Fragment d’un ouvrage ayant pour titre: Essais politiques sur le Mexique; par M. Humbolt . Cet important ouvrage, actuellement sous presse, ne paroîtra guères que dans trois mois. Nous nous hâtons de publier ce fragment, dans lequel M. Humbolt a résolu de la manière la plus satisfaisante deux grandes questions relatives à la fièvre jaune, celle de son origine et celle de sa contagion. Note du Rédacteur . Premier morceau. Il nous reste à parler, à la fin de ce chapitre, de l’épidémie qui règne sur les côtes orientales de la Nouvelle-Espagne, et qui, pendant une grande partie de l’année, met des entraves non-seulement au commerce avec l’Europe, mais encore aux communications intérieures entre le littoral et le plateau d’Anahuac. Le port de la Vera-Cruz est considéré comme le siége principal de la fièvre jaune (vomito prieto ou negro). Des milliers d’Européens, abordant aux côtes du Mexique à l’époque des grandes chaleurs, périssent victimes de cette cruelle épidémie. Quelques vaisseaux aiment mieux arriver à la Vera-Cruz à l’entrée de l’hiver, lorsque les tempêtes de los nortes commencent à sévir, que de s’exposer à perdre, en été, la majeure partie de leur équipage par les effets du vomito, et à subir, à leur retour en Europe, une longue quarantaine. Ces circonstances ont souvent une influence sensible sur l’approvisionnement du Mexique et sur le prix des marchandises. Le fléau de la fièvre jaune a des suites plus graves encore pour le commerce intérieur: les mines manquent de fer, d’acier et de mercure, lorsque les communications sont interrompues entre Xalapa et la Vera-Cruz. Nous avous vu plus haut que le commerce de province à province se fait par des caravanes de mulets: or, les muletiers, de même que les négocians qui habitent les régions froides et tempérées de l’intérieur de la Nouvelle- Espagne, craignent de descendre vers les côtes, aussi long-temps que le vomito règne à la Vera-Cruz. A mesure que le commerce de ce port est devenu plus considérable, et que le Mexique a senti le besoin d’une communication plus active avec l’Europe, les désavantages qui naissent de l’insalubrité de l’air du littoral se sont aussi fait sentir plus gravement. L’épidémie qui a régné en 1801 et 1802, a fait naître une question politique qui n’avoit pas été agitée avec la même vivacité en 1762, ou à des époques antérieures, lorsque la fievre jaune faisoit des ravages encore plus effrayans. Des mémoires ont été présentés au gouvernement, pour discuter le problême s’il valoit mieux raser la ville de la Vera-Cruz et forcer les habitans de s’établir à Xalapa ou sur quelqu’autre point de la Cordillère, ou bien tenter de nouveaux moyens pour assainir le port. Ce dernier parti paroîtroit préférable, les fortifications ayant coûté plus de cinquante millions de piastres, et le port, quelque mauvais qu’il soit, étant le seul qui, sur les côtes orientales, puisse offrir quelque abri aux vaisseaux de guerre. Deux partis se sont formés dans le pays, dont l’un désire la destruction, l’autre l’agrandissement de la Vera-Cruz. Quoique le gouvernement ait paru pencher pendant quelque tems pour le premier de ces partis, il est probable que ce grand procès, dans lequel il s’agit de la propriété de seize mille individus et de la fortune d’un grand nombre de familles puissantes par leur richesse, sera tour-à-tour suspendu et renouvelé, sans être jamais terminé. A mon passage par la Vera-Cruz, je vis le cabildo entreprendre la construction d’un nouveau théâtre, tandis qu’à Mexico l’assesseur du vice-roi composoit un long informe pour prouver la nécessité de détruire la ville, comme le foyer d’un mal pestilentiel. Nous venons de voir qu’à la Nouvelle-Espagne, comme aux Etats-unis, la fièvre jaune n’attaque pas seulement la santé des habitans, mais qu’elle mine aussi leur fortune, soit par la stagnation qu’elle cause dans le commerce intérieur, soit par les entraves qu’elle met à l’échange des productions avec l’étranger. Il en résulte que tout ce qui a rapport à ce fléau, intéresse l’homme d’état autant que le physicien observateur. L’insalubrité des côtes, qui gêne le commerce, facilite d’ailleurs la défense militaire du pays contre l’invasion d’un ennemi européen; et pour compléter le tableau politique de la Nouvelle-Espagne, il nous reste à examiner la nature du mal qui rend le séjour de la Vera-Cruz si redoutable aux habitans des régions froides et tempérées. Je n’entrerai point ici dans les détails d’une description nosographique du vomito prieto: un grand nombre d’observations que j’ai recueillies pendant mon séjour dans les deux hémisphères, est réservé pour la relation historique de mon voyage; je me bornerai ici à indiquer les faits les plus marquans, en distinguant avec soin les résultats incontestables de l’observation, de tout ce qui tient au domaine des conjectures physiologiques. Le typhus que les Espagnols désignent par le nom de vomissement noir (vomito prieto), règne depuis très-long-tems entre l’embouchure du Rio Antigua et le port actuel de la Vera-Cruz. L’abbé Clavigero et d’autres écrivains affirment que cette maladie s’est montrée la première fois en 1725. Nous ignorons sur quoi se fonde une assertion si contraire aux traditions conservées parmi les habitans de la Vera-Cruz: aucun document ancien ne nous instruit de la première apparition de ce fléau; car dans toute la partie chaude de l’Amérique équinoxiale, où abondent les termites et d’autres insectes destructeurs, il est infiniment rare de trouver des pièces qui datent de cinquante ou soixante ans. On croit d’ailleurs à Mexico, comme à la Vera-Cruz, que l’ancienne ville, qui n’est plus qu’un village connu sous le nom de la Antigua, a été abandonnée à la fin du seizième siècle , à cause des maladies qui y moissonnoient déjà les Européens. Storia di Messico, t. 1, p. 117. Voy. Essais polit. sur l’Amér., chap. VIII, p 277. Long-tems avant l’arrivée de Cortez, il a régné presque périodiquement à la Nouvelle-Espagne un mal épidémique que les naturels appellent matlazahuatl, et que quelques auteurs ont confondu avec le vomito ou la fièvre jaune. Cette peste est probablement la même que celle qui, dans le onzième siècle, força les Toltèques à continuer leur migration vers le sud: elle fit de grands ravages parmi les Mexicains en 1545, 1576, 1736, 1737, 1761 et 1762; mais, comme nous l’avons déjà indiqué plus haut , elle offrit deux caractères par lesquels elle se distingue essentiellement du vomito de la Vera-Cruz: elle attaqua presque uniquement les indigènes ou la race cuivrée, et elle sévit dans l’intérieur du pays, sur le plateau central, à douze ou treize cents toises de hauteur au-dessus du niveau de la mer. Il est vrai que les Indiens de la vallée de Mexico, qui en 1761 périrent par milliers, victimes du matlazahuatl, vomissoient du sang par le nez et par la bouche; mais ces hématémèses se présentent fréquemment sous les tropiques, accompagnant les fièvres ataxiques-bilieuses: on les a également observées dans la maladie épidémique qui, en 1759, a parcouru toute l’Amérique méridionale, depuis Potosi et Oruro jusqu’à Quito et Popayan, et qui, d’après la description incomplette d’Ulloa , étoit un typhus propre aux régions élevées des Cordillères. Les médecins des Etats-Unis, qui adoptent l’opinion que la fièvre jaune a pris son origine dans le pays même, ont cru reconnoître cette maladie dans les pestes qui régnèrent, en 1535 et 1612 , parmi les hommes rouges du Canada et de la Nouvelle-Angleterre. D’après le peu que nous savons du matlazahuatl des Mexicains, on pourroit être porté à croire que, dans les deux Amériques, depuis les tems les plus reculés, la race cuivrée est sujette à une maladie qui, dans ses complications, offre plusieurs rapports avec la fièvre jaune de la Vera-Cruz et de Philadelphie, mais qui en diffère essentiellement par la facilité avec laquelle elle se propage dans une zone froide, où, pendant le jour, le thermomètre se soutient à dix ou douze degrés centigrades. Lettre d’Alzate, dans le Voyage de Chappe, ibid p. 55. Voyez ibid, chap. V, p. 69. Noticias Americanas, p. 200. Stubbins Ffirth on malignant fever, 1804, p. 12. Gookin rapporte le fait remarquable que, dans la peste qui régnoit en 1612 parmi les Pawkunnawhutts, près de New-Plymouth , les Indiens malades avoient la peau teinte en jaune. Il est certain que le vomito, qui est endémique à la Vera Cruz, à Carthagène des Indes et à la Havane, est la même maladie que la fièvre jaune qui, depuis l’année 1793, n’a pas cessé d’accabler les habitans des Etats-Unis. Cette identité, contre laquelle en Europe un très-petit nombre de médecins ont élevé des doutes , est généralement reconnue et par les hommes de l’art qui ont visité à la fois l’île de Cuba, la Vera-Cruz et les côtes des Etats-Unis, et par ceux qui ont étudié avec soin les excellentes descriptions nosologiques de MM. Makittrick, Rush, Valentin et Luzuriaga. Nous ne déciderons pas si l’on reconnoît la fièvre jaune dans le causus d’Hippocrate, qui est suivi, comme plusieurs fièvres bilieuses rémittentes, d’un vomissement de matières noires; mais nous pensons que la fièvre jaune a été sporadique dans les deux continens, depuis que des hommes nés sous une zone froide se sont exposés, dans les régions basses de la zone torride, à un air infecté par des miasmes. Partout où les causes excitantes et l’irritabilité des organes sont les mêmes, les maladies qui naissent d’un désordre dans les fonctions vitales doivent prendre les mêmes formes. Arejula, de la fiebre amarilla de Cadiz, t. 1, p. 143. On ne sauroit être surpris qu’à une époque où les communications entre l’ancien et le nouveau continent étoient peu multipliées, et où le nombre des Européens qui fréquentoient annuellement les îles Antilles étoit encore très-petit, une fièvre qui n’attaque que les individus non acclimatés, ait si peu fixé l’attention des médecins de l’Europe. Au seizième et au dix-septième siècle, la mortalité devoit être moindre, 1°. parce qu’à cette époque les régions équinoxiales de l’Amérique n’étoient visitées que par des Espagnols et des Portugais, deux peuples de l’Europe australe moins exposés, par leur constitution, à sentir les effets funestes d’un climat excessivement chaud, que les Anglais, les Danois et d’autres habitans de l’Europe boréale qui fréquentent aujourd’hui les îles Antilles; 2°. parce qu’à l’île de Cuba, à la Jamaïque et à Haïty, les premiers colons n’étoient point réunis dans des villes aussi populeuses que celles qu’on a construites depuis; 3°. parce que, lors de la découverte de l’Amérique continentale, les Espagnols étoient moins attirés par le commerce vers le littoral, qui est généralement chaud et humide, et qu’ils se fixoient de préférence dans l’intérieur des terres sur des plateaux élevés où ils trouvoient une température analogue à celle de leur pays natal. En effet, au commencement de la conquête, les ports de Panama et de Nombre de Dios étoient les seuls où, à de certaines époques de l’année, il y eut un grand concours d’étrangers: mais aussi, dès 1535, le séjour de Panama étoit redouté par les Européens, comme l’est de notre tems le séjour de la Vera-Cruz, d’Omoa ou de Portocabello. On ne sauroit nier, d’après les faits rapportés par Sydenham et d’autres excellens observateurs, que, sous de certaines circonstances, il ne puisse se développer des germes de nouvelles maladies; mais rien ne prouve que la fièvre jaune n’a pas existé depuis plusieurs siècles dans les régions équinoxiales. Il ne faut pas confondre l’époque à laquelle une maladie a été décrite pour la première fois, parce qu’elle a fait de grands ravages dans un court espace de tems, avec l’époque de sa première apparition. Nombre de Dios, situé à l’est de Portobelo, fut abandonné en 1584. Pedro de Cieça, c. 2, p. 5. Voyez, sur une affection du larynx qui règne épidémiquement à Otahiti depuis l’arrivée d’un vaisseau espagnol, Vancouver, t. 1, p. 175. La plus ancienne description de la fièvre jaune est celle du médecin portugais Jean Ferreyra de Rosa : il observa l’épidémie qui régna