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Alexander von Humboldt: „Traditions du nouveau monde, en conformité avec nos croyances“, in: ders., Sämtliche Schriften digital, herausgegeben von Oliver Lubrich und Thomas Nehrlich, Universität Bern 2021. URL: <https://humboldt.unibe.ch/text/1810-Pittoreske_Ansichten_in-24-neu> [abgerufen am 13.10.2024].

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Titel Traditions du nouveau monde, en conformité avec nos croyances
Jahr 1832
Ort Paris
Nachweis
in: Annales de philosophie chrétienne 3:4 (1832), S. 19–38.
Sprache Französisch
Typografischer Befund Antiqua; Auszeichnung: Kursivierung; Fußnoten mit Ziffern; Tabellensatz.
Identifikation
Textnummer Druckausgabe: III.3
Dateiname: 1810-Pittoreske_Ansichten_in-24-neu
Statistiken
Seitenanzahl: 20
Zeichenanzahl: 42918

Weitere Fassungen
Pittoreske Ansichten in den Cordilleren (Stuttgart; Tübingen, 1810, Deutsch)
Alexander von Humboldts Ansichten über Amerika, und dessen eingeborne Völkerstämme (Stuttgart; Tübingen, 1814, Deutsch)
Über Amerika und dessen eingeborne Völkerstämme (Wien, 1814, Deutsch)
View of America and its native tribes (London, 1814, Englisch)
Researches Concerning the Institutions and Monuments of the Ancient Inhabitants of America; with descriptions and views of some of the most striking scenes in the Cordilleras (London, 1815, Englisch)
Travels in South America (Ipswich, 1815, Englisch)
Ueber die Lage, Form u. s. w. des Kotopaxi, dieses kolossalen Feuerberges (Frankfurt am Main, 1817, Deutsch)
Natuurlijke brug over den Icononzo, een dal in het cordillerisch gebergte (Amsterdam, 1818, Niederländisch)
Gang der Völkercultur der neuen Welt, verglichen mit jenem europäischer Natur, Kunst und Sitte (Brünn, 1819, Deutsch)
The works of god displayed (London, 1820, Englisch)
Cotopaxi (London, 1820, Englisch)
[Über die Anden-Kordillera] (Frankfurt am Main, 1820, Deutsch)
Description of the volcano at Cotopaxi (Chillicothe, Ohio, 1821, Englisch)
Description of the volcano at Cotopaxi (Cincinnati, Ohio, 1821, Englisch)
Cotopaxi (Hartford, Connecticut, 1822, Englisch)
[Researches Concerning the Institutions and Monuments of the Ancient Inhabitants of America; with descriptions and views of some of the most striking scenes in the Cordilleras] (Boston, Massachusetts, 1822, Englisch)
Ancient mexican cities and pyramids (Shrewsbury, 1823, Englisch)
Chimborazo and Cotopaxi (London, 1823, Englisch)
Remarks on the Union of the Atlantic and Pacific Oceans, by a Canal across the Isthmus of Darien or Panama (Montreal, 1824, Englisch)
The works of God displayed in the history of Cotopaxi a mountain in South America (New York City, New York, 1825, Englisch)
Cotopaxi (Black Rock, New York, 1825, Englisch)
[Pittoreske Ansichten in den Cordilleren] (London, 1827, Englisch)
Extrait de l’ouvrage de M. de Humboldt sur les monumens de l’Amérique (London, 1831, Französisch)
Traditions du nouveau monde, en conformité avec nos croyances (Paris, 1832, Französisch)
Calendrier mexicain (Paris, 1833, Französisch)
Cargueroes, or Man-Carriers of Quindiu (Edinburgh, 1836, Englisch)
Extrait des Vues des Cordillières et monuments des peuples indigènes de l’Amérique (Paris, 1836, Französisch)
Cargueroes, or man-carriers of Quindiu (New York City, New York; Boston, Massachusetts; Cincinnati, Ohio, 1837, Englisch)
Humboldt on the Heads of the American Indians (Edinburgh; London; Glasgow; New York City, New York, 1843, Englisch)
Cotopaxi (Philadelphia, Pennsylvania; Boston, Massachusetts; New York City, New York, 1851, Englisch)
Extinct Species (Wells, 1852, Englisch)
Extinct Species (Sligo, 1852, Englisch)
Extinct Species (Belfast, 1852, Englisch)
Extinct Species (Armagh, 1852, Englisch)
The Volcano of Cotopaxi (Hertford, 1853, Englisch)
The Volcano of Cotopaxi (Wells, 1853, Englisch)
Antediluvian America (Hertford, 1853, Englisch)
Antediluvian America (Wells, 1853, Englisch)
Mexique (Paris, 1853, Französisch)
Cotopaxi (Hartford, Connecticut, 1856, Englisch)
Visita del Chimborazo, desde la mesa de Tapia (Panama City, 1858, Spanisch)
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TRADITIONS DU NOUVEAU MONDE, EN CONFORMITÉAVEC NOS CROYANCES,Extraites des ouvrages de M. de Humboldt1.Deuxième article

