TRADITIONS DU NOUVEAU MONDE, EN CONFORMITÉ AVEC NOS CROYANCES, Extraites des ouvrages de M. de Humboldt. Deuxième article Edition 1816, 2 vol. in-8°. Nous allons rapporter maintenant ce que le savant voyageur nous fait connaître des traditions religieuses du Nouveau-Monde. L’âge d’or des Mexicains, Babel, les Géans. Tom. 1er, p. 211. «Le grand Téocalli de Cholula, appelé aussi la montagne de briques non cuites (Tlalchihualtepec), avait à sa cime un autel dédié à Quetzalcoalt, le dieu de l’air. Ce Quetzalcoalt (dont le nom signifie serpent revêtu de plumes vertes, de Coalt, serpent, et Quetzalli, plume verte) est sans doute l’être le plus mystérieux de toute la mythologie mexicaine: c’était un homme blanc et barbu comme le Bochica des Muyscas dont nous avons parlé plus haut: il était grand-prêtre à Tula (Tollan), législateur et chef d’une secte religieuse qui s’imposait les pénitences les plus cruelles... C’est le nom que les Mexicains donnent à des édifices pyramidaux qu’ils regardent comme les maisons de leurs dieux. «Le règne de Quetzalcoalt était l’âge d’or des peuples d’Anahuac: alors tous les animaux, les hommes même vivaient en paix, la terre produisait sans culture les plus riches moissons; l’air était rempli d’une multitude d’oiseaux que l’on admirait à cause de leur chant et de la beauté de leur plumage; mais ce règne, semblable à celui de Saturne, et le bonheur du monde ne furent pas de longue durée: le grand esprit Tezcatlipoca, le brahmâ des peuples d’Anahuac, offrit à Quetzalcoalt une boisson qui, en le rendant immortel, lui inspira le goût des voyages, et surtout un désir irrésistible de visiter un pays éloigné que la tradition appelle Tlapallan..... «Quetzalcoalt, en traversant le territoire de Cholula, céda aux instances des habitans, qui lui offrirent les rênes du gouvernement: il demeura vingt ans parmi eux, ordonna les grands jeûnes de quatre-vingt jours et régla les intercalations de l’année tolque; il exhorta les hommes à la paix; il ne voulut pas que l’on fît d’autres offrandes à la divinité que les prémices des moissons. De Cholula, Quetzalcoalt passa à l’embouchure de la rivière de Goasacoalco, où il disparut après avoir fait annoncer aux Cholulains qu’il reviendrait dans quelque tems pour les gouverner de nouveau et pour renouveler leur bonheur. «C’étaient les descendans de ce saint que le malheureux Montezuma crut reconnaître dans les compagnons d’armes de Cortez. «Nous savons par nos livres, dit-il dans son premier entretien avec le général espagnol, que moi et tous ceux qui habitent ce pays, ne sont pas indigènes, mais que nous sommes des étrangers venus de très-loin. Nous savons aussi que le chef qui conduisit nos ancêtres retourna pour quelque tems dans sa première patrie, et qu’il revint ici pour chercher ceux qui s’y étaient établis: il les trouva mariés avec les femmes de cette terre, ayant une postérité nombreuse et vivant dans les villes qu’ils avaient construites: les nôtres ne voulurent pas obéir à leur ancien maître, et il s’en retourna seul. Nous avons toujours cru que ses descendans viendraient un jour prendre possession de ce pays. Considérant que vous venez de cette partie où naît le soleil, et que, comme vous me l’assurez, vous nous connaissez depuis long-tems, je ne puis douter que le roi qui vous envoie ne soit notre maître naturel.» Première Lettre de Cortez, § xxi et xxix. «Il existe encore aujourd’hui, parmi les Indiens de Cholula, une autre tradition très-remarquable, d’après laquelle la grande pyramide n’aurait pas été destinée primitivement à servir au culte de Quetzalcoalt. Après mon retour en Europe, en examinant à Rome les manuscrits mexicains de la bibliothèque du Vatican, j’ai vu que cette même tradition se trouve consignée dans un manuscrit de Pedro de los Rios, qui, en 1566, copia sur les lieux toutes les peintures hiéroglyphiques qu’il put se procurer. «Avant la grande inondation (apachihuiliztli) qui eut lieu quatre mille huit ans après la création du monde, le pays d’Anahuac était habité par des géans (Tzocuillixequè): tous ceux qui ne périrent pas furent transformés en poissons, à l’exception de sept qui se réfugièrent dans des cavernes. Lorsque les eaux se furent écoulées, un de ces géans, Xelhua, surnommé l’architecte, alla à Cholollan, où, en mémoire de la montagne Tlaloc, qui avait servi d’asile à lui et à six de ses frères, il construisit une colline artificielle en forme de pyramide; il fit fabriquer les briques dans la province de Tlamanalco, au pied de la Sierra de Cocolt, et, pour les transporter à Cholula, il plaça une file d’hommes qui se les passaient de main en main. Les dieux virent avec courroux cet édifice, dont la cime devait atteindre les nues: irrités contre l’audace de Xelhua, ils lancèrent du feu sur la pyramide; beaucoup d’ouvriers périrent; l’ouvrage ne fut point continué, et on le consacra dans la suite au dieu de l’air, Quetzalcoalt.» Tom. 1er, p. 383. «Cette histoire rappelle d’anciennes traditions de l’Orient , que les Hébreux ont consignées dans leurs livres saints. Pedro de los Rios, pour prouver la haute antiquité de cette fable de Xelhua, observe qu’elle était contenue dans un cantique que les Cholulains chantaient dans leurs fêtes en dansant autour du Téocalli, et que ce cantique commençait par les mots Tulanian kululacz, qui