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Alexander von Humboldt: „Fragment d’un ouvrage ayant pour titre: Essais politiques sur le Mexique“, in: ders., Sämtliche Schriften digital, herausgegeben von Oliver Lubrich und Thomas Nehrlich, Universität Bern 2021. URL: <https://humboldt.unibe.ch/text/1811-Fragment_d_un-1> [abgerufen am 20.04.2024].

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Titel Fragment d’un ouvrage ayant pour titre: Essais politiques sur le Mexique
Jahr 1811
Ort Paris
Nachweis
in: Journal général de médecine, de chirurgie et de pharmacie; ou Recueil Périodique de la Société de Médecine de Paris 40 (Januar 1811), S. 210–225; S. 338–351; S. 413–445.
Entsprechungen in Buchwerken
Alexander von Humboldt, Essai politique sur le royaume de la Nouvelle-Espagne. Avec un atlas physique et géographique, fondé sur des observations astronomiques, des mesures trigonométriques et des nivellemens barométriques, 2 Bände, Paris: F. Schoell [1808–] 1811, Band 2, S. 750–788.
Sprache Französisch
Typografischer Befund Antiqua; Auszeichnung: Kursivierung; Fußnoten mit Ziffern und Buchstaben; Tabellensatz.
Identifikation
Textnummer Druckausgabe: III.7
Dateiname: 1811-Fragment_d_un-1
Statistiken
Seitenanzahl: 64
Zeichenanzahl: 97248

Weitere Fassungen
Fragment d’un ouvrage ayant pour titre: Essais politiques sur le Mexique (Paris, 1811, Französisch)
Bemerkungen über das gelbe Fieber, und dessen Zusammenhang mit der Temperatur (Leipzig, 1813, Deutsch)
Gelbes Fieber in Neu-Spanien (Stuttgart; Tübingen, 1814, Deutsch)
Yellow Fever (Boston, Massachusetts, 1820, Englisch)
From Humboldt’s Essay on New Spain (Washington, District of Columbia, 1820, Englisch)
From Humboldt’s Essay on New Spain (New York City, New York, 1820, Englisch)
Das Klima von Mexico’s Haupthafen Veracruz (Hamburg, 1826, Deutsch)
|210|

Fragment d’un ouvrage ayant pour titre: Essais po-litiques sur le Mexique; par M. Humbolt (1).

Premier morceau.

