INDE (Élévation des montagnes de l’). — Géographie. — Observations nouvelles. — M. de Humboldt, de l’Institut. — 1816. — La mesure exacte des montagnes dont on ne peut atteindre la cime offre des difficultés qui tiennent en grande partie à l’élévation des terrains dont leurs bases sont entourées. Les plateaux sur lesquels s’élèvent les chaînes sont généralement trop éloignés des côtes pour qu’on puisse en déterminer l’élévation, soit par des angles de dépression, soit par un nivellement géométrique: il en résulte que chaque mesure d’une haute montagne est presque toujours en partie barométrique, en partie trigonométrique. Si l’on s’approche de très-près des cimes à mesurer, on aura moins à craindre l’effet des réfractions; les angles de hauteur seront plus grands; mais on aura de la peine à trouver un terrain propre à la mesure d’une base. La hauteur de ce terrain au-dessus du niveau de l’Océan peut former le tiers ou la moitié de la hauteur totale. Dans le plateau de Tapia, si favorable à la mesure du Chimborazo, cette montagne ne se présente déjà que sous un angle de 6° 40, et cependant ce plateau est élevé de 2,890 mètres au-dessus de la mer du sud. La distance de la montagne au plateau de Tapia est de 3,437 mètres, ou 16′ 27″ en arc. Si j’avais mesuré, dit M. de Humboldt, la base au pied du Chimborazo, par exemple, dans les plaines de Sisgun, si célèbres par leurs porphyres volcaniques colonnaires, cette base aurait eu une élévation de 3,900 mètres, tandis que la partie déterminée géométriquement n’aurait été que de 2,630 mètres. Or, comme les baromètres sont beaucoup plus difficiles à transporter que les instrumens qui mesurent des angles, les voyageurs se trouvent réduits ou à indiquer seulement la hauteur des montagnes au-dessus des plateaux dont ils ignorent l’élévation absolue, ou à faire des mesures dans des plaines très-éloignées, rapprochées des côtes, et dans lesquelles le jeu de la réfraction terrestre peut altérer considérablement les résultats. Ce sont ces obstacles qui ont privé long-temps de la connaissance exacte de la hauteur des montagnes de l’Inde, de cette chaîne immense qui, sous les noms de Hindoo-Coosh et l’Himâlaya, s’étend depuis Herat et Caboul, à l’est de l’Indus, jusqu’au delà du Bourampouter. La partie orientale de l’Himâlaya est visible dans les plaines du Bengale, à la distance de cent cinquante milles anglais. Sa hauteur au-dessus de ces plaines n’est par conséquent pas moindre de 2,020 toises. L’exemple le plus frappant que l’on connaisse jusqu’à présent de la visibilité d’une montagne a été offert par le pic des îles Sandwich, Mowna-roa, que le capitaine Marchand assure avoir vu à cinquante-trois lieues de distance. Un pic trèsélevé de l’Himâlaya, que l’on distingue de la ville de Catna, fut estimé de vingt mille pieds au-dessus des plaines de Nepaul, et on suppose ces plaines élevées de cinq mille pieds anglais au-dessus du niveau de l’Océan. Les fondemens de cette première mesure ne sont pas connus en Angleterre, mais on en a conclu avec raison, depuis longtemps, que les montagnes de l’Inde atteignent ou surpassent, en élévation les Cordilières de Quito. M. Webb, chargé de lever la carte du Kumaon et de la province de Nepaul, a envoyé au gouverneur général les hauteurs de vingt-sept pics, couverts de neiges perpétuelles, et situés dans la grande chaîne de montagnes visible à Kumaon, au sud-est de Sirinagour. Vingt de ces pics excèdent 20,000 pieds anglais; le plus bas est de 15,733 pieds; le plus élevé a 25,669 pieds anglais ou 4,012 toises. Le pic au-dessus du niveau de l’Océan est, selon M. Webb, d’un mille plus élevé que le Chimborazo; la Condamine donne à cette dernière montagne 3,217 toises, et don Georges Juan 3,380 toises. M. Humboldt, d’après