ne sont d’aucune langue actuelle du Mexique. Dans toutes les parties du globe, sur le dos des Cordillères, comme à l’île de Samothrace, dans la mer Egée, des fragmens de langues primitives se sont conservés dans les rites religieux. Voyez plus bas les traditions chaldéennes de Bérose. «Selon les traditions antiques recueillies par François Nunez de la Véga, «le Wodan des Chiapois, dont nous avons parlé plus haut, était petit-fils de cet illustre vieillard qui, lors de la grande inondation dans laquelle périt la majeure partie du genre humain, fut sauvé dans un radeau, lui et sa famille.» Wodan coopéra à la construction du grand édifice que les hommes entreprirent pour atteindre les cieux: l’exécution de ce projet téméraire fut interrompue; chaque famille reçut dès lors une langue différente, et le grand esprit Teotl ordonna à Wodan d’aller peupler le pays d’Anahuac. Cette tradition américaine rappelle le Menou des Hindoux, le Noé des Hébreux, et la dispersion des Couschites de Singar. En la comparant soit aux traditions hébraïques et indiennes conservées dans la Genèse et dans deux pouranas sacrés, soit à la fable de Xelhua le Cholulain, et à d’autres faits cités dans le cours de cet ouvrage, il est impossible de ne pas être frappé de l’analogie qui existe entre les souvenirs antiques des peuples de l’Asie et de ceux du nouveau continent.» «Les traditions historiques de tous les peuples commencent par des combats de géans. Les Olmèques ou Hulmèques et les Xicalanques, deux peuples qui ont précédé les Toltèques et qui se vantaient d’une haute antiquité, prétendaient en avoir trouvé à leur arrivée dans les plaines de Tlalcala. Selon les Pouranas sacrés, Bacchus, ou le jeune Rama, remporta aussi sa première victoire sur Ravana, roi des géans de l’île de Ceylan. «Quoique chez tous les peuples de la terre, la fiction des géans, des Titans et des Cyclopes paraisse indiquer le conflit des élémens, ou l’état du globe au sortir du chaos, on ne saurait douter que, dans les deux Amériques, les énormes squelettes d’animaux fossiles répandus sur la surface de la terre n’aient une grande influence sur l’histoire mythologique. A la pointe Sainte-Hélène, au nord de Guayaquil, se trouvent d’énormes dépouilles de cétacés inconnus: aussi, des traditions péruviennes portent-elles qu’une colonie de géans, qui se sont détruits mutuellement, a débarqué sur ce même point. Des ossemens de Mastadoutes et d’Eléphans fossiles, appartenant à des espèces qui ont disparu de la surface du globe, abondent dans le royaume de la Nouvelle-Grenade et sur le dos des Cordillères mexicaines: aussi la plaine qui a deux mille sept cents mètres de hauteur, s’étend de Suacha vers Santa-fé de Bogota, porte-t-elle le nom de Champ des Géans. Il est probable que les Hulmèques se vantaient que leurs ancêtres avaient combattu les géans sur le plateau fertile de Tlascalla, parce qu’on y trouve des dents molaires de Mastadoutes et d’Eléphans, que dans tout le pays le peuple prend pour des dents d’hommes d’une stature colossale.» L’Adam et l’Eve des Mexicains, Cain et Abel, etc. Tom. 1er, p. 235. «Le groupe n° 11 représente la célèbre Femme au Serpent, Cihuacohuatl, appelée aussi Quilaztli ou Tonacacihua, Femme de notre chair: elle est la compagne de Tonacateuctli. Les Mexicains la regardaient comme la mère du genre humain, et après le dieu du Paradis céleste, Ometeuctli, elle occupait le premier rang parmi les divinités d’Anahuac: on la voit toujours représentée en rapport avec un grand serpent. D’autres peintures nous offrent une couleuvre panachée, mise en pièces par le Grand-Esprit Tezcatlipoca. Ces allégories rappellent d’antiques traditions de l’Asie. On croit voir, dans la Femme au Serpent des Aztèques, l’Ève des peuples sémitiques; dans la couleuvre mise en pièces, le fameux serpent Kaliga ou Kalinaga, vaincu par Vichnu, lorsqu’il a pris la forme de Krischna. Derrière le serpent, qui paraît parler à la déesse Echuacohuatl, se trouvent deux figures nues; elles sont de couleur différente, et paraissent dans l’attitude de se battre. On pourrait croire que les deux vases que l’on observe au bas de la peinture, et dont l’un est renversé font allusion à la cause de cette rixe. La Femme au Serpent était regardée au Mexique comme mère de deux enfans jumeaux: ces figures nues sont peut-être les enfans de Cihuacohuatl; elles rappellent le Caïn et l’Abel des traditions hébraïques. Je doute d’ailleurs que la différence de couleur que l’on remarque entre les deux figures indique une différence de race, comme dans les peintures égyptiennes, trouvées dans les tombeaux des rois à Thèbes, et dans les ornemens moulés en terre et appliqués sur les caisses des momies de Sakharah . En étudiant avec soin les hiéroglyphes historiques des Mexicains, on croit reconnaître que les têtes et les mains des figures sont peintes comme au hasard, tantôt en jaune, tantôt en bleu, tantôt en rouge.» Denon: Voyage en Egypte, p. 298, 313. Bochica, législateur des Muyscas, la longue vie qu’on lui suppose atteste celle des premiers hommes. — Conformité du déluge américain avec la Genèse et avec les traditions orientales. «Dans les temps les plus reculés, avant que la lune accompagnât la terre, dit la mythologie des Indiens Muyscas ou Mozcas, les habitans du plateau de Bogota vivaient sans lois