Sur l'Elevation des montagnes de l'Inde. Par Alexandre de Humboldt. La mesure exacte des montagnes dont on ne peut atteindre la cime offre des difficultes qui tiennent en grande partie a l'elevation des terrains dont leurs bases sont entourees. Les plateaux sur lesquels s'elevent les chaeines sont generalement trop eloignes des cotes pour qu'on puisse en determiner l'elevation, soit par des angles de depression, soit par un nivellement geometrique: il en resulte que chaque mesure d'une haute montagne est presque toujours en partie barometrique, en partie trigonometrique. Si l'on s'approche de tres-pres des cimes a mesurer, on aura moins a craindre l'effet des refractions; les angles de hauteur seront plus grands; mais on aura de la peine a trouver un terrain propre a la mesure d'une base. La hauteur de ce terrain audessus du niveau de l'Ocean peut former le tiers ou la moitie de la hauteur totale. Dans le plateau de Tapia, si favorable a la mesure du Chimborazo, cette montagne ne se presente deja que sous un angle de 6° 40', et cependant ce plateau est eleve de 2890 metres au-dessus de la mer du Sud. La distance de la montagne au plateau de Tapia est de 30437 metres, ou de 16' 27" en arc. Si j'avais mesure la base au pied du Chimborazo, par exemple, dans les plaines de Sisgun, si celebres par leurs porphyres volcaniques colonnaires, ma base aurait eu une elevation de 3900 metres, tandis que la partie determinee geometriquement n'aurait ete que de 2630 metres. Or, comme les barometres sont beaucoup plus difficiles a transporter que les instrumens qui mesurent des angles, les voyageurs se trouvent souvent reduits, ou a indiquer seulement la hauteur des montagnes audessus des plateaux dont ils ignorent l'elevation absolue, ou a faire des mesures dans des plaines tres-eloignees, rapprochees des cotes, et dans lesquelles le jeu de la refraction terrestre peut alterer considerablement les resultats. Ce sont ces obstacles qui nous ont prives long-temps de la connaissance exacte de la hauteur des montagnes de l'Inde, de cette chaeine immense qui, sous les noms de Hindoo-Coosh et l'Himalaya , s'etend depuis Herat et Caboul, a l'est de l'Indus, jusqu'au-dela du Bourampouter. La partie orientale de l'Himalaya est visible dans les plaines du Bengale, a la distance de 150 milles anglais : sa hauteur au-dessus de ces plaines n'est par consequent pas moindre de 2020 toises. Sans avoir egard a la refraction, le pic de Teneriffe (1904 toises) est visible a 1° 57' 22" de distance; le Mont-Blanc (2440 t.) a 2° 13' 0"; le Chimborazo (3350 t.) a 2° 35' 30". En supposant une refraction moyenne de 0,08, la distance augmenterait, pour le Chimborazo, seulement de 14 milles. L'exemple le plus frappant que l'on connaisse jusqu'a present de la visibilite d'une montagne a ete offert par le pic des eiles Sandwich, Mowna-Roa, que le capitaine Marchand assure avoir vu a 53 lieues (2°33') de distance. Hindoo-Coosh ou Hindo-Kho, Hindo-Kouh (montagne Noire, en persan), a l'est de l'Indus, lat. 34° 30'-35°: c'est le Caucase indien. Un seul pic dans le meridien de Caboul a donne ce nom a la chaine entiere qui s'abaisse plus a l'ouest (dans le Paropamisus) vers Herat. Comme le lieutenant Macartney assure que le Hindoo-Coosh n'entre plus dans la limite des neiges perpetuelles a l'ouest du 66° de longitude, on peut supposer que cette extremite occidentale n'excede pas 3250 metres. Hemalleh, Himaleh, Hemmachal (Imaus des anciens), proprement Himalaya, sejour des neiges. En sanscrit, hima signifie frimats ou neige (himavat, neigeux, qui possede de la neige), et alaya, demeure, sejour, habitation. M. Elphinstone (Voyage to Caboul , p. 95) pense que l'Himalaya pourrait bien etre visible a 250 milles de distance: cela supposerait, vu au niveau de la mer, l'enorme hauteur de 10900 metres. Un pic tres-eleve de l'Himalaya, que l'on distingue de la ville de Patna, fut estime par le colonel Crawford 20000 pieds au-dessus des plaines de Nepaul. Cet officier suppose ces plaines elevees de 5000 pieds anglais audessus du niveau de l'Ocean . Les fondemens de cette