EXTRAIT DES VUES DES CORDILLIERES et MONUMENTS DES PEUPLES INDIGENES DE L'AMERIQUE, par M. DE HUMBOLDT. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les recherches sur les monuments eleves par des nations a demi barbares, outre l'interet qu'elles presentent sous le rapport de l'art et sous le rapport historique, ont encore un autre interet qu'on pourrait nommer psychologique; elles offrent a nos yeux le tableau de la marche uniforme et progressive de l'esprit humain. Les ouvrages des premiers habitants du Mexique tiennent le milieu entre ceux des peuples scythes et les monuments antiques de l'Indostan. Quel spectacle imposant nous offre le genie de l'homme, parcourant l'espace qu'il y a depuis les tombeaux de Tinian et les statues de l'eile de Pasques, jusqu'aux vestiges du temple mexicain de Mitla; et depuis les idoles informes que renfermait ce temple, jusqu'aux chefs-d'oeuvre du ciseau de Praxitele et de Lysippe! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . BUSTE D'UNE PRETRESSE AZTEQUE. J'ai place en tete de mon atlas pittoresque un reste precieux de la sculpture azteque antique; c'est un buste en basalte, conserve a Mexico dans le cabinet d'un amateur eclaire, M. Dupe, capitaine au service de sa majeste catholique. Cet officier instruit qui, dans sa jeunesse, a puise le goaut des arts en Italie, a fait plusieurs voyages dans l'interieur de la Nouvelle-Espagne, pour etudier les monuments mexicains. Il est hors de doute que M. de Humboldt entend designer, sous le nom de Dupe, le capitaine Dupaix, dont nous publions les relations dans le present ouvrage. La designation de son titre, et l'indication des recherches auxquelles il s'est livre pendant les voyages scientifiques executes par ordre de sa majeste catholique, dans l'interieur des provinces mexicaines, ne permettent pas d'hesiter sur l'identite: c'est le meme dont M. de Humboldt parle dans sa lettre a M. Latour Allard, en le designant par son vrai nom de Dupaix, lettre ecrite quinze ans plus tard (28 juillet 1826), et que nous avons imprimee a la suite du Discours preliminaire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le buste, represente dans sa grandeur naturelle et de deux cotes, frappe sur-tout par une espece de coiffe qui a quelque ressemblance avec le voile ou calantica des tetes d'Isis, des Sphinx, des Antinoüs, et d'un grand nombre d'autres statues egyptiennes. Il faut observer cependant que, dans le voile egyptien, les deux bouts qui se prolongent au-dessous des oreilles sont le plus souvent tres minces et plies transversalement. Dans une statue d'Apis qui se trouve au Musee Capitolin, les bouts sont convexes par-devant, et stries longitudinalement, tandis que la partie posterieure, celle qui touche le cou, est plane et non arrondie comme dans la coiffe mexicaine. Cette derniere presente la plus grande analogie avec la draperie striee qui entoure les tetes enclavees dans les chapiteaux des colonnes de Tentyris, comme on peut s'en convaincre en consultant les dessins exacts que M. Denon en a donnes dans son Voyage en Egypte. Ce morceau sera place, ainsi que plusieurs autres, dans les planches supplementaires, apres celles qui tiennent immediatement aux trois relations de Dupaix. -- Voir Planches supplem. n° 1. Peut-etre les bourrelets canneles qui, dans l'ouvrage mexicain, se prolongent vers les epaules, sont-ils des masses de cheveux semblables aux tresses que l'on voit dans une statue d'Isis, ouvrage grec qui est place dans la bibliotheque de la Villa-Ludovisi, a Rome. Cet arrangement extraordinaire des cheveux frappe sur-tout dans le revers du buste, qui presente une immense bourse attachee au milieu par un noeud. Le celebre Zoega m'a assure avoir vu une bourse tout-a-fait semblable dans une petite statue d'Osiris, en bronze, au Musee du cardinal Borgia, a Veletri. Le front de la pretresse azteque est orne d'une rangee de perles qui bordent un bandeau tres etroit. Ces perles n'ont ete observees dans aucune statue de l'Egypte; elles indiquent les communications qui existaient entre la ville de Tenochtitlan, l'ancien Mexico, et les cotes de la Californie, ou l'on en pechait un tres grand nombre. Le cou est enveloppe d'un mouchoir triangulaire, auquel pendent vingt-deux grelots ou glands places avec beaucoup de symetrie. Ces grelots, comme la coiffe, se retrouvent dans un grand nombre de statues mexicaines, dans des bas-reliefs et des peintures hieroglyphiques. Ils rappellent les petites pommes et les fruits de grenade qui etaient attaches a la robe du grand-pretre des Hebreux. Sur le devant du buste, et a un demi-decimetre de hauteur au-dessus de sa base, on remarque de chaque cote les doigts du pied, mais il n'y a point de mains, ce qui indique l'enfance de l'art. On croit reconnaeitre, sur le revers, que la figure est assise ou meme accroupie. Il y a lieu de s'etonner que les yeux soient sans pupilles, tandis qu'on les trouve indiquees dans le bas-relief decouvert recemment a Oaxaca. Malgre la conformation donnee par le sculpteur a ces parties de la statue, on pourrait supposer, en raison de la place qu'elles occupent, que ce sont les mains qui sont figurees, et que ni les jambes ni les pieds ne l'ont ete dans ce morceau. L'observation faite ici par M. de Humboldt est importante. Generalement, dans les statues et les bas-reliefs mexicains, la pupille est indiquee. Cependant on a pu deja s'apercevoir, par les morceaux qui font partie de la presente collection, que les yeux ne presentent pas toujours cette particularite. Nous citerons notamment les figures representees sous les numeros 6 et 14, premiere expedition; 11, troisieme expedition, etc. Quant a la citation que fait M. de Humboldt du bas-relief trouve recemment a Oaxaca, et qu'il a fait graver dans son ouvrage, sous le titre de Triomphe d'un Guerrier, qu'il nous soit permis d'etre en contradiction avec lui, non sous le rapport de l'indication ou de la non indication de la pupille, mais sous le rapport plus important du lieu ou a ete decouvert ce bas-relief, et de la signification qui lui est donnee. Ce bas-relief est evidemment l'un de ceux de la facade exterieure du grand temple de Palenque. Nous avons dit deja que des copies ou repetitions de plusieurs dessins de Castanneda avaient circule entre les mains des savants. M. de Humboldt eut connaissance de quelques unes. Celle dont il s'agit lui fut communiquee par M. Cervantes, professeur de botanique a Mexico, et il la fit graver par F. Pinelli, a Rome. On concoit combien il etait facile alors d'etre induit en erreur sur le lieu ou ce bas-relief avait ete trouve, l'existence meme de Palenque etant encore une hypothese. Nous devons ajouter que M. de Humboldt declare "qu'il est bien eloigne de se prononcer sur un monument aussi extraordinaire, et qu'il n'a pas eu occasion d'examiner lui-meme." Cette sage reserve etait d'autant plus de saison, que c'etaient d'autres personnes qui avaient transmis le dessin a M. Cervantes, en lui assurant "que ce bas-relief, trouve pres de la ville d'Oaxaca, etait sculpte dans une roche noiratre, tres dure, et avait plus d'un metre de hauteur." A l'egard de la signification que peut avoir cette sculpture, il etait aussi facile de se meprendre en la regardant comme un morceau isole; peut-etre sera-t-il possible un jour de lui attribuer son veritable sens, en la considerant comme faisant partie d'une serie nombreuse de bas-reliefs qui ornent exterieurement, ainsi que nous l'avons dit, le grand temple de Palenque. Le basalte de cette sculpture est tres dur et d'un brun noir; c'est du vrai basalte, auquel sont meles quelques grains de peridot, et non de la pierre lydique ou du porphyre a base de grünstein, que les antiquaires appellent communement basalte egyptien. Les plis de la coiffe, et sur-tout les perles, sont d'un grand fini, quoique l'artiste, depourvu de ciseaux d'acier, et travaillant peut-etre avec les memes outils de cuivre mele d'etain, que j'ai rapportes du Perou, ait dau trouver de grandes difficultes dans l'execution. Ce buste a ete dessine tres exactement, sous les yeux de M. Dupe, par un eleve de l'Academie de peinture de Mexico. Il a om38 de hauteur sur om19 de largeur. Je lui ai laisse la denomination de buste d'une pretresse qu'on lui donne dans le pays. Il se pourrait cependant qu'il representat quelque divinite mexicaine, et qu'il eaut ete place originairement parmi les dieux penates. La coiffe et les perles qui se retrouvent dans une idole decouverte dans les ruines de Tezcuco, et que j'ai deposee au cabinet du roi de Prusse, a Berlin, autorisent cette conjecture: l'ornement du cou et la forme non monstrueuse de la tete rendent plus probable que le buste represente simplement une femme azteque. Dans cette derniere supposition les bourrelets canneles qui se prolongent vers la poitrine ne pourraient etre des tresses, car le grand-pretre ou tepanteohuatzin coupait les cheveux aux vierges qui se devouaient au service du temple. M. de Humboldt parle sans doute du culte pratique par les Mexicains de Montezuma; mais, si l'idole dont il s'agit faisait partie, comme il se pourrait, d'une serie d'antiquites anterieures; si elle provenait d'un peuple detruit par ces memes Mexicains, ou aneanti par une autre cause, avant les eres connues en Amerique, qui sait ce que pourrait avoir ete le culte de ce peuple primitif? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . PYRAMIDES. Parmi ces essaims de peuples qui, depuis le septieme jusqu'au douzieme siecle de notre ere, parurent successivement sur le sol mexicain, on en compte cinq: les Tolteques, les Cicimeques, les Alcolhues, les Tlascalteques, et les Azteques, qui, malgre leurs divisions politiques, parlaient la meme langue, suivaient le meme culte, et construisaient des edifices pyramidaux qu'ils regardaient comme des teocallis, c'est-a-dire comme les maisons de leurs dieux. Ces edifices, quoique de dimensions tres differentes, avaient tous la meme forme: c'etaient des pyramides a plusieurs assises, et dont les cotes suivaient exactement la direction du meridien et du parallele du lieu. Le teocalli s'elevait au milieu d'une vaste enceinte carree et entouree d'un mur. Cette enceinte, qu'on peut comparer au peribolos des Grecs, renfermait des jardins, des fontaines, les habitations des pretres, quelquefois meme des magasins d'armes; car chaque maison d'Indien Mexicain, comme le temple de Baal-Berith, braule par Abimeleck, etait une place forte. Un grand escalier conduisait a la cime de la pyramide tronquee. Au sommet de cette plate-forme se trouvaient une ou deux chapelles en forme de tour, qui renfermaient les idoles colossales de la divinite a qui le teocalli etait dedie. Cette partie de l'edifice doit etre regardee comme la plus essentielle; c'est le naos, ou plutot le sekos des temples grecs. C'est la aussi que les pretres entretenaient le feu sacre. Malheureusement c'est celle qui n'existe plus sur aucun teocalli, la destruction en ayant ete plus facile que celle du reste de l'edifice. Cependant la pyramide de Guatusco, nommee dans le pays el Castillo, faisait encore exception il y a vingt-cinq ans. Voir premiere expedition, planche IX. Par l'ordonnance particuliere de l'edifice que nous venons d'indiquer, le sacrificateur pouvait etre vu d'une grande masse de peuple a-la-fois. On distinguait de loin la procession des teopixqui, montant ou descendant l'escalier de la pyramide. L'auteur fait encore allusion au culte des Azteques ou Mexicains du seizieme siecle, tel que nous l'avons pu connaeitre. Mais, si ces temples ou teocallis ont ete construits, non seulement par une nation plus ancienne qu'eux, les Tolteques, mais par une nation plus ancienne encore, ainsi que M. de Humboldt en admet lui-meme la possibilite (comme on le verra plus loin), ce qui reculerait l'epoque de leur construction bien des siecles avant l'ere vulgaire, on concevra que rien du culte de ces nations ne soit connu aujourd'hui. Leurs temples ou autels ont ete, sans nul doute, appropries a un culte different, modificatif ou subversif du premier; et il faut se garder, en recherchant l'histoire de ces importants monuments, de leur assigner l'usage d'un culte qui, peut-etre, n'etait pas ne lorsque des nations primitives les eleverent. Nous ne nous permettrons qu'une fois cette observation. L'interieur de l'edifice servait a la sepulture des rois et des principaux personnages mexicains. Il est impossible de lire les descriptions qu'Herodote et Diodore de Sicile ont laissees du temple de Jupiter-Belus, sans etre frappe des traits de ressemblance qu'offrait ce monument babylonien avec les teocallis d'Anahuac. Lorsque les Mexicains ou Azteques, une des sept tribus des Anahuatlacs (peuples riverains), arriverent, l'an 1190, dans la region equinoxiale de la Nouvelle-Espagne, ils y trouverent deja les monuments pyramidaux de Teotihuacan, de Cholula ou Cholollan et de Papantla. Ils attribuerent ces grandes constructions aux Tolteques, nation puissante et civilisee qui habitait le Mexique cinq cents ans plus tot, qui se servait de l'ecriture hieroglyphique, et qui avait une annee et une chronologie plus exactes que celles de la plupart des peuples de l'ancien continent. Les Azteques ne savaient pas avec certitude si d'autres tribus avaient habite le pays d'Anahuac avant les Tolteques. En regardant ces maisons de Dieu, de Teotihuacan et de Cholollan, comme l'ouvrage de ce dernier peuple, ils leur assignaient la plus haute antiquite dont ils eussent l'idee. Il serait cependant possible qu'elles eussent ete construites avant l'invasion des Tolteques, c'est-a-dire avant l'annee 648 de l'ere vulgaire. Ne nous etonnons pas que l'histoire d'aucun peuple mexicain ne commence avant le septieme siecle, epoque a laquelle le plateau mexicain offrait deja une civilisation bien plus avancee que le Danemarck, la Suede et la Russie. Le teocalli de Mexico etait dedie a Tezcatlipoca, la premiere des divinites azteques apres Teotl, qui est l'etre supreme et invisible, et a Huitzilopochtli, le dieu de la guerre. Il fut construit par les Azteques sur le modele des pyramides de Teotihuacan, seulement six ans avant la decouverte de l'Amerique par Christophe Colomb. Cette pyramide tronquee, appelee par Cortez le temple principal, avait a sa base quatre-vingt-dixsept metres de largeur, et a-peu-pres cinquante-quatre metres de hauteur. Il n'est pas surprenant qu'un edifice de ces dimensions ait pu etre detruit peu d'annees apres le siege de Mexico; en Egypte il reste a peine quelques vestiges des enormes pyramides qui s'elevaient au milieu des eaux du lac Moeris, et qu'Herodote dit avoir ete ornees de statues colossales; les pyramides de Porsenna, dont la description paraeit un peu fabuleuse, et dont quatre, d'apres Varron, avaient plus de quatre-vingts metres de