RECHERCHES SUR LA RESPIRATION DES POISSONS; Par MM. PROVENCAL et HUMBOLDT. La respiration des animaux qui vivent habituellement sous l'eau, appartient aux problemes les plus interessans de la Physiologie. On a reconnu l'appareil respiratoire, designe sous le nom de branchies, non-seulement dans les animaux vertebres, mais encore dans les mollusques cephalopodes et acephales, dans les gasteropodes a coquilles, dans plusieurs crustaces (les ecrevisses, les homars et les mantes de mer), dans quelques vers a sang rouge (les nereides, les serpules, les sabelles). Il paroeit meme, d'apres les recherches de M. Cuvier, que les petits tubes charnus que l'on voit sortir sous l'eau, en forme de houppe, autour des epines des asteries, servent a pomper l'eau, et qu'ils font partie des organes de la respiration des zoophytes echinodermes. Les jeunes reptiles batraciens, avant leur metamorphose, respirent par des branchies libres qui ne sont pas persistantes. Dans la famille des urodeles, on trouve deux genres, la sirene bipede et le protee qui, en vrais amphibies, sont pendant toute leur vie munis a la fois de branchies et de poumons. Des huit classes d'animaux a vertebres et d'animaux invertebres dans lesquels les anatomistes ont reconnu des vaisseaux, il y en a, par consequent, six qui ont des appareils respiratoires, propres a mettre l'eau en contact avec le sang veineux. Si, d'un cote, les animaux dont le volume est le plus considerable, les quadrupedes pachydermes et les mammiferes cetaces, sont aeriens et respirent par des poumons; d'un autre cote, les animaux qui respirent par l'intermede de l'eau, sont les plus nombreux et surtout les plus varies, soit dans leur forme exterieure, soit dans le type de leur organisation interne. Plus grand est le role que jouent dans l'economie de la nature, les animaux aquatiques depourvus de poumons, et plus il est important d'examiner avec soin, quel est le mode d'action chimique qu'exerce l'eau sur le sang veineux dans les branchies des poissons, des mollusques, des vers marins et des crustaces astacoides. Depuis que Boyle et Mairan ont reconnu la dissolution de l'air dans l'eau, les physiologistes ont considere cet air dissous, comme l'agent principal dans la respiration des poissons. Cette opinion a ete generale jusqu'a l'epoque de la grande decouverte de la decomposition de l'eau. Des-lors plusieurs naturalistes ont avance que les branchies avoient la faculte de separer les deux principes constituans de ce liquide. L'abondance de matiere huileuse et adipeuse trouvee dans quelques familles de poissons, leur a meme paru une preuve directe de la decomposition de l'eau dans l'acte de la respiration. D'autres physiciens ont cru que les poissons munis a la fois de branchies et de vessies natatoires, respiroient d'une double maniere, en decomposant l'eau dans les branchies et en s'appropriant l'air dissous dans l'eau par la voie du systeme vasculaire, dont les dernieres ramifications s'epanouissent sur la vessie aerienne. Les experiences de Priestley et de Spallanzani ont affoibli ces hypotheses fondees sur l'idee d'une decomposition de l'eau dans les organes respiratoires. Le travail du celebre physicien italien est le plus etendu que l'on ait, jusqu'a ce jour, sur cet objet important. Spallanzani observa que les poissons exposes a l'air, absorbent de l'oxigene et produisent l'acide carbonique. Il trouva qu'une couche de gaz oxigene, placee sur la surface de l'eau dans laquelle vivoient des tanches, diminua sensiblement en volume; que les poissons meurent apres quelques heures, si l'eau n'est pas en contact avec l'air exterieur, et que de l'air atmospherique, place au-dessus d'un petit volume d'eau de riviere reposant sur du mercure, et contenant des poissons vivans, est peu a peu depourvu de son oxigene. Il remarqua aussi qu'une tanche, renfermee dans un flacon plein d'eau distillee, perit au bout de dix-huit heures, tandis qu'une autre, renfermee dans un flacon rempli d'eau commune, n'expira qu'apres trente heures. Il conclut de ces experiences faites dans l'eau de chaux, que les tanches produisent de l'acide carbonique, non-seulement par l'action de leurs branchies, mais par toute la surface de leur corps . Rapport de l'air avec les etres organises, par Jean Senebier, tom. I, pag. 130--187. Dans le cours de ce travail sur la respiration des poissons, Spallanzani ne retira jamais, par l'ebullition, l'air contenu dans l'eau sur laquelle les branchies avoient agi. Il ne put, par consequent, pas examiner le changement que ce melange gazeux avoit eprouve. Il n'aborda pas cette question importante, savoir, si les poissons, outre l'oxigene, absorbent aussi de l'azote dissous dans l'eau. M. Sylvestre a fait plusieurs experiences qui tendent a prouver que les poissons respirent l'air contenu dans l'eau, et qu'ils viennent, lorsqu'ils le peuvent, respirer l'air atmospherique a sa surface. Les resultats de ces dernieres experiences sont consignes dans le premier volume du Bulletin de la Societe Philomatique, pag. 17, et dans les Lecons d'anatomie comparee de Cuvier. M. Sylvestre a observe que des poissons vivent tres-peu de temps dans des recipiens entierement pleins d'eau, plus long-temps lorsqu'une couche d'air atmospherique couvre l'eau, encore plus long-temps lorsque l'air atmospherique est remplace par du gaz oxigene. Il a reconnu que l'eau dans laquelle les poissons avoient respire, contenoit beaucoup moins d'air que la meme eau qui n'avoit pas servi a cet usage, et que les poissons perissent au bout de tres-peu de temps, si, par un diaphragme place tres-pres de la surface de l'eau, on les empeche d'y venir prendre de l'air atmospherique. Les observations que nous venons de rapporter, surtout le travail etendu de Spallanzani, n'ont pas laisse de repandre du jour sur la respiration des animaux munis de branchies. Il restoit cependant un grand nombre de questions importantes a resoudre. Le savant physicien de Pavie avoit fait ses recherches a une epoque ou l'on ne connoissoit pas, a sept centiemes pres, la quantite d'oxigene contenue dans l'atmosphere; il ignoroit les moyens d'evaluer de tres-petites quantites d'hydrogene dans l'azote, et d'azote dans l'hydrogene; il employa une methode eudiometrique tres-imparfaite; il ne tenta pas d'examiner la nature de l'air contenu dans l'eau qui renferme des poissons vivans; il ne put determiner rigoureusement les changemens de proportions que subissent, par l'action vitale des branchies, des melanges gazeux d'azote et d'oxigene, ou d'oxigene, d'azote et d'hydrogene absorbes par de l'eau distillee. Ces considerations nous ont engages, M. Provencal et moi, a