premiere mesure ne sont pas connus en Angleterre; mais on en a conclu avec raison, depuis long-temps, que les montagnes de l'Inde atteignent ou surpassent en elevation les Cordillieres de Quito. Ces evaluations semblent indiquer un calcul approximatif fonde peut-etre sur un angle de hauteur et une distance supposee. En publiant ce resultat, on a reduit, dans plusieurs ouvrages, les 25000 pieds anglais en toises; et des-lors cette expression numerique, qui n'etait plus en nombres ronds, a paru le resultat d'une mesure precise. M. Elphinstone, dans son important ouvrage sur le Candahar et le Caboul, nous apprend que le lieutenant Macartney a trouve plusieurs cimes de l'Hindoo-Coosh, dans le Caufiristaun, elevees de 20493 pieds anglais. Au-dessus de quelle vallee, de quel plateau cette evaluation est-elle faite? Si c'est au-dessus des plaines de Peshawer, ou le thermometre s'eleve (sans doute expose au soleil ou au reflet du sol) a 112° Fahrenheit , ou 44° cent., on pourrait croire qu'il ne reste pas beaucoup a ajouter a la hauteur du pic mesure par M. Macartney . Au Caire, la temperature moyenne du mois d'aoaut est, d'apres de tres-bonnes observations de M. Nouet, faites a l'ombre et hors du reflet des murs, 29°,9. M. Beauchamps trouva, pour le meme mois, a Bagdad, 34°,4; mais son thermometre, quoique a l'ombre, etait expose au rayonnement d'un mur trop voisin. En Egypte, pres d'Ombos, dans la vallee des tombeaux des rois et pres d'Edfou, on a vu le thermometre a l'ombre se soutenir a 45°. Je crois avoir remarque, dans les steppes arides de Calabozo, que le sable suspendu dans l'air augmente singulierement la haute temperature de l'atmosphere. "J'ai determine, dit cet officier, les distances de plusieurs pics tres-eleves par des relevemens croises (cross-bearings), et j'ai trouve, a une distance de 100 milles, l'angle de hauteur par le theodolite de 1°30', ce qui donne une elevation perpendiculaire de 20493 pieds anglais. Mais je ne puis mettre beaucoup de confiance dans une operation faite a une si grande distance et avec un angle si petit. Mon instrument parut cependant si bien ajuste, que la latitude prise par le theodolite coincida, a deux minutes pres, avec celle qui a ete donnee par le sextant: la distance etait conclue d'une base de 45 milles de long." Depuis peu, le desir de connaeitre l'elevation des montagnes de l'Inde par des mesures directes et precises, paraeit avoir ete satisfait par les travaux trigonometriques de M. Webb, lieutenant au corps d'infanterie du Bengale, le meme a qui nous devons la connaissance plus exacte du cours du Gange. M. Webb a ete charge de lever la carte du Kumaon et de la province de Nepaul, recemment pacifiee. Il a envoye au gouverneur general lord Moira les hauteurs de 27 pics couverts de neiges perpetuelles, et situes dans la grande chaeine de montagnes visible a Kumaon, au sud-est de Sirinagour. Vingt de ces pics excedent 20000 pieds anglais; le plus bas est de 15733 pieds; le plus eleve a 25669 pieds anglais, ou 4012 toises. M. Webb assure que les distances et les bases ont ete verifiees avec le plus grand soin, et il cite comme une preuve de la precision de sa triangulation, que la latitude de la ville de Pilibheet, deduite de la position seule des pics, coincide, a 5" pres, avec celle qui a ete determinee par les observations astronomiques de M. Reuben-Burrow. La distance de la grande mosquee de Pilibheet au pic le plus voisin est de 98000 fathoms ou 112 milles. M. Webb ajoute que le 14me pic, celui qui a 25669 pieds anglais au-dessus du niveau de l'Ocean, est d'un mille plus eleve que le Chimborazo. D'apres le Dictionnaire de Hutton, celui-ci n'est suppose que de 19595 pieds anglais (ou 3014 toises) . Voici la hauteur des quatre cimes les plus elevees de l'Himalaya: La Condamine donne au Chimborazo 3217 toises, don George Juan 3380 t. Dans les mesures de ces savans voyageurs, les angles de hauteur n'excedaient pas 4°19'. On peut s'etonner de la grande difference que l'on trouve entre des resultats tires des memes elemens. Mais ces elemens sont tres-compliques; car les erreurs