hauteur, ont egalement disparu en Etrurie. Mais, si les conquerants europeens ont renverse les teocallis des Azteques, ils n'ont pas reussi egalement a detruire des monuments plus anciens, ceux que l'on attribue a la nation tolteque. Le groupe des pyramides de Teotihuacan se trouve dans la vallee de Mexico, a huit lieues de distance au nord-est de la capitale, dans une plaine qui porte le nom de Micoalt ou de Chemin des morts. On y observe encore deux grandes pyramides dediees au soleil (Tonatiuh) et a la lune (Meztli), et entourees de plusieurs centaines de petites pyramides qui forment des rues dirigees exactement du nord au sud et de l'est a l'ouest. Des deux grands teocallis, l'un a cinquante-cinq, l'autre quarante-quatre metres d'elevation perpendiculaire; la base du premier a deux cent huit metres de long; d'ou il resulte que le Tonatiuh Yztaqual, d'apres les mesures de M. Oteyza, prises en 1803, est plus eleve que le Mycerinus ou la troisieme des grandes pyramides de Djizeh en Egypte, et que la longueur de sa base est a-peu-pres celle du Cephren. Les petites pyramides qui entourent les grandes maisons de la lune et du soleil, ont a peine neuf a dix metres d'elevation. D'apres la tradition des indigenes, elles servaient a la sepulture des chefs de tribus. Autour du Cheops et du Mycerinus en Egypte, on distingue aussi huit petites pyramides placees avec beaucoup de symetrie, et parallelement aux faces des grandes. Les deux teocallis de Teotihuacan avaient quatre assises principales; chacune d'elles etait subdivisee en petits gradins dont on distingue encore les aretes. Leur noyau est d'argile melee de petites pierres; il est revetu d'un mur epais de tezontli ou amygdaloide poreuse. Cette construction rappelle celle d'une des pyramides de Sakharah, qui a six assises, et qui, d'apres le recit de Pococke, est un amas de cailloux et de mortier jaune, revetu par dehors de pierres brutes. A la cime des grands teocallis mexicains se trouvaient deux statues colossales du soleil et de la lune; elles etaient de pierre et enduites de lames d'or; ces lames furent enlevees par les soldats de Cortez. Lorsque l'eveque Zumaragua, religieux franciscain, entreprit de detruire tout ce qui avait rapport au culte, a l'histoire et aux antiquites des peuples indigenes de l'Amerique, il fit aussi briser les idoles de la plaine de Micoalt. On y decouvre encore les restes d'un escalier construit en grandes pierres de taille, et qui conduisait anciennement a la plate-forme du teocalli. A l'est du groupe des pyramides de Teotihuacan, en descendant la Cordilliere vers le golfe du Mexique, dans une foret epaisse appelee Tajin, s'eleve la pyramide de Papantla. C'est le hasard qui l'a fait decouvrir a des chasseurs espagnols, il n'y a pas trente ans; car les Indiens se plaisent a cacher aux blancs tout ce qui est l'objet d'une antique veneration. La forme de ce teocalli, qui a eu six, peut-etre meme sept etages, est plus elancee que celle de tous les autres monuments de ce genre; sa hauteur est a-peu-pres de dix-huit metres, tandis que la longueur de sa base n'est que de vingt-cinq; il est par consequent presque de moitie plus bas que la pyramide de Caius Cestius, a Rome, qui a trente-trois metres de hauteur. Ce petit edifice est tout construit en pierres de taille d'une grandeur extraordinaire, et d'une coupe tres belle et tres reguliere; trois escaliers menent a sa cime; le revetement de ses masses est orne de sculptures hieroglyphiques, et de petites niches qui sont disposees avec beaucoup de symetrie; le nombre de ces niches paraeit faire allusion aux trois cent dix-huit signes simples et composes des jours du Cempohualilhuitl, ou calendrier civil des Tolteques. M. de Humboldt publiait ceci en 1810. Le plus grand, le plus ancien, et le plus celebre de tous les monuments pyramidaux d'Anahuac, est le teocalli de Cholula. On l'appelle aujourd'hui la montagne faite a mains d'homme. A le voir de loin, on serait en effet tente de le prendre pour une colline naturelle couverte de vegetation. C'est dans son etat de degradation actuelle qu'elle est representee. Qui sait? Voir Planches supplem. n° 2. Une vaste plaine, celle de la Puebla, est separee de la vallee de Mexico par le chemin de montagnes volcaniques qui se prolongent depuis le Popocatepelt vers Rio Frio et le pic du Telapon. Cette plaine fertile, mais denuee d'arbres, est riche en souvenirs qui interessent l'histoire mexicaine; elle renferme les chefs-lieux des trois republiques de Tlascala, de Huexocingo et de Cholula, qui, malgre leurs dissensions continuelles, n'en resistaient pas moins au despotisme et a l'esprit d'usurpation des rois azteques. La petite ville de Cholula que Cortez, dans ses lettres a l'empereur Charles-Quint, compare aux villes les plus populeuses de l'Espagne, compte a peine aujourd'hui seize mille habitants. La pyramide se trouve a l'est de la ville, sur le chemin qui mene de Cholula a la Puebla. Elle est tres bien conservee du cote de l'ouest, et c'est cette face que presente le dessin. La plaine de Cholula offre ce caractere de nudite qui est propre a des plateaux eleves de deux mille deux cents metres au-dessus du niveau de l'Ocean. On distingue sur le premier plan quelques pieds d'agaves et de dragonniers; dans le lointain on decouvre la cime couverte de neige du volcan d'Orizaba, montagne colossale de cinq mille deux cent quatre-vingt-quinze metres d'elevation absolue. Le teocalli de Cholula a quatre assises, toutes d'une hauteur egale. Il paraeit avoir ete exactement oriente d'apres les quatre points cardinaux; mais, comme les aretes des assises ne sont pas tres distinctes, il est difficile de reconnaeitre exactement leur direction primitive. Ce monument pyramidal a une base plus etendue que celle de tous les edifices du meme genre trouves dans l'ancien continent. Je l'ai mesure avec soin, et je me suis assure que sa hauteur perpendiculaire n'est que de cinquante-quatre metres, mais que chaque cote de sa base a quatre cent trente-neuf metres de longueur. Torquemada lui donne soixante-dixsept, Betancourt soixante-cinq, Clavigero soixante-et-un metres de hauteur. Bernal Diaz del Castillo, simple soldat dans l'expedition de Cortez, s'amusa a compter les gradins des escaliers qui conduisaient a la plateforme des teocallis; il en trouva cent quatorze au grand temple de Tenochtitlan, cent dix-sept a celui de Tezcuco, et cent vingt a celui de Cholula. La base de la pyramide de Cholula est deux fois plus grande que celle du Cheops, mais sa hauteur excede de tres peu celle du Mycerinus. En comparant les dimensions de la Maison du Soleil a Teotihuacan, avec celles de la pyramide de Cholula, on voit que le peuple qui construisit ces monuments remarquables avait l'intention de leur donner la meme hauteur, mais des bases dont la longueur serait dans le rapport d'un a deux. Quant a la proportion entre la base et la hauteur, on la trouve tres differente dans les divers monuments. Dans les trois grandes pyramides de Djizeh, les hauteurs sont aux bases comme 1 a 1 [Formel] ; dans la pyramide de Papantla, chargee d'hieroglyphes, ce rapport est comme 1 a 1 [Formel] ; dans la grande pyramide de Teotihuacan, comme 1 a 3 [Formel] ; et dans celle de Cholula comme 1 a 7 [Formel] . Ce dernier monument est construit en briques non cuites (xamilli), qui alternent avec des couches d'argile. Des Indiens de Cholula m'ont assure que l'interieur de la pyramide est creux, et que lors du sejour de Cortez dans leur ville, leurs ancetres y avaient cache un grand nombre de guerriers pour fondre inopinement sur les Espagnols. Les materiaux dont ce teocalli est construit, et le silence des historiens de ce temps, rendent cette assertion peu probable. On ne peut cependant revoquer en doute qu'il n'y eaut dans l'interieur de cette pyramide, comme dans d'autres teocallis, des cavites considerables qui servaient a la sepulture des indigenes; une circonstance particuliere les a fait decouvrir. Il y a sept a huit ans qu'on a change la route de Puebla a Mexico, qui passait jadis au nord de la pyramide. Pour aligner cette route on a perce la premiere assise, de sorte qu'un huitieme en est reste isole comme un monceau de briques. C'est en faisant cette percee qu'on a trouve dans l'interieur de la pyramide une maison carree, construite en pierres, et soutenue par des poutres de cypres chauve (cupressus disticha). Elle renfermait deux cadavres, des idoles en basalte, et un grand nombre de vases vernisses et peints avec art. On ne se donna pas la peine de conserver ces objets, mais on assure avoir verifie avec soin que cette maison, couverte de briques et de couches d'argile, n'avait aucune issue. En supposant que la pyramide faut construite non par les Tolteques, premiers habitants de Cholula, mais par des prisonniers que les Cholulains avaient faits sur les peuples voisins, on pourrait croire que ces cadavres etaient ceux de quelques malheureux esclaves que l'on avait fait perir a dessein dans l'interieur du teocalli. Nous avons reconnu les restes de cette maison souterraine, et nous avons observe une disposition particuliere des briques, tendant a diminuer la pression que le toit devait eprouver. Comme les indigenes ne savaient pas faire de voautes, ils placaient des briques tres larges horizontalement, de maniere que celles de dessus depassassent les inferieures; il en resultait un assemblage par gradins, qui suppleait en quelque sorte au cintre gothique, et dont on a aussi trouve des vestiges dans quelques edifices egyptiens. Il serait interessant de creuser une galerie a travers le teocalli de Cholula, pour en examiner la construction interieure; et il est etonnant que le desir de trouver des tresors caches n'ait pas deja fait tenter cette entreprise. Pendant mon voyage au Perou, en visitant les vastes ruines de la ville de Chima, pres de Mansiche, je suis entre dans l'interieur de la fameuse Huaca de Toledo, tombeau d'un prince peruvien, dans lequel Garci Gutierez de Toledo decouvrit, en percant une galerie en 1576, pour plus de cinq millions en or massif, comme cela est prouve par les livres de comptes conserves a la mairie de Truxillo. Nous verrons dans le cours de cet ouvrage que la voaute a plein cintre se trouve dans quelques uns de ces anciens monuments. Le grand teocalli de Cholula, appele aussi la montagne de briques non cuites (Tlalchihualtepec), avait a sa cime un autel dedie a Quetzacoalt, le dieu de l'air. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Il existe encore aujourd'hui parmi les Indiens de Cholula une tradition tres remarquable, d'apres laquelle la grande pyramide n'aurait pas ete destinee primitivement au culte de Quetzacoalt. Apres mon retour en Europe, en examinant a Rome les manuscrits mexicains de la bibliotheque du Vatican, j'ai vu que cette meme tradition se trouve consignee dans un manuscrit de Pedro de Los Rios, religieux dominicain, qui, en 1566, copia sur les lieux toutes les peintures hieroglyphiques qu'il put se procurer: "Avant la grande inondation (Apachihuiliztli) qui eut lieu quinze mille huit ans apres la creation du monde, le pays d'Anahuac etait habite par des geants (Tzocuillixeque). Tous ceux qui ne perirent pas furent transformes en poissons, a l'exception de sept qui se refugierent dans des cavernes. Lorsque les eaux se furent ecoulees, un de ces geants, Xelhua, surnomme l'architecte, alla a Cholula ou, en memoire de la montagne Tlaloc, qui avait servi d'asile a lui et a six de ses freres, il construisit une colline artificielle en forme de pyramide. Il fit fabriquer les briques dans la province de Tlamanalco, au pied de la Sierra de Cocotl; et pour les transporter a Cholula, il placa une file d'hommes qui se les passaient de main en main. Les dieux virent avec courroux cet edifice, dont la cime devait atteindre les nues; irrites contre l'audace de Xelhua, ils lancerent du feu sur la pyramide. Beaucoup d'ouvriers perirent, l'ouvrage ne fut point continue, et on le consacra dans la suite au dieu de l'air, Quetzacoalt." Cette histoire rappelle d'anciennes traditions de l'Orient, que les Hebreux ont conservees dans leurs livres saints. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La plate-forme de la pyramide de Cholula, sur laquelle j'ai fait un grand nombre d'observations astronomiques, a quatre mille deux cents metres carres. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Nous avons indique plus haut la grande analogie de construction que l'on observe entre les teocallis mexicains et le temple de Bel ou Belus, a Babylone; cette analogie avait deja frappe M. Zoega, bien qu'il n'eaut pu se procurer que des descriptions tres incompletes du groupe des pyramides de Teotihuacan. Selon Herodote qui visita Babylone et qui vit le temple de Belus, ce monument pyramidal avait huit assises; sa hauteur etait d'un stade; la largeur de sa base egalait sa hauteur; le mur qui formait son enceinte exterieure avait deux stades en carre. (Un stade commun olympique avait cent quatre-vingt-trois metres; le stade egyptien n'en a que quatre-vingt-dix-huit.) La pyramide etait construite de briques et d'asphalte; elle avait un temple a sa cime et un autre pres de sa base. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Aucun des auteurs anciens, ni Herodote, ni Strabon, ni Diodore, ni Pausanias, ni Arrien, ni Quinte- Curce, n'indiquent que le temple de Belus faut oriente d'apres les quatre points cardinaux, comme le sont les pyramides egyptiennes et mexicaines. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Ces teocallis ont ete construits dans l'intervalle qui s'est ecoule entre l'epoque de Mahomet et celle du regne de Ferdinand et Isabelle, et l'on ne voit pas sans etonnement que des edifices americains, dont la forme est presque identique avec celle d'un des plus anciens monuments des rives de l'Euphrate, appartiennent a des temps si voisins de nous. Nous ne hasarderons pas de combattre cette assertion d'un homme dont nous sommes habitues a respecter les opinions; mais nous appellerons sur ce point l'attention des savants antiquaires, et nous leur signalerons la contradiction qui existe entre ce passage et celui que nous avons rapporte page 11, ou M. de Humboldt dit: "Il serait possible que ces Maisons de Dieu, de Teotihuacan et de Cholollan, eussent ete construites avant l'invasion des Tolteques, c'est-a-dire avant l'annee 648 de l'ere vulgaire." M. de Humboldt ajoute: "Ne nous etonnons pas que l'histoire des Tolteques soit aussi incertaine que l'histoire des Pelasges et des Ausoniens." Or, si l'on admet une possibilite de construction anterieure a l'annee 648, et si l'on fait attention au degre de civilisation que suppose l'erection de tels monuments, est-ce par siecles ou par annees qu'il faut compter? En considerant sous un meme point de vue les monuments pyramidaux de l'Egypte, de l'Asie et du nouveau continent, on voit que, malgre l'analogie de leur forme, ils avaient une destination tres differente. Les pyramides reunies en groupe a Djizeh et a Sakharah, en Egypte; la pyramide triangulaire de la reine des Scythes, Zarina, dont la hauteur etait d'un stade et la largeur de trois, et qui etait ornee d'une figure colossale; les quatorze pyramides etrusques que l'on dit avoir ete renfermees dans le labyrinthe du roi Porsenna, a Clusium, avaient ete construites pour servir de sepulture a des personnages illustres. Rien n'est plus naturel aux hommes que de marquer la place ou reposent les restes de ceux dont ils cherissent la memoire. Ce sont d'abord de simples monceaux de terre, et par la suite, des tumulus d'une hauteur surprenante. Ceux des Chinois et des Thibetains n'ont que quelques metres d'elevation; plus a l'ouest les dimensions vont en augmentant: le tumulus du roi Alyattes, pere de Cresus, en Lydie, avait six stades, celui de Ninus, plus de dix stades en diametre; le nord de l'Europe offre les sepultures du roi scandinave Gormus et de la reine Daneboda, couvertes de monceaux de terre qui ont trois cents metres de largeur et plus de trente metres de hauteur. Ces tumulus se retrouvent dans les deux hemispheres, en Virginie et au Canada, comme au Perou, ou de nombreuses galeries, construites en pierre et communiquant entre elles par des puits, remplissent l'interieur des huacas ou collines artificielles. Le luxe de l'Asie a su orner ces monuments rustiques, en leur conservant leur forme primitive: les tombeaux de Pergame sont des cones de terre eleves sur un mur circulaire qui paraeit avoir ete revetu de marbre. Les teocallis ou pyramides mexicaines etaient a-la-fois des temples et des tombeaux. La partie essentielle et principale etait la chapelle, a la cime de l'edifice. Au commencement de la civilisation, les peuples choisissent des lieux eleves pour sacrifier aux dieux. Les premiers autels, les premiers temples furent eriges sur des montagnes. Si ces montagnes sont isolees, on se plaeit a leur donner des formes regulieres, en les coupant par assises, et en pratiquant des gradins pour monter plus facilement au sommet; les deux continents offrent de nombreux exemples de ces collines divisees en terrasses et revetues de murs en briques ou en pierres. Les teocallis ne me paraissent autre chose que des collines artificielles elevees au milieu d'une plaine et destinees a servir de base aux autels; rien en effet de plus imposant qu'un sacrifice qui peut etre vu par tout un peuple a-la-fois. Les pagodes de l'Indostan n'ont rien de commun avec les temples mexicains; celle de Tanjore est une tour a plusieurs assises, mais l'autel ne se trouve pas a la cime du monument. La pyramide de Bel etait en meme temps le temple et le tombeau de ce dieu: Strabon ne parle pas meme de ce monument comme d'un temple, il le nomme simplement le tombeau de Belus. En Arcadie, le tumulus qui renfermait les cendres de Calisto portait a sa cime un temple de Diane: Pausanias le decrit comme un cone fait de main d'hommes et couvert d'une antique vegetation. Voila un monument tres remarquable dans lequel le temple n'est plus qu'un ornement accidentel; il sert pour ainsi dire de passage entre les pyramides de Sakharah et les teocallis mexicains. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . J'ai pu reconnaeitre la structure interieure de la pyramide de Cholula en deux endroits differents; savoir, pres du sommet, a la face opposee au volcan Popocatepelt, et du cote du nord ou la premiere assise est traversee par le nouveau chemin qui conduit de Puebla a Mexico. C'est en creusant ce chemin que l'extremite de l'assise a ete detachee du reste de la masse. Le dessin represente cette partie detachee: on y reconnaeit des couches de briques qui alternent avec des couches d'argile. Les briques ont generalement huit centimetres de hauteur sur quarante de longueur; il m'a paru qu'elles n'etaient pas cuites, mais seulement sechees au soleil; il se peut cependant aussi qu'elles aient subi une legere cuisson, et que l'humidite de l'air les ait rendues friables. Peut-etre que les couches d'argile qui separent celles de briques ne se trouvent pas dans l'interieur de la pyramide, dans les parties qui supportent le poids enorme de la masse entiere. Voir Planches supplem. N° 3. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . MONUMENT DE XOCHICALCO. Le monument remarquable de Xochicalco est regarde dans le pays comme un monument militaire. Au sud-est de la ville de Cuernavaca (l'ancien Quauhnahuac) sur la pente occidentale de la Cordilliere d'Anahuac, dans cette region heureuse que les habitants designent par le nom de region temperee, parcequ'il y regne un printemps perpetuel, s'eleve une colline isolee qui, d'apres les mesures barometriques de M. Alzate, a cent dix-sept metres au-dessus de sa base. Cette colline se trouve a l'ouest du chemin qui conduit de Cuernavaca au village de Miacatlan. Les Indiens l'appellent en langue mexicaine ou azteque, Xochicalco ou maison des fleurs. Nous verrons dans la suite de cette notice que l'etymologie de ce nom est aussi incertaine que l'epoque de la construction du monument que l'on attribue aux Tolteques. Cette nation est pour les antiquaires mexicains ce que les Pelasges ont ete long-temps pour les antiquaires de l'Italie. Tout ce qui se perd dans la nuit des temps est regarde comme l'ouvrage d'un peuple chez lequel on croit trouver les premiers germes de la civilisation. La colline de Xochicalco est une masse de rocs a laquelle la main de l'homme a donne une forme conique assez reguliere, et qui est divisee en cinq assises ou terrasses, dont chacune est revetue de maconnerie. Les assises ont a-peu-pres vingt metres d'elevation perpendiculaire. Elles se retrecissent vers la cime comme dans les teocallis ou les pyramides azteques, dont le sommet etait orne d'un autel. Toutes les terrasses sont inclinees vers le sud-ouest, peut-etre pour faciliter l'ecoulement de l'eau des pluies tres abondantes dans cette region. La colline est entouree d'un fosse assez profond et tres large, de sorte que tout le retranchement a pres de quatre mille metres de circonference. La grandeur de ces dimensions ne doit pas nous etonner: sur le dos des Cordillieres du Perou, et a des elevations qui egalent presque celle du Pic de Teneriffe, nous avons vu, M. Bonpland et moi, des monuments plus considerables encore. Les plaines du Canada offrent des lignes de defense et des retranchements d'une longueur extraordinaire. Tous ces ouvrages americains ressemblent a ceux que l'on decouvre journellement dans la partie orientale de l'Asie, ou des peuples de race mongole, sur-tout ceux qui sont le plus avances en civilisation, ont construit des murailles qui separent des provinces entieres. Le sommet de la colline de Xochicalco presente une plate-forme oblongue qui, du nord au sud, a soixantedouze metres, et de l'est a l'ouest, quatre-vingt-six metres de longueur. Cette plate-forme est entouree d'un mur de pierres de taille, dont la hauteur excede deux metres, et qui servait a la defense des combattants. C'est au centre de cette place d'armes spacieuse que l'on trouve les restes d'un monument pyramidal qui avait cinq assises, et dont la forme ressemble a celle des teocallis que nous venons de decrire. La premiere assise seule en a ete conservee; c'est celle dont le dessin se trouve ici. Les proprietaires d'une sucrerie voisine ont ete assez barbares pour detruire la pyramide, en arrachant des pierres qu'ils ont employees dans la construction de leurs fours. Les Indiens de Tatlama assurent que les cinq assises existaient encore en 1750; et d'apres les dimensions du premier gradin, on peut supposer que tout l'edifice avait vingt metres d'elevation. Ses faces sont exactement orientees d'apres les quatre points cardinaux. La base de l'edifice a vingt metres sept centimetres de long sur dix-sept metres quatre centimetres de large. On ne decouvre, et cette circonstance est tres frappante, aucun vestige d'escalier qui conduise vers la cime de la pyramide, ou l'on assure avoir trouve jadis un siege de pierre (ximotlalli) orne d'hieroglyphes. Voir Planches supplem. N° 4. Les voyageurs qui ont examine de pres cet ouvrage des peuples indigenes de l'Amerique, ne peuvent assez admirer le poli et la coupe des pierres qui ont toutes la forme de parallelipipedes, le soin avec lequel elles ont ete unies les unes aux autres, sans que les joints aient ete remplis de ciment, et l'execution des reliefs dont les assises sont ornees. Chaque figure occupe plusieurs pierres a-la-fois, et les contours n'etant pas interrompus par les joints des pierres, on peut supposer que les reliefs ont ete sculptes apres que la construction de l'edifice etait achevee. On distingue parmi les ornements hieroglyphiques de la pyramide de Xochicalco des tetes de crocodile qui jettent de l'eau, et des figures d'hommes qui sont assis, les jambes croisees, a la maniere des peuples de l'Asie. En considerant que l'edifice se trouve sur un plateau eleve de plus de treize cents metres au-dessus du niveau de l'Ocean, et que les crocodiles n'habitent que les rivieres voisines des cotes, on est etonne de voir que l'architecte, au lieu d'imiter des plantes et des animaux connus aux peuples montagnards, ait employe dans ces reliefs, avec une recherche particuliere, les productions gigantesques de la zone torride. Malgre la description donnee par M. de Humboldt, il est difficile de reconnaeitre dans le dessin qui l'accompagne des tetes de crocodile. Ces tetes, comme presque toutes celles qui ont ete sculptees par ces peuples sur leurs monuments, semblent etre fantastiques, et n'appartenir pas plus au crocodile qu'a tel autre animal. Des-lors l'induction qui en est tiree n'aurait que peu de fondement. Le fosse dont la colline est entouree, le revetement des assises, le grand nombre d'appartements souterrains creuses dans le roc du cote du nord, le mur qui defend l'approche de la plate-forme, tout concourt a donner au monument de Xochicalco le caractere d'un monument militaire. Les naturels designent meme encore aujourd'hui les ruines de la pyramide qui s'elevait au milieu de la plate-forme, par un nom qui equivaut a celui de chateau-fort ou de citadelle. La grande analogie de forme que l'on remarque entre cette pretendue citadelle et les maisons des dieux azteques (teocallis) me fait soupconner que la colline de Xochicalco n'etait autre chose qu'un temple fortifie. La pyramide de Mexitli ou le grand temple de Tenochtitlan renfermait aussi un arsenal dans son enceinte, et servait, pendant le siege, de place forte, tantot aux Mexicains, tantot aux Espagnols. Les livres saints des Hebreux nous apprennent que dans la plus haute antiquite les temples de l'Asie, par exemple celui de Baal-Berith, a Sichem en Canaan, etaient a-la-fois des edifices consacres au culte et des retranchements dans lesquels les habitants d'une ville se mettaient a couvert contre les attaques de l'ennemi. En effet, rien de plus naturel aux hommes que de fortifier les lieux dans lesquels ils conservent les dieux tutelaires de la patrie; rien de plus rassurant, lorsque la chose publique est en danger, que de se refugier au pied de leurs autels, et de combattre sous leur protection immediate. Chez les peuples dont les temples avaient conserve une des formes les plus antiques, celle de la pyramide de Belus, la construction de l'edifice pouvait repondre au double usage du culte et de la defense. Dans les temples grecs, le mur seul qui formait le peribolos offrait un asile aux assieges. Il semble utile d'ajouter que les temples chretiens des premiers siecles ont souvent offert ce double caractere. L'eglise d'Etampes, en France, tres bien conservee, avec ses creneaux et ses plates-formes, en est un exemple. Plus d'un siege a ete soutenu dans nos edifices religieux du moyen age. Les naturels du village voisin de Tetlama possedent une carte geographique construite avant l'arrivee des Espagnols, et a laquelle on a ajoute quelques noms depuis la conquete: sur cette carte, a l'endroit ou est situe le monument de Xochicalco, on trouve la figure de deux guerriers qui combattent avec des massues, et dont l'un est nomme Xochicatli, et l'autre Xicatetli. Nous ne suivrons pas ici les antiquaires mexicains dans leurs discussions etymologiques, pour apprendre si l'un de ces guerriers a donne le nom a la colline de Xochicalco, ou si l'image des deux combattants designe simplement une bataille entre deux nations voisines, ou enfin, si la denomination de maison des fleurs a ete donnee au monument pyramidal parceque les Tolteques, comme les Peruviens, n'offraient a la divinite que des fruits, des fleurs et de l'encens. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le dessin du relief de la premiere assise a ete copie d'apres la gravure que M. Alzate en a publiee a Mexico en 1791. Je n'ai pas eu occasion de visiter moi-meme ce monument remarquable. Lorsque, en arrivant a la Nouvelle-Espagne par la mer du Sud, je passai, au mois d'avril 1803, d'Acapulco a Cuernavacca, j'ignorais l'existence de la colline de Xochicalco, et je regrette de n'avoir pas pu verifier par mes yeux la description qui en a ete faite par M. Alzate, membre correspondant de l'academie des sciences de Paris. Comme on a omis d'ajouter une echelle a la planche, je dois faire observer que la hauteur des deux figures qui sont assises les jambes croisees est de un metre trois centimetres. Voyez en outre une dissertation publiee, depuis mon retour, par un jesuite mexicain tres instruit, Pietro Marquez. Ce dessin est tout-a-fait semblable a celui donne par Dupaix. Voir la Planche XXXI de la premiere Expedition. Descripcion de las antiguedades de Xochicalco, por don Joseph Antonio Alzate y Ramirez; Mexico, 1791. Due antichi monumenti di architettura messicana illustrati da Pietro Marquez; Roma, 1804. -- Voir l'extrait de ce dernier ouvrage, a la fin de la premiere Expedition de Dupaix. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . RELIEF MEXICAIN TROUVE A OAXACA. Ce relief, un des restes les plus anciens de la sculpture mexicaine, a ete trouve il y a peu d'annees pres de la ville d'Oaxaca. Le dessin m'en a ete communique par un naturaliste distingue, M. Cervantes, professeur de botanique a Mexico. Les personnes qui ont envoye ce dessin a M. Cervantes lui ont assure qu'il etait copie avec le plus grand soin, et que le relief, sculpte dans une roche noiratre et tres dure, avait plus d'un metre de hauteur. Il faut se reporter, au sujet de ce bas-relief, a la note 3 mise au bas de la page 10 (Notes et Docum. divers). Mais, tout en rappelant l'assertion qu'elle contient a l'egard du lieu ou ce monument aurait ete trouve, nous ajouterons une observation qui prend sa source dans la prudence que commandent ces sortes de conjectures sur les monuments antiques. Si le bas-relief dont il s'agit est symbolique, comme on peut le croire, et tient au culte ou a l'histoire du peuple qui l'a sculpte, il n'est pas impossible qu'il ait ete repete en plusieurs endroits chez ce meme peuple; il pourrait exister dans la serie de bas-reliefs qui decorent la facade exterieure du grand temple de Palenque, en stuc et avec sept pieds de proportion, et etre repete sur un rocher sculpte pres d'Oaxaca, avec trois pieds de proportion seulement. Toutefois, les deux dessins sont tellement identiques, qu'il est difficile de croire que le dessinateur de l'expedition, Castanneda, et le dessinateur inconnu se soient rencontres d'une maniere si juste.--Voir Planches supplem. N° 5. Au surplus, ces conjectures doivent tomber par l'effet d'une note mise par M. de Humboldt a la fin de son ouvrage, et dont nous n'avions pas connaissance en consignant nos observations au bas de la page 10. M. de Humboldt declare dans cette note "que, d'apres des renseignements recus du Mexique depuis la publication de la premiere partie de son ouvrage, cette sculpture remarquable n'a pas ete trouvee a Oaxaca, mais plus au sud, pres de Guatimala, l'ancien Quauhtemallan; que cette circonstance eloigne encore plus les doutes qu'on pourrait elever sur l'origine d'un monument si etrange; que, d'ailleurs, les anciens habitants de Guatimala etaient un peuple tres cultive, comme le prouvent les ruines d'une grande ville situee dans un endroit que les Espagnols appellent el Palenque." Ceux qui ont fait une etude particuliere des monuments tolteques et azteques, doivent etre frappes a-lafois de l'analogie et des contrastes qu'offre le relief d'Oaxaca avec les figures que l'on trouve repetees dans les manuscrits hieroglyphiques, dans les idoles, et sur le revetement de plusieurs teocallis. Au lieu de ces hommes trapus, qui ont a peine cinq tetes de haut, et qui rappellent le plus ancien style etrusque, on distingue sur le relief dont il s'agit un groupe de trois figures dont les formes sont elancees, et dont le dessin, assez correct, n'annonce plus la premiere enfance de l'art. On doit craindre sans doute que le peintre espagnol qui a copie cette sculpture d'Oaxaca, n'ait rectifie par-ci par-la les contours, peut-etre meme sans le vouloir, sur-tout dans le dessin des mains et des doigts de pieds; mais est-il permis de supposer qu'il ait change la proportion des figures entieres? Cette supposition ne perd-elle pas toute probabilite si l'on examine le soin minutieux avec lequel sont rendus la forme des tetes, les yeux, et sur-tout les ornements du casque? Ces ornements parmi lesquels on reconnaeit des plumes, des rubans et des fleurs, ces nez, d'une grandeur extraordinaire, se retrouvent dans les peintures mexicaines conservees a Rome, a Veletri et a Berlin. Ce n'est qu'en rapprochant tout ce qui a ete produit a la meme epoque, et par des peuples d'une origine commune, qu'on parvient a se former une idee exacte du style qui caracterise les differents monuments, si toutefois il est permis d'appeler style les rapports qu'on decouvre entre une multitude de formes bizarres. On pourrait demander encore si le relief d'Oaxaca ne date pas d'un temps ou, apres le premier debarquement des Espagnols, les sculpteurs indiens avaient deja connaissance de quelques ouvrages d'art des Europeens. Pour discuter cette question, il faut se rappeler que trois ou quatre ans avant que Cortez se rendeit maeitre du pays d'Anahuac, et que des religieux missionnaires empechassent les naturels de sculpter autre chose que des figures de saints, Hernandez de Cordova, Antonio Alaminos et Grijalva avaient visite les cotes mexicaines depuis l'eile de Cozumel et le cap Catoche, situe sur la peninsule de Yucatan, jusqu'a l'embouchure de la riviere de Panuco. Ces conquerants communiquerent par-tout avec les habitants, qu'ils trouverent bien vetus, reunis dans des villes populeuses, et infiniment plus avances en civilisation que tous les autres peuples du nouveau continent. Il est probable que ces expeditions militaires laisserent, entre les mains des habitants, des croix, des rosaires, et quelques images reverees par les chretiens; il se pourrait aussi que ces images eussent passe de main en main, depuis les cotes jusque dans l'interieur des terres, dans les montagnes d'Oaxaca. Mais est-il permis de supposer que la vue de quelques figures correctement dessinees ait fait abandonner des formes consacrees par l'usage de plusieurs siecles? Un sculpteur mexicain aurait sans doute copie fidelement l'image d'un apotre; mais dans un pays ou, comme dans l'Hindostan et en Chine, les naturels tiennent avec la plus grande opiniatrete aux moeurs, aux habitudes et aux arts de leurs ancetres, aurait-il ose representer un heros ou une divinite azteque sous des formes etrangeres et nouvelles? D'ailleurs, les tableaux historiques que des peintres mexicains ont faits apres l'arrivee des Espagnols, et dont plusieurs se trouvent dans les debris de la collection de Boturini, a Mexico, font voir que cette influence des arts europeens sur le goaut des peuples de l'Amerique, et sur la correction de leurs dessins, a ete tres lente. Il m'a paru indispensable d'indiquer les doutes que l'on peut elever sur l'origine du relief d'Oaxaca. Je l'ai fait graver a Rome, d'apres le dessin qui m'en a ete communique; mais je suis bien eloigne de me prononcer sur un monument aussi extraordinaire et que je n'ai pas eu occasion d'examiner moi-meme. L'architecture du palais de Mitla, l'elegance des grecques et des labyrinthes dont ses murs sont ornes, prouvent que la civilisation des peuples zapoteques etait superieure a celle des habitants de la vallee de Mexico. D'apres cette consideration, nous devons etre moins surpris que le relief qui fixe notre attention ait ete trouve a Oaxaca, l'ancien Huaxyacac, qui etait le chef-lieu du pays des Zapoteques. Si j'osais enoncer mon opinion particuliere, je dirais qu'il me paraeit plus facile d'attribuer ce monument a des Americains qui n'avaient point encore eu de communication avec les blancs, que de supposer que quelque sculpteur espagnol, qui avait suivi l'armee de Cortez, se soit amuse a faire cet ouvrage, en l'honneur du peuple vaincu, dans le style mexicain. Les naturels de la cote nord-ouest de l'Amerique n'ont jamais ete comptes parmi les peuples tres civilises, et cependant ils sont parvenus a executer des dessins dans lesquels des voyageurs anglais ont admire la justesse des proportions. (Dixon's voyage, p. 242.) Quoi qu'il en soit, il paraeit certain que le relief d'Oaxaca represente un guerrier sorti du combat, et pare des depouilles de ses ennemis. Deux esclaves sont places aux pieds du vainqueur. Ce qui frappe le plus dans cette composition, ce sont les nez, d'une grandeur enorme, qui se trouvent repetes dans les six tetes vues de profil. Ces nez caracterisent essentiellement les monuments de sculpture mexicaine. Dans les tableaux hieroglyphiques conserves a Vienne, a Rome, a Veletri, ou au palais du vice-roi, a Mexico, toutes les divinites, les heros, les pretres meme, sont figures avec de grands nez aquilins, souvent perces vers la pointe, et ornes de l'amphisbene, ou du serpent mysterieux a deux tetes. Il se pourrait que cette physionomie extraordinaire indiquat quelque race d'hommes tres differente de celle qui habite aujourd'hui ces contrees, et dont le nez est gros, aplati, et d'une grandeur mediocre. Mais il se pourrait aussi que les peuples azteques eussent vu, comme le prince des philosophes (Platon, de Republica, lib. V), qu'il y a quelque chose de majestueux et de royal dans un gros nez, et qu'ils l'eussent considere, dans leurs reliefs et dans leurs tableaux, comme le symbole de la puissance et de la grandeur morales. Tous les physiologistes sont disposes a reconnaeitre ici la verite de l'observation faite par M. de Humboldt. Mais, en comparant soigneusement les peintures hieroglyphiques des Azteques avec des bas-reliefs plus anciens, peut-etre, notamment ceux de Palenque, on est force de reconnaeitre une difference notable dans la conformation du nez et du front, qui sont bien plus prononces dans leur prolongement et leur renversement en arriere chez les personnages de ces bas-reliefs, qu'ils ne le sont dans les peintures azteques sur papier de maguey. Ces dernieres montrent, il est vrai, des nez souvent disproportionnes avec le reste de la tete; mais on pourrait croire que cela est le resultat de l'enfance de l'art et de la maladresse dans l'execution, comme cela est arrive chez tous les peuples. Il est rare qu'un dessinateur inhabile ne fasse pas, comme les enfants qui s'essaient a crayonner, le nez trop grand pour les autres parties du visage. Il faut ajouter que si l'on tirait, sous ce rapport, une conclusion rigoureuse des peintures azteques, pour la conformation reelle de la tete des personnages, il faudrait donc aussi tirer la meme conclusion pour les bras, les jambes, tout le corps, qui sont d'une incorrection on ne peut plus grotesque et choquante! Mais dans les bas-reliefs de Palenque, c'est tout autre chose; les nez et les fronts ont bien ce developpement et ce renversement extraordinaires que M. de Humboldt attribue generalement aux naturels de l'Amerique; mais le reste du corps, dans les sculptures de l'epoque la plus avancee, offre, avec cette singularite de la tete, des contours reguliers et corrects. Ce n'est donc point par ignorance que la tete presente cette quasi-difformite, puisque le reste n'a rien de difforme. Faudrait-il donc, abondant avec M. de Humboldt dans la supposition de "quelque race d'hommes tres differente de celle qui habite aujourd'hui ces contrees," appliquer cette supposition particulierement a l'ancienne population de Palenque, population qui aurait disparu par suite de causes aujourd'hui inconnues? Les recherches des savants eclairciront peut-etre un jour ce point important. La forme pointue des tetes n'est pas moins frappante, dans les dessins mexicains, que la grandeur des nez. En examinant osteologiquement le crane des naturels de l'Amerique, on voit, comme je l'ai deja observe ailleurs, qu'il n'y a pas de race sur le globe dans laquelle l'os frontal soit plus deprime en arriere, ou qui ait moins de front. (Blumenbach, decas quinta craniorum, 1808, p. 14, tab. 46.) Cet aplatissement se trouve chez des peuples de la race cuivree, qui n'ont jamais connu la coutume de produire des difformites artificielles, comme le prouvent les cranes d'Indiens Mexicains, Peruviens et autres, que nous avons rapportes, M. Bonpland et moi, et dont plusieurs ont ete deposes au Museum d'histoire naturelle, a Paris. Les Negres donnent la preference aux levres les plus grosses et les plus proeminentes; les Calmouks l'accordent aux nez retrousses. Un savant illustre, M. Cuvier (Lecons d'Anatomie comparee, t. II, p. 6), observe que les artistes grecs, dans les statues des heros, ont releve la ligne faciale outre nature, de quatre-vingt-cinq a cent degres. J'incline a croire que l'usage barbare introduit parmi quelques hordes sauvages de l'Amerique, de comprimer la tete des enfants entre deux planches, naeit de l'idee que la beaute consiste dans cet aplatissement extraordinaire de l'os frontal, par lequel la nature a caracterise la race mexicaine. C'est sans doute en suivant ce meme principe de beaute que meme les peuples azteques, qui n'ont jamais defigure la tete des enfants, ont represente leurs heros et leurs principales divinites avec une tete beaucoup plus aplatie que ne l'est celle d'aucun des Caraibes que j'ai vus au Bas-Orenoque. Le guerrier figure sur le relief d'Oaxaca offre un melange de costumes tres extraordinaire. Les ornements de sa coiffe, qui a la forme d'un casque, ceux de l'etendard qu'il a dans la main gauche et sur lequel on reconnaeit un oiseau, comme sur l'etendard d'Ocotelolco, se retrouvent dans toutes les peintures azteques. Le pourpoint, dont les manches sont longues et etroites, rappelle le vetement que les Mexicains designaient par le nom d'ichcahuepilli; mais le filet qui recouvre les epaules est un ornement qu'on ne retrouve plus parmi les Indiens. Au-dessous de la ceinture paraeit la peau tigree d'un jaguar, dont la queue n'a pas ete coupee. Les historiens espagnols rapportent que les guerriers mexicains, pour paraeitre plus terribles dans le combat, portaient d'enormes casques de bois qui representaient des tetes de tigre, dont la gueule etait armee des dents de cet animal. Deux cranes, sans doute ceux d'ennemis vaincus, sont attaches a la ceinture du triomphateur. Ses pieds sont couverts d'une espece de brodequins qui rappellent les skeleai ou caligae des Grecs et des Romains. Les esclaves representes assis et les jambes croisees, aux pieds du vainqueur, sont tres remarquables a cause de leurs attitudes et de leur nudite. Celui qui est place a gauche ressemble a la figure de ces saints que l'on voit frequemment dans des tableaux hindous, et que le navigateur Roblet a trouves sur la cote nordouest de l'Amerique, parmi les peintures hieroglyphiques des naturels du canal de Cox. (Voyage de Marchand, t. I, p. 312.) Il serait facile de reconnaeitre dans ce relief le bonnet phrygien et le tablier (perisoma) des statues egyptiennes, si l'on voulait suivre les traces d'un savant, Court de Gebelin, qui, emporte par une imagination ardente, a cru trouver dans le nouveau continent des inscriptions carthaginoises et des monuments pheniciens.