à Olinda, au Brésil, depuis 1687 jusqu’en 1694, peu de tems après qu’une armée portugaise eût fait la conquête de Fernambuco. Nous savons de même avec certitude que, l’année 1691, la fièvre jaune se manifesta à l’île de la Barbade, où on la désigna sous le nom de fièvre de kendal, sans qu’il soit aucunement prouvé que cette maladie y fut apportée par des vaisseaux venant de Fernambuco. Ulloa , en parlant des chapetenodas ou fièvres auxquelles les Européens sont exposés à leur arrivée aux Indes-Occidentales, rapporte que, d’après l’opinion des gens du pays, le vomito prieto étoit inconnu à Sainte-Marthe et à Carthagène avant 1729 et 1730, à Guayaquil avant 1740. La première épidémie de Sainte-Marthe fut décrite par un médecin espagnol, Juan Josef de Gastelbondo . Depuis cette époque, la fièvre jaune a régné à plusieurs reprises hors des Antilles et de l’Amérique espagnole au Sénégal, aux Etats-Unis , à Malaga, à Cadix , à Livourne, et, d’après l’excellent ouvrage de Cleghorn, même à l’île de Minorque . Nous avons cru devoir rapporter ces faits, dont plusieurs ne sont pas assez généralement connus, parce qu’ils répandent quelques lumières sur la nature et sur la cause de cette cruelle maladie. D’ailleurs l’opinion que les épidémies, qui, depuis 1793, ont désolé presque tous les ans l’Amérique septentrionale, diffèrent essentiellement de celles qui se sont manifestées depuis des siècles à la Vera-Cruz; et que la fièvre jaune a été importée des côtes d’Afrique à la Grenade, et de là à Philadelphie, est tout aussi dénuée de fondement que l’hypothèse très-accréditée jadis, qu’une escadre venant de Siam a introduit le vomito en Amérique . Trattado da constituiçao pestilencial de Pernambuco, per Joam Ferreyra da Rosa, em Lisboa, 1694. Voyage, t. I, p. 41 et 149. Luzuriaga, de la celentura biliosa, t. 1, p. 7. En 1741, 1747, 1762. A Cadix, en 1731, 1733, 1734, 1744, 1746, 1764; à Malaga, en 1741. De 1644-1749. (Tommasini sulla febbre di Livorno del 1804, p. 65). Labat, voyage aux Iles, t. 1, p. 73. Sur la peste de Boullam en Afrique, voyez Chisholm, on pestilential fever, p. 61; et Miller, histoire de la fièvre de New-Yorck, p. 61; Volney, tableau du sol de l’Amérique, t. II, p. 334. Sous tous les climats, les hommes croient trouver quelque consolation dans l’idée qu’une maladie que l’on regarde comme pestilentielle, est d’une origine étrangère. Comme des fièvres malignes naissent facilement parmi un équipage nombreux, entassé dans des vaisseaux mal-propres, le commencement d’une épidémie date assez souvent de l’arrivée d’une escadre: alors, au lieu d’attribuer le mal ou à l’air vicié que renferment des vaisseaux privés de ventilation, ou à l’effet d’un climat ardent et malsain sur des matelots nouvellement débarqués, on affirme qu’il a été importé d’un port voisin dans lequel l’escadre ou le convoi a touché pendant sa navigation d’Europe en Amérique. C’est ainsi que l’on entend souvent dire à Mexico que le vaisseau de guerre qui a conduit tel ou tel vice-roi à la Vera-Cruz, a introduit la fièvre jaune qui avoit cessé de régner depuis plusieurs années; c’est ainsi que, pendant la saison des grandes chaleurs, la Havane, la Vera-Cruz et les ports des Etats-Unis s’accusent mutuellement de recevoir l’un de l’autre le germe de la contagion. Il en est de la fièvre jaune comme du typhus mortel connu sous le nom de peste d’Orient, que les habitans de l’Egypte attribuent à l’arrivée des vaisseaux grecs, tandis qu’en Grèce et à Constantinople on regarde cette même peste comme venant de Rosette ou d’Alexandrie . Pugnet, sur les fièvres du Levant et des Antilles, p. 97 et 331. Pringle, Liud, et d’autres médecins distingués considèrent nos affections bilieuses estivales et automnales, comme le premier degré de la fièvre jaune. Une foible analogie se manifeste aussi dans les fièvres pernicieuses intermittentes qui règnent en Italie, et qui ont été décrites par Lancisi, Torti, et récemment par le célèbre Franck dans son Traité de nosographie générale. On affirme avoir vu de tems en tems, dans la Campagne de Rome, des individus mourir avec presque tous les signes pathognomoniques de la fièvre jaune, l’ictère, le vomissement et les hémorrhagies. Malgré ces rapports, qui ne sont pas accidentels, on peut regarder la fièvre jaune, par-tout où elle prend le caractère d’une maladie épidémique, comme un typhus sui generis qui participe à la fois des fièvres gastriques et des fièvres ataxo-adynamiques . Nous distinguerons par conséquent les fièvres stationnaires bilieuses et les fièvres pernicieuses intermittentes qui règnent sur les bords de l’Orénoque, sur la côte qui s’étend de Cumana au cap Codera, dans la vallée du Rio de la Magdalena, à Acapulco et dans un grand nombre d’autres endroits humides et malsains que nous avons visités, du vomito prieto ou de la fievre jaune qui exerce ses ravages aux Antilles, à la Nouvelle-Orléans et à la Vera-Cruz. Lind, sur les maladies des Européens dans les pays chauds, p. 14. Berthe, précis historique de la maladie qui a régné en Andalousie en 1800, p. 17. Petrus Franck, de curandis hominum morbis, t. I, p. 150. L’analogie qu’on observe entre le cholera morbus, la fièvre bilieuse et la fièvre gastro-adynamique, a été indiquée avec beaucoup de sagacité dans le bel ouvrage de M. Pinel, Nosographie philosophique, 3e. édition, t I, p. 46 et 55. Nosographie, t. I, p. 139-152 et p. 209 M. Franck désigne la fièvre jaune sous le nom de febris gastrico-nervosa. Le vomito prieto ne s’est point montré jusqu’ici sur les côtes occidentales de la Nouvelle-Espagne. Les habitans du littoral qui s’étend depuis l’embouchure du Rio Papagallo, par Zacatula et Colima, jusqu’à San Blas, sont sujets à des fièvres gastriques, qui dégénèrent souvent en fièvres adynamiques; et l’on pourroit dire qu’une constitution bilieuse règne presque continuellement dans ces plaines arides et brûlantes, mais entrecoupées de petites mares d’eau qui servent de repaires aux crocodiles . Crocodilus acutus. Cuv. A Acapulco, les fièvres bilieuses et le cholera morbus sont assez fréquens, et les Mexicains qui descendent du plateau pour faire des achats de marchandises lors de l’arrivée du galion, n’en sont que trop souvent les victimes. Nous avons dépeint plus haut la position de cette ville, dont les malheureux habitans, tourmentés par des tremblemens de terre et des ouragans, respirent un air embrâsé, rempli d’insectes et vicié par des émanations putrides. Pendant une grande partie de l’année, ils n’apperçoivent le soleil qu’à travers une couche de vapeurs d’une teinte olivâtre, et qui n’affectent point l’hygromètre placé dans les basses régions de l’atmosphère. En comparant les plans des deux ports, que j’ai donnés dans mon atlas de la Nouvelle-Espagne, on devine facilement que la chaleur doit être encore plus accablante, l’air plus stagnant, l’existence de l’homme plus pénible à Acapulco qu’à la Vera-Cruz. Dans le premier de ces deux endroits, de même qu’à la Guayra et à Sainte-Croix de Ténériffe, les maisons sont appliquées contre un mur de rocher qui échauffe l’air par réverbération. Le bassin du port est tellement entouré de montagnes, que pour donner, pendant les ardeurs de l’été, quelque accès au vent de mer, le colonel Don Josef Barreiro, castellano ou gouverneur du château d’Acapulco, a fait pratiquer au nord-ouest une coupure de montagne. Cet ouvrage hardi, que l’on désigne dans le pays sous le nom de la Abra de San Nicolas, n’a pas été sans utilité. Obligé, pendant mon séjour à Acapulco, de passer plusieurs nuits en plein air pour faire des observations astronomiques, j’ai senti constamment, deux ou trois heures avant le lever du soleil, lorsque la température de la mer étoit très-différente de celle du continent, un petit courant d’air qui s’établissoit par la brèche de San Nicolas. Ce courant est d’autant plus salutaire, que l’atmosphère d’Acapulco est empestée par les miasmes qui s’élèvent d’une mare appelée la cienega del castillo, située à l’est de la ville. Les eaux croupissantes de cette mare disparoissent tous les ans; ce qui fait périr une innombrable quantité de petits poissons thorachiques, à peau mucilagineuse, que les Indiens désignent sous le nom de popoyote ou d’axolotl , quoique le véritable axolotl des lacs de Mexico (Siren pisciformis, de Shaw) en différe essentiellement, et ne soit, d’après M. Cuvier, que la larve d’une grande salamandre. Ces poissons, qui pourrissent par monceau, répandent dans l’air voisin des émanations que l’on considère avec raison comme la cause principale des fièvres bilioso- putrides qui règnent sur cette côte. Entre la ville et la cienega, sont placés des fours à chaux dans lesquels on calcine de grandes masses de madrépores retirés de la mer. Malgré les théories spécieuses de M. Mitchill sur l’oxide d’azote, Acapulco est un des endroits les plus malsains du nouveau continent. Peut-être même si ce port, au lieu d’être fréquenté par des bâtimens de Manille, de Guayaquil et d’autres endroits situés sous la zone torride, recevoit des bâtimens du Chili et de la côte nord-ouest de l’Amérique, et si la ville étoit visitée à-la-fois par un plus grand nombre d’Européens, ou d’habitans du plateau mexicain, les fièvres bilieuses y dégénéreroient bientôt en fièvre jaune, et le germe de cette dernière maladie se développeroit à Acapulco d’une manière encore plus funeste qu’à la Vera-Cruz. Pl. IX et XVIII. L’axolotl d’Acapulco n’a de commun avec celui de le vallée de Mexico que sa couleur. C’est un poisson écailleux, à deux nageoires dorsales, d’un brun olivâtre, parsemé de petites taches jaunes et bleues. D’après cet auteur, l’oxide d’azote, regardé comme la cause des fièvres malignes et des fièvres intermittentes, est absorbé par la chaux; et, par cette raison, les parties les plus saines de la France, de l’Angleterre et de la Sicile sont calcaires (American medical Repos., vol. II, p. 46). L’influence des roches sur le grand océan aérien et sur la constitution physique de l’homme rappelle les rêves de l’abbé Giraud Soulavie, d’aprés lequel «les basaltes et les amygdaloïdes augmentent la charge électrique de l’atmosphère, et influent sur le moral des habitans, en les rendant légers, révolutionnaires et enclins à abandonner la religion de leurs ancêtres». Quelque idée que l’on se forme des miasmes qui causent l’insalubrité de l’air, il paroît peu probable, d’après l’état actuel de nos connoissances chimiques, que des combinaisons ternaires ou quaternaires de phosphore, d’hydrogène, d’azote et de soufre, puissent être absorbées par la chaux, et sur-tout par le carbonate de chaux. Telle a été cependant l’influence politique des théories de M. Mitchill, dans un pays où l’on admire avec raison la sagesse des magistrats, que me trouvant en quarantaine dans le Delaware, en arrivant des Antilles à Philadelphie, j’ai vu des officiers du comité de santé faire peindre gravement, avec de l’eau de chaux, l’ouverture de l’écoutille, afin que le septon, ou miasme de la fièvre jaune de la Havane, que l’on supposoit exister dans notre bâtiment, vînt se fixer sur une bande de chaux de trois décimètres de largeur. Doit-on être surpris que nos matelots espagnols crussent reconnoitre quelque chose de magique dans ce prétendu moyen de désinfection? Sur les côtes orientales du Mexique, les vents du nord rafraîchissent l’air de manière que le thermomètre baisse jusqu’à 17° centigrades. A la fin du mois de février, je l’ai vu se soutenir des journées entières au-dessous de 21°; tandis qu’à la même époque, l’air étant calme, il est à Acapulco à 28° ou 30°. La latitude de ce dernier port est de 3° plus méridionale que celle de la Vera-Cruz: les hautes Cordillères du Mexique le mettent à l’abri des courans d’air froid qui refluent du Canada vers les côtes de Tabasco. La température de l’air se soutient en été, pendant le jour, presque constamment entre 30° et 36° du thermomètre centigrade. J’ai observé que, sur toutes les côtes, la température de la mer a une grande influence sur celle du continent voisin. Or, la chaleur de la mer