qui affectent les angles de depression, celles de la hauteur du plateau de Quito et du sommet d'Ilinissa, influent toutes sur la mesure du Chimborazo. D'apres ma mesure tentee dans le plateau de Tapia, pres de Riobamba-Nuevo, aupres de la montagne ecroulee de l'Altar, que les indigenes supposent avoir ete plus elevee que le Chimborazo, je trouve ce dernier de 6530 metres. J'ai publie le detail de cette operation dans l'introduction de mon Recueil d'observations astronomiques, t. I, p. lxxiv. Le 14me pic a 25669 pieds angl. (4013 tois.) (7821 metr.) Le 12me 23263 (3637 ) (7088 ) Le 3me 22840 (3571 ) (6959 ) Le 23me 22727 (3553 ) (6925 ) Comme nous ignorons encore les details des importantes operations de M. Webb, il est difficile d'evaluer les erreurs que le jeu des refractions a pu causer par une latitude de 30° a 32°. Si nous supposons que la plaine dans laquelle les angles de hauteur ont ete pris a 1500 metres d'elevation au-dessus du niveau de la mer, et que la distance ait ete de 1°30' en arc, le pic le plus eleve se sera presente sous un angle de 2° 17', en supposant une refraction moyenne de 0,08 de l'arc compris entre la station dans la plaine et la cime. Or, pour que ce pic ne faut eleve au-dessus du niveau de la mer que de 6800 metres, c'est-a-dire, 270 metres plus que le Chimborazo , il faudrait que le coefficient de la refraction faut de 0,30, au lieu de 0,08; ce qui n'est guere probable, d'apres ce que nous savons sur les refractions dans une zone si meridionale. D'apres la supposition de 6530 metres. Les operations de M. Webb paraissent inspirer d'autant plus de confiance qu'en 1808, lorsque ce voyageur, depourvu de barometre, tenta, pour la premiere fois, la mesure des hautes cimes de l'Himalaya (le Gangautri ou Mahadeva-Calinga et le Jamautri) , il s'exprima, dans une lettre a M. Colebrooke, avec la plus grande reserve sur cet essai. "La hauteur de l'Himalaya, dit-il, reste encore a determiner; mais en prenant la moyenne d'un grand nombre d'angles d'elevation pris, a differentes heures du jour, avec un instrument tresprecis, et appuyant ces angles a une base suffisamment longue, mesuree dans la plaine de Rohilkhand, au sudest de Pilibheet (lat. 28°--29°), je trouve que les pics les plus eleves de l'Himalaya ont 21000 pieds anglais audessus de ma base, en comptant [Formel] pour la refraction; ce que je crois, pour ce climat, une refraction tres-forte. Nous ignorons la hauteur des plaines de Rohilkhand audessus du niveau de l'Ocean. Les deux barometres qu'on avait envoyes de Calcutta a M. Webb avaient malheureusement ete brises en chemin . Dans l'operation plus recente dont nous venons de presenter les principaux resultats, M. Webb a probablement pu determiner la hauteur de sa base au-dessus de l'Ocean par une mesure barometrique. Par les 31°4' et 31°23' de latitude au nord de Sirinagour. Pres Lallari, sur un plateau de 4000 pieds d'elevation, les deux pics se presentent sous un angle de 3° 17' a 30 milles de distance. Asiat. Res, t. XI, p. 469. Asiat. Res. t. II, p. 448. La partie perpetuellement couverte de neige a, dans le Mont-Blanc, 2085 m., dans le Chimborazo 1735 m. de hauteur. Si le plus haut pic de Himalaya, mesure par M. Webb, a effectivement 7821 m. d'elevation absolue, il doit y avoir en ete au moins 4271 m. de hauteur perpendiculaire depuis la limite inferieure de la neige jusqu'au sommet du pic; car, entre les 31° et 32° de latitude, on peut supposer cette limite des neiges a 3550 metres au-dessus du niveau de l'Ocean. Il est impossible de reflechir sur le resultat de ces mesures, sans se demander si derriere le groupe de montagnes de l'Himalaya il ne se trouve pas quelque autre chaeine encore plus elevee. Nous connaissons, par le voyage interessant de M. Moorcroft, le profil de ces Cordillieres mieux que les cartes ne nous l'ont donne jusqu'ici. Ce voyageur courageux a passe l'Himalaya en se rendant de Cossipoor au Gurwhalko, par la province de Kemaon. Apres avoir gravi, pendant vingt-huit jours, dans des gorges et par des montagnes couvertes de neige, il parvint au plateau de Netee. De