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Voyez Archaeologia, or miscellaneous tracts relating to antiquity; published by the Society of antiquarians of London. (Vol. VIII, p. 290.) BAS-RELIEF AZTEQUE TROUVE A LA GRANDE PLACE DE MEXICO. La cathedrale de Mexico est fondee sur les ruines du teocalli, ou de la maison, du dieu Mexitli. Ce monument pyramidal, construit par le roi Ahuizotl, en 1486, avait trente-sept metres de hauteur, depuis sa base jusqu'a la plate-forme superieure, d'ou l'on jouissait d'une vue magnifique sur les lacs, sur la campagne environnante, parsemee de villages, et sur le rideau de montagnes qui entoure la vallee. Cette plate-forme, qui servait d'asile aux combattants, etait couronnee par deux chapelles en forme de tours, dont chacune avait dix-sept a dixhuit metres de haut; de sorte que tout le teocalli avait cinquante-quatre metres d'elevation. Le monceau de pierres qui formait la pyramide de Mexitli a servi, apres le siege de Tenochtitlan, pour exhausser la Plaza mayor. C'est en faisant des fouilles a huit ou dix metres de profondeur que l'on decouvrirait un grand nombre d'idoles colossales et d'autres restes de la sculpture azteque. En effet, trois monuments curieux: la pierre dite des sacrifices, la statue colossale de la deesse Teoyaomiqui, et la pierre du calendrier mexicain ont ete trouvees lorsque le vice-roi, comte de Revillagigedo, a fait aplanir la grande place de Mexico en abaissant le terrain. Une personne tres digne de foi, qui avait ete chargee de diriger ces travaux, m'a assure que les fondations de la cathedrale sont entourees d'une innombrable quantite d'idoles et de reliefs, et que les trois masses de porphyre que nous venons de nommer sont les plus petites de celles qu'on decouvrit alors, en fouillant jusqu'a la profondeur de douze metres. Pres de la capilla del sagrario, on decouvrit une roche sculptee qui avait sept metres de long, six de large et trois de haut. Les ouvriers, voyant qu'on ne pouvait parvenir a la retirer, voulurent la mettre en pieces, mais heureusement ils en furent detournes par un chanoine de la cathedrale, M. Gamboa, homme instruit et ami des arts. La pierre que l'on designe vulgairement par le nom de pierre des sacrifices est de forme cylindrique; elle a trois metres de largeur et onze decimetres de hauteur. Elle est entouree d'un relief dans lequel on reconnaeit vingt groupes de deux figures, qui sont toutes representees dans la meme attitude. Une de ces figures est constamment la meme: c'est un guerrier, peut-etre un roi, qui a la main gauche appuyee sur le casque d'un homme qui lui offre des fleurs comme un gage de son obeissance. M. Dupe, que j'ai eu occasion de citer au commencement de cet ouvrage, a copie tout le relief; je me suis assure sur les lieux de l'exactitude de son dessin. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Voir Planches supplem. N° 6. Lisez Dupaix. Voir la note 1 au bas de la page 9, Notes et Docum. div. . . . Un groupe remarquable represente un homme barbu. On observe qu'en general les Indiens Mexicains ont un peu plus de barbe que le reste des indigenes de l'Amerique; il n'est meme pas rare d'en voir avec des moustaches. Y aurait-il eu jadis une province dont les habitants portaient une longue barbe; ou celle qu'on remarque dans le relief est-elle postiche? Fait-elle partie de ces ornements fantastiques par lesquels les guerriers cherchaient a inspirer de la terreur a l'ennemi? M. Dupe croit, ce me semble avec raison, que cette sculpture represente les conquetes d'un roi azteque. Le vainqueur est toujours le meme; le guerrier vaincu porte le costume du peuple auquel il appartient, et dont il est, pour ainsi dire, le representant. Derriere le vaincu est place l'hieroglyphe qui designe la province conquise. Dans le Recueil de Mendoza, les conquetes d'un roi sont de meme indiquees par un bouclier ou un faisceau de fleches, place entre le roi et les caracteres symboliques ou armoiries des pays subjugues. Comme les prisonniers mexicains etaient immoles dans les temples, il paraeitrait assez naturel que les triomphes d'un roi guerrier fussent figures autour de la pierre fatale sur laquelle le topiltzin (pretre sacrificateur) arrachait le coeur a la malheureuse victime. Ce qui a fait sur-tout adopter cette hypothese, c'est que la face superieure de la pierre offre une rainure assez profonde qui paraeit avoir servi pour faire ecouler le sang. Malgre ces apparences de preuves, j'incline a croire que la pierre dite des sacrifices n'a jamais ete placee a la cime d'un teocalli, mais qu'elle etait une de ces pierres appelees temalacatl, sur lesquelles se livrait le combat de gladiateurs entre le prisonnier destine a etre immole et un guerrier mexicain. La vraie pierre des sacrifices, celle qui couronnait la plate-forme des teocallis, etait verte, soit de jaspe, soit peut-etre de jade axinien; sa forme etait celle d'un parallelipipede de quinze a seize decimetres de longueur et d'un metre de largeur; sa surface etait convexe, afin que la victime, etendue sur la pierre, eaut la poitrine plus elevee que le reste du corps. Aucun historien ne rapporte que cette masse de pierre verte ait ete sculptee: la grande durete des masses de jaspe et de jade s'opposait sans doute a l'execution d'un basrelief. En comparant le bloc cylindrique de porphyre trouve sur la place de Mexico, a ces pierres oblongues sur lesquelles la victime etait jetee lorsque le topiltzin s'en approchait, arme d'un couteau d'obsidienne, on concoit aisement que ces deux objets n'offrent aucune ressemblance ni de matiere, ni de forme. Il est facile, au contraire, de reconnaeitre dans la description que des temoins oculaires nous ont donnee du temalacatl ou de la pierre sur laquelle combattait le prisonnier destine au sacrifice, celle dont M. Dupe, a dessine le relief. L'auteur inconnu de l'ouvrage publie par Ramusio, sous le titre de Relazione d'un gentiluomo di Fernando Cortez, dit expressement que le temalacatl avait la forme d'une meule de trois pieds de hauteur, ornee tout autour de figures sculptees, et qu'il etait assez grand pour servir au combat de deux personnes. Cette pierre cylindrique couronnait un tertre de trois metres d'elevation. Les prisonniers les plus distingues par leur courage ou par leur rang etaient reserves pour le sacrifice des gladiateurs. Places sur le temalacatl, entoures d'une foule immense de spectateurs, ils devaient combattre successivement avec six guerriers mexicains: etaient-ils assez heureux pour les vaincre, on leur accordait la liberte en leur permettant de retourner dans leur patrie; si, au contraire, le prisonnier gladiateur succombait sous les coups d'un de ses adversaires, alors un pretre, appele chalchiuhtepehua, le traeinait mort ou vivant a l'autel pour lui arracher le coeur. Il se pourrait tres bien que la pierre qui a ete trouvee dans les fouilles faites autour de la cathedrale faut ce meme temalacatl que le gentiluomo de Cortez assure avoir vu, pres de l'enceinte du grand teocalli de Mexitli. Les figures du relief ont pres de soixante decimetres de hauteur. Leur chaussure est tres remarquable: le vainqueur a le pied gauche termine par une espece de bec qui paraeit destine a sa defense. On peut etre surpris de trouver cette arme, a laquelle je ne connais rien d'analogue chez d'autres nations, seulement au pied gauche. Cette meme figure, dont le corps trapu rappelle le premier style etrusque, tient le vaincu par le casque en le serrant de la main gauche. Dans un grand nombre de peintures mexicaines qui representent des batailles, on voit des guerriers tenant ainsi des armes dans la main gauche: ils sont representes agissant plutot de cette main que de la main droite. On pourrait croire, au premier coup d'oeil, que cette bizarrerie tient a des habitudes particulieres; mais, en examinant un grand nombre d'hieroglyphes historiques des Mexicains, on reconnaeit que leurs peintres placaient les armes tantot dans la main droite, tantot dans la main gauche, selon qu'il en resultait une disposition plus symetrique dans les groupes: j'en ai trouve des exemples frappants en feuilletant le Codex anonymus du Vatican, dans lequel on trouve des Espagnols qui portent l'epee dans la main gauche. Cette bizarrerie de confondre la droite avec la gauche caracterise d'ailleurs le commencement de l'art; on l'observe aussi dans quelques reliefs egyptiens; on trouve meme dans ces derniers des mains droites attachees a des bras gauches, d'ou il resulte que les pouces paraissent attaches a l'exterieur des mains. De savants antiquaires ont cru reconnaeitre quelque chose de mysterieux dans cet arrangement extraordinaire que M. Zoega n'attribue qu'au simple caprice ou a la negligence de l'artiste. Je doute fort que le bas-relief qui entoure le temalacatl, et tant d'autres sculptures en porphyre basaltique, aient ete executes en n'employant que des outils de jade ou d'autres pierres tres dures. Il est vrai que j'ai cherche en vain a me procurer quelque ciseau metallique des anciens Mexicains, semblable a celui que j'ai rapporte du Perou; mais Antonio de Herrera, dans le dixieme livre de son histoire des Indes occidentales, dit expressement que les habitants de la province maritime de Zacatollan, situee entre Acapulco et Colima, preparaient deux sortes de cuivres, dont l'un etait dur et tranchant, et l'autre malleable: le cuivre dur servait pour fabriquer des haches, des armes et des instruments d'agriculture; le cuivre malleable etait employe pour des vases, des chaudieres et d'autres ustensiles necessaires dans l'economie domestique. Or, la cote de Zacatollan ayant ete sujette aux rois d'Anahuac, il ne paraeit pas probable que dans les environs de la capitale du royaume on ait continue a sculpter les pierres par frottement, si l'on pouvait se procurer des ciseaux metalliques. Ce cuivre tranchant mexicain etait sans doute mele d'etain, de meme que l'outil trouve a Vilcabamba, et cette hache peruvienne que Godin avait envoyee a M. de Maurepas et que le comte de Caylus crut etre du cuivre trempe. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . RELIEF EN BASALTE, REPRESENTANT LE CALENDRIER MEXICAIN. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Ce monument precieux qui avait deja ete grave a Mexico, il y a pres de vingt ans, sert a confirmer une partie des idees que nous avons developpees sur le calendrier mexicain. Cette pierre enorme a ete trouvee au mois de decembre 1790, dans les fondations du grand temple de Mexitli, a la Plaza mayor de Mexico, apeu-pres soixante-dix metres a l'ouest de la seconde porte du palais des vice-rois, et trente metres au nord du marche des fleurs appele Portal de las flores, a la petite profondeur de cinq decimetres. Elle etait placee de maniere que la partie sculptee ne pouvait etre vue qu'en la mettant dans une position verticale. Cortez, en detruisant les temples, avait fait briser les idoles et tout ce qui tenait au culte ancien. Les masses de pierre qui etaient trop grandes pour qu'on les detruiseit furent enterrees pour les soustraire aux yeux du peuple vaincu. Quoique le cercle qui renferme les hieroglyphes des jours n'ait que trois metres quatre centimetres de diametre, on reconnaeit que la pierre entiere formait un parallelipipede rectangle de quatre metres de longueur, d'autant de metres de largeur, et d'un metre d'epaisseur. Voir Planches supplem. N° 7. La nature de cette pierre n'est pas calcaire, comme l'affirme M. Gama, mais de porphyre trappeen grisnoiratre, a base de wacke basaltique. En examinant avec soin des fragments detaches, j'y ai reconnu de l'amphibole, beaucoup de cristaux tres allonges de feldspath vitreux, et, ce qui est assez remarquable, des paillettes de mica. Cette roche, fendillee et remplie de petites cavites, est depourvue de quarz, comme presque toutes les roches de la formation de trapp. Comme son poids actuel est encore de plus de quatre cent quatrevingt-deux quintaux (24,400 kilogrammes), et qu'aucune des montagnes qui entourent la ville a huit ou dix lieues de distance, n'a pu fournir un porphyre de ce grain et de cette couleur, on se figure aisement les difficultes que les Mexicains ont eprouvees pour transporter une masse si enorme au pied du teocalli. La sculpture en relief a le meme fini que l'on trouve dans tous les ouvrages mexicains: les cercles concentriques, les divisions et les subdivisions sans nombre sont traces avec une exactitude mathematique: plus on examine le detail de cette sculpture, plus on y decouvre ce goaut pour la repetition des memes formes, cet esprit d'ordre, ce sentiment de la symetrie, qui, chez des peuples a demi civilises, remplacent le sentiment du beau. Au centre de la pierre se presente le fameux signe nahui ollin Tonatiuh (le soleil dans ses quatre mouvements). Huit rayons triangulaires entourent le soleil: ces rayons se retrouvent dans le calendrier rituel, tonalamatl, dans les peintures historiques, par-tout ou est figure le soleil, Tonatiuh. Le nombre huit fait allusion a la division du jour et de la nuit en huit parties. Le dieu Tonatiuh est represente ouvrant une large bouche armee de dents: cette bouche ouverte, cette langue qui en sort, rappellent la figure d'une divinite de l'Hindoustan, celle de Kala, le Temps. D'apres un passage du Bhagavat-guita, "Kala engloutit les mondes, ouvrant une bouche enflammee, armee d'une rangee de terribles dents, et montrant une langue enorme." Tonatiuh, place au milieu des signes des jours, mesurant l'annee par les quatre mouvements des solstices et des equinoxes, est en effet le veritable symbole du Temps: c'est Krichna prenant la forme de Kala, c'est Kronos qui devore ses enfants, et que nous croyons reconnaeitre sous le nom de Moloch chez les Pheniciens. Le cercle interieur offre les vingt signes des jours: en se souvenant que cipactli est le premier, et xochitl le dernier de ces catasterismes, on voit qu'ici, comme par-tout ailleurs, les Mexicains ont range les hieroglyphes de droite a gauche. Les tetes des animaux sont placees dans une direction opposee, sans doute parceque l'animal qui tourne le dos a un autre est cense le preceder. M. Zoega a observe cette meme particularite chez les Egyptiens. La tete de mort, miquiztli, placee pres du serpent, et l'accompagnant comme signe de la nuit dans la troisieme serie periodique, fait exception a la regle generale; elle seule est dirigee vers le dernier signe, tandis que les animaux ont la face tournee vers le premier. Cet arrangement n'est pas le meme dans les manuscrits de Veletri, de Rome et de Vienne. Il est probable que la pierre sculptee dont M. Gama a entrepris l'explication, etait anciennement placee dans l'enceinte du teocalli, dans un sacellum dedie au signe ollin Tonatiuh. Nous savons, par un fragment d'Hernandez, que le jesuite Nieremberg nous a conserve dans le huitieme livre de son histoire naturelle, que le grand teocalli renfermait dans ses murs six fois treize ou soixante-dix-huit chapelles, dont plusieurs etaient dediees au soleil, a la lune, a la planete Venus, appelee Ilcuicatitlan ou Tlazolteotl, et aux signes du zodiaque. La lune, que tous les peuples regardent comme un astre qui attire l'humidite, avait un petit temple (texizcalli) construit en coquilles. Les grandes fetes du soleil, Tonatiuh, etaient celebrees au solstice d'hiver et dans la seizieme periode de treize jours, qui etait presidee a-la-fois par le signe nahui ollin Tonatiuh, et par la voie lactee, connue sous le nom de Citlalinycue ou Citlalcueye. Pendant une de ces fetes du soleil, les rois avaient l'usage de se retirer dans un edifice situe au milieu du teocalli, et appele Huyequauhxicalco. Ils y passaient quatre jours dans le jeaune et la penitence: ensuite on faisait un sacrifice sanglant en l'honneur des eclipses, hetonatiuhqualo (malheureux soleil mange). C'est dans ce sacrifice que de deux victimes masquees, l'une representait l'image du soleil, Tonatiuh, et l'autre celle de la