ne varie pas seulement selon la latitude, mais aussi selon le nombre des bas-fonds et la rapidité des courans qui amènent des eaux de différens climats. Sur les côtes du Pérou, sous les 8° et 12° de latitude australe, j’ai trouvé la température de la mer du Sud, à sa surface, de 15° à 16° centigrades; tandis que, hors du courant qui porte avec force du détroi: de Magellan vers le cap Parina, le grand Océan équinoxial a une température de 25° à 26°: aussi le thermomètre a baissé à Lima, en 1801, aux mois de juillet et d’août, à 13°,5, et les orangers y viennent à peine. De même, dans le port de la Vera-Cruz, j’ai observé que la chaleur de la mer, en février 1804, n’étoit que de 20° à 22°, tandis que, dans les atterrages d’Acapulco, je l’avois trouvée, en mars 1803, de 28° à 29° . La réunion de ces circonstances augmente l’ardeur du climat sur les côtes occidentales: les chaleurs sont moins interrompues à Acapulco qu’à la Vera-Cruz, et il est à croire que, si jamais la fièvre jaune commence à régner dans le premier de ces ports, elle y durera pendant toute l’année, comme à l’île de la Trinité, à Sainte-Lucie, à la Guayra, et par-tout où les températures moyennes des différens mois ne varient que de 2° à 3°. Voyez mon recueil d’observations astronomiques, t. 1, p. 317 (n. 256 et 259). Les différences des températures moyennes du mois le plus froid et du mois le plus chaud sont, en Suède, sous les 63°,50′ de latitude, de 28°,5; en Allemagne, sous les 50°,5′ de latitude, de 23°,2; en France, sous les 48°,50′ de latitude, de 21°,4′; en Italie, sous les 41°,54′ de latitude, de 20°,6; et dans l'Amérique méridionale, sous les 10°,27' de latitude, de 2°,7. Voyez mes tableaux comparatifs dans les additions à la chimie de Thomson (traduction de M. Riffault), t.1.p.106. La suite au prochain cahier. Fragment d’un ouvrage ayant pour titre: Essais politiques sur le Mexique; par M. Humbolt. Deuxième morceau . Voyez le premier morceau, page 210 du cahier précédent. Dans les régions basses du Mexique, comme en Europe, la suppression subite de la transpiration est une des principales causes occasionnelles des fièvres gastriques ou bilieuses, sur-tout du cholera morbus, qui s’annonce par des symptômes si effrayans. Le climat d’Acapulco, dont la température est uniforme dans les différentes parties de l’année, donne lieu à ces suppressions de transpiration, par la fraîcheur extraordinaire qui règne quelques heures avant le lever du soleil. Sur ces côtes, les personnes non acclimatées courent de grands risques, lorsque, peu vêtues, elles voyagent la nuit, ou qu’elles dorment à l’air libre. A Cumana, et dans d’autres endroits de l’Amérique équinoxiale, la température de l’air ne diminue, vers le lever du soleil, que de 1° ou 2° centigrades: le jour, le thermomètre y est à 28° ou 29°, et la nuit à 23° ou 24°. A Acapulco, j’ai trouvé la chaleur de l’air, le jour, à 29° ou 30°: pendant la nuit, elle se soutint à 26°; mais, depuis trois heures du matin jusques vers le lever du soleil, elle diminua brusquement jusqu’à 17° ou 18°. Ce changement fait la plus vive impression sur les organes. Nulle part ailleurs, sous les tropiques, je n’ai senti une si grande fraîcheur pendant la dernière partie de la nuit: on croit passer subitement de l’été à l’automne; et à peine le soleil estil levé, qu’on commence déjà à se plaindre de la chaleur. Dans un climat où la santé dépend principalement des fonctions de la peau, et où les organes sont affectés des moindres changemens de température , un refroidissement de l’air de 10° à 12° cause des suppressions de transpiration très-dangereuses pour les Européens non acclimatés. La température de l’air à Guayaquil se maintient si uniformément entre 29° et 32° centigrades, que les habitans se plaignent du froid lorsque le thermomètre baisse subitement jusqu’à 23° ou 24°. Ces phénomènes sont trèsremarquables en les considérant sous un point de vue physiologique: ils prouvent que l’excitabilité des organes augmente par l’uniformité et l’action prolongée des stimulus habituels. On a affirmé à tort que le vomito n’avoit jamais régné dans aucune partie de l’hémisphère austral, et l’on a cherché la cause de ce phénomène dans le froid que l’on croit propre à cet hémisphère. J’aurai occasion de faire voir, dans un autre endroit, combien on a exagéré les différences de température des pays situés au nord et au sud de l’équateur. La partie tempérée de l’Amérique méridionale a le climat d’une presqu’île qui se rétrécit vers le sud: les étés y sont moins chauds et les hivers moins rudes que dans les pays qui, sous la même latitude, dans l’hémisphère boréal , s’élargissent vers le nord. La température moyenne de Buenos-Ayres ne diffère guère de celle de Cadix, et l’influence des glaces, dont l’accumulation est sans doute plus grande au pôle austral qu’au pôle boréal, ne se fait presque pas sentir au-dessous des 48° de latitude sud. Nous avons vu plus haut que c’est justement dans l’hémisphère austral, à Olinda, au Brésil, que la fièvre jaune a sévi, pour la première fois, sur un grand nombre d’Européens. La même maladie a régné à Guayaquil, en 1740, et, dans les premières années de ce siècle, à Montevideo, port d’ailleurs si célèbre par la salubrité de son climat. Voyez Essai polit. sur le Mexique, chap. 8, p. 349. Depuis une cinquantaine d’années, le vomito ne s’est manifesté presque sur aucun point des côtes du Grand-Océan, à l’exception de la ville de Panama. Dans ce dernier port, comme au Callao , le commencement des grandes épidémies est le plus souvent marqué par l’arrivée de quelques bâtimens venant du Chili; non que ce pays, un des plus heureux et des plus sains de la terre, puisse transmettre un mal qui n’y existe point, mais parce que ses habitans, transplantés dans la zone torride, éprouvent, avec la même force que les habitans du nord, les effets funestes d’un air excessivement chaud et vicié par le mélange d’émanations putrides. La ville de Panama est située sur une langue de terre aride et dénuée de végétation; mais la marée, lorsqu’elle descend, laisse à découvert, bien avant dans la baie, une grande étendue de terrain couverte de fucus, d’ulves et de méduses. Ces amas de plantes marines et de mollusques gélatineux restent sur la plage, exposés à l’ardeur du soleil. L’air est infecté par la décomposition de tant de substances organiques; et des miasmes qui n’affectent presque pas les organes des indigènes, agissent puissamment sur des individus nés dans les régions froides de l’Europe, ou dans celles des deux Amériques. Leblond, Observations sur la fièvre jaune, p. 204. Les causes de l’insalubrité de l’air sont très-différentes des deux côtés de l’isthme. A Panama, où le vomito est endémique, et où les marées sont trèsfortes, on regarde la plage comme le foyer de l’infection. A Portobelo, où règnent des fièvres bilieuses rémittentes, et où les marées sont à peine sensibles, les émanations putrides naissent de la force de la végétation même. Il y a peu d’années encore que les forêts qui couvrent l’intérieur de l’isthme, s’étendoient jusqu’aux portes de la ville, et que les singes entroient par bandes dans les jardins de Portobelo, pour y recueillir des fruits. La salubrité de l’air a augmenté considérablement, depuis qu’un excellent administrateur, le gouverneur Don Vicente Emparan, a fait abattre les bois d’alentour. La position de la Vera-Cruz a plus d’analogie avec celles de Panama et de Carthagène des Indes, qu’avec les positions de Portobelo et d’Omoa. Les forêts qui couvrent la pente orientale de la Cordillère, s’étendent à peine jusqu’à la ferme de l’Encero: là commence un bois moins touffu, composé de Mimosa cornigera, de Varronia et de Capparis Breynia, et se perdant progressivement à cinq ou six lieues de distance des côtes de la mer. Les environs de la Vera- Cruz sont d’une aridité affreuse: en arrivant par le chemin de Xalapa, on trouve, près de la Antigua, quelques pieds de cocotiers qui ornent les jardins de ce village; ce sont les derniers grands arbres que l’on découvre dans le désert. L’excessive chaleur qui régne à la Vera-Cruz est augmentée par les collines de sables mouvans (meganos) qui sont formées par l’impétuosité des vents du nord, et qui entourent la ville du côté du sud et du sud-ouest. Ces dunes, de forme conique, ont jusqu’à quinze mètres de hauteur: fortement échauffées en raison de leur masse, elles conservent, pendant la nuit, la température qu’elles ont acquise pendant le jour. C’est par une accumulation progressive de chaleur, que le thermomètre centigrade, plongé dans le sable au mois de juillet, s’élève à 48° ou 50°, tandis que le même instrument, à l’air libre et à l’ombre, se soutient à 30°. Les meganos peuvent être considérés comme autant de fours qui chauffent l’air ambiant: ils n’agissent pas seulement parce qu’ils rayonnent du calorique dans tous les sens, mais aussi parce qu’ils empêchent, par leur agroupement, la libre circulation de l’air. La même cause qui les a fait naître les détruit facilement: des dunes changent de place tous les ans, comme on le remarque sur-tout dans la partie du désert appelée Meganos de Cathalina, Meganos del Coyle et Ventorillos. Mais malheureusement pour ceux des habitans de la Vera-Cruz qui ne sont point acclimatés, les plaines sablonneuses dont la ville est environnée, loin d’être entièrement arides, sont entrecoupées de terrains marécageux, dans lesquels se réunissent les eaux de pluie qui s’infiltrent à travers les dunes. Ces réservoirs d’eaux bourbeuses et dormantes sont considérés, par MM. Comoto, Ximenez, Mocino, et par d’autres médecins instruits qui ont examiné avant moi les causes de l’insalubrité de la Vera-Cruz, comme autant de foyers d’infection. Je ne nommerai ici que les mares connues sous le nom de la Cienega-Boticaria, derrière le magasin à poudre, la Laguna de la Hormiga, l’Espartal, la Cienega de Arjona, et le marécage de la Tembladera, situé entre le chemin du Rebenton et les Callejones de Aguas-Largas. Au pied des dunes, on ne trouve que de petits arbustes de Croton et de Desmanthus, l’Euphorbia tithymaloïdes, le Capraria biflora, le Jatropha à feuilles de cotonnier, et des Ipomœa dont la tige et les fleurs sortent à peine du sable aride qui les couvre: partout où ce sable est baigné par l’eau des mares qui débordent dans la saison des pluies, la végétation devient plus vigoureuse. Le Rhizophora mangle, le Coccoloba, des Pothos, des Arum et d’autres plantes qui se plaisent dans un sol humide et chargé de parties salines, forment des touffes éparses. Ces endroits bas et marécageux sont d’autant plus à craindre, qu’ils ne restent pas constamment couverts d’eau. Une couche de feuilles mortes, entremêlée de fruits, de racines, de larves d’insectes aquatiques, et d’autres débris de matières animales, entre en fermentation, à mesure qu’elle est échauffée par les rayons d’un soleil brûlant. J’exposerai dans un autre endroit les expériences que j’ai faites pendant mon séjour à Cumana, sur l’action que les racines du manglier exercent sur l’air ambiant, aussi long-tems que, légèrement humectées, elles restent exposées à la lumière: ces expériences répandront quelque jour sur le phénomène remarquable et anciennement observé dans les deux Indes, que de tous les endroits où végètent avec force le mancenillier et le manglier, les plus malsains sont ceux où les racines de ces arbres ne sont pas constamment couvertes d’eau. En général, la putréfaction des matières végétales est d’autant plus à craindre sous les tropiques, que le nombre des plantes astringentes y est très-considérable, et que ces plantes contiennent, dans leur écorce et dans leurs racines beaucoup de matière animale combinée avec du tannin . Vauquelin, sur le tannate de gélatine et d’albumine. Annales du muséum, t. 15, p. 77. S’il existe incontestablement, dans le terrain qui environne la Vera-Cruz, des causes d’insalubrité de l’air, on ne sauroit nier aussi qu’il ne s’en trouve d’autres dans l’enceinte de la ville même. Le population de la Vera Cruz est trop considérable