ce premier plateau, il monta encore pendant cinq jours, et arriva, a travers la chaeine centrale de l'Himalaya, au grand plateau ou est situee la ville de Dleapa. C'est sur ce chemin, en descendant la pente septentrionale qui conduit a Dleapa, qu'il trouva le Yak (Bos grunniens) et la chevre dont les Tartares Latactes vendent la laine aux habitans de Cachemire . D'apres MM. Elphinstone et Strachey, cette ville a 200,000 ames, et fabrique annuellement 80,000 shauls. La meilleure laine est de Rodauk; le turruk de laine, pesant 12 livres, vaut a Cachemire 10 a 20 rupies. Dans le nouveau continent, la chaeine des Andes est remarquable par sa continuite et par sa prodigieuse longueur, qui embrasse, du nord au sud, 120° en latitude. On sait que son etendue, dans le sens oppose a son axe longitudinal, n'excede generalement pas 2 a 3, rarement 4 a 5 degres. Il ne faut pas mesurer la largeur d'une chaeine de montagnes la ou un rameau lateral s'en separe. Telle est la partie des Andes du Perou, pres d'Oruro et du Potosi, ou les montagnes neigeuses de Santa-Cruz, de la Sierra et de Chiquitos se prolongent vers l'est, et s'approchent des montagnes du Bresil. Pres de Caxamarca, par les 7° de latitude australe, ou j'ai passe les Andes pour la quatrieme fois, en allant des plaines de la riviere des Amazones aux cotes de l'Ocean Pacifique, je n'ai trouve la chaeine que de 23 lieues de largeur . Le plateau de Los Pastos, le plus vaste et le plus eleve que j'aie vu dans l'Amerique meridionale, est forme, comme ceux du Mexique, par le dos meme des Andes. Il conserve, entre la ville de Pasto et le Paramo del Boliche, la ou s'elevent les grands volcans de Cumbal et de Chiles, sur 85 lieues carrees, pres de 3000 metres d'elevation absolue, et la largeur des Andes, dans ce plateau extremement froid (entre les 0° 40' et 1° 10' de latitude nord) n'est que de 22 lieues du S.-E. au N.-O.; car la Cordilliere se dirige, sous ces paralleles, du S.-S.-O. au N.-N.-E. Ce groupe de montagnes de Los Pastos peut etre considere geologiquement comme un noeud de la chaeine. En partant de ce noeud, les Andes se divisent, au sud, dans le royaume de Quito, en deux, au nord, entre Popayan et Santa-Fe de Bogota, en trois chaeinons paralleles. C'est par la ramification en trois chaeinons et par l'interposition de deux vallees longitudinales (dont le fond a 370 et 950 metres d'elevation au-dessus du niveau de l'Ocean) que la largeur des Andes, sur une ligne qui passe par le Paramo de Chingasa, par la province d'Antioquia et par le Choco, atteint 5° ou 100 lieues de largeur. Les Cordillieres du Mexique (la Sierra Madre) ont la meme etendue transversale sur le parallele de Durango. De 20 au degre. Ces evaluations se fondent sur des longitudes chronometriques. J'ai trouve Tomependa, long. 80° 56'; Guayaquil, 82° 18', et Truxillo, 81° 23'; mais le passage de la Cordilliere est entre Querocotillo et Cascas. Les plaines de l'Amazone, qui forment le pied des Andes a l'est, ont encore, d'apres mes mesures barometriques, 350--400 metres de hauteur au-dessus du niveau de l'Ocean; ce sont cependant de veritables plaines, dans lesquelles de petits rochers de calcaire alpin se rencontrent isoles de distance en distance. Elles s'abaissent insensiblement vers le Pongo de Manseriche. La grande chaeine de l'Europe centrale est de [Formel] plus large, en comptant sa largeur du S.-E. au N-O. dans les Grisons, et du S. au N. dans le Tyrol. Comme la charpente des Andes, par les 4° et 6° de latitude nord, est encore tres-peu connue, je dois rappeler que la chaeine orientale, celle qui separe les plaines du Meta de la vallee de la Madeleine, est formee par les Paramos de Suma- Paz, de Chingasa et de Chita. La chaeine intermediaire, situee entre les vallees de la Madeleine et de Cauca, renferme les Nevados de Quindio (5613 metres) d'Erve et de Ruiz. La chaeine occidentale, celle du Choco et des montagnes d'Avidi, est limitee par la vallee de Cauca et les cotes de la mer du Sud. Cette derniere chaeine est la moins elevee de toutes et la seule qui offre, sur sa pente occidentale, dans