Sur le Steatornis, nouveau genre d’Oiseau nocturne; par M. de Humboldt. Tous les oiseaux nocturnes, connus jusqu’à présent, sont ou des oiseaux de proie, ou des oiseaux mangeurs d’insectes. Celui dont M. de Humboldt vient de donner la description, est remarquable par plusieurs particularités, et surtout parce qu’il paraît appartenir à une des familles des oiseaux granivores ou au moins frugivores. Le Steatornis habite les cavernes de Caripe dans la partie montueuse de la province de Cumana. Il porte dans le pays le nom de Guacharos. C’est un oiseau de la grandeur d’un coq; son bec, à partir du front, égale en longueur à peu près la moitié de la tête; la mandibule supérieure se recourbe fortement en dessous en crochet assez aigu; elle est armée à peu près vers son milieu de deux petites dents; la narine est placée à moitié de la mandibule; la mandibule inférieure est droite et assez grêle. L’ouverture du bec est assez considérable, et s’étend jusqu’au-dessous de la partie postérieure de l’œil. De longs poils roides, dirigés en avant, garnissent la base de la mandibule supérieure, et d’autres poils plus courts se remarquent au-dessous et vers l’extrémité antérieure de la mandibule inférieure; cette mandibule est large et même dilatée vers sa base, comme dans les engoulevens. Les pattes sont courtes, faibles, à quatre doigts, séparés jusqu’a leur base, et garnis d’ongles qui ne sont pas arqués, faibles même, et qui n’offrent d’ailleurs aucune particularité. Le plumage de l’espèce que décrit M. de Humboldt, la seule qui soit encore connue dans ce genre, et que l’auteur nomme Steatornis caripensis (Guacharo de Caripe), a le plumage d’une couleur sombre, gris-brunâtre, mélangé de petites stries et de points noirs; on voit sur les plumes de la tête, sur les pennes de la queue et des ailes de grandes taches blanches, bordées de noir, en forme de cœur. Les plumes du dos n’ont point ces taches. L’œil est grand. L’envergure est de plus d’un mètre. La queue est ce qu’on appelle cunéiforme, c’est-à-dire, que les pennes du milieu sont plus grandes que les autres. Cet oiseau a, comme l’observe l’auteur, des rapports assez nombreux avec les engoulevens et les corbeaux; avec les premiers, par la large ouverture de son bec, les poils de sa base, la proportion des pattes, des ailes, de la queue, et même par la couleur de son plumage; il s’en rapproche encore par les habitudes nocturnes, mais il en diffère par les autres caractères tirés des mêmes parties, et surtout par son genre de nourriture. Il se nourrit de fruits très-durs et de péricarpes osseux; c’est en ouvrant le jabot des jeunes guacharos, et en remarquant le grand nombre de ces fruits qui, tombés à terre dans la caverne de Caripe, y germent de toutes parts, qu’on s’est assuré de ce genre de nourriture si singulier dans un oiseau nocturne. Enfin, il diffère aussi des engoulevens par son cri extrêmement fort et aigu; mais il se rapproche par les mêmes particularités, ainsi que par la forme du bec et par celle des pattes de quelques espèces du genre corbeaux, oiseaux généralement polyphages, mais dont quelques-uns, tels que le Corvus caryocactes et le Corvus glandarius, se nourrissent presque exclusivement de fruits durs. Son habitation dans des cavernes obscures établit encore quelques rapports avec une espèce du même genre, le Corvus pyrrhocorax, qui loge dans les cavernes et puits naturels de presque toutes les montagnes calcaires et alpines de l’Europe. Les guacharos ne sortent que le soir de la caverne de Caripe, le seul lieu où on les connaisse dans les environs de Cumana. Ils y habitent en nombre prodigieux, et y font leurs nids vers le sommet de la voûte, dans le creux du rocher, à près de 20 mètres d’élévation. Les Indiens vont une fois par an, vers la fin de juin, chercher les petits du guacharo, qu’ils font tomber de la voûte à l’aide de longues perches. Ils ont pour but de recueillir la graisse abondante qui charge le péritoine de ces oiseaux, et y forme comme une pelote entre les jambes; cette graisse fournit par l’action d’une légère chaleur une espèce de beurre ou d’huile (manteca ou aceite), à demi-liquide, transparent et inodore, qui se conserve au-delà d’un an sans devenir rance. Elle est employée au couvent de Caripe, dans la cuisine des moines, et ne donne aux alimens aucun goût ni aucune odeur désagréable. A. B.