Histoire de la couche végétale du globe . Tableau de la nature, t. II, p. 7, édition de Gide et Baudry. Le tapis que Flore a étendu sur le corps nu de la terre est inégalement tissu. Plus épais aux lieux où le soleil s’elève plus haut dans un ciel sans nuages, il est plus clair-semé vers les pôles, où la nature semble engourdie, où le retour précipité des frimas ne laisse pas aux bourgeons le temps d’éclore, et surprend les fruits avant leur maturité. Partout cependant l’homme a la consolation de trouver des plantes qui le nourrissent. Que du fond de la mer, comme cela s’est vu dans l’archipel de la Grèce, un volcan soulève, au milieu des flots bouillonnants, un rocher couvert de scories; que des Lithophytes agrégés, pour rappeler un phénomène moins terrible, bâtissent leurs cellules sur le dos de montagnes sous-marines, et plusieurs siècles après, lorsque l’édifice a depassé la surface de la mer, laissent en mourant une île de coraux, les forces organiques de la nature se tiennent prêtes à ranimer ce rocher mort. Comment la semence y est-elle subitement déposée? Sont-ce des oiseaux voyageurs, les vents ou les flots qui l’y apportent? La distance qui sépare ces parages des côtes, rend le fait difficile à éclaircir. On sait cependant que, dans les contrées du Nord, il se forme sur la pierre nue, aussitôt qu’elle est en contact avec l’air, un tissu de filaments semblables à des trames de velours, qui ont à l’œil nu l’apparence de taches colorées. Quelques-unes de ces taches sont entourées de lignes en saillie, qui forment un bord tantôt simple et tantôt double; d’autres sont coupées par des sillons ou divisées en compartiments. Leur couleur, pâle d’abord, devient plus foncée avec l’âge; le jaune qui brillait au loin prend une teinte brune, et le gris bleuâtre des lepraria se change insensiblement en un noir poudreux. Les limites des couches qui ont vieilli se fondent l’une dans l’autre, et sur ce fond obscur naissent de nouveaux lichens de forme circulaire et d’une blancheur éclatante. Ainsi se superposent les tissus organiques. De même en effet que les sociétés humaines doivent passer par différents degrés de civilisation, la propagation graduelle des végétaux ne peut s’accomplir qu’en vertu de lois déterminées. Là où les arbres des forêts élèvent au milieu des airs leur cime imposante, quelques pâles lichens recouvraient autrefois la roche dépouillée de terre. Les mousses, les graminées, les plantes herbacées et les arbrisseaux, sont autant d’intermédiaires qui remplissent cette longue période dont on ne saurait déterminer la durée. La lacune comblée dans les pays du nord par les lichens et les mousses l’est sous les tropiques par les portulaca, les gomphrena, et d’autres plantes grasses et peu élevées qui croissent au bord des eaux. L’histoire de la couche végétale et de sa propagation successive sur l’écorce déserte de la terre a ses époques, aussi bien que l’histoire des migrations qui ont disséminé dans les différentes contrées les animaux et les hommes. Alexandre de Humboldt.