De l'influence de la declinaison du Soleil sur le commencement des pluies equatoriales. Par A. de Humboldt . Extrait d'un Memoire lu a l'Institut, dans la seance du 29 juin 1818. De toutes les sciences qu'embrassent la philosophie naturelle et l'histoire physique du globe, la meteorologie est celle qui a fait les progres les moins rapides. La cause de cette lenteur n'est pas autant due a l'imperfection des instrumens et au petit nombre des observateurs exacts, qu'a l'insuffisance des methodes d'observations dont on s'est servi, et a la difficulte extreme de degager les phenomenes variables et passagers de l'influence des causes perturbatrices. On ne peut guere se flatter de pouvoir resoudre a-la-fois une multitude de problemes si compliques. Toutes les variations qu'eprouve l'Ocean aerien dependant de circonstances intimement liees entre elles, nous devons nous borner a determiner ce que l'on peut appeler les mouvemens moyens de l'atmosphere, a reconnaeitre, par la comparaison d'un grand nombre d'observations partielles, un certain type dans la succession des phenomenes, et a etudier de preference les effets de l'action solaire comme de la cause qui agit le plus puissamment sur toutes les variations de densite, de temperature, d'humidite et de tension electrique. C'est en suivant cette marche que je me suis d'abord occupe a etudier la distribution de la chaleur sur le globe, et a assujettir l'influence des causes perturbatrices locales a des lois empiriques. L'etude de ces lois que j'ai presentees a l'Academie des Sciences, dans mon Memoire sur les Lignes isothermes, a fait reconnaeitre des rapports par lesquels un grand nombre de phenomenes se trouvent lies; c'est une liaison semblable entre des phenomenes qui paraissent constamment associes lors de l'entree de la saison des pluies equatoriales, que je vais exposer aujourd'hui. La Meteorologie de la zone torride peut repandre d'autant plus de lumieres sur la Meteorologie de la zone temperee, que l'absence d'un grand nombre de causes perturbatrices fait reconnaeitre plus facilement entre les tropiques les veritables lois auxquelles la nature est assujettie. En effet, celles dont dependent les petites variations horaires du barometre ont ete reconnues d'abord sous la zone torride. Elles auraient encore long-temps echappe a l'attention des physiciens si les oscillations periodiques de l'atmosphere n'avaient ete etudiees que dans la zone des climats variables. On n'apercoit, sous ces climats, que, dans les moyennes d'un grand nombre d'observations, ce qui se presente sous l'equateur, heure par heure, degage de l'influence des causes perturbatrices. Si, comme je le crois, on parvient un jour a evaluer avec precision l'action de la lune sur notre Ocean aerien, ce seront encore les moyennes d'observations faites entre les tropiques, auxquelles on devra cette decouverte importante. De meme, qu'au-dela du cercle polaire il y a deux saisons du jour et de la nuit, l'annee, dans la region equinoxiale, se divise aussi en deux grandes saisons, celles de secheresse et d'humidite, ou, comme disent les Indiens de l'Orenoque, dans leur langue expressive, de soleils et de nuages. Il est d'un vif interet pour le physicien de suivre la marche des phenomenes meteorologiques pendant le passage d'une saison a l'autre. Comme dans la partie de la zone temperee ou il ne tombe presque pas de neige, et dont la temperature moyenne s'eleve a 19° ou 20°, les hivers sont une veritable saison des pluies, on pourrait croire que les pluies des tropiques doivent coincider avec l'hiver de la zone temperee homonyme. On sait depuis long-temps qu'il n'en est pas ainsi, mais que les epoques des pluies, si regulieres dans la zone torride, sont liees au cours du soleil et qu'elles tombent en plus grande abondance au nord de l'equateur lorsque cet astre parvient au tropique du Cancer. Ce commencement des pluies coincide avec plusieurs autres phenomenes, par exemple, avec la cessation des brises et avec une distribution inegale de la tension electrique dans l'air. A mesure que le soleil, dans la zone equatoriale boreale, s'approche du zenith, les brises nord-est sont remplacees par des calmes ou des vents sud-est. La transparence de l'air diminue deja sans que sa temperature decroisse sensiblement; les etoiles commencent a scintiller a 20° de hauteur au-dessus de l'horizon, parce que, d'apres l'explication ingenieuse de M. Arago, fondee sur la loi des interferences, les diverses couches de l'atmosphere, paralleles entre elles, n'ont plus la meme densite et une refringence egale. Des-lors les vapeurs s'agroupent en nuages; on ne trouve plus, a chaque heure du jour, des signes d'electricite vitree dans