CALENDRIER MEXICAIN, explique par m. de humboldt. "Le monument precieux, represente sur cette lithographie, a ete trouve, au mois de decembre 1790, dans les fondations du grand temple de Mexitli, a la Plaza mayor de Mexico, a peu pres 70 metres a l'ouest de la seconde porte du palais des vice-rois, et 30 metres au nord du marche des fleurs, appele Portal de las Flores, a la petite profondeur de 5 decimetres. Cette pierre etait placee de maniere que la partie sculptee ne pouvait etre vue qu'en la mettant dans une position verticale. Cortez, en detruisant les temples, avait fait briser les idoles et tout ce qui tenait au culte ancien. Les masses de pierre qui etaient trop grandes pour qu'on les detruiseit, furent enterrees pour les soustraire aux yeux du peuple vaincu. Quoique le cercle qui renferme les hieroglyphes des jours n'ait que 3m, 4 de diametre, on reconnaeit que la pierre entiere formait un parallelipipede rectangle de 4 metres de longueur, d'autant de metres de largeur, et d'un metre d'epaisseur. "La nature de cette pierre n'est pas calcaire, comme l'affirme M. Gama, mais de porphyre trappeen gris-noiratre, a base de wacke basaltique. En examinant avec soin des fragmens detaches, j'y ai reconnu de l'amphibole, beaucoup de cristaux tres-alonges de feldspath vitreux, et, ce qui est assez remarquable, des paillettes de mica. Cette roche, fendillee et remplie de petites cavites, est depourvue de quarz, comme presque toutes les roches de la formation de trapp. Comme son poids actuel est encore de plus de 482 quintaux (24,400 kilogrammes), et qu'aucune des montagnes qui entourent la ville a 8 ou 10 lieues de distance, n'a pu fournir un porphyre de ce grain et de cette couleur, on se figure aisement les difficultes que les Mexicains ont eprouvees pour transporter une masse si enorme au pied du teocalli. La sculpture en relief a le meme fini que l'on trouve dans tous les ouvrages mexicains: les cercles concentriques, les divisions et les subdivisions sans nombre sont traces avec une exactitude mathematique; plus on examine le detail de cette sculpture, plus on y decouvre ce goaut pour la repetition des memes formes, cet esprit d'ordre, ce sentiment de la symetrie qui, chez les peuples a demi-civilises, remplace le sentiment du beau. "Au centre de la pierre se presente le fameux signe nahui ollin Tonatiuh (le soleil dans ses quatre mouvemens). Huit rayons triangulaires entourent le soleil; ces rayons se retrouvent dans le calendrier rituel, tonalamatl, dans les peintures historiques, partout ou est figure le soleil, Tonatiuh. Le nombre huit fait allusion a la division du jour et de la nuit en huit parties. Le dieu Tonatiuh est represente ouvrant une large bouche armee de dents: cette bouche ouverte, cette langue qui en sort, rappellent la figure d'une divinite de l'Hindoustan, celle de Kala, le Tems. D'apres un passage du Bhagavat-guita, "Kala engloutit les mondes, ouvrant une bouche enflammee, armee d'une rangee de terribles dents, et montrant une langue enorme. "Tonatiuh, place au milieu des signes du jour, mesurant l'annee par les quatre mouvemens des solstices et des equinoxes, est en effet le veritable symbole du Tems: c'est Krichna prenant la forme de Kala, c'est Kronos qui devore ses enfans, et que nous croyons reconnaeitre sous le nom de Moloch chez les Pheniciens. Traduction de M. Wilkins. Voy. aussi The Hindu Pantheon, art. Kala. "Le cercle interieur offre les 20 signes des jours; voici les noms et l'explication de ces 20 signes divises, comme nous l'avons dit plus haut en 4 petites periodes de 