nous livrer a des recherches sur la respiration des poissons et sur la vessie natatoire qui est contenue dans leur cavite abdominale. Nous ne nous sommes pas flattes de l'espoir de faire des decouvertes importantes sur des objets qui ont deja fixe l'attention de plusieurs physiciens, mais nous avons pense que notre travail seroit utile aux progres de la Physiologie, lors meme que nous ne parviendrions qu'a un petit nombre de resultats certains, lies entre eux et fondes sur les methodes que presente l'etat actuel de la Chimie pneumatique. Nous nous sommes occupes de ces recherches pendant l'espace de sept mois. Mais les experiences qui nous restent a faire n'etant point encore terminees, nous ne pouvons pas rediger notre travail en entier. Nous nous bornons, par consequent, a reunir dans ce Memoire les faits principaux que nous croyons suffisamment eclaircis. Nous considererons d'abord les poissons dans leur etat naturel, respirant dans l'eau de riviere; nous examinerons l'action des branchies sur l'eau ambiante, impregnee d'oxigene et d'azote, d'acide carbonique, ou d'un melange d'hydrogene et d'oxigene; nous traiterons dans la suite des changemens que produisent les poissons sur differens fluides aeriformes dans lesquels on les plonge; nous rapporterons a la fin de ce Memoire quelques experiences chimiques et physiologiques, tentees sur l'organe que les naturalistes designent sous le nom de vessie natatoire, organe dont l'usage est tres-problematique. L'exactitude d'un travail sur la respiration depend en grande partie des methodes eudiometriques employees pour reconnoeitre la nature des melanges gazeux soumis a l'action pulmonaire. Pour eviter des details minutieux, et pour ne pas repeter le type uniforme des calculs eudiometriques, nous observerons ici que toutes nos experiences ont ete faites dans l'eudiometre de Volta, en suivant la methode et les regles prescrites dans le Memoire qu'un de nous a publie conjointement avec M. Gay-Lussac. Chaque experience a ete repetee trois fois, on n'a regarde comme exactes que celles dont les ecarts n'excedoient pas cinq ou six milliemes. On n'a jamais neglige d'evaluer la petite quantite d'oxigene qui se trouve accidentellement dans le gaz hydrogene, employe pour l'analyse de l'air. On a aussi determine rigoureusement l'azote contenu dans ce meme gaz employe, chaque fois qu'il s'agissoit de decouvrir de l'hydrogene dans un melange d'azote et d'oxigene. Ce n'est que vers la fin de notre travail, que nous avons souvent analyse les gaz obtenus par deux methodes differentes, savoir par le gaz hydrogene et par le gaz nitreux. Ce dernier a ete employe, d'apres le procede eudiometrique indique recemment par M. Gay-Lussac , procede qui reunit l'exactitude a la plus grande simplicite, et par lequel on reconnoeit la quantite d'oxigene contenue dans un melange gazeux, presque aussi promptement que l'on en determine la temperature. Journal de Physique, tom. lx, pag. 145. Memoires d'Arcueil, tom. ii, pag. 235. Pour apprecier les changemens que les poissons produisent, par leur respiration, sur l'eau dans laquelle ils sont plonges, il a ete indispensable d'evaluer plus exactement qu'on ne l'a fait jusqu'ici, la quantite et la nature de l'air contenu dans un volume donne d'eau de riviere. Sans cette evaluation, il auroit ete impossible d'apprecier l'effet qui doit etre attribue a l'action vitale des organes respiratoires des poissons. On a mesure, par le poids de l'eau distillee, la capacite de trois ballons de differente grandeur. Le premier A contenoit 2582 grammes, le second B, 2378 gr., le troisieme C, 857 gr. L'air retire par l'ebullition a ete constamment mesure dans un tube gradue, dont 300 divisions representent un poids d'eau distillee de 40,730 gr. Ces determinations ont ete faites, au moyen d'une balance de Fortin, a une temperature de 10° centigrades. Or, en exprimant les volumes en centimetres cubes, on trouve, par dix experiences reunies dans le tableau suivant, que l'eau de la Seine contient 0,0275, ou un peu moins d'un trente-sixieme de son volume en air dissous. L'accord qu'offrent ces experiences est si remarquable que, dans les trois mois de fevrier, de mars et d'avril, les plus grands ecarts n'ont pas excede deux milliemes du volume total de l'eau. Ballons. Volume exprime en centimetres cubes. Volume d'air contenu dans 100 parties d'eau de riviere. Oxigene contenu dans l'air retire de l'eau. Eau employee. Air obtenu. A 2582,70 72,65 0,0281 0,309 A 2582,70 69,72 0,0270 0,313 B 2378,22 64,59 0,0272 0,314 B 2373,22 66,13 0,0279 0,311 B 2378,22 62,94 0,0264 0,311 C 857,62 23,88 0,0278 0,309 B 2378,22 65,86 0,0277 0,307 A 2582,70 74,21 0,0287 0,306 B 2378,22 63,26 0,0266 0,311 B 2378,22 67,26 0,0283 0,314 En retirant l'air de l'eau par l'ebullition, il faut faire passer les vapeurs ou a travers du mercure, ou a travers de l'eau distillee recemment bouillie. Car en remplissant d'eau aeree la cloche dans laquelle on recoit l'air, les vapeurs qui se degagent privent cette derniere eau d'une partie de son air dissous, de sorte que, dans ce cas, on obtient plus d'air et un air moins riche en oxigene, que celui que fournit reellement le volume d'eau contenu dans le ballon. Il faut aussi eviter que l'eau qui se condense dans la cloche remplie de mercure, n'absorbe pas de nouveau une partie de l'air degage. On pourroit etre tente de laisser l'air, pendant plusieurs jours, en contact avec la couche d'eau qui repose sur le mercure. On pourroit croire que cette eau reprend exactement la meme quantite d'air qu'elle a donnee; et qu'en defalquant le volume de cette eau, fournie par les vapeurs condensees du volume total du ballon, on obtiendroit, pour residu, l'air appartenant au volume de l'eau reste dans le ballon. Mais cette supposition n'est point exacte. L'eau privee d'air ne reprend le melange gazeux dont on vient de la priver, que lorsque sa surface est baignee par un courant d'air atmospherique qui se renouvelle a chaque instant. Elle ne se chargera (et l'experience directe nous l'a prouve) ni du meme volume d'air, ni d'un air qui a les memes proportions d'oxigene et d'azote, si l'absorption se fait sous une cloche sans contact de l'air atmospherique libre. La nature du melange gazeux que contiennent les eaux est modifiee par les plus legers changemens du fluide aeriforme ambiant. C'est cette circonstance qui rend impraticable une methode proposee par quelques chimistes, savoir, celle de determiner la quantite d'air contenue dans l'eau, en observant dans des vases fermes la diminution de volume qu'eprouve l'air atmospherique mis en contact avec de l'eau recemment distillee. Dans ce