sa mesure tentée dans le plateau de Tapia près de Riobamba-Nueva, auprès de la montagne écroulée de l’Atlar, que les indigènes supposent avoir été plus élevée que le Chimborazo, a trouvé ce dernier de 6,530 mètres. La partie perpétuellement couverte de neiges a dans le Mont-Blanc 2,085 mètres, dans le Chimborazo 1,735 mètres de hauteur. Si le plus haut pic de Himâlaya, mesuré par M. Webb, a effectivement 7821 mètres d’élévation absolue, il doit y avoir en été au moins 4,271 mètres de hauteur perpendiculaire, depuis la limite inférieure de la neige jusqu’au sommet du pic: car, entre les 31° et 32° de latitude, on peut supposer cette limite des neiges à 3,550 mètres audessus du niveau de l’Océan. Il est impossible de réfléchir sur le résultat de ces mesures sans se demander si derrière le groupe de montagnes de l’Himâlaya il ne se trouve pas quelqu’autre chaîne encore plus élevée. Le courageux voyageur, M. Moorcropft, a passé l’Himâlaya en se rendant de Cossipoor au Gurwhalko par la province de Kumaon: Après avoir gravi, pendant vingt-huit jours, dans des gorges et par des montagnes couvertes de neige, il parvint au plateau de Netée. De ce premier plateau il monta encore pendant cinq jours, et arriva à travers la chaîne centrale de l’Himâlaya, au grand plateau où est située la ville de Dleapa. C’est sur ce chemin, et en descendant la pente septentrionale qui conduit à Dleapa, qu’il trouva le yak (bos grumiens) et la chèvre dont les Tartares Latactes vendent la laine aux habitans de Cachemire. Dans le nouveau continent, la chaîne des Andes est remarquable par sa continuité et sa prodigieuse longueur, qui embrasse du nord au sud 120° degrés en latitude. On sait que son étendue, dans le sens opposé à son axe longitudinal, n’excède généralement pas 2 à 3, rarement 4 à 5 degrés. Il ne faut pas mesurer la largeur d’une chaîne de montagnes là où un rameau latéral s’en sépare. Telle est la partie des Andes du Pérou, près d’Oruro et du Potosi, où les montagnes neigeuses de Santa-Crux, de la Sierra et de Chiquitos se prolongent vers l’est, et s’approchent des montagnes du Brésil. Près de Caxamarca, M. Humboldt, en traversant les Andes, n’a trouvé la chaîne que de vingt-trois lieues de largeur. Le plateau de los Pastos, le plus vaste et le plus élevé de l’Amérique méridionale, est formé, comme ceux du Mexique, par le dos même des Andes. Il conserve, entre la ville de Pasto et le Paramo del Boliche, là où s’élèvent les grands volcans de Cumba et de Chiles sur 85 lieues carrées près de 3,000 mètres d’élévation absolue, et la largeur des Andes dans ce plateau extrêmement froid n’est que de 22 lieues du sud-est au nord-ouest. Dans l’Asie centrale, les montagnes paraissent au premier abord former un massif immense, dont la surface égale celle de la Nouvelle-Hollande. Il y a depuis la Daourie jusqu’au Berlour-tâgh, de l’est à l’ouest, 47° en longitude; et depuis l’Altai jusqu’à l’Himâlaya, du nord au sud, 20° en latitude. C’est ce massif que l’on appelle si vaguement le plateau de la Tartarie, quoiqu’il présente, surtout dans son extrémité occidentale, de grandes inégalités, comme l’indiquent les productions et le climat de la Songarie, de la Petite-Boucharie, du Turfax et du Hami, célèbre par ses raisins. On peut admettre avec beaucoup de probabilité que ce plateau ne forme aucunement une masse continue, mais que plus du tiers de son étendue a une élévation peu considérable au-dessus du niveau de l’Océan. En parcourant les descriptions qui ont été données depuis Strahlenberg et Pallas, des régions peu connues entre l’Altai et l’Himâlaya, on voit qu’à l’ancien système d’un nœud central qui envoie des rangées de montagnes comme des rayons dans toutes les directions, on a substitué l’idée de chaînons à peu