5 jours: Calli, maison. Cuetzpalin, lezard. Cohuatl, couleuvre. Miquiztli, mort, tete de mort. Mazatl, chevreuil ou cerf. Tochtli, lapin. Atl, eau. Itzcuintli, chien. Ozomatli, singe. Malinalli, herbe. Ce mot se retrouve dans Cihnacohuatl (femme au serpent), l'Eve des Mexicains. (Note de M. de Humboldt, tome i, p. 375.) Voir l'extrait que nous en avons donne, Numero 19, tome iv, p. 23. Acatl, canne. Ocelotl, tigre, jaguar. Quauhtli, aigle. Cozcaquauhtli, roi des vautours. Ollin, mouvement annuel du soleil. Tecpatl, silex. Quiahuitl, pluie. Xochitl, fleur. Cipactli, animal marin . Ehecatl, vent. Teocipactli (dieu poisson), est un des noms que les Mexicains donnaient a Coxcox, qui est le Noe des peuples de race semitique. (Note de M. de Humboldt.) Voir l'extrait que nous avons donne sur ce Coxcox dans notre Numero 19, tome iv, page 25. Cette explication des mois, que nous avons mise ici, se trouve dans l'ouvrage, tome i, page 375. "En se souvenant que cipactli est le premier, et xochitl le dernier de ces catasterismes, on voit qu'ici, comme partout ailleurs, les Mexicains ont range les hieroglyphes de droite a gauche. Les tetes des animaux sont placees dans une direction opposee, sans doute parce que l'animal qui tourne le dos a un autre, est cense le preceder. M. Zoega a observe cette meme particularite chez les Egyptiens. La tete de mort, miquiztli, placee pres du serpent, et l'accompagnant comme signe de la nuit dans la troisieme serie periodique, fait exception a la regle generale; elle seule est dirigee vers le dernier signe, tandis que les animaux ont la face tournee vers le premier. Cet arrangement n'est pas le meme dans les manuscrits de Veletri, de Rome et de Vienne. Zoega, de Obel., p. 464 (ou, par erreur typographique, les mots dextrorsum et sinistrorsum sont confondus). "Il est probable que la pierre sculptee dont M. Gama a entrepris l'explication etait anciennement placee dans l'enceinte du teocalli, dans un sacellum dedie au signe ollin Tonatiuh. Nous savons, par un fragment d'Hermandez, que le jesuite Nieremberg nous a conserve dans le huitieme livre de son Histoire naturelle, que le grand teocalli renfermait dans ses murs 6 fois 13 ou 78 chapelles, dont plusieurs etaient dediees au soleil, a la lune, a la planete Venus, appelee Ilcuicatitlan ou Tlazolteotl, et aux signes du zodiaque...... Eusebii Nierembergii, Hist. Nat., Libri viii, cap. 22 (Antwerpiae, 1635, page 142-156) Templi partes 3, 8, 9, 20, 25. "Outre les catasterismes du zodiaque mexicain et la figure du signe nahui ollin, la pierre offre aussi les dates de dix grandes fetes qui etaient celebrees depuis l'equinoxe du printems jusqu'a l'equinoxe d'automne. Comme plusieurs de ces fetes correspondent a des phenomenes celestes, et que l'annee mexicaine est vague pendant l'espace d'un cycle, l'intercalation ne se faisant que de 52 en 52 ans, les memes dates ne designent pas, 4 ans de suite, les memes jours... En effet le signe 13 cannes, ou matlactly omey acatl, place au-dessus de la figure du soleil, vers le bord superieur de la pierre, nous annonce que ce monument renferme les fastes de la 26e annee du cycle, depuis le mois de mars jusqu'au mois de septembre. "Pour faciliter l'intelligence des signes qui indiquent les fetes du culte mexicain, je dois rappeler de nouveau que les ronds, places aupres des hieroglyphes des jours, sont des termes de la premiere des 3 series periodiques dont nous avons developpe l'usage plus haut. "En comptant de droite a gauche, et en commencant a la droite du triangle qui repose sur le front du dieu