pour la petite étendue de terrain qu’occupe la ville: seize mille habitans sont renfermés dans un espace de 500.000 mètres carrés; car la Vera-Cruz forme un demi-cercle dont le rayon n’a pas six cents mètres. Comme la plupart des maisons n’ont qu’un étage au-dessus du rez-de-chaussée, il en résulte que, parmi le bas peuple, le nombre des personnes qui habitent le même appartement est très-considérable. Les rues sont larges, droites et dirigées, les plus longues, du nord-ouest au sud-est; les moins longues, ou rues transversales, du sud-ouest au nord-est: mais comme la ville est entourée d’une haute muraille, la circulation de l’air est presque nulle. La brise qui souffle foiblement pendant l’été, du sudest et de l’est-sud-est, ne se fait sentir que sur les térasses des maisons, et les habitans, que pendant l’hiver le vent du nord empêche souvent de traverser les rues, respirent, dans la saison des grandes chaleurs, un air stagnant et embrasé. Les étrangers qui fréquentent la Vera-Cruz, ont beaucoup exagéré la malpropreté des habitans. Depuis quelque temps la police a pris des mesures pour maintenir la salubrité de l’air. La Vera-Cruz est déjà moins malpropre que beaucoup de villes de l’Europe australe: mais fréquentée par des milliers d’européens non acclimatés, placée sous un ciel brûlant, entourée de petites mares, dont les émanations infectent l’air environnant, elle ne verra diminuer les suites funestes des épidémies, que lorsque la police aura continué de déployer son activité pendant une longue suite d’années. Thorne, dans l’American med. repos., t 30, p. 46. Luzuriaga, de la calentura biliosa, t. 1, p. 65. [Traduction de l’ouvrage de Benjamin Rush, enrichi des observations de M. Luzuriaga.] On observe, sur les côtes du Mexique, une liaison intime entre la marche des maladies et les variations de la température de l’atmosphère. A la Vera-Cruz, on ne connoît que deux saisons, celle des tempêtes du nord (los nortes), depuis l’équinoxe de l’automne jusqu’à l’équinoxe du printemps; et celle des brises ou vents sud-est (brizas), qui soufflent assez régulièrement depuis mars jusqu’en septembre. Le mois de janvier est le plus froid de l’année, parce qu’il est le plus éloigné des deux époques auxquelles le soleil passe par le zénith de la Vera-Cruz . Le vomito ne commence généralement à sévir dans cette ville, que lorsque la température moyenne des mois atteint les 24° du thermomètre centigrade: en décembre, en janvier et en février, les chaleurs restent au-dessous de cette limite; aussi est-il infiniment rare que la fièvre jaune ne disparoisse pas entièrement dans cette saison, où l’on éprouve souvent un froid assez sensible. Les fortes chaleurs commencent au mois de mars, et avec elles le fléau de l’épidémie. Quoique mai soit plus chaud que septembre et octobre, c’est cependant dans ces deux derniers mois que le vomito fait le plus de ravages; car, dans toutes les épidémies, il faut un certain tems pour que le germe se développe dans toute son énergie; et les pluies, qui durent depuis le mois de juin jusqu’au mois de septembre, influent sans doute aussi sur la production des miasmes qui se forment dans les environs de la Vera-Cruz. Le 16 mai et le 27 juillet. C’est l’entrée et la fin de la saison des pluies que l’on redoute le plus sous les tropiques, parce qu’une trop grande humidité arrête, presque autant qu’une grande sécheresse, les progrès de la putréfaction des substances végétales et animales qui se trouvent accumulées dans les endroits marécageux. Il tombe, à la Vera-Cruz, par an, plus de 1,870 millimètres d’eau de pluie: dans le seul mois de juillet de l’année 1803, un observateur exact, M. de Constanzo, colonel du corps des ingénieurs, en a recueilli plus de 380 millimètres, ce qui n’est qu’un tiers de moins qu’on n’en recueille à Londres pendant une année entière. C’est dans l’évaporation de ces eaux de pluie, qu’il faut chercher la cause pour laquelle le calorique n’est pas plus accumulé dans l’air, au second qu’au premier passage du soleil par le zénith de la Vera-Cruz. Les Européens qui craignent de succomber à l’épidémie du vomito, considèrent comme très-heureuses les années où le vent du nord souffle avec force jusqu’au mois de mars, et où il se fait déjà sentir depuis le mois de septembre. Pour constater l’influence de la température sur les progrès de la fièvre jaune, j’ai examiné avec le plus grand soin, pendant mon séjour à la Vera-Cruz, des tableaux de plus de 21,000 observations, que le capitaine du port, Don Bernardo de Orta, y a faites pendant les quatorze ans qui ont précédé celle de 1803. Les thermomètres de cet infatigable observateur ont été comparés à ceux qui m’ont servi dans le cours de mon expédition. Je présente, dans le tableau suivant, les températures moyennes des mois, déduites des tableaux météorologiques de M. Orta: j’ai ajouté le nombre des malades morts de la fièvre jaune en 1803, à l’hôpital de Saint-Sébastien. J’aurois desiré connoître l’état des autres hôpitaux, sur tout de celui des religieux de Saint-Jean-de-Dieu (San Juan de Dios). Les personnes instruites qui habitent la Vera-Cruz rempliront un jour le cadre que je n’ai fait qu’ébaucher: j’ai indiqué seulement les individus dont le genre de maladie n’est pas resté douteux, à cause des fréquens vomissemens de matières noires. Comme en 1803 le concours des étrangers a été uniforme dans les différentes parties de l’année, le nombre des malades désigne assez bien les progrès de l’épidémie du vomito. Le même tableau présente les variations des climats de Mexico et de Paris , dont la température moyenne contraste singulièrement avec celle des côtes orientales de la Nouvelle-Espagne. A Rome, à Naples, à Cadix, à Séville et à Malaga, la chaleur moyenne du mois d’août dépasse 24°, et diffère par conséquent très-peu de la chaleur de la Vera-Cruz . La température moyenne de Mexico se fonde sur les observations de M. Alzate. (Observaciones meteorologicas de los ultimos nueve meses del ano 1769, Mexico, 1770) Comme les observations faites dans l’enceinte de Paris indiquent une température un peu plus élevée que celle qui correspond à la latitude de 48° 58′, on a préféré les nombres qui résultent du calendrier de Montmorency, calculé par M. Cotte, pour les années 1765-1803. (Journ. de physique, 1809, page 382.) Voyez le tableau météorologique et nosographique de la Vera-Cruz, à la fin de ce cahier. J’aurois ajouté à ce tableau la marche du thermomètre à Philadelphie, et le nombre des individus qui y sont morts de la fièvre jaune dans chaque mois, si j’avois pu me procurer des observations propres à donner la température moyenne des différens mois de l’année 1803. Dans les climats tempérés, les résultats tirés des plus grandes et des plus petites élévations que le thermomètre a atteintes à de certaines époques, ne nous apprennent rien sur les températures moyennes. Cette observation, très-simple et très-ancienne, paroît avoir échappé au grand nombre des médecins qui ont agité le problême, si les dernières épidémies d’Espagne ont été causées par des chaleurs que l’on pourroit regarder comme extraordinaires dans l’Europe australe. On a affirmé, dans beaucoup d’ouvrages, que l’année 1790 avoit été de deux degrés plus chaude que les années 1799 et 1800, parce que, dans ces deux dernières années, le thermomètre n’étoit monté à Cadix que jusqu’à 28° et 30°,5, tandis qu’en 1790 il s’étoit élevé jusqu’à 32°. Les belles observations météorologiques du chevalier Chacon, publiées par M. Arejula, pourront jeter le plus grand jour sur cette matière importante, si on se donne la peine d’en déduire les moyennes des mois. La médecine ne trouvera du secours dans la physique, qu’autant qu’on adoptera des méthodes exactes pour examiner les influences de la chaleur, de l’humidité et de la tension électrique de l’air, sur les progrès des maladies. Nous venons de tracer la marche que suit généralement la fièvre jaune à la Vera-Cruz: nous avons vu qu’année commune l’épidémie cesse de sévir, lorsque, à l’entrée des tempêtes du nord, la température moyenne du mois s’abaisse au-dessous de 24° . Les phénomènes de la vie sont sans doute assujétis à des lois immuables; mais nous connoissons si peu l’ensemble des conditions sous lesquelles le désordre s’introduit dans les fonctions des organes, que les phénomènes pathologiques nous paroissent offrir, dans leur succession, les irrégularités les plus bizarres. Lorsque, à la Vera-Cruz le vomito débute pendant l’été avec beaucoup de violence, on le voit régner pendant tout l’hiver: l’abaissement de la température diminue alors le mal, mais il ne parvient pas à l’éteindre entièrement. L’année 1803, dans laquelle la mortalité fut assez petite, présente un exemple frappant de ce genre. On voit, par le tableau que nous avons donné plus haut, que chaque mois il y eut quelques individus attaqués du vomito; mais aussi, pendant l’hiver de 1803, la Vera-Cruz se ressentit encore de l’épidémie qui, l’été précédent, avoit sévi avec une force extraordinaire. Le vomito n’ayant pas été très-fréquent pendant l’été de 1803, la maladie cessa entièrement au commencement de l’année 1804. Lorsque, dans les derniers jours du mois de février, nous descendîmes, M. Bonpland et moi, de Xalapa à la Vera-Cruz, la ville ne renfermoit aucun malade de fièvre jaune; et peu de jours après, dans une saison où le vent du nord souffloit encore impétueusement, et où le thermomètre ne s’élevoit pas à 19°, M. Commoto nous conduisit à l’hôpital de Saint-Sébastien, au lit d’un mourant: c’étoit un muletier, métis mexicain très-basané, qui venoit du plateau de Perote, et qui avoit été attaqué du vomito en traversant la plaine qui sépare la Antigua de la Vera-Cruz. Le sentiment de la chaleur et l’influence de la température sur les organes dépendant du degré d’excitation habituelle, le même air que l’on désigne à la Vera-Cruz comme froid pourroit encore, sous la zone tempérée, favoriser le dévéloppement d’une épidémie. Ces cas, où la maladie est sporadique en hiver, sont heureusement très-rares, et une véritable épidémie ne se développe à la Vera-Cruz que lorsque les chaleurs de l’été commencent à se faire sentir, et que le thermomètre s’élève fréquemment au-dessus de 24°. La même marche de la fièvre jaune s’observe aux États- Unis: à la vérité, M. Carey a observé que les semaines où la température a été la plus élevée à Philadelphie, n’ont pas toujours été celles où la mortalité a été plus forte; mais cette observation prouve seulement que les effets de la température et de l’humidité de l’atmosphère sur la production des miasmes, et sur l’état d’irritabilité des organes, ne sont pas toujours instantanés. Je suis loin de regarder une chaleur extrême comme la seule et véritable cause du vomito; mais comment nier qu’il existe, dans les endroits où le mal est endémique, une liaison intime entre l’état de l’atmosphère et la marche de l’épidémie? Carey, description of the malignant fever of Philadelphia, 1794, p. 38. La suite et la fin au prochain cahier. Fragment d’un ouvrage ayant pour titre: Essais politiques sur le Mexique; par M. Humbolt. Troisième et dernier morceau Voyez le premier morceau, page 210; et le deuxième page 338 de ce volume. Il est incontestable que le vomito n’est pas contagieux à la Vera-Cruz. Dans la plupart des pays, le peuple regarde comme contagieuses des maladies qui n’ont pas ce caractère; mais au Mexique, aucune opinion populaire n’interdit à l’étranger non acclimaté l’approche du lit des malades attaqués du vomito. On ne cite aucun fait qui rende probable que le contact immédiat, ou l’haleine du mourant, soit dangereux pour les personnes non acclimatées qui soignent le malade. Sur le continent de l’Amérique équinoxiale, la fièvre jaune n’est pas plus contagieuse que ne le sont les fièvres intermittentes en Europe. D’après les renseignemens que j’ai pu prendre pendant un long séjour en Amérique, et d’après les observations de MM. Mackitrick, Walker, Rush, Valentin, Miller, et de presque tous les médecins qui ont pratiqué à la fois