et sans culte. Tout-à-coup parut chez eux un vieillard qui venait des plaines situées à l’est de la Cordillère de Chingala: il paraissait d’une race différente de celle des indigènes, car il avait la barbe longue et touffue. Il était connu sous trois noms différens: sous ceux de Bochica, Nunquetheba et Zuhè. Ce vieillard, semblable à Manco-Capac, apprit aux hommes à construire des cabanes et à se réunir en société. Il amena avec lui une femme, à laquelle la tradition donne encore trois noms, savoir, ceux de Chia, Yubecayguaya et Huythaca. Cette femme, d’une rare beauté, mais d’une méchanceté excessive, contraria son époux dans tout ce qu’il entreprenait pour le bonheur des hommes. Par son art magique, elle fit enfler la rivière de Funzha, dont les eaux inondèrent toute la vallée de Bogota . Ce déluge fit périr la plupart des habitans, et quelques-uns seulement s’échappèrent sur la cîme des montagnes voisines. Le vieillard irrité chassa la belle Huythaca loin de la terre; elle devint la lune, qui, depuis cette époque, commença à éclairer notre planète pendant la nuit. Ensuite Bochica, ayant pitié des hommes dispersés sur les montagnes, brisa d’une main puissante les rochers qui ferment la vallée du côté de Canaos et de Tequendama. Il fit écouler par cette ouverture les eaux du lac de Funzha, réunit de nouveau les peuples dans la vallée de Bogota, construisit des villes, introduisit le culte du soleil, nomma deux chefs entre lesquels il partagea les pouvoirs ecclésiastique et séculier, et se retira sous le nom d’Idacanzas, dans la sainte vallée d’Iraca, près de Tunja, où il vécut dans les exercices de la pénitence la plus austère, pendant l’espace de deux mille ans. L’ancien continent nous parle de princes qui ont vécu plusieurs siècles; voici, dans le nouveau, un fils du soleil qui vit deux mille ans. Les institutions de Menou nous apprennent que dans l’âge d’or, appelé Satya-youg, les hommes exempts de maladies vivaient quatre cents ans. Recherches asiatiques. Vulcain règne mille ans sur l’Egypte. Caïoumarath (le premier homme), premier roi des Perses, vécut mille ans: Djemschid, l’un de ses successeurs, en règne 616. Dans la Chine, Fo-hi et Chin-Nong règnent, le premier cent quinze ans, et le second cent quarante-cinq. Chez les Américains, Bochica vécut deux mille ans, et son successeur, le sage Huncahua, en régna deux cent cinquante. Ainsi donc, comme nous l’avons dit ailleurs, la longue vie des premiers hommes n’est pas seulement attestée par l’histoire des Hébreux, elle l’est encore par celle de l’Inde et des Perses, par l’histoire des Chinois et des Egyptiens; elle l’est de plus par l’histoire du Nouveau-Monde. On sait que les historiographes Chaldéens, Phéniciens et Grecs, l’attestent également. C’est sans doute le souvenir de la longue vie des patriarches qui a donné lieu à certaines nations de supposer aux princes de leurs premières dynasties des règnes démesurés, et d’entasser dans leurs annales les siècles sur les siècles. Nous rappellerons à ce sujet ce que dit M. Cuvier dans la partie de son discours où il examine au flambeau de la critique les chronologies les plus anciennes: «On nous parle bien en Egypte de centaines de siècles, mais c’est avec des dieux et des demi-dieux qu’on les remplit. Recherches sur les ossem, des quadrup. foss.; discours prélim: Note du R. «Cette fable indienne, qui attribue au fondateur de l’empire du Zaque la chute d’eau du Tequendama, réunit un grand nombre de traits que l’on trouve épars dans les traditions religieuses de plusieurs peuples de l’ancien continent. On croit reconnaître le bon et le mauvais principe personnifiés dans le vieillard Bochica et dans sa femme Huytaca. Le temps reculé où la lune n’existait pas encore rappelle la prétention des Arcadiens sur l’antiquité de leur origine. L’astre de la nuit est peint comme un être malfaisant qui augmente l’humidité sur la terre, tandis que Bochica, fils du Soleil, sèche le sol, protége l’agriculture, et devient le bienfaiteur des Muyscas, comme le premier Inca fut celui des Péruviens. Voici les événemens principaux qu’indique la Planche xxxii, d’après l’explication de Siguenza, à laquelle nous ajouterons quelques notions tirées des annales historiques des Mexicains. L’histoire commence par le déluge de Coxcox. Ce cataclysme arriva, selon les deux systèmes chronologiques reçus, ou mille quatre cent dix-sept ans ou dix-huit mille vingt-huit ans après le commencement de l’âge de la terre, Haltonatiuh. L’énorme différence de ces nombres doit moins nous étonner quand nous nous rappelons les hypothèses que, de nos jours, Bailly, William Jones et Bentley ont mises en avant sur la durée des quatre Yougas des Hindoux. Parmi les différens peuples qui habitent le Mexique, des peintures, qui représentaient le déluge de Coxcox, se sont trouvées chez les Aztèques, les Miztèques, les Zapothèques, les Tlascaltèques et les Méchoacaneses. Le Noé, Xisuthrus ou Menou de ces peuples, s’appelle Coxcox, Teo-Cipactli ou Tezpi. Il se sauva conjointement avec sa femme Xochiquetzal dans une barque, ou, selon d’autres traditions, dans un radeau d’Ahuahuete (cupressus Distichia). La peinture représente Coxcox au milieu de l’eau, étendu dans une barque. Tom. II, p. 175. Recherches asiat., vol. VIII, p. 195. »La montagne dont le sommet couronné