Ollin Tonatiuh, et dont la pointe est dirigee vers cipactli, on trouve les huit hieroglyphes suivans: 4 tigre; 1 silex; tletl, feu, sans indication de nombre; 4 vent; 4 pluie; 1 pluie; 2 singe, et 4 eau. Voici maintenant l'explication des fastes mexicains, d'apres le calendrier de M. Gama, et d'apres l'ordre des fetes indiquees dans les ouvrages des historiens du 16° siecle. "Dans l'annee 13 acatl, qui est la derniere annee de la seconde indiction du cycle, le commencement de l'annee a retrograde de 6 jours et demi, parce que l'intercalation n'a pas eu lieu depuis 26 ans. Le premier jour du mois tititl; qui porte le signe 1 cipactli tletl, correspond par consequent non au 9, mais au 3 janvier; et le signe qui preside a la 7e periode de 13 jours, 1 quiahuitl ou 1 pluie, coincide avec le 22 mars ou avec l'equinoxe du printems. "C'est a cette epoque que l'on celebrait les grandes fetes de Tlaloc ou du dieu de l'eau, qui commencaient meme deja dix jours avant l'equinoxe, le jour 4 atl, ou 4 eau, sans doute parce que, le 12 mars, ou le 3 du mois Tlacaxipehualiztli, l'hieroglyphe de l'eau, atl, etait a la fois le signe du jour et celui de la nuit. "Trois jours apres l'equinoxe du printems, le jour 4 ehecatl, ou 4 vent, commencait un jeaune solennel de 40 jours, institue en l'honneur du soleil. Ce jeaune finissait le 30 avril, qui correspond a 1 tecpatl ou 1. silex. Comme le signe de ce jour est accompagne du seigneur de la nuit, tletl; feu, nous trouvons place l'hieroglyphe tletl pres de 1 tecpatl, a gauche du triangle, dont la pointe est dirigee vers le commencement du zodiaque. "A droite du signe 1 tecpatl se trouve celui 4 ocelotl, ou 4 tigre; ce jour est remarquable par le passage du soleil par le zenith de la ville de Mexico. Toute la petite periode de 13 jours, dans laquelle ce passage a lieu, et qui est la 11° de l'annee rituelle, etait encore dediee au soleil. Le signe 2 ozomatli ou 2 singe correspond a l'epoque du solstice d'ete: il se trouve place immediatement aupres de 1 quiahuitl, ou 1 pluie, jour de l'equinoxe. "On peut etre embarrasse pour l'explication de 4 quiahuitl ou 4 pluie; dans la premiere annee de ce cycle, ce jour correspond exactement au second passage du soleil par le zenith de la ville de Mexico; mais dans l'annee 13 acatl, dont ce monument offre les fastes, le jour 4 pluie precedait deja ce passage de 6 jours. Comme toute la periode de 13 jours, dans laquelle le soleil parvient au zenith, est dediee au signe ollin Tonatiuh et a la voie lactee, citlalcueye, et comme le jour 4 pluie appartient constamment a cette meme periode, il est assez probable que les Mexicains ont indique de preference ce dernier jour, pour que la figure du soleil faut entouree de 4 signes qui eussent tous le meme nombre quatre et surtout pour faire allusion aux 4 destructions du soleil , que la tradition place dans les jours 4 tigre, 4 vent, 4 eau et 4 pluie. Nous nous proposons de revenir un jour sur ces quatre destructions du soleil, ou epoques de la nature, dont font mention les traditions des peuples mexicains. Nous y joindrons une lithographie des peintures hieroglyphiques qui en ont conserve le souvenir. Note de l'editeur des Annales. "Les 5 petits ronds que l'on trouve a gauche du jour 2 singe, immediatement au-dessus du signe malinalli, paraissent faire allusion a la fete du dieu Macuil-Malinalli, qui avait des autels particuliers: cette fete etait celebree vers le 12 septembre, appele Macuilli-Malinalli. "La pointe du triangle qui separe le signe du jour 1 silex du signe de la nuit, tletl ou feu, est dirigee