les basses regions de l'atmosphere. Le tonnerre se fait entendre; des ondees de pluie tombent pendant le jour, et les calmes ne sont interrompue que par des vents impetueux qui soufflent du pole heteronyme, c'est-a-dire, par des vents sud-est dans la zone equatoriale boreale, et du nord-est dans la zone equatoriale australe. Ces variations ne sont pas propres a l'interieur de l'Amerique; on les remarque aussi dans l'Afrique centrale, ou elles n'ont pas echappe a la sagacite de Mungo- Park. Ce voyageur judicieux rapporte que les pluies cessent, au nord de l'equateur, lorsque le vent sud-est passe au nord-est. Comme les vents alises sont dus a la chaleur solaire combinee avec le mouvement de rotation de la terre, c'est dans l'inegale distribution de la chaleur qui varie selon le changement de declinaison du soleil que j'ai cherche la solution du probleme qu'offre le commencement de la saison des pluies dans chaque hemisphere. Mais avant de me livrer a cette discussion, je vais d'abord exposer la marche des phenomenes atmospheriques qui se trouvent constamment lies entr'eux. Rien n'egale, au nord de l'equateur, la purete de l'atmosphere depuis le mois de decembre jusqu'au mois de fevrier. Le ciel est alors sans nuages; et s'il en paraeit un, c'est un phenomene qui occupe toute l'attention des habitans. La brise de l'est et de l'est-nord-est souffle avec violence. Comme elle amene toujours de l'air d'une meme temperature, on ne saurait admettre que les vapeurs deviennent visibles par refroidissement. Vers la fin de fevrier et le commencement de mars, le bleu du ciel est moins intense, l'hygrometre indique peu a peu une plus grande humidite, les etoiles sont quelquefois voilees par une legere couche de vapeurs, leur lumiere n'est plus tranquille et planetaire: on les voit scintiller de temps en temps a 20° de hauteur au-dessus de l'horizon. A cette epoque, la brise devient moins forte, moins reguliere; elle est plus souvent interrompus par des calmes plats. Des nuages s'accumulent vers le sud-sud-est. Ils paraissent comme des montagnes lointaines, a contours fortement prononces. De temps en temps on les voit se detacher de l'horizon, et parcourir la voaute celeste avec une rapidite qui ne repond guere a la faiblesse du vent qui regne dans les couches inferieures de l'air. A la fin de mars, la region australe de l'atmosphere est eclairee par de petites explosions electriques. Ce sont comme des lueurs phosphorescentes circonscrites dans un seul groupe de vapeurs. Des-lors la brise passe de temps en temps, et pour plusieurs heures, a l'ouest et au sud-ouest. C'est la un signe certain de l'approche de la saison des pluies, qui commence a l'Orenoque vers la fin d'avril. Le ciel commence a se voiler, l'azur disparaeit, et une teinte grise se repand uniformement. En meme temps la chaleur de l'atmosphere s'accroeit progressivement; bientot ce ne sont plus des nuages, ce sont des vapeurs condensees qui couvrent la voaute celeste. Les singes hurleurs commencent a faire entendre leurs cris plaintifs long-temps avant le lever du soleil. L'electricite atmospherique qui pendant le temps des grandes secheresses (de decembre en mars) produisait constamment, le jour, un ecartement de 1,7 a 2 lignes dans l'electrometre de Volta, devient des le mois de mars extremement variable. Pendant des journees entieres je l'ai trouvee nulle; puis, pour quelques heures, les boules de sureau de l'electrometre divergent de 3 a 4 lignes. L'atmosphere, qui generalement, dans la zone torride comme dans la zone temperee, est dans un etat d'electricite vitree, passe alternativement pendant huit a dix minutes a l'etat d'electricite resineuse. La saison des pluies est la saison des orages, et cependant un grand nombre d'experiences faites pendant trois ans m'ont prouve que c'est justement dans cette saison des orages que l'on trouve une plus petite tension electrique dans les basses regions de l'atmosphere. Les orages sont-ils l'effet de cette charge inegale des differentes couches superposees de l'air? Qu'est-ce qui empeche l'electricite de descendre vers la terre dans un air devenu plus humide depuis le mois de mars? A cette epoque, l'electricite, au lieu d'etre repandue dans toute l'atmosphere, paraeit accumulee sur l'enveloppe exterieure, a la surface des nuages. C'est, selon M. Gay- Lussac, la formation du nuage meme qui porte le fluide vers la surface. L'orage se forme dans les plaines apres le passage du soleil par le meridien, par consequent peu de temps apres le moment du maximum de la chaleur diurne sous les tropiques. Il est extremement rare, dans l'interieur des terres, d'entendre gronder le tonnerre pendant la nuit, ou dans la