SOLEIL. (Influence de sa déclinaison sur le commencement des pluies équinoxiales.)—Physique.—Observations nouvelles.—M. De Humboldt.—1818. — De même qu ’au delà du cercle polaire il y a deux saisons du jour et de la nuit, l’année dans la région équinoxiale se divise aussi en deux grandes saisons, celles de sécherosse et d’humidité, ou, comme disent les Indiens de l’Orénoque dans leur langue expressive, de soleils et de nuages. Comme dans la partie de la zone tempérée où il ne tombe presque pas de neige, et dont la temperature moyenne s’élève à 19 ou 20°, les hivers sont une véritable saison des pluies, on pourrait croire que celles des tropiques doivent coïncider avec l’hiver de la zone tempérée homonyne. On sait depuis long-temps qu’il n’en est pas ainsi, mais que les époques des pluies, si régulières dans la zone torride, sont liées au cours du soleil, et qu’elles tombent en plus grande abondance au nord de l’équateur lorsque cet astre parvient au tropique du cancer. Ce commencement des pluies coïncide avec plusieurs autres phénomènes; par exemple, avec la cessation des brises et avec une distribution inégale de la tension électrique dans l’air. A mesure que le soleil, dans la zone équatoriale boréale, s’approche du zénith, les brises du nord-est sont remplacées par des calmes ou des vents sud-est. La transparence de l’air diminue déjà sans que sa température décroisse sensiblement; les étoiles commencent à scintiller à 20° de hauteur au-dessus de l’horizon, parce que, d’après l’explication ingénieuse de M. Arago, fondée sur la loi des interférences, les diverses couches de l’atmosphère parallèles entre elles n’ont plus la même densité et une réfringence égale. Dès lors les vapeurs s’agroupent en nuages; on ne trouve plus, à chaque heure du jour, des signes d’électricité vitrée dans les basses régions de l’atmosphère. Le tonnerre se fait entendre, des ondées de pluie tombent pendant le jour, et les calmes ne sont interrompus que par des vents impétueux qui soufflent du pôle hétéronyme, c’est-à-dire par des vents sud-est dans la zone équatoriale boréale, et du nord-est dans la zone équatoriale australe. Ces variations ne sont pas propres à l’intérieur de l’Amérique; on les remarque aussi dans l’Afrique centrale, où elles n’ont pas échappé à la sagacité de Mungo Park. Ce voyageur judicieux rapporte que les pluies cessent au nord de l’équateur lorsque le vent sud-est passe au nord-est. Comme les vents alisés sont dus à la chaleur solaire combinée avec le mouvement de rotation de la terre, c’est dans l’égale distribution de la chaleur, qui varie selon le changement de déclinaison du soleil, que M. de Humboldt a cherché la solution du problème qu’offre le commencement de la saison des pluies dans chaque hémisphère. Rien n’égale, au nord de l’équateur, la pureté de l’atmosphère depuis le mois de décembre jusqu’au mois de février. Le ciel est alors sans nuages; et, s’il en paraît un, c’est un phénomène qui occupe toute l’attention des habitans. La brise de l’est et de l’est-nord-est souffle avec violence. Comme elle amène toujours de l’air d’une même température, on ne saurait admettre que les vapeurs deviennent visibles par refroidissement. Vers la fin de février et le commencement de mars, le bleu du ciel est moins intense, l’hygromètre indique peu à peu une plus grande humidité, les étoiles sont quelfois voilées par une légère couche de vapeurs, leur lumière n’est plus tranquille et planétaire: on les voit scintiller de temps en temps à vingt degrés de hauteur audessus de l’horizon. A cette époque la brise devient moins forte, moins regulière; elle est plus souvent interrompue par des calmes plats. Des nuages s’accumulent vers le sudsud-est, ils paraissent comme des montagnes lointaines, à contours fortement prononcés. De temps en temps on les voit se détacher de l’horizon, et parcourir la voûte céleste avec une rapidité qui ne répond guère à la faiblesse du vent qui règne dans les couches inférieures de l’air. A la fin de mars, la région australe de l’atmosphère est éclairée par de petites explosions électriques. Ce sont comme des lueurs phosphorescentes circonscrites dans un seul groupe de vapeurs. Dès lors la bise passe de temps en temps, et pour plusieurs heures, à l’ouest et au sudest. C’est là un signe certain de l’approche de la saison des pluies, qui