un terrain d'une tres-petite etendue (dans le Partido de Barbacoa et au Choco, entre Quibdo et Novita), le platine de l'Amerique espagnole. M. Caldas a reconnu, par des mesures barometriques, qu'il existe au Choco une zone de terrain aurifere et platinifere dont la limite inferieure est elevee de 80--100 m., la limite superieure de 800 m. au-dessus du niveau de l'Ocean. Cette zone de terrain de rapport est la plus riche en or, entre les 1° 30' et 6° de latitude boreale. Sa richesse diminue progressivement de 1° 30' vers l'equateur. Ces rapports curieux de localite pourront peut-etre jeter quelque jour sur l'origine de ce depot d'alluvion platinifere. Dans l'Asie centrale, les montagnes paraissent, au premier abord, former un massif immense, dont la surface egale celle de la Nouvelle-Hollande. Il y a depuis la Daourie jusqu'au Berlour-tagh, de l'est a l'ouest, 47° en longitude; et depuis l'Altai jusqu'a l'Himalaya, du nord au sud, 20° en latitude . C'est ce massif que l'on appelle si vaguement le plateau de la Tartarie, quoiqu'il presente, surtout dans son extremite occidentale, de grandes inegalites, comme l'indiquent les productions et le climat de la Songarie, de la petite Boucharie, du Turfan et du Hami (Chamul, Chamil), celebre par ses raisins. On peut admettre avec beaucoup de probabilite que ce plateau ne forme aucunement une masse continue, mais que plus du tiers de son etendue a une elevation peu considerable au-dessus du niveau de l'Ocean. A l'est, entre les 28° et 55° de latitude; vers l'ouest, entre les 34° et 50°. Depuis que nous connaissons, par les travaux precieux de MM. Crawford, Macartney, Colebrook et Webb, la hauteur de l'Himalaya, on se demande avec un interet bien vif, s'il existe au nord de l'Himalaya d'autres chaeines de montagnes plus elevees encore. Lorsque plusieurs chaeinons sont paralleles entr'eux, aucune analogie ne force d'admettre que les chaeinons interieurs sont plus eleves que les exterieurs. D'apres la connaissance imparfaite que nous avons jusqu'a ce jour de cet immense systeme de montagnes, il paraeit divise en trois ou quatre rangees principales, qui, en partie paralleles entre elles, se dirigent a-peu-pres de l'est a l'ouest. 1°. La chaeine de l'Himalaya qui, a l'ouest de l'Indus, prend le nom d'Hindoo-Coosh, semble se lier entre Herat (Heraut) et Mushid aux montagnes du Khorasan, et par la chaeine d'Elburz (entre Teheran et la mer Caspienne) a celles de l'Ararat, du Caucase, du Taurus et de l'Asie mineure. Le Cachemire forme un plateau au pied de l'Himalaya vers le sud, comme les plaines de Bogota en forment un, a 2650 metres de hauteur, au pied du Chingasa. Lat. 28°--34°. Macdonald, Kinneir Geogr. Mem. on Persia, p. 171. Le pic de Demavund, au N.-N.-E. de Teheran, est la plus haute cime de l'Elburz. 2°. La chaeine du Mustag (Mouz-tagh, en turc, montagnes de glace) ou mont Karakurrum, le Sioue-chan ou Tien-chan des Chinois; dans le Turkistan, les monts Parmer, forment comme une prolongation du Mustag vers la Sogdiane (Samarkand et Bokhara), le site d'une ancienne civilisation. On ignore si le Mustag, qui, au nord de Ladac, vers le mont Kentaisse, se dirige a l'est, continue jusque dans le meridien de Lassa. Lat. 38°--39°. Deguignes, Hist. des Huns, t. I, P. 2, p. xii. 3°. Les montagnes d'Alak, d'Argdjoun et de Bogdo, se reunissant (par le Bogdo) a la chaeine suivante et envoyant des rameaux au S.-E. Le Changai, l'Ungantagh et le Moussart, en sont-ils une continuation? Ce systeme de montagnes est tres-peu connu. C'est la Montagne celeste des Chinois, le Tengri-tagh des Hiongnoux. Lat. 44°. 