Il nous reste à parler, à la fin de ce chapitre, del’épidémie qui règne sur les côtes orientales de laNouvelle-Espagne, et qui, pendant une grande partiede l’année, met des entraves non-seulement au com-merce avec l’Europe, mais encore aux communica-tions intérieures entre le littoral et le plateau d’Ana-huac. Le port de la Vera-Cruz est considéré commele siége principal de la fièvre jaune (vomito prieto ou negro). Des milliers d’Européens, abordant aux côtesdu Mexique à l’époque des grandes chaleurs, périssentvictimes de cette cruelle épidémie. Quelques vaisseauxaiment mieux arriver à la Vera-Cruz à l’entrée del’hiver, lorsque les tempêtes de los nortes commen-cent à sévir, que de s’exposer à perdre, en été, lamajeure partie de leur équipage par les effets du vomi-to, et à subir, à leur retour en Europe, une longuequarantaine. Ces circonstances ont souvent une in-fluence sensible sur l’approvisionnement du Mexiqueet sur le prix des marchandises. Le fléau de la fièvrejaune a des suites plus graves encore pour le commerceintérieur: les mines manquent de fer, d’acier et de
(1) Cet important ouvrage, actuellement sous presse, neparoîtra guères que dans trois mois. Nous nous hâtons depublier ce fragment, dans lequel M. Humbolt a résolu dela manière la plus satisfaisante deux grandes questions re-latives à la fièvre jaune, celle de son origine et celle de sacontagion. Note du Rédacteur.
|211| mercure, lorsque les communications sont interrom-pues entre Xalapa et la Vera-Cruz. Nous avous vuplus haut que le commerce de province à province sefait par des caravanes de mulets: or, les muletiers,de même que les négocians qui habitent les régionsfroides et tempérées de l’intérieur de la Nouvelle-Espagne, craignent de descendre vers les côtes,aussi long-temps que le vomito règne à la Vera-Cruz.
A mesure que le commerce de ce port est devenuplus considérable, et que le Mexique a senti le besoind’une communication plus active avec l’Europe, lesdésavantages qui naissent de l’insalubrité de l’air dulittoral se sont aussi fait sentir plus gravement. L’é-pidémie qui a régné en 1801 et 1802, a fait naître unequestion politique qui n’avoit pas été agitée avec lamême vivacité en 1762, ou à des époques antérieures,lorsque la fievre jaune faisoit des ravages encore pluseffrayans. Des mémoires ont été présentés au gouver-nement, pour discuter le problême s’il valoit mieuxraser la ville de la Vera-Cruz et forcer les habitansde s’établir à Xalapa ou sur quelqu’autre point de laCordillère, ou bien tenter de nouveaux moyens pourassainir le port. Ce dernier parti paroîtroit préférable,les fortifications ayant coûté plus de cinquante mil-lions de piastres, et le port, quelque mauvais qu’ilsoit, étant le seul qui, sur les côtes orientales,puisse offrir quelque abri aux vaisseaux de guerre.Deux partis se sont formés dans le pays, dont l’undésire la destruction, l’autre l’agrandissement de laVera-Cruz. Quoique le gouvernement ait paru pen-cher pendant quelque tems pour le premier de cespartis, il est probable que ce grand procès, dans le- |212| quel il s’agit de la propriété de seize mille individuset de la fortune d’un grand nombre de familles puis-santes par leur richesse, sera tour-à-tour suspendu etrenouvelé, sans être jamais terminé. A mon passagepar la Vera-Cruz, je vis le cabildo entreprendre laconstruction d’un nouveau théâtre, tandis qu’à Mexicol’assesseur du vice-roi composoit un long informe pour prouver la nécessité de détruire la ville, commele foyer d’un mal pestilentiel. Nous venons de voir qu’à la Nouvelle-Espagne,comme aux Etats-unis, la fièvre jaune n’attaque passeulement la santé des habitans, mais qu’elle mineaussi leur fortune, soit par la stagnation qu’elle causedans le commerce intérieur, soit par les entravesqu’elle met à l’échange des productions avec l’étran-ger. Il en résulte que tout ce qui a rapport à ce fléau,intéresse l’homme d’état autant que le physicien ob-servateur. L’insalubrité des côtes, qui gêne le com-merce, facilite d’ailleurs la défense militaire du payscontre l’invasion d’un ennemi européen; et pour com-pléter le tableau politique de la Nouvelle-Espagne,il nous reste à examiner la nature du mal qui rend leséjour de la Vera-Cruz si redoutable aux habitans desrégions froides et tempérées. Je n’entrerai point icidans les détails d’une description nosographique du vomito prieto: un grand nombre d’observations quej’ai recueillies pendant mon séjour dans les deux hé-misphères, est réservé pour la relation historique demon voyage; je me bornerai ici à indiquer les faitsles plus marquans, en distinguant avec soin les résul-tats incontestables de l’observation, de tout ce quitient au domaine des conjectures physiologiques. |213| Le typhus que les Espagnols désignent par le nomde vomissement noir (vomito prieto), règne depuistrès-long-tems entre l’embouchure du Rio Antigua etle port actuel de la Vera-Cruz. L’abbé Clavigero (1) et d’autres écrivains affirment que cette maladie s’estmontrée la première fois en 1725. Nous ignorons surquoi se fonde une assertion si contraire aux traditionsconservées parmi les habitans de la Vera-Cruz: aucundocument ancien ne nous instruit de la première ap-parition de ce fléau; car dans toute la partie chaudede l’Amérique équinoxiale, où abondent les termites et d’autres insectes destructeurs, il est infiniment rarede trouver des pièces qui datent de cinquante ousoixante ans. On croit d’ailleurs à Mexico, commeà la Vera-Cruz, que l’ancienne ville, qui n’est plusqu’un village connu sous le nom de la Antigua, aété abandonnée à la fin du seizième siècle (2), à causedes maladies qui y moissonnoient déjà les Européens. Long-tems avant l’arrivée de Cortez, il a régnépresque périodiquement à la Nouvelle-Espagne unmal épidémique que les naturels appellent matlaza-huatl, et que quelques auteurs (3) ont confondu avecle vomito ou la fièvre jaune. Cette peste est probable-ment la même que celle qui, dans le onzième siècle,força les Toltèques à continuer leur migration versle sud: elle fit de grands ravages parmi les Mexi-cains en 1545, 1576, 1736, 1737, 1761 et 1762;
(1) Storia di Messico, t. 1, p. 117.(2) Voy. Essais polit. sur l’Amér., chap. VIII, p 277.(3) Lettre d’Alzate, dans le Voyage de Chappe, ibid p. 55.
|214| mais, comme nous l’avons déjà indiqué plus haut (1),elle offrit deux caractères par lesquels elle se distingueessentiellement du vomito de la Vera-Cruz: elle at-taqua presque uniquement les indigènes ou la racecuivrée, et elle sévit dans l’intérieur du pays, sur leplateau central, à douze ou treize cents toises dehauteur au-dessus du niveau de la mer. Il est vrai queles Indiens de la vallée de Mexico, qui en 1761périrent par milliers, victimes du matlazahuatl, vo-missoient du sang par le nez et par la bouche; maisces hématémèses se présentent fréquemment sous lestropiques, accompagnant les fièvres ataxiques-bi-lieuses: on les a également observées dans la mala-die épidémique qui, en 1759, a parcouru toute l’A-mérique méridionale, depuis Potosi et Oruro jusqu’àQuito et Popayan, et qui, d’après la descriptionincomplette d’Ulloa (2), étoit un typhus propre auxrégions élevées des Cordillères. Les médecins desEtats-Unis, qui adoptent l’opinion que la fièvre jaunea pris son origine dans le pays même, ont cru re-connoître cette maladie dans les pestes qui régnèrent,en 1535 et 1612 (3), parmi les hommes rouges du Ca-nada et de la Nouvelle-Angleterre. D’après le peuque nous savons du matlazahuatl des Mexicains, onpourroit être porté à croire que, dans les deux Amé-
(1) Voyez ibid, chap. V, p. 69.(2) Noticias Americanas, p. 200.(3) Stubbins Ffirth on malignant fever, 1804, p. 12. Gookinrapporte le fait remarquable que, dans la peste qui régnoiten 1612 parmi les Pawkunnawhutts, près de New-Plymouth,les Indiens malades avoient la peau teinte en jaune.
|215| riques, depuis les tems les plus reculés, la race cui-vrée est sujette à une maladie qui, dans ses compli-cations, offre plusieurs rapports avec la fièvre jaunede la Vera-Cruz et de Philadelphie, mais qui en dif-fère essentiellement par la facilité avec laquelle ellese propage dans une zone froide, où, pendant lejour, le thermomètre se soutient à dix ou douze de-grés centigrades.
Il est certain que le vomito, qui est endémique àla Vera Cruz, à Carthagène des Indes et à la Havane,est la même maladie que la fièvre jaune qui, depuisl’année 1793, n’a pas cessé d’accabler les habitansdes Etats-Unis. Cette identité, contre laquelle enEurope un très-petit nombre de médecins ont élevédes doutes (1), est généralement reconnue et par leshommes de l’art qui ont visité à la fois l’île de Cuba,la Vera-Cruz et les côtes des Etats-Unis, et par ceuxqui ont étudié avec soin les excellentes descriptionsnosologiques de MM. Makittrick, Rush, Valentin etLuzuriaga. Nous ne déciderons pas si l’on reconnoîtla fièvre jaune dans le causus d’Hippocrate, qui estsuivi, comme plusieurs fièvres bilieuses rémittentes,d’un vomissement de matières noires; mais nous pen-sons que la fièvre jaune a été sporadique dans les deuxcontinens, depuis que des hommes nés sous une zonefroide se sont exposés, dans les régions basses dela zone torride, à un air infecté par des miasmes.Partout où les causes excitantes et l’irritabilité desorganes sont les mêmes, les maladies qui naissent
(1) Arejula, de la fiebre amarilla de Cadiz, t. 1, p. 143.
|216| d’un désordre dans les fonctions vitales doivent pren-dre les mêmes formes.
On ne sauroit être surpris qu’à une époque où lescommunications entre l’ancien et le nouveau conti-nent étoient peu multipliées, et où le nombre desEuropéens qui fréquentoient annuellement les îlesAntilles étoit encore très-petit, une fièvre qui n’at-taque que les individus non acclimatés, ait si peufixé l’attention des médecins de l’Europe. Au seizièmeet au dix-septième siècle, la mortalité devoit êtremoindre, 1°. parce qu’à cette époque les régions équi-noxiales de l’Amérique n’étoient visitées que par desEspagnols et des Portugais, deux peuples de l’Eu-rope australe moins exposés, par leur constitution, àsentir les effets funestes d’un climat excessivementchaud, que les Anglais, les Danois et d’autres ha-bitans de l’Europe boréale qui fréquentent aujourd’huiles îles Antilles; 2°. parce qu’à l’île de Cuba, à laJamaïque et à Haïty, les premiers colons n’étoientpoint réunis dans des villes aussi populeuses que cellesqu’on a construites depuis; 3°. parce que, lors de ladécouverte de l’Amérique continentale, les Espagnolsétoient moins attirés par le commerce vers le litto-ral, qui est généralement chaud et humide, et qu’ilsse fixoient de préférence dans l’intérieur des terressur des plateaux élevés où ils trouvoient une tempé-rature analogue à celle de leur pays natal. En effet,au commencement de la conquête, les ports de Pa-nama et de Nombre de Dios (1) étoient les seuls où,
(1) Nombre de Dios, situé à l’est de Portobelo, fut aban-donné en 1584.
|217| à de certaines époques de l’année, il y eut un grandconcours d’étrangers: mais aussi, dès 1535, le sé-jour (1) de Panama étoit redouté par les Européens,comme l’est de notre tems le séjour de la Vera-Cruz,d’Omoa ou de Portocabello. On ne sauroit nier,d’après les faits rapportés par Sydenham et d’autresexcellens observateurs, que, sous de certaines cir-constances, il ne puisse se développer des germes denouvelles maladies (2); mais rien ne prouve que lafièvre jaune n’a pas existé depuis plusieurs siècles dansles régions équinoxiales. Il ne faut pas confondrel’époque à laquelle une maladie a été décrite pourla première fois, parce qu’elle a fait de grands rava-ges dans un court espace de tems, avec l’époque desa première apparition.
La plus ancienne description de la fièvre jaune estcelle du médecin portugais Jean Ferreyra de Rosa (3):il observa l’épidémie qui régna à Olinda, au Brésil,depuis 1687 jusqu’en 1694, peu de tems après qu’unearmée portugaise eût fait la conquête de Fernambuco.Nous savons de même avec certitude que, l’année1691, la fièvre jaune se manifesta à l’île de la Bar-bade, où on la désigna sous le nom de fièvre de ken-dal, sans qu’il soit aucunement prouvé que cettemaladie y fut apportée par des vaisseaux venant de
(1) Pedro de Cieça, c. 2, p. 5.(2) Voyez, sur une affection du larynx qui règne épidé-miquement à Otahiti depuis l’arrivée d’un vaisseau espa-gnol, Vancouver, t. 1, p. 175.(3) Trattado da constituiçao pestilencial de Pernambuco,per Joam Ferreyra da Rosa, em Lisboa, 1694.