d’un arbre, s’élève au-dessus des eaux, est l’Ararat des Mexicains, le Pic de Colhuacan. La corne qui est représentée à gauche, est l’hiéroglyphe phonétique de Colhuacan. Au pied de la montagne, paraissent les têtes de Coxcox et de sa femme; on reconnaît cette dernière par les deux tresses en forme de cornes, qui, comme nous l’avons observé plusieurs fois, désignent le sexe féminin. Les hommes nés après le déluge étaient muets: une colombe, du haut d’un arbre, leur distribue des langues représentées sous la forme de petites virgules. Il ne faut pas confondre cette colombe avec l’oiseau qui rapporte à Coxcox la nouvelle que les eaux se sont écoulées. Les peuples de Méchoacan conservaient une tradition d’après laquelle Coxcox, qu’ils appellent Tezpi, s’embarqua dans un acalli spacieux, avec sa femme, ses enfans, plusieurs animaux, et des graines dont la conservation était chère au genre humain. Lorsque le grand esprit Tezcatlipoca ordonna que les eaux se retirassent, Tezpi fit sortir de sa barque un Vautour, le Zopilate (Vultur aura). L’oiseau qui se nourrit de chair morte ne revint pas, à cause du grand nombre de cadavres dont était jonchée la terre récemment desséchée. Tezpi envoya d’autres oiseaux, parmi lesquels le Colibri seul revint en tenant dans son bec un rameau garni de feuilles: alors Tezpi, voyant que le sol commençait à se couvrir d’une verdure nouvelle, quitta sa barque près de la montagne de Colhuacan. »Ces traditions, nous le répétons ici, en rappellent d’autres d’une haute et vénérable antiquité. L’aspect des corps marins, trouvés jusque sur les sommets les plus élevés, pourrait faire naître, à des hommes qui n’ont eu aucune communication, l’idée de grandes inondations qui ont éteint, pour quelque temps, la vie organique sur la terre; mais ne doit-on pas reconnaître les traces d’une origine commune, partout où les idées cosmogoniques et les premières traditions des peuples offrent des analogies frappantes jusque dans les moindres circonstances? Le Colibri de Tezpi ne rappelle-t-il pas la colombe de Noë, celle de Deucalion, et les oiseaux que, d’après Bérose, Xisuthrus fit sortir de son arche, pour reconnaître si les eaux étaient écoulées, et si déjà il pouvait ériger des autels aux dieux protecteurs de la Chaldée?» Le nom de Xisuthrus, comme celui de Noé, signifie repos, consolation. C’est l’historien Bérose, qui vivait près de trois siècles avant J.-C., qui décrit avec le plus de détails les circonstances du déluge de Xisuthrus. Voici cet antique fragment, traduit par Volney: «Xisuthrus fut le dixième roi (comme Noé fut le dixième patriarche); sous lui arriva le déluge... Kronos (Saturne) lui ayant apparu en songe, l’avertit que le 15e du mois Dœsius, les hommes périraient par un déluge. En conséquence, il lui ordonna de prendre les écrits qui traitaient du commencement, du milieu, et de la fin de toutes choses; de les enfouir en terre dans la ville du Soleil, appelée Sisparis; de se construire un navire, d’y embarquer ses parens, ses amis, et de s’abandonner à la mer. Xisuthrus obéit; il prepare toutes les provisions, rassemble les animaux quadrupèdes et volatiles; puis il demande où il doit naviguer; vers les dieux, dit Saturne, et il souhaite aux hommes toutes sortes de bénédictions. Xisuthrus fabrique donc un navire, long de cinq stades et large de deux; il y fit entrer sa femme, ses enfans, ses amis, et tout ce qu’il avait préparé. Le déluge vint, et bientôt ayant cessé, Xisuthrus lâcha quelques oiseaux qui, faute de trouver où se reposer, revinrent au vaisseau: quelques jours après, il les envoya encore à la découverte; cette fois les oiseaux revinrent ayant de la boue aux pieds; lâchés une troisième fois, ils ne revinrent plus. Kisuthrus concevant que la terre se dégageait, fit une ouverture à son vaisseau, et comme il se vit près d’une montagne, il y descendit avec sa femme, sa fille et le pilote; il adora la terre, éleva un autel, fit un sacrifice, puis il disparut, et ne fut plus vu sur la terre avec les trois personnes sorties avec lui ... etc... Recherches sur l’histoire ancienne, tom. 1, p. 127. Volney observe que Bérose et Abydène, d’accord avec Moïse, placent dix générations avant le déluge. Les Indiens, dit encore Volney, remplis- »sent le tems antérieur au déluge par dix avatars ou apparitions de Wichnou qui répondent aux dix rois anté-diluviens. Ces analogies sont remarquables et mériteraient d’être approfondies.» Même ouvr., p. 179. Sanchoniathon, de Phrygie, parle de dix générations des dieux ou demi-dieux, placés entre Uranus et la race présente des mortels. Les Tartares et les Arabes ont également conservé le souvenir de ces dix générations, et de concert, quoique séparés par d’immenses distances, ils donnent à plusieurs des patriarches anté-diluviens, aussi bien qu’à leurs successeurs immédiats, les mêmes noms qu’ils ont dans la Genèse. Les Egyptiens, dans l’histoire des Atlantides, comptent aussi dix générations avant le déluge, et ils en donnent les noms. «La Sibylle bérosienne, dit Moïse de Corène, donne trois fils à Xisuthrus, Sim ou Zérouan, Titan et Yapetosthe. Ils se séparèrent, et se partagèrent le monde.» La même Sibylle, ajoute Moïse de Corène, en parlant des hommes illustres, nés de ces trois chefs , dit: «Ils étaient terribles et brillans, ces premiers des Dieux; d’eux