Nous allons rapporter maintenant ce que le savant voyageurnous fait connaître des traditions religieuses du Nouveau-Monde. L’âge d’or des Mexicains, Babel, les Géans2. «Le grand Téocalli3 de Cholula, appelé aussi la montagnede briques non cuites (Tlalchihualtepec), avait à sa cime unautel dédié à Quetzalcoalt, le dieu de l’air. Ce Quetzalcoalt(dont le nom signifie serpent revêtu de plumes vertes, de Coalt, serpent, et Quetzalli, plume verte) est sans doute l’être le plusmystérieux de toute la mythologie mexicaine: c’était un hommeblanc et barbu comme le Bochica des Muyscas dont nous avonsparlé plus haut: il était grand-prêtre à Tula (Tollan), législateuret chef d’une secte religieuse qui s’imposait les pénitences lesplus cruelles... «Le règne de Quetzalcoalt était l’âge d’or des peuples d’Ana-huac: alors tous les animaux, les hommes même vivaient enpaix, la terre produisait sans culture les plus riches moissons;l’air était rempli d’une multitude d’oiseaux que l’on admirait àcause de leur chant et de la beauté de leur plumage; mais cerègne, semblable à celui de Saturne, et le bonheur du monde
1 Edition 1816, 2 vol. in-8°.2 Tom. 1er, p. 211.3 C’est le nom que les Mexicains donnent à des édifices pyramidauxqu’ils regardent comme les maisons de leurs dieux.
|20| ne furent pas de longue durée: le grand esprit Tezcatlipoca,le brahmâ des peuples d’Anahuac, offrit à Quetzalcoalt uneboisson qui, en le rendant immortel, lui inspira le goût desvoyages, et surtout un désir irrésistible de visiter un pays éloignéque la tradition appelle Tlapallan.....
«Quetzalcoalt, en traversant le territoire de Cholula, cédaaux instances des habitans, qui lui offrirent les rênes du gou-vernement: il demeura vingt ans parmi eux, ordonna les grandsjeûnes de quatre-vingt jours et régla les intercalations de l’année tolque; il exhorta les hommes à la paix; il ne voulut pas quel’on fît d’autres offrandes à la divinité que les prémices desmoissons. De Cholula, Quetzalcoalt passa à l’embouchure dela rivière de Goasacoalco, où il disparut après avoir fait annonceraux Cholulains qu’il reviendrait dans quelque tems pour lesgouverner de nouveau et pour renouveler leur bonheur. «C’étaient les descendans de ce saint que le malheureuxMontezuma crut reconnaître dans les compagnons d’armes deCortez. «Nous savons par nos livres, dit-il dans son premierentretien avec le général espagnol, que moi et tous ceux quihabitent ce pays, ne sont pas indigènes, mais que nous sommesdes étrangers venus de très-loin. Nous savons aussi que le chefqui conduisit nos ancêtres retourna pour quelque tems dans sapremière patrie, et qu’il revint ici pour chercher ceux qui s’yétaient établis: il les trouva mariés avec les femmes de cetteterre, ayant une postérité nombreuse et vivant dans les villesqu’ils avaient construites: les nôtres ne voulurent pas obéir àleur ancien maître, et il s’en retourna seul. Nous avons toujourscru que ses descendans viendraient un jour prendre possessionde ce pays. Considérant que vous venez de cette partie où naîtle soleil, et que, comme vous me l’assurez, vous nous con-naissez depuis long-tems, je ne puis douter que le roi qui vousenvoie ne soit notre maître naturel1 «Il existe encore aujourd’hui, parmi les Indiens de Cholula,une autre tradition très-remarquable, d’après laquelle la grandepyramide n’aurait pas été destinée primitivement à servir auculte de Quetzalcoalt. Après mon retour en Europe, en exami-
1 Première Lettre de Cortez, § xxi et xxix.
|21| nant à Rome les manuscrits mexicains de la bibliothèque duVatican, j’ai vu que cette même tradition se trouve consignéedans un manuscrit de Pedro de los Rios, qui, en 1566, copiasur les lieux toutes les peintures hiéroglyphiques qu’il put seprocurer. «Avant la grande inondation (apachihuiliztli) quieut lieu quatre mille huit ans après la création du monde, lepays d’Anahuac était habité par des géans (Tzocuillixequè): tousceux qui ne périrent pas furent transformés en poissons, àl’exception de sept qui se réfugièrent dans des cavernes. Lorsqueles eaux se furent écoulées, un de ces géans, Xelhua, surnommél’architecte, alla à Cholollan, où, en mémoire de la montagneTlaloc, qui avait servi d’asile à lui et à six de ses frères, ilconstruisit une colline artificielle en forme de pyramide; il fitfabriquer les briques dans la province de Tlamanalco, au piedde la Sierra de Cocolt, et, pour les transporter à Cholula, ilplaça une file d’hommes qui se les passaient de main en main.Les dieux virent avec courroux cet édifice, dont la cime devaitatteindre les nues: irrités contre l’audace de Xelhua, ils lan-cèrent du feu sur la pyramide; beaucoup d’ouvriers périrent;l’ouvrage ne fut point continué, et on le consacra dans la suiteau dieu de l’air, Quetzalcoalt1
«Cette histoire rappelle d’anciennes traditions de l’Orient 2,que les Hébreux ont consignées dans leurs livres saints. Pedrode los Rios, pour prouver la haute antiquité de cette fable deXelhua, observe qu’elle était contenue dans un cantique queles Cholulains chantaient dans leurs fêtes en dansant autour duTéocalli, et que ce cantique commençait par les mots Tulaniankululacz, qui ne sont d’aucune langue actuelle du Mexique. Danstoutes les parties du globe, sur le dos des Cordillères, comme àl’île de Samothrace, dans la mer Egée, des fragmens de languesprimitives se sont conservés dans les rites religieux. «Selon les traditions antiques recueillies par François Nunezde la Véga, «le Wodan des Chiapois, dont nous avons parlé plushaut, était petit-fils de cet illustre vieillard qui, lors de la grandeinondation dans laquelle périt la majeure partie du genrehumain, fut sauvé dans un radeau, lui et sa famille.» Wodan
1 Tom. 1er, p. 383.2 Voyez plus bas les traditions chaldéennes de Bérose.
|22|coopéra à la construction du grand édifice que les hommesentreprirent pour atteindre les cieux: l’exécution de ce projettéméraire fut interrompue; chaque famille reçut dès lors unelangue différente, et le grand esprit Teotl ordonna à Wodand’aller peupler le pays d’Anahuac. Cette tradition américainerappelle le Menou des Hindoux, le Noé des Hébreux, et ladispersion des Couschites de Singar. En la comparant soit auxtraditions hébraïques et indiennes conservées dans la Genèse etdans deux pouranas sacrés, soit à la fable de Xelhua le Cho-lulain, et à d’autres faits cités dans le cours de cet ouvrage, ilest impossible de ne pas être frappé de l’analogie qui existeentre les souvenirs antiques des peuples de l’Asie et de ceux dunouveau continent.»
«Les traditions historiques de tous les peuples commencentpar des combats de géans. Les Olmèques ou Hulmèques et lesXicalanques, deux peuples qui ont précédé les Toltèques et quise vantaient d’une haute antiquité, prétendaient en avoir trouvéà leur arrivée dans les plaines de Tlalcala. Selon les Pouranas sacrés, Bacchus, ou le jeune Rama, remporta aussi sa premièrevictoire sur Ravana, roi des géans de l’île de Ceylan. «Quoique chez tous les peuples de la terre, la fiction desgéans, des Titans et des Cyclopes paraisse indiquer le conflitdes élémens, ou l’état du globe au sortir du chaos, on ne sau-rait douter que, dans les deux Amériques, les énormes squelettesd’animaux fossiles répandus sur la surface de la terre n’aientune grande influence sur l’histoire mythologique. A la pointeSainte-Hélène, au nord de Guayaquil, se trouvent d’énormesdépouilles de cétacés inconnus: aussi, des traditions péruviennesportent-elles qu’une colonie de géans, qui se sont détruits mu-tuellement, a débarqué sur ce même point. Des ossemens deMastadoutes et d’Eléphans fossiles, appartenant à des espècesqui ont disparu de la surface du globe, abondent dans le royaumede la Nouvelle-Grenade et sur le dos des Cordillères mexicaines:aussi la plaine qui a deux mille sept cents mètres de hauteur,s’étend de Suacha vers Santa-fé de Bogota, porte-t-elle le nomde Champ des Géans. Il est probable que les Hulmèques se van-taient que leurs ancêtres avaient combattu les géans sur leplateau fertile de Tlascalla, parce qu’on y trouve des dents mo- |23|laires de Mastadoutes et d’Eléphans, que dans tout le pays lepeuple prend pour des dents d’hommes d’une stature colossale.»