matinee, avant midi. Les orages de nuit ne sont propres qu'a de certaines vallees de rivieres qui ont un climat particulier. Or, quelles sont les causes de cette rupture d'equilibre dans la tension electrique de l'air, de cette condensation continuelle des vapeurs en eau, de cette interruption des brises, de ce commencement et de cette duree de la saison des pluies? Je doute que l'electricite influe sur la formation des vapeurs vesiculaires. C'est plutot la formation de ces vapeurs qui augmente et qui modifie la tension electrique. Au nord et au sud de l'equateur, les orages ou les grandes explosions ont lieu simultanement dans la zone temperee et dans la zone equinoxiale homonyme. Y a-t-il une action qui se propage, a travers le grand Ocean aerien, de la premiere de ces zones vers les tropiques? Comment concevoir que, sous cette zone, ou le soleil s'eleve constamment a une si grande hauteur au-dessus de l'horizon, le passage de cet astre par le zenith puisse avoir une influence marquante sur les variations meteorologiques? Je pense que la cause qui determine le commencement des pluies sous les tropiques n'est pas locale, et qu'une connaissance plus intime des courans d'air superieurs eclaircirait des problemes si compliques en apparence. Nous ne pouvons observer que ce qui se passe dans les couches inferieures de l'atmosphere. Les Andes sont a peine habitees au-dela de 2000 toises de hauteur, et, a cette hauteur, la proximite du sol et les masses de montagnes, qui sont les hautsfonds de l'Ocean aerien, influent sensiblement sur l'air ambiant. Ce que l'on observe sur le plateau d'Antisana n'est pas ce que l'on eprouverait a la meme hauteur dans un aerostat, si l'on planait au-dessus des Llanos ou de la surface des mers. Nous venons de voir que la saison des pluies et des orages, dans la zone equinoxiale boreale, coincide avec les passages du soleil par le zenith du lieu, avec la cessation des brises ou vents du nord-est, avec la frequence des calmes et des Bendavales, qui sont des vents du sudest et sud-ouest orageux, et accompagnes d'un ciel couvert . En reflechissant sur les lois generales de l'equilibre des masses gazeuses qui constituent notre atmosphere, on trouve, dans l'interruption du courant qui souffle d'un pole homonyme, dans celle du renouvellement de l'air sous la zone equatoriale, et dans l'action continue d'un courant ascendant humide, une cause tres-simple de la coincidence de ces phenomenes. Ces passages ont lieu, par les 5° et 10° de latitude nord, entre le 3 et le 16 avril, et entre le 27 aoaut et le 8 septembre. Comparez mon Essai politique sur la Nouvelle- Espagne. T. II, p. 382, 712 et 767. Pendant qu'au nord de l'equateur la brise du nord-est souffle dans toute sa force, elle empeche l'atmosphere, qui recouvre les terres et les mers equinoxiales, de se saturer de vapeurs. L'air chaud et humide de la zone torride s'eleve et se deverse vers les poles, tandis que des courans polaires inferieurs, amenant des couches plus seches et plus froides, remplacent a chaque instant les colonnes d'air ascendantes. Par ce jeu constant de deux courans opposes, l'humidite, loin de s'accumuler entre les tropiques, est emportee vers les regions froides et temperees. Pendant ce temps des brises, qui est celui ou le soleil est dans les signes meridionaux, le ciel reste constamment serein dans la zone equinoxiale boreale. Les vapeurs vesiculaires ne se condensent pas, parce que l'air, sans cesse renouvele, est loin du point de sa saturation. A mesure que le soleil, en entrant dans les signes septentrionaux, s'eleve vers le zenith, la brise du nord-est mollit et cesse peu a peu entierement. La difference de temperature entre les tropiques et la zone temperee boreale est alors la plus petite possible: c'est l'ete du pole boreal; et si la temperature moyenne des hivers, sous les 42° et 52° de latitude nord, est de 20° a 26° du thermometre centigrade moindre que la chaleur equatoriale, cette difference, en ete, est a peine de 4° a 6°. Le soleil se trouvant au zenith, et la brise venant de cesser, les causes qui produisent l'humidite, et qui l'accumulent dans la zone equinoxiale boreale, deviennent a-la-fois plus actives. La colonne d'air qui repose sur cette zone se sature de vapeurs parce qu'elle n'est plus renouvelee par le courant polaire. Les nuages se forment dans cet air sature et refroidi par les effets combines du rayonnement et de la dilatation de l'air ascendant. Cet air augmente de capacite pour la chaleur a mesure qu'il se rarefie. Avec la formation et l'agroupement des vapeurs vesiculaires, l'electricite s'accumule dans les hautes regions de l'atmosphere. La precipitation des vapeurs continue pendant le