procede, d'apres les calculs de M. Dalton, l'eau ne reprend que 0,019 de son volume total . Systeme de Chimie de Thomson, tom. v, pag. 421. La nature de l'air contenu dans l'eau de nos rivieres, est aussi constante que la proportion des elemens qui constituent l'air atmospherique. Aussi ces deux phenomenes sont dependans l'un de l'autre, et si la quantite d'oxigene contenue dans l'air atmospherique eprouvoit des changemens de quelques milliemes, la purete de l'air dissous dans l'eau, seroit fonction de la purete moyenne de l'atmosphere, a peu pres comme la temperature des lieux souterrains, celle des eaux des puits, et dans la region equinoxiale, la temperature de la mer dependent de la temperature moyenne appartenante a telle ou telle latitude. Dans toutes nos experiences, pendant l'espace de plusieurs mois, par des temps secs ou pendant la fonte des neiges et des glaces, l'air retire par l'ebullition de l'eau de Seine, n'a varie que de 0,309 a 0,314 d'oxigene. Ces resultats sont conformes aux experiences que nous avons faites, M. Gay-Lussac et moi, sur la purete de l'air contenu dans l'eau distillee, dans la glace, dans l'eau de pluie et dans la neige fondue. On pourroit etre surpris au premier abord, de la quantite d'acide carbonique retiree de l'eau de riviere. Elle va souvent jusqu'a 0,06, quelquefois jusqu'a onze centiemes du volume de l'air retire; mais cet air n'etant qu'un trente-sixieme du volume de l'eau, l'acide carbonique n'est au plus qu'un trois-centieme de ce dernier volume. Il provient sans doute, moins de la decomposition de quelques atomes de carbonate de chaux et de magnesie, que de la decomposition de la matiere extractive, qui s'annonce surtout par l'ecume que l'on observe pendant la distillation, dans l'eau qui passe avec l'air. Cette matiere extractive et mucilagineuse, due aux detritus des corps organises, joue peut-etre un role important dans l'economie des poissons qui paroissent vivre sans nourriture dans l'eau des rivieres ou dans celle de l'ocean. Ayant determine la quantite et la nature de l'air contenu dans un volume d'eau connu, il nous a ete facile de trouver par une voie directe les changemens que les poissons produisent dans le melange gazeux dissous dans l'eau de riviere. Nous avons rempli de cette eau des cloches dans lesquelles etoient renfermes des poissons. Nous avons choisi les individus les plus vigoureux. On a eu soin de ne pas les laisser perir dans les cloches, de peur qu'ils n'agissent sur l'eau apres leur mort, bien autrement qu'ils n'agissoient pendant leur vie. L'eau qui remplissoit entierement les cloches a ete preservee du contact de l'air exterieur par une couche de mercure. Le mercure n'a generalement pas touche le corps des tanches. D'ailleurs, ces animaux en introduisent dans leur bouche de petites quantites, sans en eprouver aucun effet nuisible. Des experiences directes nous ont prouve que les poissons vivent pendant huit a dix heures, reposant sur du mercure et ayant les branchies a demi plongees dans ce metal. On a laisse agir les poissons sur l'eau pendant plusieurs heures. Quelquefois on a place jusqu'a sept tanches ensemble sous des cloches tres-petites. On les a retirees quand elles donnoient des marques de souffrances qui faisoient craindre l'approche de la mort. L'eau dans laquelle les poissons avoient respire, a ete tout de suite renfermee dans des ballons pour en retirer l'air. Nous avons evite en transvasant cette eau, autant que possible, le contact de l'air exterieur, quoique nous nous fussions assures, par des experiences qui seront detaillees plus bas, que l'eau ne reprend que tres-lentement l'oxigene que les poissons lui ont enleve. La nature du melange gazeux retire par l'ebullition de l'eau mise en experience, depend naturellement du volume des cloches, du nombre des poissons qui y ont respire, du degre de leur force vitale et de la duree du contact de leurs branchies avec l'eau. Une seule tanche placee dans un volume d'eau de pres de 2400 centimetres cubes, a pris en dix-sept heures tout l'oxigene dissous, moins deux centiemes, du volume de l'air retire. Dans d'autres experiences, cet air a ete reduit a sept, a neuf ou treize centiemes d'oxigene. Nous avons reuni dans un tableau les resultats d'une partie de nos experiences. La premiere colonne de ce tableau indique la quantite d'oxigene, d'azote et d'acide carbonique trouvee dans un volume d'eau de riviere, egal a celui dans lequel les poissons ont respire. La seconde colonne represente les resultats de l'analyse de l'air retire par l'ebullition de l'eau qui a ete mise en contact avec les poissons. La troisieme colonne donne la difference du volume d'air contenu dans l'eau de riviere, avant que les poissons y aient ete places, et du volume d'air retire de cette eau, apres qu'elle a ete soumise a l'action des organes respiratoires des tanches. La quatrieme et la cinquieme colonne indiquent l'oxigene et l'azote que les poissons ont absorbes, et l'acide carbonique qu'ils ont produit. La sixieme et la septieme colonne contiennent les proportions qui resultent de chaque experience entre les quantites d'oxigene et d'azote absorbes, et d'acide carbonique produit par l'acte de la respiration des poissons. La quantite d'air que l'on retire par l'ebullition de l'eau dans laquelle les poissons ont vecu, ne sert pas a mesurer l'action plus ou moins grande que ces animaux ont exercee sur le liquide ambiant. L'intensite de cette action vitale n'est pas en raison inverse du volume de l'air qui reste dissous dans l'eau. Si l'azote n'etoit pas absorbe par les poissons, et si l'oxigene disparu etoit represente par l'acide carbonique produit, on retireroit par l'ebullition exactement la meme quantite d'air de l'eau de riviere pure, et de celle dans laquelle les poissons ont ete renfermes. Mais nous verrons bientot que l'absorption de l'oxigene et de l'azote n'est marquee qu'en partie, et tres-foiblement, par l'acide carbonique qu'expirent les poissons. Pour ne point fatiguer le lecteur par le detail d'un grand nombre de calculs uniformes, je me bornerai a exposer dans un seul exemple, la marche que nous avons constamment suivie. Le 7 mars, on a place sept tanches sous une cloche remplie d'eau de riviere. La cloche contenoit plus de 4000 centimetres cubes. Les poissons y ont respire pendant huit heures et demie. On a rempli de cette eau, sur laquelle les poissons avoient agi, un ballon dont le volume etoit de 2682 centimetres cubes. L'air retire par l'ebullition, et mesure a la temperature de dix degres centigrades, a ete de 453 parties. Un volume d'eau de riviere pure auroit fourni 524 parties d'air, ou 71 parties de plus que l'eau qui avoit servi aux poissons. Les 453 parties lavees avec de l'eau de chaux, ont ete reduites a 300, ce qui a indique 153 parties d'acide carbonique. On a determine l'oxigene du residu de l'air par l'eudiometre a gaz hydrogene et par le gaz nitreux dans l'appareil de M. Gay-Lussac. Trois experiences ont donne les resultats suivans: 0,036 0,037 0,031 oxigene. Les 453 parties d'air retire de l'eau qui a ete en contact avec les organes respiratoires des poissons, contenoient par consequent 10,5 oxigene, 289,5 azote, 153,0 acide carbonique. Or, nos experiences anterieures nous avoient appris qu'un volume d'eau de Seine pure de 2582 centimetres cubes, contient en gaz dissous: 155,9 oxigene, 347,1 azote, 21,0 acide carbonique. 