vint la race des géans, au corps robuste, aux membres puissans, à l’immense stature, qui, pleins d’insolence, conçurent le dessein impie de bâtir une tour. Tandis qu’ils y travaillaient, un vent horrible et divin, excité par la colère des dieux (Elahim), détruisit cette masse immense et jeta parmi les hommes des paroles inconnues qui excitèrent (ou causèrent) le tumulte et la confusion. Parmi ces hommes était le Japétique Haïk, célèbre et vaillant gouverneur (præfectus), très-habile à lancer les flèches et à manier l’arc...» Idem, p. 146. Après le déluge de Noh ou de Xisuthrus, le partage de la terre entre trois personnages puissans et brillans, dont Titan est un, ressemble beaucoup, dit Volney qui a traduit ces fragmens, à ce que les Grecs nous disent des trois frères, Jupiter, Pluton et Neptune. Pluton même est noîr comme Cham. Recherches sur l’histoire ancienne, par Volney, tom. Ier, 143 et 147. Note du R. Sacrifices humains. — Animal sacré, figuré de l’agneau des Hébreux. Tom. Ier, p. 254. »N. I du Codex Borgianus, représente un animal inconnu, orné d’un collier et d’une espèce de harnois, mais percé de dards: Fabrega le nomme lapin couronné, lapin sacré. On trouve cette figure dans plusieurs rituels des anciens Mexicains. D’après les traditions qui se sont conservées jusqu’à nos jours, c’est un symbole de l’innocence souffrante: sous ce rapport, cette représentation allégorique rappelle l’agneau des Hébreux ou l’idée mystique d’un sacrifice expiatoire destiné à calmer la colère de la divinité. Les dents incisives, la forme de la tête et de la queue, paraissent indiquer que le peintre a voulu représenter un animal de la famille des rongeurs: quoique les pieds à deux sabots, munis d’un ergot qui ne touche pas la terre, le rapprochent des ruminans, je doute que ce soit un Cavia ou Lièvre mexicain: serait-ce quelque mammifère inconnu qui habite au nord du Rio Gila, dans l’intérieur des terres, vers la partie nord-ouest de l’Amérique? Ce même animal, mais avec une queue beaucoup plus longue, me paraît figurer une seconde fois dans le Codex Borgianus, à la cinquante-troisième feuille. M. Fabrega prend cette figure, qui est chargée de vingt hiéroglyphes des jours, pour un Cerf. (Mazatl.) Le N. IV est la représentation d’un sacrifice humain: un prêtre, dont la figure est presque méconnaissable sous un travestissement monstrueux, arrache le cœur à la victime; sa main gauche est armée d’une massue; le corps nu de la victime est peint; on y remarque des taches par lesquelles on a voulu imiter celles de la robe du jaguar ou du tigre américain: à gauche se trouve un autre prêtre (Tapiltzin), qui verse sur l’image du soleil placée dans la niche d’un temple le sang du cœur arraché. Je n’aurais point fait graver cette scène hideuse, si le travestissement du sacrificateur ne présentait avec le Ganesa des Hindoux, certains rapports remarquables, et qui ne paraissent point accidentels. Les Mexicains se servaient de casques qui imitaient la forme de la tête d’un Serpent, d’un Crocodile ou d’un Jaguar. On croit reconnaître dans le masque du sacrificateur la trompe d’un Eléphant ou de quelque Pachyderme qui s’en rapproche par la configuration de la tête, mais dont la mâchoire supérieure est garnie de dents incisives. Le groin du Tapir se prolonge sans doute un peu plus que le museau de nos Cochons; mais il y a bien loin de ce groin du Tapir à la trompe figurée dans le Codex Borgianus. Les peuples d’Aztlan, originaires d’Asie, avaient-ils conservé quelques notions vagues sur les Eléphans, ou, ce qui me paraît bien moins probable, leurs traditions remontaientelles jusqu’à l’époque où l’Amérique était encore peuplée de ces animaux gigantesques dont les squelettes pétrifiés se trouvent enfouis dans des terrains marneux, sur le dos même des Cordillères mexicaines? Peut-être aussi existe-t-il, dans la partie nord-ouest du nouveau continent, dans des contrées qui n’ont été visitées ni par Hearne, ni par Mackensie, ni par Lewis, un Pachyderme inconnu, qui, par la configuration de sa trompe, tient le milieu entre l’Eléphant et le Tapir. »Les guerres continuelles des Aztèques, depuis qu’ils s’étaient fixés sur les îlots du lac salé de Tezcuco, leur fournissaient un si grand nombre de victimes, que des sacrifices humains furent offerts sans exception à toutes leurs divinités, même à Quetzalcoult, qui, comme le Boudha des Hindoux, avait prêché contre cette exécrable coutume, et à la déesse des moissons, la Cérès mexicaine, appelée Centeotl ou Tonacasohua, celle qui nourrit les hommes. Les Totonaques, qui avaient adopté toute la mythologie toltèque et aztèque, distinguaient comme de race différence, les divinités qui exigent un culte sanguinaire, et la déesse des champs, qui ne demande que des offrandes de fleurs et de fruits, des gerbes de maïs ou des oiseaux qui se nourrissent des grains de cette plante utile aux hommes. Une prophétie ancienne faisait espérer à ce peuple une réforme bienfaisante dans les cérémonies religieuses: cette prophétie portait que Centeotl, qui est identique avec la belle Chri ou Lakchmi des Hindoux, et que les Aztèques, de même que les Arcadiens, désignaient sous le nom de la Grande Déesse ou Déesse primitive (Tzinteotl), triompherait, à la fin, de la férocité des autres dieux, et que les sacrifices humains feraient