Antiquités du Mexique. Le rôle important que jouèrent dans l’histoire du Nouveau-Monde les habitants de cette belle contrée du Mexique, nous engage à emprunter à l’Essai statistique sur la Nouvelle-Espagne et aux Vues des Cordillères, de M. A. de Humboldt, les deux fragments suivants, dont le premier donne une idée de la civilisation des Aztèques en la comparant à celle des Péruviens, et le second offre des rapprochements curieux sur les croyances religieuses des deux hémisphères, et trace d’une main habile l’histoire des migrations des Mexicains et les événements les plus mémorables de leurs annales. «En observant que les indigenes avaient une connaissance presque exacte de la grandeur de l’année, qu’ils intercalaient à la fin de leur grand cycle de 104 ans avec plus d’exactitude que les Grecs, les Romains et les Egyptiens, on est tenté de croire que ces progrès ne sont pas l’effet du développement intellectuel des Américains même, mais qu’ils les devaient à leur communication avec quelque peuple très-cultivé de l’Asie centrale. Les Toultèques paraissent dans la Nouvelle-Espagne au vii e siècle, les Aztèques au xii e; déjà ils dressent la carte géographique du pays parcouru, déjà ils construisent des villes, des chemins, des digues, des canaux, d’immenses pyramides très-exactement orientées, et dont la base a jusqu’à 438 mètres de long. Leur système de féodalité, leur hiérarchie civile et militaire se trouvent dès lors si compliqués, qu’il faut supposer une longue suite d’événements politiques pour que l’enchaînement singulier des autorités, de la noblesse et du clergé ait pu s’établir, et pour qu’une petite portion du peuple, esclave elle-même du sultan mexicain, ait pu subjuguer la grande masse de la nation. L’Amérique méridionale nous offre des formes singuliéres de gouvernements théocratiques: tels étaient ceux du Zaque de Bogota (l’ancienne Cundinamarca) et de l’Ynca du Pérou, deux empires étendus dans lesquels le despotisme sé cachait sous les apparences d’un régime doux et patriarcal. Au Mexique, au contraire, de petites peuplades, lassées de la tyrannie, s’étaient donné des constitutions républicaines. Or ce n’est qu’après de longs orages populaires que ces constitutions libres peuvent se former. L’existence des républiques n’indique pas une civilisation très-récente. Comment, en effet, douter qu’une partie de la nation mexicaine ne fût parvenue à un certain degré de culture, en réfléchissant sur le soin avec lequel les livres hiéroglyphiques furent composés, en se rappelant qu’un citoyen de Tlascala, au milieu du bruit des armes, profita de la facilité que lui offrait notre alphabet romain, pour écrire dans sa langue cinq gros volumes sur l’histoire d’une patrie dont il déplorait l’avilissement? Nous ne résoudrons point ici le problème, d’ailleurs si important pour l’histoire, si les Mexicains du xv e siècle étaient plus civilisés que les Péruviens, et si les uns et les autres, abandonnés à eux-mêmes, n’auraient pas fait des progrès plus rapides vers la culture intellectuelle que ceux qu’ils ont faits sous la domination du clergé espagnol ? Nous n’examinerons pas non plus si, malgré le despotisme des princes aztèques, le perfectionnement de l’individu trouvait moins d’entraves au Mexique que dans l’empire des Yncas. Dans ce dernier, le législateur n’avait voulu agir sur les hommes que par masses; en les contenant dans une obéissance monastique, en les traitant comme des machines animées, il les forçait à des travaux qui nous étonnent par leur ordonnance, par leur grandeur et surtout par la persévérance de ceux qui les ont dirigés. Si nous analysons le mécanisme de cette théocratie péruvienne généralement trop vantée en Europe, nous observerons que partout où les peuples sont divisés en castes, dont chacune ne peut s’adonner qu’à de certains genres de travaux, que partout où les habitants ne jouissent pas d’une propriété particulière et travaillent au seul profit de la communauté, on pourra trouver des canaux, des chemins, des aqueducs, des pyramides, des constructions immenses; mais que ces peuples, conservant pendant des milliers d’années le même aspect