jour; mais elle cesse generalement pendant la nuit, et souvent meme deja au coucher du soleil. Les ondees sont regulierement les plus fortes, et accompagnees d'explosions electriques, peu de temps apres le maximum de la chaleur diurne. Cet etat de choses reste le meme jusqu'a ce que le soleil entre dans les signes meridionaux. C'est le commencement du froid dans la zone temperee boreale. Des-lors le courant du pole nord se retablit, parce que la difference entre les chaleurs des regions equinoxiale et temperee augmente de jour en jour. La brise du nord-est souffle avec force, l'air des tropiques se renouvelle et ne peut plus atteindre le degre de saturation. Les pluies cessent par consequent, la vapeur vesiculaire se dissout, le ciel reprend toute sa purete et sa teinte azuree. Les explosions electriques ne se font plus entendre, sans doute parce que l'electricite ne trouve plus, dans les hautes regions de l'air, de ces groupes de vapeurs vesiculaires, j'aurais presque dit de ces enveloppes de nuages sur lesquelles le fluide puisse s'accumuler. Nous venons de considerer la cessation des brises comme la cause principale des pluies equatoriales. Ces pluies ne durent, au nord et au sud de la ligne, qu'aussi long-temps que le soleil a une declinaison homonyme avec l'hemisphere. Il est necessaire de faire observer ici qu'au manque de brise ne succede pas toujours un calme plat; mais que le calme est souvent interrompu, surtout le long des cotes occidentales de l'Amerique, par des Bendavales, ou vents du sud-ouest et du sud-est. Ce phenomene paraeit demontrer que les colonnes d'air humide qui s'elevent dans la zone equatoriale se deversent quelquefois vers le pole austral. En effet, les pays situes sous la zone torride, au nord et au sud de l'equateur, offrent pendant leur ete, tandis que le soleil passe par leur zenith, le maximum de difference de temperature avec l'air du pole heteronyme. La zone temperee australe a son hiver, pendant qu'il pleut au nord de l'equateur, et qu'il y regne une chaleur moyenne de 5° a 6° plus grande que dans les temps de secheresse, ou le soleil est le plus bas . La continuation des pluies, pendant que les Bendavales soufflent, prouve que les courans du pole le plus eloigne n'agissent pas, dans la zone equinoxiale boreale, comme les courans du pole le plus voisin, a cause de la plus grande humidite du courant polaire austral. L'air qu'amene ce courant vient d'un hemisphere presque entierement aquatique. Il traverse, pour parvenir au parallele de 8° de latitude nord, toute la zone equatoriale australe; il est par consequent moins sec, moins froid, moins propre a agir comme contre-courant, a renouveler l'air equinoxial, et a empecher sa saturation, que le courant polaire boreal ou la brise du nord-est . On peut croire que les Bendavales sont des vents impetueux sur quelques cotes, par exemple, sur celles de Guatimala, parce qu'ils ne sont pas l'effet d'un deversement regulier et progressif de l'air des tropiques vers le pole austral, mais qu'ils alternent avec des calmes, qu'ils sont accompagnes d'explosions electriques, et qu'en veritables rafales, ils indiquent un refoulement, une rupture brusque et instantanee de l'equilibre dans l'Ocean aerien. J'ai exclu a dessein, dans cette discussion, les hypotheses hasardees sur les combinaisons de l'oxigene avec l'hydrogene, et sur la propriete attribuee a l'electricite de former et de precipiter des vapeurs vesiculaires. Depuis l'equateur jusqu'a 10° de latitude boreale, les temperatures moyennes des mois d'ete et d'hiver different a peine de 2° a 3°; mais sur les limites de la zone torride, vers le tropique du Cancer, les differences s'elevent a 8° et 9°. Dans les deux zones temperees, l'air perd sa transparence chaque fois que le vent souffle du pole heteronyme, c'est-a-dire, du pole qui n'a pas la meme denomination que l'hemisphere dans lequel le vent se fait sentir. Je viens de discuter un des phenomenes les plus importans de la meteorologie des tropiques, en le considerant dans sa plus grande generalite. De meme que les limites des vents alises ne forment pas des cercles paralleles a l'equateur , l'action des courans polaires se fait aussi diversement sentir sous des meridiens differens. Dans le meme hemisphere, les chaeines de montagnes et le littoral ont souvent des saisons opposees. Je pourrais citer plusieurs exemples de ces anomalies; mais, pour decouvrir les lois de la nature, il faut, avant d'examiner les causes des perturbations locales, connaeitre l'etat moyen de l'atmosphere et le type constant de ses variations. Voyez la Relat. histor. de mon voyage, tome I, p. 199 et 237, et mon Memoire sur les Lignes isothermes, p. 114.