L’Adam et l’Eve des Mexicains, Cain et Abel, etc.1

«Le groupe n° 11 représente la célèbre Femme au Serpent,Cihuacohuatl, appelée aussi Quilaztli ou Tonacacihua, Femme denotre chair: elle est la compagne de Tonacateuctli. Les Mexi-cains la regardaient comme la mère du genre humain, et aprèsle dieu du Paradis céleste, Ometeuctli, elle occupait le premierrang parmi les divinités d’Anahuac: on la voit toujours repré-sentée en rapport avec un grand serpent. D’autres peinturesnous offrent une couleuvre panachée, mise en pièces par leGrand-Esprit Tezcatlipoca. Ces allégories rappellent d’antiquestraditions de l’Asie. On croit voir, dans la Femme au Serpentdes Aztèques, l’Ève des peuples sémitiques; dans la couleuvremise en pièces, le fameux serpent Kaliga ou Kalinaga, vaincupar Vichnu, lorsqu’il a pris la forme de Krischna. Derrière le serpent, qui paraît parler à la déesse Echuaco-huatl, se trouvent deux figures nues; elles sont de couleur diffé-rente, et paraissent dans l’attitude de se battre. On pourraitcroire que les deux vases que l’on observe au bas de la peinture,et dont l’un est renversé font allusion à la cause de cette rixe. La Femme au Serpent était regardée au Mexique comme mère de deuxenfans jumeaux: ces figures nues sont peut-être les enfans deCihuacohuatl; elles rappellent le Caïn et l’Abel des traditionshébraïques. Je doute d’ailleurs que la différence de couleur quel’on remarque entre les deux figures indique une différence derace, comme dans les peintures égyptiennes, trouvées dans lestombeaux des rois à Thèbes, et dans les ornemens moulés enterre et appliqués sur les caisses des momies de Sakharah 2. Enétudiant avec soin les hiéroglyphes historiques des Mexicains,on croit reconnaître que les têtes et les mains des figures sontpeintes comme au hasard, tantôt en jaune, tantôt en bleu, tantôten rouge.»

1 Tom. 1er, p. 235.2 Denon: Voyage en Egypte, p. 298, 313.
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Bochica, législateur des Muyscas, la longue vie qu’on lui suppose attestecelle des premiers hommes. — Conformité du déluge américain avec laGenèse et avec les traditions orientales.