|218| Fernambuco. Ulloa (1), en parlant des chapetenodas ou fièvres auxquelles les Européens sont exposés àleur arrivée aux Indes-Occidentales, rapporte que,d’après l’opinion des gens du pays, le vomito prieto étoit inconnu à Sainte-Marthe et à Carthagène avant1729 et 1730, à Guayaquil avant 1740. La premièreépidémie de Sainte-Marthe fut décrite par un méde-cin espagnol, Juan Josef de Gastelbondo (2). De-puis cette époque, la fièvre jaune a régné à plusieursreprises hors des Antilles et de l’Amérique espagnoleau Sénégal, aux Etats-Unis (3), à Malaga, à Ca-dix (4), à Livourne, et, d’après l’excellent ouvragede Cleghorn, même à l’île de Minorque (5). Nousavons cru devoir rapporter ces faits, dont plusieursne sont pas assez généralement connus, parce qu’ilsrépandent quelques lumières sur la nature et sur lacause de cette cruelle maladie. D’ailleurs l’opinionque les épidémies, qui, depuis 1793, ont désolépresque tous les ans l’Amérique septentrionale, diffè-rent essentiellement de celles qui se sont manifestéesdepuis des siècles à la Vera-Cruz; et que la fièvrejaune a été importée des côtes d’Afrique à la Gre-nade, et de là à Philadelphie, est tout aussi dénuéede fondement que l’hypothèse très-accréditée jadis,
(1) Voyage, t. I, p. 41 et 149.(2) Luzuriaga, de la celentura biliosa, t. 1, p. 7.(3) En 1741, 1747, 1762.(4) A Cadix, en 1731, 1733, 1734, 1744, 1746, 1764; àMalaga, en 1741.(5) De 1644-1749. (Tommasini sulla febbre di Livorno del 1804, p. 65).
|219| qu’une escadre venant de Siam a introduit le vomito en Amérique (1).
Sous tous les climats, les hommes croient trou-ver quelque consolation dans l’idée qu’une maladieque l’on regarde comme pestilentielle, est d’une ori-gine étrangère. Comme des fièvres malignes naissentfacilement parmi un équipage nombreux, entassédans des vaisseaux mal-propres, le commencementd’une épidémie date assez souvent de l’arrivée d’uneescadre: alors, au lieu d’attribuer le mal ou à l’airvicié que renferment des vaisseaux privés de ventila-tion, ou à l’effet d’un climat ardent et malsain surdes matelots nouvellement débarqués, on affirme qu’ila été importé d’un port voisin dans lequel l’escadreou le convoi a touché pendant sa navigation d’Europeen Amérique. C’est ainsi que l’on entend souvent direà Mexico que le vaisseau de guerre qui a conduit telou tel vice-roi à la Vera-Cruz, a introduit la fièvrejaune qui avoit cessé de régner depuis plusieurs an-nées; c’est ainsi que, pendant la saison des grandeschaleurs, la Havane, la Vera-Cruz et les ports desEtats-Unis s’accusent mutuellement de recevoirl’un de l’autre le germe de la contagion. Il en est dela fièvre jaune comme du typhus mortel connu sous lenom de peste d’Orient, que les habitans de l’Egypteattribuent à l’arrivée des vaisseaux grecs, tandis qu’enGrèce et à Constantinople on regarde cette même
(1) Labat, voyage aux Iles, t. 1, p. 73. Sur la peste deBoullam en Afrique, voyez Chisholm, on pestilential fever, p. 61; et Miller, histoire de la fièvre de New-Yorck, p.61; Volney, tableau du sol de l’Amérique, t. II, p. 334.
|220| peste comme venant de Rosette ou d’Alexandrie (1).
Pringle, Liud, et d’autres médecins distinguésconsidèrent nos affections bilieuses estivales et autom-nales, comme le premier degré (2) de la fièvre jaune.Une foible analogie se manifeste aussi dans les fièvrespernicieuses intermittentes qui règnent en Italie, etqui ont été décrites par Lancisi, Torti, et récem-ment par le célèbre Franck (3) dans son Traité denosographie générale. On affirme avoir vu de temsen tems, dans la Campagne de Rome, des individusmourir avec presque tous les signes pathognomoniquesde la fièvre jaune, l’ictère, le vomissement et les hé-morrhagies. Malgré ces rapports, qui ne sont pas ac-cidentels, on peut regarder la fièvre jaune, par-toutoù elle prend le caractère d’une maladie épidémique,comme un typhus sui generis qui participe à la foisdes fièvres gastriques et des fièvres ataxo-adynami-ques (4). Nous distinguerons par conséquent les fiè-vres stationnaires bilieuses et les fièvres pernicieusesintermittentes qui règnent sur les bords de l’Oréno-
(1) Pugnet, sur les fièvres du Levant et des Antilles, p.97 et 331.(2) Lind, sur les maladies des Européens dans les payschauds, p. 14. Berthe, précis historique de la maladie qui arégné en Andalousie en 1800, p. 17.(3) Petrus Franck, de curandis hominum morbis, t. I, p.150. L’analogie qu’on observe entre le cholera morbus, la fiè-vre bilieuse et la fièvre gastro-adynamique, a été indiquéeavec beaucoup de sagacité dans le bel ouvrage de M. Pinel,Nosographie philosophique, 3e. édition, t I, p. 46 et 55.(4) Nosographie, t. I, p. 139-152 et p. 209 M. Franckdésigne la fièvre jaune sous le nom de febris gastrico-nervosa.
|221| que, sur la côte qui s’étend de Cumana au cap Co-dera, dans la vallée du Rio de la Magdalena, à Aca-pulco et dans un grand nombre d’autres endroits hu-mides et malsains que nous avons visités, du vomitoprieto ou de la fievre jaune qui exerce ses ravages auxAntilles, à la Nouvelle-Orléans et à la Vera-Cruz.
Le vomito prieto ne s’est point montré jusqu’ici surles côtes occidentales de la Nouvelle-Espagne. Leshabitans du littoral qui s’étend depuis l’embouchuredu Rio Papagallo, par Zacatula et Colima, jusqu’àSan Blas, sont sujets à des fièvres gastriques, qui dé-génèrent souvent en fièvres adynamiques; et l’onpourroit dire qu’une constitution bilieuse règne pres-que continuellement dans ces plaines arides et brû-lantes, mais entrecoupées de petites mares d’eau quiservent de repaires aux crocodiles (1). A Acapulco, les fièvres bilieuses et le cholera mor-bus sont assez fréquens, et les Mexicains qui descen-dent du plateau pour faire des achats de marchandiseslors de l’arrivée du galion, n’en sont que trop souventles victimes. Nous avons dépeint plus haut la positionde cette ville, dont les malheureux habitans, tour-mentés par des tremblemens de terre et des ouragans,respirent un air embrâsé, rempli d’insectes et viciépar des émanations putrides. Pendant une grande par-tie de l’année, ils n’apperçoivent le soleil qu’à traversune couche de vapeurs d’une teinte olivâtre, et quin’affectent point l’hygromètre placé dans les bassesrégions de l’atmosphère. En comparant les plans desdeux ports, que j’ai donnés (2) dans mon atlas de la
(1) Crocodilus acutus. Cuv.(2) Pl. IX et XVIII.
|222| Nouvelle-Espagne, on devine facilement que la cha-leur doit être encore plus accablante, l’air plus sta-gnant, l’existence de l’homme plus pénible à Aca-pulco qu’à la Vera-Cruz. Dans le premier de ces deuxendroits, de même qu’à la Guayra et à Sainte-Croixde Ténériffe, les maisons sont appliquées contre unmur de rocher qui échauffe l’air par réverbération. Lebassin du port est tellement entouré de montagnes,que pour donner, pendant les ardeurs de l’été, quelqueaccès au vent de mer, le colonel Don Josef Barreiro, castellano ou gouverneur du château d’Acapulco, afait pratiquer au nord-ouest une coupure de montagne.Cet ouvrage hardi, que l’on désigne dans le pays sousle nom de la Abra de San Nicolas, n’a pas été sansutilité. Obligé, pendant mon séjour à Acapulco, depasser plusieurs nuits en plein air pour faire des ob-servations astronomiques, j’ai senti constamment,deux ou trois heures avant le lever du soleil, lorsquela température de la mer étoit très-différente de celledu continent, un petit courant d’air qui s’établissoitpar la brèche de San Nicolas. Ce courant est d’autantplus salutaire, que l’atmosphère d’Acapulco est em-pestée par les miasmes qui s’élèvent d’une mare appe-lée la cienega del castillo, située à l’est de la ville. Leseaux croupissantes de cette mare disparoissent tousles ans; ce qui fait périr une innombrable quantité depetits poissons thorachiques, à peau mucilagineuse,que les Indiens désignent sous le nom de popoyote ou d’axolotl (1), quoique le véritable axolotl des lacs
(1) L’axolotl d’Acapulco n’a de commun avec celui dele vallée de Mexico que sa couleur. C’est un poisson écail-
|223| de Mexico (Siren pisciformis, de Shaw) en différeessentiellement, et ne soit, d’après M. Cuvier, que lalarve d’une grande salamandre. Ces poissons, qui pour-rissent par monceau, répandent dans l’air voisin desémanations que l’on considère avec raison comme lacause principale des fièvres bilioso-putrides qui règnentsur cette côte. Entre la ville et la cienega, sont placésdes fours à chaux dans lesquels on calcine de grandesmasses de madrépores retirés de la mer. Malgré lesthéories spécieuses de M. Mitchill (1) sur l’oxide
leux, à deux nageoires dorsales, d’un brun olivâtre, par-semé de petites taches jaunes et bleues.(1) D’après cet auteur, l’oxide d’azote, regardé comme lacause des fièvres malignes et des fièvres intermittentes, estabsorbé par la chaux; et, par cette raison, les parties lesplus saines de la France, de l’Angleterre et de la Sicile sontcalcaires (American medical Repos., vol. II, p. 46). L’in-fluence des roches sur le grand océan aérien et sur la cons-titution physique de l’homme rappelle les rêves de l’abbéGiraud Soulavie, d’aprés lequel «les basaltes et les amyg-daloïdes augmentent la charge électrique de l’atmosphère,et influent sur le moral des habitans, en les rendant légers,révolutionnaires et enclins à abandonner la religion de leursancêtres». Quelque idée que l’on se forme des miasmes quicausent l’insalubrité de l’air, il paroît peu probable, d’aprèsl’état actuel de nos connoissances chimiques, que des com-binaisons ternaires ou quaternaires de phosphore, d’hydro-gène, d’azote et de soufre, puissent être absorbées par lachaux, et sur-tout par le carbonate de chaux. Telle a étécependant l’influence politique des théories de M. Mitchill,dans un pays où l’on admire avec raison la sagesse des ma-gistrats, que me trouvant en quarantaine dans le Delaware,en arrivant des Antilles à Philadelphie, j’ai vu des officiersdu comité de santé faire peindre gravement, avec de l’eau
|224| d’azote, Acapulco est un des endroits les plus mal-sains du nouveau continent. Peut-être même si ce port,au lieu d’être fréquenté par des bâtimens de Manille,de Guayaquil et d’autres endroits situés sous la zonetorride, recevoit des bâtimens du Chili et de la côtenord-ouest de l’Amérique, et si la ville étoit visitéeà-la-fois par un plus grand nombre d’Européens, oud’habitans du plateau mexicain, les fièvres bilieusesy dégénéreroient bientôt en fièvre jaune, et le germede cette dernière maladie se développeroit à Acapulcod’une manière encore plus funeste qu’à la Vera-Cruz.
Sur les côtes orientales du Mexique, les vents dunord rafraîchissent l’air de manière que le thermo-mètre baisse jusqu’à 17° centigrades. A la fin du moisde février, je l’ai vu se soutenir des journées entièresau-dessous de 21°; tandis qu’à la même époque, l’airétant calme, il est à Acapulco à 28° ou 30°. La lati-tude de ce dernier port est de 3° plus méridionale quecelle de la Vera-Cruz: les hautes Cordillères du Mexi-que le mettent à l’abri des courans d’air froid qui re-fluent du Canada vers les côtes de Tabasco. La tem-pérature de l’air se soutient en été, pendant le jour,presque constamment entre 30° et 36° du thermomètrecentigrade. J’ai observé que, sur toutes les côtes, la tempéra-ture de la mer a une grande influence sur celle du con-
de chaux, l’ouverture de l’écoutille, afin que le septon, oumiasme de la fièvre jaune de la Havane, que l’on supposoitexister dans notre bâtiment, vînt se fixer sur une bande dechaux de trois décimètres de largeur. Doit-on être surprisque nos matelots espagnols crussent reconnoitre quelquechose de magique dans ce prétendu moyen de désinfection?
|225| tinent voisin. Or, la chaleur de la mer ne varie passeulement selon la latitude, mais aussi selon le nom-bre des bas-fonds et la rapidité des courans qui amè-nent des eaux de différens climats. Sur les côtes duPérou, sous les 8° et 12° de latitude australe, j’aitrouvé la température de la mer du Sud, à sa surface,de 15° à 16° centigrades; tandis que, hors du courantqui porte avec force du détroi: de Magellan vers lecap Parina, le grand Océan équinoxial a une tempé-rature de 25° à 26°: aussi le thermomètre a baissé àLima, en 1801, aux mois de juillet et d’août, à 13°,5,et les orangers y viennent à peine. De même, dansle port de la Vera-Cruz, j’ai observé que la chaleurde la mer, en février 1804, n’étoit que de 20° à 22°,tandis que, dans les atterrages d’Acapulco, je l’avoistrouvée, en mars 1803, de 28° à 29° (1). La réunionde ces circonstances augmente l’ardeur du climat surles côtes occidentales: les chaleurs sont moins inter-rompues à Acapulco qu’à la Vera-Cruz, et il est àcroire que, si jamais la fièvre jaune commence àrégner dans le premier de ces ports, elle y durerapendant toute l’année, comme à l’île de la Trinité,à Sainte-Lucie, à la Guayra, et par-tout où les tem-pératures moyennes (2) des différens mois ne varientque de 2° à 3°.
La suite au prochain cahier.
(1) Voyez mon recueil d’observations astronomiques, t. 1,p. 317 (n. 256 et 259).(2) Les différences des températures moyennes du mois leplus froid et du mois le plus chaud sont, en Suède, sousles 63°,50′ de latitude, de 28°,5; en Allemagne, sous les50°,5′ de latitude, de 23°,2; en France, sous les 48°,50′ delatitude, de 21°,4′; en Italie, sous les 41°,54′ de latitude,
|226|