4°. La chaeine de l'Altai et du Chatai (Kutt), dont l'extremite occidentale est l'Oulough-tagh. Lat. 48°-- 54°. La hauteur du petit Altai est, d'apres Laxman, de 2130 metres. (Bogdo-Oola signifie en mongol la Montagne auguste.) Ces trois ou quatre chaeines principales sont reunies et limitees a l'ouest, sous les 70° de longitude, par une digue transversale, dirigee du nord au sud, et qui rappelle par cette direction le grand coude que fait la chaeine des Alpes depuis le Mont-Blanc jusqu'aux Alpes maritimes. Cette digue transversale est le Belourtagh (Belour-tagh en ouigour, montagnes enveloppees de nuages) . M. Elphinstone considere les monts Solimaun, qui se prolongent au sud de l'Hindoo-Coosh, comme une continuation du Belourtagh. Peut-etre le Moussart forme-t-il une autre digue transversale entre le Moustagh et le Bogdo? La partie septentrionale du Belourtagh porte les noms de Jimblai et de Kiziktagh. D'apres M. Pinkerton, Belourtagh, montagne de cristal. Les plateaux ou vallees qui se dirigent de l'ouest a l'est entre ces trois ou quatre chaines principales sont: a) Entre l'Himalaya et le Moustagh, le plateau du Thibet (le Petit Thibet, Ladac ou Ladauk, le Grand Thibet). Si, comme le supposent quelques geographes, le Moustagh ne se prolonge pas a l'est jusqu'au meridien de Lassa, le plateau du Grand Thibet pourrait bien se confondre avec le plateau de la Mongolie. Je trouve, d'apres les observations de M. Turner, la temperature moyenne du mois d'octobre a Tissoolumbo (lat. 29°) pres de 5°,7. Comme, par cette latitude, la temperature moyenne de l'annee est de 21° dans les plaines, et qu'a l'hospice du Saint-Gothard la temperature d'octobre est un peu au-dessus de la temperature moyenne de l'annee, on pourrait croire, d'apres la loi du decroissement du calorique en hauteur, que le plateau du Grand Thibet ne cede pas en hauteur au plateau de la province de Los Pastos dans les Andes. b) Entre le Moustagh et le Bogdo, le plateau de la Mongolie (la petite Boukharie, avec les villes de Coten et d'Hyarkan ou Yarkand; le Cashgar, dont la position a ete savamment discutee par le major Rennell; le Tangut, le Turfan et le desert Mongole de Chamo ou Gobi). On regarde generalement ce desert de Chamo comme le plateau le plus eleve du monde; cependant, par les latitudes de 42°--44°, une plaine qui n'est pas perpetuellement couverte de neige ne saurait exceder l'elevation de la vallee de Quito . Dans le Chamo, on ne trouve pas seulement des graminees, mais aussi quelques broussailles isolees. Le point culminant du desert est (selon M. Barrow) entre les sources du Selinga, de l'Amour et du Fleuve Jaune. Il n'est pas permis d'ailleurs de considerer toute cette vaste etendue de pays, comprise entre le Moustagh et le Bogdo, comme un plateau continu. Nombre de vallees ne peuvent avoir que six ou huit cents metres de hauteur; car, dans la petite Boukharie, pres d'Yarkand et de Koten, on cultive, dans la latitude de Murcie et de Valence, du vin et, d'apres Marco-Polo, peut-etre meme du coton. 2900 metres. La grande plaine d'Antisana (dans les Andes de Quito) a 4100 metres de hauteur. Voyez, sur la limite des neiges a l'Etna, dans le Caucase et les Pyrenees, entre les 37° [Formel] et 42° [Formel] de latitude, mes Prolegomena de distrib. geogr. plantarum, p. 124. c) Entre le Bogdo et la chaeine de l'Altai, les steppes de la Songarie. Comme le Bogdo tourne au N.-N.-E. et se reunit a l'Altai, par les 98° de longitude, a l'ouest d'Irkutzk, la Songarie est separee comme par une digue transversale des hautes plaines de Gobi. En parcourant les descriptions qui ont ete donnees, depuis Strahlenberg et Pallas, des regions peu connues entre l'Altai et l'Himalaya, on voit qu'a l'ancien systeme d'un noeud central qui envoie des rangees de montagnes, comme des rayons, dans toutes les directions, on a substitue l'idee de chaeinons a-peu-pres paralleles entr'eux. Les noms de Moustagh, de Moussart, de Belourtagh, de Bogdo, d'Ouloughtag, n'appartiennent proprement qu'a quelques cimes et ont ete transferes a des chaines entieres. Ils rappellent, dans les langues tartares, ces noms vagues de Sierra Nevada, Sierra Nublada, Sierra Grande, qui sont si communs dans l'Amerique espagnole. Les plateaux de l'Asie centrale ne semblent etre, en grande partie, ni de hautes vallees longitudinales, renfermees entre deux rangees de montagnes, comme les vallees de Quito et de Cuenca, ni des bassins circulaires et fermes comme ceux de Bogota et de Caxamarca, mais d'immenses plaines formees par le dos meme des Cordillieres, comme le plateau de la Nouvelle-Espagne. On ne doit donc pas s'etonner du peu de regularite que l'on decouvre dans la disposition des cimes supportees par les hautes plaines. Les Cordillieres du Mexique sont dirigees du S.