vers le premier des 20 catasterismes des signes du zodiaque, parce que, l'annee 13 cannes, le jour 1 cipactli correspond au jour de l'equinoxe d'automne: vers ce tems on celebrait une fete de dix jours, dont le plus solennel etait le jour 10 ollin, ou 10 soleil, qui correspond a notre 16 septembre. "On croit, a Mexico, que les 2 cases placees sous la langue du dieu Ollin-Tonatiuh, presentent 2 fois le nombre 5: mais cette explication me paraeit aussi hasardee que celle que l'on a tente de donner des 40 cases qui entourent le zodiaque, et des nombres 6, 10 et 18, que l'on trouve repetes vers le bord de la pierre...... "Nous venons de reunir, sous un meme point de vue, tout ce que nous savons jusqu'ici de la division du tems chez les peuples mexicains, en distinguant avec soin ce qui est certain de ce qui est simplement probable. On voit, d'apres ce qui a ete expose sur la forme de l'annee, combien sont imaginaires les hypotheses d'apres lesquelles on attribuait aux Tolteques et aux Azteques, tantot des annees lunaires, tantot des annees de 286 jours, divisees en 22 mois. Il serait interessant de connaeitre le systeme de calendrier suivi par les peuples les plus septentrionaux de l'Amerique et de l'Asie. Chez les habitans de Noutka nous retrouvons encore les mois mexicains de 20 jours, mais leur annee n'a que 14 mois, auxquels ils ajoutent, d'apres des methodes tres-compliquees, un grand nombre de jours intercalaires..... Waddilove, dans Robertson's Hist. of America, vol. iii, p. 404 note xxxv. Don Jose Mozino, Viage a Noutka, manuscrit. (Voyez Essai politique sur la Nouvelle Espagne, vol. ii, page 475 de l'ed. in-8°. "L'usage des series periodiques et les hieroglyphes des jours nous ont offert des traits frappans d'analogie entre les peuples de l'Asie et ceux de l'Amerique. Quelques-uns de ces traits n'avaient pas echappe a la sagacite de M. Dupuis, quoiqu'il ait confondu les signes des mois avec ceux des jours, et qu'il n'ait eu qu'une connaissance tres imparfaite de la chronologie mexicaine. Il serait contraire au but que nous nous sommes propose dans cet ouvrage, de nous livrer a des hypotheses sur l'ancienne civilisation des habitans du nord et du centre de l'Asie. Le Tibet et le Mexique presentent des rapports assez remarquables dans leur hierarchie ecclesiastique, dans le nombre des congregations religieuses, dans l'austerite extreme des penitences et dans l'ordre des processions. Il est meme impossible de ne pas etre frappe de cette ressemblance, en lisant avec attention le recit que Cortez fit a l'empereur Charles-Quint, de son entree solennelle a Cholula, qu'il appelle la ville sainte des Mexicains. Memoire explicatif sur le Zodiaque, p. 99. "Un peuple qui reglaeit ses fetes d'apres le mouvement des astres, et qui gravait ses fastes sur un monument public, etait parvenu sans doute a un degre de civilisation superieur a celui que lui ont assigne Pauw, Raynal, et meme Robertson, le plus judicieux des historiens de l'Amerique. Ces auteurs regardent comme barbare tout etat de l'homme qui s'eloigne du type de culture qu'ils se sont forme d'apres leurs idees systematiques. Nous ne saurions admettre ces distinctions tranchantes en nations barbares et nations civilisees. En examinant dans cet ouvrage, avec une scrupuleuse impartialite, tout ce que nous avons pu decouvrir par nous-memes sur l'etat ancien des peuples indigenes du nouveau continent, nous avons tache de recueillir les traits qui les caracterisent individuellement, et ceux qui paraissent les lier a differens groupes de peuples asiatiques."