aux îles Antilles et aux Etats- Unis, j’incline à croire que cette maladie n’est contagieuse par sa nature, ni sous la zone tempérée , ni dans les régions équinoxiales du nouveau continent: je dis par sa nature, car il n’est pas contraire à l’analogie que présentent d’autres phénomènes pathologiques, qu’une maladie qui n’est pas essentiellement contagieuse, puisse, sous une certaine influence de climats et de saisons, par l’accumulation des malades et par leur disposition individuelle, prendre un caractère contagieux. Il paroît que ces exceptions, infiniment rares sous la zone torride , s’offrent plus particulièrement sous la zone tempérée. En Espagne, où, en 1800, plus de 47,000, en 1804, plus de 64,000 individus ont péri victimes de la fièvre jaune, «cette maladie a été contagieuse, mais seulement dans les lieux où elle exerçoit ses ravages; car il a été prouvé par des faits nombreux, observés surtout à Malaga, à Alicante et à Carthagène, que des personnes affectées n’avoient pas communiqué la maladie dans les villages où elles s’étoient retirées, quoique le climat y fût le même que celui des villes contagiées». Cette opinion est le résultat des observation faites par la commission éclairée que le gouvernement français a envoyée en Espagne en 1805, pour y étudier le développement de l’épidémie. Voyez deux excellens mémoires de M. Stubbins Ffirth, de New Jersey, et de M. Edward Miller, de New-Yorck, sur le caractère non contagieux de la fièvre jaune des Etats- Unis. Fiedler, über das gelbe Fieber nach eigenen Beobachtungen, p. 137. Pugnet, p. 393. Bally, Opinion sur la contagion de la fièvre jaune, 1810, p 40. MM. Duméril, Bally et Nysten. Il n’est d’ailleurs aucunement constaté que la fièvre jaune ait été introduite en Espagne par la polacra le Jupiter, expédiée de la Vera-Cruz, ou par la corvette le Dauphin, construite à Baltimore, sur laquelle étoient embarqués l’intendant de la Havanne, don Pablo Valiente et le médecin don Josef Caro. (Arejula, p. 251.) Trois médecins distingués de Cadix, MM. Ammeller, Delon et Gonzales, croient que la fièvre jaune s’est développée spontanément en Espagne même: une maladie peut être contagieuse sans être importée. En fixant successivement les yeux sur les régions équinoxiales de l’Amérique, sur les Etats-Unis, et sur les parties de l’Europe où la fièvre jaune a exercé ses ravages, on voit que, malgré l’égalité de température qui règne pendant plusieurs mois de l’été sous ces zones très-éloignées les unes des autres, la maladie se présente sous un aspect différent. Entre les tropiques, son caractère non contagieux est presque universellement reconnu. Aux Etats-Unis, ce caractère est déjà vivement contesté par la faculté de médecine de l’université de Philadelphie, de même que par MM. Wistar, Blane, Cathral, et d’autres médecins distingués. Enfin, en avançant au nord-est, en Espagne, nous trouvons la fièvre jaune indubitablement contagieuse, comme le prouvent les exemples des personnes qui s’en sont préservées par l’isolement, quoiqu’elles fussent au milieu du foyer du mal. Près de la Vera-Cruz, la ferme de l’Encero, que j’ai trouvée élevée de 928 mètres au-dessus du niveau de l’Océan, est la limite supérieure du vomito. Nous avons déjà observé plus haut, que c’est jusque-là seulement que descendent les chênes mexicains, qui ne peuvent plus végéter dans une chaleur propre à développer le germe de la fièvre jaune. Les individus nés et élevés à la Vera-Cruz ne sont pas sujets à cette maladie: il en est de même des habitans de la Havane, qui ne quittent pas leur patrie: mais il arrive que des négocians qui sont nés à l’île de Cuba, et qui l’habitent depuis un grand nombre d’années, sont attaqués du vomito prieto, lorsque leurs affaires les obligent à visiter le port de la Vera-Cruz pendant les mois d’août et de septembre, où l’épidémie sévit avec le plus de force. On a vu de même des Espagnols- Américains, natifs de la Vera-Cruz, périr victimes du vomito à la Havane, à la Jamaïque ou aux Etats- Unis. Ces faits sont sans doute très-remarquables, si on les considère sous le rapport des modifications que présente l’irritabilité des organes. Malgré la grande analogie qu’a le climat de la Vera-Cruz avec celui de l’île de Cuba, l’habitant de la côte mexicaine, insensible aux miasmes que renferme l’air de son pays natal, succombe aux causes excitantes et pathogéniques qui agissent sur lui à la Jamaïque ou à la Havane. Il est probable que, sous le même parallèle, les émanations gazeuses qui produisent les mêmes maladies, sont presque identiques; cependant une légère différence suffit pour jeter le désordre dans les fonctions vitales, et pour déterminer cette suite particulière de phénomènes qui caractérisent la fièvre jaune. C’est ainsi, comme je l’ai fait voir par une longue série d’expériences , dans lesquelles l’excitation galvanique sert à mesurer l’état d’irritabilité des organes, que les agens chimiques excitent les nerfs, non-seulement par les qualités qui leur sont propres, mais aussi par l’ordre dans lequel on les applique les uns après les autres. Sous la zone torride, où la pression barométrique et la température de l’air sont presque les mêmes pendant toute l’année, et où les marées électriques, la direction du vent et toutes les autres variations météorologiques se succèdent avec une immuable uniformité, les organes de l’homme habitué dès sa naissance dans le climat natal aux mêmes impressions deviennent sensibles aux moindres changemens de l’atmosphère environnante. C’est par cette sensibilité extrême que l’habitant de la Havane, transporté à la Vera-Cruz pendant que le vomito y fait les ravages les plus cruels, y court quelquefois la chance des personnes non acclimatées : je dis quelquefois, car en général les exemples que des colons nés aux Antilles soient attaqués de la fièvre jaune à la Vera-Cruz, aux Etats- Unis ou à Cadix, sont aussi rares que les exemples de nègres qui succombent à cette maladie. Expériences sur l’irritation de la fibre musculaire et nerveuse (en allemand), t. 2, p. 147. Le second volume de cet ouvrage, qui a paru après mon départ d’Europe, n’a pas été traduit en français. M. Pugnet (sur les fièvres de mauvais caractères, p. 346), a fait la même observation sur les natifs de Sainte- Lucie qui visitent les îles voisines. Luzuriaga, t. 1, p. 133. MM. Blane et Carey citent 15 nègres et négresses morts de la fièvre jaune à l’île de la Barbade et à Philadelphie. C’est, d’ailleurs, un phénomène bien frappant, que, dans des régions équinoxiales, à la Vera-Cruz, à la Havane et à Portocabello, les indigènes n’ont pas à craindre le fléau de la fièvre jaune, tandis que, dans la zone tempérée, aux Etats-Unis et en Espagne, les indigènes y sont aussi exposés que les étrangers. Ne faut-il pas chercher la cause de cette différence dans l’uniformité des impressions qu’éprouvent les organes de l’habitant des tropiques, environné d’une atmosphère qui ne varie que très-peu dans sa température et dans sa tension électrique? Peut-être aussi le mélange des émanations putrides est-il toujours le même sur un sol constamment échauffé par les rayons du soleil, et couvert de débris organiques. L’habitant de Philadelphie voit succéder un hiver semblable à celui de la Prusse, à un été dont les chaleurs égalent celles de Naples; et malgré l’extrême flexibilité que l’on observe dans l’organisation des peuples du nord, il ne parvient pas, pour ainsi dire, à s’acclimater dans le pays natal. Les blancs et les métis qui habitent le plateau intérieur du Mexique, dont la température moyenne est de 16° ou 17°, et où le thermomètre baisse quelquefois jusqu’au-dessous du point de la congélation, contractent plus facilement le vomito lorsqu’ils descendent de l’Encero au Plan del Rio, et de là à la Antigua et au port de la Vera-Cruz, que les européens ou les habitans des Etats-Unis qui arrivent par mer. Ces derniers, en passant par degrés aux latitudes australes, se préparent peu à peu aux grandes chaleurs qu’ils éprouvent à leur attérage: les Espagnols-Mexicains, au contraire, changent brusquement de climat, lorsque, dans l’espace de quelques heures, ils se transportent de la région tempérée à la zone torride. La mortalité est surtout très-grande parmi deux classes d’hommes très-différentes dans leurs habitudes et dans leur manière de vivre; savoir: les muletiers (arrieros), qui sont exposés à des fatigues extraordinaires en descendant avec leurs bêtes de somme par des chemins tortueux semblables à ceux du Saint Gothard, et les soldats de recrue destinés à compléter la garnison de la Vera-Cruz. On a prodigué, dans ces derniers temps, tous les soins imaginables à ces malheureux jeunes gens nés sur le plateau mexicain, à Guanaxuato, à Toluca ou à Puebla, sans avoir réussi à les préserver de l’influence des miasmes délétères de la côte: on les a laissés pendant plusieurs semaines à Xalapa, pour les acclimater peu à peu à une température plus élevée; on les a fait descendre à cheval et la nuit à la Vera-Cruz, afin qu’ils ne fussent point exposés au soleil en traversant les plaines arides de la Antigua; on les a logés à la Vera-Cruz dans des appartemens bien aérés: mais jamais on n’a observé qu’ils fussent atteints de la fièvre jaune avec moins de rapidité et de violence que les militaires pour lesquels on n’avoit pas pris ces précautions. Il y a peu d’années que, par une réunion de circonstances extraordinaires, sur trois cents soldats mexicains, tous de l’âge de dix-huit à vingt-cinq ans, on en a vu périr en trois mois deux cent soixantedouze: aussi à mon départ du Mexique, le gouvernement comptoit-il enfin exécuter le projet de confier la défense de la ville et du château de San Juan d’Ulua à des compagnies de nègres et d’hommes de couleur acclimatés. Dans la saison où le vomito sévit avec beaucoup de violence, le plus court séjour à la Vera-Cruz, ou dans l’atmosphère qui entoure la ville, suffit pour faire contracter le mal aux personnes non acclimatées. Des habitans de la ville de Mexico, qui se proposent de faire le voyage d’Europe, et qui craignent l’insalubrité des côtes, séjournent ordinairement à Xalapa, jusqu’au moment du départ de leur vaisseau: ils se mettent en route pendant la fraîcheur de la nuit, et traversent la Vera-Cruz en litière, pour s’embarquer dans la chaloupe qui les attend au môle: ces précautions sont quelquefois inutiles, et il arrive que ces mêmes personnes sont les seuls passagers qui succombent au vomito pendant les premiers jours de la traversée. On pourroit admettre que, dans ce cas, la maladie a été contractée à bord du vaisseau qui a séjourné dans le port de la Vera-Cruz, et qui renferme des miasmes délétères; mais la célérité de l’infection est plus incontestablement prouvée par les exemples fréquens d’européens aisés, morts du vomito, quoiqu’en arrivant au môle de la Vera-Cruz, ils eussent trouvé des litières préparées pour entreprendre de suite le voyage de Perote. Ces faits paroissent, au premier abord, parler en faveur du systême d’après lequel on regarde la fièvre jaune comme contagieuse sous toutes les zones. Mais comment concevoir qu’une maladie se communique à de grandes distances , tandis qu’à la Vera-Cruz elle n’est décidément pas contagieuse par contact immédiat ? N’est-il pas plus facile d’admettre que l’atmosphère de la Vera-Cruz contient des émanations putrides qui, respirées pendant le plus court espace de temps, portent le désordre dans les fonctions vitales? Contagium per intimum contactum. Contagium in distans. La plupart des européens nouvellement débarqués sentent, pendant leur séjour à la Vera-Cruz, les premiers symptômes du vomito, qui s’annonce par une douleur dans la région lombaire, par la coloration de la conjonctive en jaune, et par des signes de congestion vers la tête. Dans plusieurs individus, la maladie ne se déclare que lorsqu’ils sont déjà arrivés à Xalapa, ou sur les montagnes de la Pileta, dans la région des pins et des chênes, à seize ou dix-huit cents mètres au-dessus du niveau de l’Océan. Les personnes qui ont séjourné long-tems