Voyage en Norvège et en Laponie, etc., par M. de Buch, etc. (Voyez pour le développement du titre, l’adresse et le prix, le deuxième cahier de ce Journal.) Article deuxième (premier extrait). L’introduction qu’à la prière de l’Editeur de la traduction de ce Voyage, M. de Humboldt, a placée à la tête de cette traduction, offre des rapprochemens trèspiquans entre des climats si divergens par leur latitude. Sans être déchiré par les feux souterrains, sans offrir une végétation dont l’aspect diffère essentiellement de celui du paysage sous la zône tempérée, la grande Péninsule scandinave présente dans son extrémité boréale une réunion de phénomènes propres à frapper notre imagination par des impressions nouvelles et contrastées. A la longue nuit d’un hiver dont la température moyenne descend à dix-huit degrés au-dessous du point de congellation, succède un été pendant lequel, même par le soixante et dixième degré de latitude, le thermomètre s’élève souvent à l’ombre jusqu’à vingt-six ou vingt-sept degrés. Cette ceinture de glaces éternelles qui, sous la zône torride, se soutient à la hauteur de la cime du Mont-Blanc, atteint sur les côtés du Finmark des collines à peine cinq ou six fois plus élevées que les clochers de nos grandes cités. Cependant malgré le peu d’espace que, sur les Alpes voisines du pôle, les frimats laissent un développement des êtres organisés, la plupart de ceux qui sont propres à cette région, atteignent un haut degré de vigueur et de force.... Après un long sommeil d’hiver, les arbres à feuilles hérbacées, stimulés par les rayons solaires, exhalent sans interruption, et pourtant sans épuiser leurs forces vitales, un air éminamment pur.... L’effet de l’obliquité des rayons du soleil est compensé par la longue durée du jour; et sous le cercle polaire, près de la limite des neiges perpétuelles, comme dans les forêts humides de l’Orénoque, l’air est rempli d’insectes malfaisans. Cependant tous ces phénomènes de la vie organique sont restreints à un court espace de temps.... L’existence des plantes qui embellissent la terre est comme bornée à l’existence d’un jour qui les voit naître et périr.... Au spectacle de ces changemens rapides dans le monde physique se joignent des phénomènes d’un intérét moral. L’extrémité de l’Europe est habitée par une race d’hommes essentiellement différente de celle qu’on trouve depuis le Caucase jusqu’aux colonnes d’Hercule, depuis le golfe de Bothnie jusqu’au sud du Péloponèse. Les peuples d’origine barbare, slave, cimbrique, si différens dans leurs mœurs et leur langage, appartiennent à cette grande portion de l’espèce humaine qu’assez improprement on appelle la race du Caucase. Les traits qui caractérisent cette race paraissent effacés dans les Lapons de l’Europe, les Esquimaux de l’Amérique et les Samoyèdes de l’Asie qui approchent sous quelques rapports de la race mongole.... La moitié de l’Afrique réunit deux races également exposées à l’influence d’un climat brîlant, les Maures et les Nègres: de même l’extrémité de l’Europe offre à côté les uns des autres les Finois agriculteurs et les Lapons nomades uniquement adonnés à la vie pastorale. Malgré l’énorme différence dans la constitution physique de ces peuples, on ne saurait cependant révoquer en doute que le dialecte de la race trapue dérive de la même source que ceux des Finois et des Estoniens. L’analyse de ces langues désignées sous la dénomination générale de langue schoude ne s’arrête pas là où commence la dissemblance des traits physionomiques: il y a plus encore, une des belles races d’hommes qui habité l’Europe tempérée, les Madjars ou Hongrois offrent dans leur idiôme plusieurs rapports frappans avec le dialecte schoude des Lapons. Dans ce flux et reflux des peuples qui se sont subjugués mutuellement en Asie et en Europe, l’empire des langues s’est étendu par celui des armes et des lois.... Parmi les impressions diverses que fait naître le tableau des régions septentrionales aucune n’est plus douce que cet aspect d’une prospérité croissante, de ce perfectionnement dans les institutions sociales, de cet adoucissement dans les mœurs, et de cette culture de l’esprit dont l’influence s’étend aujourd’hui aussi loin que le continent de l’Europe. Un demi-siècle ne s’est point encore écoulé depuis l’époque où l’on forma à Drontheim un établissement pour les missionnaires de Laponie, comme l’Espagne et le Portugal en ont depuis longtemps pour les tribus sauvages de l’Amérique: l’état des Lapons même a éprouvé peu de changemens, mais la civilisation a pénétré vers les côtes à travers ces peuples grossiers et agrestes: M. de Buch nous apprend qu’à Rebrog, quatre degrés au-delà du cercle polaire, on trouve Corneille et Racine, et les chef-d’œuvres des poésies danoises. Heureux privilége du génie qui, à travers les siècles et la différence des langues, fait entendre sa voix jusqu’aux confins du monde habité! Mais dans l’étude des peuples, comme dans la vie de l’homme, une pensée attristante se mêle presque toujours à nos jouissances les plus douces. Lorsque nous embrassous d’un coupd’œil la Baltique et la Méditerranée, qu’on peut considérer comme deux bassins de mer intérieurs, nous voyons, pendant la splendeur de l’empire romain, le nord de l’Europe, au-delà du Rhin et du Danube, plongé dans la barbarie, tandis que l’Egypte, la Cyrénaïque et la Mauritanie offrent des cités opulentes où brillent tous les arts de la Grèce et de l’Italie. Aujourd’hui ces mêmes contrées de l’Afrique envahies par des hordes belligérantes sont replongées dans l’ignorance et la servitude: révolution funeste qui semblerait prouver, si d’autres faits historiques ne s’opposaient pas à cette doctrine, que depuis des milliers d’années l’étude de la civilisation est restée la même sur le globe.