lune, Meztli, comme pour rappeler que la lune est la vraie cause de l'eclipse du soleil. Outre les catasterismes du zodiaque mexicain et la figure du signe nahui ollin, la pierre offre aussi les dates de dix grandes fetes qui etaient celebrees depuis l'equinoxe du printemps jusqu'a l'equinoxe d'automne. Comme plusieurs de ces fetes correspondent a des phenomenes celestes, et que l'annee mexicaine est vague pendant l'espace d'un cycle, l'intercalation ne se faisant que de cinquante-deux en cinquante-deux ans, les memes dates ne designent pas quatre ans de suite les memes jours. Le solstice d'hiver qui, la premiere annee du cycle, a lieu le jour 10 tochtli, huit ans plus tard a deja retrograde de deux signes, et tombe sur le jour 8 miquiztly. Il en resulte que, pour indiquer les dates par les signes des jours, il faut ajouter l'annee du cycle a laquelle ces dates correspondent. En effet le signe 13 cannes, ou matlactly omey acatl, place au-dessus de la figure du soleil, vers le bord superieur de la pierre, nous annonce que ce monument renferme les fastes de la vingt-sixieme du cycle, depuis le mois de mars jusqu'au mois de septembre. Pour faciliter l'intelligence des signes qui indiquent les fetes du culte mexicain, je dois rappeler que les ronds places aupres des hieroglyphes des jours, sont des termes de la premiere des trois series periodiques dont nous avons developpe l'usage plus haut. En comptant de droite a gauche et en commencant a la droite du triangle qui repose sur le front du dieu ollin Tonatiuh, et dont la pointe est dirigee vers cipactli, on trouve les huit hieroglyphes suivants: 4 tigre; 1 silex; tletl, feu, sans indication de nombre; 4 vent; 4 pluie; 1 pluie; 2 singe, et 4 eau. Voici maintenant l'explication des fastes mexicains d'apres le calendrier de M. Gama, et d'apres l'ordre des fetes indiquees dans les ouvrages des historiens du seizieme siecle. Dans l'annee 13 acatl qui est la derniere annee de la seconde indiction du cycle, le commencement de l'annee a retrograde de six jours et demi, parceque l'intercalation n'a pas eu lieu depuis vingt-six ans. Le premier jour du mois tititl qui porte le signe 1 cipactli tletl, correspond par consequent non au 9, mais au 3 janvier; et le signe qui preside a la septieme periode de treize jours, 1 quiahuitl ou 1 pluie, coincide avec le 22 mars ou avec l'equinoxe du printemps. C'est a cette epoque que l'on celebrait les grandes fetes de Tlaloc ou du dieu de l'eau, qui commencaient meme deja dix jours avant l'equinoxe, le jour 4 atl, ou 4 eau, sans doute parceque le 12 mars, ou le 3 du mois de Tlacaxipehualiztli, l'hieroglyphe de l'eau, atl, etait a-la-fois le signe du jour et celui de la nuit. Trois jours apres l'equinoxe du printemps, le jour 4 checatl, ou 4 vent, commencait un jeaune solennel de quarante jours, institue en l'honneur du soleil. Le jeaune finissait le 30 avril, qui correspond a 1 tecpatl ou 1 silex. Comme le signe de ce jour est accompagne du seigneur de la nuit, tletl, feu, nous trouvons place l'hieroglyphe tletl pres de 1 tecpatl, a gauche du triangle, dont la pointe est dirigee vers le commencement du zodiaque. A droite du signe 1 tecpatl se trouve celui de 4 ocelotl, ou 4 tigre; ce jour est remarquable par le passage du soleil par le zenith de la ville de Mexico. Toute la periode de treize jours, dans laquelle ce passage a lieu, et qui est la onzieme de l'annee rituelle, etait encore dediee au soleil. Le signe 2 ozomatli, ou 2 singe, correspond a l'epoque du solstice d'ete: il se trouve place immediatement aupres de 1 quiahuitl, ou 1 pluie, jour de l'equinoxe. On peut etre embarrasse pour l'explication de 4 quiahuitl ou 4 pluie: dans la premiere annee du cycle ce jour correspond exactement au second passage du soleil par le zenith de la ville de Mexico; mais dans l'annee 13 acatl dont ce monument offre les fastes, le jour 4 pluie precedait deja ce passage de six jours. Comme toute la periode de treize jours, dans laquelle le soleil parvient au zenith, est dediee au signe ollin Tonatiuh, et a la voie lactee, Citlalcueye, et comme le jour 4 pluie appartient constamment a cette meme periode, il est assez probable que les Mexicains ont indique de preference ce dernier jour, pour que la figure du soleil faut entouree de quatre signes qui eussent tous le meme nombre quatre, et sur-tout pour faire allusion aux quatre destructions du soleil, que la tradition place dans les jours 4 tigre, 4 vent, 4 eau et 4 pluie. Les cinq petits ronds que l'on trouve a gauche du jour 2 singe immediatement au-dessus du signe Malinalli, paraissent faire allusion a la fete du dieu Macuil-Malinalli qui avait des autels particuliers: cette fete etait celebree vers le 12 septembre, appele Macuilli-Malinalli. La pointe du triangle qui separe le signe du jour 1 silex du signe de la nuit, tletl ou feu, est dirigee vers le premier des vingt catasterismes des signes du zodiaque, parceque, l'annee 13 cannes, le jour 1 cipactli correspond au jour de l'equinoxe d'automne: vers ce temps on celebrait une fete de dix jours, dont le plus solennel etait le jour 10 ollin, ou 10 soleil, qui correspond a notre 16 septembre. On croit, a Mexico, que les deux cases placees sous la langue du dieu ollin Tonatiuh, presentent deux fois le nombre cinq: mais cette explication me paraeit aussi hasardee que celle que l'on a tente de donner des quarante cases qui entourent le zodiaque, et des nombres six, dix et dix-huit, que l'on trouve repetes vers le bord de la pierre. Nous n'examinerons pas non plus si les trous creuses dans cette enorme pierre ont ete faits, comme l'a pense M. Gama, pour y placer des fils qui servaient de gnomons. Ce qui est plus certain et tres important pour la chronologie mexicaine, c'est que ce monument prouve, contre l'opinion de Gemelli et de Boturini, que le premier jour, quel que soit le signe de l'annee, est constamment preside par cipactli, signe qui correspond au capricorne de la sphere grecque. On peut croire que, pres de cette pierre, en etait placee une autre qui renfermait les fastes depuis l'equinoxe d'automne jusqu'a l'equinoxe du printemps. Nous venons de reunir, sous un meme point de vue, ce que nous savons jusqu'ici de la division du temps chez les peuples mexicains, en distinguant avec soin ce qui est certain de ce qui est simplement probable. On voit, d'apres ce qui a ete expose sur la forme de l'annee, combien sont imaginaires les hypotheses d'apres lesquelles on attribuait aux Tolteques et aux Azteques, tantot des annees lunaires, tantot des annees de deux cent quatre-vingt-six jours divisees en vingt-deux mois. Il serait interessant de connaeitre le systeme de calendrier suivi par les peuples les plus septentrionaux de l'Amerique et de l'Asie. Chez les habitants de Noutka nous retrouvons encore les mois mexicains de vingt jours, mais leur annee n'a que quatorze mois, auxquels ils ajoutent, d'apres des methodes tres compliquees, un grand nombre de jours intercalaires. Des qu'un peuple ne regle pas les subdivisions de l'annee d'apres les lunaisons, le nombre des mois devient pour lui assez arbitraire, et son choix ne paraeit dependre que d'une predilection particuliere pour certains nombres. Les peuples mexicains ont prefere les doubles decades, parcequ'ils n'avaient de signes simples que pour les unites, pour vingt, et pour les puissances de vingt. L'usage des series periodiques et les hieroglyphes des jours nous ont offert des traits frappants d'analogie entre les peuples de l'Asie et ceux de l'Amerique. Quelques uns de ces traits n'avaient pas echappe a la sagacite de M. Dupuis, quoiqu'il ait confondu les signes des mois avec ceux des jours, et qu'il n'ait eu qu'une connaissance tres imparfaite de la chronologie mexicaine. Il serait contraire au but que nous nous sommes propose dans cet ouvrage, de nous livrer a des hypotheses sur l'ancienne civilisation des habitants du nord et du centre de l'Asie. Le Thibet et le Mexique presentent des rapports assez remarquables dans leur hierarchie ecclesiastique, dans le nombre des congregations religieuses, dans l'austerite extreme des penitences et dans l'ordre des processions. Il est meme impossible de ne pas etre frappe de cette ressemblance, en lisant avec attention le recit que Cortez fit a l'empereur Charles-Quint, de son entree solennelle a Cholula, qu'il appelle la ville sainte des Mexicains. Un peuple qui reglait ses fetes d'apres le mouvement des astres, et qui gravait ses fastes sur un monument public, etait parvenu sans doute a un degre de civilisation superieur a celui que lui ont assigne Pauw, Raynal, et meme Robertson, le plus judicieux des historiens de l'Amerique. Ces auteurs regardent comme barbare tout etat de l'homme qui s'eloigne du type de culture qu'ils se sont forme d'apres leurs idees systematiques. Nous ne saurions admettre ces distinctions tranchantes en nations barbares et nations civilisees. En examinant, avec une scrupuleuse impartialite, tout ce que nous avons pu decouvrir par nous-meme sur l'etat ancien des peuples indigenes du nouveau continent, nous avons tache de recueillir les traits qui les caracterisent individuellement, et ceux qui paraissent les lier a differents groupes de peuples asiatiques. Il en est des nations entieres comme des simples individus; de meme que, dans ces derniers, toutes les facultes de l'ame ne parviennent pas a se developper simultanement, chez les premieres les progres de la civilisation ne se manifestent pas a-la-fois dans l'adoucissement des moeurs publiques et privees, dans le sentiment des arts, et dans la forme des institutions. Avant de classer les nations, il faut les etudier d'apres leurs caracteres specifiques; car les circonstances exterieures font varier a l'infini les nuances de culture qui distinguent des tribus de race differente, sur-tout lorsque, fixees dans des regions tres eloignees les unes des autres, elles ont vecu long-temps sous l'influence de gouvernements et de cultes plus ou moins contraires aux progres de l'esprit et a la conservation de la liberte individuelle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . HACHE AZTEQUE. Cette hache, d'un feldspath compact qui passe au vrai jade de Saussure, est chargee d'hieroglyphes. Je la dois a la bienveillance de don Andre Manuel del Rio, professeur de mineralogie a l'Ecole des mines de Mexico, et auteur d'un excellent traite d'oryctognosie; je l'ai deposee au cabinet du roi de Prusse, a Berlin. Le jade, le feldspath compact (dichter feldspath), la pierre lydique, et quelques varietes de basalte, sont des substances minerales qui, dans les deux continents comme dans les eiles de la mer du Sud, ont fourni aux peuples sauvages et aux peuples a demi civilises la matiere premiere pour leurs haches et pour differentes armes defensives. De meme que les Grecs et les Romains ont conserve l'usage du bronze long-temps apres l'introduction du fer, les Mexicains et les Peruviens se servaient encore de haches de pierre lorsque le cuivre et le bronze etaient deja assez communs parmi eux. Malgre nos courses longues et frequentes dans les Cordillieres des deux Ameriques, nous n'avons jamais pu decouvrir le jade en place; et plus cette roche paraeit rare, plus on est etonne de la grande quantite de haches de jade que l'on trouve presque par-tout ou l'on creuse la terre dans des lieux jadis habites, depuis l'Ohio jusqu'aux montagnes du Chili. Voir Planches supplem. N° 8. IDOLE AZTEQUE DE PORPHYRE BASALTIQUE, TROUVEE SOUS LE PAVE DE LA GRANDE PLACE DE MEXICO. Les restes de la peinture et de la sculpture mexicaines que nous avons examines jusqu'ici prouvent tous, a l'exception du seul groupe de figures represente sur cette planche, une ignorance entiere des proportions du corps humain, beaucoup de rudesse et d'incorrection dans le dessin, mais une recherche de verite minutieuse dans le detail des accessoires. On peut etre surpris de trouver les arts d'imitation dans cet etat de barbarie, chez un peuple dont l'existence politique annoncait, depuis des siecles, un certain degre de civilisation, et chez lequel l'idolatrie, les superstitions astrologiques, et le desir de conserver la memoire des evenements, multipliaient le nombre des idoles, comme celui des pierres sculptees et des peintures historiques. Il ne faut pas oublier cependant que plusieurs nations qui ont joue un role sur la scene du monde, principalement les peuples de l'Asie centrale et orientale, auxquels les habitants du Mexique paraissent tenir par des liens assez etroits, offrent ce meme contraste de perfectionnement social et d'enfance dans les arts. On serait tente d'appliquer aux habitants de la Tartarie et aux peuples montagnards du Mexique ce qu'un grand historien de l'antiquite a dit des Arcadiens: "Le climat triste et froid de l'Arcadie donne aux habitants un caractere dur et austere, parcequ'il est naturel que les hommes, par leurs moeurs, leur figure, leur couleur et leurs institutions, ressemblent au climat." Mais, a mesure que l'on examine l'etat de notre espece dans differentes regions, et que l'on s'accoutume a comparer la physionomie des pays avec celle des peuples qui s'y sont fixes, on se mefie de cette theorie specieuse qui rapporte au climat seul ce qui est dau au concours d'un grand nombre de circonstances morales et physiques. Voir Planches supplem. N° 9. Chez les Mexicains, la ferocite des moeurs sanctionnee par un culte sanguinaire, la tyrannie exercee par les princes et les pretres, les reves chimeriques de l'astrologie, et l'emploi frequent de l'ecriture symbolique, paraissent avoir singulierement contribue a perpetuer la barbarie des arts et le goaut pour des formes incorrectes et hideuses. Ces idoles devant lesquelles ruisselait journellement le sang des victimes humaines; "ces premieres divinites enfantees par la crainte," reunissaient dans leurs attributs ce que la nature offre de plus etrange. Le caractere de la figure humaine disparaissait sous le poids des vetements, des casques a tete d'animaux carnassiers, et des serpents qui entortillaient le corps. Un respect religieux pour les signes faisait que chaque idole avait son type individuel dont il n'etait pas permis de s'ecarter. C'est ainsi que le culte perpetuait l'incorrection des formes, et que le peuple s'accoutumait a ces reunions de parties monstrueuses que l'on disposait, cependant, d'apres des idees systematiques. L'astrologie et la maniere compliquee de designer graphiquement les divisions du temps, etaient la principale cause de ces ecarts d'imagination. Chaque evenement paraissait influence a-la-fois par les hieroglyphes qui presidaient au jour, a la demi-decade, ou a l'annee. De la l'idee d'accoupler des signes, et de creer ces etres purement fantastiques que nous trouvons repetes tant de fois dans les peintures