à Xalapa, croient deviner, aux traits des voyageurs qui montent des côtes au plateau de l’intérieur, si, sans s’en appercevoir eux-mêmes, ils renferment déjà le germe de la maladie. L’abattement de l’ame et la crainte augmentent la prédisposition des organes pour recevoir l’impression des miasmes; et ces mêmes causes rendent le début de la fièvre jaune plus violent, lorsqu’on annonce imprudemment au malade le danger dans lequel il se trouve. Je puis citer, à cet égard, un trait d’autant plus curieux qu’il peint en même temps le flegme et la froideur des indigènes de la race cuivrée. Une personne avec laquelle j’ai eu des liaisons d’amitié pendant mon séjour à Mexico, n’avoit passé que très-peu de temps à la Vera- Cruz, lors de son premier voyage d’Europe en Amérique: elle arriva à Xalapa sans éprouver aucun sentiment qui pût lui faire connoitre le danger dans lequel elle se trouveroit bientôt. «Vous aurez le vomito ce soir», lui dit gravement un barbier indien en lui savonnant le visage, «le savon sèche à mesure que je l’applique, c’est un signe qui ne trompe jamais, et voilà vingt ans que je rase les chapetons qui passent par cette ville en remontant à Mexico; sur cinq il en meurt trois». Cette sentence de mort fit une forte impression sur l’esprit du voyageur: il eut beau représenter à l’Indien combien son calcul étoit exagéré, et qu’une grande ardeur de la peau ne prouve pas l’infection; le barbier persista dans son pronostic. En effet, la maladie se déclara peu d’heures après, et le voyageur, déjà en route pour Perote, fut obligé de se faire transporter à Xalapa, où il manqua de succomber à la violence du vomito. Nous venons de voir que les personnes nées à la Vera-Cruz ne sont pas exposées à contracter le vomito dans leur pays natal, et qu’elles ont en cela un grand avantage sur les habitans des Etats-Unis, qui se ressentent de l’insalubrité de leur propre climat. Un autre avantage qu’offre la zone torride, c’est que les européens, et en général tous les individus nés dans des pays tempérés, n’y sont pas attaqués deux fois de la fièvre jaune. On a observé, dans les îles Antilles, quelques exemples très-rares d’une seconde invasion, et ces exemples sont très-communs aux Etats-Unis; mais, à la Vera-Cruz, une personne qui a été une fois attaquée de la maladie, ne craint pas les épidémies subséquentes. Les femmes qui débarquent sur les côtes du Mexique, ou qui descendent du plateau central, courent moins de risque que les hommes. Cette prérogative du sexe se manifeste même sous la zone tempérée. En 1800, il est mort à Cadix 1,577 femmes sur 5,810 hommes, et à Séville, 3,672 femmes sur 11,013 hommes. On a cru long-temps que les individus attaqués de la goutte, de fièvres intermittentes ou de maladies syphilitiques, ne contractoient pas le vomito; mais cette opinion est contraire à un grand nombre de faits observés à la Vera-Cruz: on y éprouve d’ailleurs ce qui a été observé dans la plupart des épidémies , qu’aussi long-temps que la fièvre jaune sévit avec violence, les autres maladies inter-currentes sont sensiblement plus rares. Schnurrer, Materialien zu einer allgemeinen Naturlehre der Epidemien und Contagien, 1810, p. 40; ouvrage qui renferme des matériaux précieux pour la zoonomie pathologique. Les exemples d’individus morts, trente à quarante heures après la première invasion du vomito, sont plus rares sous la zone torride que dans les régions tempérées. En Espagne, on a vu passer des malades de l’état de santé à la mort en six ou sept heures . Dans ce cas, la maladie se montre dans toute sa simplicité; en ne paroissant agir que sur le systême nerveux. A l’excitation de ce systême succède une prostration totale des forces; le principe de vie s’éteint avec une rapidité effrayante: alors les complications bilieuses ne peuvent pas se manifester, et le malade meurt en éprouvant de fortes hémorragies, mais sans que sa peau se teigne de jaune , et sans qu’il vomisse ces matières que l’on désigne sous le nom de bile noire. Généralement, à la Vera-Cruz, la fièvre jaune dure au-delà de six à sept jours, et ce temps suffit pour que l’irritation du systême digestif puisse masquer, pour ainsi dire, le véritable caractère de la fièvre adynamique. Berthe, p. 79. M. Rush observa qu’à Philadelphie, pendant l’épidémie de 1793, les personnes qui jouissoient de la meilleure santé, les nègres même, avoient la conjonctive teinte en jaune, et le pouls extraordinairement accéléré. Comme le vomito n’attaque, dans la région équinoxiale, que des individus nés dans les pays froids, et jamais les indigènes, la mortalité de la Vera- Cruz est moins grande qu’on ne devroit le supposer, en considérant la chaleur du climat, et l’extrême irritabilité des organes qui en est la suite. Les grandes épidémies n’ont moissonné, dans l’enceinte de la ville, qu’à peu près quinze cents individus par an. Je possède des tableaux qui indiquent l’état des hôpitaux pendant les quinze dernières années; mais comme ces tableaux ne désignent pas expressément les malades morts du vomito, ils ne nous apprennent presque rien sur les progrès qu’a faits l’art pour diminuer le nombre des victimes. Dans l’hôpital confié aux soins des religieux de Saint-Jean-de-Dieu (Hospital de San Juan de Dios), la mortalité est excessive: depuis 1786 jusqu’en 1802, il y est entré 27,922 malades, dont il est mort 5,657, ou plus d’un cinquième. Ce nombre des morts doit être considéré comme d’autant plus grand, que le vomito n’a pas régné depuis 1786 jusqu’en 1794; et que, parmi les malades entrés dans l’hôpital, il s’en est trouvé plus du tiers affecté de fièvres intermittentes ou d’autres maladies non épidémiques. A l’hôpital de Notre-Dame de Loreto, la mortalité a été beaucoup moindre. Depuis 1793 jusqu’en 1802, il y est entré 2,820 individus, dont il est mort 389 ou un septième. L’hôpital le mieux soigné à la Vera-Cruz est celui de Saint-Sébastien, administré aux frais des négocians (Hospital del consulado), et soigné par un médecin qui s’est acquis une juste réputation par ses connoissances, son désintéressement et sa grande activité. L’état de ce petit établissement en 1803 se trouve ci-après: Don Florencio Perez y Comoto. MOIS. ENTRÉS SORTIS. DÉCÉDÉS. VOMITO. Autres Maladies TOTAL. VOMITO. Autres maladies TOTAL. VOMITO. Autres maladies TOTAL. Janvier... 7 .... 7 6 .... 6 1 .... 1 Février... 6 .... 6 4 .... 4 2 .... 2 Mars.... 19 .... 19 14 .... 14 5 .... 5 Avril.... 20 21 41 17 18 35 4 2 6 Mai .... 73 30 103 62 30 92 11 .... 11 Juin .... 49 4 53 43 3 46 6 1 7 Juillet... 51 4 55 40 3 43 11 1 12 Août.... 94 4 98 78 4 82 16 .... 16 Septembre . 68 4 72 60 4 64 8 .... 8 Octobre... 29 22 51 26 20 46 3 2 5 Novembre. 9 17 26 7 15 22 2 2 4 Décembre . 3 19 22 3 16 19 .... 1 1 Total... 428 125 553 360 113 473 69 9 78 D’après ce tableau, la mortalité moyenne a été d’un septième ou de quatorze pour cent. Le vomito seule n’en a enlevé que seize pour cent, et encore fautil observer que plus du tiers de ceux qui ont péri, avoient été reçus à l’hôpital, lorsque le mal avoit déjà fait des progrès alarmans. En général, d’après les tableaux du commerce, publiés par le consulado, il n’est mort à la Vera Cruz, en 1803, soit de diverses maladies, soit de vieillesse, que 959 personnes. En supposant la population de seize à dix-sept mille ames, on trouve que la mortalité totale est de six pour cent: or, sur 959 décès, il y en a au moins la moitié qui sont dus au vomito; par conséquent, à la Vera-Cruz, le nombre des morts est à celui des habitans acclimatés, à peu près en raison de 1 à 30, ce qui confirme l’opinion très-répandue dans le pays, que les individus habitués, dès leur enfance, aux grandes chaleurs des côtes mexicaines, et aux miasmes que renferme l’atmosphère, parviennent à une heureuse vieillesse. En 1803, les hôpitaux de la Vera-Cruz ont reçu 4371 malades, dont 3671 sont sortis guéris: le nombre des morts n’a donc été que de douze pour cent, quoique, comme nous venons de le voir par l’état de l’hôpital de Saint-Sébastien, il y a toujours eu, lors même que les vents du nord rafraîchissoient l’air, quelques malades atteints de la fièvre jaune. Voyez plus haut, chap. 4, p. 62. Nous avons donné jusqu’ici des renseignemens détaillés sur les ravages que le vomito a faits dans les murs de la Vera-Cruz même, pendant une année dans laquelle l’épidémie a sévi avec moins de violence qu’à l’ordinaire; mais un grand nombre de muletiers mexicains, de matelots et de jeunes gens (polizones), qui s’embarquent dans les ports d’Espagne pour chercher fortune au Mexique , périssent victimes du vomito, au village de la Antigua, à la ferme du Muerto, à la Rinconada, à Cerro Gordo, même à Xalapa, lorsque l’invasion de la maladie est trop prompte pour qu’on puisse les transporter dans les hôpitaux de la Vera-Cruz, ou lorsqu’ils ne se sentent attaqués qu’en montant la Cordillère. La mortalité est surtout extrêmement forte, quand il arrive à la fois dans le port, pendant les mois d’été, plusieurs vaisseaux de guerre et un grand nombre de bâtimens marchands. Il est des années où le nombre des morts, dans l’enceinte de la ville et dans les environs, s’élève à dix-huit cents ou deux mille. Cette perte est d’autant plus affligeante, qu’elle porte sur une classe d’hommes laborieux, d’une constitution forte, et qui se trouvent presque tous à la fleur de l’âge. Il résulte des tristes expériences que présente le grand hôpital des religieux de San Juan de Dios , dans les derniers quinze ans, que partout où les malades accumulés sur un petit espace ne sont pas traités avec soin, la mortalité s’élève, dans les grandes épidémies, à 30 ou 35 pour cent; tandis que là où tous les soins peuvent être prodigués, et où le médecin varie le traitement d’après les différentes formes sous lesquelles se présente la maladie dans telle ou telle saison, la mortalité n’excède pas 12 ou 15 pour 100. Ce dernier nombre nous a été fourni par les listes de l’hôpital du consulado, dirigé par M. Comoto: il paroît sans doute bien petit, lorsqu’on le compare aux ravages qu’a faits récemment la fièvre jaune en Espagne; mais, tout en rapprochant ces faits, il ne faut pas oublier que la maladie ne sévit pas tous les ans et sur tous les individus avec la même violence. Pour obtenir des résultats exacts sur la proportion des morts aux malades, il faudroit distinguer les différens degrés d’exacerbation qu’atteint le vomito dans son développement progressif. D’après Russel, la peste même se présente quelquefois à Alep sous des influences atmosphériques si bénignes, que plusieurs des pestiférés ne sont pas alités pendant tout le cours de l’épidémie. On étoit occupé, en 1804, de supprimer cet hôpital, et de le remplacer par un autre qui devoit porter le nom de Maison de bienfaisance (casa de beneficiencia). Dans toute l’Amérique espagnole, les gens éclairés se plaignent des méthodes curatives qui sont employées par les religieux de Saint- Jean-de-Dieu. La tâche que cette congrégation s’est imposé est des plus nobles: je pourrois citer plusieurs exemples du désintéressement et du courage de ces religieux; mais, au lit du malade, la charité ne supplée pas à l’ignorance de l’art. On peut juger de la mortalité moyenne observée en Espagne dans les épidémies de 1800, 1801 et 1804, par le tableau suivant, qui se fonde sur des données que je dois à l’obligeante bonté de M. Duméril. M. Arejula nous apprend que, sur 100 malades, il en est mort, en 1800, à Séville, 19; en 1804, à Alicante, 26; à Malaga, en 1803, près de 40, et en 1804, plus de 60. Il affirme qu’en Espagne les médecins peuvent se vanter d’avoir guéri trois cinquièmes des malades qui vomissoient déjà des matières noires (De la Febre, p. 148, 433—444). Cette assertion d’un célèbre praticien indiqueroit, dans le cas d’une grande exacerbation de la maladie, une mortalité de 40 pour cent. ANNÉES. VILLES. MALADES MORTS. MORTALITÉ moyenne. 1800. Cadix...... 48,520 9,977 20 pour 100 Séville.... 76,000 20,000 26 Xerès...... 30,000 12,000 40 1801 Séville..... 4,100 660 60 1804 Alicante... 9,000 2,472 27 Cadix...... 