d’aisance extérieure, n’avancent presque pas dans la culture morale, qui est le résultat de la liberté individuelle. Sur les caractères de la vraie civilisation et sur son progrès indéfini dans les sociétés chrétiennes, Voy. notre Dictionnaire apologétique, t. I, Introduction, § XIII. «De tous les traits d’analogie que l’on observe dans les monuments, dans les mœurs et dans les traditions des peuples de l’Asie et de l’Amérique, le plus frappant est celui que présente la mythologie mexicaine dans la fiction cosmogonique des destructions et des régénérations périodiques de l’univers. Cette fiction, qui lie le retour des grands cycles à l’idée d’un renouvellement de la matière supposée indestructible, et qui attribue à l’espace ce qui semble n’appartenir qu’au temps, remonte jusqu’à la plus haute antiquité. Les livres sacrés des Hindous, surtout le Bhâgatava Pourâna, parlent déjà des quatre âges et des pralayas, ou cataclysmes, qui, à diverses époques, ont fait périr l’espèce humaine. Une tradition de cinq âges, analogue à celle des Mexicains, se retrouve sur le plateau du Tibet. S’il est vrai que cette fiction astrologique, qui est devenue la base d’un système particulier de cosmogonie, a pris naissance dans l’Hindoustan, il est probable aussi que, de là, par l’Iran et la Chaldée, elle a passé aux peuples occidentaux. On ne saurait méconnaître une certaine ressemblance entre la tradition indienne des yougas et des kalpas, les cycles des anciens habitants de l’Etrurie, et cette série de générations détruites, caractérisées par Hésiode sous l’emblème de quatre métaux. «Les peuples de Culhua ou du Mexique,» dit Gomara, qui écrivait au milieu du xvi e siècle, «croient, d’après leurs peintures hiéroglyphiques, qu’avant le soleil qui les éclaire maintenant il y en a déjà eu quatre qui se sont éteints les uns après les autres. Ces divers soleils sont autant d’âges dans lesquels notre espèce a été anéantie par des inondations, par des tremblements de terre, par un embrasement général et par l’effet des ouragans. Après la destruction du quatrième soleil, le monde a été plongé dans les ténèbres pendant l’espace de vingt-cinq ans. C’est au milieu de cette nuit profonde, dix ans avant l’apparition du cinquième soleil, que le genre humain a été régénéré. Alors les dieux, pour la cinquième fois, ont créé un homme et une femme. Le jour où parut le dernier soleil porta le signe tochtli (lapin), et les Mexicains comptent huit cent cinquante aus, depuis cette époque jusqu’en 1552. Leurs annales remontent jusqu’au cinquième soleil. Ils se servaient de peintures historiques (escritura pintada), même dans les quatre âges précédents; mais ces peintures, à ce qu’ils affirment, ont été détruites, parce qu’à chaque âge tout doit être renouvelé. D’après Torquemada, cette fable, sur la révolution des temps et la régénération de la nature, est d’origine toltèque: c’est une tradition nationale qui appartient à ce groupe de peuples que nous connaissons sous les noms de Toltèques, Chichimèques, Acolhues, Nahuatlaques, Tlascaltèques et Aztèques, et qui, parlant une même langue, ont reflué du nord au sud depuis le milieu du vi e siècle de notre ère. «D’après le système des Mexicains, les quatre grandes révolutions de la nature sont causées par les quatre éléments; la première catastrophe est l’anéantissement de la force productrice de la terre; les trois autres sont dues à l’action du feu, de l’air et de l’eau. Après chaque destruction, l’espèce humaine est régénérée, et tout ce qui n’a pas péri de la race ancienne est transformé en oiseaux, en singes ou en poissons. Ces transformations rappellent encore les traditions de l’Orient: mais dans le système des Hindous, les âges ou yougas se terminent tous par des inondations; et dans celui des Egyptiens, les cataclysmes alternent avec des conflagrations, et les hommes se sauvent, tantôt sur les montagnes, tantôt dans les vallées. Ce serait nous écarter de notre sujet, que d’exposer ici les petites révolutions locales arrivées à plusieurs reprises dans la partie montueuse de la Grèce, et de discuter le fameux passage du second livre d’Hérodote, qui a tant