place aux offrandes innocentes des premices des moissons. Tous les peuples de l’Orient attendaient un Dieu libérateur qui devait venir sauver les hommes et leur enseigner un nouveau culte. La Prophétie dont il est ici question, paraît avoir trait à cette attente. Les Péruviens attendaient aussi un fils du soleil qui devait leur apporter une nouvelle loi. Note du R. »Au Mexique, où le nombre et le pouvoir des prêtres était presque aussi grand qu’il l’est aujourd’hui au Tibet et au Japon, tout ce qui était l’effet du fanatisme religieux ne pouvait éprouver que des changemens infiniment lents. L’histoire nous prouve que l’usage barbare des sacrifices humains s’est même conservé long-temps parmi les peuples les plus avancés en civilisation. Les peintures trouvées dans les tombeaux des rois à Thèbes, ne laissent aucun doute que ces sacrifices ne fussent en usage parmi les Egyptiens. Nous avons déjà observé plus haut qu’anciennement dans l’Inde, la déesse Câli demandait des victimes humaines, comme Saturne en exigeait à Carthage. A Rome, après la bataille de Cannes, un Gaulois et une Gauloise furent enterrés vivans, et l’empereur Claude se vit obligé de défendre, par une loi expresse, de sacrifier des hommes dans l’empire romain. Mais, il y a plus encore; ne voyons-nous pas, dans les tems moins réculés, les effets barbares de l’intolérance religieuse, au milieu d’une grande civilisation de l’espèce humaine, à l’époque d’un adoucissement général de caractère et de mœurs? Quelle que soit la différence que présentent les peuples dans les progrès de leur culture, le fanatisme et l’intérêt conservent leur pouvoir funeste. La postérité aura de la peine à concevoir que, dans l’Europe policée, sous l’influence d’une religion qui, par la nature de ses principes, favorise la liberté et proclame les droits sacrés de l’humanité, il existe des lois qui sanctionnent l’esclavage des Noirs, qui permettent au colon d’arracher l’enfant des bras de sa mère, pour le vendre dans une terre lointaine. Ces considérations nous prouvent, et ce résultat n’est pas consolant, que des nations entières peuvent avancer rapidement vers la civilisation, sans que les institutions politiques et les formes de leur culte perdent entièrement leur ancienne barbarie.» Denon. Voyage en Egypte, page 298, pl. cxxiv, n° 2. Décade égyptienne analogie entre le zodiaque mexicain et celui des peuples d’origine tartare. Le tableau suivant réunit les lignes du zodiaque tartare avec ceux des jours du calendrier mexicain. Tom. II, p. 21. zodiaque des tartares-mantchoux. zodiaque des mexicains. Pars, tigre. Ocelotl, tigre. Taoulai, lièvre. Tochtli, lièvre, lapin. Mogai, serpent. Cohuatl, serpent. Petchi, singe. Ozomatli, singe. Nokai, chien. Itrzumtli, chien. Tukia, oiseau, poule. Quauhtli, oiseau, aigle. Sans rappeler les hiéroglyphes eau (alt), et monstre marin (cipactli), qui offrent une analogie frappante avec les catastérismes du Verseau et du Capricorne, les six signes du zodiaque tartare, retrouvés dans le calendrier mexicain, suffisent pour rendre extrêmement probable que les peuples des deux continens ont puisé dans une source commune leurs idées astrologiques. Ces traits de ressemblance sur lesquels nous insistons, ne sont pas tirés de peintures informes ou allégoriques, susceptibles d’être interprétées selon la nature des hypothèses que l’on désire faire valoir. Si l’on consulte les ouvrages composés, au commencement de la conquête, par des auteurs Espagnols ou Indiens qui ignoraient jusqu’à l’existence d’un zodiaque tartare, l’on verra qu’au Mexique, depuis le septième siècle de notre ère, les jours s’appelaient tigre, chien, singe, lièvre ou lapin, comme, dans toute l’Asie orientale, les années portent encore les mêmes noms en tibétain, en tartare mantchou, en mongol, en kalmouk, en chinois, en japonais, en coréen , dans les langues du Tonquin et de la Cochinchine. «On conçoit que des nations qui n’ont jamais eu de rapports entr’elles, divisent également l’écliptique en vingt-sept ou vingthuit parties, et donnent à chaque jour lunaire le nom des étoiles près desquelles la lune se trouve placée dans son mouvement progressif de l’ouest à l’est. Il paraît très-naturel aussi que des peuples chasseurs ou pasteurs désignent ces constellations et ces jours lunaires par les noms des animaux qui sont l’objet constant de leurs affections ou de leurs craintes. Le ciel des hordes nomades se trouva peuplé de chiens, de cerfs, de taureaux et de loups, sans qu’on doive en conclure que ces hordes ont jadis fait partie d’un même peuple. Il ne faut pas confondre des traits de ressemblance purement accidentels, ou naissant d’une identité de position, avec ceux qui attestent une origine commune ou d’anciennes communications. «Mais les zodiaques tartare et mexicain ne renferment pas seulement les animaux propres aux climats que ces peuples habitent aujourd’hui; on y trouve aussi des tigres et des singes. Ces deux animaux sont inconnus sur les plateaux de l’Asie centrale et orientale, auxquels une grande élévation donne une température plus froide que celle qui règne vers l’ouest sous la même latitude. Les Tibétains, les Mogols, les Mantchoux et les Kalmouks, ont donc reçu d’un pays plus méridional le zodiaque que l’on appelle trop exclusivement le cycle tartare. Les Toltèques, les