524 Par consequent les sept tanches ont absorbe en huit heures de temps, 145,4 d'oxigene, 57,6 d'azote, et elles ont produit, dans le meme espace de temps, 132 d'acide carbonique. Il en resulte que, par la respiration des poissons soumis a cette experience, le volume de l'oxigene absorbe excedoit seulement de deux tiers le volume de l'azote disparu, et que plus d'un huitieme du premier n'avoit pas ete converti en acide carbonique. L'oxigene absorbe etoit a l'azote absorbe = 100:40, et a l'acide carbonique produit = 100 : 91. Nature des Gaz. Air avant l'experience. Air apres l'experience. Difference. Les poissons ont Oxigene absorbe a l'azote absorbe. Oxigene absorbe a l'ac. carbon. produit. REMARQUES. Absorbe. Produit. Total........ 175,0 135,1 39,9 Le 28 fevrier. 3 tanches pendant 5 heures 15 minutes de temps. Ballon C. Oxigene...... 52,1 5,6 ...... 46,5 ...... 100:43 Azote........ 115,9 95,8 ...... 20,1 ...... Acide carbon.. 7,0 33,7 ...... ...... 26,7 ...... 100:57 Total........ 524,0 404,4 119,6 Le 3 mars. 7 tanches pendant 6 heures de temps. Ballon A. Oxigene...... 155,9 44,0 ...... 111,9 ...... 100:87 Azote........ 347,1 249,5 ..... 97,6 ...... Acide carbon.. 21,0 110,9 ...... ...... 89,9 ...... 100:80 Total........ 483,0 524,0 71,0 Le 7 mars. 7 tanches pendant 8 heures [Formel] de temps. Ballon A. Oxigene...... 155,9 10,5 ...... 145,4 ...... 100:40 Azote........ 347,1 289,5 ...... 57,6 ...... Acide carbon.. 21,0 153,0 ...... ...... 132,0 ...... 100:91 Total........ 483,0 345,5 137,5 Le 11 mars. 1 tanche pendant 17 heures de temps. Ballon B. Oxigene...... 143,7 4,2 ...... 139,5 ...... 100:19 Azote........ 320,0 294,1 ...... 25,9 ...... Acide carbon.. 19,3 47,2 ...... ...... 27,9 ...... 100:20 Total........ 483,0 408,0 75,0 Le 24 fevrier. 3 tanches pendant 7 heures [Formel] de temps. Ballon B. Oxigene...... 143,7 62,6 ...... 81,1 ...... 100:43 Azote........ 320,0 285,4 ...... 34,6 ...... Acide carbon.. 19,3 60,0 ...... ...... 40,7 ...... 100:50 Total........ 483,0 398,6 84,4 Le 14 fevrier. 3 tanches pendant 5 heures de temps. Ballon B. Oxigene...... 143,7 40,0 ...... 103,7 ...... 100:71 Azote........ 320,0 246,6 ...... 73,4 ...... Acide carbon.. 19,3 112,0 ...... ...... 92,7 ...... 100:89 Total........ 483,0 372,5 110,5 Le 20 fevrier. 2 tanches pendant 7 heures de temps. Ballon B. Oxigene...... 143,7 37,8 ...... 105,9 ...... 100:63 Azote........ 320,0 252,9 ...... 67,1 ...... Acide carbon.. 19,3 81,8 ...... ...... 62,5 ...... 100:59 Malgre les differences apparentes que presentent les nombres reunis dans le tableau precedent, toutes nos experiences conduisent aux memes resultats generaux. Les poissons qui habitent les rivieres se trouvent, sous le rapport de l'oxigene contenu dans le liquide ambiant, dans la meme situation qu'un animal respirant dans un melange gazeux, qui contient moins d'un centieme d'oxigene. Car l'air dissous dans l'eau, ne s'eleve qu'a [Formel] du volume de ce liquide, et [Formel] de l'air dissous, sont de l'oxigene pur. La foible condensation de l'oxigene contenu dans l'eau qui traverse les feuillets des branchies, pourroit faire supposer peu d'energie dans les organes respiratoires des poissons; on pourroit regarder la respiration de ces animaux comme peu importante pour la conservation de leur vie. Mais un tres-grand nombre de phenomenes prouve, au contraire, que les poissons souffrent par la moindre suspension de leur respiration. Ils donnent des marques sensibles de malaise et d'angoisses, lorsqu'ils se trouvent plusieurs enfermes dans un volume d'eau peu considerable, et prive du contact de l'air exterieur. Ces souffrances semblent dues, bien plus a la diminution rapide qu'eprouve l'oxigene dissous, qu'a l'acide carbonique produit. Sans doute ce dernier acide (comme nous le prouverons plus bas) agit fortement sur le systeme nerveux des poissons, soit qu'ils le respirent a l'etat elastique, soit que leurs branchies touchent l'eau chargee d'acide carbonique. Mais ces effets funestes ne sont bien marques, que lorsque l'eau contient plus d'un huitieme de son volume en acide carbonique. Or un grand nombre de poissons que l'on renferme sous des cloches etroites remplies d'eau et sans contact avec l'air, ne donnent a cette eau tout au plus qu'un centieme de son volume d'acide carbonique. Le plus souvent le degagement de cet acide est bien au-dessous de la quantite que nous venons d'indiquer. Une tanche, par exemple, a ete retiree d'un volume d'eau de 2400 centimetres cubes, la quantite d'acide carbonique dont cette eau se trouvoit chargee a la fin de l'experience, ne s'elevoit pas a deux milliemes du volume total. Par consequent l'etat asthenique ne pouvoit etre attribue qu'a la petite quantite d'oxigene qui etoit restee dissoute dans l'eau. En effet cette quantite n'etoit qu'un cinq-millieme du volume total du liquide, et nous avons vu respirer des poissons dans des eaux dans lesquelles la densite de l'oxigene dissous etoit moindre encore. Ils s'y trouvoient dans un etat de langueur extreme; mais le mouvement regulier de leurs opercules et de leur membrane branchyostege annoncoit que, malgre leur foiblesse, ils savoient encore soustraire de l'oxigene a l'eau. Alors ce dernier liquide pouvoit etre compare a une atmosphere qui ne contiendroit que 0,0002 d'oxigene. Cette consideration prouve sans doute l'admirable perfection des organes respiratoires des poissons. C'est par les nombreuses ramifications de l'artere pulmonaire que leur sang entre dans le contact le plus intime avec l'eau, qui, par le jeu des muscles, est chassee a travers les feuillets des branchies. Nous citerons une experience qui, plus que toute autre, paroeit prouver que les poissons souffrent dans l'eau ou ils ont respire long-temps, bien moins par l'accumulation de l'acide carbonique produit, que par le manque d'oxigene necessaire aux fonctions animales. Spallanzani avoit seulement observe que