de 20°,6; et dans l'Amérique méridionale, sous les 10°,27' de latitude, de 2°,7. Voyez mes tableaux comparatifs dans les additions à la chimie de Thomson (traduction de M. Rif-fault), t.1.p.106.
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Fragment d’un ouvrage ayant pour titre: Essais po-litiques sur le Mexique; par M. Humbolt.

Deuxième morceau (1).

Dans les régions basses du Mexique, comme enEurope, la suppression subite de la transpiration estune des principales causes occasionnelles des fièvresgastriques ou bilieuses, sur-tout du cholera morbus, qui s’annonce par des symptômes si effrayans. Leclimat d’Acapulco, dont la température est uniformedans les différentes parties de l’année, donne lieu àces suppressions de transpiration, par la fraîcheurextraordinaire qui règne quelques heures avant le leverdu soleil. Sur ces côtes, les personnes non acclimatéescourent de grands risques, lorsque, peu vêtues, ellesvoyagent la nuit, ou qu’elles dorment à l’air libre. ACumana, et dans d’autres endroits de l’Amériqueéquinoxiale, la température de l’air ne diminue, versle lever du soleil, que de 1° ou 2° centigrades: lejour, le thermomètre y est à 28° ou 29°, et la nuit à23° ou 24°. A Acapulco, j’ai trouvé la chaleur del’air, le jour, à 29° ou 30°: pendant la nuit, elle sesoutint à 26°; mais, depuis trois heures du matinjusques vers le lever du soleil, elle diminua brusque-
(1) Voyez le premier morceau, page 210 du cahier pré-cédent.
|339| ment jusqu’à 17° ou 18°. Ce changement fait la plusvive impression sur les organes. Nulle part ailleurs,sous les tropiques, je n’ai senti une si grande fraîcheurpendant la dernière partie de la nuit: on croit passersubitement de l’été à l’automne; et à peine le soleil est-il levé, qu’on commence déjà à se plaindre de la cha-leur. Dans un climat où la santé dépend principale-ment des fonctions de la peau, et où les organes sontaffectés des moindres changemens de température (1),un refroidissement de l’air de 10° à 12° cause dessuppressions de transpiration très-dangereuses pour lesEuropéens non acclimatés.
On a affirmé à tort que le vomito n’avoit jamaisrégné dans aucune partie de l’hémisphère austral, etl’on a cherché la cause de ce phénomène dans le froidque l’on croit propre à cet hémisphère. J’aurai occa-sion de faire voir, dans un autre endroit, combien ona exagéré les différences de température des payssitués au nord et au sud de l’équateur. La partie tem-pérée de l’Amérique méridionale a le climat d’unepresqu’île qui se rétrécit vers le sud: les étés y sontmoins chauds et les hivers moins rudes que dans lespays qui, sous la même latitude, dans l’hémisphère
(1) La température de l’air à Guayaquil se maintient siuniformément entre 29° et 32° centigrades, que les habi-tans se plaignent du froid lorsque le thermomètre baissesubitement jusqu’à 23° ou 24°. Ces phénomènes sont très-remarquables en les considérant sous un point de vue phy-siologique: ils prouvent que l’excitabilité des organes aug-mente par l’uniformité et l’action prolongée des stimulushabituels.
|340| boréal (1), s’élargissent vers le nord. La températuremoyenne de Buenos-Ayres ne diffère guère de cellede Cadix, et l’influence des glaces, dont l’accumula-tion est sans doute plus grande au pôle austral qu’aupôle boréal, ne se fait presque pas sentir au-dessousdes 48° de latitude sud. Nous avons vu plus haut quec’est justement dans l’hémisphère austral, à Olinda,au Brésil, que la fièvre jaune a sévi, pour la premièrefois, sur un grand nombre d’Européens. La mêmemaladie a régné à Guayaquil, en 1740, et, dansles premières années de ce siècle, à Montevideo,port d’ailleurs si célèbre par la salubrité de sonclimat.
Depuis une cinquantaine d’années, le vomito nes’est manifesté presque sur aucun point des côtes duGrand-Océan, à l’exception de la ville de Panama.Dans ce dernier port, comme au Callao (2), le com-mencement des grandes épidémies est le plus souventmarqué par l’arrivée de quelques bâtimens venant duChili; non que ce pays, un des plus heureux et desplus sains de la terre, puisse transmettre un mal quin’y existe point, mais parce que ses habitans, trans-plantés dans la zone torride, éprouvent, avec la mêmeforce que les habitans du nord, les effets funestes d’unair excessivement chaud et vicié par le mélange d’é-manations putrides. La ville de Panama est située surune langue de terre aride et dénuée de végétation;mais la marée, lorsqu’elle descend, laisse à découvert,
(1) Voyez Essai polit. sur le Mexique, chap. 8, p. 349.(2) Leblond, Observations sur la fièvre jaune, p. 204.
|341| bien avant dans la baie, une grande étendue de terraincouverte de fucus, d’ulves et de méduses. Ces amas deplantes marines et de mollusques gélatineux restent surla plage, exposés à l’ardeur du soleil. L’air est infectépar la décomposition de tant de substances organiques;et des miasmes qui n’affectent presque pas les organesdes indigènes, agissent puissamment sur des indivi-dus nés dans les régions froides de l’Europe, ou danscelles des deux Amériques.
Les causes de l’insalubrité de l’air sont très-diffé-rentes des deux côtés de l’isthme. A Panama, où le vomito est endémique, et où les marées sont très-fortes, on regarde la plage comme le foyer de l’infec-tion. A Portobelo, où règnent des fièvres bilieuses ré-mittentes, et où les marées sont à peine sensibles, lesémanations putrides naissent de la force de la végé-tation même. Il y a peu d’années encore que les forêtsqui couvrent l’intérieur de l’isthme, s’étendoient jus-qu’aux portes de la ville, et que les singes entroientpar bandes dans les jardins de Portobelo, pour y re-cueillir des fruits. La salubrité de l’air a augmentéconsidérablement, depuis qu’un excellent administra-teur, le gouverneur Don Vicente Emparan, a faitabattre les bois d’alentour. La position de la Vera-Cruz a plus d’analogie aveccelles de Panama et de Carthagène des Indes, qu’avecles positions de Portobelo et d’Omoa. Les forêts quicouvrent la pente orientale de la Cordillère, s’éten-dent à peine jusqu’à la ferme de l’Encero: là com-mence un bois moins touffu, composé de Mimosacornigera, de Varronia et de Capparis Breynia, et seperdant progressivement à cinq ou six lieues de dis- |342| tance des côtes de la mer. Les environs de la Vera-Cruz sont d’une aridité affreuse: en arrivant par lechemin de Xalapa, on trouve, près de la Antigua, quelques pieds de cocotiers qui ornent les jardins de cevillage; ce sont les derniers grands arbres que l’ondécouvre dans le désert. L’excessive chaleur qui régneà la Vera-Cruz est augmentée par les collines de sablesmouvans (meganos) qui sont formées par l’impétuo-sité des vents du nord, et qui entourent la ville ducôté du sud et du sud-ouest. Ces dunes, de formeconique, ont jusqu’à quinze mètres de hauteur: forte-ment échauffées en raison de leur masse, elles con-servent, pendant la nuit, la température qu’elles ontacquise pendant le jour. C’est par une accumulationprogressive de chaleur, que le thermomètre centigrade,plongé dans le sable au mois de juillet, s’élève à 48°ou 50°, tandis que le même instrument, à l’air libreet à l’ombre, se soutient à 30°. Les meganos peuventêtre considérés comme autant de fours qui chauffentl’air ambiant: ils n’agissent pas seulement parce qu’ils rayonnent du calorique dans tous les sens, maisaussi parce qu’ils empêchent, par leur agroupement,la libre circulation de l’air. La même cause qui les afait naître les détruit facilement: des dunes changentde place tous les ans, comme on le remarque sur-toutdans la partie du désert appelée Meganos de Catha-lina, Meganos del Coyle et Ventorillos. Mais malheureusement pour ceux des habitans dela Vera-Cruz qui ne sont point acclimatés, les plai-nes sablonneuses dont la ville est environnée, loind’être entièrement arides, sont entrecoupées de terrainsmarécageux, dans lesquels se réunissent les eaux de |343| pluie qui s’infiltrent à travers les dunes. Ces réservoirsd’eaux bourbeuses et dormantes sont considérés,par MM. Comoto, Ximenez, Mocino, et par d’au-tres médecins instruits qui ont examiné avant moi lescauses de l’insalubrité de la Vera-Cruz, comme autantde foyers d’infection. Je ne nommerai ici que lesmares connues sous le nom de la Cienega-Boticaria, derrière le magasin à poudre, la Laguna de la Hor-miga, l’Espartal, la Cienega de Arjona, et le maré-cage de la Tembladera, situé entre le chemin du Re-benton et les Callejones de Aguas-Largas. Au pieddes dunes, on ne trouve que de petits arbustes deCroton et de Desmanthus, l’Euphorbia tithymaloïdes,le Capraria biflora, le Jatropha à feuilles de coton-nier, et des Ipomœa dont la tige et les fleurs sortent àpeine du sable aride qui les couvre: partout où cesable est baigné par l’eau des mares qui débordent dansla saison des pluies, la végétation devient plus vigou-reuse. Le Rhizophora mangle, le Coccoloba, des Po-thos, des Arum et d’autres plantes qui se plaisentdans un sol humide et chargé de parties salines, for-ment des touffes éparses. Ces endroits bas et maréca-geux sont d’autant plus à craindre, qu’ils ne restentpas constamment couverts d’eau. Une couche de feuil-les mortes, entremêlée de fruits, de racines, de larvesd’insectes aquatiques, et d’autres débris de matièresanimales, entre en fermentation, à mesure qu’elle estéchauffée par les rayons d’un soleil brûlant. J’expo-serai dans un autre endroit les expériences que j’aifaites pendant mon séjour à Cumana, sur l’action queles racines du manglier exercent sur l’air ambiant,aussi long-tems que, légèrement humectées, elles |344| restent exposées à la lumière: ces expériences répan-dront quelque jour sur le phénomène remarquableet anciennement observé dans les deux Indes, que detous les endroits où végètent avec force le mancenillieret le manglier, les plus malsains sont ceux où les ra-cines de ces arbres ne sont pas constamment couvertesd’eau. En général, la putréfaction des matières végé-tales est d’autant plus à craindre sous les tropiques,que le nombre des plantes astringentes y est très-con-sidérable, et que ces plantes contiennent, dans leurécorce et dans leurs racines beaucoup de matièreanimale combinée avec du tannin (1). S’il existe incontestablement, dans le terrain quienvironne la Vera-Cruz, des causes d’insalubrité del’air, on ne sauroit nier aussi qu’il ne s’en trouve d’au-tres dans l’enceinte de la ville même. Le populationde la Vera Cruz est trop considérable pour la petiteétendue de terrain qu’occupe la ville: seize mille ha-bitans sont renfermés dans un espace de 500.000 mètrescarrés; car la Vera-Cruz forme un demi-cercle dont lerayon n’a pas six cents mètres. Comme la plupart desmaisons n’ont qu’un étage au-dessus du rez-de-chaus-sée, il en résulte que, parmi le bas peuple, le nombredes personnes qui habitent le même appartement esttrès-considérable. Les rues sont larges, droites et di-rigées, les plus longues, du nord-ouest au sud-est; lesmoins longues, ou rues transversales, du sud-ouestau nord-est: mais comme la ville est entourée d’une
(1) Vauquelin, sur le tannate de gélatine et d’albumine.Annales du muséum, t. 15, p. 77.
|345| haute muraille, la circulation de l’air est presque nulle.La brise qui souffle foiblement pendant l’été, du sud-est et de l’est-sud-est, ne se fait sentir que sur les té-rasses des maisons, et les habitans, que pendantl’hiver le vent du nord empêche souvent de traverserles rues, respirent, dans la saison des grandes cha-leurs, un air stagnant et embrasé.
Les étrangers qui fréquentent la Vera-Cruz, ont beau-coup exagéré (1) la malpropreté des habitans. Depuisquelque temps la police a pris des mesures pour main-tenir la salubrité de l’air. La Vera-Cruz est déjàmoins malpropre que beaucoup de villes de l’Europeaustrale: mais fréquentée par des milliers d’européensnon acclimatés, placée sous un ciel brûlant, entouréede petites mares, dont les émanations infectent l’airenvironnant, elle ne verra diminuer les suites funestesdes épidémies, que lorsque la police aura continuéde déployer son activité pendant une longue suited’années. On observe, sur les côtes du Mexique, une liaisonintime entre la marche des maladies et les variationsde la température de l’atmosphère. A la Vera-Cruz,on ne connoît que deux saisons, celle des tempêtesdu nord (los nortes), depuis l’équinoxe de l’automnejusqu’à l’équinoxe du printemps; et celle des brisesou vents sud-est (brizas), qui soufflent assez réguliè-rement depuis mars jusqu’en septembre. Le mois de
(1) Thorne, dans l’American med. repos., t 30, p. 46. Lu-zuriaga, de la calentura biliosa, t. 1, p. 65. [Traduction del’ouvrage de Benjamin Rush, enrichi des observations deM. Luzuriaga.]
|346| janvier est le plus froid de l’année, parce qu’il est leplus éloigné des deux époques auxquelles le soleilpasse par le zénith de la Vera-Cruz (1). Le vomito necommence généralement à sévir dans cette ville, quelorsque la température moyenne des mois atteint les24° du thermomètre centigrade: en décembre, en jan-vier et en février, les chaleurs restent au-dessous decette limite; aussi est-il infiniment rare que la fièvrejaune ne disparoisse pas entièrement dans cette saison,où l’on éprouve souvent un froid assez sensible. Lesfortes chaleurs commencent au mois de mars, et avecelles le fléau de l’épidémie. Quoique mai soit pluschaud que septembre et octobre, c’est cependant dansces deux derniers mois que le vomito fait le plus deravages; car, dans toutes les épidémies, il faut un cer-tain tems pour que le germe se développe dans touteson énergie; et les pluies, qui durent depuis le mois dejuin jusqu’au mois de septembre, influent sans douteaussi sur la production des miasmes qui se formentdans les environs de la Vera-Cruz.
C’est l’entrée et la fin de la saison des pluies quel’on redoute le plus sous les tropiques, parce qu’unetrop grande humidité arrête, presque autant qu’unegrande sécheresse, les progrès de la putréfaction dessubstances végétales et animales qui se trouvent accu-mulées dans les endroits marécageux. Il tombe, à laVera-Cruz, par an, plus de 1,870 millimètres d’eaude pluie: dans le seul mois de juillet de l’année 1803,un observateur exact, M. de Constanzo, colonel du
(1) Le 16 mai et le 27 juillet.
|347| corps des ingénieurs, en a recueilli plus de 380 milli-mètres, ce qui n’est qu’un tiers de moins qu’on n’enrecueille à Londres pendant une année entière. C’estdans l’évaporation de ces eaux de pluie, qu’il fautchercher la cause pour laquelle le calorique n’est pasplus accumulé dans l’air, au second qu’au premierpassage du soleil par le zénith de la Vera-Cruz.Les Européens qui craignent de succomber à l’épidé-mie du vomito, considèrent comme très-heureuses lesannées où le vent du nord souffle avec force jusqu’aumois de mars, et où il se fait déjà sentir depuis lemois de septembre. Pour constater l’influence de latempérature sur les progrès de la fièvre jaune, j’aiexaminé avec le plus grand soin, pendant mon séjourà la Vera-Cruz, des tableaux de plus de 21,000 ob-servations, que le capitaine du port, Don Bernardo deOrta, y a faites pendant les quatorze ans qui ont pré-cédé celle de 1803. Les thermomètres de cet infatigableobservateur ont été comparés à ceux qui m’ont servidans le cours de mon expédition.
Je présente, dans le tableau suivant, les tempéra-tures moyennes des mois, déduites des tableaux mé-téorologiques de M. Orta: j’ai ajouté le nombre desmalades morts de la fièvre jaune en 1803, à l’hôpitalde Saint-Sébastien. J’aurois desiré connoître l’état desautres hôpitaux, sur tout de celui des religieux deSaint-Jean-de-Dieu (San Juan de Dios). Les per-sonnes instruites qui habitent la Vera-Cruz remplirontun jour le cadre que je n’ai fait qu’ébaucher: j’ai indi-qué seulement les individus dont le genre de maladien’est pas resté douteux, à cause des fréquens vomissemensde matières noires. Comme en 1803 le concours des |348| étrangers a été uniforme dans les différentes parties del’année, le nombre des malades désigne assez bien lesprogrès de l’épidémie du vomito. Le même tableauprésente les variations des climats de Mexico et deParis (1), dont la température moyenne contraste sin-gulièrement avec celle des côtes orientales de la Nou-velle-Espagne. A Rome, à Naples, à Cadix, à Sé-ville et à Malaga, la chaleur moyenne du mois d’aoûtdépasse 24°, et diffère par conséquent très-peu de lachaleur de la Vera-Cruz (2). J’aurois ajouté à ce tableau la marche du thermo-mètre à Philadelphie, et le nombre des individus quiy sont morts de la fièvre jaune dans chaque mois, sij’avois pu me procurer des observations propres àdonner la température moyenne des différens mois del’année 1803. Dans les climats tempérés, les résultatstirés des plus grandes et des plus petites élévations quele thermomètre a atteintes à de certaines époques, nenous apprennent rien sur les températures moyennes.Cette observation, très-simple et très-ancienne, paroît
(1) La température moyenne de Mexico se fonde sur lesobservations de M. Alzate. (Observaciones meteorologicas delos ultimos nueve meses del ano 1769, Mexico, 1770) Commeles observations faites dans l’enceinte de Paris indiquentune température un peu plus élevée que celle qui correspondà la latitude de 48° 58′, on a préféré les nombres qui résul-tent du calendrier de Montmorency, calculé par M. Cotte,pour les années 1765-1803. (Journ. de physique, 1809, page382.)(2) Voyez le tableau météorologique et nosographiquede la Vera-Cruz, à la fin de ce cahier.
|349| avoir échappé au grand nombre des médecins qui ontagité le problême, si les dernières épidémies d’Espagneont été causées par des chaleurs que l’on pourroit re-garder comme extraordinaires dans l’Europe australe.On a affirmé, dans beaucoup d’ouvrages, que l’année1790 avoit été de deux degrés plus chaude que lesannées 1799 et 1800, parce que, dans ces deux der-nières années, le thermomètre n’étoit monté à Cadixque jusqu’à 28° et 30°,5, tandis qu’en 1790 il s’étoitélevé jusqu’à 32°. Les belles observations météorolo-giques du chevalier Chacon, publiées par M. Arejula,pourront jeter le plus grand jour sur cette matière im-portante, si on se donne la peine d’en déduire lesmoyennes des mois. La médecine ne trouvera dusecours dans la physique, qu’autant qu’on adopterades méthodes exactes pour examiner les influences dela chaleur, de l’humidité et de la tension électriquede l’air, sur les progrès des maladies.
Nous venons de tracer la marche que suit générale-ment la fièvre jaune à la Vera-Cruz: nous avons vuqu’année commune l’épidémie cesse de sévir, lorsque,à l’entrée des tempêtes du nord, la températuremoyenne du mois s’abaisse au-dessous de 24° (1). Lesphénomènes de la vie sont sans doute assujétis à deslois immuables; mais nous connoissons si peu l’en-semble des conditions sous lesquelles le désordre s’in-
(1) Le sentiment de la chaleur et l’influence de la tem-pérature sur les organes dépendant du degré d’excitationhabituelle, le même air que l’on désigne à la Vera-Cruzcomme froid pourroit encore, sous la zone tempérée, favo-riser le dévéloppement d’une épidémie.
|350| troduit dans les fonctions des organes, que les phé-nomènes pathologiques nous paroissent offrir, dansleur succession, les irrégularités les plus bizarres.Lorsque, à la Vera-Cruz le vomito débute pendantl’été avec beaucoup de violence, on le voit régnerpendant tout l’hiver: l’abaissement de la températurediminue alors le mal, mais il ne parvient pas à l’é-teindre entièrement. L’année 1803, dans laquelle lamortalité fut assez petite, présente un exemple frap-pant de ce genre. On voit, par le tableau que nousavons donné plus haut, que chaque mois il y eutquelques individus attaqués du vomito; mais aussi,pendant l’hiver de 1803, la Vera-Cruz se ressentitencore de l’épidémie qui, l’été précédent, avoit séviavec une force extraordinaire. Le vomito n’ayant pasété très-fréquent pendant l’été de 1803, la maladiecessa entièrement au commencement de l’année 1804.Lorsque, dans les derniers jours du mois de février,nous descendîmes, M. Bonpland et moi, de Xalapaà la Vera-Cruz, la ville ne renfermoit aucun maladede fièvre jaune; et peu de jours après, dans une saisonoù le vent du nord souffloit encore impétueusement,et où le thermomètre ne s’élevoit pas à 19°, M. Com-moto nous conduisit à l’hôpital de Saint-Sébastien, aulit d’un mourant: c’étoit un muletier, métis mexicaintrès-basané, qui venoit du plateau de Perote, et quiavoit été attaqué du vomito en traversant la plaine quisépare la Antigua de la Vera-Cruz.
Ces cas, où la maladie est sporadique en hiver,sont heureusement très-rares, et une véritable épidémiene se développe à la Vera-Cruz que lorsque les cha-leurs de l’été commencent à se faire sentir, et que le |351| thermomètre s’élève fréquemment au-dessus de 24°. Lamême marche de la fièvre jaune s’observe aux États-Unis: à la vérité, M. Carey (1) a observé que les se-maines où la température a été la plus élevée à Phila-delphie, n’ont pas toujours été celles où la mortalitéa été plus forte; mais cette observation prouve seule-ment que les effets de la température et de l’humiditéde l’atmosphère sur la production des miasmes, et surl’état d’irritabilité des organes, ne sont pas toujoursinstantanés. Je suis loin de regarder une chaleur ex-trême comme la seule et véritable cause du vomito;mais comment nier qu’il existe, dans les endroits oùle mal est endémique, une liaison intime entre l’étatde l’atmosphère et la marche de l’épidémie? La suite et la fin au prochain cahier.

(1) Carey, description of the malignant fever of Philadelphia, 1794, p. 38.
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Fragment d’un ouvrage ayant pour titre: Essais po-litiques sur le Mexique; par M. Humbolt.