astrologiques parvenues jusqu'a nous. Le genie des langues americaines, qui, semblable a celui du sanscrit, du grec et des langues d'origine germanique, permet de rappeler un grand nombre d'idees dans un seul mot, a facilite sans doute ces creations bizarres de la mythologie et des arts imitatifs. Les peuples fideles a leurs premieres habitudes, quel que soit le degre de leur culture intellectuelle, poursuivent pendant des siecles la route qu'ils se sont tracee. Un ecrivain plein de sagacite (M. Quatremere de Quincy) a remarque, en parlant de la simplicite imposante des hieroglyphes egyptiens, "que ces hieroglyphes offrent plutot une absence qu'un vice d'imitation." C'est au contraire ce vice d'imitation, ce goaut pour les details les plus minutieux, cette repetition des formes les plus communes, qui caracterisent les peintures historiques des Mexicains. Nous avons deja rappele plus haut qu'il ne faut pas confondre des representations dans lesquelles presque tout est individualise, avec des hieroglyphes simples, propres a representer des idees abstraites. Si les Grecs, dans ces derniers, ont puise le sentiment du style ideal, les peuples mexicains ont trouve, dans l'emploi des peintures historiques et astrologiques, et dans leur respect pour des formes le plus souvent bizarres et toujours incorrectes, des obstacles invincibles au progres des arts imitatifs. C'est en Grece que la religion est devenue le principal soutien de ces arts auxquels elle a donne la vie. L'imagination des Grecs a su repandre de la douceur et du charme sur les objets les plus lugubres. Chez un peuple qui porte le joug d'un culte sanguinaire, la mort se presente par-tout sous les emblemes les plus effrayants: elle est gravee sur chaque pierre, on la trouve inscrite sur chaque page de leurs livres; les monuments religieux n'ont eu d'autre but que de produire la terreur et l'epouvante. J'ai cru devoir rappeler ces idees, avant de fixer l'attention du lecteur sur l'idole monstrueuse que represente la planche. Cette roche, sculptee sur toutes ses faces, a plus de trois metres de largeur. Elle a ete trouvee sous le pave de la Plaza mayor de Mexico, dans l'enceinte du grand temple, au mois d'aoaut 1790, par consequent peu de mois avant que l'on decouvreit la pierre enorme qui represente les fastes et les hieroglyphes des jours du calendrier azteque. Les ouvriers qui faisaient des excavations pour construire un aqueduc souterrain, la rencontrerent dans une position horizontale, trente-sept metres a l'ouest du palais du vice-roi, et cinq metres au nord de l'azequia de san Joseph. Comme il n'est guere probable que les soldats de Cortez, en enterrant les idoles pour les soustraire aux yeux des indigenes, aient fait transporter des masses d'un poids considerable tres loin du sacellum, ou elles etaient originairement placees, il est important de designer avec precision les endroits dans lesquels on a trouve chaque reste de la sculpture mexicaine. Ces notions deviendront sur-tout interessantes si un gouvernement jaloux de repandre des lumieres sur l'ancienne civilisation des Americains, fait faire des fouilles autour de la cathedrale, sur la place principale de l'ancien Tenochtitlan, et au marche de Tlatelolco, ou, dans les derniers jours du siege, les Mexicains s'etaient retires avec leurs dieux penates (Tepitotan), avec leurs livres sacres (Teoamoxtli) et avec tout ce qu'ils possedaient de plus precieux. En jetant les yeux sur l'idole figuree planche 9, telle qu'elle se presente vue par-devant (fig. 1), parderriere (fig. 2), et par-dessous (fig. 3), on pourrait d'abord etre tente de croire que ce monument est un teotetl (pierre divine), une espece de betyle orne de sculptures, une roche sur laquelle sont graves des signes hieroglyphiques; mais, lorsqu'on examine de plus pres cette masse informe, on distingue a la partie superieure, les tetes de deux monstres accoles; et l'on trouve a chaque face (fig. 1 et 2) deux yeux et une large gueule armee de quatre dents. Ces figures monstrueuses n'indiquent peut-etre que des masques: car, chez les Mexicains, on etait dans l'usage de masquer les idoles a l'epoque de la maladie d'un roi, et dans toute autre calamite publique. Les bras et les pieds sont caches sous une draperie entouree d'enormes serpents, et que les Mexicains designaient sous le nom de cohuatlicueye (vetement de serpents). Tous ces accessoires, sur-tout les franges en forme de plumes, sont sculptes avec le plus grand soin. M. Gama, dans un memoire particulier, a rendu tres probable que cette idole represente le dieu de la guerre, Huitzilopochtli, ou Tlacahuepancuexcotzin, et (fig. 2) sa femme appelee Teoyamiqui (de miqui, mourir, et de teoyao, guerre divine), parcequ'elle conduisait les ames des guerriers morts pour la defense des dieux, a la maison du soleil, le paradis des Mexicains, ou elle les transformait en colibris. Les tetes de morts et les mains coupees, dont quatre entourent le sein de la deesse, rappellent les horribles sacrifices (Teoquauhquetzoliztli) celebres dans la quinzieme periode de treize jours, apres le solstice d'ete, a l'honneur du dieu de la guerre et de sa compagne Teoyamiqui. Les mains coupees alternent avec la figure de certains vases dans lesquels on braulait l'encens. Ces vases etaient appeles top-xicalli (sacs en forme de calebasse), de toptli, bourse tissue de fil de pite, et de xicalli, calebasse. Cette idole etant sculptee sur toutes les faces, meme par-dessous (fig. 3), ou l'on voit represente Mictlanteuhtli (le seigneur du lieu des morts), on ne saurait douter qu'elle etait soutenue en l'air au moyen de deux colonnes, sur lesquelles reposaient les parties marquees A et B, dans les figures 1 et 2. D'apres cette disposition bizarre, la tete de l'idole se trouvait vraisemblablement elevee de cinq a six metres au-dessus du pave du temple, de maniere que les pretres (Teopixqui) traeinaient leurs malheureuses victimes a l'autel en les faisant passer au-dessous de la figure de Mictlanteuhtli. Le vice-roi, comte de Revillagigedo, a fait transporter ce monument a l'edifice de l'Universite de Mexico, qu'il a regarde comme l'endroit le plus propre pour conserver un des restes les plus curieux de l'antiquite americaine. Les professeurs de cette universite, religieux de l'ordre de Saint-Dominique, n'ont pas voulu exposer cette idole aux yeux de la jeunesse mexicaine; ils l'ont enterree de nouveau dans un des corridors du college, a une profondeur d'un demi-metre. Je n'aurais pas ete assez heureux pour pouvoir l'examiner, si l'eveque de Monterey, don Feliciano Marin, qui passa par Mexico pour se rendre dans son diocese, n'avait pas, a ma priere, engage le recteur de l'Universite a la faire deterrer. J'ai trouve tres exact le dessin de M. Gama que j'ai fait copier. La pierre qui a servi a ce monument est une wakke basaltique, gris-bleuatre, fendillee, et remplie de feldspath vitreux. Les memes fouilles ont aussi fait decouvrir, au mois de janvier 1791, un tombeau de deux metres de longueur sur un metre de largeur, rempli de sable tres fin, et renfermant un squelette bien conserve d'un quadrupede carnassier. Le tombeau etait carre et forme de dalles d'amygdaloide poreuse, appelee tezontle. L'animal paraissait un coyote ou loup mexicain. Des vases d'argile et des grelots de bronze tres bien fondus se trouvaient places a cote des ossements. Le tombeau etait sans doute celui de quelque animal sacre; car les ecrivains du seizieme siecle nous apprennent que les Mexicains erigeaient de petites chapelles au loup, chantico, au tigre, tlatocaocelotl, a l'aigle quetzalhuexoloquauhtli, et a la couleuvre. Le cou ou sacellum du chantico s'appelait tetlanman, et, qui plus est, les pretres du loup sacre formaient une congregation particuliere, dont le couvent portait le nom de Tetlanmancalmecac. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . IDOLE AZTEQUE EN BASALTE, TROUVEE DANS LA VALLEE DE MEXICO. Cette petite idole en basalte poreux que j'ai deposee au cabinet du roi de Prusse, a Berlin, rappelle le buste de pretresse (qui figure aux planches supplementaires sous le n° 1). On y reconnaeit la meme coiffe, qui ressemble a la calantica des tetes d'Isis, les perles de Californie qui entourent le front, et la bourse attachee par un noeud, et terminee par deux appendices qui se prolongent jusqu'au milieu du corps. Le trou circulaire qu'offre la poitrine paraeit avoir servi pour recevoir l'encens (copalli ou xochitlenamactli) que l'on braulait aux idoles. J'ignore ce que la figure tient dans sa main gauche; les formes sont de la plus grande incorrection, et tout annonce l'enfance de l'art. Voir Planches supplem. N° 10. VASES DE GRANIT. Ces vases en granit, trois fois plus grands que le dessin de la planche, sont conserves en Angleterre dans les collections de lord Hillsborough et de M. Brander. Ils ont ete deterres sur la cote de Mosquitos, dans un pays habite aujourd'hui par un peuple barbare qui ne pense pas a sculpter des pierres. On les trouve figures et decrits par M. Thomas Pownal, dans les memoires interessants publies par la Societe des antiquaires de Londres. J'ai cru devoir en reproduire ici les dessins, pour faire voir l'analogie qui existe entre les ornements dont ils sont charges et ceux que presentent les ruines de Mitla. Cette analogie eloigne absolument le soupcon qu'ils ont ete faits, apres la conquete, par des Indiens qui ont tente d'imiter la forme de quelque vase espagnol. On sait que les Tolteques, en passant par la province d'Oaxaca, ont penetre jusqu'au-dela du lac de Nicaragua. On peut donc conjecturer que ces vases, ornes de tetes d'oiseaux et de tortues, sont l'ouvrage de quelque tribu de race tolteque. En reflechissant un moment sur la forme des meubles dont se servaient les Espagnols du seizieme siecle, il est impossible d'admettre que les soldats de Cortez aient porte au Mexique des vases semblables a ceux que M. Pownal nous a fait connaeitre. Voir Planches supplem. N° 11. RUINES DE MIGUITLAN OU MITLA, DANS LA PROVINCE D'OAXACA. Apres avoir decrit tant de monuments qui n'offrent qu'un interet purement historique, j'eprouve quelque satisfaction a faire connaeitre un edifice construit par les Tzapoteques, anciens habitants d'Oaxaca, et couvert d'ornements d'une elegance tres remarquable. Cet edifice est designe, dans le pays, sous le nom de Palais de Mitla. Il est situe au sud-est de la ville d'Oaxaca ou Guaxaca, a dix lieues de distance, sur le chemin de Tehuantepec, dans un pays granitique. Mitla n'est qu'une contraction du mot miguitlan qui signifie, en mexicain, lieu de desolation, lieu de tristesse. Cette denomination paraeit bien choisie pour un site tellement sauvage et lugubre que, d'apres le recit des voyageurs, on n'y entend presque jamais le ramage des oiseaux. Les Indiens Tzapoteques appellent ces ruines Leoba ou Luiva (sepulture), en faisant allusion aux excavations qui se trouvent au-dessous des murs charges d'arabesques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . D'apres les traditions qui se sont conservees, le but principal de ces constructions etait de designer l'endroit ou reposaient les cendres des princes tzapoteques. Le souverain, a la mort d'un fils ou d'un frere, se retirait dans une de ces habitations, qui sont placees au-dessus des tombeaux, pour s'y livrer a la douleur et a des ceremonies religieuses. D'autres pretendent qu'une famille de pretres, chargee des sacrifices expiatoires que l'on faisait pour le repos des morts, vivait dans ce lieu solitaire. Le plan du palais, leve par un architecte mexicain tres distingue, don Luis Martin, montre qu'originairement a Mitla il existait cinq fabriques isolees et disposees avec beaucoup de regularite. Une porte tres large, dont on voit encore quelques vestiges, conduisait a une cour spacieuse de cinquante metres en carre. Des monceaux de terre rapportee et des restes de constructions souterraines indiquent que quatre petits edifices, de forme oblongue, entouraient la cour; celui qui est a droite est encore assez bien conserve: on y observe meme les restes de deux colonnes. Voir Planches supplem. N° 12. Dans l'edifice principal, on distingue: 1.--Une terrasse elevee d'un a deux metres au-dessus du niveau de la cour, et entourant les murs auxquels elle sert en meme temps de soubassement; 2.--Une niche pratiquee dans le mur, a la hauteur d'un metre et demi au-dessus du niveau du salon a colonnes. Cette niche, plus large que haute, renfermait sans doute une idole. La porte principale du salon est couverte d'une pierre qui a quatre metres trois decimetres de long, un metre sept decimetres de large, et huit decimetres de haut; 3 et 4.--Entree de la cour interieure; 5 et 6.--Puits ou ouverture du tombeau. Un escalier tres large conduit a une excavation en forme de croix, soutenue par des colonnes. Les deux galeries, qui se coupent a angle droit, ont chacune vingtsept metres de long sur huit de large. Les murs sont couverts de grecques et d'arabesques; 7.--Six colonnes destinees a soutenir des poutres de sabino qui formaient le plafond. Trois de ces poutres sont encore tres bien conservees. La couverture etait en dalles tres larges. Les colonnes, qui annoncent l'enfance de l'art, et qui sont les seules qu'on ait trouvees jusqu'ici en Amerique, sont depourvues de chapiteaux. Leur faut est d'une seule piece. Quelques personnes tres instruites en mineralogie m'ont dit que la pierre est un beau porphyre amphibolique. D'autres m'ont assure que c'est un granit porphyritique. La hauteur totale des colonnes est de cinq metres huit decimetres, mais elles sont enterrees au tiers de leur hauteur. J'ai fait representer une colonne separement; 10.--La cour interieure; 11, 12 et 13.