des tanches mises dans des flacons renverses et pleins d'eau distillee perissent dans un espace de temps, qui est d'un tiers plus court que celui dans lequel elles se trouvent suffoquees dans de l'eau commune ou aeree. Dans ses experiences les poissons vecurent jusqu'a dix-huit heures dans de l'eau bouillie. Mais il paroeit que ce celebre physicien n'a pas employe assez de precaution pour priver l'eau de tout l'air qu'elle contenoit. Ce soin est d'autant plus important que l'eau exerce une action tres-inegale sur l'oxigene et sur l'azote qu'elle dissout. Retenant le premier avec beaucoup plus de force que le dernier, la densite de l'oxigene contenu dans l'eau, ne diminue pas en raison du volume de l'air chasse, soit par l'ebullition, soit par la dissolution d'un sel, soit enfin par un prompt refroidissement. Il est probable que les derniers atomes d'air que l'eau abandonne, sont de l'oxigene presque pur, et c'est a cause de cette grande affinite de l'eau pour l'oxigene que quelquefois, dans des eaux que l'on croit avoir privees de tout air, les poissons trouvent encore l'element qui est indispensablement necessaire pour la conservation de leur vie. Dans le cours de nos experiences nous avons aisement distingue les eaux entierement privees d'air, de celles auxquelles les branchies des poissons enlevoient encore de tres-petites quantites d'oxigene. Ce n'est qu'en faisant bouillir de l'eau fraeichement distillee dans des matras dont l'ouverture plonge dans un vase rempli d'eau bouillante, ce n'est qu'en empechant que l'air paut s'introduire dans le col du matras renverse sur du mercure, que nous avons obtenu de l'eau tellement privee d'air apres son refroidissement, qu'elle agissoit comme un fluide deletere sur les poissons. On a fait passer dans cette eau distillee, a travers le mercure, de petits poissons rouges (Cyprinus auratus), qui sont extremement vivaces: dans quelques individus, l'effet de l'eau distillee a ete des plus frappans. Apres quatre a cinq minutes de temps, ils sont tombes de cote; apres dix minutes, ils se sont fortement agites. Ce mouvement convulsif a ete suivi d'une prostration totale des forces. Apres vingt minutes, les petits poissons ont ete trouves au fond de la cloche presque sans mouvement, et comme s'ils alloient mourir. Ils sont revenus a la vie en les plongeant dans de l'eau de riviere, ou en introduisant une petite portion de cette eau sous la cloche. D'autres individus de la meme espece ont paru pouvoir suspendre leur respiration plus long-temps. Ils n'ont paru souffrir qu'apres une heure et dix minutes de temps: on les a trouves presque morts apres une heure et quarante minutes. Une petite anguille, extremement vivace, a expire, au bout de deux heures un quart, dans de l'eau soigneusement distillee. Elle a eu de fortes convulsions avant d'expirer. Ces effets de l'eau distillee sont d'autant plus remarquables, que les souffrances des poissons paroissent commencer bien plus lentement, lorsqu'on les place sur du mercure dans un gaz azote si pur, que les experiences eudiometriques n'y font pas connoeitre un millieme d'oxigene. Nous n'insistons pas ici davantage sur ces differences que presente l'action des fluides irrespirables liquides ou gazeux, il nous reste encore plusieurs experiences a faire sur cet objet delicat. Il suffit de rappeler que la distribution des vaisseaux elle-meme prouve qu'une respiration suspendue est bien plus dangereuse pour les poissons que pour les reptiles. Les premiers ont une circulation double, comme les mammiferes et les oiseaux. Tout le sang veineux qui retourne au tronc arteriel, doit passer par les branchies qui sont l'organe pulmonaire des poissons. Au contraire, dans les batraciens et dans les autres reptiles aeriens, la circulation pulmonaire n'est qu'une fraction plus ou moins considerable de la grande. Par consequent les animaux de cette derniere classe, meme a l'epoque ou ils ne sont pas dans un etat lethargique, peuvent exister longtemps prives du contact de l'air. Nous venons de voir que la quantite d'oxigene absorbee par les poissons est tres-petite, qu'ils respirent encore dans une eau qui ne contient que 0,0002 de son volume en oxigene dissous, et que, malgre la foiblesse et la lenteur de cette respiration, l'action non interrompue des organes respiratoires est indispensablement necessaire pour la conservation de leur vie. Maintenant, d'apres l'examen rigoureux que nous avons fait des melanges gazeux, trouves dans l'eau qui a ete en contact avec les branchies des tanches, il nous sera facile de determiner, pour chaque poisson, quelles sont les quantites d'oxigene et d'azote absorbees, ou d'acide carbonique produit dans une heure de temps. Nous reunissons ces nombres dans le tableau suivant: EPOQUES. Oxigene de l'air retire de l'eau apres l'exper. Nombre des tanches qui ont vecu dans l'eau. Heures que l'exper. a dure. Absorption dans 1 heure de temps; centimetres cubes. Acide carbonique produit. Grandeur des ballons. en oxigene. en azote. 28 fevrier.. 0,056 3 5 [Formel] 0,401 0,174 0,230 C 3 mars.... 0,151 7 6 0,362 0,315 0,291 A 7 mars.... 0,034 7 8 [Formel] ..... 0,131 0,303 A 11 mars.... 0,017 1 17 1,114 0,207 0,223 B 28 fevrier.. 0,178 3 7 [Formel] 0,489 0,201 0,246 B 24 fevrier.. 0,141 3 5 0,942 0,664 0,840 B 20 fevrier.. 0,130 2 7 1,041 0,651 0,606 B Ces resultats offriront plus d'interet encore lorsqu'on pourra les comparer avec les quantites d'oxigene absorbe, dans un meme espace de temps, par des animaux de classes differentes. Nous sommes occupes d'une serie d'experiences par lesquelles nous determinons les volumes d'oxigene absorbe par les plus petits mammiferes, par les oiseaux, les reptiles et les poissons. Nous comparerons nos resultats au poids de l'animal, au volume de son coeur et au nombre de contractions de cet organe. Il nous a paru qu'un travail de ce genre pouvoit devenir interessant par la meme que les analyses de l'air, qui en sont la base principale, seront toutes faites d'apres une methode uniforme et certaine. Suivant le tableau que nous venons de presenter, une tanche n'epuiseroit un metre cube d'eau de riviere que dans l'espace de vingt-un mois. Suivant l'experience de Lavoisier, un homme consume l'oxigene contenu dans un metre cube d'air atmospherique, dans l'espace de six heures. Par consequent un homme absorbe, dans le meme temps, 50,000 fois plus d'oxigene qu'une tanche. L'oxigene que les poissons enlevent a l'eau, n'est jamais entierement represente par la quantite d'acide carbonique produit; on observe que ce dernier ne s'eleve au plus qu'a quatre cinquiemes du premier. Souvent l'oxigene consume est le double de l'acide