près parallèles entre eux. Les plateaux de l’Asie centrale ne semblent être, en grande partie, ni de hautes vallées longitudinales, renfermées entre deux rangées de montagnes, comme les vallées de Quito et de Cuença; ni des bassins circulaires et fermés, comme ceux de Bogota et de Caxamarca; mais d’immenses plaines formées par le dos même des Cordilières, comme le plateau de la Nouvelle Espagne. On ne doit donc pas s’étonner du peu de régularité que l’on découvre dans la disposition des cimes supportées par les hautes plaines. Les Cordilières du Mexique sont dirigées du S.-S.-E. au N.-N.-O.; cependant les montagnes dont l’élévation atteint 4,500 mètres, et qui forment comme des groupes d’îles au milieu du plateau central, affectent des directions très-opposées; lorsque les pics des Andes sont de basalte, de dolérite ou de porphyre trappéen, on les trouve souvent alignés. On les croirait sortis par soulèvement de larges crevasses qui traversent le plateau, et l’on ne reconnaît guère, par la disposition des cimes les plus élevées, la direction générale de la Cordilière. Il n’est pas exact de juger de la hauteur d’une chaîne de montagnes uniquement d’après la hauteur des cimes les plus élevées. Un pic de l’Himâlaya excède le Chimborazo de 1,300 mètres; le Chimborazo excède le Mont-Blanc dè 1700 mètres; le Mont-Blanc excède le Mont-Perdu de 1300 mètres. Ces différences ne donnent pas les rapports de la hauteur moyenne des chaînes mêmes, c’est-à-dire la hauteur du dos des montagnes sur lequel s’élèvent les pics, les aiguilles, les pyramides et les dômes arrondis. La partie du dos qui forme les passages des Andes, des Alpes et des Pyrénées, nous fournit une mesure très-exacte du minimum de la hauteur qu’atteignent les chaînes des montagnes. C’est en comparant l’ensemble de ces mesures à celles de Saussure et de M. Ramond que M. de Humboldt évalue la hauteur moyenne du dos des Andes au Pérou, à Quito et dans la Nouvelle-Grenade, à 3600 mètres; le dos des Alpes et des Pyrénées s’élève à 2300 mètres. La différence des hauteurs moyennes des Alpes et des Cordilières est par conséquent de 500 mètres plus petite qu’on ne l’aurait cru, d’après la hauteur des pics. Il serait intéressant de connaître la hauteur moyenne de la chaîne de l’Himâlaya entre les méridiens de Patna et de Lahore. Aux yeux du géologue qui s’occupe de l’étude des formations, et qui est habitué à voir la nature en grand, la hauteur absolue des montagnes n’est pas un phénomène très-important. Il n’est pas surpris de voir l’Himâlaya s’élever au-dessus des Andes, comme les Andes s’élèvent au-dessus des alpes de la Suisse. Les neiges perpétuelles ne commencent, près de l’équateur, dans les Andes, qu’à 4800 mètres d’élévation; elles descendent vraisemblablement dans l’Himâlaya, par les 30° de latitude, jusqu’à 3700 mèttres. La végétation se développe donc dans le nouveau monde sur une plus vaste étendue que dans les Cordilières de l’Inde. Comme sous la zone tempérée, les neiges durcissent par l’effet du froid de l’hiver, tandis qu’elles restent molles dans les Andes de Quito, on pourra vraisemblablement traverser les neiges de l’Himâlaya sans être forcé, comme dans les Andes, de suivre les arêtes étroites de rochers qui se présentent de loin, comme des stries noires, au milieu des neiges éternelles. Mais ces excursions pénibles, dont les récits excitent l’intérêt du public, n’offrent qu’un très-petit nombre de résultats utiles aux progrès des sciences, le voyageur se trouvant sur un sol de glace, entouré d’une couche d’air dont le mélange chimique est le même que celui des plaines, et dans une situation où des expériences délicates ne peuvent se faire avec toute la précision requise. Annales de chimie et de physique, 1816, tome 3, page 297.