commence à l’Orénoque vers la fin d’avril. Le ciel se voile, l’azur disparaît, et une teinte grise se répand uniformément. En même temps la chaleur de l’atmosphère s’accroît progressivement; bientôt ce ne sont plus des nuages, ce sont des vapeurs condensées qui couvrent la voute céleste. Les singes hurleurs commencent à faire entendre leurs cris plantifs long-temps avant le lever du soleil. L’électricité atmosphérique, qui pendant le temps des grandes sécheresses (de décembre en mars) produisait constament le jour un écartement de 1, 7 à deux lignes dans l’électromètre de Volta, devient dès le mois de mars extrêmement variable. L’atmosphère, qui généralement, dans la zone torride comme dans la zone tempérée, est dans un état d’électricité vitrée, passe alternativement pendant 8 à 10 minutes à l’état d’électricité résineuse. La saison des pluies est la saison des orages; et cependant un grand nombre d’expériences faites pendant trois ans ont prouvé à l’auteur que c’est justement dans cette saison des orages que l’on trouve une plus petite tension électrique dans les basses régions de l’atmosphère. A cette époque l’électricité, au lieu d’être répandue dans toute l’atmosphère, paraît accumulée sur l’enveloppe extérieure à la surface des nuages. C’est, selon M. Gay-Lussac, la formation du nuage même qui porte le fluide vers la surface. L’orage se forme dans les plaines après le passage du soleil par le méridien, par conséquent peu de temps après le moment du maximum de la chaleur diurne sous les tropiques. Il est extrêmement rare, dans l’intérieur des terres, d’entendre gronder le tonnerre pendant la nuit, ou dans la matinée, avant midi. Les orages de nuit ne sont propres qu’à de certaines vallées de rivières qui ont un climat particulier. Au nord et au sud de l’équateur, les orages ou les grandes explosions ont lieu simultanément dans la zone tempérée et dans la zone équinoxiale homonyme. Ici M. de Humboldt se demande: y a-t-il une action qui se propage, à travers le grand océan aérien, de la première de ces zones vers les tropiques? Comment concevoir que sous cette zone, où le soleil s’élève constamment à une si grande hauteur au-dessus de l’horizon, le passage de cet astre par le zenith puisse avoir une influence marquante sur les variations météréologiques? L’auteur pense que la cause qui détermine le commencement des pluies sous les tropiques n’est pas locale, et qu’une connaissance plus intime des courans d’air supérieurs éclairerait des problèmes si compliqués en apparence. Les Andes sont à peine habitées au-delà de deux mille toises de hauteur, et à cette élévation la proximité du sol et les masses de montagnes qui sont les hautsfonds de l’Océan aérien, influent sensiblement sur l’air ambiant. Ce que l’on observe sur le plateau d’Antisana n’est pas ce que l’on éprouverait à la même hauteur dans un aérostat, si en planait au-dessus des llanos ou de la surface des mers. Pendant qu’au nord de l’équateur, la brise du nord-est souffle dans toute sa force, elle empêche l’atmosphère qui recouvre les terres et les mers équinoxiales, de se saturer de vapeurs. L’air chaud et humide de la zone torride s’élève et se déverse vers les pôles, tandis que des courans polaires inférieurs, amenant des couches plus sèches et plus froides, remplacent à chaque instant les colonnes d’air ascendantes. Par ce jeu constant de deux courans opposés, l’humidité, loin de s’accumuler entre les tropiques, est emportée vers les régions froides et tempérées. Pendant ce temps des brises, qui est celui où le soleil est dans les signes méridionaux, le ciel reste constamment serein dans la zone équinoxiale boréale. Les vapeurs vésiculaires ne se condensent pas parce que l’air, sans cesse renouvelé, est loin du point de sa saturation. A mesure que le soleil, en entrant dans les signes septentrionaux, s’élêve vers le zenith, la brise du nord-est mollit et cesse peu à peu entièrement. La différence de température entre les tropiques et la zone tempérée boréale est alors la plus petite possible: c’est l’été du pôle boréal; et si la température moyenne des hivers, sous les quarante-deux degrés à cinquante-deux degrés de latitude nord, est de 20° à 26° du thermomètre centigrade moindre que la chaleur équatoriale, cette différence, en été, est à peine de 4° à 6°. Le soleil se trouvant au zénith, et