carbonique forme. Ce phenomene indique une difference frappante entre la respiration des poissons et celle des mammiferes. Or que devient cette grande quantite d'oxigene absorbee et non reproduite dans l'acide carbonique degage? Les poissons plonges dans de l'eau, respirant au moyen de l'eau qui traverse leurs branchies, produisent peut etre de l'eau euxmemes. Nous sommes prives de moyens pour resoudre ce probleme. En reflechissant sur la desoxigenation d'une grande masse de sang dans le cerveau des mammiferes, et sur les rapports qui se manifestent dans toutes les classes d'animaux entre le systeme nerveux et le systeme vasculaire, on seroit tente de croire que la grande irritabilite des poissons, la vivacite de leurs mouvemens, et l'enorme force musculaire qu'ils deploient dans un fluide, qui leur offre une grande resistance, dependent en partie de l'accumulation d'un principe qui vivifie les fonctions vitales des etres organises. Recueil d'observations de zoologie et d'anatomie comparee, par Humboldt et Bonpland, pag. 107. Une autre difference importante qu'offrent les poissons et les mammiferes dans leur respiration, se trouve dans l'absorption de l'azote. Cette absorption est a celle de l'oxigene comme 1:2, quelquefois comme 5:4. Elle est si considerable, que pour l'attribuer a de simples erreurs d'experience, il faudroit supposer qu'on s'est trompe de 60, quelquefois de plus de 100 parties d'un eudiometre, dont les resultats s'accordent generalement a deux ou trois parties. On connoeit la quantite d'azote qui est dissoute dans un volume donne d'eau de riviere, et cependant le volume total de l'air retire par l'ebullition de cette meme quantite d'eau, sur laquelle les poissons ont agi, est (apres l'avoir mis en contact avec l'eau de chaux) souvent plus petit que l'azote preexistant. En retranchant de ce volume lave l'oxigene que les poissons n'ont pas consume, on aura isolement la petite partie d'azote qui est restee dans l'eau. Priestley, Davy, Henderson et Thomson ont cru aussi observer une absorption d'azote dans la respiration des animaux a sang chaud. Davy jugea meme que dans l'homme le volume de l'azote absorbe etoit a celui de l'oxigene absorbe, en proportion de 100 a 10. Mais les nouvelles experiences de MM. Allen et Pepys, et celles que M. Berthollet vient de faire en se servant de son manometre et de l'eudiometre a gaz hydrogene, sont contraires a l'idee d'une absorption d'azote dans la respiration des mammiferes. Nous ne l'avons pas non plus observe dans nos experiences sur les grenouilles que nous avons fait mourir dans des volumes d'air atmospherique exactement mesures et contenus dans des flacons bouches a l'emeri. Les grenouilles y ont vecu tantot quatre, tantot six jours. Elles ont reduit un volume d'air de 212 centimetres cubes a 202; et pendant ce temps, l'acide carbonique produit a ete de plus d'un tiers moindre que l'oxigene absorbe. Les resultats de deux experiences ont ete si uniformes, que dans l'une l'air restant contenoit 0,039; dans l'autre 0,033 d'oxigene. En supposant que l'absorption de l'oxigene eaut ete proportionnelle au temps, ce qui n'est pas tout-a-fait probable dans un animal qui meurt asphyxie, chaque grenouille avoit consume dans une heure 0,23 centimetres cubes, ce qui est deux tiers de moins qu'une tanche. Cette difference entre un batracien et un autre animal vertebre muni de branchies, est un phenomene physiologique tres-curieux et dans lequel se manifeste encore la grande activite des organes respiratoires des poissons. Dans les animaux a sang chaud, la respiration tend a augmenter les proportions de l'azote, parce qu'elle enleve au corps de l'hydrogene et du carbone. L'accumulation de l'azote n'y est due qu'a la nutrition. Dans les poissons, au contraire, qui peuvent etre soumis a un jeaune prolonge, la masse de l'azote augmente par la respiration meme. Aussi la chair musculaire des poissons est singulierement putrescible, elle manifeste, pour ainsi dire, le plus haut degre d'animalisation, et fournit, en se decomposant, une grande quantite d'ammoniaque. Ce sont principalement les experiences faites avec des eaux privees d'air, et artificiellement impregnees d'hydrogene et d'oxigene, qui prouvent que l'absorption de l'azote dans la respiration des poissons, loin d'etre accidentelle, tient reellement a une assimilation organique. Nous avons mis de l'eau recemment bouillie, en contact avec des melanges de deux cents parties d'hydrogene et de cent parties d'oxigene. La presence du dernier gaz determine alors une forte absorption de l'hydrogene, qui, par lui-meme, ne manifeste que peu d'affinite pour l'eau. Les poissons places dans un liquide qui contenoit de l'oxigene, de l'hydrogene et de l'azote, parurent souffrans des qu'ils furent places sous la cloche qui etoit renversee sur du mercure. On les retira presque morts apres trois heures de temps; on distilla deux portions d'un volume egal de l'eau impregnee d'hydrogene: l'air retire de la portion qui avoit ete conservee bouchee donna sensiblement la meme quantite d'hydrogene que l'air fourni par l'eau dans laquelle les poissons avoient respire. Ces animaux avoient consume une grande quantite d'oxigene en le separant de l'hydrogene dissous. Les organes doues de vitalite n'exercent pas d'action sur les elemens qui ne doivent pas etre assimiles. Il n'en est pas des animaux comme des plantes qui entraeinent, par l'ascension de leur seve, plusieurs sels accidentellement meles au sol dans lequel leurs racines sont fixees. Des eaux que nous avons chargees d'acide carbonique jusqu'a saturation, ont agi comme un poison actif sur les tanches et les poissons rouges. Les premieres y sont mortes en peu de minutes, dans un etat convulsif. L'action de l'acide muriatique oxigene est a peine plus prompte: ces deux acides doivent etre consideres comme agissant plus directement sur le systeme nerveux. D'ailleurs l'acide carbonique, en se combinant avec l'eau, n'en chasse pas tout l'oxigene. Nous avons evalue le melange d'oxigene et d'azote que contiennent les eaux chargees de leur volume d'acide carbonique. La proportion de ce melange obtenu par l'ebullition, etoit de 30 d'oxigene a 70 d'azote. Mais le volume total de ces deux gaz n'etoit que le tiers de celui que l'on retire ordinairement de l'eau de riviere. Les poissons ne respirent-ils que par leurs branchies, ou le corps et la queue de ces animaux ont-ils aussi la propriete d'absorber l'oxigene et l'azote, et de produire de l'acide carbonique? Apres plusieurs tentatives infructueuses, nous avons reussi a resoudre cette question d'une maniere qui ne laisse aucun doute. On a fait passer