Sur le Lait de l’arbre de la Vache. Par A. de Humboldt. Nous donnons ici l’extrait d’un mémoire que M. de Humboldt vient de lire dans une des dernières séances de l’Académie des Sciences. Les lecteurs qui désireront des renseignemens plus étendus sur un objet si intéressant pour la chimie végétale, les trouveront dans le cinquième volume de la Relation historique de M. de Humboldt, qui paraîtra incessamment. «Nous avions entendu parler depuis plusieurs semaines, dans les vallées d’Aragua, d’un arbre dont le suc est un lait nourrissant: on l’appelle l’arbre de la vache, et on nous assurait que les nègres de la ferme, qui boivent abondamment de ce lait végétal, le regardent comme un aliment salutaire. Tous les sucs laiteux des plantes étant âcres, amers et plus ou moins vénéneux, cette assertion nous parut très-extraordinaire. L’expérience nous a prouvé, pendant notre séjour à Barbula (province de Caracas), qu’on ne nous avait point exagéré les vertus du Palo de vaca. Ce bel arbre a le port du Caimitier . Les feuilles, oblongues, terminées en pointe, coriaces et alternes sont marquées de nervures latérales, saillantes par-dessous, et parallèles: elles ont jusqu’à dix pouces de long. Nous n’avons pas vu la fleur; le fruit est peu charnu, et renferme une et quelquefois deux noix. Lorsqu’on fait des incisions dans le tronc de l’arbre de la vache, qui paraît appartenir à la famille des sappotilliers, il donne en abondance un lait gluant, assez épais, dépourvu de toute âcreté, et qui exhale une odeur de baume très-agréable. On nous en présenta dans des fruits de tutumo ou calebassier. Nous en avons bu des quantités considérables, le soir avant de nous coucher et de grand matin, sans aucun effet nuisible. La viscosité de ce lait le rend seul un peu désagréable. Les nègres et les gens libres qui travaillent dans les plantations le boivent en y trempant du pain de maïs et de monioc, l’arepa et la cassave. Le majordome de la ferme nous assura que les esclaves engraissent sensiblement pendant la saison où le Palo de vaca leur fournit le plus de lait. Exposé à l’air, ce suc offre à la surface, peut-être par l’absorption de l’oxygène atmosphérique, des membranes d’une substance fortement animalisée, jaunâtre, filandreuse, semblable à une matière caséiforme. Ces membranes, séparées du reste du liquide plus aqueux, sont élastique presque comme du caoutchouc; mais elles éprouvent, avec le temps, les mêmes phénomènes de la putréfaction que la gélatine. Le peuple appelle fromage le caillot qui se sépare au contact de l’air : ce caillot s’aigrit dans l’espace de cinq à six jours, comme je l’ai observé dans les petites portions que j’en ai porté à l’Orénoque. Le lait, renfermé dans un flacon bouché, avait déposé un peu de coagulum, et loin de devenir fétide, il a exhalé constamment une odeur balsamique. Mêlé à l’eau froide, le suc frais se coagulait à peine; mais la séparation des membranes visqueuse eut lieu lorsque je le mis en contact avec de l’acide nitrique. Nous avons envoyé à M. de Fourcroy, à Paris, deux bouteilles de ce lait. Dans l’une il était à son état naturel, dans l’autre il était mêlé avec une certaine quantité de carbonate de soude. Chrysophyllum Cainito.