Aztèques, les Tlascaltiques, ont reflué du nord vers le sud, nous connaissons des monumens aztèques jusqu’aux rives du Géla, entre les 33° et 34° de latitude nord. L’histoire nous montre les Toltèques venant de régions plus septentrionales encore. Ces colons, sortis d’Aztlan, n’arrivaient pas comme des hordes barbares: tout annonçait chez eux les restes d’une ancienne civilisation. Les noms imposés aux villes qu’ils construisaient étaient les noms des lieux qu’habitaient leurs ancêtres: leurs lois, leurs annales, leur chronologie, l’ordre de leurs sacrifices, étaient modelés sur les connaissances qu’ils avaient acquises dans leur première patrie. Or, les singes et les tigres qui figurent parmi les hiérogliphes des jours et dans la tradition mexicaine des quatre âges, ou destructions du soleil, n’habitent pas la partie septentrionale de la Nouvelle-Espagne et les côtes nord-ouest de l’Amérique. Par conséquent les signes ozomatli et ocelotl rendent singulièrement probable que les zodiaques des Toltèques, des Aztèques, des Mogols, des Tibétains et de tant d’autres peuples qui sont séparés aujourd’hui par une vaste étendue de pays ont pris naissance sur un même point de l’ancien continent. Ressemblance de l’architecture babylonienne avec celle des Mexicains. «La plate-forme de la pyramide de Cholula, sur laquelle j’ai fait un grand nombre d’observations astronomiques, a quatre mille deux cent mètres carrés. On y jouit d’une vue magnifique sur le Popocatepolt, l’Irtaccihuatl, le pic d’Orizaba et la Sierra de Tlascalla, célèbre par les orages qui se forment autour de sa cime: on voit à la fois trois montagnes plus élevées que le Mont- Blanc, et dont deux sont des volcans encore enflammés. Une petite chapelle entourée de cyprès, et dédiée à Notre-Dame de Los Remedios, a remplacé le temple du dieu de l’air, ou de l’Indra Mexicain: un ecclésiastique de race indienne célèbre journellement la messe sur la cime de ce monument antique. »Du tems de Cortez, Chalula était regardé comme une ville sainte. Nulle part on ne trouvait un plus grand nombre de téocallis, plus de prêtres et d’ordres religieux (Tlamacazque), plus de magnificence dans le culte, plus d’austérité dans les jeûnes et les pénitences. Depuis l’introduction du Christianisme parmi les Indiens, les symboles d’un nouveau culte n’ont pas entièrement effacé le souvenir du culte ancien: le peuple se porte en foule et de très-loin à la cime de la pyramide, pour y célébrer la fête de la Vierge: une crainte secrète, un respect religieux saisissent l’indigène à la vue de cet immense monceau de briques, couvert d’arbustes et d’un gazon toujours frais. »Nous avons indiqué plus haut la grande analogie de construction que l’on observa entre les Téocallis mexicains et le temple de Bel ou Bélus, à Babylone. Cette analogie avait déjà frappé M. Zoega, quoi qu’il n’eut pû se procurer que des descriptions très-incomplètes du groupe des pyramides de Téotéhuacan.... »Dans les Téocallis mexicains, on distinguait, comme dans le temple de Bel, le Naos inférieur de celui qui se trouvait sur la plate-forme de la pyramide: cette même distinction est clairement indiquée dans les lettres de Cortez et dans l’histoire de la conquête écrite par Bernal Diaz, qui demeura plusieurs mois dans le palais du roi Axajacalt, et par conséquent vis-à-vis du Téocalli d’Huitzilopochtli. »Aucun des auteurs anciens, ni Hérodote, ni Pausanias, ni Arrien, ni Quinte-Curce, n’indiquent que le temple de Bélus fût orienté d’après les quatre points cardinaux, comme le sont les pyramides égyptiennes et mexicaines. Pline observe seulement que Bélus était regardé comme l’inventeur de l’astronomie: Inventor hic fuit sideralis scientiæ. Diodore rapporte que le temple babylonien servait d’observatoire aux Chaldéens. «On convient, dit-il, que cette construction était d’une élévation extraordinaire, et que les Chaldéens y faisaient leurs observations des astres, dont le lever et le coucher pouvaient être trèsexactement aperçus, à cause de l’élévation du bâtiment.» Les prêtres mexicains (Tespixqui) observaient aussi la position des astres du haut des Téocallis, et annonçaient au peuple, au son du cor, les heures de la nuit. Ces Téocallis ont été construits dans l’intervalle qui s’est écoulé entre l’époque de Mahomet et celle du règne de Ferdinand et Isabelle. Et l’on ne voit pas sans étonnement que des édifices américains, dont la forme est presque identique avec celle d’un des plus anciens monumens des rives de l’Euphrate, appartiennent à des tems si voisins de nous. »La pyramide de Bel était en même tems le temple et le tombeau de ce Dieu. Strabon ne parle pas même de ce monument comme d’un temple, il le nomme simplement le tombeau de Bélus.... Les Téocallis ou Pyramides mexicaines étaient à la fois des temples et des tombeaux. Nous avons observé plus haut que la plaine dans laquelle s’élèvent les maisons du soleil et de la lune Teotihuacan, s’appelle le chemin des morts; mais la partie essentielle et principale d’un Téocalli était la chapelle, le naos, à la cime de l’édifice.» Résumé et conclusion que tire l’auteur de ces traditions et de ces analogies. »La cosmogonie des Mexicains, leurs traditions sur la mère des hommes, déchue de son premier état de bonheur et d’innocence; l’idée d’une grande inondation, dans laquelle