5,000 2,000 40 Dans les environs de la Vera-Cruz, le vomito ne s’est fait sentir dans l’intérieur des terres, qu’à dix lieues de distance de la côte. Comme, à mesure que l’on avance vers l’ouest, le terrain s’élève rapidement, et comme cette élévation du sol influe sur la température de l’air, la Nouvelle-Espagne ne peut pas nous éclairer sur ce problême important, si la fièvre jaune se développe dans des endroits qui sont très-éloignés de la mer. Un excellent observateur, M. Volney , rapporte qu’une maladie épidémique qui offroit de grands rapports avec la fièvre jaune, a régné à l’est des monts Alleghany, dans les terrains marécageux qui entourent le fort Miami, près du lac Erié: M. Ellicot a fait des observations analogues sur les bords de l’Ohio; mais il ne faut point oublier que les fièvres rémittentes bilieuses prennent quelquefois le caractère adynamique de la fièvre jaune. En Espagne, comme aux Etats-Unis, l’épidémie a suivi les côtes maritimes et le cours des grandes rivières; on a mis en doute si effectivement elle a régné à Cordoue, mais il paroît certain qu’elle a exercé ses ravages à la Cerlota, à cinq lieues au sud de Cordoue, bourg trèssain, placé sur une colline élevée, et ouvert aux vents les plus salubres . Tableau du sol de l’Amérique, vol. 2, p. 310. Berthe, p. 16. Il y a, en ligne droite, 26 lieues de la Carlota à la mer. Le systême de Brown n’a pas excité autant d’enthousiasme à Edimbourg, à Milan et à Vienne, qu’il en a excité au Mexique. Les personnes instruites qui ont pu observer avec impartialité le bien et le mal qu’a produits la méthode stimulante, pensent qu’en général la médecine américaine a gagné à cette révolution. L’abus des saignées, des purgatifs et de tous les remèdes débilitans, étoit extrêmement grand dans les colonies espagnoles et françaises. Cet abus n’augmentoit pas seulement la mortalité parmi les malades, il étoit aussi nuisible aux Européens nouvellement débarqués, que l’on saignoit tandis qu’ils jouissoient encore de la meilleure santé: chez ces derniers, le traitement prophylactique devint une cause prédisposante de maladie. Pourroit-on s’étonner que, malgré ses imperfections et sa trompeuse simplicité, la méthode de Brown ait produit du bien dans un pays où l’on traitoit une fièvre adynamique comme une fièvre inflammatoire; où l’on craignoit d’administrer le quinquina, l’opium et l’éther; où, dans la plus grande prostation des forces, on attendoit patiemment des crises, en prescrivant du nitre, de l’eau de guimauve et des infusions de Scoparia dulcis? La lecture des ouvrages qui ont paru sur le systême de Brown, a engagé les médecins espagnols et mexicains à raisonner sur les causes et les formes des maladies: des idées énoncées depuis long-tems par Sydenham, par l’école de Leyde, par Stoll et par Franck, ont trouvé accès en Amérique, et l’on attribue aujourd’hui au systême de Brown une réforme qui est due au réveil de l’esprit observateur, et au progrès général des lumières. Pinel, t. 1, p. 207. Gilbert, Maladies de St.-Domingue, page 91. Quoique le vomito s’annonce par une diathèse sthénique, les saignées recommandées avec tant de chaleur par Rush, et employées fréquemment par les médecins mexicains dans la grande épidémie de 1762, sont regardées comme dangereuses à la Vera-Cruz. Sous les tropiques, le passage de la synoque au typhus, de l’état inflammatoire à l’état de langueur, est si rapide, que la perte du sang que l’on dit faussement en dissolution, accélère la prostration générale des forces. Dans la première période du vomito, on préfère les minoratifs, les bains, l’eau à la glace, l’usage des sorbets et d’autres remèdes débilitans. Lorsque, pour parler le langage de l’école d’Edimbourg, la débilité indirecte se fait sentir, on emploie les excitans les plus énergiques, en commençant par de fortes doses, et en diminuant peu à peu la puissance des stimulans. M. Comoto a obtenu de grands succès en donnant par heure plus de cent gouttes d’éther sulfurique, et soixante à soixante-dix gouttes de teinture d’opium. Ce traitement contraste singulièrement avec celui qui est en usage parmi le peuple, et qui consiste à ne pas relever les forces vitales par des excitans, mais à employer simplement des boissons tièdes et mucilagineuses, des infusions de tamarin, et des fomentations sur la région épigastrique, pour calmer l’irritation du systême abdominal. Les expériences que l’on a faites à la Vera-Cruz jusqu’en 1804, sur l’usage du quinquina dans la fièvre jaune, n’ont pas eu de succès , quoique cette écorce ait produit souvent les éffets les plus salutaires aux îles Antilles et en Espagne . Il seroit possible que cette difference d’action tînt à la variété des formes que prend la maladie, selon que la rémission est plus ou moins marquée, ou que les symptômes gastriques prédominent sur les symptômes adynamiques. Les préparations mercurielles, surtout le calomel ou muriate de mercure doux, associé au jalap, ont été fréquemment employées à la Vera-Cruz; mais ces remèdes, tant vantés à Philadelphie et à la Jamaïque, et déjà prescrits dans les fièvres ataxiques par les médecins espagnols du seizième siècle , ont été assez généralement abandonnés par les médecins mexicains. On a été plus heureux dans l’emploi des frictions d’huile d’olive, dont l’utilité avoit été reconnue par M. Ximenez à la Havane, par Don Juan de Arias à Carthagène des Indes , et surtout par mon ami M. Keutsch, médecin distingué de l’île de Sainte- Croix, qui a recueilli beaucoup d’observations intéressantes sur la fièvre jaune des Antilles. On a regardé, pendant quelque temps à la Vera-Cruz, les sorbets, le jus d’ananas (xugo de pina) et l’infusion du palo mulato, végétal du genre amyris, comme des remèdes spécifiques contre le vomito; mais une longue et triste expérience a décrédité peu à peu ces remèdes, même chez le peuple mexicain. S’ils doivent être rangés parmi les meilleurs moyens prophylactiques, ils ne sauroient être la base d’un traitement curatif. D’après l’observation de MM. Rush et Woodhouse, elles n’ont pas eu plus de succès à Philadelphie, dans l’épidémie de 1797 Luzuriaga, t. 2, p. 218. Pugnet, p. 376. Arejula, p. 151 et 209. MM. Chisholm et Seamen ont préféré le Cortex Augusturæ [l’écorce du Bonplandia trifoliata ] à l’usage du quinquina. Luis Lobera de Avila, Vergel de sanidad, 1530. Andres de Laguna, sobre la cura de la pestilencia, 1566. Francisco Franco, de las enfermedades contagiosas, 1569. Luzuriaga, t. 2. p. 218. Comme une chaleur excessive augmente l’action du systême bilieux, l’usage de la glace ne peut être que très-bienfaisant sous la zone torride. On a établi des relais pour porter la neige avec la plus grande célérité, à dos de mulets, de la pente du volcan d’Orizaba au port de la Vera-Cruz. La longueur du chemin que parcourt la poste aux neiges (posta de nieve) est de vingt-huit lieues. Les Indiens choisissent des morceaux de neige qui sont mêlés de grains de grêle agglutinés. D’après un ancien usage, ils enveloppent ces masses avec de l’herbe sèche, quelquefois même avec de la cendre, deux substances que l’on sait être de mauvais conducteurs du calorique. Quoique les mulets, chargés des neiges d’Orizaba, arrivent en plein trot à la Vera-Cruz, plus de la moitié de la neige se fond pendant la route, la température de l’atmosphère étant, en été, constamment de 29 à 30 degrés du thermomètre centigrade. Malgré ces obstacles, les habitans de la côte peuvent se procurer journellement des sorbets et de l’eau à la glace. Cet avantage, dont on ne jouit pas aux îles Antilles, à Carthagène et à Panama, est infiniment précieux pour une ville qui est habituellement fréquentée par des hommes nés en Europe et sur le plateau central de la Nouvelle-Espagne. Voyez pl. 9 de mon Atlas mexicain. Quoiqu’à la Vera-Cruz, la fièvre jaune ne soit pas contagieuse par contact immédiat, et qu’il ne soit aucunement probable qu’elle y ait jamais été introduite du dehors , il n’en est pas moins certain qu’elle ne se montre qu’à de certaines époques, sans que jusqu’à ce jour on ait pu découvrir quelles sont les modifications de l’atmosphère qui, sous la zone torride, produisent ces changemens périodiques. Il est à regretter que l’histoire des épidémies ne remonte pas au delà d’un demi-siècle. Le grand hôpital militaire de la Vera-Cruz a été établi en décembre 1764; mais aucun document conservé dans les archives de cet hôpital ne fait mention des maladies qui ont précédé le vomito de 1762. Cette dernière épidémie, qui commença sous le vice-roi marquis de Croix, continua à faire ses ravages jusqu’en 1775, où, après avoir pavé les rues de la Vera-Cruz, on employa quelques foibles moyens de police, tendans à diminuer l’extrême malpropreté de la ville. Les habitans imaginèrent d’abord que le pavé augmenteroit l’insalubrité de l’air en augmentant, par la reverbération des rayons solaires, la chaleur insupportable qui règne dans l’enceinte de la ville; mais lorsqu’ils virent que le vomito n’avoit point reparu depuis 1776 jusqu’en 1794, ils crurent que ce pavé les en avoit garantis pour toujours, sans se rappeler que les mares d’eau stagnantes, situées au sud et à l’est de la ville, continuoient à verser dans l’atmosphère les émanations putrides, que de tout temps on a regardées à la Vera- Cruz comme le foyer principal des miasmes délétères. C’est un fait très-remarquable que, pendant les huit ans qui précédèrent l’année 1774, il n’y eut pas un seul exemple de vomito, quoique le concours des Européens et des Mexicains de l’intérieur fût extrêmement grand, que les matelots non acclimatés se livrassent aux mêmes excès qu’on leur reproche aujourd’hui, et que la ville fût moins propre qu’elle ne l’est depuis l’année 1800. «La Vera Cruz n’a reçu le germe de cette cruelle maladie ni de Siam, ni de l’Afrique, ni des îles Antilles, ni de Carthagène des Indes, ni des Etats-Unis: ce germe a été produit [engendrado] dans son territoire même; il y existe sans cesse, mais il ne se développe que sous l’influence de certaines circonstances climatiques». Comoto, dans son Informe al prior del consulado de la Vera-Cruz, del mes de junio 1803. [Manuscrit]. L’épidémie cruelle qui se manifesta en 1794, date de l’arrivée de trois bâtimens de guerre, le vaisseau el Mino, la frégate Vénus, et l’hourque Santa Vibiana, qui avoient touché à Portorico. Comme ces bâtimens renfermoient un grand nombre de jeunes marins non acclimatés, le vomito débuta alors à la Vera-Cruz avec une violence extrême. Depuis 1794 jusqu’en 1804, la maladie a reparu tous les ans, lorsque les vents du nord ont cessé de souffler. Aussi voyons-nous que, de 1787 à 1794, l’hôpital royal militaire n’avoit reçu que 16,835 malades, tandis que, de 1795 à 1802, leur nombre s’est élevé à 57,213. La mortalité a été surtout très-grande en 1799, où le vice-roi, marquis de Branciforte, craignant un débarquement des Anglais sur les côtes orientales, fit cantonner beaucoup de troupes dans un endroit très-malsain, à Aroyo-Moreno, à deux lieues et demie de la Vera-Cruz. Cet hôpital reçoit tous les malades qui arrivent par mer. Il y a eu, Avant le commencement de l’épidémie de 1794, la mortalité n’étoit que de deux et demi pour cent; aujourd’hui elle est de six à sept pour cent, et elle seroit plus grande encore, si cet hôpital ne recevoit, comme tous les hôpitaux militaires, beaucoup de marins dont la maladie n’est pas grave. Dans les hôpitaux civils de Paris, sur cent malades, il en meurt en général quatorze à dix-huit; mais il ne faut pas oublier que ces hôpitaux admettent un grand nombre de malades presque mourans ou d’un âge trés-avancé. Travaux du Bureau central d’admission, 1809, p. 5. ANNÉES. TRAITÉS DÉCÉDÉS —— —— —— en 1792.... 2,887..... 71 1793.... 2,907..... 77 1794.... 4,195..... 453 1795.... 3,596..... 421 1796.... 3,181..... 176 1797.... 4,727..... 478 1798.... 5,186..... 195 1799.... 14,672..... 891 1800.... 9,294..... 505 1801.... 7,120..... 226 1802.... 5,242..... 