la tete de tanches tres-vivaces dans des colliers de liege doubles en toile ciree. Le poisson a ete place dans un vase cylindrique, de maniere que le collier en formoit le couvercle, et que la tete n'etoit point en contact avec l'eau de Seine contenue dans le vase; le tout a ete mastique par dehors. Pour etre plus saur que l'eau du baquet, dans lequel a ete plonge l'appareil, ne communiquoit pas a travers la toile ciree ou par quelques pores des bouchons de liege, avec l'eau qui entouroit le corps de la tanche, le bouchon a ete couvert interieurement d'une couche de mercure de sept ou huit millimetres de haut que l'on a fait entrer d'avance dans le vase cylindrique renverse. Malgre leur position genee, les tanches ont vecu dans cet etat pendant cinq heures; on les a retirees peu souffrantes; on a distille de suite l'eau que renfermoit le vase, et l'on a compare l'air obtenu a celui donne par l'eau du grand baquet dans lequel se trouvoit la tete du poisson. Cette experience curieuse a ete repetee quatre fois; elle prouve que le corps des tanches agit sur l'eau comme les branchies, et que la difference ne consiste que dans l'energie de l'action vitale, et surtout dans la proportion des quantites d'oxigene et d'azote absorbes, et d'acide carbonique produit. Nous n'ignorons pas que Spallanzani avoit deja annonce que les poissons respirent par les ecailles, mais son assertion ne se fonde sur aucune experience analogue a celle que nous venons de decrire. Il s'etoit contente de placer le corps des tanches dans de l'eau de chaux, qui les met dans un etat maladif, et d'examiner l'action de la peau des poissons recemment morts sur le gaz oxigene. D'apres toutes les experiences que nous avons reunies dans ce Memoire, il est presque superflu de parler de celles dans lesquelles des poissons ont ete places sous des cloches dans de tres-petites quantites d'eau de riviere, entre une couche de mercure et une couche d'air exactement mesure. Les poissons enlevent l'oxigene a l'eau, celle-ci l'enleve a son tour a l'air qui couvre la surface de l'eau. Mais comme l'etat primitif de saturation ne se retablit pas completement, les poissons viennent a la surface pour y respirer l'air elastique. La meme chose arrive lorsque de grands poissons sont forces de vivre dans des vases qui ne contiennent que tres-peu d'eau. Il est certain que leurs branchies sont plus propres a separer l'oxigene dissous dans l'eau, qu'a soustraire l'oxigene a l'air. Cependant les poissons aiment mieux elever la tete au-dessus de l'eau, que respirer dans un liquide qui est presque prive d'oxigene et qui retient, avec une certaine force, les dernieres portions de cet element. Si l'air atmospherique rendoit promptement a l'eau ce que les poissons lui enlevent par leur respiration, il ne seroit pas necessaire de leur donner de temps en temps de l'eau sur laquelle les branchies n'ont pas encore agi. Nous avons examine, a differentes reprises, ces eaux contenues dans des vases ouverts. Deux tanches ont vecu pendant vingt-trois heures dans un volume d'eau de Seine de pres de cinq mille centimetres cubes. On les a retirees bien affoiblies. L'air qu'a donne cette eau etoit reduit a 0,073 d'oxigene, et il contenoit 0,11 d'acide carbonique. Les diaphragmes places dans des vases ouverts a dix centimetres au-dessous de la surface de l'eau, ne font souffrir les poissons que parce qu'ils les empechent de venir respirer l'air elastique, et de chercher dans l'atmosphere ce qu'ils ne trouvent presque plus dans l'eau qui les entoure. En effet les couches d'eau superieures, celles qui sont le plus voisines de l'air, reprennent plus promptement l'oxigene perdu que les couches inferieures. Par consequent le poisson se trouve deja mieux lorsque, sans elever la bouche audessus de l'eau, il s'approche de cette region dans laquelle penetre l'oxigene de l'atmosphere. Nous avons cru devoir faire des experiences directes sur la propagation progressive de l'oxigene et de l'azote atmospherique dans l'eau recemment privee d'air. Nous avons observe que ces elemens passent assez lentement d'une molecule d'eau a une autre. De grandes masses d'eau bouillies sont restees exposees a l'air libre pendant deux jours dans des matras de plus d'un metre de hauteur, et dont l'ouverture etoit tres-etroite. Nous avons enleve par un siphon, les couches d'eau superieures et inferieures. Les dernieres ont constamment donne moins d'air, et un air moins pur que les premieres. En repetant cette experience avec un triple melange de gaz, on remarquera sans doute que chaque base descend avec une veitesse qui lui est propre, et qui depend de son affinite pour l'eau. C'est un privilege que la nature a accorde a la plupart des animaux munis de branchies, de pouvoir respirer ala-fois dans l'eau et dans l'air. Ils ne suspendent pas leur respiration, lorsque sortant de l'eau on les expose a l'air. Ils absorbent l'oxigene gazeux comme fait un reptile muni de poumons. Il est connu que l'on engraisse des carpes en les nourrissant suspendues dans l'air, et en leur mouillant de temps en temps les ouies avec de la mousse humide pour empecher qu'elles ne se dessechent. Nous avons examine l'action des poissons sur les differens gaz. Ces experiences ont ete faites avec le barbeau (Cyprinus barbus); la tanche (C. tinca); le goujon (C. gobio); l'anguille (Muraena anguilla); et le petit poisson rouge (C. auratus). Les poissons places dans l'air atmospherique ou dans le gaz oxigene, ecartent leurs opercules bien plus que dans l'eau. Ils se trouvent, dans l'air atmospherique, entoures d'un fluide dans lequel l'oxigene est vingt fois plus condense que dans l'eau. Ils absorbent, en temps egal, tout autant d'oxigene de l'air que de l'eau. Cependant ce mode de respiration doit fatiguer des organes destines a s'approprier de l'oxigene qui n'est pas a l'etat elastique. On pourroit croire que les poissons perissent dans l'air, parce qu'en degageant du calorique, ils echauffent leur sang. Mais si cet echauffement du sang etoit la suite de leur respiration dans l'air, ils devroient mourir bien plus promptement dans le gaz oxigene que dans un melange gazeux de 90 parties d'azote, et de 10 d'oxigene. Cependant nos experiences nous ont prouve le contraire. Les poissons fermeroient leurs opercules au lieu de les ecarter avec force, s'ils sentoient que l'absorption de l'air augmente leur temperature. Nous avons introduit des thermometres dans l'interieur des poissons qui respiroient dans l'eau, dans l'oxigene, dans l'air atmospherique et dans l'azote pur, sans appercevoir que la temperature de ces animaux differat sensiblement de celle des milieux ambians. Des