-S.-E. au N.-N.-O.; cependant les montagnes dont l'elevation atteint 4500 metres, et qui forment comme des groupes d'eiles au milieu du plateau central, affectent des directions tresopposees. Lorsque les pics des Andes sont de basalte, de dolerite ou de porphyre trappeen (trachyte), on les trouve souvent alignes. On les croirait sortis, par soulevement, de larges crevasses qui traversent le plateau, et l'on ne reconnaeit guere, par la disposition des cimes les plus elevees, la direction generale de la Cordilliere. Tel est l'aspect des Andes, le Moustagh de l'Amerique, par-tout ou leur etendue en largeur est tres-considerable. Il n'est pas exact de juger de la hauteur d'une chaeine de montagnes uniquement d'apres la hauteur des cimes les plus elevees. Un pic de l'Himalaya excede le Chimborazo de 1300 metres; le Chimborazo excede le Mont-Blanc de 1700 metres; le Mont-Blanc excede le Mont-Perdu de 1300 metres. Ces differences ne donnent pas les rapports de la hauteur moyenne des chaeines memes, c'est-a-dire, la hauteur du dos des montagnes sur lequel s'elevent les pics, les aiguilles, les pyramides et les domes arrondis. La partie du dos qui forme les passages des Andes, des Alpes et des Pyrenees, nous fournit une mesure tres-exacte du minimum de la hauteur qu'atteignent les chaeines des montagnes. C'est en comparant l'ensemble de mes mesures a celles de Saussure et de M. Ramond, que j'evalue la hauteur moyenne du dos des Andes, au Perou, a Quito, et dans la Nouvelle-Grenade, a 3600 metres; le dos des Alpes et des Pyrenees s'eleve a 2300 metres. La difference des hauteurs moyennes des Alpes et des Cordillieres est par consequent de 500 metres plus petite qu'on ne l'aurait cru d'apres la hauteur des pics. Il serait interessant de connaeitre la hauteur moyenne de la chaeine de l'Himalaya entre les meridiens de Patna et de Lahore. Plus on multipliera les observations sous les differentes zones, et plus on parviendra a se former des idees exactes sur la structure et la configuration des montagnes. Aux yeux du geologue qui s'occupe de l'etude des formations, et qui est habitue a voir la nature en grand, la hauteur absolue des montagnes n'est pas un phenomene tres-important: il n'est pas surpris de voir l'Himalaya s'elever au-dessus des Andes, comme les Andes s'elevent au-dessus des Alpes de la Suisse. Les neiges perpetuelles ne commencent, pres de l'equateur, dans les Andes, qu'a 4800 metres d'elevation; elles descendent vraisemblablement, dans l'Himalaya, par les 30° de latitude, jusqu'a 3700 metres. La vegetation se developpe donc, dans le Nouveau-Monde, sur une plus vaste etendue que dans les Cordillieres de l'Inde. Comme sous la zone temperee les neiges durcissent par l'effet du froid de l'hiver, tandis qu'elles restent molles dans les Andes de Quito, on pourra vraisemblablement traverser les neiges de l'Himalaya, sans etre force (comme nous l'avons ete dans les Andes, M. Bonpland et moi) de suivre les aretes etroites de rochers qui se presentent de loin, comme des stries noires, au milieu des neiges eternelles. Mais ces excursions penibles, dont les recits excitent l'interet du public, n'offrent qu'un tres-petit nombre de resultats utiles aux progres des sciences, le voyageur se trouvant sur un sol couvert de glace, entoure d'une couche d'air dont le melange chimique est le meme que celui des plaines, et dans une situation ou des experiences delicates ne peuvent se faire avec toute la precision requise . Vues des Cord. et Monumens amer., t. I, p. 286. Ce Memoire etait imprime lorsque j'ai eu connaissance des observations interessantes, tirees du douzieme volume des Recherches asiatiques, et inserees dans le quatrieme Numero du Journal de l'Institution royale a Londres . Les mesures de l'Himalaya que je viens de faire connaeitre ont ete envoyees par M. Webb a M. Davis, un des directeurs de la Compagnie des Indes. J'en dois la