Troisième et dernier morceau (1)

Il est incontestable que le vomito n’est pas conta-gieux à la Vera-Cruz. Dans la plupart des pays, lepeuple regarde comme contagieuses des maladies quin’ont pas ce caractère; mais au Mexique, aucuneopinion populaire n’interdit à l’étranger non accli-maté l’approche du lit des malades attaqués du vomito. On ne cite aucun fait qui rende probable quele contact immédiat, ou l’haleine du mourant, soitdangereux pour les personnes non acclimatées quisoignent le malade. Sur le continent de l’Amérique
(1) Voyez le premier morceau, page 210; et le deuxièmepage 338 de ce volume.
|414| équinoxiale, la fièvre jaune n’est pas plus contagieuseque ne le sont les fièvres intermittentes en Europe.
D’après les renseignemens que j’ai pu prendre pen-dant un long séjour en Amérique, et d’après les obser-vations de MM. Mackitrick, Walker, Rush, Va-lentin, Miller, et de presque tous les médecins quiont pratiqué à la fois aux îles Antilles et aux Etats-Unis, j’incline à croire que cette maladie n’est conta-gieuse par sa nature, ni sous la zone tempérée (1), nidans les régions équinoxiales du nouveau continent:je dis par sa nature, car il n’est pas contraire à l’ana-logie que présentent d’autres phénomènes pathologi-ques, qu’une maladie qui n’est pas essentiellementcontagieuse, puisse, sous une certaine influence declimats et de saisons, par l’accumulation des maladeset par leur disposition individuelle, prendre un carac-tère contagieux. Il paroît que ces exceptions, infini-ment rares sous la zone torride (2), s’offrent plus par-ticulièrement sous la zone tempérée. En Espagne, où,en 1800, plus de 47,000, en 1804, plus de 64,000individus ont péri victimes de la fièvre jaune, «cette»maladie a été contagieuse, mais seulement dans»les lieux où elle exerçoit ses ravages; car il a été»prouvé par des faits nombreux, observés surtout à
(1) Voyez deux excellens mémoires de M. Stubbins Ffirth,de New Jersey, et de M. Edward Miller, de New-Yorck,sur le caractère non contagieux de la fièvre jaune des Etats-Unis.(2) Fiedler, über das gelbe Fieber nach eigenen Beobachtun-gen, p. 137. Pugnet, p. 393.
|415| »Malaga, à Alicante (1) et à Carthagène, que des»personnes affectées n’avoient pas communiqué la»maladie dans les villages où elles s’étoient retirées,»quoique le climat y fût le même que celui des villes»contagiées». Cette opinion est le résultat des obser-vation faites par la commission éclairée (2) que legouvernement français a envoyée en Espagne en 1805,pour y étudier le développement de l’épidémie.
En fixant successivement les yeux sur les régionséquinoxiales de l’Amérique, sur les Etats-Unis, etsur les parties de l’Europe où la fièvre jaune a exercéses ravages, on voit que, malgré l’égalité de tempé-rature qui règne pendant plusieurs mois de l’été sousces zones très-éloignées les unes des autres, la ma-ladie se présente sous un aspect différent. Entre lestropiques, son caractère non contagieux est presqueuniversellement reconnu. Aux Etats-Unis, ce carac-tère est déjà vivement contesté par la faculté de mé-decine de l’université de Philadelphie, de même quepar MM. Wistar, Blane, Cathral, et d’autres mé-
(1) Bally, Opinion sur la contagion de la fièvre jaune,1810, p 40.(2) MM. Duméril, Bally et Nysten. Il n’est d’ailleurs au-cunement constaté que la fièvre jaune ait été introduite enEspagne par la polacra le Jupiter, expédiée de la Vera-Cruz,ou par la corvette le Dauphin, construite à Baltimore, surlaquelle étoient embarqués l’intendant de la Havanne, donPablo Valiente et le médecin don Josef Caro. (Arejula, p.251.) Trois médecins distingués de Cadix, MM. Ammeller,Delon et Gonzales, croient que la fièvre jaune s’est développéespontanément en Espagne même: une maladie peut être con-tagieuse sans être importée.
|416| decins distingués. Enfin, en avançant au nord-est,en Espagne, nous trouvons la fièvre jaune indubita-blement contagieuse, comme le prouvent les exemplesdes personnes qui s’en sont préservées par l’isolement,quoiqu’elles fussent au milieu du foyer du mal.
Près de la Vera-Cruz, la ferme de l’Encero, quej’ai trouvée élevée de 928 mètres au-dessus du niveaude l’Océan, est la limite supérieure du vomito. Nousavons déjà observé plus haut, que c’est jusque-làseulement que descendent les chênes mexicains, quine peuvent plus végéter dans une chaleur propre àdévelopper le germe de la fièvre jaune. Les individusnés et élevés à la Vera-Cruz ne sont pas sujets à cettemaladie: il en est de même des habitans de la Ha-vane, qui ne quittent pas leur patrie: mais il arriveque des négocians qui sont nés à l’île de Cuba, et quil’habitent depuis un grand nombre d’années, sont at-taqués du vomito prieto, lorsque leurs affaires lesobligent à visiter le port de la Vera-Cruz pendant lesmois d’août et de septembre, où l’épidémie sévit avecle plus de force. On a vu de même des Espagnols-Américains, natifs de la Vera-Cruz, périr victimesdu vomito à la Havane, à la Jamaïque ou aux Etats-Unis. Ces faits sont sans doute très-remarquables, sion les considère sous le rapport des modifications queprésente l’irritabilité des organes. Malgré la grandeanalogie qu’a le climat de la Vera-Cruz avec celui del’île de Cuba, l’habitant de la côte mexicaine, insen-sible aux miasmes que renferme l’air de son paysnatal, succombe aux causes excitantes et pathogéni-ques qui agissent sur lui à la Jamaïque ou à la Havane.Il est probable que, sous le même parallèle, les éma- |417| nations gazeuses qui produisent les mêmes maladies,sont presque identiques; cependant une légère diffé-rence suffit pour jeter le désordre dans les fonctionsvitales, et pour déterminer cette suite particulière dephénomènes qui caractérisent la fièvre jaune. C’estainsi, comme je l’ai fait voir par une longue séried’expériences (1), dans lesquelles l’excitation galva-nique sert à mesurer l’état d’irritabilité des organes, queles agens chimiques excitent les nerfs, non-seulementpar les qualités qui leur sont propres, mais aussi parl’ordre dans lequel on les applique les uns après lesautres. Sous la zone torride, où la pression baromé-trique et la température de l’air sont presque les mêmespendant toute l’année, et où les marées électriques, ladirection du vent et toutes les autres variations météo-rologiques se succèdent avec une immuable uniformité,les organes de l’homme habitué dès sa naissance dansle climat natal aux mêmes impressions deviennentsensibles aux moindres changemens de l’atmosphèreenvironnante. C’est par cette sensibilité extrême quel’habitant de la Havane, transporté à la Vera-Cruzpendant que le vomito y fait les ravages les pluscruels, y court quelquefois la chance des personnesnon acclimatées (2): je dis quelquefois, car en général
(1) Expériences sur l’irritation de la fibre musculaire etnerveuse (en allemand), t. 2, p. 147. Le second volume decet ouvrage, qui a paru après mon départ d’Europe, n’apas été traduit en français.(2) M. Pugnet (sur les fièvres de mauvais caractères, p.346), a fait la même observation sur les natifs de Sainte-Lucie qui visitent les îles voisines.
|418| les exemples que des colons nés aux Antilles soientattaqués de la fièvre jaune à la Vera-Cruz, aux Etats-Unis ou à Cadix, sont aussi rares que les exemplesde nègres (1) qui succombent à cette maladie.
C’est, d’ailleurs, un phénomène bien frappant,que, dans des régions équinoxiales, à la Vera-Cruz,à la Havane et à Portocabello, les indigènes n’ont pasà craindre le fléau de la fièvre jaune, tandis que, dansla zone tempérée, aux Etats-Unis et en Espagne, lesindigènes y sont aussi exposés que les étrangers. Nefaut-il pas chercher la cause de cette différence dansl’uniformité des impressions qu’éprouvent les organesde l’habitant des tropiques, environné d’une atmos-phère qui ne varie que très-peu dans sa température etdans sa tension électrique? Peut-être aussi le mélangedes émanations putrides est-il toujours le même surun sol constamment échauffé par les rayons du soleil,et couvert de débris organiques. L’habitant de Phila-delphie voit succéder un hiver semblable à celui dela Prusse, à un été dont les chaleurs égalent celles deNaples; et malgré l’extrême flexibilité que l’on ob-serve dans l’organisation des peuples du nord, il neparvient pas, pour ainsi dire, à s’acclimater dans lepays natal. Les blancs et les métis qui habitent le plateau in-térieur du Mexique, dont la température moyenne estde 16° ou 17°, et où le thermomètre baisse quelquefoisjusqu’au-dessous du point de la congélation, contrac-
(1) Luzuriaga, t. 1, p. 133. MM. Blane et Carey citent 15nègres et négresses morts de la fièvre jaune à l’île de la Bar-bade et à Philadelphie.
|419| tent plus facilement le vomito lorsqu’ils descendentde l’Encero au Plan del Rio, et de là à la Antigua etau port de la Vera-Cruz, que les européens ou les ha-bitans des Etats-Unis qui arrivent par mer. Ces der-niers, en passant par degrés aux latitudes australes,se préparent peu à peu aux grandes chaleurs qu’ilséprouvent à leur attérage: les Espagnols-Mexicains,au contraire, changent brusquement de climat, lors-que, dans l’espace de quelques heures, ils se transpor-tent de la région tempérée à la zone torride. La mor-talité est surtout très-grande parmi deux classesd’hommes très-différentes dans leurs habitudes et dansleur manière de vivre; savoir: les muletiers (arrieros),qui sont exposés à des fatigues extraordinaires en des-cendant avec leurs bêtes de somme par des cheminstortueux semblables à ceux du Saint Gothard, et lessoldats de recrue destinés à compléter la garnison dela Vera-Cruz.
On a prodigué, dans ces derniers temps, tous lessoins imaginables à ces malheureux jeunes gens nés surle plateau mexicain, à Guanaxuato, à Toluca ou àPuebla, sans avoir réussi à les préserver de l’influencedes miasmes délétères de la côte: on les a laisséspendant plusieurs semaines à Xalapa, pour les accli-mater peu à peu à une température plus élevée; on lesa fait descendre à cheval et la nuit à la Vera-Cruz,afin qu’ils ne fussent point exposés au soleil en traver-sant les plaines arides de la Antigua; on les a logésà la Vera-Cruz dans des appartemens bien aérés:mais jamais on n’a observé qu’ils fussent atteints de lafièvre jaune avec moins de rapidité et de violence queles militaires pour lesquels on n’avoit pas pris ces |420| précautions. Il y a peu d’années que, par une réunionde circonstances extraordinaires, sur trois cents sol-dats mexicains, tous de l’âge de dix-huit à vingt-cinqans, on en a vu périr en trois mois deux cent soixante-douze: aussi à mon départ du Mexique, le gouverne-ment comptoit-il enfin exécuter le projet de confier ladéfense de la ville et du château de San Juan d’Uluaà des compagnies de nègres et d’hommes de couleuracclimatés. Dans la saison où le vomito sévit avec beaucoup deviolence, le plus court séjour à la Vera-Cruz, ou dansl’atmosphère qui entoure la ville, suffit pour fairecontracter le mal aux personnes non acclimatées.Des habitans de la ville de Mexico, qui se proposentde faire le voyage d’Europe, et qui craignent l’insalu-brité des côtes, séjournent ordinairement à Xalapa,jusqu’au moment du départ de leur vaisseau: ils semettent en route pendant la fraîcheur de la nuit, ettraversent la Vera-Cruz en litière, pour s’embarquerdans la chaloupe qui les attend au môle: ces précau-tions sont quelquefois inutiles, et il arrive que cesmêmes personnes sont les seuls passagers qui succom-bent au vomito pendant les premiers jours de la tra-versée. On pourroit admettre que, dans ce cas, lamaladie a été contractée à bord du vaisseau qui a sé-journé dans le port de la Vera-Cruz, et qui renfermedes miasmes délétères; mais la célérité de l’infectionest plus incontestablement prouvée par les exemplesfréquens d’européens aisés, morts du vomito, quoi-qu’en arrivant au môle de la Vera-Cruz, ils eussenttrouvé des litières préparées pour entreprendre de suitele voyage de Perote. Ces faits paroissent, au premier |421| abord, parler en faveur du systême d’après lequel onregarde la fièvre jaune comme contagieuse sous toutesles zones. Mais comment concevoir qu’une maladiese communique à de grandes distances (1), tandis qu’àla Vera-Cruz elle n’est décidément pas contagieuse parcontact immédiat (2)? N’est-il pas plus facile d’ad-mettre que l’atmosphère de la Vera-Cruz contient desémanations putrides qui, respirées pendant le pluscourt espace de temps, portent le désordre dans lesfonctions vitales? La plupart des européens nouvellement débarquéssentent, pendant leur séjour à la Vera-Cruz, les pre-miers symptômes du vomito, qui s’annonce par unedouleur dans la région lombaire, par la coloration dela conjonctive en jaune, et par des signes de conges-tion vers la tête. Dans plusieurs individus, la maladiene se déclare que lorsqu’ils sont déjà arrivés à Xalapa,ou sur les montagnes de la Pileta, dans la région despins et des chênes, à seize ou dix-huit cents mètresau-dessus du niveau de l’Océan. Les personnes qui ontséjourné long-tems à Xalapa, croient deviner, auxtraits des voyageurs qui montent des côtes au plateaude l’intérieur, si, sans s’en appercevoir eux-mêmes,ils renferment déjà le germe de la maladie. L’abatte-ment de l’ame et la crainte augmentent la prédisposi-tion des organes pour recevoir l’impression des mias-mes; et ces mêmes causes rendent le début de la fièvre
(1) Contagium per intimum contactum. (2) Contagium in distans.
|422| jaune plus violent, lorsqu’on annonce imprudemmentau malade (1) le danger dans lequel il se trouve.
Nous venons de voir que les personnes nées à laVera-Cruz ne sont pas exposées à contracter le vomito dans leur pays natal, et qu’elles ont en cela un grandavantage sur les habitans des Etats-Unis, qui se res-sentent de l’insalubrité de leur propre climat. Unautre avantage qu’offre la zone torride, c’est que leseuropéens, et en général tous les individus nés dansdes pays tempérés, n’y sont pas attaqués deux fois dela fièvre jaune. On a observé, dans les îles Antilles,quelques exemples très-rares d’une seconde invasion,
(1) Je puis citer, à cet égard, un trait d’autant pluscurieux qu’il peint en même temps le flegme et la froideurdes indigènes de la race cuivrée. Une personne avec la-quelle j’ai eu des liaisons d’amitié pendant mon séjour àMexico, n’avoit passé que très-peu de temps à la Vera-Cruz, lors de son premier voyage d’Europe en Amérique:elle arriva à Xalapa sans éprouver aucun sentiment qui pûtlui faire connoitre le danger dans lequel elle se trouveroitbientôt. «Vous aurez le vomito ce soir», lui dit gravement unbarbier indien en lui savonnant le visage, «le savon sèche«à mesure que je l’applique, c’est un signe qui ne trompe»jamais, et voilà vingt ans que je rase les chapetons qui»passent par cette ville en remontant à Mexico; sur cinq»il en meurt trois». Cette sentence de mort fit une forteimpression sur l’esprit du voyageur: il eut beau représenterà l’Indien combien son calcul étoit exagéré, et qu’une grandeardeur de la peau ne prouve pas l’infection; le barbier per-sista dans son pronostic. En effet, la maladie se déclarapeu d’heures après, et le voyageur, déjà en route pourPerote, fut obligé de se faire transporter à Xalapa, où ilmanqua de succomber à la violence du vomito.
|423| et ces exemples sont très-communs aux Etats-Unis;mais, à la Vera-Cruz, une personne qui a été une foisattaquée de la maladie, ne craint pas les épidémiessubséquentes. Les femmes qui débarquent sur les côtesdu Mexique, ou qui descendent du plateau central,courent moins de risque que les hommes. Cette pré-rogative du sexe se manifeste même sous la zone tem-pérée. En 1800, il est mort à Cadix 1,577 femmes sur5,810 hommes, et à Séville, 3,672 femmes sur 11,013hommes. On a cru long-temps que les individus at-taqués de la goutte, de fièvres intermittentes ou demaladies syphilitiques, ne contractoient pas le vomito;mais cette opinion est contraire à un grand nombre defaits observés à la Vera-Cruz: on y éprouve d’ailleursce qui a été observé dans la plupart des épidémies (1),qu’aussi long-temps que la fièvre jaune sévit avecviolence, les autres maladies inter-currentes sontsensiblement plus rares.
Les exemples d’individus morts, trente à quaranteheures après la première invasion du vomito, sontplus rares sous la zone torride que dans les régionstempérées. En Espagne, on a vu passer des maladesde l’état de santé à la mort en six ou sept heures (2).Dans ce cas, la maladie se montre dans toute sa sim-plicité; en ne paroissant agir que sur le systême ner-veux. A l’excitation de ce systême succède une pros-tration totale des forces; le principe de vie s’éteint
(1) Schnurrer, Materialien zu einer allgemeinen Naturlehre derEpidemien und Contagien, 1810, p. 40; ouvrage qui renfermedes matériaux précieux pour la zoonomie pathologique. (2) Berthe, p. 79.
|424| avec une rapidité effrayante: alors les complicationsbilieuses ne peuvent pas se manifester, et le malademeurt en éprouvant de fortes hémorragies, mais sansque sa peau se teigne de jaune (1), et sans qu’il vo-misse ces matières que l’on désigne sous le nom debile noire. Généralement, à la Vera-Cruz, la fièvrejaune dure au-delà de six à sept jours, et ce temps suffitpour que l’irritation du systême digestif puisse mas-quer, pour ainsi dire, le véritable caractère de lafièvre adynamique.
Comme le vomito n’attaque, dans la région équi-noxiale, que des individus nés dans les pays froids,et jamais les indigènes, la mortalité de la Vera-Cruz est moins grande qu’on ne devroit le supposer,en considérant la chaleur du climat, et l’extrême irri-tabilité des organes qui en est la suite. Les grandesépidémies n’ont moissonné, dans l’enceinte de laville, qu’à peu près quinze cents individus par an. Jepossède des tableaux qui indiquent l’état des hôpitauxpendant les quinze dernières années; mais comme cestableaux ne désignent pas expressément les maladesmorts du vomito, ils ne nous apprennent presque riensur les progrès qu’a faits l’art pour diminuer le nom-bre des victimes. Dans l’hôpital confié aux soins des religieux deSaint-Jean-de-Dieu (Hospital de San Juan de Dios),la mortalité est excessive: depuis 1786 jusqu’en 1802,
(1) M. Rush observa qu’à Philadelphie, pendant l’épidé-mie de 1793, les personnes qui jouissoient de la meilleuresanté, les nègres même, avoient la conjonctive teinte enjaune, et le pouls extraordinairement accéléré.
|425| il y est entré 27,922 malades, dont il est mort 5,657,ou plus d’un cinquième. Ce nombre des morts doitêtre considéré comme d’autant plus grand, que le vomito n’a pas régné depuis 1786 jusqu’en 1794; etque, parmi les malades entrés dans l’hôpital, il s’enest trouvé plus du tiers affecté de fièvres intermittentesou d’autres maladies non épidémiques. A l’hôpital de Notre-Dame de Loreto, la mortalité a été beau-coup moindre. Depuis 1793 jusqu’en 1802, il y estentré 2,820 individus, dont il est mort 389 ou unseptième. L’hôpital le mieux soigné à la Vera-Cruzest celui de Saint-Sébastien, administré aux frais desnégocians (Hospital del consulado), et soigné parun médecin (1) qui s’est acquis une juste réputationpar ses connoissances, son désintéressement et sagrande activité. L’état de ce petit établissement en1803 se trouve ci-après:

(1) Don Florencio Perez y Comoto.
|426|
MOIS. ENTRÉS SORTIS. DÉCÉDÉS.
VOMITO. AutresMaladies TOTAL. VOMITO. Autresmaladies TOTAL. VOMITO. Autresmaladies TOTAL.
Janvier... 7 .... 7 6 .... 6 1 .... 1
Février... 6 .... 6 4 .... 4 2 .... 2
Mars.... 19 .... 19 14 .... 14 5 .... 5
Avril.... 20 21 41 17 18 35 4 2 6
Mai .... 73 30 103 62 30 92 11 .... 11
Juin .... 49 4 53 43 3 46 6 1 7
Juillet... 51 4 55 40 3 43 11 1 12
Août.... 94 4 98 78 4 82 16 .... 16
Septembre . 68 4 72 60 4 64 8 .... 8
Octobre... 29 22 51 26 20 46 3 2 5
Novembre. 9 17 26 7 15 22 2 2 4
Décembre . 3 19 22 3 16 19 .... 1 1
Total... 428 125 553 360 113 473 69 9 78
|427| D’après ce tableau, la mortalité moyenne a étéd’un septième ou de quatorze pour cent. Le vomito seule n’en a enlevé que seize pour cent, et encore faut-il observer que plus du tiers de ceux qui ont péri,avoient été reçus à l’hôpital, lorsque le mal avoit déjàfait des progrès alarmans. En général, d’après lestableaux du commerce, publiés par le consulado, iln’est mort à la Vera Cruz, en 1803, soit de diversesmaladies, soit de vieillesse, que 959 personnes. Ensupposant la population de seize à dix-sept milleames, on trouve que la mortalité totale est de sixpour cent: or, sur 959 décès, il y en a au moins lamoitié qui sont dus au vomito; par conséquent, àla Vera-Cruz, le nombre des morts est à celui deshabitans acclimatés, à peu près en raison de 1 à 30,ce qui confirme l’opinion très-répandue (1) dans lepays, que les individus habitués, dès leur enfance,aux grandes chaleurs des côtes mexicaines, et auxmiasmes que renferme l’atmosphère, parviennent àune heureuse vieillesse. En 1803, les hôpitaux de laVera-Cruz ont reçu 4371 malades, dont 3671 sontsortis guéris: le nombre des morts n’a donc été quede douze pour cent, quoique, comme nous venonsde le voir par l’état de l’hôpital de Saint-Sébastien, ily a toujours eu, lors même que les vents du nordrafraîchissoient l’air, quelques malades atteints de lafièvre jaune. Nous avons donné jusqu’ici des renseignemensdétaillés sur les ravages que le vomito a faits dans les
(1) Voyez plus haut, chap. 4, p. 62.
|428| murs de la Vera-Cruz même, pendant une annéedans laquelle l’épidémie a sévi avec moins de vio-lence qu’à l’ordinaire; mais un grand nombre de mu-letiers mexicains, de matelots et de jeunes gens (po-lizones), qui s’embarquent dans les ports d’Espagnepour chercher fortune au Mexique, périssent victimesdu vomito, au village de la Antigua, à la ferme duMuerto, à la Rinconada, à Cerro Gordo, même àXalapa, lorsque l’invasion de la maladie est tropprompte pour qu’on puisse les transporter dans leshôpitaux de la Vera-Cruz, ou lorsqu’ils ne se sententattaqués qu’en montant la Cordillère. La mortalité estsurtout extrêmement forte, quand il arrive à la foisdans le port, pendant les mois d’été, plusieurs vais-seaux de guerre et un grand nombre de bâtimens mar-chands. Il est des années où le nombre des morts,dans l’enceinte de la ville et dans les environs, s’é-lève à dix-huit cents ou deux mille. Cette perte estd’autant plus affligeante, qu’elle porte sur une classed’hommes laborieux, d’une constitution forte, et quise trouvent presque tous à la fleur de l’âge. Il résultedes tristes expériences que présente le grand hôpitaldes religieux de San Juan de Dios (1), dans les der-
(1) On étoit occupé, en 1804, de supprimer cet hôpital,et de le remplacer par un autre qui devoit porter le nom de Maison de bienfaisance (casa de beneficiencia). Dans toute l’A-mérique espagnole, les gens éclairés se plaignent des métho-des curatives qui sont employées par les religieux de Saint-Jean-de-Dieu. La tâche que cette congrégation s’est im-posé est des plus nobles: je pourrois citer plusieurs exem-ples du désintéressement et du courage de ces religieux;mais, au lit du malade, la charité ne supplée pas à l’igno-rance de l’art.
|429| niers quinze ans, que partout où les malades accu-mulés sur un petit espace ne sont pas traités avecsoin, la mortalité s’élève, dans les grandes épidé-mies, à 30 ou 35 pour cent; tandis que là où tous lessoins peuvent être prodigués, et où le médecin variele traitement d’après les différentes formes sous les-quelles se présente la maladie dans telle ou telle saison,la mortalité n’excède pas 12 ou 15 pour 100. Ce derniernombre nous a été fourni par les listes de l’hôpital du consulado, dirigé par M. Comoto: il paroît sansdoute bien petit, lorsqu’on le compare aux ravagesqu’a faits récemment la fièvre jaune en Espagne (1);
(1) On peut juger de la mortalité moyenne observée enEspagne dans les épidémies de 1800, 1801 et 1804, par letableau suivant, qui se fonde sur des données que je dois àl’obligeante bonté de M. Duméril.
ANNÉES. VILLES. MALADES MORTS. MORTALITÉmoyenne.
1800. Cadix...... 48,520 9,977 20 pour 100
Séville.... 76,000 20,000 26
Xerès...... 30,000 12,000 40
1801 Séville..... 4,100 660 60
1804 Alicante... 9,000 2,472 27
Cadix...... 5,000 2,000 40
M. Arejula nous apprend que, sur 100 malades, il en estmort, en 1800, à Séville, 19; en 1804, à Alicante, 26;à Malaga, en 1803, près de 40, et en 1804, plus de 60. Ilaffirme qu’en Espagne les médecins peuvent se vanter d’avoir
|430| mais, tout en rapprochant ces faits, il ne faut pasoublier que la maladie ne sévit pas tous les ans et surtous les individus avec la même violence. Pour obte-nir des résultats exacts sur la proportion des mortsaux malades, il faudroit distinguer les différens de-grés d’exacerbation qu’atteint le vomito dans son dé-veloppement progressif. D’après Russel, la pestemême se présente quelquefois à Alep sous des influen-ces atmosphériques si bénignes, que plusieurs despestiférés ne sont pas alités pendant tout le cours del’épidémie.
Dans les environs de la Vera-Cruz, le vomito nes’est fait sentir dans l’intérieur des terres, qu’à dixlieues de distance de la côte. Comme, à mesure quel’on avance vers l’ouest, le terrain s’élève rapidement,et comme cette élévation du sol influe sur la tempé-rature de l’air, la Nouvelle-Espagne ne peut pas nouséclairer sur ce problême important, si la fièvre jaunese développe dans des endroits qui sont très-éloignésde la mer. Un excellent observateur, M. Volney (1),rapporte qu’une maladie épidémique qui offroit degrands rapports avec la fièvre jaune, a régné à l’estdes monts Alleghany, dans les terrains marécageuxqui entourent le fort Miami, près du lac Erié: M. El-licot a fait des observations analogues sur les bords
guéri trois cinquièmes des malades qui vomissoient déjà desmatières noires (De la Febre, p. 148, 433—444). Cette asser-tion d’un célèbre praticien indiqueroit, dans le cas d’unegrande exacerbation de la maladie, une mortalité de 40 pourcent.(1) Tableau du sol de l’Amérique, vol. 2, p. 310.
|431| de l’Ohio; mais il ne faut point oublier que lesfièvres rémittentes bilieuses prennent quelquefois lecaractère adynamique de la fièvre jaune. En Espagne,comme aux Etats-Unis, l’épidémie a suivi les côtesmaritimes et le cours des grandes rivières; on a misen doute si effectivement elle a régné à Cordoue, maisil paroît certain qu’elle a exercé ses ravages à la Cer-lota, à cinq lieues au sud de Cordoue, bourg très-sain, placé sur une colline élevée, et ouvert aux ventsles plus salubres (1).
Le systême de Brown n’a pas excité autant d’en-thousiasme à Edimbourg, à Milan et à Vienne, qu’ilen a excité au Mexique. Les personnes instruites quiont pu observer avec impartialité le bien et le mal qu’aproduits la méthode stimulante, pensent qu’en généralla médecine américaine a gagné à cette révolution.L’abus des saignées, des purgatifs et de tous lesremèdes débilitans, étoit extrêmement grand dans lescolonies espagnoles et françaises. Cet abus n’augmen-toit pas seulement la mortalité parmi les malades, ilétoit aussi nuisible aux Européens nouvellement dé-barqués, que l’on saignoit tandis qu’ils jouissoientencore de la meilleure santé: chez ces derniers, letraitement prophylactique devint une cause prédispo-sante (2) de maladie. Pourroit-on s’étonner que,malgré ses imperfections et sa trompeuse simplicité,
(1) Berthe, p. 16. Il y a, en ligne droite, 26 lieues de laCarlota à la mer.(2) Pinel, t. 1, p. 207. Gilbert, Maladies de St.-Domingue,page 91.
|432| la méthode de Brown ait produit du bien dans un paysoù l’on traitoit une fièvre adynamique comme unefièvre inflammatoire; où l’on craignoit d’administrerle quinquina, l’opium et l’éther; où, dans la plusgrande prostation des forces, on attendoit patiem-ment des crises, en prescrivant du nitre, de l’eau deguimauve et des infusions de Scoparia dulcis? La lec-ture des ouvrages qui ont paru sur le systême deBrown, a engagé les médecins espagnols et mexicainsà raisonner sur les causes et les formes des maladies:des idées énoncées depuis long-tems par Sydenham,par l’école de Leyde, par Stoll et par Franck, onttrouvé accès en Amérique, et l’on attribue aujour-d’hui au systême de Brown une réforme qui est due auréveil de l’esprit observateur, et au progrès généraldes lumières.
Quoique le vomito s’annonce par une diathèsesthénique, les saignées recommandées avec tant dechaleur par Rush, et employées fréquemment par lesmédecins mexicains dans la grande épidémie de 1762,sont regardées comme dangereuses à la Vera-Cruz.Sous les tropiques, le passage de la synoque autyphus, de l’état inflammatoire à l’état de langueur,est si rapide, que la perte du sang que l’on dit fausse-ment en dissolution, accélère la prostration généraledes forces. Dans la première période du vomito, onpréfère les minoratifs, les bains, l’eau à la glace,l’usage des sorbets et d’autres remèdes débilitans.Lorsque, pour parler le langage de l’école d’Edim-bourg, la débilité indirecte se fait sentir, on emploieles excitans les plus énergiques, en commençant parde fortes doses, et en diminuant peu à peu la puis- |433| sance des stimulans. M. Comoto a obtenu de grandssuccès en donnant par heure plus de cent gouttesd’éther sulfurique, et soixante à soixante-dix gouttesde teinture d’opium. Ce traitement contraste singuliè-rement avec celui qui est en usage parmi le peuple,et qui consiste à ne pas relever les forces vitales pardes excitans, mais à employer simplement des bois-sons tièdes et mucilagineuses, des infusions de tama-rin, et des fomentations sur la région épigastrique,pour calmer l’irritation du systême abdominal. Les expériences que l’on a faites à la Vera-Cruzjusqu’en 1804, sur l’usage du quinquina dans la fièvrejaune, n’ont pas eu de succès (1), quoique cette écorceait produit souvent les éffets les plus salutaires auxîles Antilles et en Espagne (2). Il seroit possible quecette difference d’action tînt à la variété des formesque prend la maladie, selon que la rémission est plusou moins marquée, ou que les symptômes gastriquesprédominent sur les symptômes adynamiques. Lespréparations mercurielles, surtout le calomel ou mu-riate de mercure doux, associé au jalap, ont étéfréquemment employées à la Vera-Cruz; mais cesremèdes, tant vantés à Philadelphie et à la Jamaïque,et déjà prescrits dans les fièvres ataxiques par les mé-
(1) D’après l’observation de MM. Rush et Woodhouse,elles n’ont pas eu plus de succès à Philadelphie, dans l’épi-démie de 1797 Luzuriaga, t. 2, p. 218.(2) Pugnet, p. 376. Arejula, p. 151 et 209. MM. Chisholmet Seamen ont préféré le Cortex Augusturæ [l’écorce du Bon-plandia trifoliata] à l’usage du quinquina.
|434| decins espagnols du seizième siècle (1), ont été assezgénéralement abandonnés par les médecins mexicains.On a été plus heureux dans l’emploi des frictionsd’huile d’olive, dont l’utilité avoit été reconnue parM. Ximenez à la Havane, par Don Juan de Arias àCarthagène des Indes (2), et surtout par mon amiM. Keutsch, médecin distingué de l’île de Sainte-Croix, qui a recueilli beaucoup d’observations inté-ressantes sur la fièvre jaune des Antilles. On a re-gardé, pendant quelque temps à la Vera-Cruz, lessorbets, le jus d’ananas (xugo de pina) et l’infusiondu palo mulato, végétal du genre amyris, commedes remèdes spécifiques contre le vomito; mais unelongue et triste expérience a décrédité peu à peu cesremèdes, même chez le peuple mexicain. S’ils doi-vent être rangés parmi les meilleurs moyens prophy-lactiques, ils ne sauroient être la base d’un traitementcuratif.
Comme une chaleur excessive augmente l’action dusystême bilieux, l’usage de la glace ne peut être quetrès-bienfaisant sous la zone torride. On a établi desrelais pour porter la neige avec la plus grande célé-rité, à dos de mulets, de la pente du volcan d’Ori-zaba au port de la Vera-Cruz. La longueur du cheminque parcourt la poste aux neiges (3) (posta de nieve)est de vingt-huit lieues. Les Indiens choisissent des
(1) Luis Lobera de Avila, Vergel de sanidad, 1530. Andresde Laguna, sobre la cura de la pestilencia, 1566. Francisco Franco,de las enfermedades contagiosas, 1569.(2) Luzuriaga, t. 2. p. 218.(3) Voyez pl. 9 de mon Atlas mexicain.
|435| morceaux de neige qui sont mêlés de grains de grêleagglutinés. D’après un ancien usage, ils enveloppentces masses avec de l’herbe sèche, quelquefois mêmeavec de la cendre, deux substances que l’on sait êtrede mauvais conducteurs du calorique. Quoique lesmulets, chargés des neiges d’Orizaba, arrivent enplein trot à la Vera-Cruz, plus de la moitié de laneige se fond pendant la route, la température del’atmosphère étant, en été, constamment de 29 à 30degrés du thermomètre centigrade. Malgré ces obs-tacles, les habitans de la côte peuvent se procurerjournellement des sorbets et de l’eau à la glace. Cetavantage, dont on ne jouit pas aux îles Antilles, àCarthagène et à Panama, est infiniment précieux pourune ville qui est habituellement fréquentée par deshommes nés en Europe et sur le plateau central de laNouvelle-Espagne.
Quoiqu’à la Vera-Cruz, la fièvre jaune ne soit pascontagieuse par contact immédiat, et qu’il ne soitaucunement probable qu’elle y ait jamais été intro-duite du dehors (1), il n’en est pas moins certainqu’elle ne se montre qu’à de certaines époques, sansque jusqu’à ce jour on ait pu découvrir quelles sont
(1) «La Vera Cruz n’a reçu le germe de cette cruelle ma-ladie ni de Siam, ni de l’Afrique, ni des îles Antilles, ni deCarthagène des Indes, ni des Etats-Unis: ce germe a étéproduit [engendrado] dans son territoire même; il y existesans cesse, mais il ne se développe que sous l’influence decertaines circonstances climatiques». Comoto, dans son In-forme al prior del consulado de la Vera-Cruz, del mes de junio 1803. [Manuscrit].
|436| les modifications de l’atmosphère qui, sous la zonetorride, produisent ces changemens périodiques. Ilest à regretter que l’histoire des épidémies ne remontepas au delà d’un demi-siècle. Le grand hôpital mili-taire de la Vera-Cruz a été établi en décembre 1764;mais aucun document conservé dans les archives decet hôpital ne fait mention des maladies qui ont pré-cédé le vomito de 1762. Cette dernière épidémie, quicommença sous le vice-roi marquis de Croix, con-tinua à faire ses ravages jusqu’en 1775, où, aprèsavoir pavé les rues de la Vera-Cruz, on employaquelques foibles moyens de police, tendans à dimi-nuer l’extrême malpropreté de la ville. Les habitansimaginèrent d’abord que le pavé augmenteroit l’insa-lubrité de l’air en augmentant, par la reverbération desrayons solaires, la chaleur insupportable qui règnedans l’enceinte de la ville; mais lorsqu’ils virent quele vomito n’avoit point reparu depuis 1776 jusqu’en1794, ils crurent que ce pavé les en avoit garantispour toujours, sans se rappeler que les mares d’eaustagnantes, situées au sud et à l’est de la ville, conti-nuoient à verser dans l’atmosphère les émanationsputrides, que de tout temps on a regardées à la Vera-Cruz comme le foyer principal des miasmes délétères.C’est un fait très-remarquable que, pendant les huitans qui précédèrent l’année 1774, il n’y eut pas unseul exemple de vomito, quoique le concours desEuropéens et des Mexicains de l’intérieur fût extrê-mement grand, que les matelots non acclimatés selivrassent aux mêmes excès qu’on leur reproche aujour-d’hui, et que la ville fût moins propre qu’elle ne l’estdepuis l’année 1800.
|437| L’épidémie cruelle qui se manifesta en 1794, datede l’arrivée de trois bâtimens de guerre, le vaisseau el Mino, la frégate Vénus, et l’hourque Santa Vi-biana, qui avoient touché à Portorico. Comme cesbâtimens renfermoient un grand nombre de jeunesmarins non acclimatés, le vomito débuta alors à laVera-Cruz avec une violence extrême. Depuis 1794jusqu’en 1804, la maladie a reparu tous les ans,lorsque les vents du nord ont cessé de souffler. Aussivoyons-nous que, de 1787 à 1794, l’hôpital royalmilitaire (1) n’avoit reçu que 16,835 malades, tandis
(1) Cet hôpital reçoit tous les malades qui arrivent parmer. Il y a eu,
ANNÉES. TRAITÉS DÉCÉDÉS
—— —— ——
en 1792.... 2,887..... 71
1793.... 2,907..... 77
1794.... 4,195..... 453
1795.... 3,596..... 421
1796.... 3,181..... 176
1797.... 4,727..... 478
1798.... 5,186..... 195
1799.... 14,672..... 891
1800.... 9,294..... 505
1801.... 7,120..... 226
1802.... 5,242..... 441
Avant le commencement de l’épidémie de 1794, la morta-lité n’étoit que de deux et demi pour cent; aujourd’hui elleest de six à sept pour cent, et elle seroit plus grande encore,si cet hôpital ne recevoit, comme tous les hôpitaux militaires,beaucoup de marins dont la maladie n’est pas grave. Dans les
|438| que, de 1795 à 1802, leur nombre s’est élevé à 57,213.La mortalité a été surtout très-grande en 1799, où levice-roi, marquis de Branciforte, craignant un débar-quement des Anglais sur les côtes orientales, fit can-tonner beaucoup de troupes dans un endroit très-mal-sain, à Aroyo-Moreno, à deux lieues et demie de laVera-Cruz.
Il faut observer que, dans la période qui a précédél’épidémie de 1794, la fièvre jaune n’a pas cessé desévir à la Havane et dans les autres îles Antilles aveclesquelles les négocians de la Vera-Cruz ont entre-tenu constamment des relations de commerce: plu-sieurs centaines de bâtimens sont venus annuellementde ces endroits infectés, sans qu’on les ait mis enquarantaine, et jamais le vomito ne s’est manifesté àla Vera-Cruz, parmi les Européens. J’ai examinédans les registres météorologiques de M. Orta, moispar mois, la température de l’année 1794: loin d’êtreplus élevée, elle a été moindre que celle des annéesprécédentes, comme le prouve le tableau suivant.
hôpitaux civils de Paris, sur cent malades, il en meurt engénéral quatorze à dix-huit; mais il ne faut pas oublier queces hôpitaux admettent un grand nombre de malades presquemourans ou d’un âge trés-avancé. Travaux du Bureau centrald’admission, 1809, p. 5.
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Température moyenne de la Vera-Cruz. (therm. centig.)
MOIS. PAS DE VOMITO PRIETO. ÉPIDÉMIES DU VOMITO PRIETO.
1792. 1793. 1794. 1795.
Janvier...... 21,5 20,8 20,6 20,7
Février...... 21,5 22,3 22,8 21,0
Mars....... 23,7 22,8 22,6 22,5
Avril....... 24,2 26,1 25,3 24,0
Mai........ 27,3 27,9 25,3 26,3
Juin ....... 28,5 27,8 27,5 27,2
Juillet ...... 27,5 26,9 27,8 27,7
Août....... 28,3 28,1 28,3 27,8
Septembre .... 27,5 28,1 27,1 26,1
Octobre...... 26,3 25,5 26,1 25,0
Novembre .... 24,7 24,4 23,0 24,3
Décembre .... 21,9 22,1 21,7 21,9

