EXTRAIT de L'OUVRAGE DE M. DE HUMBOLDT sur LES MONUMENS DE L'AMERIQUE. EXTRAIT de L'OUVRAGE DE M. DE HUMBOLDT. Les peintures Mexicaines, dont un tres-petit nombre est parvenu jusqu'a nous, inspirent un double interet, et par le jour qu'elles repandent sur la mythologie et l'histoire des premiers habitans de l'Amerique, et par les rapports que l'on a cru y reconnoeitre avec l'ecriture hieroglyphique de quelques peuples de l'ancien continent. Pour reunir dans cet ouvrage tout ce qui peut nous instruire sur les communications qui, dans les temps les plus recules, paroissent avoir eu lieu entre des groupes de peuples separes par des steps, par des montagnes, ou par des mers, nous consignerons ici les resultats de nos recherches sur les peintures hieroglyphiques des Americains. On trouve en Ethiopie des caracteres qui ont une etonnante ressemblance avec ceux de l'ancien Sanskrit, surtout avec les inscriptions des caves de Canarah, dont la construction remonte au-dela de toutes les periodes connues de l'histoire Indienne. Les arts paroissent avoir fleuri a Meroe, et a Axoum, une des plus anciennes villes d'Ethiopie, avant que l'Egypte faut sortie de la barbarie. Un ecrivain celebre, profondement instruit dans l'histoire de l'Inde, Sir William Jones, a cru reconnoeitre une seule nation dans les Ethiopiens de Meroe, dans les premiers Egyptiens et dans les Hindoux. D'un autre cote, il est presque certain que les Abyssins, qu'il ne faut pas confondre avec les Ethiopiens autochthones, etoient une tribu Arabe; et, d'apres l'observation de M. Langles, les memes caracteres Hemyarites que l'on decouvre dans l'Afrique orientale ornoient encore, dans le quatorzieme siecle de l'ere vulgaire, les portes de la ville de Samarkand. Voila des rapports qui ont existe indubitablement entre le Habesch, ou l'ancienne Ethiopie, et le plateau de l'Asie centrale. Notes de M. Langles pour le Voyage de Norden, Tom. III. p. 299--349. Asiatic Researches, Vol. III. p. 5. Une lutte prolongee entre deux sectes religieuses, celle des Brahmanes et celle des Bouddhistes, a fini par l'emigration des Chamans au Tibet, dans la Mongolie, en Chine, et au Japon. Si des tribus de race Tartare ont passe sur la cote nordouest de l'Amerique, et de-la au sud et a l'est, vers les rives de Gila et vers celles du Missoury, comme des recherches etymologiques paroissent l'indiquer, il faut etre moins surpris de trouver, parmi les peuples a demi barbares du nouveau continent, des idoles et des monumens d'architecture, une ecriture hieroglyphique, une connoissance exacte de la duree de l'annee, des traditions sur le premier etat du monde, qui toutes rappellent les connoissances, les arts, et les opinions religieuses des peuples Asiatiques. Vater, über Amerika's Bevölkerung, p. 155--169. Il en est de l'etude de l'histoire du genre humain comme de l'etude de cette immensite de langues que nous trouvons repandues sur la surface du globe. Ce seroit se perdre dans un dedale de conjectures, que de vouloir assigner une origine commune a tant de races et de langues diverses. Les racines du Sanskrit trouvees dans la langue Persane, le grand nombre de racines du Persan, et meme du Pehlvi, que l'on decouvre dans les langues d'origine Germanique, ne nous donnent pas le droit de regarder le Sanskrit, le Pehlvi, ou la langue ancienne des Medes, le Persan, et l'Allemand, comme derivant d'une seule et meme source. Il seroit absurde sans doute de supposer des colonies Egyptiennes partout ou l'on observe des monumens pyramidaux et des peintures symboliques; mais, comment ne pas etre frappe des traits de ressemblance qu'offre le vaste tableau des moeurs, des arts, des langues, et des traditions, qui se trouvent aujourd'hui chez les peuples les plus eloignes les uns des autres? Comment ne pas indiquer, partout ou elles se presentent, les analogies de structure dans les langues, de style dans les monumens, de fictions dans les cosmogonies, lors meme que l'on ne se peut prononcer sur les causes secretes de ces ressemblances, et qu'aucun fait historique ne remonte a l'epoque des communications qui ont existe entre les habitans des divers climats? Adelung's Mithridates, Th. I. sect. 277. Schlegel, über Sprache und Weisheit der Inder, sect. 7. En fixant les yeux sur les moyens graphiques que les peuples ont employes pour exprimer leurs idees, nous trouvons de vrais hieroglyphes, tantot cyriologiques, tantot tropiques, comme ceux dont l'usage paroeit avoir passe de l'Ethiopie en Egypte; des chiffres symboliques, composes de plusieurs clefs, destines a parler plutot aux yeux qu'a l'oreille, et exprimant des mots entiers, comme les caracteres Chinois; des syllabaires, comme ceux des Tartares-Mantchoux, dans lesquels les voyelles font corps avec les consonnes, mais qui sont propres a etre resolus en lettres simples; enfin, de vrais alphabets, qui offrent le plus haut degre de perfection dans l'analyse des sons, et dont quelques-uns, par exemple le coreen, d'apres l'observation ingenieuse de M. Langles, paroissent encore indiquer le passage des hieroglyphes a l'ecriture alphabetique. Voyage de Norden, edition de Langles, Tom. III. p. 296. Le nouveau continent, dans son immense etendue, presente des nations arrivees a un certain degre de civilisation: on y reconnoeit des formes de gouvernement et des institutions qui ne pouvoient etre que l'effet d'une lutte prolongee entre le prince et les peuples, entre le sacerdoce et la magistrature: on y trouve des langues, dont quelques-unes, comme le Gronlandois, le Cora, le Tamanaque, le Totonaque, et le Quichua, offrent une richesse de formes grammaticales que, dans l'ancien continent, on n'observe nulle part, sinon au Congo et chez les Basques, qui sont les restes des anciens Cantabres; mais, au milieu de ces traces de culture et de ce perfectionnement des langues, il est remarquable qu'aucun peuple indigene de l'Amerique ne s'etoit eleve a cette analyse des sons qui conduit a l'invention la plus admirable, on pourroit dire la plus merveilleuse de toutes, celle d'un Alphabet. Archiv für Ethnographie, Lib. 1. sect. 345. Vater, sect. 206. Nous voyons que l'usage des peintures hieroglyphiques etoit commun aux Tolteques, aux Tlascalteques, aux Azteques, et a plusieurs autres tribus qui, depuis le septieme siecle de notre ere, paroissent successivement sur le plateau d'Anahuac; nulle part nous ne trouvons des caracteres alphabetiques: on pourroit croire que le perfectionnement des signes symboliques, et la facilite avec laquelle on peignoit les objets, avoient empeche l'introduction des lettres. On pourroit citer, a l'appui de cette opinion, l'exemple des Chinois, qui, depuis des milliers d'annees, se contentent de quatre-vingt mille chiffres, composes de deux cent quatorze clefs ou hieroglyphes radicaux: mais ne voyons-nous pas chez les Egyptiens l'usage simultane d'un alphabet et de l'ecriture hieroglyphique, comme le prouvent indubitablement les precieux rouleaux de papyrus trouves dans les enveloppes de plusieurs momies, et representes dans l'Atlas pittoresque de M. Denon? Denon, Voyage en Egypte, Pl. 136 et 137. Kalm rapporte, dans son Voyage en Amerique, que M. de Verandrier avoit decouvert, en 1746, dans les savannes du Canada, a neuf cents lieues a l'ouest de Montreal, une tablette de pierre fixee dans un pilier sculpte, et sur laquelle se trouvoient des traits que l'on prit pour une inscription Tartare. Plusieurs Jesuites a Quebec assurerent au voyageur Suedois avoir eu en main cette tablette que le Chevalier de Beauharnois, alors gouverneur du Canada, avoit fait passer a M. de Maurepas, en France. On ne sauroit assez regretter de n'avoir eu aucune notion ulterieure sur un monument si interessant pour l'histoire de l'homme. Mais existoit-il a Quebec des personnes capables de juger du caractere d'un alphabet? et si cette pretendue inscription eaut ete veritablement reconnue en France pour une inscription Tartare, comment un ministre eclaire et ami des arts ne l'auroit-il pas fait publier? Kalm's Reise, Liv. iii. sect. 416. Les antiquaires Anglo-Americains ont fait connoeitre une inscription qu'on a suppose Phenicienne, et qui est gravee sur les rochers de Dighton, dans la Baie de Narangaset, pres des bords de la riviere de Taunton, a douze lieues au sud de Boston. Depuis la fin du dix-septieme siecle jusqu'a nos jours, Danforth, Mather, Greenwood, et Sewells, en ont donne successivement des dessins , dans lesquels on a de la peine a reconnoeitre des copies du meme original. Les indigenes qui habitoient ces contrees, lors des premiers etablissemens Europeens, conservoient une ancienne tradition, d'apres laquelle des etrangers, naviguant dans des maisons de bois, avoient remonte la riviere de Taunton, appelee jadis Assoonet. Ces etrangers, apres avoir vaincu les hommes rouges, avoient grave des traits dans le roc, qui est aujourd'hui couvert des eaux de la riviere. Court de Gebelin n'hesite pas, avec le savant Docteur Stiles, de regarder ces traits comme une inscription Carthaginoise. Il dit, avec cet enthousiasme qui lui est naturel, et qui est tres-nuisible dans des discussions de ce genre, "que cette inscription vient d'arriver tout expres du nouveau monde, pour confirmer ses idees sur l'origine des peuples; et que l'on y voit, d'une maniere evidente, un monument Phenicien, un tableau qui, sur le devant, designe une alliance entre des peuples Americains et la nation etrangere, arrivant, par des vents du nord, d'un pays riche et industrieux." J'ai examine avec soin les quatre dessins de la fameuse pierre de Taunton River, que M. Lort a publies a Londres dans les Memoires de la Societe des Antiquaires. Loin d'y reconnoeitre un arrangement symetrique de lettres simples ou de caracteres syllabiques, je n'y vois qu'un dessin a peine ebauche, et analogue a ceux que l'on a trouves sur les rochers de la Norwege, et dans presque tous les pays habites par des peuples Scandinaves. On distingue, a la forme des tetes, cinq figures humaines, entourant un animal qui a des cornes, et dont le devant est beaucoup plus haut que l'extremite posterieure. Account of an ancient Inscription by Mr. Lort, Archaeologia, Vol. VIII. p. 290. Suhm, Samlinger til ten Danske Historie, Lib. II. p. 215. Dans la navigation que nous avons faite, M. Bonpland et moi, pour constater la communication entre l'Orenoque et la riviere des Amazones, nous avons aussi eu connoissance d'une inscription que l'on nous assuroit avoir ete trouvee dans la chaeine de montagnes granitiques qui, sous les sept degres de latitude, s'etend depuis le village Indien d'Uruana ou Urbana jusqu'aux rives occidentales du Caura. Un missionnaire, Ramon Bueno, religieux Franciscain, s'etant refugie par hasard dans une caverne formee par la separation de quelques bancs de rochers, vit au milieu de cette caverne un gros bloc de granit, sur lequel il crut reconnoeitre des caracteres reunis en plusieurs groupes et ranges sur une meme ligne. Les circonstances penibles dans lesquelles nous nous trouvions au retour du Rio Negro a Saint-Thomas de la Guayane, ne nous ont malheureusement pas permis de verifier nous-memes cette observation. Le missionnaire m'a communique la copie d'une partie de ces caracteres, dont je donne ici la gravure. On pourroit reconnoeitre, dans ces caracteres, quelque ressemblance avec l'alphabet Phenicien; mais je doute fort que le bon religieux, qui paroeissoit mettre peu d'interet a cette pretendue inscription, l'ait copiee avec beaucoup de soin. Il est assez remarquable que, sur sept caracteres, aucun ne s'y trouve repete plusieurs fois: je ne les ai fait graver que pour fixer, sur un objet aussi digne d'examen, l'attention des savans qui pourront un jour visiter les forets de la Guayane. Il est d'ailleurs assez remarquable que cette meme contree sauvage et deserte, dans laquelle le Pere Bueno a cru voir des lettres gravees sur le granit, presente un grand nombre de rochers qui, a des hauteurs extraordinaires, sont couverts de figures d'animaux, de representations du soleil, de la lune, et des astres, et d'autres signes peut-etre hieroglyphiques. Les indigenes racontent que leurs ancetres, du temps des grandes eaux, sont parvenus en canot jusqu'a la cime de ces montagnes, et qu'alors les pierres se trouvoient encore dans un etat tellement ramolli, que les hommes ont pu y tracer des traits avec leurs doigts. Cette tradition annonce une horde dont la culture est bien differente de celle du peuple qui l'a precedee : elle decele une ignorance absolue de l'usage du ciseau et de tout autre outil metallique. Il resulte de l'ensemble de ces faits, qu'il n'existe aucune preuve certaine de la connoissance d'un alphabet parmi les Americains. Dans des recherches de ce genre, on ne sauroit etre assez sur ses gardes pour ne pas confondre ce qui est dau au hasard et aux jeux de l'oisivete, avec des lettres ou des caracteres syllabiques. M. Truter rapporte qu'a l'extremite meridionale de l'Afrique, chez les Betjuanas, il a vu des enfans occupes a tracer sur un rocher, au moyen d'un instrument tranchant , des caracteres qui avoient la plus parfaite ressemblance avec le P et le M de l'alphabet Romain, et cependant ces peuples grossiers sont bien eloignes de connoeitre l'ecriture. Bertuch, Geogr. Ephem. Lib. xii. sect. 67. Ce manque de lettres observe dans le nouveau continent , lors de sa seconde decouverte par Christophe Colomb, conduit a l'idee que les tribus de race Tartare ou Mongole, que l'on peut supposer etre venues de l'Asie orientale en Amerique, ne possedoient pas elles-memes l'ecriture alphabetique, ou, ce qui est moins probable, qu'etant retombees dans la barbarie, sous l'influence d'un climat peu favorable au developpement de l'esprit, elles avoient perdu cet art merveilleux, connu seulement d'un tres-petit nombre d'individus. Nous n'agiterons point ici la question si l'alphabet Devanagari est d'une haute antiquite sur les bords de l'Indus et du Gange, ou si, comme le dit Strabon, d'apres Megasthenes, les Hindoux ignoroient l'ecriture avant les conquetes d'Alexandre. Plus a l'est et plus au nord, dans la region des langues monosyllabiques, de meme que dans celle des langues Tartares, Samojedes, Ostiaques, et Kamtschadales, l'usage des lettres, partout ou on le trouve aujourd'hui, n'a ete introduit que tres-tard. Il paroeit meme assez probable que c'est le Christianisme Nestorien qui a donne l'alphabet Stranghelo aux Oighours et aux Tartares- Mantchoux; alphabet qui, dans les regions septentrionales de l'Asie, est encore plus recent que ne le sont les caracteres Runiques dans le nord de l'Europe. On n'a donc pas besoin de supposer que les communications entre l'Asie orientale et l'Amerique remontent a une antiquite tres-reculee, pour comprendre comment cette derniere partie du monde n'a pu recevoir un art qui, pendant une longue serie de siecles, n'a ete connu qu'en Egypte, dans les colonies Pheniciennes et Grecques, et dans le petit espace de terrain contenu entre la Mediterranee, l'Oxus, et le Golfe Persique. Strabo, Lib. xv. p. 1035--1044. Langles, Dictionnaire Tartare-Mantchou, p. 18. Recherches Asiatiques, Tom. II. p. 62, n. d. Zoega, de Origine Obeliscorum, p. 551. En parcourant l'histoire des peuples qui ignorent l'usage des lettres, on voit que, presque partout, dans les deux hemispheres, les hommes ont essaye de peindre les objets qui frappent leur imagination, de representer les choses en indiquant une partie pour le tout, de composer des tableaux en reunissant des figures ou les parties qui les rappellent, et de perpetuer ainsi la memoire de quelques faits remarquables. L'Indien Delaware, en parcourant les bois, trace des traits dans l'ecorce des arbres, pour annoncer le nombre d'hommes et de femmes qu'il a tues a l'ennemi: le signe conventionnel qui indique la peau arrachee de la tete d'une femme, ne differe que par un simple trait de celui qui caracterise la chevelure de l'homme. Si l'on veut nommer hieroglyphe toute peinture des idees par les choses, il n'y a, comme l'observe tres-bien M. Zoega, pas un coin de la terre dans lequel on ne trouve l'ecriture hieroglyphique: mais ce meme savant, qui a fait une etude approfondie des peintures Mexicaines, observe aussi qu'il ne faut pas confondre l'ecriture hieroglyphique avec la representation d'un evenement, avec des tableaux dans lesquels les objets sont en rapport d'action les uns avec les autres. Ibid. pp. 525--534. Les premiers religieux qui ont visite l'Amerique, Valades et Acosta, ont deja nomme les peintures Azteques, "Une ecriture semblable a celle des Egyptiens. Si depuis, Kircher, Warburton, et d'autres savans, ont conteste la justesse de cette expression, c'est parce qu'ils n'ont pas distingue les peintures d'un genre mixte, dans lesquelles de vrais hieroglyphes, tantot cyriologiques, tantot tropiques, sont ajoutes a la representation naturelle d'une action, et l'ecriture hieroglyphique simple, telle qu'on la trouve, non sur le pyramidion, mais sur les grandes faces des obelisques. La fameuse inscription de Thebes, citee par Plutarque et par Clement d'Alexandrie, la seule dont l'explication soit parvenue jusqu'a nous, exprimoit, dans les hieroglyphes d'un enfant, d'un vieillard, d'un vautour, d'un poisson, et d'un hippopotame, la sentence suivante: "Vous qui naissez et qui devez mourir, sachez que l'Eternel deteste l'impudence." Pour exprimer la meme idee, un Mexicain auroit represente le grand esprit Teotl, chatiant un criminel: certains caracteres places au-dessus de deux tetes auroient suffi pour indiquer l'age de l'enfant et celui du vieillard: il auroit individualise l'action; mais le style de ses peintures hieroglyphiques ne lui auroit pas fourni de moyen pour exprimer en general le sentiment de haine et de vengeance. Rhetorica Christiana, auctore Didaco Valades. Romae, 1579, Pars II. Cap. xxvii. p. 93. Acosta, Lib. vi. Cap. vii. Plut. de Iside, ed. Par. 1624, Tom. II. p. 363. F. Clem. Alexandr. Stromat. Lib. v. Cap. vii. ed. Potter, Oxon. 1715, Tom. II. p. 670, lin. 30. D'apres les idees que les anciens nous ont transmises des inscriptions hieroglyphiques des Egyptiens, il est tres-probable qu'elles pouvoient etre lues comme on lit des livres Chinois. Les recueils que nous appelons assez improprement des manuscrits Mexicains, renferment un grand nombre de peintures qui peuvent etre interpretees ou expliquees comme les reliefs de la colonne Trajane; mais on n'y voit qu'un tres-petit nombre de caracteres susceptibles d'etre lus. Les peuples Azteques avoient de vrais hieroglyphes simples pour l'eau, la terre, l'air, le vent, le jour, la nuit, le milieu de la nuit, la parole, le mouvement; ils en avoient pour les nombres, pour les jours et les mois de l'annee solaire: ces signes, ajoutes a la peinture d'un evenement, marquoient d'une maniere assez ingenieuse si l'action s'etoit faite le jour ou la nuit; quel etoit l'age des personnes qu'on vouloit designer; si elles avoient parle, et laquelle d'entre elles avoit parle le plus. On trouve meme chez les Mexicains des vestiges de ce genre d'hieroglyphes que l'on appelle phonetiques, et qui annoncent des rapports, non avec la chose, mais avec la langue parlee. Chez des peuples a demi-barbares, les noms des individus, ceux des villes et des montagnes, font generalement allusion a des objets qui frappent les sens, tels que la forme des plantes et des animaux, le feu, l'air, ou la terre. Cette circonstance a fourni des moyens aux peuples Azteques de pouvoir ecrire les noms des villes et ceux de leurs souverains. La traduction verbale d'Axajacatl est visage d'eau, celle d'Ilhuicamina, fleche qui perce le ciel: or, pour representer les rois Moteuczoma Ilhuicamina et Axajacatl, le peintre reunissoit les hieroglyphes de l'eau et du ciel a la figure d'une tete et d'une fleche. Les noms des villes de Macuilxochitl, Quauhtinchan, et Tehuilojoccan, signifient cinq fleurs, maison de l'aigle, et lieu des miroirs: pour indiquer ces trois villes, on peignoit une fleur placee sur cinq points, une maison de laquelle sortoit la tete d'un aigle, et un miroir d'obsidienne. De cette maniere, la reunion de plusieurs hieroglyphes simples indiquoit les noms composes; elle le faisoit par des signes qui parloient a la fois aux yeux et a l'oreille: souvent aussi les caracteres qui designoient les villes et les provinces etoient tires des productions du sol ou de l'industrie des habitans. Il resulte de l'ensemble de ces recherches, que les peintures Mexicaines qui se sont conservees jusqu'a nos jours offrent une grande ressemblance, non avec l'ecriture hieroglyphique des Egyptiens, mais bien avec les rouleaux de papyrus trouves dans l'enveloppe des momies, et que l'on doit aussi considerer comme des peintures d'un genre mixte, parce que des caracteres symboliques et isoles y sont ajoutes a la representation d'une action: on reconnoeit, dans ces papyrus, des initiations, des sacrifices, des allusions a l'etat de l'ame apres la mort, des tributs payes aux vainqueurs, les effets bienfaisans de l'inondation du Nil et les travaux de l'agriculture: parmi un grand nombre de figures representees en action, ou en rapport les unes avec les autres, on observe de vrais hieroglyphes, de ces caracteres isoles qui appartenoient a l'ecriture. Mais ce n'est pas seulement sur les papyrus et sur les enveloppes de momies, c'est sur les obelisques memes que l'on trouve des traces de ce genre mixte, qui reunit la peinture a l'ecriture hieroglyphique: la partie inferieure et la pointe des obelisques Egyptiens presentent generalement un groupe de deux figures qui sont en rapport l'une avec l'autre, et que l'on ne doit pas confondre avec les caracteres isoles de l'ecriture symbolique. Zoega, p. 438. En comparant les peintures Mexicaines avec les hieroglyphes qui ornoient les temples, les obelisques, et peut-etre meme les pyramides de l'Egypte; en reflechissant sur la marche progressive que l'esprit humain paroeit avoir suivie dans l'invention des moyens graphiques propres a exprimer des idees, on voit que les peuples de l'Amerique etoient bien eloignes de cette perfection qu'avoient atteinte les Egyptiens: en effet, les Azteques ne connoissoient encore que tres-peu d'hieroglyphes simples; ils en avoient pour les elemens comme pour les rapports du temps et des lieux: or, ce n'est que par le grand nombre de ces caracteres, susceptibles d'etre employes isolement, que la peinture des idees devient d'un usage facile, et qu'elle se rapproche de l'ecriture. Nous trouvons chez les Azteques le germe des caracteres phonetiques: ils savoient ecrire des noms en reunissant quelques signes qui rappeloient des sons: cet artifice auroit pu les conduire a la belle decouverte d'un syllabaire; il auroit pu les porter a alphabetiser leurs hieroglyphes simples; mais que de siecles se seroient ecoules avant que ces peuples montagnards, qui tenoient a leurs habitudes avec cette opiniatrete qui caracterise les Chinois, les Japonois, et les Hindoux, se fussent eleves a la decomposition des mots, a l'analyse des sons, a l'invention d'un alphabet! Malgre l'imperfection extreme de l'ecriture hieroglyphique des Mexicains, l'usage de leurs peintures remplacoit assez bien le defaut de livres, de manuscrits, et de caracteres alphabetiques. Du temps de Montezuma, des milliers de personnes etoient occupees a peindre, soit en composant a neuf, soit en copiant des peintures qui existoient deja. La facilite avec laquelle on fabriquoit le papier, en se servant des feuilles de maguey ou pite (agave), contribuoit sans doute beaucoup a rendre si frequent l'emploi de la peinture. Le roseau a papier (Cyperus papyrus) ne vient, dans l'ancien continent, que dans des endroits humides et temperes: la pite, au contraire, croeit egalement dans les plaines et sur les montagnes les plus elevees; elle vegete dans les regions les plus chaudes de la terre comme sur des plateaux ou le thermometre descend jusqu'au point de la congelation. Les manuscrits Mexicains (codices Mexicani) qui ont ete conserves, sont peints, les uns sur des peaux de cerfs, les autres sur des toiles de coton, ou sur du papier de maguey. Il est tres-probable que, parmi les Americains, comme chez les Grecs, et chez d'autres peuples de l'ancien continent, l'usage des peaux tannees et preparees a precede celui du papier: du moins les Tolteques paroissent deja avoir employe la peinture hieroglyphique a cette epoque reculee a laquelle ils habitoient des provinces septentrionales, dont le climat est contraire a la culture de l'agave. Chez les peuples du Mexique, les figures et les caracteres symboliques n'etoient pas traces sur des feuillets separes. Quelle que faut la matiere employee pour les manuscrits, il est tres-rare qu'ils fussent destines a former des rouleaux; presque toujours on les plioit en zigzag, d'une maniere particuliere, a peu pres comme le papier ou l'etoffe de nos eventails: deux tablettes d'un bois leger etoient collees aux extremites, l'une par dessus, l'autre par dessous; de sorte qu'avant de developper la peinture, l'ensemble offre la plus parfaite ressemblance avec nos livres relies. Il resulte de cet arrangement, qu'en ouvrant un manuscrit Mexicain comme on ouvre nos livres, on ne parvient a voir a la fois que la moitie des caracteres, ceux qui sont peints d'un meme cote de la peau ou du papier de maguey: pour examiner toutes les pages (si toutefois on peut appeler pages les differens replis d'une bande qui a souvent douze a quinze metres de longueur), il faut etendre le manuscrit entier une fois de gauche a droite, et une autre fois de droite a gauche: sous ce rapport, les peintures Mexicaines offrent la plus grande conformite avec les manuscrits Siamois que l'on conserve a la bibliotheque imperiale de Paris, et qui sont aussi plies en zigzag. Les volumes que les premiers missionnaires de la Nouvelle-Espagne appeloient assez improprement des livres Mexicains, renfermoient des notions sur un grand nombre d'objets tres-differens: c'etoient des annales historiques de l'empire Mexicain, des rituels indiquant le mois et le jour auxquels on doit sacrifier a telle ou telle divinite, des representations cosmogoniques et astrologiques, des pieces de proces, des documens relatifs au cadastre ou a la division des proprietes dans une commune, des listes de tributs payables a telle ou telle epoque de l'annee, des tableaux genealogiques d'apres lesquels on regloit les heritages ou l'ordre de succession dans les familles, des calendriers manifestant les intercalations de l'annee civile et de l'annee religieuse; enfin, des peintures qui rappelloient les peines par lesquelles les juges devoient punir les delits. Mes voyages dans differentes parties de l'Amerique et de l'Europe m'ont procure l'avantage d'examiner un plus grand nombre de manuscrits Mexicains que n'ont pu le faire Zoega, Clavigero, Gama, l'Abbe Hervas, l'auteur ingenieux des Lettres Americaines, le Comte Rinaldo Carli, et d'autres savans, qui, apres Boturini, ont ecrit sur ces monumens de l'ancienne civilisation de l'Amerique. Dans la precieuse collection conservee au palais du Vice-roi, a Mexico, j'ai vu des fragmens de peintures relatives a chacun des objets dont nous venons de faire l'enumeration. On doit etre frappe de l'extreme ressemblance que l'on observe entre les manuscrits Mexicains conserves a Veletri, a Rome, a Bologne, a Vienne, et au Mexique; au premier abord on les croiroit copies les uns des autres: tous offrent une extreme incorrection dans les contours, un soin minutieux dans les details, et une grande vivacite dans les couleurs, qui sont placees de maniere a produire les contrastes les plus tranchans: les figures ont generalement le corps trapu comme celles des reliefs Etrusques; quant a la justesse du dessin, elles sont au-dessous de tout ce que les peintures des Hindoux, des Tibetains, des Chinois, et des Japonois, offrent de plus imparfait. On distingue dans les peintures Mexicaines des tetes d'une grandeur enorme, un corps excessivement court, et des pieds qui, par la longueur des doigts, ressemblent a des griffes d'oiseau: les tetes sont constamment dessinees de profil, quoique l'oeil soit place comme si la figure etoit vue de face. Tout ceci indique l'enfance de l'art; mais il ne faut pas oublier que des peuples qui expriment leurs idees par des peintures, et qui sont forces, par leur etat social, de faire un usage frequent de l'ecriture hieroglyphique mixte, attachent aussi peu d'importance a peindre correctement que les savans d'Europe a employer une belle ecriture dans leurs manuscrits. On ne sauroit nier que les peuples montagnards du Mexique appartiennent a une race d'hommes qui, semblable a plusieurs hordes Tartares et Mongoles, se plaeit a imiter la forme des objets. Partout a la Nouvelle-Espagne, comme a Quito et au Perou, on voit des Indiens qui savent peindre et sculpter; ils parviennent a copier servilement tout ce qui s'offre a leur vue: ils ont appris, depuis l'arrivee des Europeens , a donner de la correction a leurs contours; mais rien n'annonce qu'ils soient penetres de ce sentiment du beau, sans lequel la peinture et la sculpture ne peuvent s'elever au-dessus des arts mecaniques. Sous ce rapport, et sous bien d'autres encore, les habitans du nouveau monde ressemblent a tous les peuples de l'Asie orientale. On concoit d'ailleurs comment l'usage frequent de la peinture hieroglyphique mixte devoit contribuer a gater le goaut d'une nation en l'accoutumant a l'aspect des figures les plus hideuses, des formes les plus eloignees de la justesse des proportions. Pour indiquer un roi qui, telle ou telle annee, a vaincu une nation voisine, l'Egyptien, dans la perfection de son ecriture, rangeoit sur la meme ligne un petit nombre d'hieroglyphes isoles, qui exprimoient toute la serie des idees qu'on vouloit rappeler; et ces caracteres consistoient en grande partie en figures d'objets inanimes: le Mexicain, au contraire, pour resoudre le meme probleme, etoit oblige de peindre un groupe de deux personnes, un roi arme terrassant un guerrier qui porte les armes de la ville conquise. Or, pour faciliter l'emploi de ces peintures historiques, on commenca bientot a ne peindre que ce qui etoit absolument indispensable pour reconnoeitre les objets. Pourquoi donner des bras a une figure representee dans une attitude dans laquelle elle n'en fait aucun usage? De plus, les formes principales, celles par lesquelles on indiquoit une divinite, un temple, un sacrifice, devoient etre fixees de bonne heure. L'intelligence des peintures seroit devenue extremement difficile, si chaque artiste avoit pu varier a son gre la representation des objets que l'on etoit oblige de designer frequemment. Il suit de la que la civilisation des Mexicains auroit pu augmenter beaucoup, sans qu'ils eussent ete tentes d'abandonner les formes incorrectes dont on etoit convenu depuis des siecles. Un peuple montagnard et guerrier, robuste, mais d'une laideur extreme, d'apres les principes de beaute des Europeens, abruti par le despotisme, accoutume aux ceremonies d'un culte sanguinaire, est deja par lui-meme peu dispose a s'elever a la culture des beaux arts: l'habitude de peindre au lieu d'ecrire, l'aspect journalier de tant de figures hideuses et disproportionnees, l'obligation de conserver les memes formes sans jamais les alterer; toutes ces circonstances devoient contribuer a perpetuer le mauvais goaut parmi les Mexicains. C'est en vain que nous cherchons, sur le plateau de l'Asie centrale, ou plus au nord et a l'est, des peuples qui aient fait usage de cette peinture hieroglyphique que l'on observe dans le pays d'Anahuac depuis la fin du septieme siecle: les Kamtschadales, les Tongouses, et d'autres tribus de la Siberie, decrites par Strahlenberg, peignent des figures qui rappellent des faits historiques: sous toutes les zones, comme nous l'avons observe plus haut, l'on trouve des nations plus ou moins adonnees a ce genre de peinture: mais il y a bien loin d'une planche chargee de quelques caracteres, a ces manuscrits Mexicains qui sont tous composes d'apres un systeme uniforme, et que l'on peut considerer comme les annales de l'empire. Nous ignorons si ce systeme de peinture hieroglyphique a ete invente dans le nouveau continent, ou s'il est dau a l'emigration de quelque tribu Tartare qui connoissoit la duree exacte de l'annee, et dont la civilisation etoit aussi ancienne que chez les Oighours du plateau de Turfan. Si l'ancien continent ne nous presente aucun peuple qui ait fait de la peinture un usage aussi etendu que les Mexicains, c'est qu'en Europe et en Asie nous ne trouvons pas une civilisation egalement avancee sans la connoissance d'un alphabet ou de certains caracteres qui le remplacent, comme les chiffres des Chinois et des Coreens. Avant l'introduction de la peinture hieroglyphique, les peuples d'Anahuac se servoient de ces noeuds et de ces fils a plusieurs couleurs, que les Peruviens appellent quippus, et que l'on retrouve non seulement chez les Canadiens, mais tres-anciennement aussi chez les Chinois. Le Chevalier Boturini a ete encore assez heureux pour se procurer de vrais quippus Mexicains, ou nepohualtzitzin, trouves dans le pays des Tlascalteques. Dans les grandes migrations des peuples, ceux de l'Amerique se sont portes du nord au sud, comme les Iberiens, les Celtes, et les Pelasges, ont reflue de l'est a l'ouest. Peut-etre que les anciens habitans du Perou avoient jadis passe par le plateau du Mexique: en effet, Ulloa, familiarise avec le style de l'architecture Peruvienne, avoit ete frappe de la grande ressemblance qu'offroient, dans la distribution des portes et des niches, quelques anciens edifices de la Louisiane occidentale, avec les tambos construits par les Incas; et il ne paroeit pas moins remarquable que, d'apres les traditions recueillies a Lican, l'ancienne capitale du royaume de Quito, les quippus etoient connus aux Puruays long-temps avant que les descendans de Manco-Capac les eussent subjugues. Lafitau, Moeurs des Sauvages, Tom. I. pp. 233, 503. Histoire Generale des Voyages, Tom. I. Liv. x. Chap. viii. Martini, Histoire de la Chine, p. 21. Boturini, Nueva Historia de la America Septentrional, p. 85. Ulloa, Noticias Americanas, p. 43. L'usage de l'ecriture et celui des hieroglyphes ont fait oublier au Mexique, comme a la Chine, les noeuds ou les nepohualtzitzin. Ce changement s'est opere vers l'annee 648 de notre ere. Un peuple septentrional, mais tres-police, les Tolteques, paroeit dans les montagnes d'Anahuac, a l'est du Golfe de Californie: il se dit chasse d'un pays situe au nord-ouest du Rio Gila, et appele Huehuetlapallan; il porte avec lui des peintures qui indiquent, annee par annee, les evenemens de sa migration; il pretend avoir quitte cette patrie, dont la position nous est totalement inconnue, l'annee 544, a la meme epoque a laquelle la ruine totale de la dynastie des Tsin avoit occasionne de grands mouvemens parmi les peuples de l'Asie orientale; cette circonstance est tres-remarquable: de plus, les noms que les Tolteques imposoient aux villes qu'ils avoient fondees, etoient ceux des villes du pays boreal qu'ils avoient ete forces d'abandonner; ainsi l'on saura l'origine des Tolteques, des Cirimeques, des Acolhues, et des Azteques, de ces quatre nations qui parloient toutes la meme langue, et qui entrerent successivement, et par le meme chemin, au Mexique, si jamais on decouvre dans le nord de l'Amerique ou de l'Asie un peuple qui connoisse les noms de Huehuetlapallan, d'Aztlan, de Teocolhuacan, d'Amaquemecan, de Tehuajo, et de Copalla. Clavigero, Storia di Messico, Tom. I. p. 126; Tom. IV. pp. 29, 46. Jusqu'au parallele de 53 degres, la temperature de la cote nord-ouest de l'Amerique est plus douce que celle des cotes orientales; on pourroit croire que la civilisation avoit fait anciennement des progres sous ce climat, et meme a des latitudes plus elevees: encore aujourd'hui on observe que, sous les 57 degres, dans le canal de Cox et dans la baie de Norfolk, appelee par Marchand le Golfe de Tchinkitane, les indigenes ont un goaut decide pour les peintures hieroglyphiques sur bois. J'ai examine, dans un autre endroit, s'il est probable que ces peuples industrieux, et d'un caractere generalement doux et affable, sont des colons Mexicains refugies vers le nord, apres l'arrivee des Espagnols, ou s'ils ne descendent pas plutot des tribus Tolteques ou Azteques, qui, lors de l'irruption des peuples d'Aztlan, sont restees dans ces regions boreales. Par la reunion heureuse de plusieurs circonstances, l'homme s'eleve a une certaine culture, meme dans les climats les moins favorables au developpement des etres organises: pres du cercle polaire, en Islande, nous avons vu, depuis le douzieme siecle, les peuples Scandinaves cultiver les lettres et les arts avec plus de succes que les habitans du Danemarck et de la Prusse. Voyez mon Essai Politique, Vol. I. p. 372; Vol. II. p. 507. Marchand, Tom. I. pp. 259, 261, 299, 375. Quelques tribus Tolteques paroissent s'etre melees aux nations qui habitoient jadis le pays contenu entre la rive orientale du Mississipi et l'Ocean Atlantique. Les Iroquois et les Hurons faisoient sur bois des peintures hieroglyphiques qui offrent des rapports frappans avec celles des Mexicains: ils indiquoient le nom des personnes qu'ils vouloient designer, en employant le meme artifice dont nous avons parle plus haut dans la description d'un tableau genealogique. Les indigenes de la Virginie avoient des peintures appelees sagkokok, qui representoient, par des caracteres symboliques, les evenemens qui avoient eu lieu dans l'espace de soixante ans: c'etoient de grandes roues divisees en soixante rayons ou en autant de parties egales. Lederer rapporte avoir vu, dans le village Indien de Pommacomek, un de ces cycles hieroglyphiques, dans lequel l'epoque de l'arrivee des blancs sur les cotes de la Virginie etoit marquee par la figure d'un cygne vomissant du feu, pour indiquer a la fois la couleur des Europeens, leur arrivee par eau, et le mal que leurs armes a feu avoient fait aux hommes rouges. Lafitau, Tom. II. pp. 43, 225, 416. La Hontan, Voyage dans l'Amerique Septentrionale, Tom. II. p. 193. Journal des Savans, 1681, p. 75. Au Mexique, l'usage des peintures et celui du papier de maguey s'etendoient bien au dela des limites de l'empire de Montezuma, jusqu'aux bords du lac de Nicaragua, ou les Tolteques, dans leurs migrations, avoient porte leur langue et leurs arts. Dans le royaume de Guatimala, les habitans de Teochiapan conservoient des traditions qui remontoient jusqu'a l'epoque d'un grand deluge, apres lequel leurs ancetres, sous la conduite d'un chef appele Votan, etoient venus d'un pays situe vers le nord. Dans le village de Teopixca il existoit encore au seizieme siecle des descendans de la famille de Votan ou Vodan (ces deux noms sont les memes, les Tolteques et les Azteques n'ayant pas dans leur langue les quatre consonnes d, b, r, et s). Ceux qui ont etudie l'histoire des peuples Scandinaves dans les temps heroiques, doivent etre frappes de trouver au Mexique un nom qui rappelle celui de Vodan ou Oudin, qui regna parmi les Scythes, et dont la race, d'apres l'assertion tres-remarquable de Beda, "a donne des rois a un grand nombre de peuples." Beda, Hist. Eccles. Lib. I. Cap. xv. Francisco Nunez de la Vega, Constitutiones Synodales, p. 74. S'il etoit vrai, comme plusieurs savans l'ont suppose, que ces memes Tolteques, qu'une peste, jointe a une grande secheresse, avoit chasses du plateau d'Anahuac vers le milieu du onzieme siecle de notre ere, ont reparu dans l'Amerique meridionale comme fondateurs de l'empire des Incas, comment les Peruviens n'auroient-ils pas abandonne leurs quippus pour adopter l'ecriture hieroglyphique des Tolteques? Presque a la meme epoque, au commencement du douzieme siecle, un eveque Groelandois avoit porte, non sur le continent de l'Amerique, mais a la Terre-Neuve (Vinland), des livres Latins, les memes peut-etre que les freres Zeni y trouverent en 1380. Viaggio de' Fratelli Zeni, (Venezia, 1808) p. 67. Nous ignorons si des tribus de race Tolteque ont penetre jusque dans l'hemisphere austral, non par les Cordilleres de Quito et du Perou, mais en suivant les plaines qui se prolongent a l'est des Andes, vers les rives du Marannon: un fait extremement curieux, et dont j'ai eu connoissance pendant mon sejour a Lima, porteroit a le supposer. Le Pere Narcisse Gilbar, religieux Franciscain, avantageusement connu par son courage et par son esprit de recherche, trouva, parmi les Indiens independans Panos, sur les rives de l'Ucayale, un peu au nord de l'embouchure du Sarayacu, des cahiers de peintures qui, par leur forme exterieure, ressembloient parfaitement a nos livres in-quarto: chaque feuillet avoit trois decimetres de long sur deux de large; la couverture de ces cahiers etoit formee de plusieurs feuilles de palmiers collees ensemble, et d'un parenchyme tres-epais: des morceaux de toile de coton, d'un tissu assez fin, representoient autant de feuillets, qui etoient reunis par des fils de pite. Lorsque le Pere Gilbar arriva parmi les Panos, il trouva un vieillard assis au pied d'un palmier, et entoure de plusieurs jeunes gens auxquels il expliquoit le contenu de ces livres. Les sauvages ne voulurent d'abord pas souffrir qu'un homme blanc s'approchat du vieillard: ils firent savoir au missionnaire, par l'intermede des Indiens de Manoa, les seuls qui entendoient la langue des Panos, "que ces peintures contenoient des choses cachees qu'aucun etranger ne devoit apprendre." Ce ne fut qu'avec beaucoup de peine que le Pere Gilbar parvint a se procurer un de ces cahiers, qu'il envoya a Lima pour le faire voir au Pere Cisneros, savant redacteur d'un journal qui a ete traduit en Europe. Plusieurs personnes de ma connoissance ont eu en main ce livre de l'Ucayale, dont toutes les pages etoient couvertes de peintures: on y distingua des figures d'hommes et d'animaux, et un grand nombre de caracteres isoles, que l'on crut hieroglyphiques, et qui etoient ranges par lignes, avec un ordre et une symetrie admirables: on fut frappe surtout de la vivacite des couleurs; mais comme personne a Lima n'avoit eu occasion de voir un fragment de manuscrits Azteques, on ne put juger de l'identite du style entre des peintures trouvees a une distance de huit cents lieues les unes des autres. El Mercurio Peruano. Le Pere Cisneros voulut faire deposer ce livre au couvent des missions d'Ocopa mais, soit que la personne a laquelle il le confia le perdeit au passage de la Cordillere, soit qu'il faut soustrait et envoye furtivement en Europe, il est certain qu'il n'arriva point au lieu de sa premiere destination: toutes les recherches faites pour retrouver un objet aussi curieux ont ete inutiles, et on regretta trop tard de n'avoir pas fait copier ces caracteres. Le missionnaire Narcisse Gilbar, avec lequel j'ai ete lie d'amitie pendant mon sejour a Lima, m'a promis de tenter tous les moyens pour se procurer un autre cahier de ces peintures des Panos: il sait qu'il en existe plusieurs parmi eux, et qu'ils disent eux-memes que ces livres leur ont ete transmis par leurs peres. L'explication qu'ils donnent de ces peintures paroeit fondee sur une tradition antique qui se perpetue dans quelques familles. Les Indiens de Manoa, que le Pere Gilbar chargea de faire des recherches sur le sens de ces caracteres, crurent deviner qu'ils indiquoient des voyages et d'anciennes guerres avec des hordes voisines. Les Panos different aujourd'hui tres-peu du reste des sauvages qui habitent ces forets humides et excessivement chaudes: nus, vivant de bananes et du produit de la peche, ils sont bien eloignes de connoeitre la peinture, et de sentir le besoin de se communiquer leurs idees par des signes graphiques. Comme la plupart des tribus fixees sur les rives des grands fleuves de l'Amerique meridionale, ils ne paroissent pas tres-anciens dans le lieu ou on les trouve maintenant: sont-ils les foibles restes de quelque peuple civilise retombe dans l'abrutissement, ou descendent-ils de ces memes Tolteques qui ont porte l'usage des peintures hieroglyphiques a la Nouvelle-Espagne, et que, pousses par d'autres peuples, nous voyons disparoeitre aux rives du lac de Nicaragua? Voila des questions d'un grand interet pour l'histoire de l'homme; elles se lient a d'autres dont l'importance n'a pas ete suffisamment sentie jusqu'ici. Des rochers granitiques qui s'elevent dans les savannes de la Guayane, entre le Cassiquiare et le Conorichite, sont couverts de figures de tigres, de crocodiles, et d'autres caracteres que l'on pourroit croire symboliques. Des dessins analogues se trouvent traces cinq cents lieues au nord et a l'ouest, sur les rives de l'Orenoque, pres de l'Encaramada et de Caicara; sur les bords du Rio Cauca, pres de Timba, entre Cali et Jelima; enfin, sur le plateau meme des Cordilleres, dans le Paramo de Guanacas. Les peuples indigenes de ces regions ne connoissent pas l'usage des outils metalliques: tous conviennent que ces caracteres existoient deja lorsque leurs ancetres arriverent dans ces contrees. Est-ce a une seule nation industrieuse, adonnee a la sculpture, comme l'etoient les Tolteques, les Azteques, et tout le groupe de peuples sorti d'Aztlan, que sont dues ces traces d'une ancienne civilisation? En quelle region doit-on placer le foyer de cette culture? Est-ce au nord du Rio Gila, sur le plateau du Mexique, ou bien dans l'hemisphere du sud, dans ces plaines elevees de Tiahuanacu, que les Incas meme trouverent deja couvertes de ruines d'une grandeur imposante, et que l'on peut considerer comme le Himala et le Tibet de l'Amerique meridionale? Ces problemes ne peuvent etre resolus dans l'etat actuel de nos connoissances. Nous venons d'examiner les rapports qu'offrent les peintures Mexicaines avec les hieroglyphes de l'ancien monde; nous avons tache de repandre quelques lumieres sur l'origine et les migrations des peuples qui ont introduit a la Nouvelle-Espagne l'usage de l'ecriture symbolique et la fabrication du papier: il nous reste a indiquer les manuscrits (Codices Mexicani) qui, depuis le seizieme siecle, ont passe en Europe, et qui sont conserves dans les bibliotheques publiques et particulieres. On sera etonne de remarquer combien sont devenus rares ces monumens precieux d'un peuple qui, dans sa marche vers la civilisation, paroeit avoir lutte contre les memes obstacles qui s'opposent a l'avancement des arts chez toutes les nations du nord et meme de l'est de l'Asie. D'apres les recherches que j'ai faites, il paroeit qu'il n'existe aujourd'hui en Europe que six collections de peintures Mexicaines: celles de l'Escurial, de Bologne, de Veletri, de Rome, de Vienne, et de Berlin. Le savant Jesuite Fabrega, qui est souvent cite dans les ouvrages de M. Zoega, et dont le Chevalier Borgia, neveu du cardinal de ce nom, a bien voulu me communiquer quelques manuscrits relatifs aux antiquites Azteques, suppose que les archives de Simancas en Espagne renferment aussi quelques-unes de ces peintures hieroglyphiques que Robertson designe si bien par le mot de picture-writings. Le recueil conserve a l'Escurial a ete examine par M. Waddilove, aumonier de l'ambassade Angloise a Madrid du temps de la mission de Lord Grantham: il a la forme d'un livre in-folio, ce qui pourroit faire soupconner qu'il n'est qu'une copie d'un manuscrit Mexicain, car les originaux que j'ai examines ressemblent tous a des volumes in-quarto. Les objets representes paroissent prouver que le recueil de l'Escurial, comme ceux d'Italie et de Vienne, sont ou des livres astrologiques ou des vrais rituels, qui indiquoient les ceremonies religieuses prescrites pour tel ou tel jour du mois. Au bas de chaque page se trouve une explication en Espagnol, qui a ete ajoutee lors de la conquete. Robertson's History of America, 1802, Vol. III. p. 403. Le recueil de Bologne est depose a la bibliotheque de l'Institut des Sciences de cette ville: on ignore son origine, mais on lit, sur la premiere page, que cette peinture, qui a 326 centimetres (onze palmi Romani) de longueur, a ete cedee, le 26 Decembre, 1665, par le Comte Valerio Zani au Marquis de Caspi. Les caracteres, qui sont traces sur une peau epaisse et mal preparee, paroissent en grande partie avoir rapport a la forme des constellations et a des idees astrologiques. Il existe une copie au simple trait de ce Codex Mexicanus de Bologne, dans le musee du Cardinal Borgia, a Veletri. Le recueil de Vienne, qui a soixante-cinq pages, est devenu celebre, parce qu'il a fixe l'attention du Docteur Robertson, qui, dans son ouvrage classique sur l'histoire du nouveau continent, en a publie quelques pages, mais sans couleurs et en simples contours. On lit, sur la premiere page de ce manuscrit Mexicain, "qu'il a ete envoye par le Roi Emmanuel de Portugal au Pape Clement VII, et que depuis il a ete entre les mains des Cardinaux Hippolyte de Medicis et Capuanus." Lambeccius, qui a fait graver assez incorrectement quelques figures du Codex Vindobonensis, observe que, le Roi Emmanuel etant mort deux ans avant l'election du Pape Clement VII, le don de ce manuscrit n'a pu etre fait a ce dernier Pontife, mais bien a Leon X, auquel le Roi de Portugal envoya une ambassade en 1513: mais je demande comment on pouvoit avoir en Europe des peintures Mexicaines en 1513, puisque Hernandez de Cordova ne decouvrit les cotes de Yucatan qu'en 1517, et que Cortez ne debarqua a la Vera-Cruz qu'en 1519? Est-il probable que les Espagnols aient trouve des peintures Mexicaines a l'Ile de Cuba, quand les habitans de cette eile , malgre la proximite du Cap Catoche au Cap Saint-Antoine, ne paroissent pas avoir eu de communication avec les Mexicains? Il est vrai que, dans la note ajoutee au recueil de Vienne, celui-ci n'est pas nomme Codex Mexicanus, mais Codex Indiae Meridionalis: cependant l'analogie parfaite qu'offre ce manuscrit avec ceux conserves a Veletri et a Rome, ne laisse aucun doute sur une origine commune. Le Roi Emmanuel est mort en 1521: le pape Clement VII en 1534: il me paroeit peu croyable qu'avant la premiere entree des Espagnols a Tenochtitlan (le 8 Novembre, 1519), il puisse y avoir eu un manuscrit Mexicain a Rome. Quelle que soit l'epoque a laquelle il est parvenu en Italie, il est certain qu'apres avoir passe de main en main, il fut offert, en 1677, a l'Empereur Leopold, par le Duc de Saxe-Eisenach. Lambeccii Commentar. de Bibliotheca Caesar. Vindobonensi, ed. 1776, p. 966. On ignore absolument ce qu'est dcvenu le recueil de peintures Mexicaines qui existoit encore a la fin du dix-septieme siecle a Londres, et que Purchas a publie. Ce manuscrit avoit ete envoye a l'Empereur Charles-Quint, par le premier Vice-roi du Mexique, Antonio de Mendoza, Marquis de Mondejar: le batiment qui porta cet objet precieux fut pris par un vaisseau Francois, et le recueil tomba entre les mains d'Andre Thevet, geographe du Roi de France, et qui avoit visite lui-meme le nouveau continent. Apres la mort de ce voyageur, Hakluyt, qui etoit aumonier de l'ambassade Angloise a Paris, acheta le manuscrit pour vingt couronnes, et de Paris il passa a Londres, ou Sir Walter Raleigh voulut le faire publier. Les frais que devoit causer la gravure des dessins retarderent cette publication jusqu'en 1625, ou Purchas, cedant aux voeux du savant antiquaire Spelman, insera tout le recueil de Mendoza dans sa collection de voyages. Ces memes figures ont ete copiees par Thevenot dans ses Relations de divers Voyages; mais cette copie, comme l'a tres-bien observe l'Abbe Clavigero, fourmille de fautes: par exemple, les faits arrives sous le regne du Roi Ahuizotl y sont indiques sous le regne de Montezuma. Purchas, Pilgrimes, Tom. III. p. 1065. Thevenot (1696), Tom. II. Pl. iv. pp. 1--85. Clavigero, Tom. I. p. 23. Quelques auteurs ont annonce que l'original du fameux recueil de Mendoza etoit conserve a la bibliotheque imperiale de Paris; mais il paroeit certain que, depuis un siecle, il n'y a existe aucun manuscrit Mexicain. Comment le recueil achete par Hakluyt, et transporte en Angleterre, seroit-il revenu en France? On ne connoeit aujourd'hui point d'autres peintures Mexicaines a Paris, que des copies contenues dans un manuscrit Espagnol qui provient de la bibliotheque de Tellier, et dont nous aurons occasion de parler dans la suite. Ce livre, tresinteressant d'ailleurs, est conserve dans la superbe collection des manuscrits de la bibliotheque imperiale: il ressemble au Codex anonymus du Vatican, No. 3738, qui est l'ouvrage du moine Pedro de los Rios. Le Pere Kircher a fait copier une partie des gravures de Purchas. Warburton, Essais sur les Hieroglyphes, Tom. I. p. 18. Papillon, Histoire de la Gravure en Bois, Tom. I. p. 364. Voyez plus haut la description de la Pl. vii. Kircheri OEdipus, Tom. III. p. 32. Le recueil de Mendoza jette du jour sur l'histoire, l'etat politique et la vie privee des Mexicains. Il est divise en trois sections, qui, comme les Skandhas des Pouranas Indiens, traitent d'objets tout-a-fait differens: la premiere section presente l'histoire de la dynastie Azteque, depuis la fondation de Tenochtitlan, l'an 1325 de notre ere, jusqu'a la mort de Montezuma II, proprement appele Monteuczoma Xocojotzin, en 1520; la seconde section est une liste des tributs que chaque province et chaque bourgade paient aux souverains Azteques; la troisieme et derniere section peint la vie domestique et les moeurs des peuples Azteques. Le Vice-roi Mendoza avoit fait ajouter a chaque page du recueil une explication en Mexicain et en Espagnol, de sorte que l'ensemble forme un ouvrage tres-interessant pour l'histoire. Les figures, malgre l'incorrection des contours, offrent plusieurs traits de moeurs extremement piquans: on y voit l'education des enfans depuis leur naissance jusqu'a ce qu'ils deviennent membres de la societe, soit comme agriculteurs ou artisans, soit comme guerriers, soit comme pretres. La quantite de nourriture qui convient a chaque age, le chatiment qui doit etre inflige aux enfans des deux sexes; tout chez les Mexicains etoit prescrit dans le detail le plus minutieux, non par la loi, mais par des usages antiques dont il n'etoit pas permis de s'eloigner. Enchaeinee par le despotisme et la barbarie des institutions sociales, sans liberte dans les actions les plus indifferentes de la vie domestique, la nation entiere etoit elevee dans une triste uniformite d'habitudes et de superstitions. Les memes causes ont produit les memes effets dans l'ancienne Egypte, dans l'Inde, en Chine, au Mexique, et au Perou, partout ou les hommes ne presentoient que des masses animees d'une meme volonte, partout ou les lois, la religion, et les usages, ont contrarie le perfectionnement et le bonheur individuel. On reconnoeit, parmi les peintures du recueil de Mendoza, les ceremonies qui se faisoient a la naissance d'un enfant. La sage-femme, en invoquant le Dieu Ometeuctli et la Deesse Omecihuatl, qui vivent dans le sejour des bienheureux, jetoit de l'eau sur le front et la poitrine du nouveau-ne: apres avoir prononce differentes prieres, dans lesquelles l'eau etoit consideree comme le symbole de la purification de l'ame, la sage-femme faisoit approcher des enfans qui avoient ete invites pour donner un nom au nouveau-ne. Dans quelques provinces on allumoit en meme temps du feu, et on faisoit semblant de passer l'enfant par la flamme, comme pour le purifier a la fois par l'eau et le feu. Cette ceremonie rappelle des usages dont l'origine, en Asie, paroeit se perdre dans une haute antiquite. Clavigero, Tom. II. p. 86. D'autres planches du recueil de Mendoza representent les chatimens souvent barbares que les parens doivent infliger a leurs enfans, selon la gravite du delit, et selon l'age et le sexe de celui qui l'a commis: une mere expose sa fille a la fumee du piment (Capsicum bacatum): un pere pique son fils de huit ans avec des feuilles de pite qui sont terminees par de fortes epines; la peinture indique en quels cas l'enfant ne peut etre pique qu'aux mains seules, et en quels autres cas il est permis aux parens d'etendre cette operation douloureuse sur le corps entier: un pretre, teopixqui, chatie un novice, en lui jetant des tisons ardens sur la tete, parce qu'il a passe la nuit hors de l'enceinte du temple: un autre pretre est peint assis, dans l'attitude d'observer les etoiles, pour indiquer l'heure de minuit; on distingue, dans la peinture Mexicaine, l'hieroglyphe de minuit place au-dessus de la tete du pretre, et une ligne ponctuee qui se dirige de l'oeil de l'observateur vers une etoile: on voit aussi avec interet les figures qui representent des femmes filant au fuseau ou tissant en haut-lice; un orfevre qui souffle dans le charbon a travers un chalumeau; un vieillard de soixante-dix ans, auquel la loi permet de s'enivrer, de meme qu'a une femme lorsqu'elle est grand'mere: une entremetteuse de mariage, appelee cihuatlanque, qui porte la jeune vierge sur son dos a la maison du fiance; enfin, la benediction nuptiale, dont la ceremonie consistoit en ce que le pretre ou teopixqui nouoit ensemble le pan du manteau (tilmatli) du garcon, avec le pan du vetement (huepilli) de la jeune fille. Le recueil de Mendoza offre en outre plusieurs figures de temples Mexicains (teocallis), dans lesquelles on distingue tres-bien le monument pyramidal divise par assises, et la petite chapelle, le neos, a la cime: mais la peinture la plus compliquee et la plus ingenieuse de ce Codex Mexicanus, est celle qui represente un tlatoani ou gouverneur de province, etrangle parce qu'il s'est revolte contre son souverain; car le meme tableau rappelle les delits du gouverneur, le chatiment de toute sa famille, et la vengeance exercee par ses vassaux contre les messagers d'etat, porteurs des ordres du Roi de Tenochtitlan. Thevenot, Tom. II. Pl. iv. fig. 49, 51, 55, 61. Thevenot, fig. 52, 53, 58, 62. Malgre l'enorme quantite de peintures qui, regardees comme des monumens de l'idolatrie Mexicaine, ont ete braulees au commencement de la conquete, par ordre des eveques et des premiers missionnaires, le Chevalier Boturini, dont nous avons rappele plus haut les malheurs, reussit encore, vers le milieu du dernier siecle, a reunir pres de cinq cents de ces peintures hieroglyphiques. Cette collection, la plus belle et la plus riche de toutes, a ete dispersee comme celle de Siguenza, dont quelques foibles restes se sont conserves, jusqu'a l'expulsion des Jesuites, a la bibliotheque de Saint-Pierre et de Saint-Paul, a Mexico. Une partie des peintures recueillies par Boturini a ete envoyee en Europe, sur un vaisseau Espagnol qui fut pris par un corsaire Anglois. On n'a jamais su si ces peintures sont parvenues en Angleterre, ou si on les a jetees a la mer comme des toiles d'un tissu grossier et mal peintes: un voyageur tres-instruit m'a assure, il est vrai, que l'on montre a la bibliotheque d'Oxford un Codex Mexicanus qui, pour la vivacite des couleurs, ressemble a celui de Vienne; mais le Docteur Robertson, dans la derniere edition de son Histoire de l'Amerique, dit expressement qu'il n'existe en Angleterre aucun autre monument de l'industrie et de la civilisation Mexicaine, qu'une coupe d'or de Montezuma, appartenant a Lord Archer. Comment ce recueil d'Oxford seroit-il reste inconnu a l'illustre historien Ecossois? Boturini, Tableau General, pp. 1--96. La majeure partie des manuscrits de Boturini, celle qui lui fut confisquee a la Nouvelle-Espagne, a ete dechiree, pillee, dispersee, par des personnes qui ignoroient l'importance de ces objets: ce qui en existe aujourd'hui, dans le palais du Vice-roi, ne compose que trois liasses, chacune de sept decimetres en carre et de cinq de hauteur. Elles sont restees dans un de ces appartemens humides du rez-de-chaussee, desquels le Vice-roi Comte de Revillagigedo a fait sortir les archives du gouvernement, parce que le papier s'y alteroit avec une rapidite effrayante. On est saisi d'un sentiment d'indignation, lorsqu'on voit l'abandon extreme dans lequel on laisse ces restes precieux d'une collection qui a coaute tant de travail et de soin, et que l'infortune Boturini, doue de cet enthousiasme qui est propre a tous les hommes entreprenans, nomme, dans la preface de son Essai Historique, "le seul bien qu'il possede aux Indes, et qu'il ne voudroit pas echanger contre tout l'or et l'argent du nouveau monde." Je n'entreprendrai pas ici de decrire en detail les peintures conservees au palais de la vice-royaute; j'observerai seulement qu'il en existe qui ont plus de six metres de long sur deux de large, et qui representent les migrations des Azteques depuis le Rio Gila jusqu'a la vallee de Tenochtitlan, la fondation de plusieurs villes, et les guerres avec les nations voisines. La bibliotheque de l'universite de Mexico n'offre plus de peintures hieroglyphiques originales: je n'y ai trouve que quelques copies lineaires, sans couleurs, et faites avec peu de soin. La collection la plus riche et la plus belle de la capitale est aujourd'hui celle de Don Jose Antonio Pichardo, membre de la congregation de San Felipe Neri. La maison de cet homme instruit et laborieux a ete pour moi ce que la maison de Siguenza etoit pour le voyageur Gemelli. Le Pere Pichardo a sacrifie sa petite fortune a reunir des peintures Azteques, a faire copier toutes celles qu'il ne pouvoit pas acquerir lui-meme: son ami Gama, auteur de plusieurs memoires astronomiques, lui a legue tout ce qu'il possedoit de plus precieux en manuscrits hieroglyphiques. C'est ainsi qu'au nouveau continent, comme presque partout ailleurs, de simples particuliers, et les moins riches, savent reunir et conserver les objets qui devroient fixer l'attention des gouvernemens. Voyez mon Essai Politique sur la Nouvelle-Espagne, Vol. II. p. 22 de l'edition in-octavo. J'ignore si, dans le royaume de Guatimala ou dans l'interieur du Mexique, il y a des personnes animees du meme zele que l'ont ete le Pere Alzate, Velasquez, et Gama. Les peintures hieroglyphiques sont aujourd'hui si rares a la Nouvelle-Espagne, que la plupart des personnes instruites qui y resident n'en ont jamais vu; et, parmi les restes de la collection de Boturini, il n'y a pas un seul manuscrit qui soit aussi beau que les Codices Mexicani de Veletri et de Rome. Je ne doute cependant pas que beaucoup d'objets tres-importans pour l'etude de l'histoire ne se trouvent encore entre les mains des Indiens qui habitent la province de Mechuacan, les intendances de Mexico, de Puebla, et d'Oaxaca, la peninsule de Yucatan, et le royaume de Guatimala. Ce sont la les contrees ou les peuples sortis d'Aztlan etoient parvenus a une certaine civilisation; et un voyageur qui, sachant les langues Azteque, Tarasque, et Maya, sauroit gagner la confiance des indigenes, reuniroit encore aujourd'hui, trois siecles apres la conquete, et cent ans apres le voyage du Chevalier Boturini, un nombre considerable de peintures historiques Mexicaines. Le Codex Mexicanus du musee Borgia, a Veletri, est le plus beau de tous les manuscrits Azteques que j'ai examines. Nous aurons occasion d'en parler dans un autre endroit, en donnant l'explication de la quinzieme Planche. Le recueil conserve a la bibliotheque royale de Berlin renferme differentes peintures Azteques dont j'ai fait l'acquisition pendant mon sejour a la Nouvelle- Espagne. La douzieme Planche offre deux fragmens de ce recueil: il contient des listes de tributs, des genealogies, l'histoire des migrations des Mexicains, et un calendrier fait au commencement de la conquete, dans lequel les hieroglyphes simples des jours se trouvent reunis a des figures des saints, peintes en style Azteque. La bibliotheque du Vatican a Rome possede, dans la collection precieuse de ses manuscrits, deux Codices Mexicani, sous les numeros 3738 et 3776 du catalogue. Ces recueils, de meme que le manuscrit de Veletri, sont restes inconnus au Docteur Robertson, lorsqu'il a fait l'enumeration des peintures Mexicaines conservees dans les differentes bibliotheques de l'Europe. Mercatus, dans sa description des obelisques de Rome, rapporte que, vers la fin du seizieme siecle, il existoit au Vatican deux recueils de peintures originales: on peut croire qu'un de ces recueils est entierement perdu, a moins que ce ne soit celui que l'on montre a la bibliotheque de l'institut de Bologne; l'autre a ete retrouve en 1785 par le Jesuite Fabrega, apres quinze annees de recherches. Mercatus, degli Obelischi di Roma, Cap. ii. p. 96. Le Codex Vaticanus, No. 3776, dont Acosta et Kircher ont deja fait mention, a 7m,87 ou trente-un palmes et demi de long, et 0m,19 ou sept pouces en carre: ses quarante-huit replis forment quatre-vingt-seize pages, ou autant de divisions tracees des deux cotes de plusieurs peaux de cerfs collees ensemble: chaque page est subdivisee en deux cases; mais tout le manuscrit ne renferme que cent soixante-seize de ces cases, parce que les premieres huit pages contiennent les hieroglyphes simples des jours, ranges en series paralleles, et rapprochees les unes des autres. La treizieme Planche de l'Atlas pittoresque presente la copie exacte d'un de ces replis, ou d'une page du Codex Vaticanus: comme toutes les pages se ressemblent, quant a l'arrangement general, cette copie suffit pour faire connaeitre le livre entier. Zoega, De Orig. Obeliscor. p. 531. Le bord de chaque repli est divise en vingt-six petites cases qui contiennent les hieroglyphes simples des jours: ces hieroglyphes sont au nombre de vingt, qui forment des series periodiques. Comme les petits cycles sont de treize jours, il en resulte que la serie des hieroglyphes passe d'un cycle a l'autre. Tout le Codex Vaticanus contient cent soixante-seize de ces petits cycles, ou deux mille deux cent quatre-vingt-dix jours. Nous n'entrerons ici dans aucun detail sur ces subdivisions du temps, nous proposant de donner plus bas l'explication du calendrier Mexicain, l'un des plus compliques, mais aussi l'un des plus ingenieux que presente l'histoire de l'astronomie. Chaque page offre, dans les deux subdivisions dont nous avons deja parle, deux groupes de figures mythologiques. On se perdroit dans de vaines conjectures, si l'on vouloit interpreter ces allegories, les manuscrits de Rome, de Veletri, de Bologne, et de Vienne, etant depourvus de ces notes explicatives que le Vice-roi Mendoza avoit fait ajouter au manuscrit publie par Purchas. Il seroit a desirer que quelque gouvernement voulaut faire publier a ses frais ces restes de l'ancienne civilisation Americaine: c'est par la comparaison de plusieurs monumens qu'on parviendroit a deviner le sens de ces allegories, en partie astronomiques, en partie mystiques. Si de toutes les antiquites Grecques et Romaines il ne nous etoit reste que quelques pierres gravees ou des monnoies isolees, les allusions les plus simples auroient echappe a la sagacite des antiquaires. Que de jour l'etude des bas-reliefs n'a-t-elle pas repandu sur celle des monnoies! Zoega, Fabrega, et d'autres savans qui se sont occupes en Italie des manuscrits Mexicains, regardent le Codex Vaticanus, de meme que celui de Veletri, comme des tonalamatls ou almanachs rituels; c'est-a-dire, comme des livres qui indiquoient au peuple, pour un espace de plusieurs annees, les divinites qui presidoient aux petits cycles de treize jours, et qui gouvernoient pendant ce temps la destinee des hommes, les ceremonies religieuses qu'on devoit pratiquer, et surtout les offrandes qui devoient etre portees aux idoles. La treizieme Planche de mon Atlas, qui est la copie de la quatre-vingt-seizieme page du Codex Vaticanus, represente a gauche une adoration: la divinite a un casque dont les ornemens sont tres-remarquables; elle est assise sur un petit banc appele icpalli, devant un temple dont on n'a figure que la cime ou la petite chapelle placee au haut de la pyramide. L'adoration consistoit, au Mexique comme en Orient, dans la ceremonie de toucher le sol de sa main droite, et de porter cette main a la bouche. Dans le dessin No. 1, l'hommage est rendu par une genuflexion: la pose de la figure qui se prosterne devant le temple se retrouve dans plusieurs peintures des Hindoux. Le groupe No. 2 represente la celebre femme au serpent, Cihuacohuatl, appelee aussi Quilaztli ou Tonacacihua, femme de notre chair: elle est la compagne de Tonacateuctli. Les Mexicains la regardoient comme la mere du genre humain; et, apres le dieu du Paradis celeste, Ometeuctli, elle occupoit le premier rang parmi les divinites d'Anahuac: on la voit toujours representee en rapport avec un grand serpent. D'autres peintures nous offrent une couleuvre panachee, mise en pieces par le Grand Esprit Tezcatlipoca, ou par le Soleil personnifie, le Dieu Tonatiuh. Ces allegories rappellent d'antiques traditions de l'Asie. On croit voir, dans la femme au serpent des Azteques, l'Eve des peuples Semitiques; dans la couleuvre mise en pieces, le fameux serpent Kaliya ou Kalinaga, vaincu par Vishnu, lorsqu'il a pris la forme de Krischna. Le Tonatiuh des Mexicains paroeit aussi etre identique avec le Krischna des Hindoux, chante dans la Bhagavata Pourana, et avec le Mithras des Perses. Les plus anciennes traditions des peuples remontent a un etat de choses ou la terre, couverte de marais, etoit habitee par des couleuvres et d'autres animaux a taille gigantesque: l'astre bienfaisant, en dessechant le sol, delivra la terre de ces monstres aquatiques. Derriere le serpent, qui paroeit parler a la Deesse Cihuacohuatl, se trouvent deux figures nues; elles sont de couleur differente, et paroissent dans l'attitude de se battre. On pourroit croire que les deux vases que l'on observe au bas de la peinture, et dont l'un est renverse, font allusion a la cause de cette rixe. La femme au serpent etoit regardee au Mexique comme mere de deux enfans jumeaux: ces figures nues sont peut-etre les enfans de Cihuacohuatl; elles rappellent le Cain et l'Abel des traditions Hebraiques. Je doute d'ailleurs que la difference de couleur que l'on remarque entre les deux figures indique une difference de race, comme dans les peintures Egyptiennes trouvees dans les tombeaux des rois a Thebes, et dans les ornemens moules en terre et appliques sur les caisses des momies de Sakharah. En etudiant avec soin les hieroglyphes historiques des Mexicains, on croit reconnoeitre que les tetes et les mains des figures sont peintes comme au hasard, tantot en jaune, tantot en bleu, tantot en rouge. Denon, Voyage en Egypte, pp. 298--313. La cosmogonie des Mexicains, leurs traditions sur la mere des hommes, dechue de son premier etat de bonheur et d'innocence; l'idee d'une grande inondation, dans laquelle une seule famille s'est echappee sur un radeau; l'histoire d'un edifice pyramidal eleve par l'orgueil des hommes et detruit par la colere des dieux; les ceremonies d'ablution pratiquees a la naissance des enfans; ces idoles faites avec la farine de mais petrie, et distribuees en parcelles au peuple rassemble dans l'enceinte des temples; ces declarations de peches faites par les penitens; ces associations religieuses ressemblant a nos couvens d'hommes et de femmes: cette croyance universellement repandue que des hommes blancs a longue barbe, et d'une grande saintete de moeurs, avoient change le systeme religieux et politique des peuples: toutes ces circonstances avoient fait croire aux religieux qui accompagnoient l'armee des Espagnols, lors de la conquete, qu'a une epoque tres-reculee le Christianisme avoit ete preche dans le nouveau continent. Des savans Mexicains crurent reconnoeitre l'apotre Saint Thomas dans ce personnage mysterieux, grandpretre de Tula, que les Cholulains connoissoient sous le nom de Quetzalcoatl. Il n'est pas douteux que le Nestorianisme, mele aux dogmes des Bouddhistes et des Chamans, ne se soit repandu, par la Tartarie des Mantchoux, dans le nord-est de l'Asie: on pourroit donc supposer, avec quelque apparence de raison, que des idees Chretiennes ont ete communiquees, par la meme voie, aux peuples Mexicains, surtout aux habitans de cette region boreale de laquelle sortirent les Tolteques, et que nous devons considerer comme l'officina virorum du nouveau monde. Siguenza, Opera ined. Eguiara, Bibl. Mexicana, p. 78. Langles, Rituel des Tartares-Mantchoux, pp. 9, 14. Georgi Alphab. Tibetanum, p. 298. Cette supposition seroit meme plus admissible que l'hypothese d'apres laquelle les traditions antiques des Hebreux et des Chretiens auroient passe en Amerique par les colonies Scandinaves, formees depuis le onzieme siecle sur les cotes de Groenland, au Labrador, et peut-etre meme dans l'Ile de Terre-Neuve. Ces colons Europeens visiterent sans doute une partie du continent, qu'ils appelerent Drogeo; ils connurent des pays qui etoient situes au sud-ouest, et habites par des peuples anthropophages reunis dans des villes populeuses: mais, sans examiner ici si ces villes etoient celles des provinces d'Ichiaca et de Confachiqui, visitees par Hernando de Soto, le conquerant de la Floride, il suffit d'observer que les ceremonies religieuses, les dogmes et les traditions qui ont frappe l'imagination des premiers missionnaires Espagnols, se trouvoient indubitablement au Mexique depuis l'arrivee des Tolteques, et par consequent trois ou quatre siecles avant les navigations des Scandinaves aux cotes orientales du nouveau continent. Les religieux qui, a la suite de l'armee de Cortez et de Pizarro, ont penetre au Mexique et au Perou, ont ete naturellement enclins a exagerer les analogies qu'ils croyoient reconnoeitre entre la cosmogonie des Azteques et les dogmes de la religion Chretienne. Imbus des traditions Hebraiques, entendant imparfaitement les langues du pays et le sens des peintures hieroglyphiques, ils rapporterent tout au systeme qu'ils s'etoient forme; semblables aux Romains, qui ne voyoient chez les Germains et les Gaulois que leur culte et leurs divinites. En employant une saine critique, on ne trouve chez les Americains rien qui rende necessaire la supposition que les peuples Asiatiques ont reflue dans ce nouveau continent apres l'etablissement de la religion Chretienne. Je suis bien eloigne de nier la possibilite de ces communications posterieures: je n'ignore pas que les Tchoutskis traversent annuellement le detroit de Bering pour faire la guerre aux habitans de la cote nordouest de l'Amerique; mais je crois pouvoir affirmer, d'apres les connoissances que nous avons acquises, depuis la fin du dernier siecle, sur les livres sacres des Hindoux, que, pour expliquer ces analogies de traditions dont parlent tous les premiers missionnaires, on n'a pas besoin de recourir a l'Asie occidentale, habitee par des peuples de race Semitique, ces memes traditions, d'une haute et venerable antiquite, se retrouvant et parmi les sectateurs de Brahma et parmi les Chamans du plateau oriental de la Tartarie. Voyez mon Essai Politique sur la Nouvelle-Espagne, Vol. II. p. 502 de l'edition in-octavo. Nous reviendrons sur cet objet interessant, soit en parlant des Pastoux, peuple Americain qui ne se nourrissoit que de vegetaux, et qui avoit en horreur ceux qui mangeoient de la viande; soit en exposant le dogme de la metempsycose repandu parmi les Tlascalteques. Nous examinerons la tradition Mexicaine des quatre soleils ou des quatre destructions du monde, ainsi que les traces du trimurti ou de la trinite des Hindoux, trouvees dans le culte des Peruviens. Malgre ces rapports frappans entre les peuples du nouveau continent et les tribus Tartares qui ont adopte la religion de Bouddah, je crois reconnoeitre, dans la mythologie des Americains, dans le style de leurs peintures, dans leurs langues, et surtout dans leur conformation exterieure, les descendans d'un race d'hommes qui, separee de bonne heure du reste de l'espece humaine, a suivi, pendant une longue serie de siecles, une route particuliere dans le developpement de ses facultes intellectuelles et dans sa tendance vers la civilisation. Garcilasso, Comentarios Reales, Tom. I. p. 274. SUPPLEMENT A L'EXTRAIT DE L'OUVRAGE DE M. DE HUMBOLDT. La Bibliotheque de Paris ne possede pas de manuscrit Mexicain original, mais on y conserve un volume tres-precieux dans lequel un Espagnol, habitant de la Nouvelle-Espagne, a copie, soit vers la fin du seizieme siecle, soit au commencement du dix-septieme, un grand nombre de peintures hieroglyphiques. Ces copies sont generalement faites avec soin: elles portent le caractere des dessins originaux, comme on peut en juger par les figures symboliques repetees dans les manuscrits de Vienne, de Veletri, et de Rome. Le volume tres-peu connu dont nous avons tire les fragmens representes sur les Planches LV et LVI, a appartenu jadis a l'archeveque de Reims, Le Tellier: on ignore par quelle voie il est tombe entre ses mains. Il ressemble, quant a l'exterieur, au manuscrit conserve dans la Bibliotheque du Vatican, sous le No. 3738. Chaque figure hieroglyphique est accompagnee de plusieurs explications ecrites, a ce qui paroeit, a des epoques differentes, tant en Mexicain qu'en Espagnol. Il est probable, que ces notes, qui repandent du jour sur l'histoire, la chronologie et le culte des Azteques, ont ete composees par quelque religieux Espagnol, au Mexique meme, et sous la dictee des indigenes. Elles sont plus instructives que celles que l'on trouve dans le Raccolta di Mendoza, et les noms Mexicains y sont beaucoup plus correctement ecrits. Manuscrit de 96 pages in-fol., sous le titre de Geroglyficos de que usavan los Mexicanos. (Cod. Teller. Remens. 14 Reg. 1616.) Le Codex Mex. Tellerianus renferme la copie de trois ouvrages differens, dont le premier est un almanach rituel, le second un livre d'astrologie, et le troisieme une histoire Mexicaine depuis l'annee 5 tochtli, ou 1197, jusqu'a l'annee 4 calli, ou 1561. Nous donnerons une idee succincte de ces trois manuscrits. 1°. Rituel.--On y trouve les images de douze divinites Tolteques et Azteques, les fetes principales qui ont donne leur nom aux dix-huit mois de l'annee; par exemple, les fetes de Tecuilhuitontl, ou de tous les seigneurs; de Micaylhuitl, ou de tous les morts; de Quecholi, etc. L'hieroglyphe des cinq jours complementaires termine la serie des fetes. Le proprietaire du manuscrit a suivi dans ses notes le systeme errone, d'apres lequel on admet que l'annee Mexicaine commencoit dix-huit jours avant l'equinoxe du printemps. 2°. Partie Astrologique.--On y voit l'indication des jours qui doivent etre consideres comme indifferens, heureux ou malheureux. Parmi ces derniers jours il y en a onze que les Mexicains croyoient tres-dangereux pour la tranquillite domestique. Les maris devoient craindre les femmes nees a cette epoque, et l'on peut supposer que celles-ci avoient grand soin de cacher ou l'almanach astrologique ou le jour de leur naissance. L'infidelite, regardee comme l'effet d'une aveugle destinee, n'en etoit pas moins severement punie par la loi. On mettoit une corde au col de la femme adultere, et on la traeinoit dans une place publique, ou elle etoit lapidee en presence du mari. Cette punition est representee sur la neuvieme feuille du manuscrit. 3°. Annales de l'Empire Mexicain.--Elles renferment trois cent soixantequatre annees. Cette partie de l'ouvrage, dont Boturini, Clavigero, et Gama, n'ont pas eu connoissance, et qui semble de la plus grande authenticite, merite d'etre consultee par ceux qui voudront entreprendre une histoire classique des peuples Mexicains. Depuis l'annee 1197 jusqu'au milieu du quinzieme siecle, ces annales ne rapportent qu'un tres-petit nombre de faits, souvent a peine un ou deux dans un intervalle de treize ans: depuis 1454, la narration devient plus circonstanciee; et depuis 1472 jusqu'en 1549, on y trouve en detail, et presque annee par annee, ce que l'etat physique et politique du pays a presente de remarquable. Il manque les pages renfermant les periodes de 1274 a 1385, de 1496 a 1502, et de 1518 a 1529. C'est dans ce dernier intervalle que tombe l'entree des Espagnols a Mexico. Les peintures sont informes, mais souvent d'une grande naivete. Nous citerons, parmi les objets dignes d'attention, l'image du Roi Huitzilihuitl, qui, n'ayant pas eu d'enfans legitimes de son epouse, prit pour maeitresse une femme peintre, et qui mourut l'annee 13 tochtli, ou 1414; les chutes de neige qui eurent lieu en 1447 et 1503, et qui causerent une grande mortalite parmi les indigenes, en detruisant les semences; les tremblemens de terre de 1460, 1462, 1468, 1480, 1495, 1507, 1533, et 1542; les eclipses de soleil de 1476, 1496, 1507, 1510, 1531; le premier sacrifice humain; l'apparition de deux cometes en 1490 et en 1529; l'arrivee et la mort du premier eveque de Mexico, Fray Juan Zumaraga, en 1532 et 1549; le depart de Nunez de Gusman pour la conquete de Xalisco; la mort du fameux Pedro Alvarado, appele par les indigenes Tonatiuh, le soleil, a cause de ses cheveux blonds; le bapteme d'un Indien par un moine; une epidemie qui depeupla le Mexique, sous le Vice-roi Mendoza, en 1544 et 1545; l'emeute et la punition des negres de Mexico en 1537; une tempete qui devasta les forets; les ravages que la petite verole fit parmi les Indiens en 1538, etc. Si les Annales du Manuscrit Le Tellier sont d'accord avec la chronologie adoptee par l'Abbe Clavigero dans une dissertation que renferme le quatrieme volume de l'ancienne histoire du Mexique, la correspondance des annees Azteques et Chretiennes differe d'autant plus de celle suivie par Boturini et Acosta. Les annales commencent a l'annee 5 tochtli, ou 1197, a l'epoque de l'arrivee des Mexicains a Tula, qui est la limite septentrionale de la vallee de Tenochtitlan. La grande comete dont l'apparition est indiquee pres de l'hieroglyphe de l'annee 11 tochtli, ou 1490, est celle qui fut regardee comme un presage de l'arrivee des Espagnols en Amerique. Montezuma, mecontent de l'astrologue de la cour, le fit perir a cette occasion. Les presages sinistres continuerent jusqu'en 1509, ou l'on vit, selon le Manuscrit Le Tellier, pendant quarante nuits, une vive lumiere vers l'est. Cette lumiere, qui paroissoit s'elever de la terre meme, etoit peut-etre la lumiere zodiacale, dont la vivacite est tres-grande et tres-inegale sous les Tropiques. Le peuple regarde comme nouveaux les phenomenes les plus communs, des que la superstition se plaeit a y attacher un sens mysterieux. Storia Antica, Tom. IV. p. 51. Clavigero, Tom. I. p. 288. Les cometes de 1490 et 1529 sont ou des cometes qui ont paru pres du pole austral, ou celles que le Pere Pingre indique comme ayant ete egalement vues en Europe et en Chine. Il est remarquable que l'hieroglyphe qui designe une eclipse du soleil est compose des disques de la lune et du soleil, dont l'un se projette sur l'autre. Ce symbole prouve des notions exactes sur la cause des eclipses; il rappelle la danse allegorique des pretres Mexicains, qui representoit la lune devorant le soleil. Les eclipses de ce dernier astre correspondantes aux annees Matlactli Tecpatl, Nahui Tecpatl, ct Ome Acatl, sont celles du 25 Fevrier 1476, du 8 Aoaut 1496, du 13 Janvier 1507, et du 8 Mai 1510: ce sont autant de points fixes pour la chronologie Mexicaine. L'Art de verifier les Dates ne fait mention d'aucune eclipse de soleil dans le cours de 1531; tandis que nos annales en indiquent pour Matlactli Ome Acatl, qui correspond a cette annee de notre ere. L'eclipse de 1476 a servi aux historiens Mexicains a fixer l'epoque de la victoire que le Roi Axajacatl remporta sur les Matlatzinques: c'est celle sur laquelle M. Gama a fait un si grand nombre de calculs. Cometographie, Tom. I. pp. 478 et 486. Gama, Descripcion de dos Piedras, pp. 85--89. Torquemada, Tom. I. Lib. II. cap. 59. Boturini, § 8, n. 13. J'ignore quel est le phenomene qui, dans le commentaire, se trouve souvent designe par les mots: "Cette annee, l'etoile repandoit de la fumee." Le volcan d'Orizava portoit le nom de Citlaltepetl, montagne de l'Etoile, et l'on pourroit croire que les annales de l'Empire renfermoient les diverses epoques de l'eruption de ce volcan. Cependant, a la page 86 du Manuscrit Le Tellier, il est dit expressement, " que l'etoile qui fumoit, la estrella que humeava, etoit Sitlal Choloha que les Espagnols appellent Venus, et qui etoit l'objet de mille contes fabuleux. Or, je demande quelle illusion d'optique peut donner a Venus l'apparence d'une etoile qui repand de la fumee? Seroit-il question d'une espece de halo forme autour de la planete? Comme le volcan d'Orizava est place a l'est de la ville de Cholula, et que son cratere enflamme ressemble de nuit a une etoile qui se leve, on a confondu peut-etre, dans un langage symbolique, le volcan et l'etoile du matin. Le nom que Venus porte encore parmi les indigenes de race Azteque, est celui de Tlazolteotl.