exercé la sagacité des commentateurs. Il paraît assez certain que, dans ce passage, il n’est pas question d’apocatastases, mais de quatre changements (apparents) arrivés dans les lieux du coucher et du lever du soleil, et causés par la précession des équinoxes. «Comme on pourrait être surpris de trouver cinq âges ou soleils chez les peuples du Mexique, tandis que les Hindous et les Grecs n’en admettent que quatre, il est utile de faire remarquer ici que la cosmogonie des Mexicains s’accorde avec celle des Tibétains, qui regarde aussi l’âge présent comme le cinquième. En examinant avec attention le beau morceau d’Hésiode, dans lequel il expose le système oriental du renouvellement de la nature, on voit que ce poëte compte effectivement cinq générations en quatre âges. Il divise le siècle de bronze en deux parties qui embrassent la troisième et la quatrième génération, et l’on peut être surpris qu’un passage si clair ait quelquefois été mal interprété. Nous ignorons quel était le nombre des âges rapportés dans les livres de la Sibylle; mais nous pensons que les analogies que nous venons d’indiquer ne sont pas accidentelles, et qu’il n’est pas sans intérêt pour l’histoire philosophique de l’homme de voir les mêmes fictions répandues depuis l’Etrurie et le Latium jusqu’au Tibet, et de là jusque sur le dos des Cordillères du Mexique. «La région montagueuse du Mexique, semblable au Caucase, était habitée, dès les temps les plus reculés, par un grand nombre de peuples de races différentes. Une partie de ces peuples peut être considérée comme le reste de tribus nombreuses qui, dans leurs migrations du nord au sud, avaient traversé le pays d’Anahuac, et dont quelques familles, retenues par l’amour du sol qu’elles avaient défriché, s’étaient séparées du corps de la nation, en conservant leur langue, leurs mœurs et la forme primitive de leur gouvernement. «Les peuples les plus anciens du Mexique, ceux qui se regardaient comme autochthones, sont: les Olmèques ou Ilulmèques, qui ont poussé leurs migrations jusqu’au golfe de Nicoya et à Léon de Nicaragua, les Xicalanques, les Cores, les Tépanèques, les Tarasques, les Miztèques, les Tzapotèques et les Otomites. Les Olmèques et les Xicalanques, qui habitaient le plateau de Tlascala, se vantaient d’avoir subjugué ou détruit, à leur arrivée, les géants ou quinametin, tradition qui se fonde vraisemblablement sur l’aspect des ossements d’éléphants fossiles trouvés dans ces régions élevées des montagnes d’Anahuac. Boturiai avance que les Olmèques, chassés par les Tlascaltèques, ont peuplé les Antilles et l’Amérique méridionale. «Les Toltèques, sortis de leur patrie, Huehuetlapallan ou Tlaipallan, l’an 544 de notre ère, arrivent à Tollautzinco, dans le pays d’Anahuac, en 648, et à Tula, en 670. Sous le règne du roi toltèque, lxtlicuechahuac, en 708, l’astrologue Huematzin composa le fameux livre divin, le Teoamoxtli, qui renfermait l’histoire, la mythologie, le calendrier et les lois de la nation. Ce sont aussi les Toltèques qui paraissent avoir construit la pyramide de Cholula, sur le modèle des pyramides de Teotihuacan. Ces dernières sont les plus anciennes de toutes, et Siguenza les croit l’ouvrage des Olmèques. «C’est du temps de la monarchie toltèque, ou dans des siècles antérieurs, que paraît le Budha mexicain, Quetzalcohuatl, homme blanc, barbu, et accompagne d’autres étrangers qui portaient des vêtements noirs en forme de soutanes. Jusqu’au xvi e siècle, le peuple employait de ces habits de Quetzalcohuatl pour se déguiser dans les fêtes. Le nom du saint etait Cuculca à Yucatan, et Camaxtli à Tlascala. Son manteau était parsemé de croix rouges. Grand prètre de Tula, il fonda des congrégations religieuses. Il ordonna des sacrifices de fleurs et de fruits, et se bouchait les oreilles lorsqu’on lui parlait de la guerre. Son compagnon de fortune, Huemac, était en possession du pouvoir séculier, tandis que lui-même jouissait du pouvoir spirituel. Cette forme de gouvernement était analogue avec celles du Japon et du Cundinamarca; mais les premiers moines, missionnaires espagnols, ont gravement discuté la question si Quetzalcohualt était