tanches qui ont respire pendant vingt-quatre ou vingt-cinq heures dans le gaz oxigene, n'ont pas eu l'air de souffrir beaucoup; et cependant, en repetant les experiences de Broussonnet sur l'effet de l'eau chaude sur les poissons, nous avons observe qu'un changement rapide de 5 a 6 degres centigrades met ces animaux dans un etat convulsif. Les tanches par leur corps seul n'agissent pas sensiblement sur l'air atmospherique ou sur le gaz oxigene. Nous avons adapte des colliers de liege au col des poissons. L'appareil a ete le meme que celui decrit plus haut. La queue de la tanche et son corps se trouvoient dans l'air, la tete plongeoit dans l'eau. Nous nous sommes assures qu'il n'y avoit pas d'absorption d'oxigene lorsqu'il n'existoit aucune communication entre l'air et l'eau. Nous ne rapporterons qu'une experience du grand nombre que nous avons faites sur les gaz. Une tanche, par la respiration de ses branchies, a reduit en dix-neuf heures et demie de temps, un volume d'air atmospherique de 133,9 centimetres cubes a 122,9. Ce residu apres avoir ete lave avec de l'eau de chaux, contenoit 0,132 d'oxigene. Par consequent la tanche dans une heure de temps avoit absorbe 0,52 centimetres cubes d'oxigene. Dans deux experiences faites sur le gaz oxigene, l'absorption a ete dans l'une de 0,54, dans l'autre de 0,40 centimetres cubes par heure. Les poissons, comme nous l'avons observe plus haut, expirent en peu de minutes dans du gaz acide carbonique. Ils souffrent plus dans l'hydrogene que dans l'azote. Ils sont dans un etat de mort apparente si on les y enferme pendant quatre ou cinq heures. On remarque generalement, que dans les gaz azote et hydrogene, ils ferment leurs opercules comme pour garantir leurs branchies du contact de ces deux gaz. Un azote qui ne contenoit pas un millieme d'oxigene est reste pur, quoique des poissons rouges y aient sejourne long-temps. On trouve quelquefois un peu d'acide carbonique dans l'azote et dans l'hydrogene employes. Comme ces gaz etoient purs, il faut supposer que cet acide carbonique est sorti de l'interieur du poisson, peut-etre de sa vessie natatoire. Il nous resteroit a exposer a la fin de ce Memoire les nombreuses experiences que nous avons tentees sur cet organe extraordinaire. Mais comme notre travail n'est point encore termine, et que nous avons cru devoir eviter ici des details physiologiques, nous nous bornerons a citer quelques faits isoles. Depuis que M. Biot a fait l'observation interessante que les poissons de mer qui habitent de grandes profondeurs, ont plus d'oxigene dans leurs vessies natatoires que les poissons qui vivent a la surface, et qu'il a vu dans les premiers cette quantite d'oxigene s'elever a 0,87; il etoit important d'examiner de nouveau l'air contenu dans la vessie des poissons de rivieres. Nous avons trouve que la nature de cet air est tres-variable dans la meme espece. Les differences n'ont pas paru dependre des saisons et de la temperature des eaux. On n'a jamais trouve moins d'un centieme d'oxigene. Les anguilles dont la vessie natatoire est pourvue d'un corps glanduleux, ne donnent generalement que tres-peu d'air, et cet air ne contient que 0,013 a 0,024 d'oxigene. Le terme moyen d'un grand nombre d'experiences faites sur les carpes a ete de 0,071 d'oxigene, 0,052 d'acide carbonique, et 0,877 d'azote. La vessie d'une carpe qui pese 2 kilogrammes contient un volume d'air de 103 centimetres cubes. Elle renferme, par consequent, une quantite d'oxigene qui pourroit servir a la respiration de ce poisson pendant l'espace de huit a dix heures. Nous avons trouve des carpes dans lesquelles la purete de l'air de la vessie s'elevoit a 0,107 d'oxigene. On a fait respirer des tanches non-seulement dans du gaz hydrogene, mais aussi dans des eaux chargees d'un melange d'hydrogene et d'oxigene. Pas un atome d'hydrogene n'est entre dans la vessie natatoire des poissons soumis a ces experiences. Il a paru que l'oxigene augmentoit un peu dans la vessie des tanches renfermees dans du gaz oxigene; on y a trouve 0,125 d'oxigene, tandis que plusieurs autres vessies de tanches donnoient constamment 0,092 et 0,096. Comme il est impossible de faire deux experiences sur le meme individu avant et apres son contact avec le gaz oxigene, les resultats restent incertains. On a enleve, par une incision laterale, la vessie natatoire a plusieurs tanches. Elles ont vecu dans cet etat pendant trois jours; elles ont pu s'elever a la surface de l'eau. Quelques-unes ont nage dans toutes les directions, sans que l'equilibre de leur corps ait paru derange. Une d'elles a paru si peu souffrante, qu'il eaut ete difficile de la distinguer des tanches qui n'avoient point ete operees. Cependant le plus grand nombre est reste au fond du vase, souffrant et penche vers le cote. Il nous a paru important de verifier, par une experience directe, si les tanches auxquelles on a enleve la vessie natatoire depuis trois jours, respiroient de la meme maniere que celles qui en sont pourvues. Une de ces tanches operees resta pendant six heures et demie dans un volume d'air atmospherique d'environ 700 centimetres cubes. Le residu ne contenoit que 0,10 d'oxigene. On n'y trouva que 0,02 d'acide carbonique. Cette experience prouve directement que sans la presence de la vessie natatoire les poissons absorbent de l'oxigene, et que ce sont leurs branchies qui ont la double propriete de soustraire a l'eau l'oxigene dissous, et d'assimiler l'oxigene contenu dans un melange aeriforme. On a place deux autres tanches sans vessie dans un volume d'eau de 857 centimetres cubes, elles y ont respire pendant deux heures et demie. Le tableau suivant paroeit prouver que l'extirpation de la vessie a altere les fonctions des branchies. L'absorption de l'oxigene et de l'azote a ete tres-considerable, mais la production de l'acide carbonique a ete nulle. Air contenu dans l'eau, Avant l'experience. Apres l'experience. Total.......... 175 Total ........... 107 Oxigene........... 52 Oxigene........... 15 Azote............. 116 Azote.............. 86 Acide carbonique.. 7 Acide carbonique... 7 Dans cette experience l'oxigene absorbe a ete a l'azote absorbe, comme 100:62. Les poissons auxquels on a extirpe la vessie n'ont pas produit un centieme d'acide carbonique. Ce phenomene est-il l'effet de l'absence d'un organe, ou ne doit-il etre attribue qu'a l'etat de foiblesse dans lequel se trouvent les poissons? Une grande analogie s'observe entre les poumons du Protee et la vessie natatoire des poissons. Mais de simples analogies de forme ne peuvent pas nous guider dans des recherches, dans lesquelles chaque assertion doit etre soumise a l'experience.