MÉMOIRE Sur les Réfractions astronomiques dans la zone torride, correspondantes à des angles de hauteur plus petite que 10°. Par M. de Humboldt . (EXTRAIT.) Cet article est extrait du Nouveau Bulletin des Sciences, n°. 9, tom. 1, p. 162. On sait que la réfraction d’un astre observé à une hauteur assez grande au-dessus de l’horizon, par exemple, à une hauteur qui surpasse 10°., est indépendante de la constitution de l’atmosphère, et qu’elle ne dépend que de l’état du baromètre et du thermomètre, au lieu même de l’observation. Les tables de réfractions, calculées pour ces hauteurs et pour toutes les températures et les densités de l’air, peuvent donc être employées dans tous les lieux de la terre, en prenant dans ces tables la réfraction relative à la température et à la densité de l’air, indiquées par le thermomètre et le baromètre, à l’instant de l’observation. Mais il n’en est pas de même des réfractions horizontales, ou presque horizontales: elles dépendent de l’hypothèse que l’on adopte sur la constitution de l’atmosphère, par conséquent elles seront différentes dans les différentes régions de la terre, si la constitution de l’atmosphère n’y est pas la même. M. de Humboldt s’est proposé de comparer les réfractions qu’il a observées dans la zone torride, à celles qui ont lieu dans la zone tempérée et vers les pôles. Cette comparaison intéresse non-seulement l’astronomie, mais encore la physique, en ce qu’elle peut jeter un grand jour sur la constitution physique de l’atmosphère; car parmi les causes qui la font varier, il en est qui peuvent influer sensiblement sur les réfractions: c’est par une discussion détaillée de ces diverses causes, que M. de Humboldt commence son Mémoire. Le pouvoir réfringent du gaz oxygène étant moindre que celui de l’azote, un changement dans les proportions de ces deux gaz qui composent l’air en produirait un dans les réfractions; mais M. de Humboldt et d’autres physiciens ont reconnu que ces proportions sont exactement les mêmes à l’équateur et à notre latitude. L’air pris à une grande hauteur audessus de la surface de la terre, et soumis aux moyens eudiométriques les plus précis, donne encore les mêmes proportions d’oxygène et d’azote; et même M. Gay-Lussac a vérifié, dans sa dernière ascension aérostatique, que les petites quantités d’hydrogène et d’acide carbonique que renferme l’air, sont exactement les mêmes à la surface de la terre et dans les régions élevées de l’atmosphère. Il paraît donc que la masse fluide qui enveloppe la terre est homogène dans toutes ses parties: on sait en effet que différens gaz mis en contact ne se disposent pas, d’après leurs pesanteurs spécifiques, comme feraient des fluides incompressibles: ils parviennent au contraire, dans un tems plus ou moins long, à se mélanger parfaitement et à former un tout homogène. Cet état subsiste indéfiniment, malgré la différence de densité, parce que le mélange parfait des fluides élastiques est le seul état où leur équilibre soit stable; tout autre arrangement que l’on pourrait concevoir n’offrirait qu’un équilibre instantané, et la moindre agitation en écarterait les fluides, qui reviendraient toujours à l’état d’équilibre stable, c’est-à-dire, à l’état de mélange parfait. Il n’est donc pas nécessaire d’admettre l’action d’une affinité, ou un commencement de combinaison chimique, entre les différens fluides dont l’atmosphère est composée, pour expliquer l’identité de sa composition; il suffit pour cela d’avoir égard à la stabilité de leur équilibre. (Voyez sur ce point la troisième édition de l’Exposition du Système du monde, livre 4, chap. 17.) Entre les tropiques, M. de Humboldt a observé que l’hygromètre indique généralement une humidité plus grande que dans nos climats; mais l’eau qui est suspendue dans l’atmosphère, sans en troubler la transparence, n’altère pas les réfractions; car si, d’une part, le pouvoir réfringent de la vapeur d’eau l’emporte sur celui de l’air, d’un autre côté, la densité de cette vapeur est moindre, à force élastique égale, que celle de l’air; et il arrive que cette diminution de densité compense, à très-peu près, l’augmentation de pouvoir réfringent. Dans le dixième livre de la Mécanique céleste, M. Laplace avait déjà supposé cette compensation; et depuis, M. Biot l’a mise entièrement hors de doute, par des expériences directes sur le pouvoir réfringent de l’air, à différens degrés d’humidité. La vapeur que l’on appelle vésiculaire, et qui diffère à tant d’égards de la vapeur transparente, se comporte-t-elle comme celle-ci dans les réfractions? L’expérience laisse encore quelques doutes sur ce point: des observations du soleil vu à travers un nuage, par M. de Humboldt, dans le royaume de Quito, et par M. Arrago à l’Observatoire de Paris, paraissent indiquer que les réfractions ne sont point altérées par cette singulière modification de la vapeur d’eau; mais d’autres observationś faites par M. Delambre à Bois-Commun (département du Loiret), pendant un brouillard fort épais, conduisent à un résultat contraire. Cependant M. de Humboldt incline à penser que les réfractions ne sont pas troublées par les vapeurs vésiculaires, et que les observations de M. Delambre doivent être regardées comme des anomalies dont il assigne plusieurs causes. Nous n’entrerons pas ici dans le détail des considérations physiques sur lesquelles il appuie son opinion. La chaleur décroît à mesure que l’on s’élève dans l’atmosphère; or la loi de ce décroissement influe sur les réfractions horizontales, parce qu’elle influe sur le décroissement de la densité. (Voyez les formules du dixième livre de la Mécanique céleste). Elles augmentent lorsque l’on suppose que la chaleur décroît moins rapidement, et elles diminuent, quand ce décroissement devient plus rapide. Les observations du thermomètre que M. de Humboldt a faites sur les montagnes du Pérou, lui ont donné, pour résultat moyen, un degré centigrade d’abaissement pour 191 mètres d’élévation: celles que M. Gay-Lussac a faites dans sa dernière ascension aérostatique, donnent 1° pour 193 mètres. Le décroissement de la chaleur étant donc à très-peu près le même à l’équateur et dans nos climats, et cette cause étant la seule qui puisse influer sur les réfractions, M. de Humboldt en conclut qu’elles doivent être les mêmes à ces deux latitudes. Cette conclusion importante est contraire à l’opinion de Bouguer, qui les croyait plus faibles à l’équateur; mais elle est confirmée par les nombreuses observations que M. de Humboldt a faites entre les tropiques, et par d’autres observations faites par Maskeline, à la Barbade. Les réfractions trouvées par ces deux observateurs, ne diffèrent pas sensiblement de celles des tables que le Bureau des longitudes a publiées et qui ont été calculées d’après une longue suite d’observations faites à Bourges par M. Delambre. Deux observations faites en Laponie, par M. Swanberg, à 13 et à 29 degrés au-dessous de zéro, donnent des réfractions, qui étant ramenées à la température zéro, surpassent de beaucoup celles des tables de M. Delambre. On ne peut attribuer ce résultat qu’à un décroissement de chaleur plus lent au pôle qu’à notre latitude; et en effet ce ralentissement est présumable, puisque vers le pôle, la température à la surface de la terre est déjà plus basse que celle qui a lieu, à notre latitude, dans des régions très-élevées de l’atmosphère. En faisant le calcul, d’après les formules citées plus haut, M. Mathieu (secrétaire du Bureau des longitudes) a trouvé que les réfractions observées par M. Swanberg, supposent un décroissement de chaleur de 1° pour 244 mètres d’élévation, tandis qu’à notre latitude ce décroissement s’élève à 1° pour 193 mètres.