Carthaginois ou Irlandais. De Cholula, on envoya des colonies à la Mixteca, à Huaxayacac, Tabasco et Campéche. On suppose que le palais de Mitla a été construit par ordre de cet inconnu. Du temps de l’arrivée des Espagnols, on conservait à Cholula, comme des reliques précieuses, certaines pierres vertes qui avaient appartenu à Quetzalcohuatl; et le P. Toribio de Motilinia vit encore sacrifier en honneur du saint au sommet de la montagne de Matlalcuye, près de Tlascala. Le même religieux assista, à Cholula, à des exercices ordonnés par Quetzalcohuatl, dans lesquels les pénitents se sacrifiaient la langue, les oreilles et les lèvres. Le grand prêtre de Tula avait fait sa première apparition à Panuco; il quitta le Mexique dans le dessein de retourner à Tlalpallan, et c’est dans ce voyage qu’il disparut, non pas au nord, comme on devrait le supposer, mais à l’est, sur les bords du Rio Huasacualco. La nation espéra son retour pendant un grand nombre de siècles. Lorsque, en arrivant à Ténochtitlan, je passai par Xochimilco, dit le moine Bernard de Sahagun, tout le monde me demanda si je venais de Tlalpallan. Je n’entendais pas alors le sens de cette question, mais je sus plus tard que les Indiens nous prenaient pour les descendants de Quetzalcohuatl. Il est intéressant sans doute de réunir jusqu’aux plus petites circonstances de la vie de ce personnage mystérieux qui, appartenant à des temps héroïques, est probablement antérieur aux Toltèques. «Peste et destruction des Toltèques, en 1051. Ils poussent leurs migrations plus loin au sud. Deux enfants du dernier roi et quelques familles toltèques restent dans le pays d’Anahuac. «Les Chichimèques, sortis de leur patrie, Amaquemecan, arrivent au Mexique en 1170. «Migration des Nahuatlaques (Anahuatlaques) en 1178. Cette nation renferma les sept tribus des Sochimilques, des Chalques, des Tépanèques, des Acolhues, des Tlahuiques, des Tlascaltèques ou Téochichimèques et des Aztèques ou Mexicains, qui, de même que les Chichimèques, parlaient tous la langue toltèque. Ces tribus appelaient leur patrie Aztlan ou Teo-Acolhuacan, et la disaient voisine d’Amaquemecan. Les Aztèques étaient sortis d’Aztlan, d’après Gama, en 1064; d’après Clavigero, en 1160. Les Mexicains proprement dits se séparèreut des Tlascaltèques et des Chalques, dans les montagnes de Zacatecas. «Arrivée des Aztèques à Tlalixco ou Acahualtzinco, en 1087: réforme du calendrier, et première fête du feu nouveau depuis la sortie d’Aztlan, en 1091. «Arrivée des Azteques à Tula, en 1196; à Tzompanco, en 1216; et à Chapoltepec en 1245. «Sous le règne de Nopaltzin, roi des Chichimèques, un Toltèque, appelé Xiuhtlato, seigneur de Quaultepec, enseigne au peuple, vers l’an 1250, la culture du maïs et du coton, et la panification de la farine de maïs. Le peu de familles toltèques qui habitaient les rives du lac de Ténochtitlan, avaient entièrement négligé la culture de cette graminée, et le froment américain aurait été perdu pour toujours, si Xiuhtlato n’en eût conservé quelques grains depuis sa première jeunesse. «Union entre les trois nations des Chichimèques, des Acolhues et des Toltèques. Nopaltzin, fils du roi Xolotl, épouse Azcaxochitl, fille d’un prince toltèque; Pochotl, et les trois sœurs de Nopaltzin s’allient aux chefs des Acolhues. Il existe peu de nations dont les annales présentent un si grand nombre de noms de famille et de lieux que les annales hiéroglyphiques d’Anahuac. «Les Mexicains tombent dans l’esclavage des Acolhues, en 1314, mais ils réussissent bientôt à s’y soustraire par leur valeur. «Fondation de Ténochtitlan, en 1325. «Rois mexicains: I. Acamapitzin, 1352-1389; II. Huitzilihuitl, 1389-1410; III. Chimalpopoca, 1410-1422; IV. Itzoatl, 1423-1456; V. Motezuma- Ilhuicamina ou Motezuma premier, 1436-1464; VI. Axajacatl, 1464-1477; VII. Tizoc, 1477-1480; VIII. Ahuitzotl, 1480-1502; IX. Motezuma-Xocojotzin ou Motezuma second, 1502-1520; X. Cuitlahuatzin, dont le règne ne dura que trois mois; XI. Quauhtemotzin, qui régna pendant neuf mois de l’année 1521. «Arrivée de Cortez à la plage de Chalchicuecan, en 1519. «Prise de la ville de Ténochtitlan, en 1521.»