les gymnotes, la decharge des electricites opposees se fait par leur propre peau, et que, dans le cas ou nous ne les touchons que d'une main, ou au moyen d'une pointe metallique, nous sentons l'effet d'un choc lateral, le courant electrique ne se dirigeant pas uniquement par le chemin le plus court. Lorsqu'on place une bouteille de Leyde sur un drap mouille qui est mauvais conducteur, et qu'on decharge la bouteille, de maniere que le drap fasse partie de l'arc, des grenouilles preparees, placees a differentes distances, annoncent par leurs contractions que le courant se repand dans le drap entier par mille routes diverses. D'apres cette analogie, le coup le plus fort que le gymnote lance au loin ne serait qu'une faible partie du coup qui retablit l'equilibre dans l'interieur du poisson . Comme le gymnote dirige son fluide ou il veut, il faut admettre aussi que la decharge ne se fait pas par toute la peau a-la-fois; mais que l'animal, excite peut-etre au moyen de la secretion d'un fluide verse dans une partie du tissu cellulaire, etablit a volonte la communication entre ses organes et tel ou tel point de sa peau. On concoit qu'un coup lateral hors de la chaeine doit devenir insensible dans les deux conditions d'une decharge tresfaible ou d'un obstacle tres-grand qu'opposent la nature et la longueur du conducteur. Malgre ces considerations, il me paraeit bien surprenant que, dans la torpille, des commotions tres-fortes en apparence ne se soient pas propagees a la main, lorsqu'un plateau tres-mince de metal est interpose entre la main et le poisson. Les poles heterogenes des organes electriques doubles doivent se trouver dans chaque organe. M. Todd a constate recemment, par des experiences faites sur des torpilles du cap de Bonne-Esperance, que l'animal continue a donner de fortes commotions lorsqu'on extirpe un des organes. Au contraire, on arrete toute action electrique, et ce point, deja eclairci par Galvani, est de la plus haute importance, soit en faisant une forte lesion au cerveau, soit en coupant les nerfs qui se repandent dans les feuillets des organes electriques. Dans ce dernier cas, les nerfs etant coupes sans leser le cerveau, la torpille continue de vivre et d'exercer tous les mouvemens musculaires. Un poisson fatigue par de trop nombreuses decharges electriques, etait beaucoup plus souffrant qu'un poisson dans lequel on avait intercepte, par la section des nerfs, la communication entre le cerveau et les organes electro-moteurs. (Philos. Trans., 1816, part. I, p. 120.) Le Dr Schilling avait annonce que le gymnote s'approchait involontairement de l'aimant. Nous faumes etonnes de voir cette meme idee adoptee par M. Pozo. Nous avons essaye de mille manieres cette pretendue influence de l'aimant sur les organes electriques, et nous n'avons jamais observe aucun effet sensible. Le poisson ne s'approchait pas plus d'un aimant que d'un barreau non aimante. La limaille de fer jetee sur son dos resta immobile. Les gymnotes, sujets de la predilection et du plus vif interet des physiciens d'Europe, sont a-la-fois redoutes et detestes par les indigenes. Ils offrent, il est vrai, dans leur chair musculaire, un aliment assez bon; mais l'organe electrique occupe la plus grande partie du corps, et cet organe est baveux et desagreable au goaut: aussi le separe-t-on avec soin du reste du corps. On regarde d'ailleurs la presence des gymnotes comme la cause principale du manque de poissons dans les etangs et les mares des Llanos. Ils en tuent beaucoup plus qu'ils n'en mangent, et les Indiens nous ont dit que, lorsque dans des filets tres-forts on prend a-la-fois de jeunes crocodiles et des gymnotes, ceux-ci n'offrent jamais des traces de blessure, parce qu'ils mettent hors de combat les jeunes crocodiles avant d'etre attaques par eux. Tous les habitans des eaux redoutent la societe des gymnotes. Les lezards, les tortues et les grenouilles cherchent des mares ou ils soient a l'abri de leur action. Pres d'Uritucu, il a fallu changer la direction d'une route, parce que les anguilles electriques s'etaient tellement accumulees dans une riviere, qu'elles tuaient, tous les ans, un grand nombre de mulets de charge qui passaient la riviere a gue. Quoique, dans l'etat actuel de nos connaissances, nous puissions nous flatter d'avoir repandu quelque jour sur les effets extraordinaires des poissons electriques, il reste a faire un grand nombre de recherches physiques et physiologiques. Les resultats brillans que la chimie a obtenus par le moyen de la pile ont occupe tous les observateurs, et les ont detournes pour quelque temps de l'examen des phenomenes de la vitalite. Esperons que ces phenomenes, les plus imposans et les plus mysterieux de tous, occuperont a leur tour la sagacite des physiciens. Cet espoir sera realise facilement si, dans une des grandes capitales de l'Europe, on parvient a se procurer de nouveau des gymnotes vivans. Les decouvertes que l'on fera sur les appareils electro-moteurs de ces poissons, beaucoup plus energiques et plus faciles a conserver que les torpilles, s'etendront sur tous les phenomenes du mouvement musculaire soumis a la volonte. On trouvera peut-etre que, dans la plupart des animaux, chaque contraction de la fibre musculaire est precedee par une decharge du nerf dans le muscle, et que le simple contact de substances heterogenes est une source de mouvement et de vie dans tous les etres organises. Un peuple vif et ingenieux, les Arabes, avaient-ils devine, depuis une haute antiquite, que la meme force qui, dans les orages, enflamme la voaute du ciel, est l'arme vivante et invisible des habitans des eaux? On assure que le poisson electrique du Nil porte, en Egypte, un nom qui signifie le tonnerre. Pour connaeitre les phenomenes des appareils electromoteurs vivans dans toute leur simplicite, et pour ne pas prendre des circonstances qui dependent du degre d'energie des organes pour des conditions generales, il faut soumettre aux experiences les poissons electriques les plus faciles a apprivoiser. Si l'on ne connaissait pas les gymnotes, on pourrait croire, d'apres les observations faites sur les torpilles, que les poissons ne lancent pas leurs coups de loin, a travers des couches d'eau tres-epaisses ou sans chaeine, le long d'une barre de fer. M. Williamson a senti de vives commotions lorsqu'il tenait une seule main dans l'eau, et que cette main, sans toucher le gymnote, etait placee entre celui-ci et le petit poisson vers lequel se dirigeait le coup a 10 ou 15 pouces de distance. (Phil. Trans., t. LXV, p. 99- 108.) Quand le gymnote etait affaibli (en mauvais etat de sante), le coup lateral etait insensible, et pour avoir une commotion, il fallait former une chaeine et toucher le poisson des deux mains a-la-fois. Cavendish, dans ses experiences ingenieuses sur une torpille artificielle, a tres-bien observe ces differences, selon que la charge etait plus ou moins energique. (Phil. Trans., 1776, p. 212.) (Ann. du Mus., t. I, p. 398). Il paraeit cependant qu'il faut distinguer entre radh, tonnerre, et rahadd, le poisson electrique; et que ce dernier mot signifie simplement qui fait trembler. (Silv. de Sacy, dans Abd-Allatif, p. 167.)