«Dans les temps les plus reculés, avant que la lune accompa-gnât la terre, dit la mythologie des Indiens Muyscas ou Mozcas,les habitans du plateau de Bogota vivaient sans lois et sans culte.Tout-à-coup parut chez eux un vieillard qui venait des plainessituées à l’est de la Cordillère de Chingala: il paraissait d’unerace différente de celle des indigènes, car il avait la barbe longueet touffue. Il était connu sous trois noms différens: sous ceuxde Bochica, Nunquetheba et Zuhè. Ce vieillard, semblable àManco-Capac, apprit aux hommes à construire des cabanes età se réunir en société. Il amena avec lui une femme, à laquellela tradition donne encore trois noms, savoir, ceux de Chia, Yu-becayguaya et Huythaca. Cette femme, d’une rare beauté, maisd’une méchanceté excessive, contraria son époux dans tout cequ’il entreprenait pour le bonheur des hommes. Par son art ma-gique, elle fit enfler la rivière de Funzha, dont les eaux inon-dèrent toute la vallée de Bogota. Ce déluge fit périr la plupartdes habitans, et quelques-uns seulement s’échappèrent sur lacîme des montagnes voisines. Le vieillard irrité chassa la belleHuythaca loin de la terre; elle devint la lune, qui, depuiscette époque, commença à éclairer notre planète pendant lanuit. Ensuite Bochica, ayant pitié des hommes dispersés sur lesmontagnes, brisa d’une main puissante les rochers qui fermentla vallée du côté de Canaos et de Tequendama. Il fit écouler parcette ouverture les eaux du lac de Funzha, réunit de nouveaules peuples dans la vallée de Bogota, construisit des villes, intro-duisit le culte du soleil, nomma deux chefs entre lesquels il par-tagea les pouvoirs ecclésiastique et séculier, et se retira sous lenom d’Idacanzas, dans la sainte vallée d’Iraca, près de Tunja,où il vécut dans les exercices de la pénitence la plus austère,pendant l’espace de deux mille ans1.
1 L’ancien continent nous parle de princes qui ont vécu plusieurs siècles;voici, dans le nouveau, un fils du soleil qui vit deux mille ans.Les institutions de Menou nous apprennent que dans l’âge d’or, appelé
|25| «Cette fable indienne, qui attribue au fondateur de l’empiredu Zaque la chute d’eau du Tequendama, réunit un grandnombre de traits que l’on trouve épars dans les traditions reli-gieuses de plusieurs peuples de l’ancien continent. On croit re-connaître le bon et le mauvais principe personnifiés dans levieillard Bochica et dans sa femme Huytaca. Le temps reculéoù la lune n’existait pas encore rappelle la prétention des Arca-diens sur l’antiquité de leur origine. L’astre de la nuit est peintcomme un être malfaisant qui augmente l’humidité sur la terre,tandis que Bochica, fils du Soleil, sèche le sol, protége l’agri-culture, et devient le bienfaiteur des Muyscas, comme le pre-mier Inca fut celui des Péruviens. Voici les événemens principaux qu’indique la Planche xxxii, d’après l’explication de Siguenza, à laquelle nous ajouteronsquelques notions tirées des annales historiques des Mexi-cains. L’histoire commence par le déluge de Coxcox1. Ce cataclysmearriva, selon les deux systèmes chronologiques reçus, ou mille
Satya-youg, les hommes exempts de maladies vivaient quatre cents ans. Recherches asiatiques. Vulcain règne mille ans sur l’Egypte. Caïoumarath(le premier homme), premier roi des Perses, vécut mille ans: Djems-chid, l’un de ses successeurs, en règne 616. Dans la Chine, Fo-hi etChin-Nong règnent, le premier cent quinze ans, et le second cent qua-rante-cinq. Chez les Américains, Bochica vécut deux mille ans, et sonsuccesseur, le sage Huncahua, en régna deux cent cinquante. Ainsi donc,comme nous l’avons dit ailleurs, la longue vie des premiers hommes n’estpas seulement attestée par l’histoire des Hébreux, elle l’est encore parcelle de l’Inde et des Perses, par l’histoire des Chinois et des Egyptiens;elle l’est de plus par l’histoire du Nouveau-Monde. On sait que les histo-riographes Chaldéens, Phéniciens et Grecs, l’attestent également.C’est sans doute le souvenir de la longue vie des patriarches qui a don-né lieu à certaines nations de supposer aux princes de leurs premièresdynasties des règnes démesurés, et d’entasser dans leurs annales les sièclessur les siècles. Nous rappellerons à ce sujet ce que dit M. Cuvier dans lapartie de son discours où il examine au flambeau de la critique les chro-nologies les plus anciennes: «On nous parle bien en Egypte de centainesde siècles, mais c’est avec des dieux et des demi-dieux qu’on les remplit.» Recherches sur les ossem, des quadrup. foss.; discours prélim: Note du R. 1 Tom. II, p. 175.
|26| quatre cent dix-sept ans ou dix-huit mille vingt-huit ans aprèsle commencement de l’âge de la terre, Haltonatiuh. L’énormedifférence de ces nombres doit moins nous étonner quand nousnous rappelons les hypothèses que, de nos jours, Bailly, WilliamJones et Bentley 1 ont mises en avant sur la durée des quatre Yougas des Hindoux. Parmi les différens peuples qui habitentle Mexique, des peintures, qui représentaient le déluge de Cox-cox, se sont trouvées chez les Aztèques, les Miztèques, les Za-pothèques, les Tlascaltèques et les Méchoacaneses. Le Noé,Xisuthrus ou Menou de ces peuples, s’appelle Coxcox, Teo-Ci-pactli ou Tezpi. Il se sauva conjointement avec sa femme Xochi-quetzal dans une barque, ou, selon d’autres traditions, dans unradeau d’Ahuahuete (cupressus Distichia). La peinture représenteCoxcox au milieu de l’eau, étendu dans une barque.
»La montagne dont le sommet couronné d’un arbre, s’élèveau-dessus des eaux, est l’Ararat des Mexicains, le Pic de Col-huacan. La corne qui est représentée à gauche, est l’hiéroglyphephonétique de Colhuacan. Au pied de la montagne, paraissentles têtes de Coxcox et de sa femme; on reconnaît cette dernièrepar les deux tresses en forme de cornes, qui, comme nous l’a-vons observé plusieurs fois, désignent le sexe féminin. Les hom-mes nés après le déluge étaient muets: une colombe, du hautd’un arbre, leur distribue des langues représentées sous la formede petites virgules. Il ne faut pas confondre cette colombe avecl’oiseau qui rapporte à Coxcox la nouvelle que les eaux se sontécoulées. Les peuples de Méchoacan conservaient une traditiond’après laquelle Coxcox, qu’ils appellent Tezpi, s’embarquadans un acalli spacieux, avec sa femme, ses enfans, plusieursanimaux, et des graines dont la conservation était chère augenre humain. Lorsque le grand esprit Tezcatlipoca ordonnaque les eaux se retirassent, Tezpi fit sortir de sa barque un Vau-tour, le Zopilate (Vultur aura). L’oiseau qui se nourrit de chairmorte ne revint pas, à cause du grand nombre de cadavres dontétait jonchée la terre récemment desséchée. Tezpi envoya d’au-tres oiseaux, parmi lesquels le Colibri seul revint en tenant dansson bec un rameau garni de feuilles: alors Tezpi, voyant que le
1 Recherches asiat., vol. VIII, p. 195.
|27| sol commençait à se couvrir d’une verdure nouvelle, quitta sabarque près de la montagne de Colhuacan.
»Ces traditions, nous le répétons ici, en rappellent d’autresd’une haute et vénérable antiquité. L’aspect des corps marins,trouvés jusque sur les sommets les plus élevés, pourrait fairenaître, à des hommes qui n’ont eu aucune communication,l’idée de grandes inondations qui ont éteint, pour quelque temps,la vie organique sur la terre; mais ne doit-on pas reconnaîtreles traces d’une origine commune, partout où les idées cosmo-goniques et les premières traditions des peuples offrent des ana-logies frappantes jusque dans les moindres circonstances? Le Co-libri de Tezpi ne rappelle-t-il pas la colombe de Noë, celle deDeucalion, et les oiseaux que, d’après Bérose, Xisuthrus1 fit
1 Le nom de Xisuthrus, comme celui de Noé, signifie repos, consola-tion. C’est l’historien Bérose, qui vivait près de trois siècles avant J.-C., quidécrit avec le plus de détails les circonstances du déluge de Xisuthrus.Voici cet antique fragment, traduit par Volney: «Xisuthrus fut le dixième»roi (comme Noé fut le dixième patriarche); sous lui arriva le déluge...»Kronos (Saturne) lui ayant apparu en songe, l’avertit que le 15e du»mois Dœsius, les hommes périraient par un déluge. En conséquence, il»lui ordonna de prendre les écrits qui traitaient du commencement, du»milieu, et de la fin de toutes choses; de les enfouir en terre dans la»ville du Soleil, appelée Sisparis; de se construire un navire, d’y embar-»quer ses parens, ses amis, et de s’abandonner à la mer. Xisuthrus obéit;»il prepare toutes les provisions, rassemble les animaux quadrupèdes et»volatiles; puis il demande où il doit naviguer; vers les dieux, dit Saturne,»et il souhaite aux hommes toutes sortes de bénédictions. Xisuthrus fabri-»que donc un navire, long de cinq stades et large de deux; il y fit entrer»sa femme, ses enfans, ses amis, et tout ce qu’il avait préparé. Le dé-»luge vint, et bientôt ayant cessé, Xisuthrus lâcha quelques oiseaux qui,»faute de trouver où se reposer, revinrent au vaisseau: quelques jours»après, il les envoya encore à la découverte; cette fois les oiseaux revin-»rent ayant de la boue aux pieds; lâchés une troisième fois, ils ne revin-»rent plus. Kisuthrus concevant que la terre se dégageait, fit une ouver-»ture à son vaisseau, et comme il se vit près d’une montagne, il y des-»cendit avec sa femme, sa fille et le pilote; il adora la terre, éleva un»autel, fit un sacrifice, puis il disparut, et ne fut plus vu sur la terre
|28| sortir de son arche, pour reconnaître si les eaux étaient écou-lées, et si déjà il pouvait ériger des autels aux dieux protecteursde la Chaldée?»

»avec les trois personnes sorties avec lui ... etc... Recherches sur l’histoire»ancienne, tom. 1, p. 127.Volney observe que Bérose et Abydène, d’accord avec Moïse, placent dix générations avant le déluge. Les Indiens, dit encore Volney, remplis-»sent le tems antérieur au déluge par dix avatars ou apparitions de Wi-»chnou qui répondent aux dix rois anté-diluviens. Ces analogies sont remar-»quables et mériteraient d’être approfondies.» Même ouvr., p. 179.Sanchoniathon, de Phrygie, parle de dix générations des dieux oudemi-dieux, placés entre Uranus et la race présente des mortels. Les Tar-tares et les Arabes ont également conservé le souvenir de ces dix généra-tions, et de concert, quoique séparés par d’immenses distances, ils don-nent à plusieurs des patriarches anté-diluviens, aussi bien qu’à leurs suc-cesseurs immédiats, les mêmes noms qu’ils ont dans la Genèse. Les Egyp-tiens, dans l’histoire des Atlantides, comptent aussi dix générations avantle déluge, et ils en donnent les noms.«La Sibylle bérosienne, dit Moïse de Corène, donne trois fils à Xisu-»thrus, Sim ou Zérouan, Titan et Yapetosthe. Ils se séparèrent, et se par-»tagèrent le monde.» La même Sibylle, ajoute Moïse de Corène, enparlant des hommes illustres, nés de ces trois chefs, dit: «Ils étaient»terribles et brillans, ces premiers des Dieux; d’eux vint la race des géans,»au corps robuste, aux membres puissans, à l’immense stature, qui,»pleins d’insolence, conçurent le dessein impie de bâtir une tour. Tan-»dis qu’ils y travaillaient, un vent horrible et divin, excité par la colère»des dieux (Elahim), détruisit cette masse immense et jeta parmi les»hommes des paroles inconnues qui excitèrent (ou causèrent) le tumulte»et la confusion. Parmi ces hommes était le Japétique Haïk, célèbre et»vaillant gouverneur (præfectus), très-habile à lancer les flèches et à ma-»nier l’arc...» Idem, p. 146.»Après le déluge de Noh ou de Xisuthrus, le partage de la terre entre trois personnages puissans et brillans, dont Titan est un, ressemble beau-coup, dit Volney qui a traduit ces fragmens, à ce que les Grecs nous di-sent des trois frères, Jupiter, Pluton et Neptune. Pluton même est noîrcomme Cham. Recherches sur l’histoire ancienne, par Volney, tom. Ier,143 et 147. Note du R.
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Sacrifices humains. — Animal sacré, figuré de l’agneau des Hébreux1.

»N. I du Codex Borgianus, représente un animal inconnu,orné d’un collier et d’une espèce de harnois, mais percé dedards: Fabrega le nomme lapin couronné, lapin sacré. On trouvecette figure dans plusieurs rituels des anciens Mexicains. D’aprèsles traditions qui se sont conservées jusqu’à nos jours, c’est unsymbole de l’innocence souffrante: sous ce rapport, cette re-présentation allégorique rappelle l’agneau des Hébreux ou l’idéemystique d’un sacrifice expiatoire destiné à calmer la colère dela divinité. Les dents incisives, la forme de la tête et de laqueue, paraissent indiquer que le peintre a voulu représenterun animal de la famille des rongeurs: quoique les pieds à deuxsabots, munis d’un ergot qui ne touche pas la terre, le rap-prochent des ruminans, je doute que ce soit un Cavia ou Lièvremexicain: serait-ce quelque mammifère inconnu qui habite aunord du Rio Gila, dans l’intérieur des terres, vers la partienord-ouest de l’Amérique? Ce même animal, mais avec unequeue beaucoup plus longue, me paraît figurer une seconde foisdans le Codex Borgianus, à la cinquante-troisième feuille.M. Fabrega prend cette figure, qui est chargée de vingt hiéro-glyphes des jours, pour un Cerf. (Mazatl.) Le N. IV est la représentation d’un sacrifice humain: unprêtre, dont la figure est presque méconnaissable sous un tra-vestissement monstrueux, arrache le cœur à la victime; sa maingauche est armée d’une massue; le corps nu de la victime estpeint; on y remarque des taches par lesquelles on a voulu imi-ter celles de la robe du jaguar ou du tigre américain: à gauchese trouve un autre prêtre (Tapiltzin), qui verse sur l’image dusoleil placée dans la niche d’un temple le sang du cœur arraché.Je n’aurais point fait graver cette scène hideuse, si le traves-tissement du sacrificateur ne présentait avec le Ganesa des Hin-doux, certains rapports remarquables, et qui ne paraissentpoint accidentels. Les Mexicains se servaient de casques qui imitaient la formede la tête d’un Serpent, d’un Crocodile ou d’un Jaguar. On croit
1 Tom. Ier, p. 254.
|30|reconnaître dans le masque du sacrificateur la trompe d’unEléphant ou de quelque Pachyderme qui s’en rapproche par laconfiguration de la tête, mais dont la mâchoire supérieure estgarnie de dents incisives. Le groin du Tapir se prolonge sansdoute un peu plus que le museau de nos Cochons; mais il y abien loin de ce groin du Tapir à la trompe figurée dans le CodexBorgianus. Les peuples d’Aztlan, originaires d’Asie, avaient-ilsconservé quelques notions vagues sur les Eléphans, ou, ce quime paraît bien moins probable, leurs traditions remontaient-elles jusqu’à l’époque où l’Amérique était encore peuplée de cesanimaux gigantesques dont les squelettes pétrifiés se trouventenfouis dans des terrains marneux, sur le dos même des Cor-dillères mexicaines? Peut-être aussi existe-t-il, dans la partienord-ouest du nouveau continent, dans des contrées qui n’ontété visitées ni par Hearne, ni par Mackensie, ni par Lewis, unPachyderme inconnu, qui, par la configuration de sa trompe,tient le milieu entre l’Eléphant et le Tapir.
»Les guerres continuelles des Aztèques, depuis qu’ils s’étaientfixés sur les îlots du lac salé de Tezcuco, leur fournissaientun si grand nombre de victimes, que des sacrifices humainsfurent offerts sans exception à toutes leurs divinités, même àQuetzalcoult, qui, comme le Boudha des Hindoux, avait prê-ché contre cette exécrable coutume, et à la déesse des mois-sons, la Cérès mexicaine, appelée Centeotl ou Tonacasohua,celle qui nourrit les hommes. Les Totonaques, qui avaient adoptétoute la mythologie toltèque et aztèque, distinguaient comme derace différence, les divinités qui exigent un culte sanguinaire,et la déesse des champs, qui ne demande que des offrandes defleurs et de fruits, des gerbes de maïs ou des oiseaux qui senourrissent des grains de cette plante utile aux hommes. Uneprophétie ancienne faisait espérer à ce peuple une réformebienfaisante dans les cérémonies religieuses: cette prophétieportait que Centeotl, qui est identique avec la belle Chri ouLakchmi des Hindoux, et que les Aztèques, de même que lesArcadiens, désignaient sous le nom de la Grande Déesse ou Déesse primitive (Tzinteotl), triompherait, à la fin, de la féro-cité des autres dieux, et que les sacrifices humains feraient |31| place aux offrandes innocentes des premices des moissons1. »Au Mexique, où le nombre et le pouvoir des prêtres étaitpresque aussi grand qu’il l’est aujourd’hui au Tibet et au Japon,tout ce qui était l’effet du fanatisme religieux ne pouvait éprou-ver que des changemens infiniment lents. L’histoire nous prouveque l’usage barbare des sacrifices humains s’est même conservélong-temps parmi les peuples les plus avancés en civilisation. Lespeintures trouvées dans les tombeaux des rois à Thèbes, ne lais-sent aucun doute que ces sacrifices ne fussent en usage parmiles Egyptiens2. Nous avons déjà observé plus haut qu’ancien-nement dans l’Inde, la déesse Câli demandait des victimes hu-maines, comme Saturne en exigeait à Carthage. A Rome,après la bataille de Cannes, un Gaulois et une Gauloise furententerrés vivans, et l’empereur Claude se vit obligé de défendre,par une loi expresse, de sacrifier des hommes dans l’empireromain. Mais, il y a plus encore; ne voyons-nous pas, dans lestems moins réculés, les effets barbares de l’intolérance religieuse,au milieu d’une grande civilisation de l’espèce humaine, à l’é-poque d’un adoucissement général de caractère et de mœurs?Quelle que soit la différence que présentent les peuples dans lesprogrès de leur culture, le fanatisme et l’intérêt conservent leurpouvoir funeste. La postérité aura de la peine à concevoir que,dans l’Europe policée, sous l’influence d’une religion qui, parla nature de ses principes, favorise la liberté et proclame lesdroits sacrés de l’humanité, il existe des lois qui sanctionnentl’esclavage des Noirs, qui permettent au colon d’arracher l’en-fant des bras de sa mère, pour le vendre dans une terre loin-taine. Ces considérations nous prouvent, et ce résultat n’est pasconsolant, que des nations entières peuvent avancer rapide-ment vers la civilisation, sans que les institutions politiques et
1 Tous les peuples de l’Orient attendaient un Dieu libérateur qui devaitvenir sauver les hommes et leur enseigner un nouveau culte. La Prophé-tie dont il est ici question, paraît avoir trait à cette attente. Les Péruviensattendaient aussi un fils du soleil qui devait leur apporter une nouvelleloi. Note du R. 2 Denon. Voyage en Egypte, page 298, pl. cxxiv, n° 2. Décade égyp-tienne
|32| les formes de leur culte perdent entièrement leur ancienne bar-barie.»

analogie entre le zodiaque mexicain et celui des peuples d’originetartare.

Le tableau suivant réunit les lignes du zodiaque tartare avec ceux desjours du calendrier mexicain1.
zodiaquedes tartares-mantchoux. zodiaquedes mexicains.
Pars, tigre. Ocelotl, tigre.
Taoulai, lièvre. Tochtli, lièvre, lapin.
Mogai, serpent. Cohuatl, serpent.
Petchi, singe. Ozomatli, singe.
Nokai, chien. Itrzumtli, chien.
Tukia, oiseau, poule. Quauhtli, oiseau, aigle.
Sans rappeler les hiéroglyphes eau (alt), et monstre marin(cipactli), qui offrent une analogie frappante avec les catas-térismes du Verseau et du Capricorne, les six signes du zodiaquetartare, retrouvés dans le calendrier mexicain, suffisent pourrendre extrêmement probable que les peuples des deux conti-nens ont puisé dans une source commune leurs idées astrolo-giques. Ces traits de ressemblance sur lesquels nous insistons,ne sont pas tirés de peintures informes ou allégoriques, suscep-tibles d’être interprétées selon la nature des hypothèses quel’on désire faire valoir. Si l’on consulte les ouvrages composés,au commencement de la conquête, par des auteurs Espagnolsou Indiens qui ignoraient jusqu’à l’existence d’un zodiaquetartare, l’on verra qu’au Mexique, depuis le septième siècle denotre ère, les jours s’appelaient tigre, chien, singe, lièvre oulapin, comme, dans toute l’Asie orientale, les années portentencore les mêmes noms en tibétain, en tartare mantchou, enmongol, en kalmouk, en chinois, en japonais, en coréen,dans les langues du Tonquin et de la Cochinchine. «On conçoit que des nations qui n’ont jamais eu de rapports
1 Tom. II, p. 21.
|33| entr’elles, divisent également l’écliptique en vingt-sept ou vingt-huit parties, et donnent à chaque jour lunaire le nom des étoilesprès desquelles la lune se trouve placée dans son mouvementprogressif de l’ouest à l’est. Il paraît très-naturel aussi que despeuples chasseurs ou pasteurs désignent ces constellations et cesjours lunaires par les noms des animaux qui sont l’objet constantde leurs affections ou de leurs craintes. Le ciel des hordes no-mades se trouva peuplé de chiens, de cerfs, de taureaux et deloups, sans qu’on doive en conclure que ces hordes ont jadisfait partie d’un même peuple. Il ne faut pas confondre des traitsde ressemblance purement accidentels, ou naissant d’une iden-tité de position, avec ceux qui attestent une origine communeou d’anciennes communications.
«Mais les zodiaques tartare et mexicain ne renferment passeulement les animaux propres aux climats que ces peupleshabitent aujourd’hui; on y trouve aussi des tigres et des singes.Ces deux animaux sont inconnus sur les plateaux de l’Asiecentrale et orientale, auxquels une grande élévation donne unetempérature plus froide que celle qui règne vers l’ouest sous lamême latitude. Les Tibétains, les Mogols, les Mantchoux etles Kalmouks, ont donc reçu d’un pays plus méridional le zo-diaque que l’on appelle trop exclusivement le cycle tartare. LesToltèques, les Aztèques, les Tlascaltiques, ont reflué du nordvers le sud, nous connaissons des monumens aztèques jusqu’auxrives du Géla, entre les 33° et 34° de latitude nord. L’histoirenous montre les Toltèques venant de régions plus septentrionalesencore. Ces colons, sortis d’Aztlan, n’arrivaient pas comme deshordes barbares: tout annonçait chez eux les restes d’une an-cienne civilisation. Les noms imposés aux villes qu’ils construi-saient étaient les noms des lieux qu’habitaient leurs ancêtres:leurs lois, leurs annales, leur chronologie, l’ordre de leurssacrifices, étaient modelés sur les connaissances qu’ils avaientacquises dans leur première patrie. Or, les singes et les tigresqui figurent parmi les hiérogliphes des jours et dans la traditionmexicaine des quatre âges, ou destructions du soleil, n’habitentpas la partie septentrionale de la Nouvelle-Espagne et les côtesnord-ouest de l’Amérique. Par conséquent les signes ozomatli et ocelotl rendent singulièrement probable que les zodiaques des |34|Toltèques, des Aztèques, des Mogols, des Tibétains et de tantd’autres peuples qui sont séparés aujourd’hui par une vasteétendue de pays ont pris naissance sur un même point de l’an-cien continent.

Ressemblance de l’architecture babylonienne avec celle des Mexicains.

«La plate-forme de la pyramide de Cholula, sur laquellej’ai fait un grand nombre d’observations astronomiques, a quatremille deux cent mètres carrés. On y jouit d’une vue magnifiquesur le Popocatepolt, l’Irtaccihuatl, le pic d’Orizaba et la Sierrade Tlascalla, célèbre par les orages qui se forment autour de sacime: on voit à la fois trois montagnes plus élevées que le Mont-Blanc, et dont deux sont des volcans encore enflammés. Unepetite chapelle entourée de cyprès, et dédiée à Notre-Dame deLos Remedios, a remplacé le temple du dieu de l’air, ou del’Indra Mexicain: un ecclésiastique de race indienne célèbrejournellement la messe sur la cime de ce monument antique. »Du tems de Cortez, Chalula était regardé comme une villesainte. Nulle part on ne trouvait un plus grand nombre de téo-callis, plus de prêtres et d’ordres religieux (Tlamacazque), plusde magnificence dans le culte, plus d’austérité dans les jeûneset les pénitences. Depuis l’introduction du Christianisme parmiles Indiens, les symboles d’un nouveau culte n’ont pas entière-ment effacé le souvenir du culte ancien: le peuple se porte enfoule et de très-loin à la cime de la pyramide, pour y célébrerla fête de la Vierge: une crainte secrète, un respect religieuxsaisissent l’indigène à la vue de cet immense monceau debriques, couvert d’arbustes et d’un gazon toujours frais. »Nous avons indiqué plus haut la grande analogie de cons-truction que l’on observa entre les Téocallis mexicains et letemple de Bel ou Bélus, à Babylone. Cette analogie avait déjàfrappé M. Zoega, quoi qu’il n’eut pû se procurer que des des-criptions très-incomplètes du groupe des pyramides de Téoté-huacan.... »Dans les Téocallis mexicains, on distinguait, comme dansle temple de Bel, le Naos inférieur de celui qui se trouvait surla plate-forme de la pyramide: cette même distinction est clai- |35| rement indiquée dans les lettres de Cortez et dans l’histoire dela conquête écrite par Bernal Diaz, qui demeura plusieurs moisdans le palais du roi Axajacalt, et par conséquent vis-à-vis duTéocalli d’Huitzilopochtli. »Aucun des auteurs anciens, ni Hérodote, ni Pausanias, niArrien, ni Quinte-Curce, n’indiquent que le temple de Bélusfût orienté d’après les quatre points cardinaux, comme le sontles pyramides égyptiennes et mexicaines. Pline observe seule-ment que Bélus était regardé comme l’inventeur de l’astrono-mie: Inventor hic fuit sideralis scientiæ. Diodore rapporte que letemple babylonien servait d’observatoire aux Chaldéens. «On»convient, dit-il, que cette construction était d’une élévation»extraordinaire, et que les Chaldéens y faisaient leurs observa-»tions des astres, dont le lever et le coucher pouvaient être très-»exactement aperçus, à cause de l’élévation du bâtiment.» Lesprêtres mexicains (Tespixqui) observaient aussi la position desastres du haut des Téocallis, et annonçaient au peuple, au sondu cor, les heures de la nuit. Ces Téocallis ont été construitsdans l’intervalle qui s’est écoulé entre l’époque de Mahometet celle du règne de Ferdinand et Isabelle. Et l’on ne voit passans étonnement que des édifices américains, dont la forme estpresque identique avec celle d’un des plus anciens monumensdes rives de l’Euphrate, appartiennent à des tems si voisins denous. »La pyramide de Bel était en même tems le temple et le tom-beau de ce Dieu. Strabon ne parle pas même de ce monumentcomme d’un temple, il le nomme simplement le tombeau deBélus.... Les Téocallis ou Pyramides mexicaines étaient à lafois des temples et des tombeaux. Nous avons observé plus hautque la plaine dans laquelle s’élèvent les maisons du soleil et de lalune Teotihuacan, s’appelle le chemin des morts; mais la partieessentielle et principale d’un Téocalli était la chapelle, le naos, à la cime de l’édifice.»

Résumé et conclusion que tire l’auteur de ces traditions et de ces ana-logies.

»La cosmogonie des Mexicains, leurs traditions sur la mèredes hommes, déchue de son premier état de bonheur et d’in- |36|nocence; l’idée d’une grande inondation, dans laquelle uneseule famille s’est échappée sur un radeau; l’histoire d’un édi-fice pyramidal élevé par l’orgueil des hommes, et détruit parla colère des dieux; les cérémonies d’ablution pratiquées à lanaissance des enfans; ces idoles faites avec la farine de maïspétrie, et distribuées en parcelles au peuple rassemblé dansl’enceinte des temples; ces déclarations de péchés faites par lespénitens; ces associations religieuses ressemblent à nos couvensd’hommes et de femmes; cette croyance universellement re-pandue que des hommes blancs à longue barbe, et d’une grandesainteté de mœurs, avaient changé le système religieux et po-litique des peuples: toutes ces circonstances avaient fait croireaux religieux qui accompagnaient l’armée des Espagnols, lorsde la conquête, qu’à une époque très-reculée, le Christianismeavait été prêché dans le nouveau continent. Des savans mexi-cains crurent reconnaître l’apôtre saint Thomas dans ce person-nage mystérieux, grand prêtre de Tula, que les Cholulainsconnaissaient sous le nom de Quetzalcoatl. Il n’est pas douteuxque le Nestorianisme, mêlé aux dogmes des Bouddhistes et desChamans, ne se soit répandu par la Tartarie des Mantchoux,dans le Nord-Est de l’Asie: on pourrait donc supposer, avecquelque apparence de raison, que des idées chrétiennes ontété communiquées, par la même voie, aux peuples mexi-cains, surtout aux habitans de cette région boréale de laquellesortirent les Toltèques, et que nous devons considérer commel’officina virorum du nouveau monde. »Cette supposition serait même plus admissible que l’hypo-thèse d’après laquelle les traditions antiques des Hébreux et desChrétiens auraient passé en Amérique par les colonies scan-dinaves formées depuis le onzième siècle sur les côtes deGroenland, au Labrador, et peut-être même dans l’île deTerre-Neuve. Ces colons européens visitèrent sans doute unepartie du continent, qu’ils appelèrent Drogeo; ils connurent despays qui étaient situés au sud-ouest, et habités par des peuplesanthropophages réunis dans des villes populeuses: mais, sansexaminer ici si ces villes étaient celles des provinces d’Ichiaca etde Confachiqui, visitées par Hernando de Soto, le conquérantde la Floride, il suffit d’observer que les cérémonies religieuses, |37| les dogmes et les traditions qui ont frappé l’imagination despremiers missionnaires espagnols, se trouvaient indubitable-ment au Mexique depuis l’arrivée des Toltèques, et par consé-quent trois ou quatre siècles avant les navigations des Scandi-naves aux côtes orientales du Nouveau-Continent. »Les religieux qui, à la suite de l’armée de Cortez et de Pizar-ro, ont pénétré au Mexique et au Pérou, ont été naturellementenclins à exagérer les analogies qu’ils croyaient reconnaître en-tre la cosmogonie des Aztèques et les dogmes de la religionchrétienne. Imbus des traditions hébraïques, entendant impar-faitement les langues du pays, et le sens des peintures hiéro-glyphiques, ils rapportèrent tout au système qu’ils s’étaient for-mé; semblables aux Romains, qui ne voyaient chez les Ger-mains et les Gaulois que leur culte et leurs divinités. En em-ployant une saine critique, on ne trouve, chez les Américains,rien qui rende nécessaire la supposition que les peuples asia-tiques ont reflué dans ce nouveau continent, après l’établisse-ment de la religion chrétienne. Je suis bien éloigné de nierla possibilité de ces communications postérieures: je n’ignore pasque les Tchoutskis traversent annuellement le détroit de Beringpour faire la guerre aux habitans de la côte nord-ouest de l’A-mérique; mais je crois pouvoir affirmer, d’après les connais-sances que nous avons acquises, depuis la fin du dernier siècle,sur les livres sacrés des Hindoux, que, pour expliquer ces ana-logies de traditions dont parlent tous les premiers missionnaires,on n’a pas besoin de recourir à l’Asie occidentale, habitée pardes peuples de race sémitique, ces mêmes traditions, d’unehaute et vénérable antiquité, se retrouvant et parmi les secta-teurs de Brahma et parmi les Chamans du plateau oriental dela Tartarie. »Nous reviendrons sur cet objet intéressant, soit en parlantdes Pastoux, peuple américain qui ne se nourrissait que de vé-gétaux, et qui avait en horreur ceux qui mangeaient de la viande;soit en exposant le dogme de la métempsycose répandu parmiles Tlascaltèques. Nous examinerons la tradition mexicaine desquatre soleils ou des quatre destructions du monde, ainsi queles traces du Trimurti ou de la Trinité des Hindoux, trou-vées dans le culte des Péruviens. Malgré ces rapports frappans |38|entre les peuples du nouveau Continent et les tribus tartaresqui ont adopté la religion de Bouddah, je crois reconnaître dansla mythologie des Américains, dans le style de leurs peintures,dans leurs langues, et surtout dans leur conformation exté-rieure, les descendans d’une race d’hommes qui, séparée debonne heure du reste de l’espèce humaine, a suivi, pendantune longue série de siècles, une route particulière dans le dé-veloppement de ses facultés intellectuelles et dans sa tendancevers la civilisation.» Dans les différens ouvrages qui composent le Voyage deM. de Humboldt, l’auteur aborde une foule d’autres questionsimportantes, et fait beaucoup de rapprochemens aussi savansque nouveaux. Nous y reviendrons peut-être, dans un secondarticle. H. de C.