Températ. moyennede l’année......... 25,2 25,2 24,8 24,5
La chaleur et l’humidité de l’air peuvent influer dedeux manières très-différentes sur le développementdes épidémies: elles peuvent favoriser la productiondes miasmes, ou augmenter simplement l’irritabilitédes organes, et agir comme des causes prédisposantes.D’après les faits que nous avons rapportés plus haut,on ne sauroit nier l’influence de la température sur lesprogrès du vomito à la Vera-Cruz; mais rien neprouve que, lorsque la maladie a cessé de régner depuisplusieurs années, un été très-chaud et très-humide suffisepour la faire renaître; aussi la chaleur ne produit-elle pas seule ce que l’on désigne assez vaguement parle nom de constitution bilieuse. Malgré la couleur |440| jaune que prend la peau des malades, il n’est aucune-ment probable que la bile passe dans le sang (1), etque le foie et le systême de la veine-porte jouent dansla fièvre jaune le rôle principal, comme on l’a sup-posé. Les matières noires, rendues dans le vomitoprieto, offrent une foible analogie avec la bile; ellesressemblent à du marc de café, et j’ai vu qu’elleslaissent quelquefois, sur le linge et sur les murs, destaches indélébiles. Il s’en dégage de l’hydrogène sul-furé, lorsqu’on les chauffe légèrement. D’après lesexpériences de M. Ffirth (2), elles ne conviennent pas
(1) La bile humaine abonde en albumine: sur 1100 parties,elle contient 42 d’albumine, 58 de résine, de matière jaune,de soude et de sel, et 1000 d’eau. Thenard, dans les Mémoiresd’Arcueil, t 1, p. 57.(2) D’après des expériences faites avec beaucoup de soinpar M. Thenard, il n’existe pas de bile dans le sang des per-sonnes attaquées de l’ictère. M. Magendie, qui a enrichi laphysiologie par des expériences ingénieuses sur l’action despoisons, a observé qu’un chien, d’un volume médiocre,meurt si l’on injecte dans ses veines plus de 7 grammes debile; dans ce cas, le serum ne prend pas de couleur jaune,et la conjonctive de l’animal reste blanche. Immédiatementaprès I’injection, on ne reconnoit pas la bile dans le sang parla saveur, quoique de plus petites quantités de bile donnentun goût amer à une masse d’eau considérable. M. Au-tenrieth a observé que chez l’homme le serum du sang de-vient jaune dans des maladies qui n’annoncent pas de com-plications bilieuses. [Physiologie, b. 2, p. 93. Grimaud, second Mémoire sur la nutrition, p. 78]. On sait aussi que lapeau jaunit, dans l’état de santé, chez les vieillards, et qu’elleprend une teinte jaunâtre dans les contusions, et partout oùil y a du sang extravasé.
|441| d’albumine, mais une raisine, une matière huileuse,des phosphates et des muriates de chaux et de soude.Ce même anatomiste a prouvé, par l’ouverture descadavres dans lesquels le pylore étoit totalement obstruéque la matière du vomito n’est pas fournie par les ca-naux hépatiques, mais qu’elle est versée dans l’esto-mac par les artères qui se répandent dans la membranemuqueuse: il assure, et cette assertion est très-frap-pante, que l’on trouve après la mort la matière noireencore contenue dans ces mêmes vaisseaux (1).
Quelques médecins de la Nouvelle-Espagne admet-tent que les épidémies du vomito, comme celles de lapetite-vérole, sont périodiques dans la zone torride,et que déjà approche le temps heureux où les Euro-péens pourront débarquer sur les côtes de la Vera-Cruz, sans y courir plus de risque qu’à Tampico, àCoro, à Cumana, où partout où le climat est excessi-vement chaud, mais d’une grande salubrité. Si cetespoir se réalise, il sera de la plus haute importanced’examiner soigneusement les modifications de l’at-mosphère, les changemens qui pourront avoir lieu àla surface du sol, le desséchement des mares, en unmot tous les phénomènes qui coïncideront avec la finde l’épidémie. Je ne serois point surpris cependant queces recherches ne conduisissent à aucun résultat positif.Les belles expériences de MM. Thenard et Dupuytrennous ont enseigné que des quantités extrêmementpetites d’hydrogène sulfuré, mêlées à l’air atmosphé-rique, suffisent pour produire des asphyxies (2). Les
(1) Stubbins Ffirth, p. 37 et 47.(2) Un chien est asphyxié dans un air qui renferme deuxmillièmes d’hydrogène sulfuré.
|442| phénomènes de la vie sont modifiés par un grand nom-bre de causes, dont les plus puissantes échappent ànos sens (1). Nous voyons naître des maladies partoutoù des substances organisées, imprégnées d’un certaindegré d’humidité, et échauffées par le soleil, sont encontact avec l’air atmosphérique. Sous la zone torride,les petites mares deviennent d’autant plus dangereusesqu’elles sont entourées, comme à la Vera-Cruz et àCarthagène des Indes, d’un terrain aride et sablon-neux, qui élève la température de l’air ambiant. Nousdevinons quelques-unes des conditions sous lesquellesse forment les émanations gazeuses, que l’on désignepar le nom de miasmes, mais nous ignorons leur com-position chimique. Il n’est plus permis d’attribuer lesfièvres intermittentes à l’hydrogène accumulé dans lesendroits chauds et humides; les fièvres ataxiques àdes émanations ammoniacales; les maladies inflam-matoires à une augmentation d’oxygène dans l’airatmosphérique. La nouvelle chimie, à laquelle nousdevons tant de vérités positives, nous a appris aussique nous ignorons beaucoup de choses que nous noussommes flattés long-temps de savoir avec certitude.
Quelle que soit notre ignorance sur la nature desmiasmes, qui sont peut-être des combinaisons ternai-res ou quaternaires, il n’en est pas moins certain quel’insalubrité de l’air de la Vera-Cruz diminueroitsensiblement, si l’on parvenoit à dessécher les maresqui entourent la ville; si l’on fournissoit de l’eau
(1) Gay-Lussac et Humboldt, Exp. sur les princ. consti-tuans de l’atmosphère, p. 25 et 28.
|443| potable aux habitans; si l’on éloignoit d’eux les hô-pitaux et les cimetières (1); si l’on faisoit de fréquentesfumigations d’acide muriatique oxygéné dans les sallesdes malades, dans les églises, et surtout à bord desvaisseaux; enfin, si l’on abattoit les murs de la ville,qui forcent la population de se concentrer dans unpetit espace de terrain, et qui empêchent la circula-tion de l’air, sans empêcher le commerce frauduleux.
Si, au contraire, le gouvernement emploie lemoyen extrême de détruire une ville dont la construc-tion a coûté tant de millions; s’il force les négociansde s’établir à Xalapa, la mortalité de la Vera-Cruzne diminuera pas autant qu’on pourroit le croire aupremier abord. Il est vrai que les muletiers nègres, ounatifs de la côte, pourroient porter les marchandisesjusqu’à la ferme de l’Encero, qui est la limite supé-rieure du vomito, et que les habitans de Quererato etde Puebla n’auroient plus besoin de descendre jusqu’auport, pour faire leurs achats; mais les gens de mer,parmi lesquels le vomito fait les ravages les plus cruels,seroient toujours obligés de rester dans le port. Lespersonnes que l’on forceroit de demeurer à Xalapa,seroient justement celles qui sont habituées au climatde la Vera-Cruz, parce que depuis long-temps desintérêts de commerce les ont fixées sur les côtes. Nousn’examinerons pas ici l’extrême difficulté avec laquelledes affaires qui embrassent annuellement un capital
(1) En 1804, les négocians les plus riches de la ville croyantvaincre, par leur exemple, les préjugés du bas-peuple, ontfait la déclaration formelle qu’eux et leurs familles ne seferont pas enterrer dans l’enceinte de la ville.
|444| de 250 millions de livres tournois, pourroient êtrefaites à une si grande distance du port et des maga-sins; car cette belle ville de Xalapa, où l’on jouitd’un printemps perpétuel, est éloignée de la mer deplus de vingt lieues. Si l’on détruit la Vera-Cruz, etque l’on établisse une foire à Xalapa, le commercetombera de nouveau entre les mains de quelques fa-milles mexicaines qui gagneront des richesses immen-ses: le petit négociant ne pourra subvenir aux dépensesqu’exigeront les voyages fréquens de Xalapa à la Vera-Cruz, et le double établissement sur les montagnes etsur la côte.
Des personnes éclairées ont fait sentir au vice-roiles inconvéniens qui résulteroient de la destruction dela Vera-Cruz; mais elles ont en même-temps proposéde fermer le port pendant les mois où règnent lesgrandes chaleurs, et de ne laisser entrer les bâtimensque pendant l’hiver, lorsque les Européens ne ris-quent presque pas d’y contracter la fièvre jaune. Cettemesure paroît très-sage, en ne considérant que ledanger que courent les gens de mer déjà arrivés dansle port; mais il ne faut point oublier que ces mêmesvents du nord qui réfroidissent l’atmosphère, et quiétouffent le germe de l’infection, rendent aussi très-dangereuse la navigation dans le golfe du Mexique. Siles bâtimens qui entrent annuellement dans le portde la Vera-Cruz arrivoient tous pendant l’hiver, lesnaufrages seroient extrêmement fréquens, tout sur lescôtes de l’Amérique que sur celles de l’Europe. Ilrésulte de ces considérations, qu’avant d’avoir recoursà des mesures si extraordinaires, il faut tenter tousles moyens propres à diminuer l’insalubrité d’une |445| ville, dont la conservation n’est pas seulement liée aubonheur individuel de ses citoyens, mais à la pros-périté publique de la Nouvelle-Espagne.