communication a l'obligeante bonte de M. Sullivan. Voici l'extrait du Memoire insere dans le Journal of Science and Arts: P. 388-392. "Le pic de Chamalasi, pres duquel passa le capitaine Turner apres etre entre dans le Thibet, est vu de differentes parties du Bengal a 232 milles de distance, ce qui indique, en admettant un etat moyen de l'atmosphere par rapport a la refraction terrestre, 28,000 pieds anglais. Un autre pic de l'Himalaya paraeit au Bengal sous un angle de 1° 1' a une distance qui (d'apres les cartes du major Rennell) ne peut etre moindre de 150 milles. Sa hauteur au-dessus du niveau de la mer est par consequent au moins de 26,000 pieds anglais. Le lieutenantcolonel Colebrooke a pris, dans deux stations du Rohilkhand (a Pilibhit et Jethpur), des angles de hauteur d'une cime qui, en supposant [Formel] de refraction, a 22,291 pieds sur les plaines de Rohilkhand, et a-peu-pres 22,800 pieds au-dessus du niveau de l'Ocean. Selon quelques observations du major Lambton, la refraction terrestre, dans le climat de l'Inde, est de [Formel] elle varie de [Formel] a [Formel] . Un grand nombre d'autres mesures, egalement exactes et faites (en 1802) a Cathmandu, par le colonel Crawford, ont ete communiquees au president de la Societe de Calcutta. M. Crawford avait mesure quatre fois, avec le plus grand soin, une base de 852 pieds, verifiee par une autre base de 1582 pieds. La premiere de ces bases a servi pour resoudre les triangles de la vallee de Nepaul, et c'est aux extremites de ces triangles, sur des points dont la distance reciproque etait connue, que l'on a pris les angles de hauteur des pics de l'Himalaya. La position de ces memes pics a ete determinee par une operation analogue, faite dans les plaines du Behar. Toujours en pieds anglais. Le mont Dhaibun a 20,140 pieds de hauteur perpendiculaire au-dessus de Cathmandu, qui est eleve de 4500 pieds au-dessus du niveau de l'Ocean; d'autres pics ont 17,819, 20,025, 18,662 pieds. Tous sont visibles de Patna. Le plus proche de ces pics est a 170 milles anglais de distance; le plus eloigne est a 226 milles. Le Dhawalagiri, montagne blanche (le Mont-Blanc de l'Himalaya), paraeit situe pres des sources de la riviere Glandac; elle fut trouvee par M. Webb, en la relevant de quatre points differens, et en prenant trois angles de hauteur de 26,784 et de 27,551 pieds, selon qu'on compte [Formel] ou [Formel] de refraction. Le president de la societe de Calcutta trouve, qu'en supposant les erreurs de l'observation et de la refraction au maximum et egalement en exces, le pic de Dhawalagiri est encore eleve au-dessus des plaines de Gorakhpur de 26,462 pieds, et au-dessus du niveau de la mer de 26,862. On a publie en meme temps une serie de mesures barometriques pour determiner les cimes accessibles de la chaeine de montagnes qui avoisine l'Himalaya. Voci les resultats trigonometriques qui offrent le plus de confiance: Dhawalagiri ou Dholagir, au-dessus de Gorackhpur (suppose a 400 pieds au-dessus du niveau de la mer): Par deux observations ......... 26,462 pieds. Par trois observations .......... 27,677 Dhawalagiri, au-dessus du niveau de la mer .................... 26,862 Yamunavatari ou Jamautri, au-dessus du sommet de Nagunghati (qui a 5000 pieds au-dessus du niveau de la mer) ..... 20,895 pieds. Yamunavatari, au-dessus du niveau de la mer ................... 25,500 Une montagne que l'on suppose etre le Dhaibun, au-dessus du niveau de la mer . 24,740 En comptant les hauteurs, non au-dessus des bases mesurees, mais au-dessus du niveau de l'Ocean, on trouve un pic, visible a Pilibhit et Jethpur, de 22,768 pieds; une autre montagne vue a Cathmandu, dans la direction de Calabhairavi, de 24,625 pieds. La vallee de Nepaul meme, dans laquelle plusieurs bases ont ete mesurees, a 4600 pieds de hauteur absolue". La plus haute cime de l'Himalaya atteint, d'apres M. Webb, 4013 toises, ou 7821 metres; d'apres le calcul (plus recent?) du president, 4201 t., ou 8187 m. Cette difference ne tient-elle qu'aux diverses suppositions de refraction et a l'emploi de differentes formules barometriques?