la brise venant de cesser, les causes qui produisent l’humidité, et qui l’accumulent dans la zone équinoxiale boréale, deviennent à la fois plus actives. La colonne d’air qui repose sur cette zone se sature de vapeurs, parce qu’elle n’est plus renouvelée par le courant polaire. Les nuages se forment dans cet air saturé et refroidi pour les effets combinés du rayonnement et de la dilatation de l’air ascendant. Cet air augmente de capacité pour la chaleur à mesure qu’il se raréfie avec la formation et l’agroupement des vapeurs vésiculaires, l’électricité s’accumule dans les hautes régions de l’atmosphère. La précipitation des vapeurs continue pendant le jour; mais elle cesse généralement pendant la nuit, et souvent même déjà au coucher du soleil. Les ondées sont régulièrement les plus fortes, et accompagnées d’explosions électriques, peu de temps après le maximum de la chaleur diurne. Cet état de choses reste le même jusqu’à ce que le soleil entre dans les signes méridionaux. C’est le commencement du froid dans la zone tempérée boréale. Dès lors le courant du pôle nord se rétablit, parce que la différence entre les chaleurs des régions équinoxiale et tempérée augmente de jour en jour. La brise du nord-est souffle avec force, l’air des tropiques se renouvelle, et ne peut plus atteindre le degré de saturation. Les pluies cessent par conséquent, la vapeur vésiculaire se dissout, le soleil reprend toute sa pureté et sa teinte azurée. Les explosions électriques ne se font plus entendre, sans doute parce que l’électricité ne trouve plus, dans les hautes régions de l’air, de ces groupes de vapeurs vésiculaires sur lesquelles le fluide puisse s’accumuler. On vient de considérer la cessation des brises comme la cause principale des pluies équatoriales. Ces pluies ne durent, au nord et au sud de la ligne, qu’aussi long-temps que le soleil a une déclinaison homonyme avec l’hémisphère. Il est nécessaire d’observer ici qu’au manque de brise ne succède pas toujours un calme plat; mais que le calme est souvent interrompu, surtout le long des côtes occidentales de l’Amérique, par des bendavales, ou vents du sud-ouest et du sud-est. Ce phénomène paraît démontrer que les colonnes d’air humide qui s’élèvent dans la zone équatoriale se déversent quelquefois vers le pôle austral. En effet, les pays situés sous la zone torride, au nord et au sud de l’équateur, offrent pendant leur été, tandis que le soleil passe par leur zénith, le maximum de différence de température avec l’air du pôle hétéronyme. La zone tempérée australe a son hiver, pendant qu’il pleut au nord de l’équateur, et qu’il y règne une chaleur moyenne de 5 à 6° plus grande que dans les temps de sécheresse, où le soleil est le plus bas. La continuation des pluies, pendant que les bendavales soufflent, prouve que les courans du pôle le plus éloigné n’agissent pas, dans la zone équatoriale boréale, comme les courans du pôle le plus voisin, à cause de la plus grande humidité du courant polaire austral. L’air qu’amène ce courant vient d’un hémisphère presque entièrement aquatique. Il traverse, pour parvenir au parallèle de 8° de latitude nord, toute la zone équatoriale australe; il est par conséquent moins sec, moins froid, moins propre à agir comme contre-courant, à renouveler l’air équinoxial, et à empêcher sa saturation, que le courant polaire boréal ou la brise du nord-est. On peut croire que les bendavales sont des vents impétueux sur quelques côtes, par exemple, sur celle de Guatimala, parce qu’ils ne sont pas l’effet d’un déversement régulier et progressif de l’air des tropiques vers le pôle austral, mais qu’ils alternent avec des calmes, qu’ils sont accompagnés d’explosions électriques, et qu’en véritables raffales, ils indiquent un refoulement, une rupture brusque et instantanée de l’équilibre dans l’océan aérien. M. de Humboldt observe qu’il vient de discuter un des phénomènes les plus importans de la météorologie des tropiques, en le considérant dans sa plus grande généralité. De même que les limites des vents alisés ne forment pas des cercles parallèles à l’équateur, l’action des courans polaires se fait aussi diversement sentir sous des méridiens différens. Dans le même hémisphère, les chaînes de montagnes et le littoral ont souvent des saisons opposées. Annales de chimie et de physique, 1808, tome 8, page 179.