441 Il faut observer que, dans la période qui a précédé l’épidémie de 1794, la fièvre jaune n’a pas cessé de sévir à la Havane et dans les autres îles Antilles avec lesquelles les négocians de la Vera-Cruz ont entretenu constamment des relations de commerce: plusieurs centaines de bâtimens sont venus annuellement de ces endroits infectés, sans qu’on les ait mis en quarantaine, et jamais le vomito ne s’est manifesté à la Vera-Cruz, parmi les Européens. J’ai examiné dans les registres météorologiques de M. Orta, mois par mois, la température de l’année 1794: loin d’être plus élevée, elle a été moindre que celle des années précédentes, comme le prouve le tableau suivant. Température moyenne de la Vera-Cruz. (therm. centig.) MOIS. PAS DE VOMITO PRIETO. ÉPIDÉMIES DU VOMITO PRIETO. 1792. 1793. 1794. 1795. Janvier...... 21,5 20,8 20,6 20,7 Février...... 21,5 22,3 22,8 21,0 Mars....... 23,7 22,8 22,6 22,5 Avril....... 24,2 26,1 25,3 24,0 Mai........ 27,3 27,9 25,3 26,3 Juin ....... 28,5 27,8 27,5 27,2 Juillet ...... 27,5 26,9 27,8 27,7 Août....... 28,3 28,1 28,3 27,8 Septembre .... 27,5 28,1 27,1 26,1 Octobre...... 26,3 25,5 26,1 25,0 Novembre .... 24,7 24,4 23,0 24,3 Décembre .... 21,9 22,1 21,7 21,9 Températ. moyenne de l’année......... 25,2 25,2 24,8 24,5 La chaleur et l’humidité de l’air peuvent influer de deux manières très-différentes sur le développement des épidémies: elles peuvent favoriser la production des miasmes, ou augmenter simplement l’irritabilité des organes, et agir comme des causes prédisposantes. D’après les faits que nous avons rapportés plus haut, on ne sauroit nier l’influence de la température sur les progrès du vomito à la Vera-Cruz; mais rien ne prouve que, lorsque la maladie a cessé de régner depuis plusieurs années, un été très-chaud et très-humide suffise pour la faire renaître; aussi la chaleur ne produitelle pas seule ce que l’on désigne assez vaguement par le nom de constitution bilieuse. Malgré la couleur jaune que prend la peau des malades, il n’est aucunement probable que la bile passe dans le sang , et que le foie et le systême de la veine-porte jouent dans la fièvre jaune le rôle principal, comme on l’a supposé. Les matières noires, rendues dans le vomito prieto, offrent une foible analogie avec la bile; elles ressemblent à du marc de café, et j’ai vu qu’elles laissent quelquefois, sur le linge et sur les murs, des taches indélébiles. Il s’en dégage de l’hydrogène sulfuré, lorsqu’on les chauffe légèrement. D’après les expériences de M. Ffirth , elles ne conviennent pas d’albumine, mais une raisine, une matière huileuse, des phosphates et des muriates de chaux et de soude. Ce même anatomiste a prouvé, par l’ouverture des cadavres dans lesquels le pylore étoit totalement obstrué que la matière du vomito n’est pas fournie par les canaux hépatiques, mais qu’elle est versée dans l’estomac par les artères qui se répandent dans la membrane muqueuse: il assure, et cette assertion est très-frappante, que l’on trouve après la mort la matière noire encore contenue dans ces mêmes vaisseaux . La bile humaine abonde en albumine: sur 1100 parties, elle contient 42 d’albumine, 58 de résine, de matière jaune, de soude et de sel, et 1000 d’eau. Thenard, dans les Mémoires d’Arcueil, t 1, p. 57. D’après des expériences faites avec beaucoup de soin par M. Thenard, il n’existe pas de bile dans le sang des personnes attaquées de l’ictère. M. Magendie, qui a enrichi la physiologie par des expériences ingénieuses sur l’action des poisons, a observé qu’un chien, d’un volume médiocre, meurt si l’on injecte dans ses veines plus de 7 grammes de bile; dans ce cas, le serum ne prend pas de couleur jaune, et la conjonctive de l’animal reste blanche. Immédiatement après I’injection, on ne reconnoit pas la bile dans le sang par la saveur, quoique de plus petites quantités de bile donnent un goût amer à une masse d’eau considérable. M. Autenrieth a observé que chez l’homme le serum du sang devient jaune dans des maladies qui n’annoncent pas de complications bilieuses. [Physiologie, b. 2, p. 93. Grimaud, second Mémoire sur la nutrition, p. 78]. On sait aussi que la peau jaunit, dans l’état de santé, chez les vieillards, et qu’elle prend une teinte jaunâtre dans les contusions, et partout où il y a du sang extravasé. Stubbins Ffirth, p. 37 et 47. Quelques médecins de la Nouvelle-Espagne admettent que les épidémies du vomito, comme celles de la petite-vérole, sont périodiques dans la zone torride, et que déjà approche le temps heureux où les Européens pourront débarquer sur les côtes de la Vera- Cruz, sans y courir plus de risque qu’à Tampico, à Coro, à Cumana, où partout où le climat est excessivement chaud, mais d’une grande salubrité. Si cet espoir se réalise, il sera de la plus haute importance d’examiner soigneusement les modifications de l’atmosphère, les changemens qui pourront avoir lieu à la surface du sol, le desséchement des mares, en un mot tous les phénomènes qui coïncideront avec la fin de l’épidémie. Je ne serois point surpris cependant que ces recherches ne conduisissent à aucun résultat positif. Les belles expériences de MM. Thenard et Dupuytren nous ont enseigné que des quantités extrêmement petites d’ hydrogène sulfuré, mêlées à l’air atmosphérique, suffisent pour produire des asphyxies . Les phénomènes de la vie sont modifiés par un grand nombre de causes, dont les plus puissantes échappent à nos sens . Nous voyons naître des maladies partout où des substances organisées, imprégnées d’un certain degré d’humidité, et échauffées par le soleil, sont en contact avec l’air atmosphérique. Sous la zone torride, les petites mares deviennent d’autant plus dangereuses qu’elles sont entourées, comme à la Vera-Cruz et à Carthagène des Indes, d’un terrain aride et sablonneux, qui élève la température de l’air ambiant. Nous devinons quelques-unes des conditions sous lesquelles se forment les émanations gazeuses, que l’on désigne par le nom de miasmes, mais nous ignorons leur composition chimique. Il n’est plus permis d’attribuer les fièvres intermittentes à l’hydrogène accumulé dans les endroits chauds et humides; les fièvres ataxiques à des émanations ammoniacales; les maladies inflammatoires à une augmentation d’oxygène dans l’air atmosphérique. La nouvelle chimie, à laquelle nous devons tant de vérités positives, nous a appris aussi que nous ignorons beaucoup de choses que nous nous sommes flattés long-temps de savoir avec certitude. Un chien est asphyxié dans un air qui renferme deux millièmes d’hydrogène sulfuré. Gay-Lussac et Humboldt, Exp. sur les princ. constituans de l’atmosphère, p. 25 et 28. Quelle que soit notre ignorance sur la nature des miasmes, qui sont peut-être des combinaisons ternaires ou quaternaires, il n’en est pas moins certain que l’insalubrité de l’air de la Vera-Cruz diminueroit sensiblement, si l’on parvenoit à dessécher les mares qui entourent la ville; si l’on fournissoit de l’eau potable aux habitans; si l’on éloignoit d’eux les hôpitaux et les cimetières; si l’on faisoit de fréquentes fumigations d’acide muriatique oxygéné dans les salles des malades, dans les églises, et surtout à bord des vaisseaux; enfin, si l’on abattoit les murs de la ville, qui forcent la population de se concentrer dans un petit espace de terrain, et qui empêchent la circulation de l’air, sans empêcher le commerce frauduleux. En 1804, les négocians les plus riches de la ville croyant vaincre, par leur exemple, les préjugés du bas-peuple, ont fait la déclaration formelle qu’eux et leurs familles ne se feront pas enterrer dans l’enceinte de la ville. Si, au contraire, le gouvernement emploie le moyen extrême de détruire une ville dont la construction a coûté tant de millions; s’il force les négocians de s’établir à Xalapa, la mortalité de la Vera-Cruz ne diminuera pas autant qu’on pourroit le croire au premier abord. Il est vrai que les muletiers nègres, ou natifs de la côte, pourroient porter les marchandises jusqu’à la ferme de l’Encero, qui est la limite supérieure du vomito, et que les habitans de Quererato et de Puebla n’auroient plus besoin de descendre jusqu’au port, pour faire leurs achats; mais les gens de mer, parmi lesquels le vomito fait les ravages les plus cruels, seroient toujours obligés de rester dans le port. Les personnes que l’on forceroit de demeurer à Xalapa, seroient justement celles qui sont habituées au climat de la Vera-Cruz, parce que depuis long-temps des intérêts de commerce les ont fixées sur les côtes. Nous n’examinerons pas ici l’extrême difficulté avec laquelle des affaires qui embrassent annuellement un capital de 250 millions de livres tournois, pourroient être faites à une si grande distance du port et des magasins; car cette belle ville de Xalapa, où l’on jouit d’un printemps perpétuel, est éloignée de la mer de plus de vingt lieues. Si l’on détruit la Vera-Cruz, et que l’on établisse une foire à Xalapa, le commerce tombera de nouveau entre les mains de quelques familles mexicaines qui gagneront des richesses immenses: le petit négociant ne pourra subvenir aux dépenses qu’exigeront les voyages fréquens de Xalapa à la Vera- Cruz, et le double établissement sur les montagnes et sur la côte. Des personnes éclairées ont fait sentir au vice-roi les inconvéniens qui résulteroient de la destruction de la Vera-Cruz; mais elles ont en même-temps proposé de fermer le port pendant les mois où règnent les grandes chaleurs, et de ne laisser entrer les bâtimens que pendant l’hiver, lorsque les Européens ne risquent presque pas d’y contracter la fièvre jaune. Cette mesure paroît très-sage, en ne considérant que le danger que courent les gens de mer déjà arrivés dans le port; mais il ne faut point oublier que ces mêmes vents du nord qui réfroidissent l’atmosphère, et qui étouffent le germe de l’infection, rendent aussi trèsdangereuse la navigation dans le golfe du Mexique. Si les bâtimens qui entrent annuellement dans le port de la Vera-Cruz arrivoient tous pendant l’hiver, les naufrages seroient extrêmement fréquens, tout sur les côtes de l’Amérique que sur celles de l’Europe. Il résulte de ces considérations, qu’avant d’avoir recours à des mesures si extraordinaires, il faut tenter tous les moyens propres à diminuer l’insalubrité d’une ville, dont la conservation n’est pas seulement liée au bonheur individuel de ses citoyens, mais à la prospérité publique de la Nouvelle-Espagne. Tableau météorologique et nosographique de la Vera-Cruz (lat. 19° 11′ 52″) thermomètre centigrade (Voy. page 348 de ce volume). DIVISION de L’ANNÉE. TEMPÉRATURE moyenne A la Vera-Cruz. progrès DU VOMITO. (Etat de l’hôpital de S.-Sébastien.) REMARQUES. température moyenne. Entrés: Morts a mexico. a paris. Vents du nord. Janvier .. 21°,7 7 1 A la Guayra, à Cumana, sur le parallèle de la Vera-Cruz, aux iles Antilles orientales, et par-tout où le vent du nord ne souffle pas, la température moyenne du mois de janvier n’est jamais au-dessous de 25°. Températ. moyenne douteuse. Le thermomètre descend en janvier jusqu’à 5°. ou 6° et même au-dessous. 1°,2 Février.. 22°,6 6 2 4°,3 Mars.... 23°,3 19 5 8°,0 Brise, température moyenne au-dessus de 24°. Saison du vomito. Avril.... 25°,7 20 4 Quelquefois le vent du nord souffle encore. 18°,6 10°,5 Mai .... 27°,6 73 11 Premier passage du soleil par le zénith de la Vera-Cruz. 18°,8 14°,1 Juin.... 27°,5 49 6 Commencement de la saison des pluies. 16°,9 18°,0 Juillet... 27°,5 51 11 Second passage du soleil par le zénith de la Vera-Cruz. 17°,0 19°,4 Août.... 27°,6 94 16 Température moyenne du mois d’août, Rome, de 26°; à Upsal, de 15°,6. 17°,0 20°,2 Septembre. 27°,4 68 8 Fin de la saison des pluies. 15°,8 16°,4 Octobre .. 26°,2 29 3 Quelquefois le vent du nord commence déjà à alterner avec la brise. 16°,4 12°,0 Vents du nord. Novembre 24°,0 9 2 Ces deux mois sont si secs, qu’en 1803 la quantité d’eau de pluie ne s’élevoit pas à 14 millimètres, tandis que le 18 août et le 15 septembre il en étoit tombé en vingtquatre heures plus de 70 millimètres. 14,°4 6°,5 Décembre. 21°,1 3 0 13,°7 3°,8 La température moyenne de la Vera–Cruz est de 25,4; celle de Mexico, de 17°; celle de Paris, de 11°3.