une seule famille s’est échappée sur un radeau; l’histoire d’un édifice pyramidal élevé par l’orgueil des hommes, et détruit par la colère des dieux; les cérémonies d’ablution pratiquées à la naissance des enfans; ces idoles faites avec la farine de maïs pétrie, et distribuées en parcelles au peuple rassemblé dans l’enceinte des temples; ces déclarations de péchés faites par les pénitens; ces associations religieuses ressemblent à nos couvens d’hommes et de femmes; cette croyance universellement repandue que des hommes blancs à longue barbe, et d’une grande sainteté de mœurs, avaient changé le système religieux et politique des peuples: toutes ces circonstances avaient fait croire aux religieux qui accompagnaient l’armée des Espagnols, lors de la conquête, qu’à une époque très-reculée, le Christianisme avait été prêché dans le nouveau continent. Des savans mexicains crurent reconnaître l’apôtre saint Thomas dans ce personnage mystérieux, grand prêtre de Tula, que les Cholulains connaissaient sous le nom de Quetzalcoatl. Il n’est pas douteux que le Nestorianisme, mêlé aux dogmes des Bouddhistes et des Chamans, ne se soit répandu par la Tartarie des Mantchoux, dans le Nord-Est de l’Asie: on pourrait donc supposer, avec quelque apparence de raison, que des idées chrétiennes ont été communiquées, par la même voie, aux peuples mexicains, surtout aux habitans de cette région boréale de laquelle sortirent les Toltèques, et que nous devons considérer comme l’officina virorum du nouveau monde. »Cette supposition serait même plus admissible que l’hypothèse d’après laquelle les traditions antiques des Hébreux et des Chrétiens auraient passé en Amérique par les colonies scandinaves formées depuis le onzième siècle sur les côtes de Groenland, au Labrador, et peut-être même dans l’île de Terre-Neuve. Ces colons européens visitèrent sans doute une partie du continent, qu’ils appelèrent Drogeo; ils connurent des pays qui étaient situés au sud-ouest, et habités par des peuples anthropophages réunis dans des villes populeuses: mais, sans examiner ici si ces villes étaient celles des provinces d’Ichiaca et de Confachiqui, visitées par Hernando de Soto, le conquérant de la Floride, il suffit d’observer que les cérémonies religieuses, les dogmes et les traditions qui ont frappé l’imagination des premiers missionnaires espagnols, se trouvaient indubitablement au Mexique depuis l’arrivée des Toltèques, et par conséquent trois ou quatre siècles avant les navigations des Scandinaves aux côtes orientales du Nouveau-Continent. »Les religieux qui, à la suite de l’armée de Cortez et de Pizarro, ont pénétré au Mexique et au Pérou, ont été naturellement enclins à exagérer les analogies qu’ils croyaient reconnaître entre la cosmogonie des Aztèques et les dogmes de la religion chrétienne. Imbus des traditions hébraïques, entendant imparfaitement les langues du pays, et le sens des peintures hiéroglyphiques, ils rapportèrent tout au système qu’ils s’étaient formé; semblables aux Romains, qui ne voyaient chez les Germains et les Gaulois que leur culte et leurs divinités. En employant une saine critique, on ne trouve, chez les Américains, rien qui rende nécessaire la supposition que les peuples asiatiques ont reflué dans ce nouveau continent, après l’établissement de la religion chrétienne. Je suis bien éloigné de nier la possibilité de ces communications postérieures: je n’ignore pas que les Tchoutskis traversent annuellement le détroit de Bering pour faire la guerre aux habitans de la côte nord-ouest de l’Amérique; mais je crois pouvoir affirmer, d’après les connaissances que nous avons acquises, depuis la fin du dernier siècle, sur les livres sacrés des Hindoux, que, pour expliquer ces analogies de traditions dont parlent tous les premiers missionnaires, on n’a pas besoin de recourir à l’Asie occidentale, habitée par des peuples de race sémitique, ces mêmes traditions, d’une haute et vénérable antiquité, se retrouvant et parmi les sectateurs de Brahma et parmi les Chamans du plateau oriental de la Tartarie. »Nous reviendrons sur cet objet intéressant, soit en parlant des Pastoux, peuple américain qui ne se nourrissait que de végétaux, et qui avait en horreur ceux qui mangeaient de la viande; soit en exposant le dogme de la métempsycose répandu parmi les Tlascaltèques. Nous examinerons la tradition mexicaine des quatre soleils ou des quatre destructions du monde, ainsi que les traces du Trimurti ou de la Trinité des Hindoux, trouvées dans le culte des Péruviens. Malgré ces rapports frappans entre les peuples du nouveau Continent et les tribus tartares qui ont adopté la religion de Bouddah, je crois reconnaître dans la mythologie des Américains, dans le style de leurs peintures, dans leurs langues, et surtout dans leur conformation extérieure, les descendans d’une race d’hommes qui, séparée de bonne heure du reste de l’espèce humaine, a suivi, pendant une longue série de siècles, une route particulière dans le développement de ses facultés intellectuelles et dans sa tendance vers la civilisation.» Dans les différens ouvrages qui composent le Voyage de M. de Humboldt, l’auteur aborde une foule d’autres questions importantes, et fait beaucoup de rapprochemens aussi savans que nouveaux. Nous y reviendrons peut-être, dans un second article. H. de C.