Tableau météorologique et nosographique de la Vera-Cruz (lat. 19° 11′ 52″) thermomètre centigrade (Voy. page 348 de ce volume).

DIVISION de L’ANNÉE. TEMPÉRATUREmoyenneA la Vera-Cruz. progrès DU VOMITO. (Etat de l’hôpitalde S.-Sébastien.) REMARQUES. températuremoyenne.
Entrés: Morts a mexico. a paris.
Vents du nord. Janvier .. 21°,7 7 1 A la Guayra, à Cumana, sur le paral-lèle de la Vera-Cruz, aux iles Antillesorientales, et par-tout où le vent du nordne souffle pas, la température moyennedu mois de janvier n’est jamais au-des-sous de 25°. Températ.moyennedouteuse.Le ther-momètredescenden janvierjusqu’à 5°.ou 6° etmêmeau-dessous. 1°,2
Février.. 22°,6 6 2 4°,3
Mars.... 23°,3 19 5 8°,0
Brise, température moyenne au-dessus de 24°.Saison du vomito. Avril.... 25°,7 20 4 Quelquefois le vent du nord souffleencore. 18°,6 10°,5
Mai .... 27°,6 73 11 Premier passage du soleil par le zénithde la Vera-Cruz. 18°,8 14°,1
Juin.... 27°,5 49 6 Commencement de la saison des pluies. 16°,9 18°,0
Juillet... 27°,5 51 11 Second passage du soleil par le zénithde la Vera-Cruz. 17°,0 19°,4
Août.... 27°,6 94 16 Température moyenne du mois d’août,Rome, de 26°; à Upsal, de 15°,6. 17°,0 20°,2
Septembre. 27°,4 68 8 Fin de la saison des pluies. 15°,8 16°,4
Octobre .. 26°,2 29 3 Quelquefois le vent du nord commencedéjà à alterner avec la brise. 16°,4 12°,0
Ventsdu nord. Novembre 24°,0 9 2 Ces deux mois sont si secs, qu’en 1803la quantité d’eau de pluie ne s’élevoit pasà 14 millimètres, tandis que le 18 août etle 15 septembre il en étoit tombé en vingt-quatre heures plus de 70 millimètres. 14,°4 6°,5
Décembre. 21°,1 3 0 13,°7 3°,8
La température moyenne de la Vera–Cruz est de 25,4; celle de Mexico, de 17°; celle de Paris, de 11°3.