--Trois petits appartements entourant la cour et ne communiquant pas a un quatrieme qui se trouve derriere la niche. Les diverses parties de cet edifice offrent des inegalites ou defauts de symetrie tres frappants. Dans l'interieur des appartements, on remarque des peintures qui representent des armes, des trophees et des sacrifices. Rien n'annonce qu'il y ait eu des fenetres. Don Luis Martin et le colonel de la Laguna ont dessine avec beaucoup d'exactitude les grecques, les labyrinthes et les meandres qui couvrent exterieurement les murs du palais de Mitla. Ces dessins, qui meriteraient bien d'etre graves en entier, se trouvent entre les mains du marquis de Branciforte, un des derniers vice-rois de la Nouvelle-Espagne. C'est M. Martin, avec lequel j'ai eu le plaisir de faire plusieurs excursions geologiques dans les environs de Mexico, qui m'a communique la coupe. Elle reunit trois fragments de murs, et demontre que les ornements qui se touchent ne sont jamais semblables. Ces arabesques forment une sorte de mosaique, composee de petites pierres carrees, qui sont placees avec beaucoup d'art les unes a cote des autres. La mosaique est appliquee a une masse d'argile qui paraeit remplir l'interieur des murs, comme on l'observe aussi dans quelques edifices peruviens. Le developpement de ces murs, sur une meme ligne, n'est a Mitla qu'a-peu-pres de quarante metres. Leur hauteur n'a vraisemblablement jamais depasse cinq a six metres. Cet edifice, quoique assez petit, pouvait cependant produire de l'effet par l'ordonnance de ses parties et la forme elegante de ses ornements. Plusieurs temples de l'Egypte, pres de Syene, Philoe, Elethyia, et Latopolis ou Esne, ont des dimensions encore moins considerables. Nous n'avons point reproduit cette planche parcequ'elle est moins complete que celles donnees par Dupaix; mais nous avons donne le plan recueilli par M. de Humboldt, parcequ'il est interessant de le comparer avec ceux qui ont ete leves par le dessinateur de l'expedition. Il suffira donc, pour les elevations ou les vues perspectives des restes du palais, de se reporter aux planches qui se trouvent dans la deuxieme expedition de Dupaix; elles sont presque identiques, pour les details des diverses parties, avec celles dessinees par don Luis Martin, et communiquees par lui a M. de Humboldt. Dans les environs de Mitla, se trouvent les restes d'une grande pyramide et quelques autres constructions qui ressemblent beaucoup a celles que nous venons de decrire. Plus au sud, pres de Guatimala, dans un endroit appele El Palenque, les ruines d'une ville entiere prouvent le goaut des peuples de race tolteque et azteque pour les ornements d'architecture. Nous ignorons absolument l'anciennete de tous ces edifices: il n'est guere probable qu'elle remonte au-dela des treizieme ou quatorzieme siecles de notre ere . Sans doute il est ici question du village de San Pablo Mitlan, a une lieue et demie de ces ruines, ou se trouvent les restes, non seulement d'un monument, mais de deux monuments pyramidaux tres considerables.--Voir la deuxieme Expedition. Il est prudent, au sujet de cette conjecture, de se reporter a l'observation que nous nous sommes permise au bas de la page 14 (Notes et Docum. div.). M. de Humboldt etablit lui-meme qu'a la fin du douzieme siecle, quand les Azteques arriverent dans la contree qu'on a appelee depuis la Nouvelle-Espague, ils y trouverent deja les grands monuments pyramidaux qu'ils attribuerent aux Tolteques, nation qui avait habite cette meme contree cinq cents ans plus tot, c'est-a-dire au septieme siecle. Il ajoute que les Azteques ne savaient pas avec certitude si d'autres tribus, avant les Tolteques, avaient habite le pays d'Anahuac, et qu'il serait possible que ces grandes constructions eussent ete faites avant l'invasion des Tolteques, c'est-a-dire avant l'annee 648 de l'ere vulgaire. Enfin dans un autre passage M. de Humboldt dit que les teocallis ont ete construits dans l'intervalle qui s'est ecoule entre l'epoque de Mahomet, le septieme siecle, et celui de Ferdinand et Isabelle, le quinzieme. La latitude laissee par l'auteur est assez grande, mais elle n'offre a l'esprit rien de bien certain. Sans doute il faut se defendre d'assigner une trop haute antiquite, par amour du merveilleux, a des monuments d'origine inconnue; mais il faut craindre aussi de leur oter une partie de leur importance historique en leur attribuant, sans preuves, une anciennete moindre que celle qu'ils peuvent avoir. Certes, les teocallis construits en briques, revetus en pierres taillees, comme la generalite des pyramides egyptiennes, et aujourd'hui dans un etat de degradation infiniment plus grand, pourraient etre consideres, sans trop de prevention, comme contemporains de ces memes pyramides. Dans cette hypothese, leur destruction plus prompte devrait etre attribuee non seulement a une construction moins parfaite, mais aussi a l'influence d'un climat beaucoup moins conservateur que celui de l'Egypte, et ou la vegetation, ennemie des monuments, est entretenue une bonne partie de l'annee par une temperature humide ou par des pluies abondantes. Quant aux grands edifices de Palenque, de construction plus solide encore ou moins alterable que les teocallis, d'apres la description de Dupaix, si l'on fait attention a l'ignorance complete ou tous les historiens mexicains et tous les historiens espagnols, ou autres, ont ete relativement a cette antique cite deserte et au peuple qui la construisit, il est permis de leur supposer une anciennete au moins egale. Le silence le plus absolu est garde dans tous les ecrits consultes par Raynal, Robertson, etc., sur l'existence de cette ville d'une si immense longueur, six a huit lieues, ainsi que sur la nation dont elle etait sans doute la capitale, et qui a disparu de la surface du globe sans laisser d'annales connues. C'est avec une extreme defiance que je me laisse induire a de telles conjectures, sur-tout apres l'opinion de M. de Humboldt qui ne ferait remonter l'anciennete de ces constructions qu'au treizieme ou au quatorzieme siecle de notre ere. Une seule chose peut donner le courage d'emettre un avis different; c'est que ce savant, dont les opinions meritent tant de deference, n'a pu voir lui-meme les ruines de Palenque. C'est une chose a jamais regrettable. Des yeux tels que les siens auraient juge d'une maniere saure le caractere des edifices, leur mode de construction, les matieres employees, la dissemblance des hieroglyphes avec ceux des Azteques, l'age des arbres implantes dans les murailles, l'epaisseur des couches vegetales qui ont recouvert le sol, et lui-meme alors aurait pu rendre le plus puissant temoignage de la haute antiquite de ces monuments, au lieu de leur assigner une anciennete mediocre, susceptible d'etre un jour contestee ou detruite, soit par des faits qui seraient nouvellement connus, soit par des etudes et recherches faites ou recommencees sur les lieux memes. Les grecques du palais de Mitla presentent, sans doute, une analogie frappante avec celles des vases de la Grande-Grece, et avec d'autres ornements qu'on trouve repandus sur la surface de presque tout l'ancien continent; mais j'ai deja fait observer, dans un autre endroit, que des analogies de ce genre prouvent tres peu pour les anciennes communications des peuples, et que, sous toutes les zones, les hommes se sont plu a une repetition rhythmique des memes formes, repetition qui constitue le caractere principal de ce que nous appelons vaguement grecques, meandres, et arabesques. Il y a plus encore: la perfection de ces ornements n'indique pas meme une civilisation tres avancee chez le peuple qui les a employes. L'interessant voyage du chevalier Krusenstern nous a fait connaeitre des arabesques d'une elegance admirable, fixees, par tatouage, sur la peau des habitants les plus feroces des eiles de Washington. TETE GRAVEE EN PIERRE DURE ET BRACELET D'OBSIDIENNE . Voir Planches supplem. N° 13, fig. 1 et 2. La tete sculptee est l'ouvrage des anciens habitants du royaume de la Nouvelle-Grenade. La pierre, regardee par quelques mineralogistes comme une smaragdite, n'est indubitablement qu'un quartz vert qui fait passage au bornstein. Peut-etre ce quartz, d'une durete extreme, est-il teint, comme la chrysoprase, par l'oxide de nikel. Il est perfore de maniere que les ouvertures du trou cylindrique sont situees dans des plans qui se coupent a angle droit; on peut supposer que cette perforation a ete faite au moyen d'outils de cuivre mele d'etain; car le fer n'etait pas employe par les Muyscas et les Peruviens. Le bracelet d'obsidienne a ete trouve dans un tombeau indien dans la province de Mechoacan au Mexique. Il est extremement difficile de se former une idee de la maniere avec laquelle on est parvenu a travailler une substance aussi fragile. Le verre volcanique, parfaitement transparent, est reduit a une lame dont la courbure est cylindrique, et qui a moins d'un millimetre d'epaisseur. TABLEAU CHRONOLOGIQUE DE L'HISTOIRE DU MEXIQUE. La region montagneuse du Mexique, semblable au Caucase, etait habitee, des les temps les plus recules, par un grand nombre de peuples de races differentes. Une partie de ces peuples peut etre consideree comme le reste de tribus nombreuses qui, dans leurs migrations du nord au sud, avaient traverse le pays d'Anahuac, et dont quelques familles, retenues par l'amour du sol qu'elles avaient defriche, s'etaient separees du corps de la nation, en conservant leur langue, leurs moeurs, et la forme de leur gouvernement. Les peuples les plus anciens du Mexique, ceux qui se regardaient comme autochthones, sont les Olmeques ou Hulmeques, qui ont pousse leurs migrations jusqu'au golfe de Nicoya, et a Leon de Nicaragua, les Xicalanques, les Cores, les Tepaneques, les Tarasques, les Miztiques, les Tzapoteques et les Otomites. Les Olmeques et les Xicalanques, qui habitaient le plateau de Tlascala, se vantaient d'avoir subjugue ou detruit, a leur arrivee, les geants ou quinametin; tradition qui se fonde vraisemblablement sur l'aspect des ossements d'elephants fossiles trouves dans les regions elevees des montagnes d'Anahuac. (Torquem. tom. I, pag. 37 et 364.) Boturini avance que les Olmeques, chasses par les Tlascalteques, ont peuple les Antilles et l'Amerique meridionale. Les Tolteques sortis de leur patrie, Huehuetlapallan ou Tlapallan, l'an 544 de notre ere, arriverent a Tollantzinco, dans le pays d'Anahuac, en 648, et a Tula en 670. Sous le regne du roi tolteque, Ixtlicuechahuac, en 708, l'astrologue Huemattin composa le fameux livre divin, le Teo-amoxtli, qui renfermait l'histoire, la mythologie, le calendrier et les lois de la nation. Ce sont aussi les Tolteques qui paraissent avoir bati la pyramide de Cholula, sur le modele des pyramides de Teotihuacan. Ces dernieres sont les plus anciennes de toutes, et Siguenza les croit l'ouvrage des Olmeques. (Clavig. tom. I, page 126 et 129; tom. IV, page 46.) C'est du temps de la monarchie tolteque, ou dans des siecles anterieurs, que paraeit le Budha mexicain, Quetzalcoalt, homme blanc, barbu, et accompagne d'autres etrangers qui portaient des vetements noirs en forme de soutanes. Jusqu'au seizieme siecle, le peuple employait de ces habits de Quetzalcoalt pour se deguiser dans les fetes. Le nom du saint etait Cuculca a Yucatan, et Cumaxtli a Tlascala. (Torquem. tom. II, pag. 55 et 307.) Son manteau etait parseme de croix rouges. Grand-pretre de Tula, il fonda des congregations religieuses, il ordonna des sacrifices de fleurs et de fruits, et se bouchait les oreilles quand on lui parlait de la guerre. Son compagnon de fortune, Huemac, etait en possession du pouvoir seculier, tandis que lui-meme jouissait du pouvoir spirituel. Cette forme de gouvernement etait analogue a celles du Japon et du Cundinamarca. (Torquem. tom. II, pag. 237.) Mais les premiers moines missionnaires espagnols ont gravement discute la question si Quetzalcoalt etait Carthaginois ou Irlandais. De Cholula il envoya des colonies a la Mizteca, a Huaxayacac, a Tabasco et Campeche. On suppose que le palais de Mitla a ete construit par ordre de cet inconnu. Du temps de l'arrivee des Espagnols, on conservait a Cholula, comme des reliques precieuses, certaines pierres qui avaient appartenu a Quetzalcoalt, et le pere Toribio de Motilinia vit encore sacrifier en l'honneur du saint, au sommet de la montagne de Matlalcuye, pres de Tlascala. Le meme religieux assista, a Cholula, a des exercices ordonnes par Quetzalcoalt, dans lesquels les penitents se scarifiaient la langue, les oreilles et les levres. Le grand-pretre de Tula avait fait sa premiere apparition a Panuco; il quitta le Mexique dans le dessein de retourner a Tlalpallan, et c'est dans ce voyage qu'il disparut, non pas au nord, comme on devrait le supposer, mais a l'est, sur les bords du Rio Huasacualco. (Torquem. tom. II, pag. 307 et 311.) La nation espera son retour pendant un grand nombre de siecles. "Lorsque, en arrivant a Tenochtitlan, je passai par Xochimilco, dit le moine Bernard de Sahagun, tout le monde me demanda si je venais de Tlalpallan. Je n'entendais pas alors le sens de cette question; mais je sus plus tard que les Indiens nous prenaient pour les descendants de Quetzalcoalt." (Torquem. tom. II, pag. 53.) Il est interessant, sans doute, de reunir jusqu'aux plus petites circonstances de la vie de ce personnage mysterieux qui, appartenant a des temps heroiques, est probablement anterieur aux Tolteques. Peste et destruction des Tolteques en 1051. Ils poussent leurs migrations plus loin au sud. Deux enfants du dernier roi et quelques familles tolteques restent dans le pays d'Anahuac. Les Chichimeques, sortis de leur patrie, Amaquemecan, arrivent au Mexique en 1170. Migration des Nahuatlaques (Anahuatlaques) en 1178. Cette nation renferma les sept tribus des Sochimilques, des Chalques, des Tepaneques, des Acolhues, des Tlahuiques, des Tlascalteques ou Teochichimeques, et des Azteques ou Mexicains, qui, de meme que les Chichimeques, parlaient tous la langue tolteque. (Clavig. tom. I, pag. 151; tom. IV, pag. 48.) Ces tribus appelaient leur patrie Aztlan ou Teo-Acolhuacan, et la disaient voisine d'Amaquemecan (Garcia, Origen de los Indios, pag. 182 et 502). Les Azteques etaient sortis d'Aztlan, d'apres Gama, en 1064; d'apres Clavigero, en 1160. Les Mexicains, proprement dits, se separerent des Tlascalteques et des Chalques, dans les montagnes de Zacatecas. (Clavig. tom. I, pag. 156. Torq. tom. I, pag. 87. Gama, Descripcion de dos Piedras, pag. 21.) Arrivee des Azteques a Tlalixco ou Acahualtzinco, en 1087. Reforme du calendrier, et premiere fete du feu nouveau depuis la sortie d'Aztlan, en 1091. Arrivee des Azteques a Tula, en 1196; a Tzompanco, en 1216; et a Chapoltepec, en 1245. "Sous le regne de Nopaltzin, roi des Chichimeques, un Tolteque appele Xiuhtlato, seigneur de Quaultepec, enseigne au peuple, vers l'an 1250, la culture du mais et du coton, et la panification de la farine de mais. Le peu de familles tolteques qui habitaient les rives du lac de Tenochtitlan avaient entierement neglige la culture de cette graminee, et le froment americain aurait ete perdu pour toujours, si Xiuhtlato n'en eaut conserve quelques grains depuis sa premiere jeunesse." (Torq. tom. I, pag. 74.) Union entre les trois nations des Chichimeques, des Acolhues et des Tolteques. Nopaltzin, fils du roi Xolotl, epouse Azcaxochitl, fille d'un prince tolteque; Pochotl et les trois soeurs de Nopaltzin s'allient aux chefs des Acolhues. Il existe peu de nations dont les annales presentent un si grand nombre de noms de famille et de lieux que les annales hieroglyphiques d'Anahuac. Les Mexicains tombent dans l'esclavage des Acolhues, en 1314, mais ils reussissent bientot a s'y soustraire par leur valeur. Fondation de Tenochtitlan, en 1325. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .