Voyage de MM. Humboldt et Bonpland . Il a paru jusqu'ici du Voyage de MM. Humboldt et Bonpland: Essai sur la Geographie des plantes, et tableau physique des regions equinoxiales; prix, 40 fr.; papier velin, 60 fr. Recueil d'observations de Zoologie et d'Anatomie comparee, livraisons 1--4, 60 fr.; pap. vel., 84 fr. Essai politique sur le royaume de la Nouvelle-Espagne, avec atlas, livraison 1--2, 84 fr.; pap. vel., 108 fr. Recueil d'observations astronomiques, avec le tableau du nivellement barometrique, et le conspectus longitudinum et latitudinum, d'apres les calculs de M. Oltmanns, livraison 1--2, 66 fr.; pap. vel., 98 fr. Plantes equinoxiales, livraison 1--10, 298 fr. Monographie des Melastomes et des Rhexia (les deux derniers ouvrages rediges par M. Bonpland), livraison 1--8, 288 fr. Total, 821 fr.; pap. vel., 915 fr. Toutes les parties se vendent separement a Paris, chez T. Schoell, rue des Fosses-Saint-Germain-l'Auxerrois, n° 29. Troisieme Partie. Essai politique sur le royaume de la Nouvelle- Espagne, par Alexandre de Humboldt; avec un atlas geographique et physique fonde sur des observations astronomiques, des mesures trigonometriques et des nivellemens barometriques. -- Deuxieme livraison. En annoncant la premiere livraison de cet ouvrage, on a fait connaitre dans ce Journal le plan que l'auteur s'est propose de suivre. On a indique d'une maniere generale l'ensemble des objets qui ont fixe son attention. Aujourd'hui on va donner une idee de l'ouvrage meme, en inserant ici un des morceaux les plus susceptibles d'etre detaches. M. de Humboldt trace le tableau physique de la Nouvelle-Espagne; il decrit la construction des montagnes, l'influence des inegalites du sol, sur le climat et la culture du pays; passant a l'etat de la population actuelle et aux elemens qui la composent, il continue ainsi son discours: Un prejuge tres-repandu en Europe, fait croire qu'un tres-petit nombre d'indigenes a teint cuivre ou de descendans des anciens Mexicains, se sont conserves jusqu'a nos jours. Les cruautes des Europeens ont fait disparaeitre entierement les anciens habitans des eiles Antilles. On n'est point parvenu a cet horrible resultat sur le continent de l'Amerique. Dans la Nouvelle - Espagne, le nombre des Indiens excede deux millions et demi, en ne comptant que ceux qui sont de race pure, sans melange de sang europeen ou africain. Ce qui est plus consolant encore, et nous le repetons, c'est que, loin de s'eteindre, la population des indigenes a augmente considerablement depuis cinquante ans, comme le prouvent les registres de la capitation ou du tribut. Je serais saur d'interesser le lecteur par une description detaillee des moeurs, du caractere, de l'etat physique et intellectuel de ces indigenes du Mexique, que les lois espagnoles designent par la denomination d'Indiens. L'interet general que l'on marque en Europe pour ces restes de la population primitive du Nouveau-Continent, part d'une source morale qui honore l'humanite. L'histoire de la conquete de l'Amerique et de l'Indostan presente le tableau d'une lutte egale entre des peuples avances dans les arts et d'autres qui n'etaient encore qu'au premier degre de la civilisation. Cette race infortunee des Azteques, qui avait echappe au carnage, paraissait destinee a s'eteindre sous une oppression de plusieurs siecles. On a de la peine a se persuader que pres de deux millions et demi d'aborigenes aient pu survivre a ces longues calamites. L'habitant du Mexique et du Perou, l'Indien du Gange, fixent, d'une maniere bien differente du Chinois ou du Japonais, l'attention de l'observateur doue de sensibilite. Tel est l'interet qu'inspire le malheur d'un peuple vaincu, qu'il rend meme souvent injuste envers les descendans du peuple vainqueur. Pour faire connaeitre les indigenes de la Nouvelle-Espagne, il ne suffirait pas de les depeindre dans leur etat actuel d'abrutissement et de misere; il faudrait remonter a l'epoque reculee ou, gouvernee d'apres ses lois, la nation pouvait deployer sa propre energie; il faudrait consulter les peintures hieroglyphiques, les constructions en pierres taillees et les ouvrages de sculpture qui se sont conserves jusqu'a nos jours, et qui, attestant l'enfance des arts, offrent cependant des analogies frappantes avec plusieurs monumens des peuples les plus civilises. Ces recherches sont reservees pour la relation historique de notre expedition aux Tropiques. La nature de cet ouvrage ne nous permet pas d'entrer dans des details d'ailleurs egalement importans pour l'histoire et pour l'etude psychologique de notre espece. Nous nous bornerons ici a indiquer les traits les plus saillans de ce vaste tableau des peuples indigenes de l'Amerique. Les Indiens de la Nouvelle-Espagne ressemblent, en general, a ceux qui habitent le Canada et la Floride, le Perou et le Bresil: meme couleur basanee et cuivree, cheveux plats et lisses, peu de barbe, le corps trapu, l'oeil allonge, ayant le coin dirige par en haut vers les tempes; les pommettes saillantes, les levres larges, dans la bouche une expression de douceur qui contraste avec un regard sombre et severe. La race americaine est, apres la race hyperboreenne, la moins nombreuse; mais elle occupe le plus grand espace sur le globe. Sur un million et demi de lieues carrees, depuis les eiles de la Terre-de-Feu jusqu'au fleuve Saint-Laurent et au detroit de Bering, on est frappe, au premier abord, de la ressemblance que presentent les traits des habitans. On croit reconnaeitre que tous descendent d'une meme souche, malgre l'enorme difference des langues qui les eloigne les uns des autres. Cependant, en reflechissant plus serieusement sur cet air de famille, en vivant plus long-tems parmi les indigenes de l'Amerique, on remarque que des voyageurs celebres qui n'ont pu observer que quelques individus sur les cotes, ont singulierement exagere l'analogie des formes dans la race americaine. La culture intellectuelle est ce qui contribue le plus a diversifier les traits. Chez les peuples barbares, il existe plutot une physionomie de tribu, de horde, qu'une physionomie propre a tel ou tel individu. En comparant les animaux domestiques a ceux qui habitent nos forets, on croit faire la meme observation. Mais l'Europeen, en jugeant de la grande ressemblance des races qui ont la peau tres-basanee, est, de plus, sujet a une illusion particuliere; il est frappe d'un teint aussi different du notre, et l'uniformite du coloris fait long-tems disparaeitre a ses yeux la difference des traits individuels. Le nouveau colon a de la peine a distinguer les indigenes, parce que ses yeux sont moins fixes sur l'expression douce, melancolique ou feroce du visage, que sur la couleur d'un rouge cuivre, et sur les cheveux noirs, luisans, grossiers et tellement lisses, qu'on les croirait constamment mouilles. On reconnaeit sans doute dans le tableau fidele qu'un excellent observateur, M. Volney, a trace des Indiens du Canada, les peuplades eparses dans les prairies du Rio Apure et du Carony. Le meme type existe dans les deux Ameriques; mais les Europeens qui ont navigue sur les grandes rivieres de l'Orenoque et de l'Amazone, ceux qui ont eu occasion de voir un grand nombre de tribus diverses assemblees sous la hierarchie monastique dans les missions, auront observe que la race americaine offre des peuples qui, par leurs traits, different aussi essentiellement les uns des autres que les varietes nombreuses de la race du Caucase, les Circassiens, les Maures et les Perses. La forme elancee des Patagons qui habitent l'extremite australe du nouveau Continent, se retrouve, pour ainsi dire, chez les Caribes qui habitent les plaines depuis le Delta de l'Orenoque jusqu'aux sources du Rio Blanco. Quelle difference entre la taille, la physionomie et la constitution physique de ces Caribes, que l'on doit compter parmi les peuples les plus robustes de la terre, et qu'il ne faut pas confondre avec les Zambos degeneres, appeles jadis Caribes a l'eile de Saint-Vincent, et le corps trappu des Indiens chaymas de la province de Cumana! Quelle difference de forme entre les Indiens de Tlascala et les Lipans et Chichimeques de la partie septentrionale du Mexique!....... Quant aux facultes morales des indigenes mexicains, il est difficile de les apprecier avec justesse, si l'on ne considere cette caste souffrante sous une longue tyrannie que dans son etat actuel d'avilissement. Au commencement de la conquete espagnole, les Indiens les plus aises, et chez lesquels on pouvait supposer une certaine culture intellectuelle, perissaient, en grande partie, victimes de la ferocite des Europeens. Le fanatisme chretien sevit sur-tout contre les pretres azteques: on extermina les Teopixqui ou ministres de la Divinite, les Teocalli ou les maisons de Dieu, et que l'on pourrait considerer comme depositaires des connaissances historiques, mythologiques et astronomiques du pays; car c'etaient les pretres qui observaient l'ombre meridienne aux gnomons, et qui reglaient les intercalations. Les moines firent brauler les peintures hieroglyphiques par lesquelles des connaissances de tout genre se transmettaient de generation a generation. Prives de ces moyens d'instruction, le peuple retomba dans une ignorance d'autant plus profonde, que les missionnaires, peu verses dans les langues mexicaines, substituaient peu d'idees nouvelles aux idees anciennes. Les femmes indiennes qui avaient conserve quelque fortune, aimerent mieux s'allier au peuple conquerant que de partager le mepris qu'on avait pour les Indiens. Les soldats espagnols etaient d'autant plus avides de ces alliances, que tres-peu de femmes europeennes avaient suivi l'armee. Il ne resta donc des naturels que la race la plus indigente; les pauvres cultivateurs, les artisans, parmi lesquels on comptait un grand nombre de tisserands, les portefaix dont on se servait comme de betes de somme, et sur-tout cette lie du peuple, cette foule de mendians qui, attestant l'imperfection des institutions sociales et le joug de la feodalite, remplissaient deja, du tems de Cortez, les rues de toutes les grandes villes de l'Empire mexicain. Or, comment juger, d'apres ces restes miserables d'un peuple puissant, et du degre de culture auquel il s'etait eleve depuis le 12e au 16e siecle, et du developpement intellectuel dont il est susceptible? Si de la nation francaise ou allemande il ne restait un jour que les pauvres agriculteurs, lirait-on dans leurs traits qu'ils appartenaient a des peuples qui ont produit les Descartes, les Clairaut, les Kepler et les Leibnitz? De Teotl, Dieu. Nous observons que, meme en Europe, le bas peuple, pendant des siecles entiers, ne fait que des progres infiniment lents dans la civilisation. Le paysan bas-breton, l'habitant de l'Ecosse septentrionale, different aujourd'hui bien peu de ce qu'ils etaient du tems de Henri IV et de Jacques I er. En etudiant ce que les lettres de Cortez, les Memoires de Bernal Diaz, ecrits avec une admirable naivete, et d'autres historiens contemporains, nous rapportent sur l'etat dans lequel on trouva, du tems du roi Montezuma II, les habitans de Mexico, de Tezcuco, de Chollan et de Tlascala, on croit voir le tableau des Indiens de nos tems: meme nudite dans les regions chaudes, meme forme de vetemens sur le plateau central, memes habitudes dans la vie domestique. Comment aussi de grands changemens pourraient-ils s'operer sur les indigenes, quand on les tient isoles dans les villages dans lesquels les blancs n'osent pas s'etablir; quand la difference des langues met une barriere presqu'insurmontable entr'eux et les Europeens, quand ils sont vexes par des magistrats que des considerations politiques font choisir dans leur sein, quand enfin ils ne doivent attendre leur perfectionnement moral et civil que d'un homme qui leur parle de mysteres, de dogmes et de ceremonies dont ils ignorent le but? Il ne s'agit point ici de discuter ce que les Mexicains ont ete avant la conquete des Espagnols; nous avons touche cet objet interessant au commencement de ce chapitre. En observant que les indigenes avaient une connaissance presque exacte de la grandeur de l'annee, qu'ils intercalaient a la fin de leur grand cycle de 104 ans avec plus d'exactitude que les Grecs , les Romains et les Egyptiens, on est tente de croire que ces progres ne sont pas l'effet du developpement intellectuel des Americains meme, mais qu'ils les devaient a leur communication avec quelque peuple tres-cultive de l'Asie centrale. Les Toulteques paraissent dans la Nouvelle-Espagne au 7e, les Azteques au 12e siecles; deja ils dressent la carte geographique du pays parcouru; deja ils construisent des villes, des chemins, des digues, des canaux, d'immenses pyramides tres-exactement orientees, et dont la base a jusqu'a 438 metres de long. Leur systeme de feodalite, leur hierarchie civile et militaire se trouvent des-lors si compliques, qu'il faut supposer une longue suite d'evenemens politiques pour que l'enchaeinement singulier des autorites, de la noblesse et du clerge ait pu s'etablir, et pour qu'une petite portion du peuple, esclave elle-meme du sultan mexicain, ait pu subjuguer la grande masse de la nation. L'Amerique meridionale nous offre des formes de gouvernemens theocratiques: tels etaient ceux du Zaque de Bogota (l'ancienne Cundinamarca) et de l'Ynca du Perou, deux Empires etendus dans lesquels le despotisme se cachait sous les apparences d'un regime doux et patriarchal. Au Mexique, au contraire, de petites peuplades, lassees de la tyrannie, s'etaient donne des constitutions republicaines. Or, ce n'est qu'apres de longs orages populaires que ces constitutions libres peuvent se former. L'existence des republiques n'indique pas une civilisation tres-recente. Comment, en effet, douter qu'une partie de la Nation mexicaine ne faut parvenue a un certain degre de culture, en M. Laplace a reconnu dans l'intercalation mexicaine, sur laquelle je lui ai fourni des materiaux recueillis par Cama, que la duree de l'annee tropique des Mexicains est presque identique avec la duree trouvee par les astronomes d'Almamon. Voyez, sur cette observation importante pour l'histoire, de l'origine des Azteques, l'Exposition du systeme du Monde, troisieme edition, page 554. L'empire du Zaque, qui embrassait le royaume de la Nouvelle-Grenade, fut fonde par Idacanzas ou Bochica, personnage mysterieux qui, d'apres les traditions des Mozcas, vecut dans le temple du soleil de Sogamozo pendant deux mille ans. Voyage de MM. Humboldt et Bonpland . Il a paru jusqu'ici du Voyage de MM. Humboldt et Bonpland: Essai sur la Geographie des plantes, et tableau physique des regions equinoxiales; prix, 40 fr.; papier velin, 60 fr. Recueil d'observations de Zoologie et d'Anatomie comparee, livraisons 1--4, 60 fr.; pap. vel., 84 fr. Essai politique sur le royaume de la Nouvelle-Espagne, avec atlas, livraison 1--2, 84 fr.; pap. vel., 108 fr. Recueil d'observations astronomiques, avec le tableau du nivellement barometrique, et le conspectus longitudinum et latitudinum, d'apres les calculs de M. Oltmanns, livraison 1--2, 66 fr.; pap. vel., 98 fr. Plantes equinoxiales, livraison 1--10, 298 fr. Monographie des Melastomes et des Rhexia (les deux derniers ouvrages rediges par M. Bonpland), livraison 1--8, 288 fr. Total, 821 fr.; pap. vel., 915 fr. Toutes les parties se vendent separement a Paris, chez T. Schoell, rue des Fosses-Saint-Germain-l'Auxerrois, n° 29. Troisieme Partie. Essai politique sur le royaume de la Nouvelle- Espagne, par Alexandre de Humboldt; avec un atlas geographique et physique fonde sur des observations astronomiques, des mesures trigonometriques et des nivellemens barometriques. -- Deuxieme livraison. (Voyez le n° d'hier.) Les Americains, comme les habitans de l'Indoustan et comme tous les peuples qui ont gemi long-tems sous le despotisme civil et religieux, tiennent avec une opiniatrete extraordinaire a leurs habitudes, a leurs moeurs, a leurs opinions. Je dis a leurs opinions, car l'introduction du christianisme n'a presque pas produit d'autre effet sur les indigenes du Mexique, que de substituer des ceremonies nouvelles, symbole d'une religion douce et humaine, aux ceremonies d'un culte sanguinaire. Ce passage d'un rite ancien a un rite nouveau, a ete l'effet de la contrainte et non de la persuasion. Des evenemens politiques ont amene ce changement. Dans le nouveau continent, comme dans l'ancien, les peuples a demi-barbares etaient accoutumes a recevoir des mains du vainqueur, de nouvelles lois, de nouvelles divinites; les dieux indigenes et vaincus leur paraissaient ceder aux dieux etrangers. Dans une mythologie aussi compliquee que celle des Mexicains, il etait facile de trouver une parente entre les divinites d'Aztland et celle de l'Orient. Cortez sut meme profiter adroitement d'une tradition populaire, d'apres laquelle les Espagnols n'etaient que les descendans du roi Quitzalcoatl, qui avait passe du Mexique a des pays situes a l'est, pour y porter la culture et les lois. Les livres rituels que les Indiens composerent en caractere hieroglyphiques au commencement de la conquete, et dont je possede quelques fragmens, demontrent evidemment qu'a cette epoque, le christianisme se confondait avec la mythologie mexicaine: le Saint-Esprit s'identifiait avec l'aigle sacre des Azteques. Les missionnaires ne toleraient pas seulement, ils favorisaient meme, jusqu'a un certain point, ce melange d'idees par lequel le culte chretien s'introduisait plus facilement chez les indigenes; ils leur persuaderent que l'Evangile, dans des tems tres-anciens, avait deja ete preche en Amerique; ils en rechercherent les traces dans le rite azteque avec la meme ardeur avec laquelle, de nos jours, les savans qui s'adonnent a l'etude du sanscrit, discutent l'analogie de mythologie grecque avec celle des bords du Gange et de Burampouter. Ces circonstances, qui seront detaillees dans un autre ouvrage, expliquent comment les indigenes mexicains, malgre l'opiniatrete avec laquelle ils adherent a tout ce qui leur vient de leurs peres, ont oublie facilement leurs rites anciens. Ce n'est pas un dogme qui a cede au dogme; ce n'est qu'un ceremonial qui a fait place a l'autre. Les natifs ne connaissent de la religion que les formes exterieures du culte. Amateurs de tout ce qui tient a un ordre de ceremonies prescrites, ils trouvent dans le culte chretien des jouissances particulieres. Les fetes de l'eglise, les feux d'artifice qui les accompagnent, les processions, melees de danses et de travestissemens baroques, sont pour le bas peuple indien une source feconde de divertissemens. C'est dans ces fetes que se deploie le caractere national dans toute son individualite. Partout le rite chretien a pris les nuances du pays dans lequel il a ete transplante. Aux eiles Philippines et Marianes, les peuples de la race Malaye l'ont mele aux ceremonies qui leur sont propres. Dans la province de Pasto, sur le dos de la Cordilliere des Andes, j'ai vu des Indiens masques et ornes de grelots, executer des danses sauvages autour de l'autel, tandis qu'un moine de St. Francois elevait l'hostie. Accoutumes a un long esclavage, tant sous la domination de leurs propres souverains que sous celle des premiers conquerans, les indigenes du Mexique souffrent patiemment les vexations auxquelles ils sont encore assez souvent exposes de la part des blancs. Ils ne leur opposent qu'une ruse voilee sous les apparences les plus trompeuses de l'apathie et de la stupidite. Ne pouvant se venger que rarement des Espagnols, l'Indien se plaeit a faire cause commune avec ceux-ci pour opprimer ses propres concitoyens. Vexe depuis des siecles, force a une obeissance aveugle, il a le desir de tyranniser a son tour. Les villages indiens sont gouvernes par des magistrats de la race cuivree; un alcade indien exerce son pouvoir avec une durete d'autant plus grande, qu'il est saur d'etre soutenu ou par le cure, ou par le subdelegue espagnol. L'oppression a par-tout les memes effets, par-tout elle corrompt la morale. Les indigenes appartenant presque tous a la classe des paysans et du bas peuple, il n'est pas facile de juger de leur aptitude pour les arts qui embellissent la vie. Je ne connais aucune race d'hommes qui paraisse plus denuee d'imagination. Lorsqu'un Indien parvient a un certain degre de culture, il montre une grande facilite d'apprendre, un esprit juste, une logique naturelle, un penchant particulier a subtiliser ou a saisir les differences les plus fines des objets a comparer; il raisonne froidement et avec ordre; mais il ne manifeste pas cette mobilite d'imagination, ce coloris du sentiment, cet art de creer et de produire qui caracterisent les peuples du midi de l'Europe et plusieurs tribus de Negres africains. Je n'enonce cependant cette opinion qu'avec reserve; il faut etre infiniment circonspect en prononcant sur ce que l'on ose appeler les dispositions morales ou intellectuelles des peuples dont nous sommes separes par les entraves multipliees qui naissent de la difference des langues, de celle des habitudes et des moeurs. Un observateur philosophe trouve inexact ce que, dans le centre de l'Europe cultivee, on a imprime sur le caractere national des Espagnols, des Francais, des Italiens et des Allemands. Comment un voyageur, apres avoir aborde dans une eile, apres avoir sejourne pendant quelque tems dans un pays lointain, s'arrogerait-il le droit de prononcer sur les diverses facultes de l'ame, sur la preponderance de la raison, de l'esprit et de l'imagination des peuples? La musique et la danse des indigenes se ressentent du manque de gaeite qui les caracterise. Nous avons, M. Bonpland et moi, observe la meme chose dans toute l'Amerique meridionale. Le chant est lugubre et melancolique. Les femmes indiennens deploient plus de vivacite que les hommes; mais elles partagent les malheurs de l'asservissement auquel le sexe est condamne chez tous les peuples ou la civilisation est encore tres imparfaite. Les femmes ne prennent point part a la danse; elles y assistent pour presenter aux danseurs des boissons fermentees qu'elles ont preparees de leurs mains. Les Mexicains ont conserve un goaut particulier pour la peinture et pour l'art de sculpter en pierre et en bois. On est etonne de voir ce qu'ils executent avec un mauvais couteau et sur les bois les plus durs. Ils s'exercent sur-tout a peindre des images et a sculpter des statues de saints. Ils imitent servilement, depuis trois cents ans les modeles que les Europeens ont portes avec eux au commencement de la conquete. Cette imitation tient meme a un principe religieux qui date de tres-loin. Au Mexique, comme dans l'Indoustan, il n'etait pas permis aux fideles de changer la moindre chose a la figure des idoles. Tout ce qui appartenait au rite des Azteques et des Hindous etait assujetti a des lois immuables. C'est par cette meme raison que l'on juge mal de l'etat des arts et du goaut national chez ces peuples, si l'on ne considere que les figures monstrueuses sous lesquelles ils representaient leurs divinites. Au Mexique, les images chretiennes ont conserve en partie cette roideur et cette durete des traits qui caracterisaient les tableaux hieroglyphiques du siecle de Montezuma. Plusieurs enfans indiens eleves dans les colleges de la capitale, ou instruits dans l'academie de peinture fondee par le roi, se sont distingues, sans doute; mais c'est moins par leur genie que par leur application; sans sortir jamais de la route frayee, ils montrent beaucoup d'aptitude pour l'exercice des arts d'imitation; ils en deploient une plus grande encore pour les arts purement mecaniques. Cette aptitude deviendra un jour tres-precieuse, lorsque les manufactures prendront de l'essor dans un pays ou il reste tout a creer a un gouvernement regenerateur. Les Indiens mexicains ont conserve le meme goaut pour les fleurs, que Cortez leur trouvait de son tems. Un bouquet etait le cadeau le plus precieux que l'on feit aux ambassadeurs qui visitaient la cour de Montezuma. Ce monarque et ses predecesseurs avaient reuni un grand nombre de plantes rares dans les jardins d'Istapalapan. Le fameux arbre des mains, le Cheirostemon , decrit par M. Cervantes, et dont on ne connut pendant long-tems qu'un seul individu d'une haute antiquite, paraeit indiquer que les rois de Toluca cultivaient aussi des arbres etrangers a cette partie du Mexique. Cortez, dans ses lettres a l'empereur Charles-Quint, vante souvent l'industrie que les Mexicains deployaient dans le jardinage; il se plaint que l'on ne lui envoie pas les graines des fleurs d'ornement et de plantes utiles qu'il a demandees a ses amis de Seville et de Madrid. Le goaut pour les fleurs indique sans doute le sentiment du beau. On est etonne de le trouver chez une nation dans laquelle un culte sanguinaire et la frequence des sacrifices paraissaient avoir eteint tout ce qui tient a la sensibilite de l'ame et a la douceur des affections. Au grand marche de Mexico, le natif ne vend pas de peches, pas d'ananas, pas de legumes, pas de pulque (le jus fermente de l'agave), sans que sa boutique ne soit ornee de fleurs qui se renouvellent tous les jours. Le marchand indien paraeit assis dans un retranchement de verdure. Une haie d'un metre de haut et formee d'herbes fraeiches, sur-tout de graminees a feuilles delicates, entoure, comme un mur semi-circulaire, les fruits qui sont offerts au public. Le fond, d'un vert uni, est divise par des guirlandes de fleurs qui sont paralleles les unes aux autres. De petits bouquets places symetriquement entre les festons, donnent a cette enceinte l'apparence d'un tapis parseme de fleurs. L'Europeen qui se plaeit a etudier les habitudes du bas peuple, doit aussi etre frappe du soin et de l'elegance avec lesquels les natifs distribuent les fruits qu'ils vendent dans de petites cages faites d'un bois tres-leger. Les sapotilles (achras), le mammea, les poires et les raisins en occupent le fond, tandis que le sommet est orne de fleurs odoriferantes. Cet art d'entrelacer des fleurs et des fruits date-t-il peutetre de cette epoque heureuse ou, long-tems avant l'introduction d'un rite inhumain, semblables aux Peruviens, les premiers habitans d'Anahuac offraient au grand esprit Teotl les premices de leur recolte? M. Bonpland en a donne une figure dans nos Plantes equinoxiales, vol. 1, p. 75, pl. 24. Depuis peu, on a des pieds de l'arbol de las manitas dans les jardins de Montpellier et de Paris. Le cheirostemon est aussi remarquable, par la forme de sa corolle, que l'est, par la forme de ses fruits, le gyrocarpus mexicain que nous avons introduit dans les jardins d'Europe, et dont le celebre Jacquin n'avait pu trouver la fleur. Ces traits epars qui caracterisent les natifs du Mexique appartiennent a l'Indien cultivateur, dont la civilisation, comme nous l'avons enonce plus haut, se rapproche de celle des Chinois et des Japonais. Je ne pourrais depeindre que plus imparfaitement encore les moeurs des Indiens nomades que les Espagnols embrassent sous la denomination d'Indios bravos, et dont je n'ai vu que quelques individus, transportes a la capitale comme prisonniers de guerre. Les Mecos (tribu des Chichimeques), les Apaches, les Lipans, sont des hordes de peuples chasseurs qui, dans leurs courses souvent nocturnes, infestent les frontieres de la Nouvelle-Biscaye, de la Sonora et du Nouveau- Mexique. Ces sauvages, comme ceux de l'Amerique-Meridionale meridionale, annoncent plus de mobilite d'esprit, plus de force de caractere que les Indiens cultivateurs. Quelques peuplades ont meme des langues dont le mecanisme prouve une ancienne civilisation. Ils ont beaucoup de difficulte d'apprendre nos idiomes europeens, tandis qu'ils s'expriment dans le leur avec une facilite extreme. Ces memes chefs indiens, dont la morne taciturnite etonne l'observateur, tiennent des discours de plusieurs heures, lorsqu'un grand interet les excite a rompre leur silence habituel. Nous avons observe cette meme volubilite de langue, dans les missions de la Guiane espagnole, parmi les Caribes du Bas-Orenoque, dont le langage est singulierement riche et sonore. Apres avoir examine la constitution physique et les facultes intellectuelles des Indiens, il nous reste a jeter un coup-d'oeil rapide sur leur etat social. L'histoire des dernieres classes d'un peuple est la relation des evenemens qui, en fondant a-la-fois une grande inegalite de fortune, de jouissances et de bonheur individuel, ont place peu-a-peu une partie de la nation sous la tutelle et dans la dependance de l'autre. Cette relation, nous la cherchons presqu'en vain dans les annales de l'histoire; elles conservent la memoire des grandes revolutions politiques, des guerres, des conquetes et d'autres fleaux qui ont accable l'humanite; mais elles nous apprennent peu sur le sort plus ou moins deplorable de la classe la plus pauvre et la plus nombreuse de la societe. Il n'y a qu'une tres-petite partie de l'Europe dans laquelle le cultivateur jouisse librement du fruit de ses travaux, et cette liberte civile, nous sommes forces de l'avouer, n'est point autant le resultat d'une civilisation avancee que l'effet de ces crises violentes pendant lesquelles une classe ou un etat a profite des dissensions des autres. Un vrai perfectionnement des institutions sociales depend, sans doute, des lumieres et du developpement intellectuel; mais l'enchaeinement des ressorts qui meuvent un etat est tel que, dans une partie de la nation, ce developpement peut faire des progres tres-marquans, sans que la situation des dernieres classes en devienne plus heureuse. Presque tout le nord de l'Europe nous confirme cette triste experience; il y existe des pays dans lesquels, malgre la civilisation vantee des hautes classes de la societe, le cultivateur vit encore aujourd'hui dans le meme avilissement sous lequel il gemissait trois ou quatre siecles plutot. Nous trouverions peut-etre le sort des Indiens plus heureux, si nous le comparions a celui des paysans de la Courlande, de la Russie et d'une grande partie de l'Allemagne septentrionale. Les indigenes que nous voyons repandus aujourd'hui dans les villes, et sur-tout dans la campagne du Mexique, et dont le nombre (en excluant ceux de sang mele) s'eleve a deux millions et demi, sont ou descendans d'anciens cultivateurs, ou les restes de quelques grandes familles indiennes qui, dedaignant de s'allier aux conquerans espagnols, ont prefere de labourer de leurs mains les champs que jadis ils faisaient cultiver par leurs vassaux. Cette difference influe sensiblement sur l'etat politique des natifs; elle les divise en Indiens tributaires et Indiens nobles ou Caciques. Ces derniers, d'apres les lois espagnoles, doivent participer aux privileges de la noblesse de Castille. Mais, dans leur situation actuelle, cet avantage n'est qu'illusoire. Il est difficile de distinguer, par leur exterieur, les Caciques de ces indigenes dont les ancetres, du tems de Montezuma II, constituaient deja le bas peuple ou la derniere caste de la nation mexicaine. Le noble, par la simplicite de son vetement et de sa nourriture, par l'aspect de misere qu'il aime a presenter, se confond facilement avec l'Indien tributaire. Ce dernier temoigne au premier un respect qui indique la distance prescrite par les anciennes constitutions de la hierarchie azteque. Les familles qui jouissent des droits hereditaires du Cacicasgo, loin de proteger la caste des natifs tributaires, abusent le plus souvent de leur influence. Exercant la magistrature dans les villages indiens, ce sont eux qui levent la capitation. Non-seulement ils se plaisent a devenir les instrumens des vexations des blancs, mais ils se servent aussi de leur pouvoir et de leur autorite pour extorquer de petites sommes a leur profit. Des intendans eclaires, qui ont etudie pendant longtems l'interieur de ce regime indien, assurent que les caciques pesent fortement sur les indigenes tributaires. De meme dans plusieurs parties de l'Europe, ou les juifs sont encore prives des droits de citoyen, les rabbins pesent sur les membres de la commune qui leur est confiee. La noblesse azteque offre, d'ailleurs, la meme grossierete de moeurs, le meme manque de civilisation que le bas peuple indien; elle demeure, pour ainsi dire, dans le meme isolement, et les exemples de natifs mexicains qui, jouissant du Cacicasgo, ont suivi la carriere de la robe ou de l'epee, sont infiniment rares. On trouve plus d'Indiens qui ont embrasse l'etat ecclesiastique, surtout celui de cure: la solitude des couvens ne paraeit avoir d'attraits que pour les jeunes filles indiennes. (La suite a un prochain numero.) Voyage de MM. Humboldt et Bonpland . Il a paru jusqu'ici du Voyage de MM. Humboldt et Bonpland: Essai sur la Geographie des plantes, et tableau physique des regions equinoxiales; prix, 40 fr.; papier velin, 60 fr. Recueil d'observations de Zoologie et d'Anatomie comparee, livraisons 1--4, 60 fr.; pap. vel., 84 fr. Essai politique sur le royaume de la Nouvelle-Espagne, avec atlas, livraison 1--2, 84 fr.; pap. vel., 108 fr. Recueil d'observations astronomiques, avec le tableau du nivellement barometrique, et le conspectus longitudinum et latitudinum, d'apres les calculs de M. Oltmanns, livraison 1--2, 66 fr.; pap. vel., 98 fr. Plantes equinoxiales, livraison 1--10, 298 fr. Monographie des Melastomes et des Rhexia (les deux derniers ouvrages rediges par M. Bonpland), livraison 1--8, 288 fr. Total, 821 fr.; pap. vel., 915 fr. Toutes les parties se vendent separement a Paris, chez T. Schoell, rue des Fosses-Saint-Germain-l'Auxerrois, n° 29. Troisieme Partie. Essai politique sur le royaume de la Nouvelle- Espagne, par Alexandre de Humboldt; avec un atlas geographique et physique fonde sur des observations astronomiques, des mesures trigonometriques et des nivellemens barometriques. -- Deuxieme livraison. (Fin de la citation. -- Voyez les nos d'avant-hier et d'hier.) Lorsque les Espagnols firent la conquete du Mexique, ils trouverent deja le peuple dans cet etat d'abjection et de pauvrete qui accompagne par-tout le despotisme et la feodalite. L'empereur, les princes, la noblesse et le clerge (les Teopixqui) possedaient seuls les terres les plus fertiles; les gouverneurs de province se permettaient impunement les exactions les plus graves; le cultivateur etait avili. Les grands chemins, comme nous l'avons observe plus haut, fourmillaient de mendians; le manque de grands quadrupedes domestiques forcait des milliers d'Indiens a faire le metier des betes de somme et a servir pour le transport du mais, du coton, des peaux et d'autres denrees que les provinces les plus eloignees envoyaient comme tribut a la capitale. La conquete rendit l'etat du bas peuple bien plus deplorable encore; on arracha le cultivateur au sol, pour le traeiner dans des montagnes ou commencait l'exploitation des mines; un grand nombre d'Indiens fut oblige de suivre les armees, et de porter, manquant de nourriture et de repos, par des chemins montueux, des fardeaux qui excedaient leurs forces. Toute propriete indienne, soit mobiliaire, soit fonciere, etait regardee comme appartenant au vainqueur. Ce principe atroce fut meme sanctionne par une loi qui assigne aux indigenes une petite portion de terrein autour des eglises nouvellement construites. La cour d'Espagne, voyant que le nouveau Continent se depeuplait d'une maniere rapide, prit des mesures bienfaisantes en apparence, mais que l'avarice et la ruse des conquerans (Conquistadores) sut faire tourner contre ceux dont on se flattait de soulager les malheurs. On introduisit le systeme des Encomiendas. Les indigenes, dont la reine Isabelle avait vainement proclame la liberte, etaient jusqu'alors esclaves des blancs, qui se les agregeaient indistinctement. Par l'etablissement des Encomiendas, l'esclavage prit des formes plus regulieres. Pour finir les rixes entre les Conquistadores, on partagea les restes du peuple conquis: les Indiens, divises en tribus de plusieurs centaines de familles, eurent des maeitres nommes en Espagne parmi les soldats qui s'etaient distingues dans la conquete, et parmi les gens de loi, que la cour envoya pour gouverner les provinces et pour servir de contre-poids au pouvoir usurpateur des generaux. Un grand nombre d'Encomiendas et des plus beaux, furent distribues aux moines. La religion qui, par ses principes, devait favoriser la liberte, fut avilie en profitant elle-meme de la servitude du peuple. Cette repartition des Indiens les attacha a la glebe: leur travail appartenait aux Encomenderos. Le serf prit souvent le nom de famille de son maeitre. Beaucoup de familles indiennes portent encore aujourd'hui des noms espagnols, sans que leur sang ait jamais ete mele au sang europeen. La cour de Madrid croyait avoir donne des protecteurs aux Indiens; elle avait empire le mal, elle avait rendu l'oppression plus systematique. Tel fut l'etat des cultivateurs mexicains au 16e et au 17e siecle. Depuis le 18e, leur sort a commence a devenir progressivement plus heureux. Les familles des Conquistadores se sont eteintes en partie. Les Encomiendas, consideres comme fiefs, n'ont point ete distribues de nouveau. Les vice-rois, et sur-tout les Audiencias, ont veille sur les interets des Indiens; leur liberte, et, dans plusieurs provinces, leur aisance meme, ont augmente peu-a-peu. C'est le roi Charles III sur-tout, qui, par des mesures aussi sages qu'energiques, est devenu le bienfaiteur des indigenes: il a annulle les Encomiendas; il a defendu les Repartimientos, par lesquels les Corregidors se constituaient arbitrairement les creanciers, et par consequent les maeitres du travail des natifs, en les pourvoyant, a des prix exageres, de chevaux, de mulets et de vetemens (ropa). L'etablissement des intendances, que l'on doit au ministere du comte de Galvez, est devenu sur-tout une epoque memorable pour le bienetre des Indiens. Les petites vexations auxquelles le cultivateur etait sans cesse expose de la part des magistrats subalternes espagnols et indiens, ont singulierement diminue sous la surveillance active des intendans; les indigenes commencent a jouir des avantages que les lois, generalement douces et humaines, leur ont accordes, mais dont ils ont ete prives dans des siecles de barbarie et d'oppression. Le premier choix des personnes auxquelles la cour a confie les places importantes d'intendans ou de gouverneurs de province, a ete tres-heureux. Parmi les douze qui administraient le pays en 1804, il n'y en avait pas un seul que le public accusat de corruption ou d'un manque d'integrite. Le Mexique est le pays de l'inegalite. Nulle part peut-etre il n'en existe une plus effrayante dans la distribution des fortunes, de la civilisation, de la culture du sol et de la population. L'interieur du royaume contient quatre villes qui ne sont eloignees les unes des autres que d'une ou de deux journees, et qui comptent 35,000, 67,000, 70,000 et 135,000 habitans. Le plateau central depuis la Puebla a Mexico, et de la a Salamanca et Zelaya, est couvert de villages et de hameaux comme les parties les plus cultivees de la Lombardie. A l'est et a l'ouest de cette bande etroite se prolongent des terreins non defriches, et sur lesquels on ne trouve pas dix a douze personnes par lieue carree. La capitale et plusieurs autres villes ont des etablissemens scientifiques que l'on peut comparer a ceux de l'Europe. L'architecture des edifices publics et prives, l'elegance de l'ameublement, les equipages, le luxe de l'habillement des femmes, le ton de la societe, tout annonce un raffinement avec lequel contraste la nudite, l'ignorance et la grossierete du bas peuple. Cette immense inegalite de fortune n'existe pas seulement parmi les castes des blancs (europeens ou indigenes); on la decouvre meme parmi les indigenes. Les Indiens mexicains, en les considerant en masse, presentent le tableau d'une grande misere. Relegues dans les terres les moins fertiles, indolens par caractere, et plus encore par suite de leur situation politique, les natifs ne vivent qu'au jour le jour. Presqu'en vain chercherait-on parmi eux des individus qui jouissent d'une certaine mediocrite de fortune. Au lieu d'une aisance heureuse, on trouve quelques familles dont la fortune paraeit d'autant plus colossale, qu'on s'y attend moins dans la derniere classe du peuple. Dans les intendances d'Oaxacca et de Valladolid, dans la vallee de Toluca, et sur-tout dans les environs de la grande ville de la Puebla de los Angeles, vivent quelques Indiens qui, sous l'apparence de la misere, recelent des richesses considerables. Lorsque je visitai la petite ville de Cholula, on y enterra une vieille femme indienne qui laissait a ses enfans des plantations de maguey (agave) pour plus de 360,000 fr. Ces plantations sont les vignobles et toute la richesse du pays. Cependant, il n'y a pas de caciques a Cholula; les Indiens y sont tous tributaires, et se distinguent par une grande sobriete, par des moeurs douces et paisibles . Ces moeurs des Cholulains contrastent singulierement avec celles de leurs voisins de Tlascala, dont un grand nombre pretend descendre de la noblesse la plus titree, et qui augmentent leur misere par leur goaut pour les proces et par un esprit inquiet et querelleur. Aux familles indiennes les plus riches appartiennent, a Cholula, les Axcotland, les Sarmientos et Romeros; a Guaxocingo, les Sochipiltecalt; et sur-tout dans le village de los Reyes, les Tecuanouegues. Chacune de ces familles possede un capital de 800,000 a 1,000,000 de livres tournois. Ils jouissent, comme nous l'avons indique plus haut, d'une grande consideration parmi les Indiens tributaires; mais ils vont generalement pieds nuds; couverts de la tunique mexicaine d'un tissu grossier et d'un brun noiratre, ils sont vetus comme le dernier de la race des indigenes. Apres l'examen de l'etat physique et moral des differentes castes qui composent la population mexicaine, le lecteur desirera sans doute voir aborder la question, quelle est l'influence de ce melange de races sur le bien-etre general de la societe, quel est le degre de jouissance et de bonheur individuel que, dans l'etat actuel du pays, l'homme cultive peut se procurer au milieu de ce conflit d'interets, de prejuges et de ressentimens? Nous ne parlons point ici des avantages qu'offrent les colonies espagnoles, par la richesse de leurs productions naturelles, par la fertilite de leur sol, par la facilite qu'y trouve l'homme de pouvoir choisir, a son gre et le thermometre a la main, sur un espace de quelques lieues carrees, la temperature ou le climat qu'il croit le plus favorable a son age, a sa constitution physique ou au genre de culture auquel il veut s'adonner. Nous ne retracons point le tableau de ces pays delicieux situes a mi-cote dans la region des chenes et des sapins, entre 1000 et 1400 metres de hauteur, ou regne un printems perpetuel ou les fruits les plus delicieux des Indes se cultivent aupres de ceux de l'Europe, et ou ces jouissances ne sont troublees ni par la multitude des insectes, ni par la crainte de la fievre jaune (vomito), ni par la frequence des tremblemens de terre. Il ne s'agit point ici de discuter si, hors des tropiques, il existe une region dans laquelle l'homme, avec moins de travail, puisse subvenir plus largement aux besoins d'une famille nombreuse. La prosperite physique du colon ne modifie pas seule son existence intellectuelle et morale. Lorsqu'un Europeen, qui a joui de tout ce qu'offre d'attrayant la vie sociale des pays les plus avances dans la civilisation, se transporte dans ces regions lointaines du nouveau Continent, il gemit a chaque pas de l'influence que, depuis des siecles, le gouvernement colonial a exercee sur le moral des habitans. L'homme instruit, qui ne s'interesse qu'au developpement intellectuel de l'espece, y souffre peut-etre moins que l'homme doue d'une grande sensibilite: le premier se met en rapport avec la metropole; les communications maritimes lui procurent des livres, des instrumens; il voit avec ravissement les progres que l'etude des sciences exactes a faits dans les grandes villes de l'Amerique espagnole: la contemplation d'une nature grande, merveilleuse, variee dans ses productions, dedommage son esprit des privations auxquelles sa position le condamne: le second ne trouve la vie agreable dans les colonies espagnoles qu'en se repliant sur lui-meme. C'est la que l'isolement et la solitude lui paraissent sur-tout desirables, s'il veut profiter paisiblement des avantages que presentent la beaute de ces climats, l'aspect d'une verdure toujours fraeiche, et le calme politique du Nouveau-Monde. En enoncant ces idees avec franchise, je n'accuse pas le caractere moral des habitans du Mexique ou du Perou; je ne dis pas que le peuple de Lima soit moins bon que celui de Cadix; j'inclinerais plutot a croire ce que beaucoup d'autres voyageurs ont observe avant moi, que les Americains sont doues par la nature d'une amenite et d'une douceur de moeurs qui tendent a la mollesse, comme l'energie de quelques nations europeennes degenere facilement en durete. Ce manque de sociabilite qui est en general dans les possessions espagnoles, ces haines qui divisent les castes les plus voisines, et dont les effets repandent de l'amertume dans la vie des colons, sont uniquement daus aux principes de politique qui, depuis le 16e siecle, ont gouverne ces regions. Un gouvernement eclaire sur les vrais interets de l'humanite, pourra propager les lumieres et l'instruction; il reussira a augmenter le bien etre physique des colons, en faisant peu a peu disparaeitre cette inegalite monstrueuse des droits et des fortunes: mais il trouvera d'immenses difficultes a vaincre, lorsqu'il voudra rendre les habitans sociables et leur apprendre a se regarder mutuellement comme concitoyens. N'oublions pas qu'aux Etats-Unis, la societe s'est formee d'une maniere bien differente qu'au Mexique et dans les autres regions continentales des colonies espagnoles. En penetrant dans les monts Alleghanys, les Europeens ont trouve des forets immenses dans lesquelles erraient quelques tribus de peuples chasseurs que rien n'attachait a un sol non defriche. A l'approche des nouveaux colons, les indigenes se retirerent peu a peu dans les savanes occidentales qui avoisinent le Mississipi et le Missoury. Ainsi des hommes libres d'une meme race, de la meme origine, devinrent les premiers elemens d'un peuple naissant. "Dans l'Amerique septentrionale, dit un homme celebre, un voyageur qui part d'une ville principale, ou l'etat social est perfectionne, traverse successivement tous les degres de civilisation et d'industrie, qui vont toujours en s'affaiblissant jusqu'a ce qu'il arrive, en tres-peu de jours, a la cabane informe et grossiere construite de troncs d'arbres nouvellement abattus. Un tel voyage est une sorte d'analyse pratique de l'origine des peuples et des Etats. On part de l'ensemble le plus compose pour arriver aux donnees les plus simples; on voyage en arriere dans l'histoire des progres de l'esprit humain; on retrouve dans l'espace ce qui n'est dau qu'a la succession du tems ." M. de Talleyrand, dans son Essai sur les Colonies nouvelles. Dans la Nouvelle-Espagne et au Perou, si l'on en excepte les missions, les colons ne sont nulle part rentres dans l'etat de nature. Se fixant au milieu des peuples agricoles, qui vivaient eux memes sous des gouvernemens aussi compliques que despotiques, les Europeens ont profite des avantages que leur offraient la preponderance de leur civilisation, leur astuce et l'autorite que leur donnait la conquete. Cette situation particuliere, et le melange de races dont les interets sont diametralement opposes, devinrent une source intarissable de haine et de desunion. A mesure que les descendans des Europeens furent plus nombreux que ceux que la metropole envoya directement, la race blanche se divisa en deux partis, dont les liens du sang ne peuvent calmer les ressentimens. Le gouvernement colonial, par une fausse politique, crut profiter de ces dissensions. Plus les colonies sont grandes, et plus l'administration prend un caractere de mefiance. D'apres des idees que malheureusement on a suivies depuis des siecles, ces regions lointaines sont considerees comme tributaires de l'Europe. On y distribue l'autorite, non point de la maniere que l'interet public l'exige, mais ainsi que le dicte la crainte de voir augmenter trop rapidement la prosperite des habitans. Cherchant la securite dans les dissensions civiles, dans la balance du pouvoir et dans une complication de tous les ressorts de la grande machine politique, la metropole travaille sans cesse a nourrir l'esprit de parti et a augmenter la haine que se portent mutuellement les castes et les autorites constituees. De cet etat de choses naeit une aigreur qui trouble les jouissances de la vie sociale.